Dialogue 2008/4 n° 182

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Article de revue

Le couple : espace identitaire à trois facettes

Pages 135 à 144

Notes

  • [1]
    Cet article reprend le contenu d’une communication faite au colloque AFCCC - IPSYC de novembre 2007 intitulé « Le couple : conjoints, amants, parents ». Le texte de la communication orale paraîtra dans les actes de ce colloque publiés par érès.
« Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que Borges a raison ?
Est-ce que tout arrive vraiment pour la première fois dans le jardin de l’amour ? »
Brina Svit, Coco Dias ou la Porte dorée

Une identité à facettes

1L’anthropologie aborde la typologie des liens familiaux sous trois angles :

  • la filiation (parent-enfant) ;
  • l’alliance (homme-femme) ;
  • la germanité (frère-sœur).

2C’est souligner la dimension non unitaire (monolithique) d’un individu, qui bénéficie à l’inverse d’une identité constituée mixte (enfant de, conjoint de, germain de).

3On ne peut en effet être quelqu’un et représenter quelque chose pour l’autre que dans la mesure où l’on est (au moins potentiellement) aussi autre chose. Cette dimension d’être « autre » dans un ailleurs fait fonction, en chacun, de position tierce, médiatrice dans la relation à l’autre, à l’opposé d’une position d’omnipotence envahissante, à l’image d’une mère archaïque dévoratrice…

4Au sein du couple, cette autre face de chaque sujet est habituellement soit le conjoint, soit l’amant, soit le parent. Cette prise en compte, par l’objet, d’une autre facette comme également constitutive du sujet lui octroie une dimension de reconnaissance pré-identitaire (à visée potentielle de réparation narcissique). Et c’est parce que la répétition de ce vécu de reconnaissance de ses différentes facettes par l’objet aimé-aimant enjoint le sujet à les investir que le couple peut être le lieu où s’affirme et s’affine l’identité multiple du sujet adulte. C’est en étant reconnu « plusieurs » que peut se nouer une relation non psychotique, de par la possibilité de jouer (au sens winnicottien) avec ces différentes facettes identitaires.

Le couple comme espace

5J’adhère à cette idée de D. Anzieu (1986) du couple comme « enveloppe psychique » structurelle, au sein de laquelle les deux partenaires amoureux tendent à répéter à l’infini cette expérience spéculaire de chacun, enfant, porté par la mère lui montrant le couple qu’ils forment ainsi ensemble. Couple sans tiers dans le fantasme de l’enfant, comblé tout entier par elle et – ou parce que – comblant tout entier la mère. Cette « folie à deux », que l’on retrouve dans le plaisir amoureux de l’illusion fusionnelle, n’est viable que tant qu’un autre, absent de la scène, est cependant présent, père-mari, tiers dans l’esprit du sujet et protecteur contre l’engloutissement. C’est bien entendu l’existence d’un tel tiers qui permet la construction d’un espace à deux et, dans l’intercalaire entre deux sujets-objets, d’une pensée qui vienne distancer l’immédiateté du contact à l’autre, et qui fait donc de cette « folie » quelque chose de non psychotique.

6Dans le couple, cette répétition est rendue possible, dans la réalité externe, lorsque sujet et objet sont dans un rapport mutuel de confiance, avec de surcroît une confiance dans le type d’une relation coconstruite qui ne doit pour cela être perçue ni comme rejetante, ni comme dévoratrice. Ce qui sous-entend là encore la présence d’un tiers présent-absent qui puisse tempérer l’intensité de la relation et garantir la distance nécessaire à la construction du ressenti d’un espace, symbolisable dans un second temps.

7La constitution d’un espace psychique de couple s’accomplit donc à partir des capacités de représentation de chacun des partenaires, d’un rapport de confiance et du sentiment amoureux qui l’unit à l’autre. Cette représentation commune va permettre l’instauration d’une illusion dyadique contenante au sein de laquelle pourra s’épanouir un transfert mutuel des partenaires. Cet intertransfert étaie l’élation de l’objet, unique pour chacun des sujets se ressentant comme unique pour l’autre. I. Berenstein et J. Puget (1986) évoquent là un « objet unique auxiliaire », auxiliaire du moi, avec du coup le risque inhérent de ce type de relation qu’elle se retourne en « piège narcissique » lorsque le sujet se sent abandonné de l’objet, c’est-à-dire finalement lorsque l’illusion d’un cadre contenant se rompt.

8Cette capacité intertransférentielle est peut-être bien ce qu’on appelle l’amour, et dans l’espace psychique du couple, elle est ce qui favorise la régrédience. Elle est ce qui entretient la recherche permanente de la sérénité affective de l’enfant dans les bras de sa mère. Elle est aussi ce qui nourrit la pulsion de répétition et fait se répéter à l’infini toute expérience non élaborée, et donc en attente d’inscription psychique (Roussillon, 1999).

9C’est ce qui m’a fait écrire que « faire couple est faire se rencontrer deux traumas en mal de symbolisation, dans un besoin qui s’ignore comme tel, mais qui ne peut s’accomplir à ce moment-là qu’avec ce partenaire-là » (Garcia, 2007).

Un espace de répétition pour conjoints

10Le couple m’apparaît donc comme cet espace au sein duquel vont pouvoir se remettre au travail, se revivre, les traumas de l’archaïque, entendus comme situés dans un en deçà de la trace mnésique.

11Freud en 1926 a fait de l’hilflosigkeit le modèle prototypique du trauma, constitué de ces deux éléments fondamentaux que sont la non-réponse adaptée de la mère et l’incapacité fonctionnelle de l’enfant de s’en faire une représentation subjectivable. Il s’opère ainsi là une souffrance qui ne se sait pas et qui pourtant se manifeste et s’agit dans le rapport transférentiel à l’autre du couple. On est, bien entendu, dans un en deçà du pacte dénégatif décrit par R. Kaës (1989), où le lien du couple se soutient du refoulement ou du déni de motions pulsionnelles insoutenables pour les deux partenaires. Ici, rien n’est à nier puisque rien n’a encore été vécu psychiquement de ce qui s’est passé. On n’est pas dans le registre du refoulement mais dans celui du clivage, qui « laisse par conséquent subsister une zone traumatique non subjectivée pouvant s’actualiser lors de tout nouvel échec d’une rencontre » (Porte, 2006).

12Le couple est là dans cette attente, dans l’espoir que le conjoint soit l’objet à qui et pour qui s’adresse cette répétition, mais qu’il réagisse de manière suffisamment différente et appropriée, dans les crises que les conjoints traversent nécessairement, pour que s’établisse le contraste entre le passé traumatique et le présent de ce qui se vit dans cet espace-couple, qui peut alors se présenter comme lieu de symbolisation. En ceci réside (dans le meilleur des cas) ce que j’ai pu appeler ailleurs la « fonction réparatrice du couple » : « Solidement investie par deux partenaires suffisamment rassurés et confiants l’un dans l’autre et dans leur espace-couple, la crise ouvre sur l’élaboration des angoisses de séparation et de mort, à même d’engager un processus de symbolisation du trauma primaire. Dans le cas contraire, on a affaire à une simple duplication, traduisible dans la rupture de ce cadre couple, et donc la séparation des partenaires, vécue sur un mode abandonnique » (Garcia, 2007).

13Le couple de conjoints est donc cette instance potentiellement thérapeutique, quand il permet de remettre en liaison l’affect réprimé avec la pensée et d’intégrer au tissu représentatif du moi les expériences archaïques traumatiques. Lieu de réparation narcissique, le couple devient de fait un lieu de constitution identitaire dans la mesure où le sujet se réorganise psychiquement à travers la relation conjugale présente en réélaborant les avatars du rapport à son objet d’amour primaire.

Vignette clinique

14Au cours de la thérapie de couple, Mme T. rapporte un incident vécu le week-end précédant la séance, qui l’a beaucoup fait souffrir durant toute la semaine écoulée. Un repas au restaurant étant réservé à midi pile (M. T. est très soucieux que les choses se fassent à l’heure), son mari, prêt à l’heure prévue pour le départ, s’installe au piano tout en chantant à tue-tête et en boucle : « Je suis prêt, moi, je suis prêt, moi, je suis prêt ! » Sa femme, qui a l’habitude (qu’elle ramène régulièrement en séance) de compter toujours au moins quinze minutes de retard, se sent interpellée, panique et se met en colère contre le chanteur. Elle justifie sa colère par le fait qu’il pourrait, étant déjà prêt, préparer la voiture et leur faire ainsi gagner de précieuses minutes. M. T., se sentant injustement agressé, réagit à son tour par de la colère. Ils arriveront au restaurant avec suffisamment de retard pour que leur place ait été attribuée à un autre couple…

15Interrogée sur ce à quoi elle est renvoyée en repensant à cette scène, Mme T. évoque un père pointilleux sur les horaires et intransigeant. Elle se souvient que sa mère était toujours en retard d’une dizaine de minutes au moins et que son père toujours prêt à l’heure dite lisait alors ostensiblement son journal en répétant, rageur : « Je suis prêt, je vous attends encore ! » La mère baissait systématiquement la tête, soumise à l’autorité de son mari, et tournait en rond à force d’essayer de se dépêcher. La petite fille était intérieurement très en colère contre ce père qui ne faisait rien pour aider sa femme à être prête à temps et contre cette mère qui se comportait comme une enfant prise en faute, alors qu’elle gérait toute la vie domestique. Elle se souvient que sa propre colère la terrorisait : « Ce qui aurait pu me calmer, c’est qu’il me serre dans ses bras comme le faisait ma grand-mère. »

16M. T. est très ému à l’écoute de cette répétition vécue par son épouse. Il évoque à son tour un père très pointilleux, qui programmait tout à la minute près, autoritaire et maltraitant. Sa mère était également autoritaire et maltraitante (coups de ceinture). Elle déléguait la gestion de l’emploi du temps familial à son mari et régentait l’éducation et la discipline. Il prend soudainement conscience qu’il est lui-même dans la répétition de ce double rôle à l’égard de son épouse.

17Quelques séances plus tard, Mme T. revient sur cette séance et rapporte le soulagement ressenti quand elle a saisi en même temps que son mari la répétition engagée à ce moment-là dans leur relation de couple : « C’est comme s’il mettait quelques gouttes de baume, c’est magique. Maintenant, on n’est plus en retard, je ne ressens plus la douleur quand on doit se préparer et alors je peux accepter des choses qu’il fait qu’habituellement je ne pouvais supporter. »

18Par cette illustration toute simple, j’ai voulu montrer l’impact de la prise de conscience des répétitions agies, suivies de mises en mots des émotions plus ou moins réprimées. Il me semble que ces micro-réparations au sein des couples renforcent la capacité pare-excitation que les conjoints ont l’un pour l’autre, et renforcent leurs liens affectifs. Cela participe de la fonction thérapeutique du couple.

L’espace des amants

19J. Schaeffer (1997) a insisté sur le rôle de l’amant comme « effracteur nourricier » qui vient révéler la dimension de sa féminité génitale à la femme. Là est son aspect identitaire d’amante. Mais parallèlement, l’amante est celle qui vient révéler à chaque fois la dimension virile de masculinité de l’homme, également dans son aspect identitaire. Et lorsque ce travail est à l’œuvre à chaque rapport sexuel, le lien d’amants devient ce moment identitaire de re-liaison pulsionnelle, c’est-à-dire un moment fusionnel où se délie la connexion identitaire de soi à soi et de soi à l’autre, puis se relie dans la différenciation du partenaire. Par la reconnaissance de l’altérité de l’objet se renforce la dimension unitaire du sujet, d’où le sentiment de plénitude narcissique qui suit le rapport amoureux dans un couple bien étayé sur le sentiment amoureux et la confiance de base.

20À l’inverse, on « tire un coup » ou on « passe à la casserole » lorsque ce travail se transforme en simple moment de décharge tensionnelle, où chaque partenaire, enfermé dans son besoin sexuel, utilise l’autre sans autre désir que l’assouvissement personnel.

21Et, nous dit J. Cournut (2001), « la situation se complique du fait qu’on n’est jamais vraiment sûr de ne pas être seulement l’objet partiel de l’autre et non la personne totale avec laquelle on se désirerait en intimité. » Il n’est en effet pas toujours évident de savoir si on fait l’amour dans le couple ou si l’on est simple objet masturbatoire, et ce qui peut être apprécié dans une relation de passage ne l’est plus nécessairement dans une relation durable. D’où l’importance de la base de confiance et de respect au sein du couple, qui permet un sentiment d’assurance narcissique pour tolérer d’être ponctuellement utile ou soulageant pour le partenaire…

22Pour certains couples, tout se passe comme s’il existait un danger du rapport sexuel lié à la jouissance. Dans la mesure où leur couple assure une restauration narcissique qui permet aux partenaires de ressentir la cohésion du moi à l’intérieur de ses limites, l’acmé de plaisir peut défaire ce sentiment, entraînant le risque que chacun s’y perde, et perde du même coup son objet unique. Chez d’autres, c’est l’excitation qui paraît insoutenable, dans la mesure où elle déborde les capacités psychiques et renvoie dans un ailleurs hors corps ou hors psyché. Les manifestations d’excitation ou de jouissance sont alors vécues comme susceptibles de déchirer l’espace continu de symbolisation du couple. Dans ces situations, le sexuel semble être une menace et sa concrétisation se voit repoussée hors des frontières du couple. La sexualité est ainsi vécue « ailleurs » :
Mme O. me dit : « Je voudrais avoir envie de J.-P. [son mari] comme j’ai envie de Rémy. Mais avec J.-P., c’est pas pareil, c’est plus tendre ; Rémy, c’est sexuel. Peut-être que c’est parce que je vis avec Rémy ce que je n’arrive pas à exprimer avec J.-P. ? » Je lui demande ce qu’elle n’arrive pas à exprimer. Elle répond : « J’aime J.-P. mais avec des sentiments qui ne vont pas avec faire l’amour, alors qu’avec Rémy je ne pense qu’à ces bons moments. Pourtant, je pourrais facilement me laisser aller au plaisir quand je fais l’amour avec J.-P., mais ça ne m’intéresse pas. » Je reprends : « Ça ne vous intéresse pas ? » Elle : « Peut-être parce qu’on est un couple. Mon couple, c’est du sérieux, Rémy c’est du bon temps. Alors avec Rémy, on peut se laisser aller, c’est sans conséquence… Ça me paraît dangereux de se laisser aller dans son couple, parce qu’après on ne sait pas ce qui peut se passer… » Cette femme a délibérément chassé la jouissance de son couple, ressentie comme élément perturbateur d’une co-reconstruction de deux moi qui ne doivent pas fusionner, ce qui la renverrait aux multiples intrusions parentales de sa petite enfance.

23La menace du sexuel peut prendre la figure aussi bien du fusionnel (le trop rapproché engloutissant) que du différenciateur (de « l’union narcissique » dont parle Racamier). Là encore est à comprendre ce qui se rejoue, dans l’espace de ces couples difficilement amants, d’un rapport insatisfaisant pour l’enfant à son objet primaire. Laborieux travail d’analyse car, ainsi que le rappelle Roussillon (2008), « l’échec de l’ajustement maternel produit un processus dégénératif, il intoxique les contenus psychiques en les rendant impropres au travail de symbolisation ».

L’espace des parents dans le couple

24Questionner cette catégorie d’espace revient à s’interroger sur la représentation d’une place et d’une fonction pour soi et pour l’autre en tant que parents dans l’esprit de chacun des partenaires du couple conjugal, a priori amants avant d’être parents.

25« La mère et la femme resteront toujours des ennemies irréconciliables », nous dit M. Fain (1971), et on ne peut dans le même temps être l’une et l’autre. Il ajoute que « les parents n’ont pas de relations sexuelles », ce qui ne va d’ailleurs pas sans poser quelques problèmes au sein du couple…

26Il est à ce titre intéressant de relever certains propos de parents, lorsqu’ils viennent parler de l’arrivée de l’enfant dans le couple : « C’est arrivé comme ça » ; « On a eu de la chance (ou : on n’a pas eu de chance), c’est venu vite » ; « Je suis tombée enceinte sans le vouloir (ou : sans le chercher, sans le savoir) »…, comme si une cause externe, au-delà du rapport sexuel, devait être tenue pour responsable de la conception. Péché originel ? Ils se reconnaissent conjoints, ils sont (ou ont été) amants, mais tout se dit comme s’il fallait quelque chose en plus pour qu’ils deviennent parents…

27Peut-être est-ce parce qu’entre le fait d’être amants et celui d’être parents se situe l’étape clé de la grossesse. Celle-ci fascine et effraie, aussi bien l’homme que la femme, par ce quelque chose qui passe par eux puis se développe indépendamment de leur maîtrise. Car la grossesse renvoie autant à « l’effroi traumatique du pouvoir totalitaire de la mère archaïque » qu’à « l’idéalisation dépressiogène de son infinie nostalgie » (Missonnier, 2004). L’étape d’une première grossesse inaugure également le moment où le couple conjoints-amants n’est plus tout à fait deux, sans être encore plus que deux… Le sentiment d’objet unique est ébranlé, l’axe des pensées et rêveries s’oriente davantage vers le bébé à venir que vers le partenaire, les projets se modifient. L’espace-couple, imaginairement déjà, s’ouvre et s’agrandit. Cette transition, au-delà des mouvements joyeux qu’elle se doit culturellement de manifester, engendre de multiples craintes et, comme nous le montre la clinique des couples, déstabilise la sécurité acquise des liens identitaires de conjoints et d’amants. C’est pourtant sur ceux-ci que s’origine l’identité de parent. L’articulation couple-famille correspond à la reproduction narcissique de l’altérité d’un autre de soi et de l’autre, différent de ses deux géniteurs, qui trouve et prend place dans l’espace auparavant occupé à deux. Ce troisième imaginaire et fantasmatique s’est tout d’abord inscrit dans un engendrement unaire (« c’est mon bébé-à-moi-tout-seul »), avant d’être représenté comme le fruit d’une union duelle, puis de se confronter à la réalité de tiers initiant, par sa présence même, un nouvel espace transcendant l’enveloppe de couple et déterminant une nouvelle configuration : la parentalité.

28Pour A. Ciccone (2007) : « Le couple est ainsi le lieu d’une double articulation : il articule les fonctions maternelles et paternelles entre elles, et il articule l’érotique au parental. » Advenir en tant que parent signifie donc trouver en soi la capacité de se penser passer du deux au trois, puis éventuellement au quatre, au cinq ou plus sans que pour autant ne disparaissent les dimensions d’espaces psychiques individuel et de couple. Mais l’espace psychique de la mère (et, pourquoi pas, du père également) est donc inconciliable avec celui de la femme (et de l’homme), sexués s’entend, dans la mesure où la mère (le père) est dans une fonction parentale de pare-excitation – pour l’enfant –, tandis que la femme (l’homme) est dans l’excitation – pour son amant(e) de sexe opposé. Le parent est corps psychique alors que l’amant est corps érotique, et ces corps différenciés ne sont pas dans le même rapport et ne s’adressent pas au même objet.

29Si revêtir l’identité de parent nécessite de s’ajuster aux besoins de l’enfant, il n’en demeure pas moins que subsistent ceux du conjoint (et nous entendons si souvent ces maris pleurer l’absence de leur femme-amante devenue mère !). Lorsque l’amour-tendresse présent dans l’espace familial envahit l’espace du couple au détriment de l’amour sexué peuvent apparaître des lacunes en représentabilité du nécessaire élément tiers. Et sans tiers, pas de pensée. Parce que le trop d’amour unique détruit, le corps érotique (« bien tempéré », dirait Racamier) est essentiel à la construction : de l’enfant, du couple, de la famille.

30Idéalement, donc, l’homme introduit par le désir de sa femme est ressenti directement dans le corps de l’enfant lorsque, en tant que mère, elle pense au père-amant : elle est présente physiquement mais l’enfant perçoit que quelque chose d’elle lui échappe à ce moment-là, tout dirigé vers un autre, absent de la scène. Le fantasme, représentant psychique de la pulsion, peut alors se construire grâce au travail de mentalisation que force ce ressenti « étranger » à la fusion mère-enfant (dans le sens où ce travail de mise en représentation est justement ce qui va permettre la liaison de l’énergie libre ainsi provoquée). D’où, nous dit M. Fain, ce temps nécessaire de « la censure de l’amante [qui] doit donc s’exercer de telle façon qu’elle puisse permettre aux parents d’oublier, pour le temps de leurs amours, que justement ils sont des parents ».

Conclusion

31L’identité affective du sujet adulte dans le couple tient à la diversification de ses représentations de lui-même dans le rapport à l’autre, et dans la reconnaissance, par l’autre, de ces différentes facettes de lui. Sa représentabilité de conjoint, d’amant, et de parent façonne l’ensemble, lui permettant de jouer entre ces parties variées et inégales de lui dans le but d’atteindre une stabilité affective interne. La condition, bien sûr, est que chacun puisse, le plus harmonieusement possible, articuler ses multiples facettes dans les différentes relations au partenaire.

32Ce qui signifie la capacité, pour chacun, d’accepter à la fois ses différentes positions de sujet (quand je suis amante, je ne suis pas mère) et d’objet pour l’autre sujet (quand je suis son amant, je ne suis pas le « tendre » conjoint dont elle a besoin en une autre situation). Et donc de tolérer également la nécessaire absence permanente d’une des facettes de l’autre (celle qui n’est pas en fonction dans la situation). Cette absence, consentie parce que tem-pérée par l’amour et la confiance au sein de l’espace-couple, permet de penser cet autre en soi et donc de se représenter (et se le représenter) dans sa position identitaire.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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  • COURNUT, J. 2001. Pourquoi les hommes ont peur des femmes, Paris, PUF.
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  • RACAMIER, P.-C. 2001. Le génie des origines, Paris, Payot.
  • ROUSSILLON, R. 1999. Agonie, clivage et symbolisation, PUF.
  • ROUSSILLON, R. 2008. Le jeu et l’entre-je(u), Paris, PUF.
  • SCHAEFFER, J. 1997. Le refus du féminin, Paris, PUF.

Mots-clés éditeurs : espace de répétition, Couple, lieu identitaire, conjoints parents, fonction thérapeutique du couple, conjoints amants

Mise en ligne 23/02/2009

https://doi.org/10.3917/dia.182.0135

Notes

  • [1]
    Cet article reprend le contenu d’une communication faite au colloque AFCCC - IPSYC de novembre 2007 intitulé « Le couple : conjoints, amants, parents ». Le texte de la communication orale paraîtra dans les actes de ce colloque publiés par érès.
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