Notes
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[1]
Les thèmes abordés dans ce travail sont développés plus amplement dans les citations de la bibliographie, voir en particulier Fry 2013.
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[2]
Pour un répertoire d’études axées sur la figure du « Sauvage brutal », voir www.survivalinternational.org/articles/3272-brutal-savage-myth
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[3]
Pour une critique de la psychologie évolutive, voir McKinnon 2005.
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[4]
Pour un bilan historique des périodes de paix sur un siècle et davantage dans 52 sociétés constituées en États, voir Melko 1973.
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[5]
Pour des comptes rendus historiques des contributions anthropologiques aux études sur la paix, voir Dentan 2012, Kehoe 2012 et Sponsel 1994. Pour ce qui est de l’anthropologie de la guerre, voir Ferguson 1984, 2007, Otterbein 1999 et les réponses à ce dernier par Dentan 2002, Sponsel 2000 et Whitehead 2000.
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[6]
Pour une documentation approfondie sur la culture américaine du militarisme guerrier, voir Andreas 2004, Churchill 2003 et Davies 2013.
Tant de choses dépendent de notre conception de la nature humaine : pour les individus, c’est le sens et le but que l’on donne à sa vie, ce que l’on devrait faire ou ce que vers quoi on tend, ce que l’on espère réaliser ou devenir ; pour les sociétés humaines, à quelle vision de la communauté humaine on souhaiterait œuvrer et quelle sorte de changements sociaux on souhaiterait effectuer.
Changement de paradigme
1Une société non meurtrière est-elle possible ? Cette question profonde, essentielle et provocante a été soulevée en 2002 par Glenn D. Paige (2009) dans son travail fondateur Nonkilling Global Political Science. Il y définissait une telle société comme une communauté humaine caractérisée du niveau local au niveau global par l’absence de crimes, de menaces de meurtre, d’armes conçues pour tuer et de justifications pour en faire usage, ainsi que par l’absence des conditions sociétales reposant sur la menace ou le recours à la force létale pour se maintenir ou se transformer.
2Paige identifie les faits empiriquement vérifiés qui attestent que si tous les êtres humains sont capables de tuer comme de ne pas tuer, la plupart d’entre eux ne sont pas des tueurs (99 %) ; un grand nombre d’institutions et de situations sociales stigmatisent d’ores et déjà la possibilité de tuer. Il problématise ainsi l’idée selon laquelle le meurtre serait une manifestation inéluctable de la nature humaine, de la condition humaine et de la vie en société. Par conséquent, il conteste l’acceptation fondamentale de la guerre et des autres formes de violence dans la société, la science, le monde universitaire, le gouvernement, la politique et toutes les sphères de la vie contemporaine. De plus, il réclame une enquête scientifique sur l’état actuel et possible du non-meurtre (nonkilling). Son travail creuse en profondeur tout un ensemble de questions annexes, articulées en quatre parties : quelles sont les conditions, les causes et les conséquences du fait de tuer, de ne pas tuer, et quelle est la transition de l’un à l’autre dans les deux sens ?
3Paige affirme que tuer est la source principale d’autres formes de violence, qui reposent largement sur le meurtre. Il remet en question le complexe hégémonique industriel-militaire-médiatique-universitaire en exigeant que l’on se libère du meurtre grâce à un changement de paradigme : passer de l’idéologie et de la politique du meurtre à celle de l’absence de meurtre. Il déclare (2009 : 127) : « Le temps est venu de voir le meurtre comme un problème à résoudre plutôt que d’accepter de s’y soumettre comme à une situation inévitable ». Il est confirmé dans son propos par l’Organisation Mondiale de la Santé : à l’issue de trois ans de recherche auprès de 160 experts à travers le monde, elle en a conclu que la violence humaine est une maladie évitable et qu’il faut la traiter comme un problème de santé publique (Krug et al. 2002).
4Ces dernières années, cette approche largement novatrice a suscité une attention croissante. Elle a donné lieu à des recherches, publications, débats, appréciation ; elle a également inspiré des projets concrets dans le domaine des études sur la paix et bien au-delà, comme on peut le constater sur la page web du Center for Global Nonkilling qui propose une multitude d’ouvrages en accès libre. Les prochaines décennies nous diront si l’affirmation et les multiples ramifications de ce changement révolutionnaire de paradigme ont perduré.
5L’anthropologie occupe une position stratégique pour aider à traiter les questions de Paige ainsi que d’autres aspects de son travail, qui sera au cœur de cet article. Une société non meurtrière est-elle possible ? La réponse de l’anthropologie est positive, comme le montre l’exemple ethnographique des Semaï. Ces derniers permettent également de répondre de manière très pertinente à une question complémentaire, à savoir les conditions, causes et conséquences de l’absence de meurtre. L’exemple des Waorani nous conduira à étudier la transition du meurtre au non-meurtre, alors que celui des Yanomami traite du meurtre et, plus précisément, de la représentation trompeuse donnée par un anthropologue. Au-delà de ces trois exemples, nous apporterons des données supplémentaires issues notamment de comparaisons transculturelles. Tout ceci est solidement ancré dans un travail scientifique objectif, solide et sophistiqué, réalisé par un groupe international de chercheurs novateurs, respectés et responsables (Sponsel 2010a). Cet article se clôturera par la réfutation de quelques opposants à ces paradigmes : on montrera qu’ils ont surtout vocation à développer une apologie de la guerre et à freiner la paix. Pour des raisons de place, nous ferons l’impasse sur la primatologie et l’archéologie, même si nous nous réfèrerons à quelques travaux majeurs [1].
6Le terme de « non-violence » sera privilégié dorénavant. Il a un sens moins restreint que « non-meurtre » et est beaucoup plus répandu dans l’usage savant. La non-violence se définit comme le rejet de toutes les croyances, les valeurs, les attitudes et les actions susceptibles de blesser autrui. La paix est un processus dynamique qui valorise et nourrit la vie, d’une part en cultivant tous les aspects de la non-violence, d’autre part, en dévaluant et en évitant toute violence quelle qu’elle soit. La guerre est un conflit armé systématique entre groupes dans lequel les tueries de masse se trouvent rationalisées et justifiées (Gelvin 1994).
Les Semaï
7Les Semaï de Malaisie ont été étudiés de manière indépendante par Robert Knox Dentan (1997), puis par Clayton et Carole Robarchek (1998b), à chaque fois durant plus de deux ans. Ils parviennent à la même conclusion : la société Semaï est non-violente et pacifique. Leurs conclusions confirment la perception que les Semaï ont d’eux-mêmes. La non-violence est au cœur de l’éthique de leur société, elle en forme le principe d’organisation et la finalité principale. Toute forme de violence épouvante les Semaï qui la voient comme stupide et dénuée de sens. Ils répondent à la force par la passivité ou le désistement et ne la retournent jamais. Ils affirment ne pas agir par colère et ne jamais blesser personne ni se battre. Non-violence et maîtrise de soi sont pour eux deux valeurs sociales essentielles, inculquées dès l’enfance. Les enfants ne sont jamais battus et seuls les adultes non-violents leur servent de modèles. Il arrive évidemment que des tensions ou des conflits surviennent au sein du groupe mais quand ils durent on les règle par des compensations, des discussions au sein de la communauté jusqu’à ce que les émotions et les préoccupations disparaissent, ou avec l’arbitrage d’anciens respectés. La reconnaissance de la dépendance mutuelle, de la coopération et du partage ainsi que la crainte de dangers externes maintiennent la solidarité sociale (voir aussi Dentan 2000).
8Des observateurs externes ont relevé que cette horreur de la violence chez les Semaï est vieille de plus d’un siècle et que les statistiques du taux d’homicide établies par quelques auteurs sont erronées et exagérées (Knauft 1987, Fry 2006 : 73). Il est cependant vrai qu’en dehors de leur propre groupe, des Semaï furent enrôlés par les Britanniques au début des années 1950 pour combattre les communistes. Ils durent tuer des non-Semaï et ils obéirent. Il s’agit là de la seule exception connue de Semaï meurtriers. Ces recrues furent par la suite totalement réintégrées dans leur communauté d’origine comme des individus pacifiques et non-violents (Dentan 1997 : 55-59, 133). Le caractère non-violent et pacifique des Semaï n’a jamais été ébranlé (Benjamin et al. 2012).
Les Waorani
9En Amazonie équatorienne, les Waorani ou Auca offrent un cas intéressant de passage de la violence à la non-violence. Clayton et Carole Robarchek (1998a) ont mené un travail de terrain dans cette société qui a longtemps eu la réputation de perpétrer des violences tribales marquées par un cycle de crimes de sang et de vendetta. Après que les missionnaires leur eurent montré que leur société pouvait être non-violente et pacifique, les Waorani se sont rapidement transformés en ce sens. Cette transition vers une société non meurtrière témoigne de l’adaptabilité de la nature humaine et de la domination écrasante de la culture sur la biologie. Elle démontre en outre que la manière dont une société construit sa culture – sa vision du monde, ses valeurs et ses attitudes – a des conséquences pratiques qui se manifestent dans le comportement. Ayant travaillé sur les deux groupes, les Robarchek ont ensuite (1998b) comparé les Waorani et les Semaï. Leur culture et leur écologie sont assez similaires, contrairement à leur vision traditionnelle du monde, qui diffère du tout au tout. À ce propos, les recherches antérieures de Peter Broennimann (1981) ont décrit de manière indépendante la transformation des Waorani.
10Il est important de noter que la plupart des Dani de Nouvelle Guinée ont connu une mutation similaire de la violence à la non-violence (Heider 1997 : 172). Souvent, les sociétés indigènes marquées par divers degrés et formes de violence et parfois de guerre, ont été « pacifiées » par les colons européens, la plupart du temps de manière violente (Rodman et Cooper 1979). La multitude d’exemples de ce type montre que la violence n’est pas une pulsion irrépressible de la nature humaine. La paix cependant est un processus dynamique qui n’est ni parfait ni absolu, et quelques meurtres ont encore eu lieu chez les Dani et les Waorani.
Les Yanomami
11R. Brian Ferguson, l’un des plus grands spécialistes en anthropologie de la guerre, fait partie de ceux qui ont appelé à reconsidérer les représentations de certaines cultures marquées par des guerres tribales chroniques et endémiques. Dans un volume qu’il a codirigé avec Neil L. Whitehead (2000), les données apportées par l’ethnohistoire ainsi que par d’autres domaines de recherche montrent qu’une partie non négligeable de ce que l’on avait attribué à des conflits « primitifs » ou tribaux était en fait partiellement engendré par le colonialisme. Si des états de guerre existaient avant les premiers contacts avec les Occidentaux, ils ont été souvent modifiés ou amplifiés par des forces externes. Ces constats remettent en question un grand nombre des comptes rendus ethnologiques sur la guerre, mais aussi la présomption concernant une nature humaine intrinsèquement guerrière.
12Ferguson (1995) a développé cette perspective originale dans l’étude la plus exhaustive, méticuleuse, et pénétrante qui soit de la littérature historique, ethnohistorique et ethnographique sur les Yanomami (alias Yanomamo ou Yanomama) de l’Amazonie brésilienne et vénézuélienne. Il a montré comment ce peuple a été influencé durant des siècles par l’économie politique des systèmes régionaux, nationaux et internationaux, tout d’abord directement à la périphérie de son territoire, puis via des influences qui se sont répandues vers l’intérieur. Il s’est focalisé principalement sur des conflits entre villages, engendrés par la compétition en situations d’accès différencié aux métaux précieux (voir Ferguson 1992).
13Dans une relecture critique de la guerre chez les Yanomami (Sponsel 1996, 2010b), je remets systématiquement en question le bien-fondé scientifique du tableau que dresse Napoleon A. Chagnon (1968). On peut même se demander si l’agressivité des Yanomami relève vraiment de la guerre et pas plutôt de simples brouilles ancestrales utilisant les incursions parmi d’autres tactiques, un phénomène qui rappelle le célèbre exemple historique des Hatfields et des McCoys dans les Appalaches. Ce réexamen de l’ethnographie de Chagnon révèle également que les descriptions de ce dernier contiennent de nombreuses informations sur la non-violence et la paix chez les Yanomami, bien qu’elles soient pour la plupart occultées par son obsession de l’agressivité, ce qui l’écarte des dizaines d’anthropologues qui ont travaillé avec les Yanomami (voir également Sponsel 1998, 2006a, c).
14La peinture des Yanomami comme « peuple féroce » – the fierce people était le sous-titre des trois premières éditions de l’étude de Chagnon – se retrouve dans sa représentation de leur culture au sein des six éditions (1968, 1977, 1983, 1992, 1997 et 2012), ce malgré le retrait du sous-titre après la troisième. Cependant, le sous-titre des mémoires de Chagnon (2013) stigmatise les Yanomami en tant que « tribu dangereuse ». Ses généralisations abusives, son recours aux stéréotypes et ses exagérations ont été contestés par de nombreux anthropologues ayant travaillé avec les Yanomami (Conklin 2013). Ainsi, Kenneth Good (1991 : 69), qui a vécu de manière quasi continue au sein de communautés Yanomami pendant plus de douze ans, écrit :
Plus je commençais à les comprendre, plus je m’insurgeais contre le portrait de « peuple féroce » dressé par Chagnon. Le gars avait clairement sorti de son contexte un aspect du comportement des Yanomami et en avait fait un reportage à sensation. Ce faisant, il avait imposé sur ces gens remarquables la marque de brutes haineuses.
16Plus récemment, en réponse au bref engouement publicitaire autour de la publication des mémoires de Chagnon, l’ong Survival International fit cette déclaration le 26 février 2013 :
Nous, les signataires, avons travaillé avec les Indiens Yanomami pendant de longues périodes et à des moments différents durant les cinq dernières décennies. Nous avons été les proches témoins de la nature paisible d’un peuple qui, comme de nombreux groupes traditionnels, connaît parfois des conflits entre villages (incursions rituelles et duels). Mais le nombre de victimes de ces affrontements contrôlés culturellement est extrêmement limité quand on le compare à celui engendré par la violence et les contaminations que les Yanomami subissent de la part des chercheurs d’or et des éleveurs de bétails qui envahissent leurs terres. Nous sommes en profond désaccord avec la description que propose Napoleon Chagnon, pour qui les Yanomami sont des êtres féroces, violents et archaïques. Nous déplorons également la manière dont les travaux de Chagnon ont été utilisés au fil des ans – et pourraient continuer à l’être – par les gouvernements pour priver les Yanomami de leur territoire et de leurs droits.
18Ce manifeste a été signé par dix-neuf anthropologues qui ont vécu avec les Yanomami, dont plusieurs d’entre eux bien plus longtemps que Chagnon. Cela devrait suffire à réveiller la communauté anthropologique parmi d’autres, peut-être même certains des partisans de Chagnon et ceux qui dans les média et le grand public se montrent d’une étonnante crédulité (voir Corry 2013a) [2].
19Dans un article extraordinairement contesté publié dans Science, Chagnon (1988, 1997) rassemble ses données pour affirmer que plus les hommes Yanomami tuent, plus ils ont de femmes et d’enfants, donc une capacité reproductive plus élevée. Il généralise ensuite cette assertion à l’ensemble de l’évolution humaine, en se passant allègrement de toute analyse transculturelle : « La violence est une force puissante dans la société humaine et peut être la principale force à l’œuvre dans l’évolution de la culture » (Chagnon 1988 : 985). L’argument de Chagnon selon lequel les hommes adultes Yanomami seraient à peine plus que des automates guidés par leurs gènes a été réfuté méticuleusement et en profondeur par de multiples anthropologues pour des raisons théoriques et méthodologiques (Albert 1989 ; Beckerman et al. 2009 ; Corry 2013a ; Ferguson 1989 ; Fry 2006 : 184-199 ; Lizot 1989 ; Miklikowska et Fry 2012 ; Moore, 1990). Ajoutons à cela le préjugé sexiste qui lui fait ignorer les femmes dans la société Yanomami, sinon en tant que machines passives vouées à la production et la reproduction (voir Foster et Derlet 2013) [3].
20Il ressort clairement de ce qui précède que la représentation des Yanomami par Chagnon, l’une des sources les plus citées pour ce qui concerne les guerres tribales, est sérieusement remise en question par un nombre considérable de chercheurs, ce qui questionne également la diabolisation stéréotypée des sociétés dites « primitives » ou tribales, et plus généralement de la nature humaine. Pourtant, des apologistes de la guerre tels Edward O. Wilson et Steven Pinker, entre autres, acceptent aveuglément la représentation que donne Chagnon des Yanomami comme société tribale, « primitive » et vivant dans un état de guerre chronique et endémique, sans tenir aucun compte des critiques nombreuses et variées qu’il a suscitées.
Comparaisons
21Les Semaï, les Waorani et les Yanomami sont des cultures indigènes à part. Après cinq décennies à accumuler des données ethnographiques et des comparaisons transculturelles, on sait que ceci n’est pas rare. Dans son Learning Non-Aggression, Ashley Montagu (1978) a rassemblé un premier ensemble de données ethnographiques sur des cultures non-violentes et pacifiques : les Aborigènes australiens, les Fore, les Inuit, les !Kung San, les Mbuti, les Semaï et les Tahitiens. Il identifie 14 autres sociétés du même type (1978 : 5) : les Arapesh, les Birhor, les Hadza, les Hopi, les Ifaluk, les Lepchas, les Dayaks des terres, les Papago, les Punan, les Tikopia, les Todas, les Veddahs, les Yamis et les Zuni. Montagu en conclut que, « étant donné l’existence de telles sociétés non-violentes et de la diffusion de l’agressivité dans d’autres groupes, il est évident que l’agressivité est une donnée culturelle acquise et non un instinct déterminé biologiquement ». Il ajoute que de nombreux peuples analphabètes ont aisément renoncé aux combats, aux incursions et à la guerre (Montagu 1978 : 9).
22Notons ici que, dans son Nature of Human Aggression, Montagu (1976) a été l’un des premiers à rejeter le réductionnisme et le déterminisme biologiques reflétés dans certains stéréotypes pseudo-scientifiques tels l’Homme chasseur ou guerrier, le Singe tueur, la Bête intérieure et autre Mâles diaboliques. Il qualifie de telles constructions simplistes de « mythes de la dépravation innée ».
23Montagu (1905-1999) était un bioanthropologue très respecté au sein de l’université, mais également un intellectuel public de premier plan que l’on pouvait facilement écouter lors d’interviews télévisés. Curieusement, les apologistes de la guerre semblent ignorer ses travaux – ou alors, ils les négligent volontairement de crainte qu’ils n’invalident automatiquement leurs théories (Sponsel 2006b ; voir aussi Mead 1940).
24Depuis les travaux pionniers de Montagu sur l’anthropologie de la paix dans les années 1960 et 1970, de nombreuses publications ont vu le jour, accroissant en mesure considérable les données savantes : elles comportent au moins cinq ensembles d’études de cas ethnographiques (Evans Pim 2010 ; Fry et Bjorkqvist 1997 ; Howell et Willis 1989 ; Kemp et Fry 2004 ; Sponsel et Gregor 1994), quatre monographies majeures (Dennen 1995 ; Fry 2006 ; Kelly 2000 ; Melko 1973), une bibliographie annotée sur 47 sociétés pacifiques (Bonta 1993) et, depuis 2005, un site encyclopédique décrivant 25 sociétés non-violentes et offrant toute une panoplie d’autres informations (www.peacefulsocieties.org). Dennen (1995) établit une liste de 152 sociétés de ce type. À ce jour, plus d’une centaine de sociétés pacifiques ont été identifiées et documentées, certaines en détail, et le plus souvent par plusieurs recherches indépendantes. Il est fort probable que beaucoup d’autres cultures similaires ont existé au cours de l’histoire, et plus encore à la préhistoire [4].
25D’autres études comparatives de grande qualité attestent l’existence de nombreuses sociétés non-violentes et pacifiques. David Fabbro (1978) s’est penché sur les « Peaceful Societies », selon le titre de son article fondateur paru dans le Journal of Peace Studies. Les sociétés en question étaient les Inuits du cuivre, les Hutterites, les insulaires de Tristan da Cunha, les Kung, les Mbuti, les Semaï et les Siriono. Il remarqua qu’on avait à faire à de petites communautés marquées par une structure sociale égalitaire, une réciprocité généralisée, des prises de décisions consensuelles, enfin des valeurs et un conditionnement non-violents. Aucune trace, chez eux, de violence, guerre, menaces externes, stratification sociale, leadership politique, police et armée.
26Bruce D. Bonta (1996 : 404-405) a confirmé de manière indépendante les conclusions de Fabbro tout en les développant à travers un échantillon transculturel plus large. Il a démontré que la vision du monde, l’éthique, les valeurs, attitudes, pratiques, institutions et règles de ces groupes diffèrent fondamentalement des communautés guerrières et violentes. Il a relevé des différences en ce qui concerne leur perception de la nature humaine, le conflit, la résolution des disputes et l’intolérance à la violence. Bonta a observé que la paix appartient aux sociétés humaines caractérisées par un degré relativement élevé d’harmonie interpersonnelle, peu ou pas de violence physique, des stratégies efficaces pour résoudre les conflits de manière non-violente et prévenir la violence, une détermination à éviter des affrontements violents avec d’autres peuples et des stratégies pour l’éducation et la socialisation des enfants afin qu’ils apprennent et adoptent des attitudes non-violentes. Bonta identifie en outre six stratégies pour la résolution non-violente des conflits : l’automodération, la négociation, le maintien à distance, l’intervention, les rencontres pacificatrices et l’humour. Il souligne que (1996 : 414) :
La raison fondamentale de la nature pacifique de ces sociétés vient de ce que les gens sont fermement opposés à la violence physique et foncièrement attachés à la non-violence […]. La violence n’est jamais acceptable […]. Les comportements pacifiques sont pour eux un engagement absolu.
28Dans mon analyse « The Natural History of Peace: A Positive View of Human Nature and Its Potential » (1996), j’ai rassemblé, au titre d’exercice heuristique expérimental, les preuves et arguments issus des quatre sous-domaines de l’anthropologie afin de démonter le « mythe de la dépravation innée ». J’en conclus que : 1. Alors que le conflit est inévitable et universel, la violence ne l’est pas. 2. La nature humaine possède le potentiel psychobiologique pour être soit non-violente et pacifique, soit violente et guerrière. 3. La non-violence et la paix dominaient dans la plupart des sociétés préhistoriques et des sociétés non étatiques. 4. La guerre n’est pas un universel culturel. 5. Par conséquent, la nature humaine possède une capacité latente à développer un monde moins violent et pacifique. Soit dit en passant, cet article est issu d’une communication donnée dans le cadre d’un colloque intitulé « What Do We Know About Peace » (Que savons-nous de la paix ?) où seulement deux autres participants, Kenneth Boulding et Johan Galtung, ont abordé directement la question de la non-violence et de la paix. Le reste des intervenants se focalisa sur la violence et la guerre, ce qui est assez typique des biais systémiques déjà évoqués.
29Dans Warless Societies and the Origin of War, Raymond C. Kelly (2000) offre une analyse critique extrêmement détaillée et sophistiquée. Pour expliquer l’évolution de la guerre, il développe un modèle général fermement ancré dans la comparaison transculturelle et étayé par des données archéologiques. Il fait alors une observation capitale (2000 : 121-124, 160) :
L’origine de la guerre est une question digne d’un intérêt durable car les conclusions auxquelles on arrive sont essentielles pour nos conceptions de la nature humaine, et que ces conceptions influent à leur tour sur les philosophies politiques qui modèlent et légitiment nos institutions sociales.
31Selon Kelly (2000 : 10), la guerre ne prend pas sa source seulement dans la peine capitale ou la vengeance du sang. Il montre que la plupart des sociétés du Paléolithique supérieur ne connaissaient pas la guerre (2000 : 147-148) ; les traces les plus anciennes de guerre remontent aux Nubiens autour de 12 000-14 000 av. J.-C. ; l’état de guerre était rare ou inexistant jusqu’à assez tard dans la préhistoire humaine, vers 7 500-7 000 av. J.-C. ; il était lié d’abord au développement de l’agriculture et des villages sédentaires, puis aux rivalités pour les voies commerciales, enfin aux États comme organisations politiques centralisées et hiérarchisées. À l’échelle humaine, les quelques milliers d’années de guerre épisodiques représentent un phénomène extrêmement récent si l’on tient compte d’une histoire évolutive vieille de plus de deux millions d’années (Keeley 1996 ; LeBlanc et Register 2003 ; Otterbein 2009 ; Pinker 2011 ; Wilson 2012).
32Il n’y a pas de guerre chez les chasseurs-cueilleurs nomades (Kelly 2000 : 44-45, 56-57) qui ne se composent que de groupes sociaux minimaux, tels que la famille nucléaire universelle et la communauté locale. Ils n’ont aucun niveau supérieur d’organisation sociale, aucun sous-groupe, aucune notion de responsabilité du groupe. Les vengeances n’engendrent pas des vendetta. L’appartenance au groupe est fluide plutôt que rigide et le stockage de la nourriture n’existe pas. Les groupes sédentaires ou les sociétés spécialisées de cueilleurs, en revanche, possèdent une hiérarchie segmentée et sont sensibles aux notions d’atteinte au groupe, d’obligation et de responsabilité, qui se combinent pour servir de base à la vendetta ou à la guerre (Kelly 2000 : 46-48). Or la plupart des travaux ayant précédé les recherches de Kerry avaient échoué à distinguer les sociétés « segmentées » et « non-segmentées » de cueilleurs. Comme on trouve des phénomènes de guerre dans les sociétés segmentées, certains auteurs ont affirmé à tort que ceci s’applique à toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs, ce qui est faux (voir également Fry 2013 : 8 ; Fry et Soderberg 2013 ; Kelly 2013).
33L’absence de guerre dans les groupes nomades de chasseurs-cueilleurs connus dans l’histoire par l’ethnographie et dans la préhistoire par l’archéologie est très importante puisque de telles sociétés représentaient 99 % de l’humanité. Pratiquement tout ce qui pouvait relever de la nature humaine s’est développé à cette époque dans ce genre de sociétés, donc dans les conditions d’absence de guerre que nous avons décrites. Cette seule donnée scientifique invalide toute affirmation relative à l’inéluctabilité universelle de la guerre dans les sociétés humaines.
34Il faut noter qu’indépendamment de Kelly, le physicien nucléaire Stephen S. Younger (2008, 2012) a publié une étude comparative très raffinée des sociétés insulaires du Pacifique grâce à son expertise des modèles informatiques et des simulations. L’une de ses conclusions a des implications évolutionnaires majeures : les sociétés de petite dimension, égalitaires ou non-segmentées, ont beaucoup plus de chance de survivre si elles évitent la violence que si elles la pratiquent.
35Dans de nombreuses publications qui s’étalent sur plus de vingt ans, Douglas P. Fry a démontré que les humains peuvent vivre dans des communautés non-violentes et pacifiques, et que la violence et la guerre ne sont ni universelles ni inévitables. Il a prouvé en outre qu’une grande partie de la recherche passée et récente est biaisée par le préjugé d’une sorte de « bête humaine » qu’il associe au « Mythe du Guerrier », une affirmation nébuleuse selon laquelle la guerre est ancienne, universelle, naturelle, normale et inévitable. Fry affirme au contraire que la raison et les données contredisent irréfutablement ce mythe. Il associe ce dernier à un préjugé culturel nourri en partie de présupposés occidentaux sur la nature humaine : il s’agirait d’un postulat inconscient et non vérifié, fondé sur une représentation sélective de la guerre et qui exagèrerait l’agressivité du genre humain. Il repose sur une pensée superficielle et imprécise qui se limite à définir la guerre comme agression entre groupes et la confond donc avec la violence interpersonnelle et les crimes de sang.
36Fry identifie deux modèles opposés de la nature humaine. Le modèle du Guerrier est défendu, entre autres, par les sociobiologistes et les psychologues évolutionnistes. Selon ce schéma, la rivalité masculine pour la puissance reproductive engendre un militarisme belliqueux et la guerre. Fry dénonce, dans son analyse critique très pointue, le préjugé culturel, l’usage sélectif des données et le manque de précision qui préside à ce modèle. Il étudie le cas du portrait des Yanomami dressé par Chagnon. Le second modèle de Fry est celui du Cueilleur Nomade Pacifique. Là, la sélection naturelle crée une gestion non-violente des conflits et aide au maintien de la paix (cf. Bonta 1997).
37Grâce à leur idée d’un continuum de la paix à la guerre, Baszarkiewicz et Fry (2008 : 1560-1561) aident à dépasser quelquesuns des problèmes d’identification d’une société comme purement non-violente ou violente. Dans le premier cas, la violence et même le meurtre peuvent se produire mais sont extrêmement rares. Même dans une société violente comme les États-Unis, la plupart des gens ne sont pas violents et ne tueront jamais personne. Cette idée de continuum peut également permettre d’envisager une variation intrasociétale et intersociétale, en reconnaissant que la plupart des sociétés se trouvent entre les deux plutôt qu’à un extrême donné, et que leur position peut changer dans une direction ou une autre, selon des circonstances propres à chaque société. Ce continuum transcende la pensée absolutiste et essentialiste du « soit… soit », tout ou rien, jamais ou toujours.
38Pour Fry, diverses combinaisons de facteurs facilitent la gestion des conflits dans les différentes sociétés : évitement, tolérance, négociation, justice privée, maintien amicale de la paix, médiation, arbitrage, adjudication et pacification autoritaire. Fry souligne que la capacité d’adaptation humaine et la gouvernance internationale pourraient engendrer plus de paix dans l’avenir. Il suggère qu’on peut faciliter l’avènement de la paix en étendant la résolution non-violente de conflits du niveau démocratique aux relations internationales et en reconnaissant ainsi l’interdépendance (économique, sécuritaire, et environnementale), en développant des liens transversaux et en renforçant le système des Nations Unies et les alliances régionales (Fry 2006).
39Pas plus Fry que Kelly, Younger et les autres ne sont opposés à la science, à la biologie, ou à l’évolution. D’ailleurs les publications de Fry embrassent clairement les trois. Il est critique, objectif, systématique, holistique et comparatif. Ses travaux obéissent aux faits et à la raison, et non à l’idéologie politique. En outre, certains aspects de ses travaux ont été confirmés et développés par des recherches réalisées récemment dans les différents sous-domaines de l’anthropologie et d’autres disciplines (Bonta 2013 ; Fry 2013 ; Evans Pim 2009, 2010) [5].
Magiciens
40À divers égards et degrés, certains anthropologues et autres savants apparaissent comme des magiciens. Ils s’érigent en défenseurs de la guerre en accusant une vague nature humaine d’être responsable de la guerre et de la violence, au lieu de reconnaître l’importance des contextes spécifiques ainsi que des choix politiques, moraux et personnels qui constituent en fait les facteurs déterminants. Ils résistent également à la paix parce qu’ils négligent, voire ignorent, le répertoire de sociétés non-violentes et pacifiques qui a été établi au cours du dernier demi-siècle. L’anthropologue culturel Robert B. Edgerton dans Sick Societies: Challenging the Myth of Primitive Harmony (1992), l’archéologue Lawrence H. Keeley dans War Before Civilization (1996), les primatologues Richard Wrangham et Dale Peterson dans Demonic Males: Apes and the Origins of Human Violence (1996), son confrère Michael P. Ghiglieri dans The Dark Side of Man: Tracing the Origins of Male Violence (1999) et l’archéologue Steven A. LeBlanc dans Constant Battles: The Myth of the Peaceful Noble Savage (2003), écrit en collaboration avec Katherine E. Register, revendiquent l’universalité de la guerre dans le temps et l’espace comme manifestation inévitable de la nature et de l’évolution humaine (Sponsel 2012 : 21-30). Ils affirment en outre que la trajectoire évolutive et la psychobiologie de l’Homo sapiens engendrent inévitablement la territorialité, la compétition, l’hostilité, la violence, et la guerre dans et entre les sociétés humaines. D’aucuns reconnaissent leur idéologie politique déguisée, volontairement ou non, en démarche scientifique et savante. Celle-ci diffuse et célèbre le modèle du Guerrier dans lequel l’homme prédateur se replie sur lui-même pour chasser sa propre espèce, devenant ainsi le premier singe tueur (voir Ardrey 1976 ; Fry 2011 ; Sussman 2013).
41Keeley, par exemple, se donne pour objectif de dévoiler et de réfuter la prétendue « pacification du passé » qu’il impute à des anthropologues vaguement gauchistes. Or il définit la guerre de manière tellement vague qu’il en devient incompréhensible (Otterbein 2009). Bien qu’archéologue, il néglige les sérieuses défaillances des données préhistoriques et construit des interprétations parfaitement biaisées à partir des « données » qu’il présente. D’un autre côté, Keeley ne prête aucune attention à toute cette littérature qui documente de manière irréfutable la présence de sociétés non-violentes et pacifiques (Haas et Piscitelli 2013).
42Cet état d’esprit, accompagné par le mantra de la « dépravation innée », se maintient depuis l’époque du journaliste Robert Ardrey et ses African Genesis (1961), Territorial Imperative (1966) et Hunting Hypothesis (1976), mais aussi, pour ce qui est de la « dépravation » depuis le Leviathan de Thomas Hobbes (1651). Sigmund Freud (1930) et son Malaise dans la civilisation ou encore l’éthologue Konrad Lorenz (1966) dans On Aggression y ont également contribué à la fois à l’échelle savante et publique. Le philosophe James Kern Feibleman dans The Destroyers: The Underside of Human Nature (1987) en est un autre exemple. Tous reflètent la soi-disant idéologie politique réaliste qui repose sur une image sombre de la nature humaine (Berry 1986 ; Clark 2002 ; Curtis 1980 ; Kegley et Raymond 1999 ; Kupperman 2010 ; Sahlins 2008 ; Sponsel 2007).
43Le biologiste Edward O. Wilson a récemment (2012) reconduit ce point de vue avec son ouvrage The Social Conquest of Earth et ses chapitres aux titres révélateurs : « Le tribalisme, un trait fondamentalement humain » et « La guerre comme malédiction de l’Humanité ». Il assimile le tribalisme à l’universel « comportement de groupe » : ce dernier serait une sorte de tendance supposément programmée ou innée à l’identité sociale d’un groupe, elle-même automatiquement quoiqu’inexplicablement liée à la territorialité, l’hostilité et l’agressivité à l’encontre de groupes externes. Selon Wilson (2012 : 62) :
Notre nature sanguinaire – on peut l’affirmer dans le contexte de la biologie moderne – est enracinée en nous parce que le schéma « groupe contre groupe » a été la principale force motrice qui a fait de nous ce que nous sommes. Durant la Préhistoire, la sélection du groupe a hissé des hominidés, devenus des carnivores territoriaux, vers les hauteurs de la solidarité, du génie, de l’entreprise – et de la peur. Chaque tribu savait d’expérience que sans armes et sans préparation, sa propre existence était en danger. Tout au long de l’histoire, le combat a été la raison principale de l’évolution d’une grande partie de la technologie.
45Wilson révèle ensuite qu’il ne « faudrait pas croire que la guerre, souvent accompagnée de génocides, est un artefact culturel propre à quelques sociétés. Elle n’a pas été davantage une aberration de l’histoire, le résultat des douleurs croissantes de la maturation des espèces. Guerres et génocides sont universelles et éternelles et n’épargnent aucune époque ni aucune culture » (ibid. : 65).
46Le raisonnement de Wilson peut relever d’une construction logique : il n’en est pas moins une histoire fallacieuse et spéculative. Elle s’inscrit dans la lignée des évolutionnistes du xixe siècle et est dépourvue d’une quelconque assise empirique, sans parler de la prise en compte des solides données scientifiques évoquées dans cet article et qui affirment le contraire. Nous sommes en pleine fiction et à mille lieues de la science. Il s’agit là d’un déterminisme biologique étonnamment simpliste et réducteur, surtout quand il émane d’un savant par ailleurs réputé et subtil, qui est aussi un intellectuel de renom. D’aussi grossières généralisations, qui naturalisent et normalisent la guerre et la violence en général, sont complètement démenties par les variations extraordinaires que l’on observe à l’intérieur et parmi les tribus et les autres sociétés, de la préhistoire à nos jours. Si quelque tendance naturelle à l’agressivité existait vraiment comme le fantasme Wilson, il règnerait sur terre bien plus de violence et de guerres.
47Il faut également noter que de nombreuses données issues de la psychologie contredisent l’idée du Mâle diabolique et d’autres modèles aussi spéculatifs que spécieux. Par exemple, les soldats doivent être entraînés pour tuer : cela ne leur vient pas naturellement. Évitons les euphémismes et, pour être candides, disons que la guerre, ce massacre en série commis par du personnel militaire puis rationalisé et célébré comme héroïque, est le seul effet d’une programmation soignée et qu’elle n’est pas implantée dans les gènes. En dépit d’un entrainement rigoureux, d’une préparation et d’un endoctrinement qui inclut à la fois une désensibilisation du soldat et une déshumanisation de l’ennemi, la plupart du personnel militaire ne tue pas, même sur le champ de bataille. Seuls 20 % environ des soldats de combat utilisent leurs armes. Ceux qui tuent souffrent généralement de troubles émotionnels persistants, et pour beaucoup, par la suite, du syndrome de stress post-traumatique. Tirer sur quelqu’un peut être plus traumatisant que de se faire tirer dessus. Plus surprenant, même les opérateurs de drones, qui semblent froidement tuer à distance d’autres êtres humains, comme dans un jeu vidéo, peuvent également souffrir de troubles de ce genre. En bref, il existe généralement une inhibition naturelle, tant psychobiologique que sociale, qui nous empêche de tuer autrui. Des pressions sélectives ont sûrement facilité la non-violence et la paix comme adaptations réussies de l’évolution humaine (Evans Pim 2009 : 327-340, 359 ; Fry 2006, 2013 ; Hughbank et Grossman 2013).
48Fry, de manière à la fois perspicace et très utile, identifie et analyse en détail sept stratégies utilisées par les magiciens pro-guerre dont on parle ici pour contester, nier ou ignorer l’existence de sociétés non-violentes et pacifiques :
l. Mettre l’accent avec insistance sur la violence et ignorer simplement toute preuve du contraire […] 2. Établir des conditions impossibles à remplir, tel que demander qu’une société pacifique soit de tout temps exempte de toutes formes d’agressivité, trouver quelques exceptions apparentes ou réelles à cette règle définitoire et rejeter la société en question comme évidemment non pacifique […] 3. Comptabiliser tous les conflits comme s’il s’agissait d’agressions […] 4. Mentionner un taux d’homicides gonflé pour exagérer la violence […] 5. Faire un usage adroit de la terminologie en ce qui concerne la guerre afin d’accroître le nombre de sociétés qui y sont impliquées […] 6. Déplacer dans le temps et dans l’espace des cas de violence ou de guerre pour les utiliser totalement hors contexte 7. Créer une société pacifique « bidon » puis détruire sa création.
50Face au déni des tenants de la guerre et des résistants à la paix qui balaient le corpus de données sur l’histoire naturelle de la non-violence et de la paix accumulées depuis un demi-siècle et présentées ici, deux seules conclusions logiques s’imposent : soit (1) leur auteur est complètement ignorant des recherches sur son sujet et a donc négligé de mener un travail de recherche digne de ce nom pour proposer une approche objective et équilibrée, soit (2) leur auteur est en parfaite mauvaise foi et évite volontairement les preuves et arguments qui le contredisent. Dans les deux cas, on pourrait se dire que l’auteur en question est irresponsable et ne mérite pas le titre de savant ou de chercheur. En outre, dans quelques cas, privilégier l’étude de la guerre et d’autres formes de violence à l’exclusion de toute considération de la non-violence et de la paix peut revenir pour certains lecteurs à naturaliser, normaliser, légitimer et célébrer la violence et la guerre et par là même, indirectement, à les faciliter.
51The Better Angels of Our Nature: Why Violence Has Declined de Steven Pinker (2011) est l’un des exemples les plus récents de cette attitude. Pinker affirme grosso modo que la violence a décliné dans l’histoire récente en gonflant démesurément la violence à l’époque préhistorique, tout en négligeant totalement la prolifération de travaux sur les sociétés non-violentes et pacifiques. Le travail de Pinker a été rejeté comme de la pseudo-science par de nombreux chercheurs (Corry 2013b ; Ferguson 2013 ; Fry 2013 : 15-20). Dans les cas de Wilson et de Pinker, on est en droit de se demander s’ils ne sont pas simplement aveuglés par des préjugés culturels voire par une idéologie politique, mais aussi impliqués dans une science frauduleuse (Smith 2013, Williams 2012).
Autres obstacles
52Il existe encore d’autres obstacles aux études sur la paix et au paradigme de Paige. Un biais systématique et persistant dans la culture occidentale, en particulier en Amérique, consiste à se focaliser sur la violence et la guerre – voire, tragiquement, à les mettre en œuvre. En partie, cela résulte du complexe industrialo-militaro-scientifico-universito-médiatique, surtout aux États-Unis. Cette approche reflète également quelques variantes du christianisme [6].
53La science et la recherche ne sont pas nécessairement apolitiques et amorales. Elles peuvent être faussées par la culture, la religion, l’idéologie, la politique, l’économie, la personnalité… Il devrait être évident, toutefois, qu’en se focalisant de manière exclusive sur la violence et la guerre, au détriment de la non-violence et de la paix, on produit des résultats biaisés et trompeurs (Kurlansky 2006, Martin et al. 2012).
54Cette tendance est un fait avéré qu’on peut quantifier dans les domaines du grand public, de la recherche universitaire, des sciences, des études sur la paix et de l’anthropologie. Ainsi, dans une enquête menée sur les articles du Journal of Peace Research, Hakan Wiberg (1981) révèle qu’entre 1964 et 1980 un seul article sur 400 porte sur la paix, à savoir celui de Fabbro (1978) qu’on a déjà évoqué. Plus récemment, sur les 289 entrées de l’Encyclopedia of Violence, Peace, and Conflict (Kurtz 2008), seuls 10 (3.5 %) sont consacrés à la non-violence, 29 (10 %) à la paix, alors que le reste se concentre sur divers aspects de la violence et de la guerre. Le tableau 1 présente des données supplémentaires montrant cette tendance à partir d’une recherche par mots-clefs, menée le 14 décembre 2013, dans différentes sources indépendantes dans les média (amazon.com et google.com) ainsi que dans les index des publications en anthropologie (Abstracts in Anthropology et AnthroSource de l’Association Américaine d’Anthropologie). AnthroSource recense les publications de 32 périodiques. L’intérêt disproportionné pour la violence et la guerre comparées à la non-violence et la paix saute aux yeux. En outre, même un grand nombre des citations qui apparaissent sous le mot « paix » sont majoritairement pour ne pas dire exclusivement consacrées aux conflits, à la violence, voire à la guerre.
Données quantitatives des tendances à privilégier systématiquement la violence et la guerre
Données quantitatives des tendances à privilégier systématiquement la violence et la guerre
55Ce décalage frappant est d’autant plus troublant qu’il est impossible de mettre en place une société non-violente et pacifique si l’on ignore ces phénomènes. Prenons comme analogie le fait que la santé et la maladie sont des concepts nécessairement complémentaires. N’étudier que la maladie ne suffit pas si le sujet porte sur la santé et l’inverse est tout aussi vrai. Par ailleurs, négliger les composantes de la non-violence et de la paix dans une société affecte la réalité au point qu’elle devient fallacieuse, ce qui peut avoir de graves conséquences pratiques (Sponsel 1998, 2010a, b).
56Au-delà de la recherche universitaire et à un niveau plus pratique, un tel regard biaisé peut également décourager l’intérêt pour la paix et le pacifisme. Les thèses diffusées par nos magiciens ne font qu’aggraver ce phénomène. Dès lors que la guerre est conçue comme une tendance inhérente à la nature humaine, elle devient inévitable et inaltérable. Ce malaise persistant peut tout à fait contribuer à ce que des responsables politiques privilégient l’action militaire au détriment des solutions diplomatiques en cas de conflits, qu’ils poursuivent la course aux armements, y dépensent des sommes faramineuses au lieu de les affecter à d’autres besoins tels que la recherche médicale et l’éducation, et envisagent même des frappes préventives (voir Fry 2006 : 251, 262 ; 2013 : 5).
57Maints auteurs écrivant sur la guerre et la paix insistent sur un concept négatif de la paix, conçue simplement comme absence de guerre. Ils se focalisent sur la violence directe, la résolution violente des conflits, la guerre en tant que fait naturel, la défense de la nation et des symptômes superficiels au lieu des causes profondes – c’est l’approche dite réaliste. Le concept positif de paix est, en revanche, beaucoup plus inclusif. Il se concentre sur les droits humains, la défense de l’humanité, la violence structurelle ou indirecte, les causes fondamentales de la violence et de la guerre, la résolution non-violente des conflits et la paix comme fait naturel – tel est l’approche dite « libérale ». La paix est bien davantage que la simple absence de guerre, tout comme la vie est bien davantage que la simple absence de mort (Sponsel 1994).
58En fin de compte, ces contrastes reflètent souvent une différence fondamentale d’idéologie politique malgré la prétention apolitique et amorale affichée par la plupart des scientifiques. En Amérique, les « réalistes » ou conservateurs ont tendance à porter un regard pessimiste sur les êtres humains et à les considérer comme diaboliques et guidés par des instincts égoïstes ; à voir la politique internationale uniquement comme une compétition pour le pouvoir et l’intérêt national ; à tenir la guerre pour inévitable ; à tout plier à l’intérêt national ; à priser la force de défense comme nécessaire pour vaincre ou conquérir les ennemis et la violence comme le moyen le plus efficace de résoudre les conflits. À l’inverse, l’« idéaliste », le démocrate ou le sympathisant de gauche tend à considérer les humains avec optimisme, l’altruisme comme naturel, la politique internationale comme coopération en vue d’intérêts et de principes partagés, la paix comme inévitable et prioritaire, les intérêts nationaux et internationaux comme généralement coïncidant, les organisations internationales comme indispensables et la résolution non-violente des conflits comme la voie la plus séduisante et la plus efficace (Kegley et Raymond 1999 : 20-21, 245). Il va sans dire que les individus et les groupes peuvent ne pas rentrer parfaitement dans l’une ou l’autre catégorie, en fonction des circonstances et des enjeux spécifiques.
59Si les opinions politiques d’un chercheur peuvent exercer une certaine influence, elle peuvent et doivent être tempérées afin d’éviter une trop grande partialité. Il arrive cependant que l’idéologie conduise la recherche à un niveau non seulement biaisé mais aussi gravement trompeur et peut-être même dangereux. La recherche et la science qui défendent et célèbrent l’universalité, la normalité et l’inévitabilité de la guerre et de la violence comme étant le fruit de la nature humaine voire de l’évolution, et négligent, par ignorance ou mauvaise foi, la riche et rigoureuse documentation savante issue de l’ethnographie et de l’ethnologie de la non-violence et de la paix, s’exposent à être accusés de manque de professionnalisme, de responsabilité et de sens de l’éthique.
Conclusions
60La non-violence et la paix ne sont pas rares, même si elles sont peu reconnues en dépit du savoir accumulé depuis un demi-siècle. Les partis pris culturels et idéologiques en Occident, surtout en Amérique du nord, tendent à présenter la nature humaine comme naturellement compétitive, territoriale et agressive. Pourtant, les tueries de masse, notamment dans le cadre d’états de guerre justifiés par quelques rationalisation que ce soit, sont des aberrations récentes de l’évolution humaine.
61Comme le révèle, entre autres considérations, l’absence de guerre au sein des sociétés traditionnelles de chasseurs-cueilleurs nomades, qui représentent 99 % de l’humanité, la non-violence et la paix sont bien plus universelles que la violence et la guerre. Dans de très nombreuses sociétés avérées historiquement, telle celle des Semaï, l’homicide et toutes les manifestations de violence sont très rares et la guerre n’existe pas. Ajoutons à cela qu’il y a des variations considérables dans la manière dont s’expriment la violence, la non-violence, la guerre et la paix parmi les quelques 7 000 cultures du monde contemporain ; elles rendent indéfendable et irresponsable toute généralisation simpliste de ces phénomènes comme de la préhistoire, de l’évolution, de la nature humaines et des tribus. Même dans des sociétés comme celle des Yanomami, où quelques agressions entre personnes ou entre groupes peuvent se produire de diverses manières et à différents degrés, l’agressivité n’a rien d’habituel. Certains attributs sont indispensables pour qu’une société survive, à savoir la sociabilité, la coopération, la réciprocité, l’altruisme et l’empathie ; ils dissuadent les gens de s’impliquer dans des violences ou des guerres. Les interactions sociales qui améliorent la vie au quotidien sont beaucoup plus nombreuses que celles qui la dégradent. Au cours de son évolution, l’espèce humaine a dû sélectionner des comportements qui améliorent l’existence. On trouve également des sociétés comme celle des Waorani qui, de meurtrière, est devenue pacifique, démontrant ainsi l’adaptabilité de la nature humaine et l’emprise de la culture sur la biologie. Lorsque la non-violence et la paix ne sont pas prises en compte, les considérations sur l’évolution, la condition et la nature humaines, les cultures, les religions, l’histoire de la culture et les conflits pêchent par manque de rigueur et peuvent même se révéler gravement trompeuses.
62La non-violence et la paix méritent à n’en pas douter autant d’études sérieuses, systématiques et empiriques que la violence et la guerre. Pour cela, il faut que les partis pris idéologiques soient dépassés par ces anthropologues et autres chercheurs qui voudraient que leur légitimité de savants et d’universitaires soit reconnue. Paige (2009 : 126) considère que chacun peut être un centre pour une société globale non meurtrière et faciliter de la sorte la transition vers un monde pacifique. Ceci s’applique sûrement aux anthropologues et autres chercheurs : ils peuvent contribuer à ce changement de paradigme à travers leur enseignement, leur recherche et leurs publications, et ainsi faire avancer la non-violence et la paix. Ce qui est sûr, c’est que nul ne peut promouvoir quoi que ce soit en l’ignorant.
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Notes
-
[1]
Les thèmes abordés dans ce travail sont développés plus amplement dans les citations de la bibliographie, voir en particulier Fry 2013.
-
[2]
Pour un répertoire d’études axées sur la figure du « Sauvage brutal », voir www.survivalinternational.org/articles/3272-brutal-savage-myth
-
[3]
Pour une critique de la psychologie évolutive, voir McKinnon 2005.
-
[4]
Pour un bilan historique des périodes de paix sur un siècle et davantage dans 52 sociétés constituées en États, voir Melko 1973.
-
[5]
Pour des comptes rendus historiques des contributions anthropologiques aux études sur la paix, voir Dentan 2012, Kehoe 2012 et Sponsel 1994. Pour ce qui est de l’anthropologie de la guerre, voir Ferguson 1984, 2007, Otterbein 1999 et les réponses à ce dernier par Dentan 2002, Sponsel 2000 et Whitehead 2000.
-
[6]
Pour une documentation approfondie sur la culture américaine du militarisme guerrier, voir Andreas 2004, Churchill 2003 et Davies 2013.