Dialogue 2015/1 n° 207

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Article de revue

Parentalité et paternité : les nouvelles modalités contemporaines du « faire famille »

Pages 19 à 30

Notes

  • [1]
    Proposition faite actuellement par certains sociologues pour désigner l’infertilité propre à la situation homosexuelle.

1 La décision d’autoriser le « mariage pour tous » a vivement fait réagir une partie de la société française. Déjà en 1985, dans leur bilan quant à l’homoparentalité, Vecho et Schneider remarquaient que les couples homoparentaux posaient à la société des questions anthropologiques, sociologiques et psychologiques majeures. De fait, un père et une mère vivant dans un même foyer avec leurs enfants biologiques, même s’il reste le plus courant, n’est plus aujourd’hui le seul assemblage domestique. L’essor des sciences et techniques accompagne une mutation importante imposée à la filiation, à la famille et à la parentalité. La PMA (procréation médicalement assistée) permet, en effet, diverses modalités d’accès à la maternité et à la paternité qui peuvent s’incarner dans une même personne ou se diffracter. Ainsi, le lien parental ne peut plus être pensé sur un mode univoque, il se décline sur un mode pluriel qui suggère l’existence de parents additionnels sans exclusive, cohabitant avec ou sans concurrence. Beaux-parents, donneurs, donneuses, gestatrices peuvent coexister au sein de familles élargies fondées sur des liens qui débordent, sans pour autant menacer le strict noyau de la filiation légitime. Dans cette ère des parentalités, chaque parentalité relève d’une élaboration variable et variée propre à chaque sujet et à laquelle il tient. Notre expérience clinique de plus de dix ans dans l’accompagnement de sujets ayant recours à la PMA nous a conduits à poser l’hypothèse que les familles nées des PMA représentent un enseignement quant aux nouvelles modalités d’expression de la parentalité contemporaine que nous n’envisageons qu’au pluriel. Elles nous renseignent fondamentalement sur les modalités du « faire famille » que nous rencontrons quotidiennement dans notre clinique et sur cette question de la parentalité qui semble être l’outil pour penser ce qu’est une famille aujourd’hui.

La parentalité

2 La parentalité, à la différence de la parenté, fait référence à un processus psychique et non biologique, qui s’amorce chez les sujets en passe de devenir parents. La parentalité commence avec le désir d’enfant et se cristallise avec la parentalisation que l’enfant fait de ses parents.

3 C’est un néologisme proposé par le champ « psy » et sociologique. La parentalité relève du choix des personnes : pour les « psys », c’est le travail psychique par lequel un sujet se mue en parent lorsqu’il rencontre l’enfant. Cramer et Palacio-Espasa (1993) proposent cette notion pour désigner les processus psychopathologiques décrits dans l’interaction parents-enfants renvoyant à la fois à l’identification projective et au conflit narcissique. Les sociologues, de leur côté (Neyrand, 2007), qualifient de parentalité les fonctions et rôles parentaux qu’un sujet décide d’exercer tels que l’élevage, l’éducation, la gestion du quotidien, et ce, quel que soit le statut légal de l’adulte impliqué dans la vie de l’enfant. Les beaux-parents en sont les représentants les plus emblématiques ; parfois ils investissent la fonction parentale et, d’autres fois, pas du tout.

4 Le terme de « parentalité » s’est aujourd’hui imposé et beaucoup de champs en font usage, notamment depuis que l’autorité parentale conjointe a pris le pas sur l’autorité paternelle et depuis les nouvelles modalités de faire famille. La promulgation de cette égalité, en termes d’autorité, a fait chuter le discours en vigueur qui fondait les places et les fonctions de chacun dans une logique patriarcale. Si Lebrun (2009) a pu parfois nous alerter sur les conséquences, voire condamner cette égalité sociale, ce ne sera pas ici notre propos. Une des conséquences de l’égalité quant à l’autorité parentale est que le désir d’enfant ne se fonde plus systématiquement sur une altérité, ainsi n’importe quel sujet, quelle que soit sa situation conjugale, peut-il réaliser un projet d’enfant, ceci grâce à la PMA ; et quoi que nous pensions de cet état de fait nous sommes bien obligés de le traiter en cliniciens, c’est-à-dire avec neutralité et bienveillance.

5 La problématique de la parentalité dépasse la question de la procréation et de la filiation. Dumas (2009), en référence à Lacan, rappelle que l’enfant est conçu tant par les paroles et les désirs partagés que dans un acte sexuel. La parentalité implique un travail psychique qui s’effectue à partir de l’histoire de chacun des parents, elle est ainsi infiltrée de représentations et de fantasmes liés à la sexualité et elle se nourrit des figures parentales rencontrées sur la scène réelle (Solis-Ponton, 2001). Ainsi, deux registres, le social et le psychique, se combinent et nous permettent une modélisation de la réalité parentale (Noël et Saint-Cyr, 2012).

La PMA

6 L’ordre des choses a été bouleversé avec l’introduction de la PMA dans les nouveaux modes de faire famille. Comme le développe Delaisi de Parseval (2008), les aléas de la conjugalité et la nécessité de développement personnel provoquent depuis plusieurs décennies un surinvestissement de l’axe de la filiation ; ainsi, les parents deviennent beaucoup plus soucieux de leur investissement parental et de la transmission filiale que de leurs investissements conjugaux. L’apparition de nouvelles technologies de procréation couplée à une évolution de la place des femmes dans la société a ainsi favorisé l’essor de parentalités nouvelles impliquant un décalage entre procréation et filiation. Jusqu’à la procréation médicalement assistée, le biologique coïncidait avec le social, hormis dans les cas d’adoption, les parents étaient les géniteurs. La tradition occidentale qui se fondait sur le fait qu’il n’y ait que deux parents a ainsi été bouleversée puisque la procréation médicalement assistée est venue dissocier l’ovocyte de l’utérus et du spermatozoïde. Depuis l’introduction de la contraception – qui a introduit une rupture entre procréation et sexualité – et depuis l’apparition de la PMA – qui entraîne une rupture entre procréation et filiation – les choses ont aussi changé dans la façon de faire des enfants et de devenir parents.

7 Ainsi, les procréateurs ne sont plus forcément les parents et cela pose des questions quant à la construction de l’identité parentale. En Europe et dans le monde, les techniques de procréation médicalement assistée ne sont plus réservées au couple souffrant d’infertilité biologique, les couples concernés par les « infertilités sociales [1] » y ont également recours, d’où l’entrée sur la scène de l’homoparentalité. Nous assistons donc à une mutation sociale dont les enjeux essentiels se repèrent dans la mise au monde d’un enfant, puis dans l’élaboration de parentalités.

8 La PMA a donc contribué à la modification profonde des familles, modification qui s’est déjà engagée sur le plan sociologique notamment, nous l’avons dit, du fait de l’évolution de la place de femmes dans la société. Ainsi, suite à la contraception et à la sexualité sans enfant est devenue possible la procréation sans sexualité qui se passe de la rencontre entre deux corps désirants. Marinopoulos (2007) nomme cela la « décorporéisation » de la conception. Ainsi, comme le dit Delaisi de Parseval (2006), les signifiants corporels du lien filial et de la parentalité se révèlent séparés et recombinés dans les techniques de PMA en accentuant les clivages du sexuel et du parental. Pourtant, comme le fait remarquer Korff-Sausse (2006), le sujet humain déploie une étonnante capacité à mettre en place des processus psychiques pour parvenir malgré tout à une subjectivation et nous ajoutons que la parentalité est en cela une création issue de ce travail psychique.

Nouveaux modèles familiaux

9 Nous assistons donc aujourd’hui à une mutation de la famille (Neyrand, 2007) et des cadres de la parentalité et cela n’est pas sans conséquences sur la construction subjective des différents membres de la famille et sur la fonction parentale en pleine recomposition dont la parentalité est le reflet. À partir des années 1960, la nouvelle génération a contesté le modèle familial asymétrique fondé sur l’autorité paternelle. Il s’est agi alors d’avoir le souci de soi et de la liberté individuelle associé à une nécessité d’égalité des positions au sein de la famille. La redéfinition de la position des femmes a tenu une place centrale dans les nouvelles dynamiques familiales. En effet, les mêmes droits sociaux et parentaux ont été donnés aux deux sexes.

10 Le mariage a alors changé de sens, il s’est personnalisé, donnant plus facilement la possibilité de divorce, avec comme conséquences la monoparentalité et la coparentalité. Depuis lors, l’épanouissement conjugal prime et implique une dissociation de la relation entre conjoints et de la relation aux enfants. La famille est ainsi désinstitutionnalisée du fait d’une conjugalité centrée sur la relation affective de plus en plus volatile (le divorce par consentement mutuel est devenu le plus courant). Parallèlement à cette volatilité conjugale se trouve transféré sur la parentalité un principe d’indissolubilité et d’inconditionnalité qui caractérisait autrefois le mariage. Nous assistons à la fragilité du lien conjugal et à une logique paradoxale de permanence revendiquée du lien parental. Le mariage se centre aujourd’hui plus sur la conjugalité que sur la parentalité mais, en cas de « démariage », c’est la parentalité qui est surinvestie et qui est au cœur des nouveaux modes de faire famille.

11 Nous avons ainsi affaire à deux tendances en termes de parentalité suite au démariage :

12 – la coparentalité qui implique l’égalisation des places parentales, c’est un principe de définition de la parentalité qui passe par le partage de l’autorité parentale. La filiation va s’affirmer biparentale à tous les niveaux. Détachée de la conjugalité, la parentalité perdure en droit en toute situation, selon ce principe d’inconditionnalité et d’indissolubilité de lien parental. Cela a abouti en 2002 à la loi qui a légitimé la résidence alternée. La conception de l’autorité qui s’en dégage relève de la déliaison qui s’est opérée entre paternité et autorité. Le pendant de cette évolution est que la parenté va s’affirmer biparentale tant au niveau naturel que dans l’héritage et au niveau du patronyme (Bruel et coll., 2001) ;

13 – la monoparentalité où la dimension prédominante de la parentalité est assurée par celui qui a une présence plus importante auprès de l’enfant. Elle est asymétrique dans la réalité alors que la dimension qui concerne la parenté est symétrique, il y a nécessité d’une double parenté. On observe ainsi un clivage entre ce qui se joue au niveau psychique pour l’enfant en termes de parenté et le niveau de présence, de prise en charge quotidienne.

14 Notons pourtant que cette tendance à privatiser et personnaliser la relation conjugale n’a pas aboli la recherche d’institutionnalisation des couples. Nous le constatons, les nouveaux modèles génèrent des résistances tant sur le plan social que sur le plan psychique, ceci en faisant valoir leur référence aux positions paternelles et maternelles (Neyrand, 2007). Il se produit ainsi des conflits intrapsychiques entre les dimensions inconscientes et les modèles sociaux nouvellement véhiculés en décalage avec les normes traditionnelles intériorisées.

La nécessaire référence à la famille

15 Nous remarquons dans notre pratique que, dans nombre de cas rencontrés, dès lors que la démarche de faire un enfant seule ou dans le cadre d’un couple homoparental s’enclenche, au moment donc où la question d’être parent surgit, l’idée de famille reste l’ultime référence. La question du mariage homosexuel est d’ailleurs devenue une revendication extrêmement vive, pour les couples homosexuels, depuis qu’ils ont accès à la PMA ou à la GPA (grossesse pour autrui) pour avoir des enfants. Le fait même d’avoir un enfant a impliqué pour eux la nécessité d’un faire famille passant par l’institution du mariage noué à l’accès à la parentalité.

16 Houzel (2002) défend dans son texte « Les enjeux de la parentalité » que la famille « est à la fois le lieu d’inscription de l’enfant dans une généalogie et dans une filiation, inscription nécessaire à la constitution de son identité […], et le lieu de confrontation aux trois différences fondatrices que tout psychisme humain doit affronter et résoudre : la différence de soi et des autres, la différence de sexes et la différence des générations ». En ce qui nous concerne, nous vérifions dans notre clinique que l’évolution actuelle de la législation quant au « mariage pour tous » montre en fait que la fonction de la notion de famille nouée à celle de la parentalité dans le corps social est fondamentale à la constitution subjective. Ce que démontre la clinique de la PMA, notamment avec donneur de gamètes, c’est que, au-delà de la transmission de la vie et d’un capital biologique, l’enfant a besoin d’être en relation avec un désir qui ne soit pas anonyme et qui s’inscrive dans le champ de représentations dites familiales.

17 Ce qui nous semble important, c’est que les rôles du père et de la mère se repèrent en dehors d’une répartition dite naturelle liée au sexe ou encore culturelle liée au genre. Ainsi, la fonction paternelle implique la castration et permet une autorité qui se garantit de la parole. La fonction maternelle implique, elle, la transmission de la marque d’un intérêt particularisé, soit la présence d’un désir non anonyme. Lacan parle aussi du malentendu « que votre lignée vous a transmis en vous donnant la vie », il introduit donc que rien n’est naturel pour faire lien entre un père et une mère et un enfant. Le malentendu serait ainsi le seul nom du lien entre les membres de la famille, quelle que soit sa composition.

De la famille aux familles

18 Nous assistons aujourd’hui à une importante différenciation des rôles et des places, des fonctions, des statuts, au point que la notion de « la famille » fait place à la notion « des familles ». L’institution familiale classique cède ainsi à une multiplicité de combinaisons dans lesquelles se tissent des liens affectifs horizontaux et intergénérationnels qui relèvent de la matrice parentale mais sans relever d’une structure familiale. Si bien qu’avec les anthropologues et les sociologues nous en venons à penser la pluriparentalité en nous appuyant sur la différenciation entre filiation, parenté et parentalité (Mehl, 2011).

19 Selon une approche psychanalytique, les parentalités, soit l’expérience d’être père ou mère, sont une histoire d’affects et de valeurs en permanente évolution. Ce principe de parentalité est ouvert à l’environnement et à ses mouvements mais il ne peut pourtant s’abstraire de l’état antérieur de la société. Nous le savons, le passé est inscrit en chaque sujet et le nouveau dépend de l’antériorité pour s’accomplir en s’émancipant d’elle. Législateurs, gynécologues, biologistes, sociologues, psychanalystes et autres intervenants concernés par les familles ont ainsi la tâche de repérer les différentes facettes de cette parentalité continûment en mouvement. Il ne s’agit donc pas d’œuvrer dans le sens d’un pour tous, mais au contraire d’accompagner les singularités que sont désormais les familles qui émergent de ce qui réside en chacun.

La place des femmes

20 C’est Claude Lévi-Strauss qui, en explorant les structures élémentaires de la parenté, a mis à jour une logique fondamentale dans les sociétés matrilinéaires et patrilinéaires, soit que les hommes échangent les femmes. Avant lui, Freud avait présenté en fictions théoriques ce qu’il lisait dans les rêves, les mythes et la littérature ; ainsi, à propos du mariage et de la famille, a-t-il proposé le mythe de la horde primitive. C’est parce que les frères tuent le père de la horde primitive, ce père qui possède toutes les femmes, que les frères pactisent. Les frères, qui ont alors intériorisé psychiquement les interdits du père mort, s’imposent la première des lois : l’interdit de l’inceste, qui les détourne des femmes de leur propre clan et les oriente vers les étrangères. Freud, dans ce mythe de la horde primitive, nous indique que le passage de la horde à la famille suppose le paternel. Il précise également que l’hétérosexualité qui implique une psychisation de la génitalité et de la différence sexuelle est une acquisition plus tardive mais aussi plus fragile.

21 Aujourd’hui le mariage « pour tous » et les bébés « pour tous » rappellent la fragilité du mariage hétérosexuel et en révèlent en même temps le rôle central et incontournable de norme qu’il continue d’incarner, d’où la demande des couples homosexuels d’accéder au mariage dans une identification aux couples hétérosexuels. Il se soutient du fantasme de la scène primitive qui persiste dans les inconscients malgré ce clivage entre procréation et sexualité. Le couple hétérosexuel et sa famille sont le point de mire des valeurs pour parer à la solitude, au souci de se prolonger et de transmettre, et c’est bien à papa et maman que l’on se réfère en revendiquant le « mariage pour tous ». François Richard (2011) relie d’ailleurs l’émergence contemporaine de la notion de parentalité à la spécificité de l’actuel malaise dans la culture lié à cette référence forte au couple hétérosexuel.

L’hétérosexualité

22 Freud a fait valoir que l’acte de procréer qui hante les humains n’est pas un acte naturel et qu’il est le foyer de la différence sexuelle qui s’affirme dans des fantasmes tels que la scène primitive. Ce fantasme originel et universel met en évidence la fusion et la confusion de l’homme et de la femme avec son lot d’angoisse compensé par la conception possible d’un être nouveau et c’est ce qui lui donne son sens. Le principe du paternel et de la parentalité s’incarne dans la dyade hétérosexuelle des deux parents (Kristeva, 2013). Lacan (1973) l’annonce, « il n’y a pas de rapport sexuel », le couple sexuel se perpétue à l’aide d’un tiers. Le couple hétérosexuel espère un tiers qu’il aura engendré. Faute d’éternité, l’enfant renoue ainsi la chaîne des générations, il est le signe de la transcendance symbolique qui assure la transmission transgénérationnelle.

23 Nous pouvons ainsi constater que plus les valeurs et le couple hétéro-sexuel vacillent, plus la procréation médicale et la mère porteuse remplacent la scène primitive, plus l’enfant que l’on « doit avoir » devient indispensable. Kristeva (2013) parle d’enfant roi antidépresseur souverain. Ajoutons que la parentalité constitue une condition indispensable pour accéder au « bonheur pour tous ».

24 À l’ère de la révolution des modèles familiaux, dans le discours des couples rencontrés à l’occasion de notre pratique clinique, l’hétérosexualité reste toujours un point central. C’est la parentalité qui semble être le point sensible. C’est donc la parentalité plus que la paternité qui nous semble être à interroger.

Un père, une mère

25 Parmi les questions actuelles qui se posent à l’occasion du « mariage pour tous », la question de savoir ce que sont un père et une mère est laissée dans l’ombre. La psychanalyse a donné des éléments de réponse : Lacan a retenu de Joyce le père en tant que fiction légale (1975), pivot, centre fictif et concret du maintien de l’ordre généalogique. Le père est aussi la présence d’un corps qui transmet un mode de jouissance. Mais selon Lacan, le paternel n’est pas fondateur, le langage, le symbolique, le génétique lui préexistent, et c’est aussi à partir de son désir qu’il participe à la tiercéité. Concernant la fonction paternelle, l’apport majeur de Lacan se situe dans la tiercéité structurante du langage, qui étaye le sujet parlant dans sa capacité de parler et de penser. Il est au même titre que le maternel le recommencement du parental.

26 De plus, contrairement à la tradition populaire, Lacan présente la mère sous un jour féroce, une figure inquiétante et dangereuse. Dans le séminaire XVII, la mère est présentée sous les traits d’un crocodile à la gueule grande ouverte et menaçante. Cette dimension nécessite la création du couple maternel-paternel, hétérogénéité liée au langage, qui permet de parler et de penser le maternel.

27 À partir de là, nous soutenons que chaque être parlant, dit parlêtre, peut être porteur des fonctions parentales que nous résumerons ainsi : être porteur d’un intérêt particularisé pour l’enfant et de la castration liée au langage, ceci indifféremment du sexe et du genre du parent concerné. Au-delà du fait que les parents soient de deux sexes différents ou de même sexe, ce qui compte, c’est ce qui vient d’eux, ce qu’ils véhiculent de leur désir et de leur rapport à la castration. Pour tout parlêtre, l’exercice de la parentalité dépend donc de racines psychiques relatives à la capacité du parent à aménager une place tierce dans son rapport à l’enfant (Noël, 2012). Ainsi, ces fonctions maternelles et paternelles dégagées par la psychanalyse, en contrepoint d’une norme familiale fondée sur l’hétérosexualité, ne participent que du souci de cette transmission d’un espace tiers nécessaire au petit d’homme accueilli dans le langage. Nous rejoignons ici la pensée de De Neuter (2011) qui précise que le plus important est de développer ce qui peut se dire d’un point de vue psychanalytique des diverses fonctions du « tiers symboligène, structurant et subjectivant », celles-ci en tant que susceptibles d’être « incarnées » par divers agents concrets dans la famille traditionnelle et hors de celle-ci.

Conclusion

28 Il s’agit donc de penser, à l’occasion du « mariage pour tous » et des nouveaux modes de faire famille, l’évolution de la famille et la construction des psychosexualités contemporaines à partir de la question de la parentalité – cette dernière telle qu’envisagée par la théorie psychanalytique de la bisexualité et non plus à partir de la scène primitive. La bisexualité, propre à tout individu, développée par Freud (1920), permet la compréhension de combinaisons infinies quant au parental. L’analyste freudien qui a entériné la différence sexuelle et la bisexualité peut ainsi faire usage de ce concept fondamental dans l’approche de l’expérience des compositions familiales contemporaines dans leur nouage à la parentalité.

29 Nous postulons donc que c’est la création incessante du parental fait de dissolution-recomposition (qui a rapport avec cette affinité vie/mort avec laquelle le psychanalyste travaille) qui permet l’accueil et l’accompagnement de ces nouvelles créations familiales.

30 Ainsi, l’autorité ne disparaît pas dans une société recomposée ou en mutation, elle semble plutôt diluée dans un ajustement permanent des deux parents. Le père et la famille ne semblent pas plus disparaître, ils se disséminent simplement dans des singularités qui les rendent moins repérables. Les psychanalystes ne sont-ils pas les mieux informés pour le faire valoir et qu’il en soit fait usage ? Les « tradis » nostalgiques de la norme et les « modernes » recomposés, PMA, GPA (gestation par autrui), homos, sont tous et au un par un dans une création singulière et spécifique grâce au langage. Procréer, former une famille, adopter, transmettre une filiation reste plus que jamais d’actualité mais nécessite aussi plus que jamais un accompagnement et un éclairage par la psychanalyse.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Proposition faite actuellement par certains sociologues pour désigner l’infertilité propre à la situation homosexuelle.
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