Dialogue 2015/1 n° 207

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Article de revue

Éditorial. La parentalité, un état des lieux

Pages 7 à 18

Notes

  • [1]
    « Les figures de la parentalité », GERPEN, 29-30 novembre 2014, Paris.

1 « Parentalité » est un terme qui s’est peu à peu imposé en France. Issue d’un groupe de travail pluridisciplinaire, cette notion définissait avec Didier Houzel les différentes manières d’être parent. A-t-elle rempli sa fonction pour soutenir les points de vue des différents professionnels ou acteurs sociaux sur le terrain ? A-t-elle perdu de sa pertinence en se généralisant et en gommant la différence entre l’homme et la femme ? Ou bien commence-t-elle seulement à mieux caractériser les différentes dimensions de se vivre comme parent ? Ce numéro réinterroge vingt ans après cette notion au regard de l’évolution de la société. Tel a été l’argument proposé pour ce dossier, telles seront les lignes forces de notre éditorial.

2 « La parentalité, terme fourre-tout ? » avait été un titre suggéré pour ce dossier, tant est grande actuellement la polysémie de ce mot, utilisé dans de multiples acceptions (ceci doit d’ailleurs nous alerter sur la fonction « idéologique » qu’il pourrait aussi colporter). Pour faire le point, nous essaierons de situer l’émergence des différents sens que prend la parentalité au regard de l’évolution historique de notre société.

La définition pluridisciplinaire de Didier Houzel dans les années 1990

3 La définition avancée avec Houzel (1999) comprenait trois dimensions dans ce « fait d’être parent » : celle de « l’exercice », qui renvoie à une définition juridique de la parentalité, celle de la « pratique », qui renvoie à la personne qui concrètement prend soin de l’enfant, assure son éducation, et celle de « l’expérience » d’être parent, qui renvoie plus à un sentiment subjectif, à un lien vécu avec l’enfant. Cette définition, pluri-directionnelle, « topique », pourrait-on dire, résultait d’un groupe de travail (1993-1998) commandé par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité et dont les résultats seront exposés à la Conférence de la famille de 1998 (celle-ci donnera lieu au déploiement d’une politique de « soutien de la parentalité » avec notamment la création des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompa-gnement des parents, REAAP).

4 Nous sommes ici à un moment charnière, car cette définition tentait de répondre aux problèmes que les professionnels rencontraient avec les parents pour travailler avec leurs enfants, notamment dans le cadre de la Protection de l’enfance, mais elle portait déjà en germe les transformations de la famille avec ces trois aspects du fait d’être parent. Ce terme déjà pluridisciplinaire introduisait à côté de la psychanalyse, d’où il tirait son origine, la référence à d’autres disciplines. Est-ce suffisant pour expliquer ensuite la très grande diffusion de cette notion ? Peut-on envisager un renouvellement ou un dévoiement de son sens ? Nous devons revenir en arrière pour tenter de comprendre comment ce terme a été à ce point « adopté ».

La parentalité comme axe d’analyse du problème des enfants : une nouvelle considération des parents par les professionnels

5 Après l’époque où l’institution se posait comme « substitut » des parents, les années 1970, 1980 ont vu l’émergence d’une nouvelle place pour la famille. Fablet (2008), étudiant l’émergence de ce terme de « parentalité » chez les professionnels, montre qu’il est tributaire de l’évolution du rapport aux familles dans les années 1980, dans le secteur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Il cite la démarche de type incitatif, l’opération Pouponnières impulsée et subventionnée par le ministère de la Santé et de la Famille à partir de 1978, dans un contexte marqué par les efforts ministériels pour faire évoluer l’ASE. Nous nous souvenons que Danielle Rapoport y avait pris une part active à côté de Geneviève Appell. Les parents ne sont plus, a priori, dénoncés comme nocifs comme dans les années 1950-1960, la fonction parentale doit être secourue, aidée. Ainsi le terme de « dysparentalité », que l’un d’entre nous a utilisé, désignait ce que l’on pouvait appeler après René Clément, trop tôt disparu, des « parents en souffrance » (1993) – titre d’ouvrage qui doit être mis en écho avec celui de Dolto, Rapoport et This sur les « enfants en souffrance » (1981). La création de lieux d’accueil parents-enfants après la Maison Verte accompagne ce mouvement, ainsi que la notion de « bientraitance » chez Rapoport. Il s’agit de résister à des jugements moraux, qui montrent d’abord la carence ou les défaillances de l’autre, en l’occurrence surtout celles des familles. Il s’agit de « réhabiliter » la place des parents pour l’enfant au regard surtout des professionnels. Les professionnels, essentiellement définis comme experts jusqu’alors, cherchent à occuper une posture plus « horizontale » que le terme d’« accompagnement » à la parentalité traduit bien.

6 « Parentalité » est ainsi un terme porté par des cliniciens dans leur « combat » avec les professionnels. La définition de ce terme a vraisemblablement pour origine la traduction de « parenthood » que Thérèse Benedek (1958) a introduit pour mettre en évidence, après les travaux d’Erickson, un « stade de développement ». Psychanalyste de l’école hongroise, elle a immigré aux États-Unis et s’est intéressée à la dyade mère-bébé ainsi qu’à la bisexualité constitutive du fait d’être parent. En France, Racamier (1961) reprendra ses travaux sur la « maternalité » en introduisant en note de bas de page le terme de « parentalité ». Ce n’est que dans les années 1980 que René Clément (1986) utilise explicitement ce terme, à côté de celui de « dysparentalité ». Entre-temps, la question du père, qui a été largement mise en question par Gérard Mendel (1968) ou par Alexander Mitscherlich (1969), est travaillée du côté des processus propres à la « paternalité » (Delaisi de Parseval, 1981 ; This, 1980 ; Clerget, 1979). Durant ces années, au sens très clinique de cette notion s’associe ainsi une problématique sociale.

7 Ce rapport aux familles est tout à fait significatif d’une nouvelle place accordée aux parents dans la société d’après 1968. Toutes les institutions ont été réenvisagées quant à leurs bases, une multitude de structures nouvelles apparaissent contre l’institution traditionnelle – comme les « crèches sauvages » qui vont devenir les « crèches parentales » et peu à peu permettre la création d’un collectif, l’ACEPP (Association des collectifs enfants-parents-professionnels), qui aura une influence importante au niveau même du gouvernement. Parallèlement apparaît le terme « monoparentalité », introduction en quelque sorte sociologique pour décrire différentes catégories de parents : ce terme réunit à la fois les « filles mères » des années 1950 devenues « mères célibataires » dans les années 1970, les veufs et veuves, désormais moins nombreux que les parents divorcés ou séparés, en nette progression dans les années 1970-1980.

8 La parentalité va devenir ainsi un terme générique de l’évolution de la structure familiale, elle va pouvoir se décliner en « parentalité isolée », « parentalité adoptive », « parentalité recomposée », puis en « homoparentalité » (Cadoret, 2002) et « pluriparentalité » (Le Gall et Bettahar, 2001).

La parentalité comme axe d’analyse de la structure familiale : un nouveau regard sur la famille

9 Si les années 1990 ont vu le développement de ce terme, c’est aussi que les différents aspects qui caractérisent le « fait d’être parent » sont peu à peu bien repérés comme des éléments qui peuvent être dissociés. La structure familiale s’en trouve décomposée.

10 Avec les nouvelles techniques de procréation, une différence devient évidente entre le fait d’être parent comme géniteur et le fait de pouvoir « avoir » et élever un enfant. Cette différence, en partie présente avec la problématique de l’ASE où le parent pouvait être jugé comme non capable d’élever son enfant, se banalise avec l’assistance médicale à la procréation (AMP) et les transformations de la structure familiale. Le développement des CECOS (Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme, créés en 1973), avec les « banques de sperme », officialisait l’existence d’un « père biologique », qui ne sera jamais le père qui exercera la « fonction parentale » auprès de l’enfant (le don est anonyme en France).

11 Avec l’avènement de l’autorité parentale conjointe (1970), ce n’est plus le pater familias le seul responsable de la famille, la mère partage à égalité cette responsabilité. Avec l’évolution du couple, la femme comme l’homme peuvent prétendre à « fonder famille » et à (re)construire une « famille recomposée ». Avec l’augmentation des divorces, des unions libres et des séparations, la conjugalité se distingue de plus en plus nettement de la parentalité, cette dernière devant être pérenne quand la première vacille. La parentalité est pensée de plus en plus comme autonome et doit être parfois étayée financièrement, avec l’allocation de parent isolé, ou socialement, avec les dispositifs d’aide et de soutien aux « parents en solo ».

12 Le travail d’Irène Théry (1998) identifie ainsi trois composantes – biologique, domestique et généalogique – dans le fait d’être parent. Ces trois composantes, classiquement combinées dans la représentation d’une famille traditionnelle, peuvent être dissociées dans d’autres situations familiales, pour des adoptifs, des familles d’accueil ou bien sûr les « familles recomposées » qu’elle a ainsi dénommée pour la première fois.

13 À partir des années 1990, ces transformations au niveau de la procréation comme des structures familiales et de l’égalité des sexes se doublent d’enjeux politiques. Le « soutien à la parentalité » est devenu une action politique qui a pris en quelque sorte une part de la politique familiale passée. Le rapport de Boisson et Verjus (2004) a ainsi pour but de dégager la parentalité « comme une action de citoyenneté ». Le bilan de l’UNAF (Union nationale des associations familiales, 2012) sur le soutien à la parentalité montre toute l’intrication des différentes approches autour d’elle. Le sens pluridisciplinaire de ce terme est patent.

14 Pour aller dans ce sens, nous rappellerons qu’en anthropologie, ainsi que l’indique Maurice Godelier (2004), la parentalité concerne tous les individus qui ont des rapports de « parents à enfant » et assurent ainsi différentes fonctions : le concevoir, l’élever, l’instruire, lui donner un nom, assurer des fonctions d’autorité, de considération et des interdictions, notamment quant à la sexualité (voir également Delaisi de Parseval, 2006). En 2007, par rapport à la définition du groupe de travail de 1998 à laquelle elle a participé, Catherine Sellenet ajoute qu’il manque une prise en compte de ce qui peut modifier en positif ou négatif les éléments de cette parentalité : « le contexte économique et culturel, social, familial, les réseaux de sociabilité, le contexte institutionnel, c’est-à-dire l’étude de l’ensemble des interventions proposées ou imposées à cette famille, le contexte juridique clair ou confus gérant les rapports entre les individus ». Vaste programme.

Comment envisager le sens de ce terme aujourd’hui ?

15 Après les études sur le « devenir » de chaque parent, la mère ou le père, on s’intéresse maintenant à la situation entre les deux parents et au « devenir famille ». D’un point de vue plus psychologique, la « coparentalité » (Favez et Frascarolo, 2011) désigne différentes possibilités d’alliance et de coopération entre la mère et le père pour « faire parent », ensemble, avec l’enfant. Ce n’est plus seulement l’addition de la place du père et de celles de la mère et de l’enfant dont il est question, mais la prise en compte des relations entre ces trois partenaires, au sein d’une « triade ». Les études psychanalytiques et groupales sur la famille permettent d’envisager également l’importance des liens entre les deux parents et entre chaque membre de la famille. Les enjeux de la transmission psychique sont ici fortement soulignés, ainsi que la conflictualité entre conjugalité et parentalité (Mellier, 2015). Rappelant ainsi son précédent travail, D. Houzel (2013) souligne l’intérêt de prendre en compte des situations de « parentalité partielle » pour permettre aux enfants placés de rester en lien avec leur famille. Le « devenir enfant » se conjugue ainsi avec le « devenir parent ».

16 Avec l’évolution du regard sur la sexualité, non seulement l’homme et la femme peuvent former couple pour désirer un enfant, mais également des couples de même sexe, homosexuels. L’un d’entre nous (Gratton, 2008) a bien montré comment ce désir chez des couples gay pouvait se manifester et s’actualiser.

17 Cette évolution du sens de la parentalité toucherait ici la conception même de la parenté, c’est-à-dire le système d’organisation des liens qui organise dans une culture alliance et filiation. Sommes-nous ici dans un troisième sens possible de la parentalité ? Celle-ci a pourtant toujours été, par définition, différenciée du registre de la parenté. Avec la définition de la parentalité d’Irène Théry, nous raisonnons à partir d’un seul modèle de parenté. L’introduction de variations au niveau des composantes tant biologiques, domestiques que généalogiques aboutirait à envisager de multiples formes de parenté. Or le droit français repose sur un seul modèle de parenté, il ne reconnaît « qu’un seul père et qu’une seule mère » (Déchaux, 2009). C’est au prix d’un « ni vu ni connu » sur la place du parent biologique, comme dans les cas d’adoption, de procréation médicalement assistée ou d’enfant de mère porteuse, les cas « d’engendrement avec un tiers donneur », selon l’expression d’Irène Théry (2014) ; le droit devrait-il reconnaître une pluriparenté (Marquet, 2010), comment peut-il s’adapter ? Comment réarticuler ces deux notions ?

18 Évolution très caractéristique de la postmodernité, la « parentalité » pourrait devenir un terme qui tendrait à se suffire à lui-même en devenant le centre de toutes les autres dénominations familiales. Dans une société où prime l’individualisme, elle aurait alors pour double négatif la valeur inflationniste attribuée à l’enfant, avec l’idée d’un « droit à l’enfant » à tout prix (voir le numéro 199 de Dialogue sur les parents « auto-entrepreneurs »). Elle agirait bien ici comme notion « idéologique » apte à masquer toute différence et tout problème.

19 Avec le constat que les parents ne sont pas les seuls « éducateurs » de leur enfant, c’est la notion de coéducation (Neyrand, 2007) qui est amenée, la parentalité devient aussi un dispositif social qui prend en compte l’ensemble des professionnels qui interviennent auprès des enfants, phénomène particulièrement visible dans la petite enfance. La « coparentalité » prend-elle un genre « neutre » ? De plus, avec ce soutien ne prend-on pas un risque, celui du retour à une forme de surveillance, de contrôle (Neyrand, 2011), celui d’une « nouvelle police de la parentalité » (Bastard, 2006) ?

La parentalité ? Contours, détours et redéfinitions

20 Nous n’avons pas de « solution » pour redéfinir ce terme de « parentalité » – si tant est qu’il ait besoin d’une nouvelle définition. Nous proposons cependant dans ce dossier quelques pistes pour mieux cerner ses contours, en partant de la pratique des professionnels ou des chercheurs qui s’y réfèrent. À la définition « topique » que nous a proposée Houzel, nous voudrions ajouter la dimension dynamique et économique de la parentalité, remarquée par nombre d’auteurs et de professionnels. Le processus qui conduit chaque parent à se définir comme parent est fonction du cadre juridique ou social qui lui est fixé, certes, mais aussi de mouvements plus personnels. Cette tension entraîne la perpétuelle recomposition des places que ce terme tente de saisir, au niveau à la fois des parents eux-mêmes, des personnes qui font fonction partiellement de parents et des professionnels qui les accueillent et les accompagnent. L’écart entre la position « objective » définie par la loi ou par l’usage et la position « subjective » de celui qui l’occupe semble animer tous les débats et faire l’histoire de cette « invention ». La parentalité peut ainsi se décliner en d’autres notions avec qui elle entretient des relations de proximité a priori évidentes : la paternité, la conjugalité, l’intergénérationnel ou plutôt ce que l’on pourrait appeler « l’ancestralité », plus largement la professionnalité, mais aussi la parenté avec la question de l’évolution du droit.

21 Dans une première partie nous reprendrons l’idée d’une parentalité comme axe d’analyse de la structure familiale. La pratique en AMP confronte plus que jamais le clinicien à la dissociation entre le père biologique et le père réel et symbolique de l’enfant, mais aussi à « l’égalité » du désir d’enfant exprimé par le couple, l’homme ou la femme en demande d’aide. Alors que la théorie psychanalytique référée à Lacan est fondée sur la « place du père » (cf. le « nom-du-père »), cette clinique amène Virginie Jacob-Alby et Jean-Michel Vives à envisager que ce ne serait plus la paternité mais la parentalité qui ferait famille. Serge Bédère, de son côté, nous fait part de ses dernières réflexions. La pratique dans les espaces de rencontre, lieu emblématique du soutien à la parentalité, confronte les praticiens à une évolution de la dureté des conflits conjugaux et des recompositions parentales. Non pas que ces derniers soient plus dévastateurs que dans les années passées, mais ils prennent une forme plus insidieuse. L’enfant se trouverait de fait responsable du problème des adultes ; le « droit au désir », à la conjugalité, balaierait les nécessaires contraintes de la parentalité et de l’histoire. Dans l’article de Josiane Broche-Jarrin, la prise en charge d’enfants amène à envisager le difficile « devenir mère » de femmes qui ont été marquées par la grande Histoire. Le problème exposé montre comment la parentalité doit aussi pouvoir se référer à la culture des ancêtres, parents mêmes des grands-parents, et permettre ainsi au parent de s’inscrire dans une lignée. L’exemple de la Martinique, avec le double registre des soins (médico-social ou traditionnel, « visible » ou « invisible »), est ici emblématique, bien que trop peu connu.

22 Dans la deuxième partie de notre dossier nous reprendrons l’idée d’une parentalité comme axe de réflexion pour les professionnels chargés de « leurs » enfants. Nous ferons le point plus prosaïquement sur l’utilité actuelle d’un tel terme pour les professionnels. La protection de l’enfance sera ici directement interrogée ainsi qu’une autre institution. Le premier constat, plutôt pessimiste, de Michel Boutanquoi concerne tout l’écart existant encore entre les « avancées » que semblait permettre la compréhension de la parenté dite d’Houzel. Une recherche très précise à partir du discours des professionnels et des parents montre toutes les difficultés encore présentes d’envisager chez l’autre, le parent, « l’expérience de la parentalité ». Nous modérerons cependant ici ce constat, en rappelant qu’un dispositif de recherche, qui ici inclut de plain-pied et les professionnels et les parents d’un même service, aurait été vingt ans plus tôt tout simplement impossible. Le deuxième texte va dans le même sens. Vicky Lafantaisie, Tristan Milot et Carl Lacharité procèdent à une analyse serrée d’un corpus de textes d’une revue « pilote » au niveau scientifique au Québec. Ils montrent comment cette « expérience des parents » semble bien peu prise en compte. Parler de « négligence », ou de « maltraitance », devrait pourtant introduire plus explicitement la propre problématique des parents et les conditions de leur « pratique parentale ». Il n’en est rien. Nous pouvons voir ici que cette conceptualisation ne fait pas « bon ménage » avec un point de vue plus « scientiste » et réducteur, nous n’en sommes pas étonnés. L’actualité et la pertinence de la définition de 1998 apparaissent ainsi bien intactes. Le dernier texte, sur l’institution scolaire, de Nancy Bresson et Denis Mellier introduit à sa manière une ouverture dans ce tableau peu encourageant. Dans une institution où le problème des relations avec les parents est plus que jamais d’actualité – au regard de l’évolution de l’école, de la nouvelle place que prennent les parents et de la « désacralisation » du rôle des enseignants –, l’introduction notamment de l’analyse de la pratique aide les enseignants à mieux percevoir les problèmes des parents. Ils font alors référence aussi aux « parents en eux-mêmes ». C’est ici qu’un prolongement de la parentalité pourrait être utilement envisagé : en tant que professionnel, pour avoir accès à « l’expérience du parent », encore faut-il être ouvert à sa propre expérience, aux parents que l’on a eus, au parent éventuellement que l’on est devenu, à l’enfant que l’on soigne en enseignant, etc. Tout un travail sur soi que la modernité, dans sa fuite en avant, peine à préserver.

23 Ce « parent interne » présent chez tout professionnel avait été pointé par Houzel en 1998. Lors d’une récente conférence [1], il distingue une parentalité « externe » d’une parentalité « interne », qu’il étudie et qu’il attribue également aux professionnels. Il met l’accent sur la « bisexualité » constitutive de cette expérience d’être parent, avec les risques de clivage que cela comporte, mais aussi la possibilité très précoce d’une « tiercéité » (Houzel, 2015).

24 Pour ponctuer en quelque sorte le débat, nous pourrons suivre ensuite les réflexions d’Irène Théry sur la nécessité d’une évolution du droit français. Présidente en effet d’un groupe de travail au ministère de la Famille, elle vient récemment de rendre son rapport (Théry et Leroyer, 2014). Si elle constate effectivement le développement de l’écart entre le parent « biologique » et le parent « social » (dans tous les différents cas de recours à un tiers et pas seulement dans l’homoparentalité), elle insiste surtout sur le droit de l’enfant à savoir son origine, notamment dans les cas d’adoption ou d’« accouchement sous X ». Comment protéger les parents de naissance tout en garantissant ce droit à l’enfant ? Face à un droit français qui repose sur un « ni vu ni connu » (du point de vue de l’origine de la procréation), elle avance l’idée de la reconnaissance, en droit, d’une triple modalité d’être parent : la procréation charnelle, l’adoption et l’engendrement par un tiers, avec des conséquences bien sûr quant à la rédaction de l’acte de naissance. La loi qui est maintenant clarifiée face à l’évolution du mariage devrait s’atteler à la question de la filiation. Il s’agit ici d’une interview, nous remercions Irène Théry ainsi que la rédaction du Monde de nous avoir permis d’introduire ce point de vue dans ce dossier.

25 La parentalité reste plus que jamais un enjeu de débat, c’est la seule façon, croyons-nous, de garantir à ce terme de ne pas s’affadir dans un « passe-partout » inodore et incolore. Souhaitons que ce numéro participe à ce débat.

26 Dans la partie hors dossier, Céline Masson traite de la manière dont la troisième génération après la Shoah vit le fait que les grands-parents juifs aient changé de nom. Ce qui permet aux auteurs d’ouvrir une réflexion sur le sens et les fonctions du nom patronymique dans ce qu’il engage psychiquement dans la filiation. Ils abordent aussi la nécessité de mieux saisir le poids des secrets et de la dissimulation dans l’histoire familiale sur les enfants et leur descendance. Dans un tout autre registre, à partir d’une revue de la littérature scientifique nationale et internationale de 1960 à 2011, Marie Lamarque et Olivia Troupel s’intéressent aux parents de jumeaux, en particulier aux pères et à la manière dont le duo d’enfants interagit avec le couple parental. Enfin, Alix Bernard présente le cas d’une jeune femme sourde suivie en thérapie. Cette étude montre qu’une approche psychodynamique permet d’être attentif à la dimension défensive en jeu dans la mise au premier plan d’imagos parentales clivées, avec d’un côté une mère idéale, de l’autre un père qui focalise l’agressivité.

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Mots-clés éditeurs : évolution sociale, parents, famille, protection de l'enfance, parentalité

Date de mise en ligne : 17/03/2015.

https://doi.org/10.3917/dia.207.0007

Notes

  • [1]
    « Les figures de la parentalité », GERPEN, 29-30 novembre 2014, Paris.
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