Notes
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[1]
M.-G. Adamo, « Introduction », Abbé Gabriel Girard, La Justesse de la langue françoise, ou les Différentes significations des mots qui passent pour synonymes, Milan-Paris, Schena-Didier Érudition, 1999, p. 15.
-
[2]
« On ne disposait de rien de semblable pour aucune langue » : S. Auroux (1984), « D'Alembert et les synonymistes », Dix-huitième siècle, 16, p. 94 ; cité par M. Leca-Tsiomis, Écrire l'Encyclopédie. Diderot : de l'usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, p. 267.
-
[3]
M. Leca-Tsiomis, op. cit., p. 267.
-
[4]
Nous adoptons ci-après une translittération courante adaptée au système graphique français, certes insuffisamment rigoureuse, mais permettant cependant au lecteur francophone non slaviste de restituer approximativement la prononciation des mots russes.
-
[5]
P. N. Berkov, « Des relations littéraires franco-russes entre 1720 et 1730 : Trediakovskij et l'abbé Girard », Revue des études slaves, 35, 1958, p. 7-14.
-
[6]
M. Mervaud, « Introduction », in Jacques Jubé, La Religion, les mœurs et les usages des Moscovites, Oxford, Voltaire Foundation, 1992, p. 1-78.
-
[7]
Frédéric Deloffre, Une Préciosité nouvelle, Marivaux et le marivaudage, 2e éd., Paris, A. Colin, 1962.
-
[8]
P. N. Berkov, art. cit., p. 12.
-
[9]
Pierre Swiggers, « Introduction » à Abbé Gabriel Girard, Les vrais principes de la langue françoise, Droz, 1982, p. 16, n. 10.
-
[10]
Vassili Trediakovski (1849 ; 1re éd. : 1745), Sotchiniéniïa [[Œuvres],t. 3, Moscou, izd. Smirdina, p. 592.
-
[11]
P.N. Berkov, art. cit., p. 8.
-
[12]
Trediakovski écrit à dessein (contrairement à ce que note P. Berkov) neskhotstvennom, en notant le dévoisement du /d/ devant sourde.
-
[13]
P. N. Berkov, art. cit., p. 14.
-
[14]
P. Tallemant, Le Voyage de l'Isle d'amour, à Licidas, Paris, L. Billaine, 1663, IV-54-II p., in-12 ; 7e éd. : L'Isle d'Amour, ou la Clef des cœurs, La Haye, H. van Balderen, 1713, in-12.
-
[15]
Philippe Caron, « Postface », Les Remarqueurs sur la langue française, du 16e siècle à nos jours, Rennes, La Licorne/Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 395-400.
-
[16]
M. Lomonosov, « O nynéchném sostoïanii slovesnykh naouk v Rossii » [De l'état présent des sciences littéraires en Russie], Polnoié sobranié sotchinéniï [Œuvres complètes], t. 7, Moscou-Leningrad, 1952, p. 581.
-
[17]
V. K. Trediakovski, « Slovo o vitiïstve » [Discours sur l'éloquence], Sotchineniïa [Œuvres], t. 3, op. cit., p. 579-580.
-
[18]
Voir l'article de S. Viellard, dans le présent volume.
-
[19]
G. Girard, L'Ortografe française sans équivoques et dans sés principes naturels : ou l'art d'écrire notre langue selon lés loix de la raison et de l'usage, d'une maniere aisée pour lés dames, comode pour lés étrangérs, instructive pour lés provinciaux et nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion, Paris, chez Pierre Giffart, Libraire, Graveur du Roi..., 1716, p. 47-8.
-
[20]
V. K. Trediakovski, « Dialogue sur l'orthographe » [Razgovor o pravopisanii], in Sotchineniïa [Œuvres], t. 3, op. cit., p. 191.
-
[21]
V. K. Trediakovski, Sotchineniïa [Œuvres], op. cit., p. 649-50.
-
[22]
G. Girard, Les Vrais principes de la langue françoise : ou la parole réduite en méthode conformément aux lois de l'usage, Amsterdam-Paris, 1747, p. 23-25.
-
[23]
Bernard Lamy, La Rhétorique ou l'art de parler, Amsterdam, 1699, p. 19.
-
[24]
V. K. Trediakovski, « Discours sur l'éloquence », op. cit., p. 582-3.
-
[25]
I. Z. Serman, Literatournoié délo Karamzina [L'œuvre littéraire de Karamzine], Moskva, RGGU, 2005, p. 57-9.
-
[26]
M. Lomonosov, « Predislovie o polzé knig tserkovnykh v rossiïskom iazyké » [Préface sur l'utilité des livres d'Église dans la langue russe], Sotchinéniïa, Moscou-Leningrad, 1961, p. 272.
-
[27]
Denis Fonvizine, Lettres de France (1777-1778), traduites du russe par Henri Grosse, Jacques Proust et Piotr Zaborov. Préface de Wladimir Berelowitch, Paris, CNRS Éditions - Oxford, Voltaire Foundation, 1995, X-211 p., (coll. « Archives de l'Est »).
-
[28]
R. Gorbounova, L'Étude des synonymes en Russie, Lyon, Centre d'études slaves André Lirondelle, Université Jean-Moulin, 2000, p. 167-8.
-
[29]
D. S. Fonvizine, « Remarque sur la critique publiée aux pages 113 et 114 de la 2e partie de l'Interlocuteur, au sujet de l'Essai de dictionnaire des synonymes russes », in Première édition des œuvres complètes [Pervoe polnoe sobranie sotchinéniï D. I. Fonvizina, kak original'nykh, tak i perevodnykh, 1761-1792], Saint-Pétersbourg, 1888, p. 810.
-
[30]
Kalaïdovitch, P. F. (1818), Opyt slovaria rousskikh sinonimov (tchast 1), Moskva.
-
[31]
« Critique de l'Essai de Kalaïdovitch » (1818), Syn Otétchéstva [Le Fils de la Patrie], p. 324-325 ; cité par R. Gorbounova, op. cit., p. 228.
-
[32]
A. S. Chichkov, « Vystuplénié [Allocution] », in Izvestiïa Rossiïskoï Akademii, I, p. 1 ; cité par A. Martel (1933), Michel Lomonosov et la langue littéraire russe, Paris, Institut d'études slaves, 1815, p. 113.
-
[33]
F. Berlan, « Synonymistes et écrivains au 18e siècle : de la clarté oppositive au lyrisme accumulatif », L'Information grammaticale, 82, 1999, p. 51-2.
-
[34]
G.A. Goukovski, Esquisses d'histoire de la littérature russe du XVIIIe siècle : la Fronde nobiliaire dans la littérature des années 1750-1760 [Otcherki po istorii rousskoï literatoury XVIII veka : Dvorianskaïa fronda v litératouré 1750-1760 godov], Moscou-Leningrad, 1936, p. 116 ; cité par I. Serman, op. cit., p. 57.
-
[35]
I. S. Rijski, Opyt ritoriki ; [Essai de rhétorique], Saint-Pétersbourg, 1796, p. 13.
-
[36]
A. S. Chichkov (1806), « O soslovakh » [Des synonymes], Sobranie sotchinéniï [Œuvres], partie 4, Saint-Pétersbourg, 1825, p. 248.
-
[37]
Voir Ilya Serman, Literatournoïé delo Karamzina, op. cit. ; J. Breuillard (2003), « Nikolaj Karamzin et la pensée linguistique de son temps », Le Sentimentalisme russe, Revue des études slaves, t. LXXIV (2002-2003), fasc. 4, p. 759-776.
-
[38]
F. Berlan, « Synonymistes et écrivains au 18e siècle : de la clarté oppositive au lyrisme accumulatif », art. cit., p. 51-61.
Et bientôt les Allemands et les Anglais
eurent aussi leurs dictionnaires de Synonymes.
1Quoique l'intérêt pour les synonymes remonte à l'Antiquité, c'est l'abbé Gabriel Girard [1677-1748] qui, avec la Justesse de la langue françoise (1718), posa les bases modernes de leur étude. Certes, comme le rappelle Maria-Gabriella Adamo [1], la thèse de Girard selon laquelle il n'est pas de synonymes parfaits n'était pas vraiment nouvelle : elle est formulée, comme on sait, chez les Anciens par Cicéron et Quintilien ; au 17e siècle par Ménage, par Bouhours, par La Bruyère, par Fénelon et dans la préface du premier Dictionnaire de l'Académie française (1694) ; et au 18e siècle, juste avant Girard, par l'abbé de Pons. Il demeure que c'est bien avec Girard que cette thèse reçoit une audience sans précédent et acquiert le statut de position méthodologique. L'ouvrage était, comme l'observe Sylvain Auroux, sans équivalent en Europe [2]. Et ce fut le mérite des Encyclopédistes, note Marie Leca-Tsiomis, d'avoir perçu sa « fondamentale nouveauté » [3].
2La théorie que Girard met en œuvre dépasse, en outre, le cadre des seuls synonymes. Les Synonymes français ne sont pas « seulement » un dictionnaire. Le titre de la première édition l'affirmait avec orgueil : il s'agit de la « justesse de la langue », de cette justesse qui « convient par tout », qui « plaît toujours » et qui « plaît seule », alors que « rien ne plaît sans elle ». La pensée girardienne sur les synonymes n'est pas isolable d'une conception générale du langage et c'est avec acuité que d'Alembert, dans son Éloge, dit de Girard qu'il est « un Grammairien Philosophe, et non un simple Grammairien de faits et de routine. » C'est la position que nous adopterons ici, en examinant l'ensemble de l'influence de Girard en Russie.
3Tout commence par un fait de biographie. En 1728, dix ans après la publication de la Justesse de la langue françoise, Girard fait la connaissance d'un jeune Russe, Vassili [4] Trediakovski [1703-1768]. Il faut s'arrêter sur la personnalité de cet homme qui fut le vecteur de la pensée de Girard en Russie. Quel avait été son parcours avant de rencontrer Girard ? Que fit-il ensuite de ce que lui avait transmis son maître français ?
4Trediakovski est né aux confins de l'Empire russe, à Astrakhan. Un trait singulier attire l'attention : c'est au collège des capucins italiens installés dans sa ville que ce fils de prêtre orthodoxe reçoit sa première formation (1712-1722). En 1723, profitant du passage dans sa ville du convoi du prince Demetrius Kantemir, le jeune homme gagne Moscou et entre à l'Académie ecclésiastique slavo-gréco-latine, seul établissement d'enseignement supérieur existant alors en Russie, créé sur le modèle de l'académie de Kiev réformée par Petr Mohyla et où se formeront plusieurs brillants esprits (Mikhaïl Lomonosov, Antiochus Kantemir, etc.). En 1725, sans attendre la fin de sa scolarité et à l'insu de ses supérieurs, l'étudiant disparaît. On le retrouve au début de 1726 à La Haye, au service du ministre de Russie, le comte Ivan Golovkine. En novembre 1727, il gagne Paris, où il loge, au moins au début de son séjour, chez le prince A.B. Kourakine. Dans son article de 1958, publié en français [5], P. N. Berkov, qui rassemble l'essentiel de ce que l'on sait de ce séjour, rapporte que le jeune homme étudia au collège Mazarin et fréquenta la Sorbonne (faculté de théologie). Il suivit probablement au Collège Royal les cours de Charles Rollin (1661-1741), dont il dira combien il l'admirait. Il traduira plus tard intégralement les nombreux volumes de l'Histoire ancienne et ceux de l'Histoire romaine continuée par Jean-Baptiste Crevier (1693-1765). Le futur « professeur d'éloquence russe et latine » de l'Académie impériale des sciences, soucieux de clarté et d'élégance, apprit certainement beaucoup auprès de Rollin, lui-même professeur d'éloquence latine, Rollin dont Voltaire dit à l'article « langues » du Dictionnaire philosophique : « avant lui on ne savait ni écrire ni penser en français ; il a rendu un service éternel à la jeunesse ».
5Trediakovski vit à Paris de la fin de 1727 à l'automne 1729. Comme l'ont montré Boris Ouspenski et A. Chichkine, il est proche du janséniste Boursier, et aussi du père Jacques Jubé de la Cour (1674-1745), précepteur des enfants de la princesse Irina Dolgoroukaïa, qui s'était convertie au catholicisme et préparait son retour en Russie [6]. Les liens avec les catholiques, noués chez les capucins d'Astrakhan, toujours illustrés vingt ans plus tard (1757) par sa traduction de l'Argenis de John Barclay, sont confirmés par ses relations avec les jansénistes de la Sorbonne. Simultanément, il découvre et goûte à Paris cette « nouvelle préciosité » qui s'épanouit sous la Régence [7].
6Là se situe sa rencontre avec Girard. P. Berkov suppose [8] que c'est grâce à son compatriote Tarassi Postnikov, lui aussi étudiant à Paris, que le jeune Vassili a pu être présenté au « chapelain de feu la duchesse de Berri », et surtout « Secrétaire-interprète du Roy pour les langues esclavonne et russe ». C'est au même moment que Girard, entré à la « Bibliothèque du Roy » en 1725 en qualité de « second Interprète des langues Esclavonne, Russe et Polonaise », devient, après la mort de Jean Sohier, et jusqu'à sa mort (1747) l'unique interprète pour les trois langues slaves [9]. Celui-ci n'était sans doute pas le seul grammairien qu'ait approché le jeune Russe ; il était à coup sûr le seul qui sût le russe et sans doute aussi le seul qui fût aussi populaire dans le petit cercle des étudiants russes de Paris. Quinze ans plus tard, Trediakovski déclarera devant les académiciens russes : « le très avisé abbé Girard [...] était, pour moi comme pour tous les nôtres qui résidaient là alors, le plus bienveillant des amis » [10].
7Trediakovski, comme l'a signalé Berkov [11], se réfère explicitement à Girard dans ce qui est sans doute son texte théorique le plus riche, le plus complexe et le plus mal connu : son Discours sur la riche, diverse, habile et dissemblable éloquence, leçon inaugurale prononcée le 12 août 1745, à l'occasion de son élection à la première chaire d'éloquence russe et latine de l'Académie impériale des sciences, leçon publiée simultanément en latin [Oratio de divite, varia, solerte ac dissimili eloquentia] et en russe [Slovo o bogatom, razlitchnom, iskousnom i neskhotstvennom [12] vitiïstvé]. Cette publication bilingue affirmait fièrement l'égale dignité des langues russe et latine. La date du Discours sur l'éloquence n'est pas moins importante : quinze années le séparent du commerce direct de son auteur avec Girard. Longtemps après son retour de France, Trediakovski voyait donc toujours en Girard sa référence et sa caution. Cette fidélité engage à apercevoir l'ombre du grammairien français dans l'œuvre entière de Trediakovski. Cette perspective n'a pas, à notre connaissance, été suffisamment exploitée. Elle avait pourtant été suggérée dès 1958 par P. Berkov, qui se demandait s'il ne serait pas « rationnel de confronter dans le détail les théories philologiques de Trediakovskij avec celles de Girard qui était considéré comme l'un des plus éminents grammairiens français de son temps [13] ». On se limitera à une première exploration.
8Dans le « legs français » que rapporte Trediakovski dans son pays, il faut distinguer d'une part le cadre général de la culture française dont Girard est l'un des acteurs parmi beaucoup ; et d'autre part les éléments spécifiquement hérités de Girard. Examinons successivement comment ces deux ensembles se traduisent dans l'œuvre de Trediakovski.
9Quand il arrive à Paris en 1727, le fils du prêtre d'Astrakhan est conquis par la culture française. Il forme tôt le projet d'importer dans son pays la conception occidentale des belles-lettres et, dans le domaine plus précisément de la langue, la notion de travail institutionnel sur la langue.
10Au début du 18e siècle, le lecteur russe avait le choix entre une littérature « sérieuse », édificatrice, religieuse voire parénétique, ou encore scientifique, et une littérature peu abondante de divertissement, mais « populaire » ou « triviale » (facéties adaptées du polonais, fabliaux, anecdotes, romans populaires). Trediakovski conçut le dessein d'offrir à ses compatriotes des œuvres de fiction et de divertissement qui ne fussent pas pour autant triviales. De retour en Russie en 1730, il mit à profit un séjour à Hambourg pour traduire la septième édition (1713) du Voyage de l'isle d'amour, à Licidas [14], court roman précieux publié quarante ans plus tôt par l'abbé Paul Tallemant (1642-1712), représentant de cette génération d'académiciens fidèles à l'œuvre de Claude Favre de Vaugelas, et à laquelle Philippe Caron donne le nom de « remarqueurs » [15]. Dans sa préface, Trediakovski attribue le choix de cette œuvre à un hasard heureux. Tout laisse penser que le choix fut mûrement réfléchi, à la fois pour son sujet (la peinture de l'amour) et pour sa forme : l'alternance de passages en prose et en poésie réalisait une concurrence intéressante entre les deux modes d'expression et revendiquait pour la prose le prestige de la poésie. L'œuvre valut à Trediakovski un succès de scandale. Certes, les romans précieux français circulaient en Russie avant 1730 ; mais ils se lisaient, justement, en français. Pour la première fois, la Russie voyait publier un ouvrage en langue russe, dont l'unique propos était la peinture délicate de l'amour. Ce livre apparaissait dans une Russie qui n'avait pas encore d'université au sens moderne du mot, une Russie dans laquelle l'académie ecclésiastique enseignait le géocentrisme de Ptolémée, jouait le rôle de la Sorbonne (censure des livres) sinon celui de l'Inquisition. Dans les années 1750, l'héliocentrisme continuait d'être la doctrine officielle. Certes, face aux accusations d'athéisme et d'immoralité portées par les autorités ecclésiastiques, Trediakovski vint vite à résipiscence, mais il avait atteint son but : cette traduction avait permis d'affirmer l'existence d'un domaine autonome, qui s'appelait les « belles-lettres », et qui était également éloigné du discours édifiant et de la prose triviale. Il n'est pas exclu, sans qu'on puisse dépasser la conjecture, que le chapelain de feu la duchesse de Berry ait contribué personnellement au choix de ce roman. Il est intéressant, en tout cas, d'observer que, plus tard, certains exemples cités dans les Vrais principes susciteront en France des protestations vertueuses qui évoquent les critiques dont Trediakovski avait été l'objet.
11Le deuxième emprunt évident à la culture française est l'importance attachée aux institutions chargées de défendre et de perfectionner la langue. Trediakovski partage avec ses compatriotes la conviction que la suprématie du français en Europe est le fruit des institutions, au premier rang desquelles l'Académie française. Cette idée était communément admise. Son grand rival, Mikhaïl Lomonosov, quoique nourri de culture allemande, étranger à toute francomanie mais admirateur de Boileau, écrit en 1756, soit dès le rétablissement des relations diplomatiques avec la France :
[...] représentons-nous la seule France dont, en toute justice, on peut se demander si c'est sa puissance qui a forcé le respect des autres États, ou bien plutôt ses sciences, en particulier ses sciences littéraires, après qu'elle eut purifié et orné sa langue grâce au zèle de ses talentueux écrivains [16].
12Trediakovski dit des Français :
Ceux-ci ont si heureusement perfectionné leur langue maternelle en l'utilisant pour les choses divines et profanes, pour tout ce qui se rapporte aux sciences, pour l'histoire, l'éloquence, la poésie, la critique, en un mot pour toutes choses, aussi bien belles et utiles que divertissantes, que non seulement ils en ont fait la plus agréable, la plus suave, la plus courtoise et la plus abondante de toutes les autres langues d'Europe, mais qu'ils l'ont rendue indispensable dans presque toute l'Europe aux cours, aux tribunaux, aux ministres, aux ambassadeurs, aux stratèges, aux soldats, aux citoyens, aux savants, aux marchands et même aux peintres, si bien qu'il y a peu d'espoir qu'un jour une autre langue soit autant honorée et autant répandue [17].
13Trediakovskij rêvait d'importer en Russie le modèle institutionnel français. L'Académie des sciences, fondée par Pierre Ier peu de temps avant sa mort (1725), n'avait pas fait de la culture de la langue l'un de ses objectifs. Un coup d'œil sur sa composition suffit à expliquer pourquoi : parmi les savants germanophones qui la peuplaient, un bon nombre ne savait pas le russe. Cinq années après son retour, Trediakovski, grâce à d'évidentes protections, obtient la création de l'Assemblée russe, dont il devient le secrétaire. La date de sa fondation (1735) marque le centenaire de son aînée française. Par cette institution, Trediakovski permettait à la Russie d'affirmer que la langue est un bien qui se cultive et mérite tous les soins de la nation. Trediakovski a posé les bases de ce que les russes appelleront plus tard la « culture de la parole [koultoura rétchi] », et qui repose sur l'idée que le perfectionnement d'une grande langue de culture nécessite les soins constants de spécialistes. Le discours inaugural que prononce Trediakovski sur La pureté de la langue russe multiplie les métaphores qui exaltent l'effort nécessaire pour hisser le russe à la dignité de ses rivales occidentales. Les statuts de l'Assemblée russe étaient calqués sur ceux de l'Académie française et se fixaient quatre objectifs : composer une rhétorique et une poétique, écrire une grammaire, élaborer un dictionnaire. Cette institution sera dissoute en 1747, mais renaîtra en 1783, avec l'Académie impériale russe fondée par Catherine II sur la suggestion de la princesse Ekaterina Dachkova [18].
14Le deuxième ensemble que rapporte Trediakovski de Paris est plus proprement lié à la pensée linguistique de Girard lui-même. On aperçoit la marque de Girard dans au moins cinq domaines : la réforme de l'orthographe ; le combat pour l'emploi de la langue vernaculaire ; l'importance des traductions et de l'étude des langues étrangères ; enfin, ce qui forme le cœur de l'héritage girardien : la conception de la richesse de la langue et l'étude des synonymes.
15La réflexion sur l'orthographe est rassemblée dans le plus volumineux ouvrage linguistique qu'ait écrit Trediakovski : le Dialogue entre un étranger et un Russe sur l'orthographe ancienne et moderne, et sur tout ce qui se rapporte à cette matière (Saint-Pétersbourg, 1748). L'ouvrage se compose de trois parties : présentation de l'ancienne orthographe ; la critique de celle-ci au nom d'une série de principes ; proposition d'une orthographe modernisée. Ce faisant, Trediakovski propose de parachever les deux réformes de l'alphabet qu'avait imposées Pierre Ier quelque trente ans plus tôt. Celui-ci avait doublé l'alphabet slavon, réservé désormais aux textes ecclésiastiques, d'un alphabet « civil », dont l'usage s'imposait pour tout ce qui était extérieur à la sphère religieuse. Certes, Trediakovski se place sous l'autorité d'Érasme et de son traité de prononciation du latin et du grec. L'influence de Bernard Lamy (La Rhétorique ou l'Art de parler, 1675 ; 2e éd. 1688) est, elle aussi, manifeste. Il demeure que l'ouvrage de Trediakovski doit être lu sur le fond du premier traité de Girard, L'ortografe française sans équivoques et dans sés principes naturels (1716), que Trediakovski, qui fréquentait assidûment Girard à Paris, a certainement médité. On y retrouve le propos général de simplification et d'élimination de la redondance. Au nom du « rasoir d'Occam » (référence expresse à la règle Entia non sunt multiplicanda sine necessitate), Trediakovski ne retient que 30 des 45 lettres de l'alphabet russe. Cette élimination de la redondance, dictée par la recherche de l'univocité du signe, est conforme au principe central de Girard en matière de synonymie. L'autre aspect essentiel de ses propositions est l'adoption d'un principe modérément « phonétique ». Là encore, Trediakovski rejoint l'esprit même du traité de Girard.
16Trediakovski retrouve aussi le grammairien français dans son souci de « démocratisation », qui vise à favoriser l'accès de la lecture et de l'écriture au plus grand nombre, et d'abord aux femmes. Comme on sait, dans leur lutte contre le latin, les grammairiens modernes avaient passé alliance avec les dames. L'orthographe des dames ou pour les dames est une orientation stratégique centrale, qui plonge ses racines dans la préciosité :
17Quand il s'agit de la Langue Françoise, les Dames ont leur voix, surtout celles de la Cour : leur autorité en cette matière n'est pas au-dessous de celle des Savans : et lés prétendues fautes d'Ortografe, qu'on reproche sans cesse aux fammes, pourroient bien être dés preuves que ce qu'on nomme Siance ne l'est point [...] [19].
18Trediakovski rencontre ici une nouvelle fois Girard. Son Dialogue aborde l'orthographe des dames et en tire argument en faveur du principe phonétique qu'il partage avec Girard :
19À vrai dire, si quelques-unes de nos dames devenaient auteurs (comme la France s'enorgueillit de Mme de Scudéry, de Mme Dacier, de Mme de la Suze et d'autres ; la Hollande de Marie de Schurmann ; la Grèce antique de Sapho), alors s'introduirait bien vite chez nous l'orthographe la plus pure, et l'orthographe fautive serait éliminée : car j'ai observé en lisant des lettres écrites par des dames, qu'elles observent davantage les sons [zvony] dans la composition de leurs mots [20].
20Ce souci d'accessibilité apparaît jusque dans la forme du dialogue familier entre les deux interlocuteurs, qui évoque le traité de Girard, présenté comme « une lettre écrite à un ami », forme permettant, comme le dit précisément Girard dans son « Avertissement », de « dire librement ce qu'on pense. » Cette forme d'exposition, héritée de l'Antiquité, mais surtout de la tradition occidentale (d'Érasme à Fontenelle), était inédite en Russie. Elle choqua ; ses propositions furent ignorées.
21Le deuxième grand domaine dans lequel Trediakovski retrouve Girard est le souci d'étudier et de perfectionner la langue vernaculaire dans sa spécificité.
22Trediakovski se trouva confronté à ce qui fut la grande tâche des écrivains russes au 18e siècle : doter leur nation d'une langue normée qui pût soutenir la comparaison avec les grandes langues de culture occidentales. Le siècle précédent avait pourtant vu s'organiser une pratique d'écriture qui mariait de manière plus harmonieuse qu'on ne l'a dit les deux éléments constitutifs du russe moderne : le russe oral vernaculaire d'une part et le slavon d'Église d'autre part. Ce dernier était issu du vieux slave, la première langue slave écrite au 9e siècle sur la base du vieux bulgare, et faisait fonction de langue liturgique et savante dans tous les pays slaves orthodoxes. Boris Ouspenski a cru pouvoir appliquer à cette situation le terme de « diglossie » emprunté au linguiste américain Charles Ferguson. On trouve en effet dans la Russie du 17e siècle une langue « haute » et une langue « basse », situation résumée à la fin du siècle par le grammairien allemand Wilhelm Heinrich Ludolf (1655-1712) dans sa Grammatica russica (Oxford, 1696) : « Loquendum est russice, scribendum slavonice ». Or cet équilibre précaire se trouve brusquement ruiné dans le premier quart du 18e siècle, par ce qu'on appelle, de manière rapide, l'« européanisation » de la Russie. Celle-ci entraîna un afflux massif de mots étrangers, l'effacement des repères stylistiques, la dilution de la norme et des niveaux de langue, la pression d'une syntaxe à la fois alourdie d'ornements rhétoriques classiques (inversions, enchâssements) et influencée directement par l'allemand et le latin. La Russie du premier quart du 18e siècle connaissait une grave crise linguistique. Nul ne savait plus comment il convenait d'écrire.
23Or, en conceptualisant ce qu'il appelle le « génie » de la langue, Girard appelait à étudier le français en lui-même, sans égard pour la grammaire du latin. C'était déjà la motivation de sa réforme de l'orthographe. Appelant de ses vœux une orthographe qui nous ferait « Français en écrivant, comme nous le sommes en parlant », Girard avait, comme on sait, levé l'étendard du combat contre le latin :
N'est-il pas juste que puisque notre langue a secoué le joug de la Latinité, nous en délivrions aussi notre Ortografe ? [...] Que sert au Français tout ce fatras de latinité ? (p. 17, 22).
24Pour Girard, le « génie » de la langue ne se manifeste pas dans le lexique, mais dans l'organisation morpho-syntaxique et plus particulièrement dans l'ordre des mots. Il est remarquable de noter que, dans son Dialogue sur l'orthographe, Trediakovski souligne lui aussi que la langue a ses propres « règles » (oustavy). L'usage change avec le temps, mais reste conforme à la « nature de la langue » (priroda iazyka) qui, elle, ne varie pas. Cet intérêt pour la langue vernaculaire est l'axe de sa préface à la traduction du roman de Tallemant. Ce texte est un manifeste linguistique autant que littéraire et, là encore, on aperçoit l'ombre de Girard. Toujours citée dans les cours d'histoire de la langue russe, cette préface vaut de nos jours une notoriété inattendue en Russie au falot Tallemant, homme « plus recommandable par ses vertus que par ses talents », comme le note perfidement son confrère Claude Gros de Boze. Il convient d'en citer le passage le plus significatif :
Veuillez, je vous prie humblement, ne pas me tenir rigueur (si vous êtes encore attaché à slavonniser savamment) de ce que je ne l'ai pas traduit (ce livre) en langue slavonne, mais dans la parole russe presque la plus simple, c'est-à-dire celle dans laquelle nous parlons entre nous. J'ai fait ainsi pour les raisons suivantes. La première : la langue slavonne est chez nous la langue de l'Église, alors que ce livre est profane. La seconde : la langue slavonne est devenue de notre temps très obscure, et nombre d'entre nous ne la comprennent pas quand ils la lisent. Or ce livre parle du doux amour, aussi doit-il être compris de tous. La troisième, qui vous paraîtra peut-être la plus mince, mais qui est pour moi la plus importante, est que la langue slavonne est devenue aujourd'hui dure à mes oreilles [21].
25Il faut conclure que le jeune homme, qui parlait pourtant le slavon comme une langue vivante, a profondément modifié sa conception de la langue littéraire après son séjour en France. Il applique en réalité à la diglossie « slavon/russe » l'opposition qu'il a découverte en France entre le latin et le français. On sait que Rollin, influencé par les Petites Écoles de Port-Royal, était un partisan résolu de l'enseignement en français. Ce point opposait les jansénistes aux jésuites. Trediakovski, lié aux jansénistes de la Sorbonne, adapta cette opposition à la situation linguistique de la Russie, en déclarant le slavon impropre à la littérature profane et en démontrant l'égale dignité du russe par la traduction d'un roman.
26Un autre trait rapproche à l'évidence Trediakovski et Girard : leur passion des langues vivantes. Girard est l'un des rares grammairiens français qui connût et cultivât les langues étrangères vivantes. L'opinion admise chez les premiers académiciens français était que la connaissance des langues vivantes risquait d'altérer la sûreté de la langue maternelle. Or Girard, dans ses Vrais principes, s'appuie délibérément sur les langues étrangères. Il établit sa célèbre typologie des langues, dans laquelle le prestigieux latin se retrouve voisin du... russe et des langues slaves, au sein des langues « transpositives », dans lesquelles l'ordre des mots épouse le « flux de l'imagination », grâce aux désinences flexionnelles qui se chargent d'indiquer les relations syntaxiques [22]. Il affranchit ensuite la définition du verbe de ses marques morphologiques, en prenant appui sur le prétérit du verbe russe, qui s'accorde en genre et non en personne. Il y a là fondamentalement l'idée que la connaissance des langues vivantes est indispensable au grammairien, même s'il ne travaille que sur le français. On reconnaît là, une fois de plus, un trait constant de l'activité linguistique des grammairiens jansénistes, auteurs de manuels de langues vivantes (méthodes d'italien et d'espagnol de Lancelot). On relève aussi sur ce point l'influence de Bernard Lamy qui, dans La Rhétorique ou l'art de parler, note que « chaque peuple considère les choses de manière particulière, et comme il lui plaît » [23]. Or Trediakovski, dans son Discours sur l'éloquence, ouvre sa deuxième partie sur la multiplicité des langues humaines. C'est le sens de l'épithète « variée » qu'il applique à l'éloquence [lat. varia, rus. razlitchnom]. Et il proclame l'égale dignité des langues. L'exhortation à cultiver la langue maternelle n'est pas contradictoire avec l'appel à apprendre les langues étrangères :
Mais quelqu'un pourrait penser que par mon grand zèle pour ma langue maternelle, je réfute tout goût et toute peine pour les langues étrangères, desquelles on peut recueillir de si grands fruits. [...] Non seulement je juge qu'il n'est pas inutile d'apprendre les langues étrangères, mais encore, j'y incite tout le monde le plus vigoureusement [...] [24].
27L'une des tâches urgentes qui s'imposaient aux grammairiens russes de la première moitié du 18e siècle était de fixer une norme et de préciser le concept de richesse. Ils considéraient que leur langue était sans doute « pauvre », c'est-à-dire encore insuffisante pour traduire avec précision la richesse des œuvres étrangères ; mais qu'elle était en même temps « riche » d'un fonds lexical inépuisable qui, comme le minerai caché dans les entrailles de la terre, ne demandait qu'à être exploité : le slavon d'Église en particulier. Qu'était-ce donc qu'une langue « riche » ? Trediakovski reconnaît que la question est « assez difficile » [nêkotoroj troudnovatoï vopros] :
L'éloquence doit-elle être qualifiée de riche si elle peut représenter par de nombreux noms une seule et même chose, alors qu'elle n'a aucun nom pour en représenter quelques-unes ? Ou est-il plus juste de considérer que la plus riche est celle qui n'a pas de nombreux noms pour une même chose, mais applique un nom propre à chaque chose sans exception ?
28On pourrait parcourir, voire résumer, toute l'histoire de l'écriture et des théories sur l'art d'écrire en Russie en ne considérant que cette question, qui est reposée avec constance du début à la fin du siècle.
29Or la question de la richesse est liée organiquement à celle de la synonymie.
30Girard expose dans La Justesse de la langue françoise et les Synonymes français ce qui sera son apport le plus constant :
En les considérant de près, on verra que cette ressemblance n'embrasse pas toute l'étendue et la force de la signification : qu'elle ne consiste que dans une idée principale [...]. Qu'une fausse idée de richesse ne vienne pas ici, pour fronder mon système sur la différence des synonymes [...]. J'avoue que la pluralité des mots fait la richesse des Langues : mais ce n'est pas la pluralité purement numérale, elle n'est bonne qu'à remplir les coffres d'un Avare ; c'est celle qui convient à la diversité, telle qu'elle brille dans les productions de la Nature. La satisfaction de l'esprit, et non le chatouillement de l'oreille, fait l'objet de la conversation et de la lecture.
31C'est bien le reflet de cette pensée que l'on trouve dans le Discours sur l'éloquence :
J'ai eu souvent l'occasion, en effet, d'entendre des discussions sur cette matière, lorsque je vivais encore à Paris, de la part des personnes les plus savantes, avec de part et d'autre des arguments sensés et solides. Cependant, l'opinion du très avisé Abbé Girard, qui a composé en français, tout exprès sur cette chose-là, un livre excellent (Justesse de la langue françoise), et l'a publié, et qui était, pour moi comme pour tous les nôtres qui résidaient là alors, le plus bienveillant des amis, - cette opinion, je la fais mienne. Ainsi, je considère comme lui que l'éloquence la plus riche est celle qui, non pas a beaucoup de noms pour une seule chose, mais celle qui dispose d'un nom pour chaque chose.
32Et Trediakovski énonce devant les académiciens russes le cœur même de la doctrine synonymique de Girard :
L'accumulation de synonymes qui servent à désigner la même chose sans lui ajouter rien de nouveau est une éloquence creuse et non une éloquence vraie et ferme. L'éloquence directe, lorsqu'elle use de synonymes, ne les emploie pas pour multiplier en quelque sorte une chose unique, mais pour la distinguer soit par le mérite, soit par l'importance, soit par la majesté, soit par quelque autre circonstance très puissante. À précisément parler, il n'y a pas un seul mot qui soit parfaitement le synonyme d'un autre : ceux qui considèrent les mots comme étant synonymes et possédant la même force, le font sans réfléchir préalablement à la différence qui existe entre eux.
33C'est dans la pensée de Girard que Trediakovski trouva les outils adaptés à son propre travail de linguiste russe décidé à réformer sa langue. La conception girardienne de la « richesse » de la langue permettait de rompre avec l'esthétique rhétorique de l'abondance et du nombre ; la notion de « justesse », traduite en russe par « totchnost » [c'est-à-dire, aussi : « précision »], fournissait le cadre théorique d'une refonte radicale du russe valorisé, à la fois parlé et écrit.
34Ainsi, l'influence qu'a exercée en Russie la Justesse de la langue française, puis les Synonymes français, n'est pas limitée à la synonymie. Elle imprègne l'ensemble de la langue. Les commentateurs de l'œuvre de Trediakovski n'ont pas vu que c'est toute la pensée de Girard que l'on y aperçoit, mais une pensée adaptée, modifiée, exploitée dans un sens parfois inattendu.
35Il est remarquable que la pensée de Trediakovski en matière de traduction reflète, elle aussi, sa réflexion sur les synonymes et l'influence de Girard. Traduire dans sa propre langue, c'est choisir « le mot juste », le seul qui convienne parmi l'ensemble des pseudo-synonymes. Traduire, c'est considérer sa langue de l'extérieur, la questionner à partir de la « demande » précise qui est exprimée par les mots de la langue source. Ainsi, la réflexion traditionnelle de la rhétorique classique, sur les relations entre res et verba, s'enrichit, grâce à l'activité traduisante, d'un tertium comparationis : mots de la langue source et mots de la langue cible doivent desservir un contenu (res) censé être identique. De cette opération « métalinguistique », les mots de la langue cible ne sortent pas indemnes, mais enrichis, précisément, de ces « valeurs » dont Girard dit explicitement l'importance. La traduction est bien pour Trediakovski le lieu central de la réflexion et de l'action sur la langue.
36À cet égard, la destinée de la pensée de Girard en Russie est instructive : elle illustre quels chemins inattendus peut emprunter une doctrine linguistique, une fois transplantée dans une autre culture. Il est curieux à ce sujet de convoquer sur le terrain de la synonymie Trediakovski et son rival Lomonosov.
37Lomonosov écrit un Précis de rhétorique en 1744, puis publie sa Rhétorique en 1748. On observe que le Discours sur l'éloquence (1745) de Trediakovski se situe entre ces deux dates. Entre ces deux publications, on décèle une évolution. En 1744, au chapitre « De l'amplification », Lomonosov écrit :
Les mots isosémiques sont ceux qui servent à dénommer la même chose, comme par exemple khoroch [bon] et izriaden [distingué]. On les réunit souvent pour rendre l'expression plus forte et plus claire.
38En 1748, ce passage, remanié, devient :
L'homosémie est l'accumulation de mots ayant soit une même signification, soit une signification de même nature, soit une signification proche.
39Afin d'éviter l'emprunt sinonim, Lomonosov forge des calques à partir de morphèmes slavons (edinoznamenatelnyié slova [mots isosémiques], odnoznamenovaniïa [homosèmes]), imitant la terminologie allemande : gleichgültige Wîrter, einerleibedeutende Wîrter. On peut penser que cet élève de Christian Wolff dut sa découverte de la synonymie à Johann Chistoph Gottsched (1700-1766). Les slavistes H. Keipert et H. Grasshoff ont montré combien, en effet, Lomonosov s'est nourri de Gottsched. Or Gottsched est considéré comme le père de la « synonymique » allemande, au même titre que l'abbé Bencirechi en Italie. Et il est admis depuis une remarque de Beauzée dans son article « SYNONYME » de l'Encyclopédie, que Gottsched démarqua largement les Synonymes français de Girard, en particulier dans ses Beobachtungen über der Gebrauch und Misbrauch vieler deutscher Woerter und Redensarten [Observations sur l'usage et l'abus de plusieurs mots et tournures de l'allemand], publiés à Leipzig en 1758. Certes, les notes manuscrites de Lomonosov consacrées aux synonymes, rassemblées sous le nom de « Projets philologiques », ont été écrites dans les années qui suivent la publication de sa Grammaire russe, soit entre 1755 et 1758, mais il y a lieu de penser que les idées de l'homme de lettres allemand avaient pu se diffuser par son élève Christian Gottlob Kîlner, qui avait collaboré aux Beobachtungen. Il se trouve, en effet, qu'en 1757 Kîlner se rendit à Moscou pour trois ans, à l'invitation du comte Ivan Chouvalov. Enfin, la bibliothèque de Lomonosov possédait Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (1671) du père Dominique Bouhours, qui est une des sources possibles de Girard, ainsi que les volumes de l'Encyclopédie. Lomonosov connaissait donc l'article « SYNONYME » rédigé par Beauzée, qui consacre l'importance de Girard, signale son influence probable sur Gottsched et rappelle le rôle des prédécesseurs, parmi lesquels, justement, le père Bouhours. Il connaissait évidemment aussi le traité Des Tropes (1730) de Dumarsais, qui consacre sa « Dernière observation » à la question de savoir « S'il y a des mots synonymes », en se référant à Girard.
40Lomonosov s'intéressait donc aux synonymes. On ne doit cependant pas s'arrêter à ce constat. Comme l'a vu Ilya Serman [25], Lomonosov a des synonymes une conception radicalement différente de celle de Trediakovski. Ce qui intéresse Lomonosov dans les synonymes n'est pas la délimitation précise de leurs contours sémantiques, mais leur position sur une échelle stylistique graduée. L'étude de ses manuscrits montre qu'il rangeait les synonymes par colonnes, dans un ordre croissant ou décroissant, allant du plus familier au plus solennel et au plus sublime, ainsi, par exemple : chagrin, peine, ennui, tristesse, abattement, affliction. On est loin de la méthode confrontative et précomponentielle de Girard, qui n'opposait que deux ou trois synonymes et ne cherchait nullement à bâtir des paradigmes à cinq ou six postes. Les synonymes ne diffèrent donc pour Lomonosov que par leur coloration stylistique, leur registre, et non par leur composition sémantique. Autrement dit, Lomonosov assujettit les synonymes à ce qui fut son apport théorique principal : la théorie des trois styles. Reprenant une tripartition des styles qui remonte loin dans l'histoire de la rhétorique (Cicéron, Quintilien, pour se limiter aux Latins), il distinguait le style élévé (ou sublime), le style moyen et le style bas. Cette tripartition était de nature exclusivement lexicale et reposait sur un savant dosage des éléments russes et slavons, avec cependant l'exclusion des mots vulgaires pour les premiers et des mots archaïques pour les seconds. À chaque style correspondait un ensemble déterminé de genres littéraires. Le style élevé, composé de mots « slavorusses », c'est-à-dire communs au russe vernaculaire et au slavon, et de mots slavons « intelligibles aux Russes et pas trop désuets », s'impose pour les poèmes héroïques, les odes, les « discours en prose sur des matières graves ». C'est, ajoute Lomonosov, « par ce style que la langue russe domine de nombreuses langues modernes d'Europe, grâce à l'usage de la langue slavonne issue des livres ecclésiastiques » [26]. Le style moyen s'imposait pour les « lettres amicales versifiées, les satires, les églogues et les élégies ». Le style bas convenait aux « comédies, aux épigrammes comiques, aux chansons, aux lettres amicales, à la description des choses ordinaires ». En construisant ses paradigmes de synonymes, Lomonosov ne faisait que les répartir entre ses trois styles.
41La confrontation entre Trediakovski et Lomonosov sur le point particulier des synonymes permet ainsi de voir que le premier a dès le départ une conception « rationaliste » des synonymes. En récusant la synonymie parfaite, Trediakovski rejette du même coup l'exploitation poétique de la polysémie. Il y a un mot pour chaque chose et une chose pour chaque mot. En se souciant d'abord de registre stylistique, Lomonosov cherche d'abord à réaliser la synthèse entre les éléments slavons et les éléments russes : cette synthèse devait selon lui donner naissance à une langue enfin normée. Autrement dit, Lomonosov a clairement identifié la tâche urgente de la langue russe : normer la langue à partir de ses deux fonds lexicaux. Certes, la théorie des trois styles a apparemment vécu. L'erreur de Lomonosov aura été d'avoir réservé tous ses soins aux styles bas et élevé, sous l'influence avouée de Boileau et de Longin. Ce faisant, il négligea le style moyen. Dans le système des belles-lettres qu'il avait hérité du classicisme, Lomonosov n'avait pas prévu la prodigieuse vitalité ultérieure du roman, genre mineur qu'il méprisait et appelait dédaigneusement « conte » [skazka]. Ce sont précisément ces genres, qui campaient à la marge du système, qui allaient devenir le creuset de la langue normée moderne : roman, lettre, récit de voyage, journal intime. Il demeure que le legs de Lomonosov est aujourd'hui encore celui qui, dans ses grandes lignes, structure le lexique de la langue écrite valorisée.
42La conclusion que l'on tire de cette confrontation est cruelle pour Trediakovski. Celui-ci voulut importer dans son pays une doctrine sans mesurer qu'elle n'avait pu se développer en France qu'une fois accomplie l'œuvre des écrivains classiques. La langue écrite en Russie à la fin du 17e siècle par un Siméon de Polotsk (baroque russe) ou, plus tard, au 18e, par un Antiochus Kantemir, mêle indifféremment mots slavons et vocables vulgaires dans un ensemble incroyablement disparate. C'était une gageure de prétendre passer sans transition d'Amyot à La Rochefoucauld. Au milieu du 18e siècle, la langue russe n'était pas en état de mettre en pratique le legs de Girard. Pour avoir négligé cette priorité, Trediakovski fut contraint de changer toute sa vie, et presque dans chacune de ses œuvres, sa définition de la norme.
43La pensée de Girard eut à la fois la chance et la malchance d'être portée, en Russie, par Trediakovski. Ce fut une chance, parce qu'il est hors de doute que c'est grâce à Trediakovski que l'œuvre de Gabriel Girard fut connue directement des russes. Dans un milieu intellectuel dominé par la science allemande, Trediakovski était le seul savant qui eût étudié à la Sorbonne. Il fut le représentant, au sein de l'académie, de la culture française. Ce fut aussi une malchance, parce que, dans l'histoire de la culture russe du 18e siècle, Trediakovski incarne injustement la figure du poète médiocre, du « savantas » farci de science et sans talent. D'abord persécuté pour ses sympathies catholiques par le haut clergé russe, il fut ensuite, une fois rentré en grâce de ce côté, cruellement traité par les cercles aristocratiques. Humilié par Anna Ioanovna, molesté par le ministre Volynski, moqué sous le règne de Catherine II, Trediakovski reste, aujourd'hui encore, offusqué par la gloire académique de Lomonosov.
44À partir du milieu du siècle, la diffusion de la pensée de Girard profita de la brusque multiplication des revues littéraires. Ces revues témoignent de l'apparition d'un milieu cultivé, dont les intérêts définissent le champ nouveau des belles-lettres. C'est ainsi qu'en 1754 l'Académie des sciences édite, à l'initiative de Lomonosov et sous l'égide d'Ivan Chouvalov, les Compositions mensuelles pour l'utilité et le divertissement. Alexandre Soumarokov publie, à partir de 1759, son Abeille laborieuse [Troudolioubivaïa ptchéla]. Un an plus tard paraît à Moscou l'Amusement utile [Poléznoe uvésélénié]. Sous Catherine II, éditrice elle-même, les revues prolifèrent : Le Bric-à-brac [Vsiakaïa vsiatchina], Et ceci et cela [I to i sio], et bien d'autres. Ces revues contenaient une large part d'articles traduits. Elles furent un vecteur essentiel de la diffusion des idées linguistiques. Trois thèmes reviennent régulièrement : la pureté de la langue russe et la question de l'emprunt ; le travail sur la langue russe et sa dignité en regard des autres grandes langues de culture ; l'origine de la langue russe et les questions d'étymologie. Ainsi, les écrivains russes du 18e siècle, même ceux qui n'avaient pas reçu de formation particulière, tels que Soumarokov, s'intéressent aux questions linguistiques. L'impératrice elle-même crée l'Académie russe et dirige des projets lexicographiques.
45Cet essor des revues littéraires va de pair avec le succès du genre lexicographique. Sous ce rapport, la Russie ne le cède en rien aux autres nations européennes. Il se publia au 18e siècle en Russie pas moins de 277 dictionnaires. Monolingues, bilingues, plurilingues, généraux ou spécialisés, le plus souvent à visée pratique, ils furent un vecteur essentiel de la diffusion des mots étrangers. Un facteur important de la diffusion de la synonymie française fut la traduction du Dictionnaire de l'Académie française de 1762, effectuée par la Société pour la traduction des livres étrangers [Obchtchestvo, staraiouchtchéié o perevodié inostrannykh knig]. On sait que le Dictionnaire de 1762 reprenait en substance l'avertissement de la première édition :
Avant que de définir un mot, on a donné presque toujours ses synonymes, c'est-à-dire, les mots qui paroissent signifier la même chose. On croit néanmoins devoir avertir que les synonymes ne répondent pas avec précision au sens du terme dont ils sont réputés synonymes, et que ces mots ne doivent pas être employés indistinctement.
46C'est ce texte que traduisit l'édition russe.
47Il faut attendre 1783 pour voir apparaître en Russie le premier ouvrage consacré aux synonymes. L'idée selon laquelle l'assimilation de la doctrine de Girard était prématurée dans les années 1740 trouve là un argument de poids. L'ouvrage était dû à Denis Fonvizine (1745-1792), comédiographe, écrivain satirique, traducteur, auteur d'une remarquable correspondance [27]. Son « Essai de dictionnaire russe des synonymes » [« Opyt rossiïskogo soslovnika »], qui est un court article d'une dizaine de pages publié dans la revue L'Interlocuteur des amis de la langue russe [Sobesednik lioubiteleï rossiïskogo slova], n'a longtemps été considéré que comme une œuvre satirique. Certes, sans avoir l'air d'y toucher, Fonvizine y dénonce, par le biais d'exemples, les tares de la haute société russe, en commentant des synonymes soigneusement choisis : tromper, leurrer, duper, ou encore paresseux, oisif. Lieu d'autorité par excellence, le genre lexicographique est, comme on sait, couramment exploité à des fins polémiques. Fonvizine détourne de même le discours linguistique dans sa Grammaire générale de la cour [Vseobchtchaïa pridvornaïa grammatika]. C'est pourtant une erreur de ranger son Essai de dictionnaire dans la catégorie des pamphlets. Le travail réalisé par Fonvizine au sein de la commission chargée d'élaborer le premier dictionnaire académique russe atteste que c'est en lexicologue attentif qu'il s'intéressait aux synonymes.
48Il suffit pourtant de comparer, comme l'a fait Raïssa Gorbounova [28], le texte de Fonvizine avec les Synonymes français pour se convaincre que l'écrivain a emprunté à Girard un grand nombre d'articles (par exemple, les articles « Lâche. Poltron » et « Robkiï. Trouslivyï » ; ou encore « Toujours. Continuellement » et « Vsegda. Neprestanno »). Non seulement la méthode oppositive est la même, mais les gloses sont la traduction fidèle du texte de Girard. L'Essai de dictionnaire est dépourvu de préface. C'est dans deux autres textes que l'on découvre les positions théoriques de son auteur. D'abord dans sa réplique intitulée « Remarque à propos d'une critique » [Primetchanie na kritiku]. La critique lui ayant été faite que : « Les synonymes ont été inventés afin de faire alterner, dans les œuvres longues, les mots qui ont le même sens, et non pas pour qu'on leur donne un autre sens », Fonvizine répond :
C'est pitié d'entendre cet avis de M. le Critique. Les philosophes ont montré depuis longtemps qu'il n'y a pas de mots au monde qui signifient la même chose ; comment pourraient-ils avoir été inventés pour alterner dans des œuvres longues ? Si l'on examine en quoi consiste la ressemblance des synonymes, on trouve qu'un seul mot n'embrasse jamais tout l'espace et toute la valeur du sens d'un autre ; ils ne se ressemblent que par l'idée générale. L'abondance des mots [mnogoslovié] ferait-elle la richesse d'une langue ? Et quelle stupide richesse ce serait, si dix mots ou plus représentaient chez elle la même idée ? Ce serait fatiguer la mémoire pour rien ; seule l'oreille sentirait une différence dans le son des mots, mais l'esprit ne goûterait aucun plaisir s'il ne peut sentir ni la valeur, ni la justesse, ni l'étendue, ni la subtilité que peuvent avoir les pensées humaines. À suivre ce genre de critique, je pense que si M. le Critique était cuisinier, il proposerait pour un banquet trente plats contenant la même chose [29].
49Reprenant la métaphore chromatique qu'avait utilisée Girard, Fonvizine rappelle qu'il ne suffit pas de dire, dans une situation précise, qu'il faut, par exemple, porter « du vert » :
Non, il arrive souvent qu'il faille choisir les nuances, satisfaire les yeux par un aspect plaisant ; mais la raison, notre œil spirituel, peut-elle se satisfaire quand la pensée est figurée par des mots qui n'expriment pas toute sa finesse ?
50Certes, par « les philosophes », en 1783, Fonvizine entend non seulement Girard, mais tous les grammairiens qui se sont prononcés sur la question, au premier rang desquels Dumarsais, puis Beauzée. Non Roubaud, dont les Nouveaux synonymes français paraissent deux ans plus tard (2e éd. : 1796). L'idée que la richesse d'une langue n'était pas affaire de nombre était communément admise dans le discours grammatical. Dès 1730, Dumarsais note, dans son traité Des tropes, empruntant un segment de phrase entier à Girard :
On doit juger de la richesse d'une langue par le nombre des pensées qu'elle peut exprimer et non par le nombre des articulations de la voix. Une langue sera véritablement riche, si elle a des termes pour distinguer non seulement les idées principales, mais encore leurs différences, leurs délicatesses, le plus ou moins d'énergie, d'étendue, de précision.
51C'est bien, cependant, au texte de Girard que Fonvizine fait écho quand il met en cause la « fatigue » de la mémoire. Girard écrit en effet, à propos des mots :
S'ils ne sont variés que par les sons, et non par le plus ou moins d'énergie, d'étendue, de précision, ou de simplicité que les idées peuvent avoir, ils me paroissent plus propres à fatiguer la mémoire qu'à enrichir et faciliter l'art de la parole.
52On est donc fondé à dire qu'en 1783, des décennies après la première publication de Justesse de la langue françoise, Gabriel Girard est la source avérée du premier ouvrage consacré aux synonymes en Russie.
53Le deuxième texte important de Fonvizine est son Esquisse pour la confection du dictionnaire raisonné de la langue slavo-russe, rédigée en cette même année 1783 pour la commission chargée d'élaborer le premier dictionnaire académique de Russie. Fonvizine y aborde les synonymes et répète l'idée centrale de la doctrine girardienne :
Le meilleur moyen de définir le sens d'un mot est de lui donner un synonyme. Il convient de donner au mot autant de synonymes qu'on en pourra trouver, sans oublier que les synonymes n'ont pas tous la même signification et qu'on ne peut pas employer indifféremment un mot à la place d'un autre.
54À la suite, sans doute, de la publication du Dictionnaire de Fonvizine, les quinze dernières années du siècle et la première décennie du 19e sont marquées en Russie par un intérêt incontestable pour la synonymie, qui est un écho assourdi de ce que Mario Mormile a appelé pour la France le « culte de la synonymie ». Les revues russes de la fin du 18e siècle contiennent un assez grand nombre d'articles consacrés aux synonymes. C'est le cas, en particulier, des revues littéraires Le Messager du Nord, Le Fils de la Patrie, ou encore de L'Hippocrène ou les Plaisirs de la philologie. On trouve aussi des études sur la synonymie dans les Travaux de la Société des amis de la littérature russe, les Travaux de la société de Kazan des amis de la littérature russe, avec des articles de V. G. Anastassiévitch, N. M. Ibragimov, D. M. Kniajévitch, P. S. Kondyrev, S. G. Salarev et aussi de l'amiral Alexandre Chichkov et de Constantin Kalaïdovitch. L'examen de ces périodiques montre cependant qu'il s'agit non de travaux originaux, mais de traductions : de Roubaud surtout. Les Russes appliquent à leur langue l'analyse par couples de synonymes mise en œuvre par Girard. Tels sont, par exemple, les couples de verbes russes ojidat' [attendre] et nadéïat'sia [espérer] ; ou guéniï [génie] et talant [talent] ; ou encore otkrytié [découverte] et izobréténié [invention]. Les sources françaises sont mentionnées. Il s'agit donc d'une application au russe d'un modèle étranger : premier pas sans doute nécessaire, mais qui peine à s'affranchir de la tutelle française. Ces esquisses, qui auraient pu féconder une véritable analyse de la synonymie à partir du système russe, ne sont que de fragiles greffons.
55La deuxième décennie du 19e siècle voit paraître un ouvrage remarquable, qui incarne l'intérêt des Russes pour la synonymie. C'est l'Essai de dictionnaire des synonymes russes [Opyt slovaria rousskikh sinonimov] [30] de l'archéologue et philologue P.-F. Kalaïdovitch, membre actif de la Société des amis des lettres russes. Dans son introduction, l'auteur revendique expressément l'emprunt « sinonim », et rejette le calque russe « soslov », au motif que le premier est admis par les langues d'Europe. Ce philologue se place expressément dans le droit fil de la synonymie française. Dans un syncrétisme qui masque mal un déficit théorique, Kalaïdovitch cite tour à tour Girard, D'Alembert, Roubaud et son contemporain Guizot. Il est sans doute le disciple le plus achevé des synonymistes français et proclame l'admiration qu'il leur voue, mais sans paraître apercevoir les différences qui les séparent. Son ouvrage est d'abord une compilation. Il rassemble les différents articles dispersés dans les périodiques, en mentionnant honnêtement auteurs et références.
56Or, en 1818, dans la Russie de la Sainte-Alliance, l'admiration envers la France n'est plus de saison. L'ouvrage de Kalaïdovitch est mal accueilli. Parmi ces critiques, certaines visent cependant incontestablement juste. Kalaïdovitch se voit en particulier reprocher de plaquer sur le russe des analyses platement démarquées du français :
Il faut dire un mot d'une mauvaise habitude. Kalaïdovitch et alii traduisent les synonymes du français : c'est inutile et c'est même nuisible. Ce que nous devons faire, c'est observer quels sont les moyens qu'utilisent les auteurs français pour distinguer et désigner le sens des mots semblables, mais nous ne devons certainement pas les traduire et les appliquer à la langue russe [31].
57L'auteur anonyme s'appuie sur la spécificité des langues :
[...] on peut difficilement trouver un mot désignant un objet abstrait qui fût absolument identique sous tous les rapports dans une autre langue : entre le mot français « gratitude » et le mot russe « blagodarnost' », il y a à notre avis autant de différence qu'entre les mots russes « blagodarnost' » [gratitude, J. B.] et « priznatel'nost' » [reconnaissance, J. B.]. Là est la source des à-peu-près et des obscurités de l'analyse (p. 228).
58Il appelle à étudier le russe dans son fonctionnement propre :
Il faut étudier pour chaque langue ses synonymes particuliers ; il faut observer quels sont les mots dont l'emploi cause le plus d'erreurs [...] et comment ils sont adoptés par les meilleurs écrivains. Les conclusions que l'on tirera de ces observations permettront de définir les synonymes de la façon la plus claire, la plus russe et la plus utile (p. 229).
59Le dictionnaire de Kalaïdovitch est l'ultime pierre milliaire qui marque l'influence directe exercée par Girard et ses disciples (ou proclamés tels) en Russie.
60Pourtant, un examen attentif montre que Kalaïdovitch n'est plus véritablement le disciple de Girard, même s'il réaffirme l'inexistence de synonymes parfaits. Kalaïdovitch porte une attention nouvelle à la forme du mot, à sa structure, à son histoire, à son étymologie. Il souligne que « quand on explique les synonymes, il faut considérer non seulement le sens général et particulier des mots, mais aussi leur racine et leur ancienne signification [...] » Et il n'est pas inintéressant, à cet égard, de savoir que Kalaïdovitch est aussi l'auteur d'un Essai de règles pour la constitution d'un dictionnaire dérivationnel russe (1824).
61Il y a un lien étroit entre l'abandon progressif de l'intérêt pour la synonymie systémique, fondée sur la notion de valeur, et l'intérêt croissant pour la polysémie, l'étymologie et la forme du mot. Le linguiste d'expression française qui jouit, à la fin du siècle, du plus grand prestige n'est plus Girard, ni même Dumarsais ou Beauzée, mais Antoine Court de Gébelin, pour son Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne [...] (1776). C'est à Court de Gébelin que se réfère expressément le grand grammairien russe Antone Barsov, à la fin du 18e siècle. En Russie, la fascination pour le signifiant aboutit à l'une des entreprises les plus étonnantes de l'histoire de la linguistique : la constitution du Linguarum totius orbis vocabularia comparativa de Peter-Simon Pallas et sa traduction russe (1786-1789), énorme et luxueux ouvrage publié sous les auspices de Catherine II. Le même signifiant (par exemple le mot A, ou AB, etc.) y est répertorié dans des dizaines de langues, et y est enregistré avec son sens. Comment expliquer une entreprise aussi gigantesque, aussi coûteuse et aussi parfaitement inutile, sinon par l'idée selon laquelle un même signifiant devait, dans toutes les langues du monde, avoir au moins un signifié commun ? Ainsi, à la jonction des deux siècles, le modèle compositionnel, qui est au cœur de la doctrine de Girard, cède le pas à l'extraction du sens caché dans la forme. Girard traitait les mots sur un plan synchronique et « horizontal » : il s'agissait pour lui de circonscrire le pourtour sémantique de monades lexicales. La Russie de la fin du 18e siècle et du début du 19e met en œuvre les exhortations de Lomonosov : l'activité du linguiste est de plus en plus diachronique et « verticale » : il faut descendre dans l'histoire de la langue, enrichir le lexique en puisant dans le slavon d'Église. Significativement, l'amiral Chichkov utilise la métaphore minière :
Notre langue est semblable à un pays riche en minerais, d'où l'on pourrait extraire des ruisseaux d'or et d'argent purs. Mais, pour obtenir ces richesses, il faut que des esprits industrieux sondent les abîmes et découvrent les filons précieux [32].
62Dans ce retour du cratylisme, la Russie, il faut le signaler, ne se distingue guère de ses modèles occidentaux. Françoise Berlan a, comme on sait, mis en lumière le changement profond qu'augurèrent en France les Nouveaux synonymes français (1785) de l'abbé Roubaud (1730-1791) : « Sous l'apparente continuité, c'est à un changement radical qu'on assiste » [33].
63Après le dictionnaire de Kalaïdovitch s'ouvre une longue période de stagnation. Des notules sur les synonymes continuent, certes, de paraître, mais il faut attendre 1840 pour qu'aboutisse une nouvelle entreprise lexicographique : le Dictionnaire des synonymes, ou colexèmes russes d'Alexandre Galitch. Ce professeur de philosophie du prestigieux Lycée de Tsarskoé-Sélo ne réalisa que le premier des douze fascicules qu'il annonçait. Plus nettement encore que Kalaïdovitch, il déclare que l'essence des synonymes est à chercher non seulement dans leur similitude et leur différence, mais aussi dans les « racines des mots ». L'origine du mot permet de saisir son sens.
64En 1851, les quelques matériaux rassemblés sous le titre « Extraits d'un dictionnaire des synonymes russes », publiés dans les Nouvelles de l'Académie impériale des sciences par les académiciens Ia. I. Berednikov, puis I. I. Davydov, renouent sensiblement avec la tradition girardienne. Les synonymes sont confrontés les uns aux autres et leurs différences sont analysées sous forme de traits. Tel est par exemple, le traitement des verbes jourit' [gourmander], branit' [tancer], zloslovit' [médire], rougat' [gronder]. Mais ce dictionnaire ne dépassa pas la troisième lettre de l'alphabet. Et c'est en 1900 que paraîtra enfin le premier dictionnaire achevé des synonymes russes : le Dictionnaire russe des synonymes et des expressions semblables par le sens de N. Abramov. Faute de réflexion théorique, faute en particulier d'une définition des synonymes, l'ouvrage n'est guère plus qu'une compilation.
65Le modèle précomponentiel (et préstructuraliste) de Girard ne renaîtra en Russie qu'à la fin du 20e siècle, avec le Dictionnaire des synonymes de la langue dirigé par A. P. Evgen'eva (Leningrad, 1971) ; avec, surtout, les trois volumes du Dictionnaire nouveau et explicatif des synonymes de la langue russe, dirigé par Jurij D. Apresjan (Moscou, 1997-2004). Plusieurs des principes suivis remontent à Girard : systémité de l'approche ; dégagement des traits différentiels ; pas de hiérarchisation en hyperonymes et hyponymes.
66Nous avons cherché la marque de Girard dans le discours théorique des dictionnaires. Cependant, l'étude de la langue littéraire russe indique que ce n'est pas là le seul domaine où elle se lit.
67La confrontation entre Trediakovski et Lomonosov sur le point particulier des synonymes a permis de voir que le premier a dès le départ une conception « rationaliste » des synonymes. En rejetant la synonymie parfaite, Trediakovski rejette du même coup l'exploitation poétique de la polysémie. Il y a un mot pour chaque chose et une chose pour chaque mot. Or c'est bien cette idée, liée à l'idéal de justesse et de précision, qui fournit son axe à la réforme de la langue littéraire à partir du dernier tiers du siècle.
68Manifeste à partir du milieu du siècle, la diffusion de la pensée de Girard en Russie modèle l'écriture des auteurs russes. Le grand dix-huitiémiste Grigori Goukovski (1902-1950) notait que la thèse centrale de Girard aboutissait à l'exclusion de facto de la synonymie comme procédé littéraire, qu'elle fût d'ordre linguistique (choix entre un slavonisme et son équivalent russe) ou d'ordre stylistique : « Le monde entier se décomposait en un ensemble de concepts, et chacun d'eux exigeait un signe conventionnel : un mot. L'atomisme de la conception du monde se reflétait dans l'atomisme du style » [34].
69Dans son Essai de rhétorique [Opyt ritoriki] publié en 1796, et republié en 1805, Ivan Rijski, auteur d'ouvrages théoriques et pédagogiques, premier président de l'université de Kharkov, rappelle ce qui était pour lui une vérité rebattue :
70Pour ce qui la concerne [i.e. la précision], il convient de se rappeler fermement qu'il n'y a pas de mots parfaitement synonymes ; puisqu'il n'y en a pas, ceux qui nous paraissent tels ne désignent que des choses très semblables ; ou tout en désignant la même chose, diffèrent l'un de l'autre en ce que l'un la représente avec plus de force et d'expression [35].
71Il est important à ce sujet d'observer la pensée de Nikolaï Karamzine (1766-1826). Le chef de l'école sentimentaliste russe, artisan de ce qui fut appelé par ses détracteurs le « nouveau style de la langue russe », proposa pour la première fois, dans sa prose artistique, mais aussi intellectuelle et dans son Histoire de l'État russe, le modèle d'une langue fluide et précise, digne de ses grands modèles (Buffon, Gibbon, Rousseau, Marmontel). Or, revenant sur la question de l'enrichissement de la langue, Karamzine réaffirme la position de Girard :
La vraie richesse de la langue consiste non pas dans l'abondance de ses sons, non pas dans l'abondance de ses mots, mais dans le nombre d'idées qu'elle peut exprimer. Une langue riche est celle dans laquelle on trouve des mots non seulement pour désigner les idées principales, mais aussi pour expliquer leurs différences, leurs nuances de plus ou moins grande force, de plus ou moins grande simplicité ou complexité. Sinon, elle est pauvre ; elle est pauvre avec tous ses millions de mots.
72Et, reprenant le thème du travail sur la langue et du rôle assigné aux bons écrivains :
Dans une langue élaborée par des auteurs intelligents, il ne saurait y avoir de synonymes ; ces derniers ont toujours entre eux quelque subtile différence, que connaissent les écrivains qui maîtrisent l'esprit de la langue, qui réfléchissent par eux-mêmes, qui sentent par eux-mêmes et qui ne sont pas les perroquets des autres.
73Une chose est sûre : au début du 19e siècle en Russie, la thèse de l'inexistence de synonymes parfaits est partagée par tous les théoriciens de l'écriture, même quand ils s'opposent sur tout le reste. Le plus célèbre adversaire de Karamzine, l'amiral-linguiste Alexandre Chichkov, qui avait férocement critiqué, en 1803, le « nouveau style de la langue russe », reprochant pour l'essentiel à Karamzine et à d'autres auteurs sentimentalistes leur soumission au modèle français, ne met pas en question la thèse centrale de Girard, bien qu'il introduise, conformément à l'esprit de Lomonosov, le facteur stylistique :
Sous le nom de « synonymes » [soslovy], on entend des dénominations qui représentent des notions proches ou contiguâs, comme par exemple « motovstvo » [gaspillage] et « rastotchitelnost » [prodigalité]. [...] Quoique ces dénominations, de par la ressemblance des notions qu'elles expriment, puissent souvent s'entendre l'une pour l'autre, cependant il n'existe dans aucune langue des mots qui aient exactement la même valeur et la même force. Les nuances que l'on observe entre eux consistent soit dans la différence de leur sens, soit dans la force de leur valeur, soit dans le fait que l'un sied mieux au style grave, et l'autre au style simple [36].
74Ne pas être les « perroquets des autres », pour Karamzine, c'est réfléchir sur sa propre langue. C'est être le disciple de Girard dans sa méthode, non son plat traducteur. Il est intéressant que, dans l'extrait cité plus haut, Karamzine emploie le mot « auteurs », qui désigne toujours sous sa plume, comme nous l'avons indiqué ailleurs, non seulement un « écrivain », mais d'abord un créateur, un novateur qui ose changer les normes de son temps et qui a réfléchi sur sa langue. D'autre part, ce que nous traduisons par « esprit de la langue » (doukh ïazyka) pourrait également se traduire par « génie », au sens où l'entend précisément Girard. Il n'est pas inutile de savoir que Karamzine connaissait personnellement et admirait le grammairien Antone Barsov, qui succéda à la chaire de rhétorique de Trediakovski, après avoir été son élève. De Girard à Trediakovski, puis de Trediakovski à Karamzine, la chaîne est vivante. La pensée de Karamzine en matière d'écriture pose d'abord un diagnostic, puis cherche des solutions chez les théoriciens de son temps [37]. Le diagnostic ne se limite pas à constater l'insuffisance de la prose littéraire russe au 18e siècle. Il met en évidence la dimension sociale de ce retard, le manque d'intérêt de la société cultivée russe pour sa propre langue. Karamzine, le premier en Russie, a aperçu la dimension sociale de la culture de la langue. Il a compris le rôle décisif qu'aura joué en France la culture des salons dans l'affinement de la langue, et ne se résoudra que difficilement à reconnaître que ces conditions sont le fruit fragile d'une longue culture qui n'est pas transposable. Ses doléances sur l'hégémonie du français dans les salons russes, ses vains appels aux « lectrices » éclairent, à soixante ans de distance, les raisons de l'échec de Trediakovski.
75Ainsi, l'exemple de la Russie vérifie l'hypothèse à laquelle Françoise Berlan a consacré l'une de ses études [38] : il y a une relation certaine, en Russie, entre le destin des théories sur la synonymie et l'évolution des pratiques d'écriture. On peut même dire, au risque de décevoir notre lecteur, que l'héritage de Girard est à chercher dans la pratique d'écriture des écrivains russes, davantage que dans les travaux théoriques sur la langue. En Russie, la pratique a devancé la théorie. On aperçoit ainsi que la dépendance qui lie un Fonvizine à l'œuvre de Girard, qui est démarquée par lui plus qu'assimilée, est parallèle à sa maladresse quand il s'agit de traduire certaines particularités du français. Prenons l'exemple du marqueur français de focalisation c'est... qui/que, qui n'a pas d'équivalent morphologique en russe. Faute d'une réflexion suffisante sur sa propre langue, Fonvizine laisse cette focalisation non traduite. On voit là clairement que l'affranchissement par rapport aux modèles étrangers passait nécessairement par une réflexion linguistique approfondie sur le russe. La dépendance en matière de théorie répond à la dépendance dans la pratique d'écriture. Il est remarquable que l'écrivain qui résolut ce point précis fut Karamzine, qui vit qu'en russe la focalisation était prise en charge par l'ordre des mots. Ainsi, l'écrivain russe qui donna corps aux idéaux de justesse et de clarté de Girard fut le « sentimentaliste » Karamzine, admirateur de Marmontel, de Diderot, imprégné de la pensée de l'abbé Batteux et de Condillac ; non du Condillac synonymiste, puisque le dictionnaire du philosophe français ne parut qu'en 1951, mais de l'auteur des traités De l'art d'écrire, De l'art de raisonner et De l'art de penser. La pensée sur les synonymes va de pair chez Karamzine avec sa conception novatrice de l'ordre des mots.
76Là aussi, la chasse à l'imprécision aboutit au principe d'univocité du signe : à chaque séquence correspond une valeur sémantique propre.
77Autant que les linguistes, les écrivains et traducteurs russes du 18e siècle ont entendu la leçon de Girard.
Notes
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[1]
M.-G. Adamo, « Introduction », Abbé Gabriel Girard, La Justesse de la langue françoise, ou les Différentes significations des mots qui passent pour synonymes, Milan-Paris, Schena-Didier Érudition, 1999, p. 15.
-
[2]
« On ne disposait de rien de semblable pour aucune langue » : S. Auroux (1984), « D'Alembert et les synonymistes », Dix-huitième siècle, 16, p. 94 ; cité par M. Leca-Tsiomis, Écrire l'Encyclopédie. Diderot : de l'usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, p. 267.
-
[3]
M. Leca-Tsiomis, op. cit., p. 267.
-
[4]
Nous adoptons ci-après une translittération courante adaptée au système graphique français, certes insuffisamment rigoureuse, mais permettant cependant au lecteur francophone non slaviste de restituer approximativement la prononciation des mots russes.
-
[5]
P. N. Berkov, « Des relations littéraires franco-russes entre 1720 et 1730 : Trediakovskij et l'abbé Girard », Revue des études slaves, 35, 1958, p. 7-14.
-
[6]
M. Mervaud, « Introduction », in Jacques Jubé, La Religion, les mœurs et les usages des Moscovites, Oxford, Voltaire Foundation, 1992, p. 1-78.
-
[7]
Frédéric Deloffre, Une Préciosité nouvelle, Marivaux et le marivaudage, 2e éd., Paris, A. Colin, 1962.
-
[8]
P. N. Berkov, art. cit., p. 12.
-
[9]
Pierre Swiggers, « Introduction » à Abbé Gabriel Girard, Les vrais principes de la langue françoise, Droz, 1982, p. 16, n. 10.
-
[10]
Vassili Trediakovski (1849 ; 1re éd. : 1745), Sotchiniéniïa [[Œuvres],t. 3, Moscou, izd. Smirdina, p. 592.
-
[11]
P.N. Berkov, art. cit., p. 8.
-
[12]
Trediakovski écrit à dessein (contrairement à ce que note P. Berkov) neskhotstvennom, en notant le dévoisement du /d/ devant sourde.
-
[13]
P. N. Berkov, art. cit., p. 14.
-
[14]
P. Tallemant, Le Voyage de l'Isle d'amour, à Licidas, Paris, L. Billaine, 1663, IV-54-II p., in-12 ; 7e éd. : L'Isle d'Amour, ou la Clef des cœurs, La Haye, H. van Balderen, 1713, in-12.
-
[15]
Philippe Caron, « Postface », Les Remarqueurs sur la langue française, du 16e siècle à nos jours, Rennes, La Licorne/Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 395-400.
-
[16]
M. Lomonosov, « O nynéchném sostoïanii slovesnykh naouk v Rossii » [De l'état présent des sciences littéraires en Russie], Polnoié sobranié sotchinéniï [Œuvres complètes], t. 7, Moscou-Leningrad, 1952, p. 581.
-
[17]
V. K. Trediakovski, « Slovo o vitiïstve » [Discours sur l'éloquence], Sotchineniïa [Œuvres], t. 3, op. cit., p. 579-580.
-
[18]
Voir l'article de S. Viellard, dans le présent volume.
-
[19]
G. Girard, L'Ortografe française sans équivoques et dans sés principes naturels : ou l'art d'écrire notre langue selon lés loix de la raison et de l'usage, d'une maniere aisée pour lés dames, comode pour lés étrangérs, instructive pour lés provinciaux et nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion, Paris, chez Pierre Giffart, Libraire, Graveur du Roi..., 1716, p. 47-8.
-
[20]
V. K. Trediakovski, « Dialogue sur l'orthographe » [Razgovor o pravopisanii], in Sotchineniïa [Œuvres], t. 3, op. cit., p. 191.
-
[21]
V. K. Trediakovski, Sotchineniïa [Œuvres], op. cit., p. 649-50.
-
[22]
G. Girard, Les Vrais principes de la langue françoise : ou la parole réduite en méthode conformément aux lois de l'usage, Amsterdam-Paris, 1747, p. 23-25.
-
[23]
Bernard Lamy, La Rhétorique ou l'art de parler, Amsterdam, 1699, p. 19.
-
[24]
V. K. Trediakovski, « Discours sur l'éloquence », op. cit., p. 582-3.
-
[25]
I. Z. Serman, Literatournoié délo Karamzina [L'œuvre littéraire de Karamzine], Moskva, RGGU, 2005, p. 57-9.
-
[26]
M. Lomonosov, « Predislovie o polzé knig tserkovnykh v rossiïskom iazyké » [Préface sur l'utilité des livres d'Église dans la langue russe], Sotchinéniïa, Moscou-Leningrad, 1961, p. 272.
-
[27]
Denis Fonvizine, Lettres de France (1777-1778), traduites du russe par Henri Grosse, Jacques Proust et Piotr Zaborov. Préface de Wladimir Berelowitch, Paris, CNRS Éditions - Oxford, Voltaire Foundation, 1995, X-211 p., (coll. « Archives de l'Est »).
-
[28]
R. Gorbounova, L'Étude des synonymes en Russie, Lyon, Centre d'études slaves André Lirondelle, Université Jean-Moulin, 2000, p. 167-8.
-
[29]
D. S. Fonvizine, « Remarque sur la critique publiée aux pages 113 et 114 de la 2e partie de l'Interlocuteur, au sujet de l'Essai de dictionnaire des synonymes russes », in Première édition des œuvres complètes [Pervoe polnoe sobranie sotchinéniï D. I. Fonvizina, kak original'nykh, tak i perevodnykh, 1761-1792], Saint-Pétersbourg, 1888, p. 810.
-
[30]
Kalaïdovitch, P. F. (1818), Opyt slovaria rousskikh sinonimov (tchast 1), Moskva.
-
[31]
« Critique de l'Essai de Kalaïdovitch » (1818), Syn Otétchéstva [Le Fils de la Patrie], p. 324-325 ; cité par R. Gorbounova, op. cit., p. 228.
-
[32]
A. S. Chichkov, « Vystuplénié [Allocution] », in Izvestiïa Rossiïskoï Akademii, I, p. 1 ; cité par A. Martel (1933), Michel Lomonosov et la langue littéraire russe, Paris, Institut d'études slaves, 1815, p. 113.
-
[33]
F. Berlan, « Synonymistes et écrivains au 18e siècle : de la clarté oppositive au lyrisme accumulatif », L'Information grammaticale, 82, 1999, p. 51-2.
-
[34]
G.A. Goukovski, Esquisses d'histoire de la littérature russe du XVIIIe siècle : la Fronde nobiliaire dans la littérature des années 1750-1760 [Otcherki po istorii rousskoï literatoury XVIII veka : Dvorianskaïa fronda v litératouré 1750-1760 godov], Moscou-Leningrad, 1936, p. 116 ; cité par I. Serman, op. cit., p. 57.
-
[35]
I. S. Rijski, Opyt ritoriki ; [Essai de rhétorique], Saint-Pétersbourg, 1796, p. 13.
-
[36]
A. S. Chichkov (1806), « O soslovakh » [Des synonymes], Sobranie sotchinéniï [Œuvres], partie 4, Saint-Pétersbourg, 1825, p. 248.
-
[37]
Voir Ilya Serman, Literatournoïé delo Karamzina, op. cit. ; J. Breuillard (2003), « Nikolaj Karamzin et la pensée linguistique de son temps », Le Sentimentalisme russe, Revue des études slaves, t. LXXIV (2002-2003), fasc. 4, p. 759-776.
-
[38]
F. Berlan, « Synonymistes et écrivains au 18e siècle : de la clarté oppositive au lyrisme accumulatif », art. cit., p. 51-61.