Dialogue 2015/2 n° 208

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Article de revue

La dynamique fraternelle dans le placement : réflexions autour de l’accueil séparé ou conjoint d’une fratrie

Pages 99 à 110

Notes

  • [1]
    Loi n° 96-1238 relative au maintien des liens entre frères et sœurs dans le cas d’un placement (Art. 371-5. L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs.)
  • [2]
    Les quasi-frères sont les enfants respectifs de chacun des conjoints lors d’une nouvelle union. Ces enfants n’ont donc aucun lien de filiation.

1 Le placement familial d’une fratrie demeure toujours complexe pour les professionnels de l’Aide sociale à l’enfance (ase). Face à un manque d’harmonisation et d’intérêt dans les pratiques professionnelles en matière de placement fraternel durant de nombreuses années, une loi a été promulguée le 30 décembre 1996 [1] concernant la non-séparation des enfants d’une même fratrie. Cependant, son application peut se révéler difficile à assurer si on ne tient pas compte du fonctionnement du groupe fraternel et de la taille de la fratrie. L’absence de critères clairs et homogènes dans l’évaluation d’un projet de placement fraternel conjoint ou séparé entrave une cohérence décisionnelle. L’objectif de cet article consiste à souligner l’importance d’examiner le fonctionnement du groupe fraternel et de la dynamique relationnelle entre les enfants, dans la prise de décision d’un placement. À travers des réflexions pratiques et cliniques sur l’accueil fraternel, nous mettrons en évidence la dynamique fraternelle, nécessaire à la décision d’un placement commun ou séparé, puis nous questionnerons la place du groupe fraternel dans un accueil familial. Enfin, dans une seconde partie, nous prolongerons la réflexion théorique en nous appuyant sur le cas d’une fratrie et les éléments qui ont aidé à la prise de décision.

La dynamique fraternelle

2 L’approche systémique de la famille (Minuchin, 1979) a révélé l’importance du groupe fraternel, notamment lors de périodes de crises familiales, et la fonction étayante et contenante de celui-ci (Almodovar, 1998). Le fonctionnement de la fratrie va alors varier et être étroitement lié au contexte conjugal et parental (Nichols, 1986). Le fonctionnement fraternel renvoie à la dynamique qui s’instaure entre les membres d’une même fratrie. Au-delà des caractéristiques individuelles propres à chaque enfant, ce sont les interactions entre chacun d’eux qui vont constituer la fratrie. Les frères et sœurs vont devoir s’ajuster et s’adapter aux besoins du groupe fraternel. Toutefois, plusieurs éléments vont venir moduler le fonctionnement et l’expérience fraternelle (Almodovar, 1998), à la fois les événements survenus au sein de la famille (séparation, recomposition familiale…) et les caractéristiques propres à la fratrie et à sa composition. La taille de la fratrie, le sexe de ses membres ou encore l’écart d’âge entre ces derniers (Bourguignon, 1999) vont influencer les places et rôles que les enfants vont endosser. En évoquant les caractéristiques de la fratrie, nous soulevons la complexité du lien fraternel tout autant que sa singularité (Camdessus, 1998).

3 Saisir le fonctionnement fraternel passe par une analyse de la qualité de la relation fraternelle, voire de la qualité de l’attachement. La qualité des relations fraternelles a été majoritairement interrogée, dans les études, dans un contexte de transition familiale (Beauregard, 2003), afin d’analyser le rôle ressource que la fratrie peut avoir pour l’enfant. Face à un contexte transitionnel, la dynamique d’un sous-système peut affecter celui des autres. Dans le cadre des relations fraternelles, les caractéristiques individuelles des membres de la famille peuvent influencer les attitudes que les frères et sœurs adopteront les uns vis-à-vis des autres ainsi que la qualité de la relation fraternelle. Aussi, la qualité de ce lien s’appuie sur les représentations fraternelles, c’est-à-dire des constructions individuelles qui peuvent symboliser et représenter le frère en son absence. Ces représentations se construisent à travers les connaissances que l’individu se forge de son germain et des interactions fraternelles constituées tout au long du développement du sujet. C’est pourquoi, pour appréhender le type de relation, il est nécessaire d’interroger l’enfant et de se placer de son point de vue, mais également de mener des observations des interactions fraternelles afin de saisir au plus près le fonctionnement de cette relation. Stocker et Dunn (1994) ont cependant noté que le type de qualité des relations fraternelles n’est pas figé mais semble se modifier lors d’événements stressants. Plusieurs études ont aussi démontré l’influence de la qualité de la relation parent-enfant sur celle des relations fraternelles (Furman et Giberson, 1995). Une relation parent-enfant harmonieuse serait associée à des conduites affectives et des comportements prosociaux dans les relations fraternelles, alors qu’une relation parent-enfant insatisfaisante entraînerait un niveau important d’agressivité au sein de la fratrie (Brody et coll., 1996).

4 Concernant l’attachement fraternel, certains travaux (Troupel et Zaouche Gaudron, 2006) ont révélé que les frères et sœurs pouvaient être des figures d’attachement. Effectivement, l’aîné d’une fratrie peut représenter pour son cadet une « figure d’attachement relais » efficace dans les situations peu stressantes de la vie quotidienne. La théorie de l’attachement, telle que développée par Bowlby (1969), décrit une double fonction de l’attachement : une fonction de protection et une fonction de socialisation. Dans le cas de la fratrie, l’aîné en tant que figure d’attachement serait plus compétent sur le versant de la socialisation et cette relation pourrait être qualifiée de « relation de proximité exploratrice » (Troupel et Zaouche Gaudron, 2006). Dans cette étude, l’attachement fraternel a été appréhendé au travers du protocole des histoires à compléter de Bretherton et coll. (1990) et adapté pour les relations fraternelles par Troupel et Zaouche Gaudron (2006). Plus généralement, l’attachement fraternel doit faire l’objet d’observations au sein de la fratrie en tenant compte de la catégorisation initiée par Ainsworth et coll. (1978).

L’accueil familial, quelle place pour le groupe fraternel ?

5 Dans l’accueil familial, l’un des parents de la famille d’accueil, majoritairement la mère, dispose d’un agrément pour accueillir des enfants confiés à l’ASE. Néanmoins, l’enfant confié étant accueilli au sein du domicile familial, tous les membres de la famille sont impliqués dans l’accueil qui vient bousculer la dynamique familiale initiale.

6 Les assistants familiaux, selon leur agrément, peuvent accueillir jusqu’à trois enfants au sein de leur famille. De cette manière, les frères et sœurs d’une fratrie peuvent être accueillis ensemble, selon les places disponibles au sein de la famille. Toutefois, si la taille de la fratrie est trop importante, la séparation des frères et sœurs sera inévitable. Malgré la loi du 30 décembre 1996, du point de vue pratique, la séparation est relativement fréquente. Néanmoins, quel que soit le placement envisagé, la fratrie devra subir des remaniements. Une fratrie placée ensemble devra exister et fonctionner indépendamment du système familial, en dehors des parents. Ainsi, l’arrivée dans un nouvel environnement bouleversera la dynamique fraternelle déjà existante. En effet, plusieurs fratries peuvent coexister au sein des familles d’accueil, à la fois les enfants du couple d’accueil et les enfants accueillis. Or, la construction d’une relation entre ces enfants effective et affective en dépit de l’absence d’une filiation n’empêche pas un lien fraternel. Comme dans le cas des familles recomposées et des « quasi-frères [2] », les familles d’accueil vont modifier leur fonctionnement, les places de chacun des membres et leur relation (Chapon-Crouzet, 2005). Alors, ce qui va déterminer leur lien et leur relation se caractérise principalement par une expérience de vie commune et un partage de celle-ci. De même, lors d’un placement fraternel séparé, les enfants de la fratrie, qui aurait pu être un point de repère pour l’enfant et assurer une fonction d’étayage et de soutien (Scelles et coll., 2006), sont obligés de remanier leur relation du fait de leur éloignement. Du côté de la famille d’accueil, l’arrivée d’un nouvel enfant modifie la dynamique relationnelle en place (Euillet et Zaouche Gaudron, 2007), alors qu’en est-il lorsque deux dynamiques se rencontrent et se confrontent ? En effet, au-delà des possibilités que le dispositif offre, l’intérêt de chacun des enfants de la fratrie se pose. Si des frères et sœurs sont placés conjointement, peut-on considérer que l’accueil familial va aider à la séparation d’avec les parents et favoriser l’adaptation des enfants de la fratrie ou, au contraire, va-t-elle faire obstacle à une évolution individuelle des enfants ? Plusieurs études relativement récentes (Beauregard, 2003 ; Drapeau et coll., 2000) ont démontré les déroulements favorables tout comme les effets délétères d’un placement fraternel conjoint ou séparé.

7 Les travaux allant dans le sens d’un placement conjoint mettent en avant plusieurs arguments. La fratrie viendrait ici assurer une fonction d’équilibre chez les enfants. Ainsi, au traumatisme potentiel de la séparation d’avec les parents ne viendrait pas s’ajouter celui de la séparation fraternelle. Katherine Beauregard (2003) a également souligné qu’un placement conjoint dans une fratrie pouvait être un facteur de protection dans l’adaptation psychosociale du cadet ; en revanche, pour l’aîné, il ne jouerait pas ce rôle, l’hypothèse avancée étant liée à un attachement fraternel moins fort chez les aînés que chez les cadets. Une étude menée auprès des professionnels de l’association sos Villages d’enfants (Scelles et coll., 2006) a mis en évidence que le placement conjoint d’une fratrie pouvait avoir une visée étayante et soutenante pour les enfants.

8 Au contraire, Jacques Thomas (1998) souligne l’importance d’éloigner l’enfant du contexte familial et de la fratrie. En maintenant le groupe fraternel ensemble, la prise en charge de l’enfant individuellement serait difficile à réaliser. Une séparation pourrait également améliorer la qualité des relations fraternelles, d’autant plus lorsque celles-ci étaient empreintes auparavant de rivalité et de compétition (Carrier et coll., 1995). De plus, le placement conjoint pourrait compromettre l’individuation et l’épanouissement de chacun des enfants de la fratrie (Dayan et coll., 2011), notamment en raison d’une loyauté fraternelle et familiale accrue empêchant l’enfant de s’exprimer.

9 Bien que ces études défendent des points de vue différents, l’accent est toujours porté sur l’intérêt de l’enfant. Toutefois, cette notion d’intérêt de l’enfant, qui réfère à l’épanouissement de celui-ci, est toujours pensée de manière individuelle, pour chaque enfant, sans tenir compte de la dimension inhérente au groupe fraternel. Or, envisager le développement de l’enfant demande que l’on interroge l’effet de ses relations avec tous les membres de sa famille sur son développement, au même titre que l’on évalue les relations parents-enfant dans le cadre du placement.

10 La plupart des auteurs (Drapeau et coll., 2000 ; Scelles, 2007) s’accordent pour dire que dans les cas de séparation fraternelle il est nécessaire de protéger et de sauvegarder les liens fraternels. Néanmoins, lorsque ces liens dysfonctionnent et sont délétères pour les enfants ou pour l’un d’entre eux, il faut alors penser une reconstruction ou une construction du lien fraternel. Pour autant, l’enjeu du placement fraternel est de permettre le maintien des liens affectifs entre les enfants et la construction d’une identité fraternelle propre et indépendante (Vinay et Jayle, 2001). Pour ce faire, les visites médiatisées offrent aux enfants la possibilité de se rencontrer, d’apprendre à se connaître en dehors du contexte parental. Afin de comprendre comment une décision de placement séparé peut être prise et par quels moyens le lien fraternel peut être reconstruit, consolidé et élaboré, nous allons présenter le parcours d’une fratrie de deux enfants, que nous avons nommés Choukri et Medhi.

Étude de cas

Examen initial de la fratrie en vue d’une décision de placement

11 Choukri et Medhi sont arrivés dans le dispositif de l’ase suite à plusieurs mesures d’aemo (action éducative en milieu ouvert) et après avoir été trouvés un soir par les services de police seuls au domicile de leur mère. Ils sont âgés respectivement de 9 et 8 ans au moment de leur prise en charge. Les parents des enfants sont séparés depuis environ six mois, ils reconnaissent entretenir des relations conflictuelles et ne souhaitent jamais être en présence l’un de l’autre. Comme la mère occupe le domicile conjugal, les parents ont convenu qu’elle aurait la garde principale des enfants et que le père les prendrait quand il le pourrait. Choukri et Medhi sont les premiers enfants de la mère, alors que le père a déjà quatre autres enfants d’unions différentes. Ils n’ont que très peu rencontré leurs demi-frères, les autres enfants vivant avec leurs mères respectives.

12 Suite à la décision du juge, un placement conjoint en famille d’accueil a été envisagé. Cependant, le manque d’informations sur la relation des enfants à leur arrivée dans le dispositif de l’ase a poussé les professionnels à examiner les interactions entre eux en les observant et en menant des entretiens séparés et communs, pour s’approcher au mieux du fonctionnement fraternel. Après que la référente et la psychologue ont rencontré les enfants, la nécessité d’un placement séparé a émergé. Effectivement, plusieurs éléments ont interpellé les professionnels, tel un retard de développement chez l’aîné, Choukri, accompagné d’un important repli sur soi et d’une impossibilité de prendre la parole face à un adulte devant son frère. Des brimades et des humiliations de Medhi envers Choukri ont également été observées : « Moi je suis le préféré parce que toi t’es un débile », « Ah il sait même pas lire, c’est un bébé. » Medhi est un enfant qui prend beaucoup de place dans sa famille, dans sa fratrie et avec les pairs. Sa personnalité extravertie et vive en fait un enfant relativement apprécié par rapport à son aîné. Choukri, lui, apparaît comme un enfant replié sur lui-même et effacé en présence de Medhi. Choukri semble toujours éviter la confrontation avec son frère et, lors de bagarres entre eux, il se laisse faire sans se défendre. Néanmoins, lorsque les parents des enfants se sont montrés défaillants, par exemple en les laissant seuls pendant plusieurs heures, Choukri a veillé sur son frère. Il a plusieurs fois fait à manger pour lui ou encore appelé la police lors de l’absence prolongée de sa mère. Ces comportements vont à l’encontre de ce qui a pu être observé chez Choukri, perçu par les professionnels comme attardé et manifestement dominé par son frère.

13 Medhi a pu percevoir et exploiter la volonté protectrice de son frère lors de situation de stress ou de danger. Ainsi, la tendance de Medhi à mentir régulièrement au sein de sa famille ou à l’école, notamment lorsqu’il commettait une faute, l’a poussé à faire accuser son frère à sa place. Choukri ne prenait pas la peine de se défendre et se laissait punir, souvent physiquement dans sa famille. Une inquiétude concernant le développement et l’épanouissement de Choukri est apparue au fil de l’évaluation des professionnels de l’ASE. Mais, l’évaluation se poursuivant, Choukri s’est montré en capacité d’élaborer et moins angoissé à l’idée de parler, notamment lors de rencontres duelles avec la psychologue et la référente. Il a ainsi été en capacité de demander à être placé seul en famille d’accueil. Ces différents éléments conjugués ont permis d’étayer une réflexion et des hypothèses quant au fonctionnement de cette fratrie.

La décision et le placement

14 Compte tenu du fait que Medhi et Choukri ont toujours vécu ensemble, la décision de séparation a été longuement étudiée. La question de l’écart d’âge a orienté une première réflexion. Les deux enfants ont tout juste un an d’écart et cette proximité rend leur relation à la fois complice et empreinte de rivalité. Comme le souligne Sylvie Angel (2004), un écart d’âge inférieur à dix-huit mois engendre des relations de type gémellaire ou de compagnonnage, les enfants seraient élevés comme des jumeaux. De ce fait, un écart d’âge restreint limite l’expérience propre de l’aîné et les parents sont rapidement obligés d’adopter un fonctionnement groupal de gestion. La différenciation des enfants peut alors être plus longue et complexe. La première rencontre de la référente ase et de la psychologue avec les enfants va étayer cette hypothèse, puisque les enfants étaient habillés de la même manière par leur mère, caractéristique qui s’est répétée durant tout le temps de l’évaluation mais qui a pris fin avec le placement. Les rencontres entre les professionnels et les parents ont mis en évidence que les enfants étaient indifférenciés, qu’ils n’étaient jamais pensés individuellement. Ils étaient reconnus comme un groupe systématiquement désigné par « les enfants » ou encore « les garçons ». Ils évoluaient dans les mêmes espaces : même chambre, même classe… Les attitudes parentales ont freiné l’évolution propre des enfants et, dans ce contexte, le placement est apparu comme une solution pour favoriser cette différenciation. Ainsi, dans un premier temps, c’est un placement conjoint qui a été envisagé, la séparation d’avec les parents paraissant comme suffisante à condition que les enfants soient placés dans une famille d’accueil vigilante et à même de les considérer individuellement.

15 Cependant, progressivement, la référente de l’ase ainsi que les professionnels des services d’aemo ont observé que la relation fraternelle reposait sur un mode conflictuel et de rivalité, d’autant plus que les enfants étaient dans la même classe, Choukri ayant redoublé. La suite des rencontres a mis en exergue la domination physique et psychologique du cadet sur l’aîné, empêchant ce dernier de s’exprimer et d’évoluer pleinement. Ces éléments semblaient aller au-delà du conflit fraternel que chaque enfant rencontre dans sa fratrie : Choukri était sous l’emprise de son frère cadet, incapable de donner son avis en sa présence, ni même de se distinguer de Medhi. Pour le cadet, Choukri servait de faire-valoir : la comparaison lui permettait de mettre en valeur toute son ingéniosité, son intelligence et même son physique. Ce groupe fraternel fonctionnait donc au détriment de Choukri, qui semblait étouffé par son frère. L’opportunité d’un placement séparé a progressivement émergé au regard de la détresse psychologique dans laquelle Choukri se trouvait, mais également des hématomes que le corps de l’enfant présentait. La violence de Medhi sur Choukri a été observée par plusieurs des professionnels, puis dénoncée par Choukri.

L’évolution des enfants suite au placement

16 Pour Medhi, le placement séparé a été difficile à élaborer. Il a été placé dans une famille d’accueil dont le père était l’assistant familial et où deux adolescents étaient hébergés les week-ends et les vacances. Le choix d’un professionnel homme a semblé opportun pour Medhi qui attachait une grande importance aux figures masculines et la domination qu’il exerçait sur Choukri n’a pu se reproduire avec les adolescents accueillis. En raison du vécu abandonnique et de la relation aux parents incertaine auxquels s’est ajouté un sentiment de persécution de la part des professionnels, l’accueil et l’adaptation de Medhi au sein de la famille d’accueil a nécessité une prise en charge thérapeutique. Son frère, quant à lui, a été placé auprès d’un couple d’assistants familiaux qui n’accueillait pas d’autre enfant. Une grande attention à vocation de réassurance a été portée à Choukri qui a pu se saisir de tous les moments de proximité avec les parents d’accueil.

17 La décision de séparation a régulièrement été réinterrogée au regard des observations et des rencontres avec les enfants. Toutefois, la protection de Choukri s’est imposée afin de lui permettre de se construire indépendamment de son frère et d’accéder à son individuation. Le placement séparé avait ici pour objectif de reconstruire les liens fraternels en offrant à chacun des enfants un espace propre où élaborer sa place et se penser comme sujet faisant partie d’un groupe. Bien évidemment, aucune décision prise n’est idéale et la situation clinique de chacun des enfants doit être prise en compte.

18 Les parents, en difficulté dans l’élaboration de la séparation avec et entre les enfants, ne les ont jamais appelés dans leurs familles d’accueil et ne les ont pris le week-end qu’occasionnellement. Les deux frères ne se voyaient alors que peu et les parents n’ont pu apprécier leur évolution, ni changer leur regard sur chacun d’eux. Aujourd’hui, le placement séparé a été maintenu et, compte tenu du désinvestissement parental, des visites interfratrie sont organisées deux mercredis par mois, avec la référente des enfants. Le lien fraternel a pu être parlé et élaboré avec eux afin qu’une reconstruction de leur relation puisse s’accomplir. La difficulté principale reste l’absence de lien entre les parents et les enfants, mais les deux enfants ont pu, cependant, entreprendre un processus d’individuation psychique grâce à la séparation physique.

Conclusion

19 À partir de la réflexion menée autour du placement d’une fratrie, nous avons illustré la complexité d’une telle prise de décision dans l’intérêt des enfants. Le temps d’évaluation de la situation demeure primordial dans le cas d’un placement fraternel, avant et pendant celui-ci. Il nécessite une vigilance constante de la part des professionnels afin d’apprécier chaque étape. Questionner le sens d’un placement fraternel dans l’intérêt des enfants, au-delà d’une pratique dictée par la loi et en considérant toujours la singularité de chaque fratrie, doit motiver les pratiques professionnelles. Ainsi, durant les temps d’évaluation il apparaît nécessaire d’apprécier la qualité de la relation et de l’attachement fraternel par des observations des interactions de la fratrie et des entretiens avec chacun des enfants. Le temps de vie commune des enfants doit absolument être examiné dans la mesure où des enfants ayant peu vécu ensemble ne peuvent pas aisément « faire fratrie ». La taille de la fratrie, sa composition, l’écart d’âge et le sexe des enfants, peuvent être autant de caractéristiques qui vont influencer la dynamique fraternelle et qu’il faut prendre en compte durant le temps d’évaluation. Enfin, le choix des familles d’accueil doit être particulièrement étudié selon les problématiques des enfants et selon la propre dynamique des accueillants.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : placement, étude de cas, Fratrie, dynamique fraternelle

Date de mise en ligne : 07/05/2015.

https://doi.org/10.3917/dia.208.0099

Notes

  • [1]
    Loi n° 96-1238 relative au maintien des liens entre frères et sœurs dans le cas d’un placement (Art. 371-5. L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs.)
  • [2]
    Les quasi-frères sont les enfants respectifs de chacun des conjoints lors d’une nouvelle union. Ces enfants n’ont donc aucun lien de filiation.
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