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Article de revue

Une entreprise éditoriale mystérieuse

Les Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des lettres

Pages 485 à 501

Notes

  • [1]
    La Société typographique de Londres a été étudiée par David Smith dans son article « The publishers of Helvétius’s De l’Homme : The Société typographique de Londres (Australian Journal of French studies, vol. XXX, 1993, p. 311 et suiv.). Cette société avait été constituée en 1771 par les libraires Gosse de La Haye et Boissière de Londres. Elle avait son siège St James Street et était spécialisée dans la vente des livres français.
English version

1Les 36 volumes des Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France depuis 1762 jusqu’à nos jours (1777-1789), appelés souvent Mémoires de Bachaumont, portent l’adresse de John Adamson (ou Adamsohn).à Londres. La direction intellectuelle de l’entreprise est attribuée généralement à Pidansat de Mairobert, auquel aurait succédé, après sa mort survenue en 1779, Moufle d’Angerville.

2Le succès de l’ouvrage a été considérable. Comme le disait Jeremy Popkin lors d’un colloque tenu à Karlstad (Suède) en 1994 : « la multiplicité des éditions dans nos bibliothèques actuelles est évidence que la demande pour ces petits volumes ne s’est pas tarie jusqu’en 1789 » (J. Popkin, « Texte journalistique, texte problématique : le statut des Mémoires secrets », dans Nouvelles, gazettes, mémoires secrets (1775-1800), Karlstad, 2000, p. 32). On les trouve aujourd’hui dans la quasi-totalité des bibliothèques françaises, parfois en plusieurs exemplaires comme à la Bibliothèque historique de Paris, à Lyon et à Grenoble.

3Il est évident que le succès de ce « best-seller »se poursuivit au 19e siècle. C’est pourquoi les exemplaires subsistants des Mémoires secrets proviennent souvent des collections de bibliophiles comme Garinet à Châlons en Champagne, Des Guerrois à Troyes ou Casimir de Persan à Dole, ou encore à Chambéry, grâce au don du baron Hector Gariod de Florence (1804-1886) ou à Vienne (Isère) où l’exemplaire provient du libraire Jacques Girard (1801-1877) venu s’établir dans cette ville après avoir obtenu un brevet de libraire en 1828.

4Nous n’évoquerons pas ici le problème des auteurs ni de l’écriture de l’ouvrage, mais nous tenterons de retrouver l’histoire fort complexe des diverses éditions de l’ouvrage, en interrogeant à la fois les exemplaires eux-mêmes (bibliographie matérielle) et les rares documents de l’époque.

5Toutes les éditions portent le nom de John Adamson ou Adamsohn à Londres. Or le seul libraire de ce nom fut James Adamson à la fin du 17e siècle ; il n’y eut jamais de John Adamson : on trouve cette adresse à la même époque dans les ouvrages suivants :

6

Deux éditions des Anecdotes sur Madame la comtesse Du Barri, Adamsohn, 1776-1777 dont l’auteur anonyme n’était autre que Pidansat de Mairobert (la première édition est de 1775).
Mémoires concernant l’administration des finances sous le ministere de M. l’abbé Terrai, contrôleur général, Adamson, 1776, dont l’auteur serait Coquereau.
Systeme du regime des Jésuites, aujourd’hui celui de plusieurs évêques de France, dévoilé, Adamsohn, 1777.
L’espion anglois, ou Correspondance secrete entre milord All’eye et milord All’ear Adamson, 1777-1785, dont le premier volume avait pour titre L’observateur anglois.
Supplément à l’espion anglois, ou Lettres intéressantes de M. Necker sur le sort de la France et de l’Angleterre, sur la détention de M. Linguet à la Bastille adressées à Milord All’Eye, Adamson, 1781 et 1782, attribués à Lanjuinais.
Réforme générale du clergé de France, tant séculier que régulier, conforme au véritable esprit de l’Evangile, ordonnée par les loix du royaume et sollicitée depuis longtemps par tout bon citoyen, Adamson, 1786.
Correspondance secrete, politique et littéraire, ou Mémoires pour servir à l’histoire des cours, des sociétés et de la littérature en France depuis la mort de Louis XV, Adamson, 1787-1790, attribuée à Imbert, Metra et autres.
Anecdotes échappées à l’Observateur anglois et aux Mémoires secrets en forme de correspondance et pour servir de suite à ces deux ouvrages Adamson, 1788.
Les Étrennes de M. de Calonne à la nation française, ou Léger détail des bienfaits qu’il a rendus à la France, Adamson, 1788.

7Sous la date de 1777 parurent les tomes I à VIII qui concernaient les années 1762-1775. Ils parurent apparemment en 1777. Mais deux questions se posent à leur sujet :

81° Dès le 18 septembre 1776 une commande de trois volumes fut passée à la Société typographique de Neuchâtel (STN) par le libraire de Caen Manoury pour 25 exemplaires des Mémoires secrets en trois volumes et 25 exemplaires de L’Espion anglois en trois volumes, tous « par l’auteur du Journal de Maupeou », ainsi que 12 exemplaires du Journal de Maupeou (BPU Neuchâtel, désormais BPUN, ms. 1178, f° 222).

9Pidansat de Mairobert était en effet l’auteur du Journal historique de la révolution opérée dans la constitution de la monarchie françoise par M. de Maupeou, chancelier de France, Londres, 1774-1776, 7 volumes et de L’espion anglois.

10Cette commande fut corrigée ou complétée par une nouvelle commande de 12 exemplaires le 5 février 1777 (BPUN, ms. 1178, f° 227). (Les libraires avaient l’habitude de commander les exemplaires par douzaine, le treizième étant gratuit).

11Nous ignorons si les premiers volumes avaient paru à l’automne 1776 avec la date de 1777 (ce qui était assez courant) ou si la publication était connue des libraires dès la fin de 1776.

122° En fait il y a deux séries parallèles des tomes I-VIII ; l’une de ces séries porte la mention « par feu M. de Bachaumont » (Bachaumont était mort en 1771).avec la graphie Adamsohn dans l’adresse. L’autre série, d’où la référence à Bachaumont est absente, a la graphie Adamson.

13Jeremy Popkin avait suggéré qu’il pouvait s’agir là de « contrefaçons probablement allemandes » (J. Popkin, ouvr cité, p. 31).

14Le nombre de pages diffère mais à notre avis ces deux séries sont toutes deux d’impression hollandaise : ce sont.des in-12 de type hollandais, avec réclames par cahier et signatures centrales jusqu’à 7, la date sur la page de titre est sans points, avec l’utilisation de petits doubles traits, l’un plus épais que l’autre. Le papier est sans filigrane visible. On remarque l’utilisation du poinçon de la fonderie Rosart qui figure dans plusieurs ouvrages imprimés en Hollande ; trois de ces ouvrages portent l’adresse de Marc Michel Rey (Traité de l’infini créé par Malebranche, 1769 ; Traité de l’élasticité de l’eau par Zimmerman, 1780 ; Mémoire sur les observations météorologiques par Van Swinden, 1780) et quatre l’adresse de Van Harrevelt à Amsterdam (La Paix rétablie par quoi et comment, 1761 ; De la Nature par J.-B. Robinet, tomes III et IV, 1766 ; Recueil d’opuscules littéraires avec un discours de Louis XIV. 1767 ; Examen de la doctrine touchant le salut des payens par Jean Auguste Eberhard, 1773).

15Cette hypothèse de l’impression hollandaise des premiers volumes est confirmée comme on le verra, par le compte rendu du Courier littéraire de l’Europe (Bruxelles) qui donne Amsterdam comme lieu de publication et par la lettre de Delamare (Rouen) qui préfère s’adresser directement aux libraires hollandais.

16En tout cas les huit volumes portant la référence à Bachaumont et la graphie « Adamsohn » ne sont pas une contrefaçon mais appartiennent à la première édition, comme le montrent les renvois indiqués dans les suppléments publiés à partir du tome XV à « l’édition originale de Londres » ou « première édition de Londres » : la pagination indiquée est en effet celle des exemplaires « Adamsohn ».

17En réalité cette série « Adamson » des tomes I à VIII fut publiée en 1781 avec la fausse date de 1777 ; on lit en effet dans l’ouvrage : « Quoique les titres des volumes suivants depuis II à XIV paraissent sous l’ancienne date sans porter 1781, on peut néanmoins être persuadé que ceci est la nouvelle édition originale augmentée ». Nous y reviendrons.

18Les comptes rendus dans la presse (étrangère) sont quasi confidentiels : le premier est celui de Linguet dans le premier numéro des Annales politiques, civiles et littéraires (Londres, Spilsbury) daté du 24 mars 1777 :

19

« Les prétendus Mémoires secrets que j’annonce ici sont bien éloignés en tous sens de cette institution. Ce sont d’étranges mémoires, d’étranges secrets et encore plus d’étranges nouvelles de la République des lettres […] Quelques valets de chambre encouragés et souvent endoctrinés par leurs maîtres […] C’est un recueil de ces légendes respectables que quelque libraire s’est avisé d’imprimer tout simplement comme elles ont été saisies dans le temps […] Il a eu soin de supprimer tous les traits qui auraient pu effaroucher quelqu’un des personnages dominants aujourd’hui ».

20Dans son numéro du 12 juillet 1777, le rédacteur du Courier littéraire de l’Europe, publié à Bruxelles par le libraire L. de Boubers, écrivit :

21

« Mémoires secrets…Par M. de Bachaumont, 8 volumes in-12, Amsterdam [sic], 1777. Cette compilation nous a paru bien faite ; elle finit au 1er janvier 1776. À l’ouverture de chaque année on fournit le résultat jour par jour de ce qui sera arrivé de remarquable dans chaque genre. Ceux qui se procureront cet ouvrage pourront se passer de presque tous les autres journaux ; il n’en paraît présentement que 8 volumes qu’on ne vend que 18 livres de France. On en donnera par la suite deux volumes par an et chacun de ces volumes sera vendu 2 livres 10 sols. »

22Le 15 août 1777, Rigaud, libraire à Montpellier, écrit à la STN : « N’auriez-vous pas dans vos cantons un ouvrage en 8 volumes in-12 intitulé Mémoires secrets ? » (BPUN, ms. 1095, f° 154).

23Le 28 août 1777 Le Breton, nouvelliste rétribué du marquis de Toustain, lui écrit :

24

« On a imprimé en 10 volumes des Mémoires secrets ou le Journal d’un observateur depuis 1762 jusqu’en 1775. C’est l’un des meilleurs bulletins manuscrits qui se font à Paris : il y règne une liberté piquante, telle que la comportent ces sortes de bulletins ou lettres familières » (Archives départementales de l’Eure, E 900, et Recueil des travaux de la Société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l’Eure, tome V, mars 1883, p. 91).

25Le 21 septembre 1777 Madame Du Deffand écrivait à Horace Walpole :

26

« Il paraît un livre qui je crois m’amusera. Il a pour titre Mémoires secrets… 1777. Si en effet il est imprimé à Londres, vous me feriez un extrême plaisir de me l’envoyer ; il est en huit volumes in-12 ; on me l’a prêté, mais c’est un livre à avoir à soi ; je ne l’ai commencé qu’hier, j’en ai lu un demi-volume, ce n’est que l’histoire des théâtres en 1762, cela est écrit jour par jour ; plus il avancera, plus il deviendra intéressant, on ne pourra point l’avoir ici qu’avec de grandes difficultés » (Horace Walpole’s correspondence, VI, New Haven, 1970, p. 478 ; Lettres de Madame Du Deffand, Paris, Mercure de France 2002, p. 828).

27Un mystérieux « État des brochures » provenant des manuscrits de la Bastille et daté du 14 octobre 1777 énumère « Les leçons de la volupté, La foutromanie, David, Doutes sur la religion, Mémoires secrets pour servir de suite à l’Observateur anglais » (Arsenal, ms. 12 448, f° 142).

28Ce sont encore des périodiques étrangers qui publient un compte rendu détaillé des deux premiers volumes des Mémoires secrets (à Londres, 1777) au début de l’année 1778. En réalité il s’agit du même texte, paru à la fois dans le Journal helvétique de la STN en février 1778 et dans la Gazette des Deux-Ponts du premier trimestre.

29En voici quelques extraits :

30

« Le lecteur est le maître d’ajouter foi à l’avertissement des éditeurs à cette collection ; nous pensons même qu’on peut se dispenser de l’attribuer à feu M. de Bachaumont qui n’y a peut-être aucune part […] Quoi qu’il en soit, ce journal est à quelques égards très curieux, il amuse toujours, il indique les véritables causes de bien des faits qui se sont passés en France et de beaucoup d’ouvrages clandestins qui s’y sont succédé depuis 1762. Mais tout le monde, il s’en faut bien, n’applaudira point à l’ingénuité des récits de l’auteur ou des auteurs dont l’impartialité paraît en quelques endroits fictive […] Il ne parle jamais de la religion qu’avec la plus profonde vénération, il la défend même avec zèle contre ses agresseurs ; il s’exprime en sujet soumis, en très bon citoyen sur l’obéissance due aux lois et aux souverains, mais il se permet la plus entière liberté sur les particuliers […] et il voue au mépris les courtisanes pour lesquelles à la honte des mœurs les Français de la première classe ont une considération […] On doit rendre cette justice aux auteurs de ce recueil qu’ils jugent sainement et que depuis longtemps le public a prononcé comme eux sur la plupart des ouvrages dont ils rendent compte » (Journal helvétique, février 1778, nouvelles littéraires de l’Europe, pp. 23-43 et Gazette des Deux-Ponts, 1er trimestre 1778, p. 23 et suivantes).

31En cette même année 1778 parurent les tomes IX et X et en 1779 les tomes XI et XII. Les commandes des libraires de province à la STN continuèrent en 1778 et 1779 :

32À Caen Manoury commande 6 exemplaires en 8 volumes le 6 mars 1778, et 12 exemplaires en 10 volumes les 5 septembre et 28 octobre 1778 (BPUN, ms. 1178, f° 239 et 241).

33À La Rochelle Ranson commande le 4 avril 1778 24 exemplaires en 8 volumes (BPUN, ms. 1204, f° 38).

34Mais la STN semble ne plus avoir l’exclusivité de la diffusion. Ainsi à Rouen Delamare, qui n’est que « marchand de livres », non reçu à la communauté, écrit le 16 mai 1779 à la STN : « J’ai pris le parti de faire venir de Hollande les Mémoires secrets. Nous avons toujours des navires hollandais qui vont d’Amsterdam à Rouen » (BPU Neuchâtel, ms. 1140, f° 357). Et à Besançon. Charmet écrit le 23 septembre 1779 : « Voyez si vous ne pourriez pas me fournir quelques uns des articles ci-après qui m’ont été offerts par un libraire de Lausanne : 6 exemplaires des 12 volumes des Mémoires secrets » (BPUN, ms. 1134, f° 165).

35D’ailleurs les commandes des libraires français à la STN semblent disparaître en 1779 et 1780.

36L’année 1779 est celle de la mort de Mairobert qui se suicida le 27 mars 1779. C’est désormais Mouffle d’Angerville qui dirige la publication. Les tomes XI et XII paraissent en 1779. Or c’est dans le tome XI que commencèrent à paraître dans les Mémoires secrets les comptes rendus des Salons qui se tenaient à Paris tous les deux ans.

37En 1780 parurent sous l’adresse de John Adamson à Londres des Lettres sur les peintures, sculptures et gravures de Mrs de l’Académie royale, 1767-1779, commencées par feu M. de Bachaumont. On y trouve, outre la lettre sur le salon de 1777 publiée en 1779 dans le tome XI, celles sur les salons de 1767, 1769, 1771, 1773, 1775 et 1779 qui paraissent également la même année dans le tome XIII des Mémoires secrets. L’ouvrage est annoncé par la Gazette d’Amsterdam du 8 février 1780 : « Lettres sur les peintures… par feu M. de Bachaumont, auteur des Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France etc., etc., etc., Londres, 1780, un florin de Hollande. Se vend actuellement à Londres chez P. Elmsly… Amsterdam, E. van Harrevelt, et chez d’autres libraires. »

38Quel est le rapport éditorial entre les Mémoires secrets et les Lettres sur les peintures ?

39Bernadette Fort a publié en 1999 toutes les Lettres (B. Fort Les Salons des Mémoires secrets, 1767-1787, Paris, 1999), c’est-à-dire qu’elle a ajouté au volume de 1780 les lettres sur les salons de 1781 (Mémoires secrets, tome XIX, 1783), 1783 (tome XXIV, 1784), 1785 (tome XXX, 1786) et 1787 (tome XXXVI, 1789). Elle suppose le volume de 1780 postérieur au tome XIII paru la même année et dit « avoir tiré parti des quelques corrections effectuées dans » le volume des Lettres de 1780.

40Mais il y a trois éditions de ce tome XIII, avec des paginations différentes.

41On s’interrogera sur le passage de la lettre sur le salon de 1771 qui avait paru dans les diverses éditions des Anecdotes sur Madame la comtesse Du Barri, attribuées comme on le sait à Pidansat de Mairobert. et dont la première édition connue est datée de 1775 sous l’adresse de Londres. Ainsi : « comme on en parlait dans des lettres sur le salon » ne peut provenir de l’édition de 1780 des Lettres ni du tome XIII des Mémoires secrets mais probablement d’une version manuscrite de la lettre sur le salon de 1771.

42Il semble difficile de conclure sur l’antériorité respective des Mémoires et des Lettres ; nous ferons remarquer qu’il existe au moins trois éditions du tome XIII des Mémoires et que les Lettres ont été très peu diffusées en France, si l’on en juge par leur rareté dans les bibliothèques.

43Quoi qu’il en soit, l’annonce de la Gazette d’Amsterdam constitue une publicité indirecte pour les Mémoires secrets : c’est le début des annonces dans les gazettes hollandaises ; la première publicité directe est celle des tomes XIII et XIV dans la Gazette de Leyde du 23 mai 1780 : « La collection des 14 volumes se vend actuellement à Londres à la Société typographique [1], … à Amsterdam et dans les autres villes de la Hollande chez les principaux libraires ».

44La concurrence que suggérait l’existence de plusieurs éditions du tome XIII de 1779 se précise avec la naissance d’une édition genevoise : on lira dans le tome XVI (1781) de l’édition hollandaise : « Il nous tombe sous la main un avertissement des libraires Divillard [=Duvillard] fils et Nouffer de Genève en date du 30 avril 1780 par lequel ils annoncent qu’ils font une nouvelle édition des Mémoires secrets en 14 volumes. Ils ont écrit aux divers libraires étrangers une espèce de lettre circulaire de juin 1780 et ajoutent que l’original fourmille de fautes très grossières. Ayant voulu corriger les fautes de l’édition originale sans avoir recours aux éditeurs […]. Nous ne pouvons avouer cette édition furtive… »

45On avait pu lire précédemment dans le tome XV (1780) de l’édition hollandaise :

46« Les tomes IX, X, XII et XIV viennent d’être réimprimés avec des augmentations, articles très curieux qui ne se trouvent point dans la contrefaction de Genève, laquelle doit donc être regardée comme non complète et de nulle valeur […] ce qui rend cette misérable contrefaçon entièrement défectueuse et tout à fait indigne de l’attention du public. »

47Le contrefacteur genevois était Jean Abraham Nouffer, originaire de Morat, qui avait racheté en décembre 1775 avec Jean-François Bassompierre fils l’imprimerie des frères de Tournes et avait monté ensuite avec Duvillard une imprimerie à deux presses.

48Le 7 août 1781 Duvillard et Nouffer envoyèrent en troc à la STN deux exemplaires des Mémoires secrets estimés 420 livres chacun (sans doute les tomes I à XIV) et le 25 août suivant deux exemplaires à 21 livres (BPUN, ms. 1036, p. 92 et 97).

49Nouffer sera inquiété en 1782 par les autorités genevoises à la demande du gouvernement français : « Il avait imprimé et introduit en France des libelles odieux contre les personnes les plus respectables et avait aussi reçu de quelques libraires de Paris d’autres libelles […] Il a offert de leur envoyer l’Histoire d’un pou françois et La vérité présentée à Louis XVI ou un titre à peu près pareil » [La vérité rendue sensible à Louis XVI] (Archives d’État de Genève, RC 283, p. 33). On trouva chez lui « un grand nombre d’exemplaires des Mémoires secrets dont l’impression fut défendue à Nouffer et Rodon par arrêt du 25 juin » (p. 42). Si l’on retrouvait cet arrêt du 25 juin (1782 ?) on découvrirait éventuellement l’existence des tomes XVII et XVIII.

50Déclaré en faillite à la fin de 1783 il quittera Genève au début de 1784 et on ne sait à qui il vendit son matériel (Silvio Corsini, La preuve par les fleurons ? Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du 18e siècle, 1999, p. 172).

51L’édition Nouffer des Mémoires secrets comprend donc 16 volumes sous l’adresse de Londres, Adamson. Dans le catalogue des livres trouvés à la Bastille que dressa le libraire Poinçot en 1790, plusieurs exemplaires des Mémoires secrets figurent parmi les livres en feuilles sous les numéros 79 à 90 dont trois exemplaires du n° 89 « contrefaçon petit caractère, 18 volumes in-12, » (Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 6495, et Robert L. Dawson, Confiscations at customs, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, 2006, p. 251). Or nous ne connaissons de l’édition genevoise que 16 volumes. Mais comme il s’agit de livres en feuilles : on ne peut exclure l’éventualité de deux volumes imprimés à Genève en 1781 ou 1782 et envoyés en feuilles à Paris. Ou encore il y a eu une erreur (mauvaise lecture ?) de Poinçot.

52Cette édition genevoise (quatorze volumes parus en 1780, deux en 1781) est en effet composée en plus petits caractères que les éditions hollandaises ; comme les pages ont 35 lignes au lieu de 31, les volumes ont moins de pages ; sur la page de titre la date est en italique avec des points, le papier est en général du papier raisin Auvergne ; les quatre ornements typographiques ont été utilisés par Nouffer dans d’autres ouvrages (Voir Corsini, ouvr. cité). Le nom de Pidansat à la date du janvier 1779 (tome XIII p. 246) est orthographié PIDANS. Enfin le tome XV ne comporte pas la diatribe contre les imprimeurs genevois.

53L’année 1781 est marquée par le séjour à la Bastille de Mouffle d’Argenville, du 2 février au 5 avril ; était-ce à cause des Mémoires secrets comme l’écrira en 1790 le journaliste des Révolutions de Paris (tome XIII, p. 160) ? Ou à cause de la Vie privée de Louis XV ou principaux événemens, particularités et anecdotes de son règne, Londres, John Peter Lyton, 1781 ? Voir la notice sur lui dans le Dictionnaire des journalistes, Oxford, 1999, tome II.

54On lit dans la Gazette de Leyde du 23 février 1781 : « Les tomes XV et XVI paraîtront vers la fin du mois de mars 1781 », et dans la Gazette d’Amsterdam du 23 mai : ». Les tomes XV et XVI par une société de gens de lettres marchant sur les traces de feu M. de Bachaumont paraissent actuellement, comme aussi une nouvelle édition de tout l’ouvrage en 16 volumes augmentée considérablement. L’une et l’autre se vendent à Londres… et à Amsterdam chez les principaux libraires ».

55Dans son communiqué du 23 février 1781 où elle annonçait la prochaine sortie des tomes XV et XVI, la Gazette de Leyde ajoutait : « À cette occasion on se croit obligé d’avertir le public que les 14 premiers volumes de cette collection intéressante viennent d’être réimprimés avec une augmentation de près de mille. »

56Un avertissement en tête de la réimpression du tome I, Adamson, 1781 précise :

57« Dans les tomes IX et X les suppléments sont incorporés et indiqués par l’astérisque. Le nombre de pages passe ainsi de 336 à 408 pages pour le tome IX, de 357 à 429 pages pour le tome X.

58Cette deuxième édition se trouve intégralement dans très peu de bibliothèques : à Orléans et à la Bibliothèque universitaire de Dijon ; le tome I (359 pages) est daté de 1781, à la Bibliothèque Mazarine il est daté de 1777.

59Quoi qu’il en soit, les suppléments sont désormais ajoutés dans chaque volume et non plus incorporés.

60En août 1781 la bibliothèque de l’Université de Göttingen enregistrait les tomes I à XVI achetés chez Virchaux à Hambourg (Bibl. Archiv A, Manual 1781, f° 116).

61Le 21 décembre 1781 Mailly, libraire à Dijon, achète à la STN 6 exemplaires des tomes XV et XVI de 1781 (BPUN, ms. 1020, p. 153).

62La Gazette d’Amsterdam du 20 août 1782 annonce la publication des tomes XVII et XVIII ; la collection des 18 volumes « se vend actuellement à Londres, Société typographique, … à Amsterdam chez E. van Harreveldt et chez d’autres libraires ».

63Il n’y a plus d’annonces dans les gazettes hollandaises au cours des années 1783, 1784 et 1785.

64En 1783 sont mentionnées les premières saisies connues :

65Le 3 février 1783 le libraire Rigaud de Montpellier se plaint à la STN de la saisie de « trois balles venant de Genève, dans une desquelles il y avait les tomes XVII et XVIII des Mémoires secrets et décide de ne plus faire confiance à son commissionnaire lyonnais Revol (BPUN, ms. 1206, f° 211).

66En mars 1783 sont saisis deux ballots d’ouvrages défendus adressés au libraire Valade, orthographié par erreur Dulade ; dans un ballot provenant de Valenciennes sans acquit à caution ; il contenait 11 exemplaires en 18 volumes et 11 exemplaires des tomes XVII et XVIII, parus en 1782 ; dans le ballot provenant de Torcy [Sans doute le faubourg actuel de Sedan] se trouvaient 12 exemplaires en 14 volumes et 20 exemplaires des tomes XVII et XVIII de 1782 (BNF, Fr. 21 935, ouvrages entrés par la Chambre, n° 413 et 426 et Fr. 21934, f° 13, n° 5 et 6).

67En août 1783 la STN envoie à Mauvelain de Troyes 12 exemplaires des trois volumes qui paraissent et un exemplaire complet en 21 volumes (BPUN, ms. 1021 p. 92).

68Le 26 octobre 1783 un paquet d’ouvrages prohibés en provenance de Valenciennes sans acquit à caution et destiné au libraire Nyon aîné est saisi ; il contenait les tomes XIX, XX XXI des Mémoires secrets, parus en 1783 (BNF, Fr. 21 935, n° 481 et Fr. 21 934, n° 195).

69En 1784 les saisies continuent :

70Le 18 février 1784 Rigaud de Montpellier commande à la STN les huit premiers volumes (BPUN, ms. 1021, p. 150).

71Le 17 mai Mauvelain de Troyes commande à la STN trois exemplaires complets (BPUN, ms. 1021, p. 168).

72Le 21 mai est saisie une balle provenant des Rousses à l’adresse de Belin et destinée à Merigot ; elle renferme un exemplaire en 12 volumes et les tomes XVII et XVIII, ce qui ne correspond pas aux volumes qui viennent de paraître (BNF, Fr. 21 935 n+ 523 et Fr. 21 934 n° 133).

73Le 25 mai suivant est également saisie une balle de Genève destinée à Merigot jeune et contenant plusieurs exemplaires des Mémoires prohibés (BNF, Fr. 21 935 n° 525 et Fr. 21 934 n° 156).

74Le 18 juin Famars (?), professeur à Copenhague, commande à la STN un exemplaire des tomes XVII et XVIII et un exemplaire des tomes XV à XVIII, le tout broché (BPUN, ms. 1021).

75Le 17 septembre Robert et Gauthier, à Bourg-en-Bresse, commandent à la STN un exemplaire en 21 volumes (BPUN, ms. 1021).

76Le 23 décembre la STN écrit à Bontoux de Nancy : « Nous n’avons point encore les tomes XXII, XXIII et XXIV des Mémoires secrets et en prenons note pour les demander à ceux qui nous ont fourni les premiers et les obtenir dès qu’ils auront paru » (BPUN, ms. 1110, p. 966).

77Ces trois volumes sont parus sans publicité dans les gazettes hollandaises et portent la date de 1783. Cette réponse est étonnante et nous aimerions en savoir davantage sur les fournisseurs de la STN et surtout sur les modifications survenues dans la diffusion des Mémoires secrets. Un nouvel éditeur apparaît en effet, toujours sous la fausse adresse d’Adamson, qui réimprime dès 1783 les tomes XIX à XXI puis à partir de 1784 les volumes précédents.

78En 1785 aucun volume ne semble avoir été publié.

79Le 9 janvier la STN expédie à Mauvelain à Troyes deux séries en 25 volumes des Mémoires secrets (BPUN, ms. 1021).

80Le rôle de la STN semble s’arrêter avec l’envoi le 14 avril 1785 à « Boisson de Lyon » d’un exemplaire broché (BPUN, ms. 1021, p. 228).

81Le 15 novembre la bibliothèque de l’Université de Göttingen enregistrait les tomes XIX à XXIV (1782-1784) achetés chez Treuttel à Strasbourg (Bibl. Archiv A, 14 a).

82En 1786 parurent les tomes XXV à XXX : la Gazette de Leyde annonça le 21 novembre 1786 les tomes XXV à XXVII.

83Aucun volume ne porte la date de 1787 : les tomes XXXI à XXXIII parurent en 1788 : la Gazette de Leyde annonça le 5 décembre 1788 les tomes XXX, XXXI et XXXII.

84Enfin les tomes XXXIV à XXXVI portent la date de 1789.

85Il nous faut revenir sur les treize derniers volumes, les tomes XXIV à XXXVI (1784-1789) : il y an effet désormais chaque année deux éditions parallèles, une édition hollandaise et une édition que nous considérons comme lyonnaise, à la fois à cause de l’orthographe et à cause des ornements typographiques.

86Ces volumes ont en effet la graphie « -ants » et « -ents » pour le pluriel des mots en -ant et en-ent : on s’en aperçoit dès la page de titre avec le mot « savants ».

87Or on lit dans le Traité de l’orthographe françoise de Restaut (édition de 1785) : : « Il y a plusieurs bons écrivains […] qui ne se sont pas laissés entraîner au torrent de cet usage et qui ont continué et continuent encore de laisser le t avec l’s au pluriel des noms. C’est ainsi que l’Académie les écrivait dans la précédente édition de son Dictionnaire, mais elle a retranché le t dans l’édition de 1762. Nous nous faisons un devoir de suivre la façon d’écrire de, cette savante compagnie ».’ Traité de l’orthographe françoise, Poitiers, Faulcon, 1785, p. LXXV)

88En revanche, Domergue écrit en 1782 dans sa Grammaire françoise simplifiée. Nouvelle édition : « L’usage a varié sur le pluriel des mots en ant et ent ; la suppression du t compte le suffrage de l’Académie. Mais depuis la dernière édition de son Dictionnaire le t a réuni des voix en sa faveur ».

89Cet ouvrage porte l’adresse de Durand neveu « et à Lyon chez J.-S. Grabit ».

90Joseph-Sulpice Grabit avait commencé sa carrière de libraire à Grenoble où il avait publié en 1771 le Traité de mathématiques de Benjamin Robins ; on y trouve l’orthographe -ts. La même année il est à Lyon où il publie Le Nouveau Newkastle ou Nouveau traité de cavalerie de Bourgelat, imprimé par Buisson.

91Même orthographe dans Le Nouveau Newcastle ainsi que dans d’autres ouvrages de Grabit.

92On trouve encore ce même usage orthographique dans des ouvrages publiés par Faucheux, imprimeur-libraire à Lyon, par les frères Périsse : et par la veuve Reguillat.

93Tous les imprimeurs lyonnais n’ont pas adopté cette orthographe mais presque tous ceux qui l’ont adoptée sont lyonnais.

94D’autre part les ornements typographiques utilisés dans cette édition se retrouvent dans des ouvrages parus sous adresse lyonnaise :

95

Traité des affections vaporeuses des deux sexes par Pomme. Lyon, B. Buplain, 1769 (Louis Buisson impr.)
Les chefs d’œuvre de M. de Sauvages. Lausanne et se vend à Lyon chez Reguilliat, 1770.
Traité des maladies vénériennes par Pressavin. À Genève et se trouve à Lyon chez Grabit, 1775.
L’Art du poète et de l’orateur. Lyon, frères Périsse, 1783 ;
Méthode abrégée et facile pour apprendre la géographie. Lyon, Grabit, 1789

96On se reportera enfin à notre article sur les impressions lyonnaises clandestines et aux figures 32, 33, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48 pour comparaison avec d’autres impressions clandestines. (Françoise Weil « Impressions lyonnaises clandestines de la seconde moitié du 18e siècle » dans Le livre et l’estampe, 2004, n° 162).

97Au total 13 ornements dont certains utilisés alternativement dans différents exemplaires d’un même tome ayant la même date, et le même nombre de pages, ce qui laisserait supposer plusieurs tirages. Cette multiplicité des tirages est confirmée par la correction de quelques coquilles dans certains exemplaires. Ce qui prouve le succès de l’édition « lyonnaise ».

98Les deux éditions du tome XXXVI sont datées de 1789.

99En cette même année 1789 le Cabinet politique et littéraire de Falcon à Grenoble propose sous le n° 1096 les Mémoires secrets de la république des lettres depuis 1762 jusqu’à 1786 [sic] en 33 volumes.

100Nous trouvons ensuite les Mémoires secrets signalés dans le Catalogue des livres…provenant de la Bastille, mis en ordre par Poinçot, 14 juin-15 septembre 1790 que nous avons évoqué précédemment.

101En décembre 1790 il est procédé à Paris à l’inventaire après décès du libraire Louis-Laurent Le Jay, libraire depuis 1785. On trouve chez lui entre autres le Systeme de la nature, Les Liaisons dangereuses ainsi que huit exemplaires des Mémoires secrets de Bachaumont, en 33 volumes, estimés 80 livres (Minutier central, XXXI/258).

102Nous avons trouvé encore les Mémoires secrets dans des ventes du 24 février 1791, du 19 décembre 1791 (feu M. de La Bellangeais), 9 janvier 1792 (feu M. Mirabeau l’aîné, c’est-à-dire Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, mort le 2 avril 1791).

103Citons encore le Catalogue des livres rares et précieux de feu le citoyen Anisson-Dupéron chez G. de Bure aîné, avec sous le n° 1145 Mémoires secrets… par M. de Bachaumont Londres, 1777, 33 volumes brochés, 600 livres. Anisson-Dupéron, directeur de l’Imprimerie royale, était mort sur l’échafaud au printemps 1794.

104Cette présence des Mémoires secrets dans les catalogues de vente à partir de 1790 s’oppose à leur absence dans les ventes antérieures.

105Enfin une vente fut organisée entre les libraires en septembre 1792 à La Haye par le libraire Pierre-Frédéric Gosse ; le catalogue imprimé est conservé à la bibliothèque de l’Arsenal (8° H 26119 n° 3) : Catalogue d’un assortiment choisi et considérable de livres en feuilles dont la plus grande partie ont composé le fonds du commerce de livres français établi ci-devant à Londres sous la raison de la Société typographique.

106On trouve dans ce catalogue parmi les livres en feuilles la Lettre sur les peintures et les Anecdotes de la comtesse de Barri. Les Mémoires secrets n’apparaissent pas dans les livres en feuilles mais dans les Varia, avec quelques exemplaires des tomes XIII, XIV, XXV, XXVI, XXXI à XXXVI.

107On se demandera si c’est la Révolution qui mit fin à la publication : elle est annoncée en tout cas dans les Révolutions de Paris, tome XIII, 1790, p. 158.

108Mais l’existence d’un volume annoté pose problème : On s’interrogera sur les corrections et additions manuscrites du tome XIII (édition hollandaise) d’une des collections de la Bibliothèque historique : 21 corrections sur le premier trimestre 1779 et 96 sur les Lettres sur les six Salons.

109Plus importantes que les corrections sont les trois additions au premier trimestre 1779 :

110

« 16 février 1779, p. 308 après « opéra-comique » : « Ce jour la première représentation de ce dernier un auteur étant venu annoncer la seconde représentation de la manière suivante « Messieurs nous aurons l’honneur de vous donner demain Le Cri du cœur, opéra-comique, à l’occasion de l’heureuse naissance, une voix s’est écriée L’AUTEUR, et tout le monde de battre des mains. Comme l’usage n’est point de demander l’auteur à ces spectacles forains, et que, sur les bruits calomnieux qui ont couru, la question était équivoque, on a arrêté celui qui a demandé l’auteur, et il a été mis à la Bastille. On trouve très maladroit de la part de la police d’avoir fait cet éclat qui fournit à mille réflexions malignes. »
« 12 mars 1779 p. 330 après « justice » : « Suit une note où Mad. De Cabris dit […] Le tout est terminé par une consultation de plusieurs autres jurisconsultes en date du 3 janvier qui lui indiquent la marche de la procédure à tenir […] Comme elles sont fondées sur l’iniquité seule du jugement on espère qu’elles seront renvoyées à un autre tribunal. »
« Le 13 mars 1779 Melle d’Éon a écrit à Mme de Carcado qu’elle appelle sa cousine. »

111Doit-on voir là l’ébauche d’une nouvelle édition ?

112S’agit-il de corrections faites par l’auteur du texte original ? Dans ce cas il est impossible qu’il s’agisse de Pidansat de Mairobert. Ou faut-il voir dans les Mémoires secrets un texte qui appartient en quelque sorte à tout le monde, un peu comme les manuscrits philosophiques clandestins. Ce ne sont pas les seuls exemplaires annotés mais ce sont les corrections les plus nombreuses à notre connaissance.

113Rappelons que les suppléments ont été publiés du tome XVI (1781) au tome XXXIII (1788) et concernent les années 1762-1775 ; il n’y a pas de supplément pour les années 1776-1779. La fin de la publication n’avait pas été programmée.

114À la fin de ce parcours sinueux dont nous ne possédons pas toutes les clefs, nous nous demanderons avec Jeremy Popkin « si les Mémoires secrets furent une publication sinon autorisée, du moins tolérée officieusement » (ouvr. cité, p. 43).

115Nous ne supposons pas comme lui que les annonces des gazettes hollandaises aient pu être supprimées des exemplaires destinés à la France. Bien au contraire la disparition de ces annonces que nous avons constatée pour les années 1783, 1784 et 1785 pourrait suggérer une pression des autorités françaises.

116Or cette période coïncide avec l’arrêt de Genève du 25 juin 1782 contre Nouffer sous la pression du gouvernement français et les saisies à Lyon en février 1783, puis à Paris en mars 1783, puis en octobre 1783 et en mars 1784. Tout se passe comme s’il y avait eu des hauts et des bas dans la tolérance.

117Certes aucune demande de permission tacite ne figure sur les registres de la Chambre syndicale de Paris. Mais il ne semble pas y avoir eu non plus d’interdiction formelle. Or, comme il est dit dans un texte de 1767, « tout livre, tant que la loi n’a rien dit, est tolérable et toléré dans l’ordre politique » (Second mémoire pour Pierre-Étienne Fantet, Bibliothèque municipale de Besançon, 226800, p. 13).

118Les mesures prises contre Nouffer et les saisies de ballots venant de Hollande ou de Suisse sont-elles des mesures de censure ou des mesures protectionnistes ? C’est bien de contrefaçon qu’est qualifiée l’édition genevoise. On pourrait s’étonner de voir les mystérieux éditeurs se plaindre d’une contrefaçon alors qu’ils ne possédaient aucun privilège, ni français ni hollandais. Le texte du tome XV de l’édition hollandaise de 1780 ajoute : « C’est un mal si enraciné surtout depuis qu’il vient d’être encouragé publiquement en France par les règlements de la Librairie ». Il s’agit évidemment des arrêts du Conseil d’État du Roi du 30 août 1777. L’article premier de l’arrêt concernant les contrefaçons précisait : « Défend Sa Majesté à tous Imprimeurs-Libraires du royaume de contrefaire les livres pour lesquels il a été accordé des privilèges » Ces arrêts avaient fait l’objet de débats et contestations, aussi bien des parlements que des libraires, et n’entrèrent réellement en vigueur que vers 1780.

119La référence aux arrêts de 1777 sous-entend l’existence d’un privilège français.

120Nous écrivions à propos des permissions tacites : « Comme le privilège proprement dit, la permission tacite suppose certes l’accord du Pouvoir mais est aussi pour les libraires un titre de propriété qui permet de réimprimer des ouvrages épuisés ou sur le point de l’être. » (Françoise Weil « Les livres de permission tacite en France au 18e siècle » dans Gutenberg Jahrbuch 1986, Mainz, Gutenberg-Gesellschaft). Mais il n’y a pas eu de véritable permission tacite inscrite sur un registre, tout au plus un accord verbal.

121Or nous ignorons le nom des véritables entrepreneurs de la première édition imprimée en Hollande. Nous connaissons seulement les diffuseurs comme la STN qui fournit les libraires de province ou Virchaux à Hambourg et Treuttel à Strasbourg auxquels s’adresse l’Université de Göttingen, et aussi quelques libraires parisiens dont les ballots sont saisis.

122Cette affaire de la contrefaçon genevoise dérangea l’organisation et une nouvelle organisation intervint qui profita aux Lyonnais. Les Lyonnais prirent certainement leurs précautions et ne semblent pas voir été inquiétés, leur édition ne souleva pas de protestations et les libraires français devinrent leurs clients.

123C’est tout ce que nous pouvons dire à ce jour avec le maximum de probabilités, en espérant qu’un jour surgiront des nouveaux documents.


Date de mise en ligne : 17/09/2008

https://doi.org/10.3917/dhs.040.0485

Notes

  • [1]
    La Société typographique de Londres a été étudiée par David Smith dans son article « The publishers of Helvétius’s De l’Homme : The Société typographique de Londres (Australian Journal of French studies, vol. XXX, 1993, p. 311 et suiv.). Cette société avait été constituée en 1771 par les libraires Gosse de La Haye et Boissière de Londres. Elle avait son siège St James Street et était spécialisée dans la vente des livres français.

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