Notes
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Diffusion : Fédération nationale École des parents et des éducateurs. http://www.ecoledesparents.org
Petit détour par le contexte
1 En protection de l’enfance, il est fondamental que l’enfant soit au cœur des réflexions et des actions. Son arrivée au sein des différents services de l’Aide sociale à l’enfance se fait suite à un vécu traumatique (carences diverses, négligences, maltraitances). Afin que notre accompagnement soit au plus près des besoins, nous devons comprendre la problématique et prendre en compte l’univers familial de l’enfant. Les liens, la relation qu’il entretient avec ses parents et son environnement sont des indices nous permettant de mieux cerner la dynamique familiale qui s’est créée. De ce fait, un étayage de l’enfant mais également des parents s’organise.
2 Afin que puisse se mettre en œuvre un travail dans le cadre du soutien à la parentalité, des réflexions doivent pouvoir s’engager dans les équipes des Maisons d’enfants à caractère social et plus largement dans l’institution. Il s’agit là de s’interroger sur les représentations qu’en tant que professionnels nous nous sommes construites des parents. C’est installer une manière de penser l’accompagnement des parents au-delà des réorganisations, des lois, des recommandations, des orientations du département, des contextes financiers tendus… C’est créer des espaces qui sont dédiés aux familles et les maintenir dans le temps malgré les contraintes de toutes sortes. C’est un travail de longue haleine qui doit constamment se poursuivre et être remis en réflexion. Il permet, au fil du temps, de considérer l’accompagnement à mener non plus seulement du côté des failles parentales mais du côté des compétences parentales à faire émerger.
3 À l’image des cairns croisés sur les chemins, il s’agit de penser ici la mise au travail des représentations dans cette complexité, mais également dans cet équilibre en jeu dans le déséquilibre, c’est-à-dire dans le croisement de confrontations aux différents partenariats et collectifs rencontrés de cultures différentes et dans des co-interventions concrètes.
4 Les travaux de Didier Houzel et de ses collaborateurs (1999) nous ont permis, sans aucun doute, de structurer les réflexions que nous avions à traiter sur le terrain autour des trois axes de la parentalité qu’il a pu définir : l’exercice, la pratique et l’expérience de la parentalité.
5 • L’exercice de la parentalité est entendu dans le sens de l’exercice d’un droit ; « il organise jusqu’à un certain point la parentalité en situant chaque individu dans ses liens de parenté et en y associant des droits et des devoirs. Sur le plan psychodynamique, l’exercice se rattache aux interdits qui organisent le fonctionnement psychique de tout sujet et notamment le tabou de l’inceste » (ibid., p. 4) ;
6 • L’expérience de la parentalité désigne « l’expérience subjective consciente et inconsciente du fait de devenir parent et de remplir des rôles parentaux » (ibid., p. 151) ;
7 • La pratique de la parentalité désigne « les tâches quotidiennes que les parents ont à remplir auprès de l’enfant ». C’est le domaine des soins parentaux.
8 Nous devons également prendre en compte des dimensions inhérentes à notre contexte d’intervention.
L’injonction d’aide
9 Nous nous trouvons d’abord confrontés, dans le champ de la protection de l’enfance, à des parents pour lesquels la demande d’aide et d’accompagnement est formulée par des tiers socio-éducatifs et judiciaires : le juge des enfants et par délégation l’ase. Les familles n’en ont en général pas pris l’initiative et sont contraintes d’accepter l’injonction d’aide sans avoir demandé à rencontrer une équipe éducative. Nos interventions sont ainsi confrontées d’un côté aux attentes de la justice et d’un autre côté à l’opposition des familles au placement et à une aide éducative imposée et non désirée, vécue comme intrusive, incompréhensible, inutile.
10 Aide, accompagnement et contrainte peuvent apparaître d’emblée antinomiques. Dans notre champ d’intervention, si nous nous cantonnions au postulat qui considère que sans demande il ne peut y avoir d’accompagnement, nous n’accompagnerions que peu de jeunes et de familles et nous nous situerions dans une attente de ce fameux « déclic » de la demande d’aide. Ne devrions-nous pas considérer, pour ces jeunes et leurs familles, que le but final de notre accompagnement est justement qu’ils énoncent un désir d’être aidés, qu’ils définissent leurs besoins et leurs demandes d’enfants, adolescents et parents ?
11 Pour y arriver, le chemin est souvent long tant pour les accompagnants que pour les familles. La complexité réside ici dans la présence, dès le démarrage du mandat de placement, d’une triple contrainte : celle pour la famille de se voir imposer une aide par l’appareil judiciaire du fait de motifs jugés incompatibles avec la protection de leurs enfants, celle de se voir attribuer une aide jugée nécessaire par le juge des enfants et les travailleurs sociaux, celle – bien plus complexe à circonscrire pour nous – d’être soumis à leur « carte du monde ». En effet nous ne pouvons laisser de côté la topologie du système familial dans son ensemble (ses membres, les sous-systèmes, les places des uns des autres, la place des tiers absents, inclus, exclus), ni la soumission de la famille à son programme officiel, un fonctionnement qui peut être de l’ordre de la similitude, des redondances par rapport au fonctionnement de leur famille d’origine, isomorphisme qui présente une fonction homéostatique du système familial rencontré dans l’ici et maintenant. La contrainte réduit ainsi la liberté d’action de l’individu et rigidifie les interactions qu’il a au sein de son système mais également en dehors. D’entrée de jeu, nous nous trouvons dans une position paradoxale : les personnes sont contraintes d’accepter une relation d’aide dont elles ne voient pas le sens et nous, nous sommes contraints de proposer une relation d’aide que nous n’avons pas initiée. Nous nous rencontrons tous contraints d’obéir à une injonction d’aide.
L’incapacité à se dire
12 Ce sont des familles « qui ne demandent rien », selon les termes de Jean-Paul Mugnier (2011). Ce sont des familles qui se trouvent dans l’incapacité de se dire et de ressentir tant elles ont une faible estime d’elles-mêmes, de grandes souffrances dans leur propre enfance qui leur laissent une « carte du monde » figée dans laquelle « rien de bien ne peut leur arriver, rien ne pourra changer » ; c’est, pour certaines de ces familles, honteux de considérer leur enfant placé et d’autant plus de demander une aide personnelle et familiale. Lorsqu’un enfant ou un adolescent est ainsi accueilli en Maison d’enfants, si nous n’y prenons pas garde, nous pourrions focaliser une bonne partie de l’accompagnement, voire sa totalité, sur la problématique de l’enfant ou de l’adolescent accueilli sans forcément prendre en compte les attentes, le discours de la famille ni nous attacher à comprendre leurs interactions, ce qui fonctionne ou ce qui pose problème. Dans certaines situations rencontrées dans le champ de la protection de l’enfance, il ne nous est parfois pas possible d’aborder la famille malgré toute l’attention déployée à son égard : du fait d’une résistance familiale insurmontable, de l’absence réelle des parents, de l’alternance entre la présence et l’absence parentale, de l’existence de troubles psychiques du type paranoïaque, il devient impossible de proposer une relation d’aide.
13 D’autre part, dans d’autres situations, si le problème présenté par les travailleurs sociaux demandeurs est avant tout d’ordre individuel, il apparaît rapidement nécessaire d’aborder la problématique de manière familiale et de pouvoir, dans un premier temps, nous consacrer à l’expression de la demande par la personne que nous sommes amenés à rencontrer quel que soit le cadre d’intervention : social ou thérapeutique. En 1984, Robert Neuburger y consacre un livre, L’autre demande, et y propose une grille de lecture dont le but est de faciliter l’indication entre thérapie individuelle et thérapie familiale, ce afin de dépasser la polémique de l’époque existant entre psychanalyse et approche systémique. « L’utilisation de la notion de demande nous permet de dépasser le recours habituel au symptôme pour poser l’indication », souligne-t-il (Neuburger, 1984, p. 21). Il s’agit alors pour l’intervenant ou le thérapeute de déterminer si le symptôme est celui du patient ou s’il s’agit du patient désigné par la famille, sachant que ces deux fonctionnements peuvent coexister dans un même système.
14 Robert Neuburger décompose la demande entre trois éléments : le symptôme, témoin du conflit ; la souffrance qui en découle ; l’allégation, qui peut être la demande d’aide mais jamais la demande de changement. Dans notre champ d’intervention, comme le souligne Jean-Paul Mugnier, la famille en général ne peut formuler une demande d’aide et subit l’accompagnement prononcé. Ceci n’exclut pas la manifestation d’un ou de plusieurs symptômes de l’un ou l’autre de ses membres : la déscolarisation, le comportement violent, la tentative d’autolyse…, sans que celui qui le porte puisse dire qu’il en souffre. Robert Neuburger nous invite à évaluer la demande en nous sortant de ce qui émerge de la première demande linéaire causaliste qui tue toute créativité et risque de chroniciser la problématique dans la mesure où famille et thérapeute ou intervenant psychosocial expriment, pour l’une, une nouvelle plainte et, pour l’autre, la recherche constamment d’une nouvelle causalité – par exemple, d’un point de vue familial : « Nous allons mal à cause de lui… », d’un point de vue individuel : « J’ai un problème de violence. » L’hypothèse de Neuburger est qu’une pathologie ne se maintient que si elle est soutenue par une boucle récursive, auto-entretenue par un raisonnement récursif, une sorte de danse qui fascine le thérapeute ou l’intervenant psychosocial et qui l’empêche d’être créatif. « Cette danse a pour fonction que les thérapeutes ne puissent avoir l’idée de l’importance du groupe familial, de sa solidarité, de ses lois, de ses mythes d’appartenance » (ibid., p. 88).
15 Dans notre champ d’intervention en Maison d’enfants, pour combien de familles avons-nous eu cette impression que rien n’avait évolué et qu’elles se trouvaient à répéter du même malgré un temps d’accompagnement de plusieurs années avec différents intervenants et dans différents lieux d’accueil ? C’est donc essentiel pour nous, intervenants, de repérer cette récursivité, ainsi que les paradoxes et l’irrationalité dans les propos, afin de ne pas sombrer dans l’ennui et l’inactivité dans notre accompagnement et de conserver notre créativité essentielle pour maintenir les interactions avec les familles qui ne demandent rien. L’intervenant psychosocial ou thérapeute doit donc parvenir à repérer les redondances qui ont cette tendance à arrêter le temps et à empêcher l’imprévu et parvenir à transformer une plainte linéaire en une interaction par une formulation spécifique des questions, en respectant les règles de la circularité définies par l’équipe de Maria Selvini ainsi : « Par circularité, nous entendons la capacité du thérapeute de mener son investigation en se basant sur les feed-backs de la famille en réponse à l’information qu’il sollicite en termes de relations, donc en termes de différence et de changement dans les relations même » (p. 117-132).
16 L’espace d’échanges du site idres (Institut de documentation de ressources et d’études systémiques) souligne combien l’acquisition d’une telle capacité exige que les thérapeutes se libèrent du conditionnement linguistique et culturel et qu’ils travaillent avec des notions fondamentales : l’information et la différenciation. La différenciation ou la différence se constitue dans la relation et l’investigation de la relation dyadique par une tierce personne – par exemple, au père, « Comment percevez-vous la relation existant entre mère et fille ? » De la sorte nous permettons tout simplement à la famille de communiquer sur sa propre communication, c’est-à-dire, pour l’un des membres du système familial, de métacommuniquer sur la relation des deux autres en leur présence, et ainsi de suite de manière circulaire, une règle absente dans les familles dysfonctionnelles. De cette façon nous pouvons accéder à un autre contenu et déterminer d’autres hypothèses. Nous pouvons accéder au fonctionnement intérieur de la famille par les triades puis par les interactions des différentes triades.
17 Dans notre cadre d’intervention, il nous faut ainsi convaincre les parents d’accepter une aide dont ils ne voient pas le sens. Si on considère, comme Philippe Caillé (1994), que la demande n’est « qu’une porte qu’on ouvre sur autre chose », dans ce cas la question est bien de savoir quelle « porte » nous pouvons choisir et découvrir dans ce contexte pour ouvrir le système familial et lui permettre de renouer avec son autonomie.
18 Pour poursuivre sur cette question d’affiliation avec des familles qui « ne demandent rien » et pour lesquelles le juge des enfants décide un placement, selon Michel Maestre (Bruniaux et Maestre,1995), leur fonctionnement s’identifie à celui du « modèle de la panne » et de la pensée dont il faut isoler la partie qui pose problème, qui est malade et coupable. C’est une injonction qui est « un pas de plus vers leur stigmatisation par la société, ce qui les pousse dès lors à la refuser et en même temps à réfuter la problématique qui est la raison de l’intervention. Il relève aussi que, l’évaluation de cette problématique étant menée uniquement par des tiers extérieurs, elle ne favorise pas l’émergence d’une demande d’aide ». Ces familles sont engagées dans un processus de triple désignation (ibid., p. 35) qui s’opère lors de l’accueil en mecs où chacun est stigmatisé dans sa fonction de manière négative : famille d’autant plus disqualifiée, enfant d’autant plus problématique et éducateurs d’autant plus compétents. Les conflits de loyauté sont accentués : l’enfant, cherchant en général à protéger ses parents, met les professionnels en échec tout en disqualifiant ses parents par les troubles qu’il développe – l’enfant se retrouve dans ce contexte devant un choix impossible. L’objectif est de réduire ce processus en agissant dès le départ de l’accueil de l’enfant en Maison d’enfants en organisant des entretiens familiaux dans lesquels nous leur reconnaissons du pouvoir, des compétences et leur désaccord avec le mandat. Le fait de reconnaître leur désaccord permettra de rendre possible le travail avec eux. Les entretiens familiaux systémiques réuniront le professionnel porteur de l’allégation, l’enfant porteur du symptôme et la famille ; cette organisation montrera combien tous sont soumis à la décision judiciaire et permettra une véritable régulation dans un temps fixé pour que les interactions puissent se réaliser et que l’affiliation indispensable à la construction d’un espace de confiance puisse s’installer.
Manque de contenance
19 Enfin, nous sommes confrontés à la mutation des problématiques des jeunes et de leurs parents. Les jeunes sont en manque de contenance et de consistance psychique : les contenus des échanges sont pauvres (manque de mots et difficulté à mettre en circulation la pensée). Les violences se manifestent sans limites, les agirs se présentent dans et hors des murs des Maisons d’enfants, laissant sans voix et impuissantes les équipes. Nombre de jeunes se situent aux franges de la pathologie psychique. De leur côté, les familles rencontrées cumulent précarités sociale et psychique. Elles ont également traversé pour beaucoup un parcours chaotique impacté par des événements qui ont pris une valeur traumatique dans leur existence. Dans l’ici et maintenant de l’accompagnement, le traumatisme comme le cumul de microtraumatismes figent la pensée et l’expression des émotions et des mots. Nos rencontres avec les familles nous montrent combien elles se situent dans une impasse, dans une narration qui « tourne en boucle », qui raconte du même. Certains ont essayé de résoudre leurs problèmes en parlant mais sans succès, ils ont continué à piétiner, d’autres parents sont encore les enfants bouleversés par leur histoire indicible.
Quel accompagnement pour ces familles ? Chemin faisant… chemin de parent…
20 Nous allons tenter de démontrer l’intérêt de l’usage d’objets médiateurs auprès de familles pour lesquelles la collaboration avec les professionnels des Maison d’enfants ne va pas de soi et dont la machine à penser ne parvient pas « à se mettre ou se remettre en route ».
21 Lors d’un séjour familial organisé au sein d’un établissement du Home des Flandres avec quelques familles a émergé dans l’équipe l’idée de trouver des outils, supports aux échanges, afin d’aborder entre professionnels et parents des questions relatives aux différentes dimensions de la parentalité d’une autre façon que ce que nous mettons en place ordinairement dans notre pratique quotidienne en Maison d’enfants lorsque nous proposons des entretiens familiaux. À cette occasion, nos recherches nous amènent à découvrir le jeu « Chemins de parents : des parents échangent et imaginent ensemble [1]… », un jeu coopératif créé par l’École des parents et des éducateurs. D’emblée nous sommes surpris. Son utilisation dans un espace convivial où parents et professionnels se retrouvent autour d’une table avec au centre un plateau de jeu rend possible une relation différente et une expression jusque-là fermée. Le plateau de jeu, ses pions de couleur, son dé et ses cartes thématiques aux entrées différentes (bébé/enfant, adolescent/jeune adulte, pêle-mêle) offrent un cadre qui médiatise la relation, mais créent surtout un contexte d’affiliation parents-professionnels ainsi que des échanges, rendent possibles l’évocation de questions complexes du point de vue de la parentalité et des interactions familiales. Cet intermédiaire ludique, de par sa conception, facilite indéniablement la pensée et la mise en mots des parents sur des thématiques parfois complexes à traiter directement sans intermédiaire, que ce soit dans le domaine des représentations, des expériences affectives ou des réalisations concrètes.
22 Deux autres éléments participent à notre sens à l’installation de cette affiliation et rendent possible la verbalisation : le fait de proposer des « cartes joker » qui semblent sécuriser les participants et le fait que parents et professionnels s’engagent dans le jeu et répondent aux questions inscrites et choisies sur la carte. D’autre part, dans la mesure où les thématiques ne sont pas choisies par avance par le professionnel mais découvertes par les participants au jeu au hasard des cartes piochées, la surprise prend place dans le processus et favorise l’expression de réponses authentiques. Ce média ludique permet ainsi d’aborder dans le cadre de la protection de l’enfance, contre toute attente, des thématiques/problématiques comme la conception de l’éducation des enfants, le comment dire non, la responsabilité, les rapports des parents aux enfants et aux adolescents, la communication, la vie de famille, les réponses éducatives, les personnes ressources, les conduites à risques, les droits et devoirs…, en particulier à partir d’expériences vécues et ressenties en matière de parentalité.
23 En fonction de nos observations effectuées dans ce cadre particulier d’un séjour familial hors des murs de l’institution, nous avons pensé opportun d’intégrer cette expérience dans notre projet d’accompagnement des familles en organisant cette fois, dans la Maison d’enfants, des groupes de parents tout au long de l’année. En équipe, nous avons tout d’abord questionné la manière de proposer ce jeu dans notre cadre de travail, ainsi que la nécessité ou non d’en adapter les règles. Nous avons repensé plus particulièrement la manière de composer les groupes et de les animer. Concrètement, l’éducateur référent de la situation familiale propose à deux ou trois parents de participer à l’atelier nommé « Chemins de parents » dans lequel il s’agira de jouer à répondre à des questions relatives à leur parentalité. Nous nous sommes arrêtés sur l’organisation de groupes parents mensuels, sur une co-animation permanente croisant les compétences d’une éducatrice de l’équipe et de la psychologue de l’établissement. Nous y avons également associé la présence du ou des éducateurs coordinateurs du projet de l’enfant dont le parent était pressenti pour participer au groupe. Concernant chaque groupe, nous pensons en amont à sa composition afin de toujours rendre possible la communication et éviter des conflits ou tout autre enjeu relationnel qui ne seraient pas propices à la participation de parents.
24 À travers le cadre ludique de ce support, nous restons attentifs à notre mandat de protection de l’enfance et abordons les questions et les problématiques liées aux motifs de placement et à la fonction parentale. Cependant, nous menons ce travail d’une autre façon en nous décalant du discours exclusivement narratif et en nous impliquant émotionnellement dans le système relationnel qui se co-construit entre parents et professionnels. Cette façon d’être en relation nous a ouvert d’autres possibilités en matière de travail avec les parents. Tout d’abord, nous inspirons confiance aux parents grâce à une nouvelle représentation du professionnel humanisé. De plus, cela oblige chacun à remettre au travail ses représentations de l’autre et, dans notre contexte de protection de l’enfance, à engager le travail de collaboration.
25 Par le biais de ces nouvelles interactions, professionnels et parents ont découvert d’autres éléments sur eux-mêmes et les autres. Les parents réalisent qu’ils ne vivent pas seuls la difficulté du moment. Les professionnels prennent conscience d’autres compétences parentales et d’autres éléments concernant le parcours familial, les émotions, les motivations, la compréhension des difficultés et du placement. Au fil du temps, l’intersection des systèmes de représentations et d’expériences a créé un véritable système apprenant, que ce soit du côté des parents (apprendre des autres parents et des professionnels) et des professionnels (autres visions, autres compréhensions, prise en compte du savoir profane et des hypothèses de compréhension de la problématique élaborées par le parent). Ces interactions originales dans notre contexte d’accompagnement sous contrainte permettent à chacun de découvrir d’autres éléments sur son rôle, sa place, ses compétences et ses émotions. Au final, elles nous amènent à faire « un pas de côté », ce qui ouvre le champ des possibles en termes d’accompagnement. De plus, cela dynamise le processus de cheminement et le complexifie en amenant du contenu et de la force dans le positionnement parental.
Conclusion
26 Après cinq années de fonctionnement, nous pouvons souligner l’expérience positive verbalisée par les parents qui ont participé à ce nouveau dispositif. Au-delà de l’échange de savoirs, celui-ci permet aux professionnels de quitter leur posture de « sachant » pour apprendre du parent et aux parents d’humaniser le professionnel. Si le collectif devient porteur et passeur de sens et d’émotions, le jeu « Chemin de parent » est devenu objet de médiation ludique qui a permis d’ouvrir les champs du possible en matière d’accompagnement. Le plateau de jeu crée ainsi un entre-deux dans la relation, qui joue tantôt le rôle de tiers apaisant, tantôt celui de contenant qui borne les propos et les pulsions agressives qui peuvent surgir. Le passage du « dire », développé au cours des entretiens familiaux, à l’expérience vécue du « jouer avec » se fait dans un partage concret de compétences entre professionnels et parents. Jouer ensemble devient très sérieux et permet de créer un espace relationnel intermédiaire dans lequel il est possible de partager (que l’on soit professionnel ou parent) ses expériences, ses représentations, ses émotions et ses questions avec comme support le plateau de jeu – à la fois entre-deux, catalyseur et tiers modérateur. Jouer ensemble a permis d’aménager une collaboration impossible ou difficile jusque-là, d’entrer dans un processus thérapeutique individuel et familial mais également de dépasser des crises et des impossibilités à mettre en mots, au regard de l’impensable et de l’indicible.
27 L’usage d’objets médiateurs dans l’accompagnement oblige, par la surprise qu’ils amènent, le professionnel comme le parent à créer de nouveaux comportements, de nouveaux savoir-être et à sortir du conventionnel. Leur usage mobilise l’émotionnel et, de par la dimension ludique, amène le plaisir de jouer, de créer, ainsi qu’une légèreté facilitant l’expression de souffrances difficiles à évoquer.
28 Comme on peut le comprendre, il ne suffit cependant pas de faire usage d’objets, aussi médiateurs qu’ils puissent être, pour créer un espace de coopération avec les parents, il convient aussi de travailler avec nos émotions, un mouvement que nous faisons avec autrui, et les résonances qui émergent et qui nous relient aux autres à la manière d’un pont singulier et unique à partir de notre histoire et des éléments significatifs apportés par la famille ou par l’équipe et chacun de ses membres. Nous pouvons considérer ce jeu comme un objet flottant tel que le définit Philippe Caillé (1994, p. 22) : comme « des bouées à la surface de l’eau, ils flottent dans l’espace intermédiaire co-construit entre deux systèmes, le système familial et le système de l’intervenant, et révèlent par le travail qui s’y déroule, par ses interactions, ses connexions, un sens nouveau ».
29 Le jeu « Chemins de parents » devient dans ce contexte de « travail avec les parents » une véritable métaphore des compétences parentales en devenir. Mais ce cheminement et cette co-construction parents/professionnels, s’ils rendent possibles un accordage, ne sont envisageables qu’à la condition que nous parvenions nous aussi à jouer le « je »…
Bibliographie
Bibliographie
- Bouregba, A. 2002. Les troubles de la parentalité, Paris, Dunod.
- Bruniaux, J.-P. ; Maestre, M. 1995. « Peut-on éviter le processus de triple désignation : famille disqualifiée, enfant à problèmes, éducateurs super-compétents ? », Résonances, 7, 35-37.
- Caillé, P. ; Rey, Y. 1994. Les objets flottants, Paris, Fabert, 2004.
- Houzel, D. (sous la direction de). 1999. Les enjeux de la parentalité, Toulouse, érès.
- Mugnier, J.-P. 2011. Ces familles qui ne demandent rien, Paris, Fabert.
- Neuburger, R. 1984. L’autre demande, Paris, Payot, 2003.
- Selvini Palazzoli, M. 1982. « Hypothétisation-circularité-neutralité », Thérapie familiale, vol. 3, 3.
Mots-clés éditeurs : médiation, jeu, famille, Parentalité, groupe
Date de mise en ligne : 27/08/2018.
https://doi.org/10.3917/dia.220.0025Notes
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Diffusion : Fédération nationale École des parents et des éducateurs. http://www.ecoledesparents.org