Notes
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[1]
Je voudrais remercier Caroline Kruse et Laura Cardia-Vonèche, qui m’ont aidé dans la préparation de cette intervention.
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[2]
Benoit Bastard, Laura Cardia-Vonèche, Nathalie Deschamps, Caroline Guillot, Isabelle Sayn, Enfants, parents, séparations. Des lieux d’accueil pour l’exercice du droit de visite et d’hébergement, Paris, Fondation de France, 1994. Benoit Bastard, Laura Cardia-Vonèche, Bernard Eme, Gérard Neyrand, Reconstruire les liens familiaux. Nouvelles pratiques sociales, Paris, Syros, 1996.
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[3]
Benoit Bastard, Jean Gréchez, Des lieux d’accueil pour le maintien des relations enfants-parents. Propositions pour la reconnaissance des Espaces-Rencontre, Rapport remis à Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, avril 2002.
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[4]
Des lieux d’accueil pour le maintien des relations enfants-parents. Propositions pour la reconnaissance des Espaces-Rencontre, rapport cité.
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[5]
Voir à ce sujet dans ce numéro l’article de Caroline Kruse, « Réflexions sur le travail en Espace-Rencontre. L’intervention au piège des pathologies ».
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[6]
Des lieux d’accueil… Rapport cité.
1On a fêté en 2003 les dix ans du Point-Rencontre de Lille. Pour ma part, j’ai commencé à m’intéresser aux Espaces-Rencontre en tant que sociologue en 1988, et, depuis lors, je n’ai pas cessé de les observer et de travailler avec eux [1]. Avec Laura Cardia-Vonèche, j’ai cherché à montrer la diversité et la richesse de leur pratique [2]. J’ai participé, plusieurs années durant, à la création et au développement de la fédération qui les réunit. Découvrant qu’il existait des dispositifs comparables ailleurs qu’en France, nous avons aussi organisé, avec Robert Straus, le colloque qui les a rassemblés à Paris en 1998. Enfin, j’espère avoir contribué à la reconnaissance des Espaces-Rencontre à travers le rapport que j’ai rédigé avec Jean Gréchez pour la ministre déléguée à la Famille [3].
2Bien des questions subsistent. Quelle est aujourd’hui la place des Espaces-Rencontre parmi les interventions qui portent sur les relations enfants-parents, notamment dans les situations de rupture ? Quelle est la spécificité de l’action des Espaces-Rencontre et d’où tiennent-ils leur identité ? Quelle place occupent-ils dans le champ judiciaire, dans la santé mentale, dans le travail social ? Et quel enseignement tirer de cette analyse pour l’avenir des Espaces-Rencontre ?
Les origines des Espaces-Rencontre
3Je voudrais ici évoquer les commencements et signaler les principaux axes selon lesquels s’est effectuée la mobilisation qui a abouti à la création des Espaces-Rencontre. Je citerai quatre arrière-plans sur lesquels s’est développée cette innovation : le champ de la justice, celui de la psychologie et de la psychanalyse, le monde du travail social et, dernier mobilisé, celui de la protection de l’enfance.
4En ce qui concerne la justice, il faut revenir à la fin des années 1980. On « absorbe » la réforme du divorce, on réfléchit à la possibilité de créer des « chambres de la famille ». De nombreux magistrats, ainsi que des avocats, sont associés aux expériences en cours, qu’il s’agisse de la médiation ou des « Points-Rencontre ». On pense à Marie Lacroix, JAF à Clermont-Ferrand, associée à la naissance d’un lieu, le Couvige. À Bordeaux, à Pierre Barbet, avocat, qui est encore aujourd’hui un ami de la fédération des lieux d’accueil pour le maintien des relations enfants-parents.
5Le deuxième arrière-plan, associé au précédent dans la création du Point-Rencontre de Bordeaux, c’est celui de la psychologie, de la psychanalyse. On pense, par exemple, à l’AFCCC, qui regroupe des professionnels, psycho-logues, conseillers conjugaux, thérapeutes de couple. Confrontés, dans les consultations ou dans les pratiques institutionnelles, aux difficultés personnelles et au dysfonctionnement familiaux produits ou révélés par les ruptures d’unions, les responsables de ces structures et les professionnels engagés dans le soutien à la famille ont pu voir, bien légitimement, dans l’aide aux divorçants un nouveau champ d’application pour leurs compétences.
6S’est trouvé également mobilisé le domaine du travail social. Des enquêteurs sociaux, des assistantes sociales qui travaillent pour les juges pour enfants s’alarment des évolutions en cours et ne sont pas entièrement satisfaits de la place qui leur est faite. À Grenoble, par exemple, Annie Selleron-Porcedda, la créatrice de la Passerelle, aujourd’hui directrice d’une structure de médiation, se plaint de devoir « organiser des droits de visite dans sa voiture ». Leur idée, lorsqu’il vont se lancer dans l’Espace-Rencontre, sera double : enlever à leur pratique sa dimension de « contrôle social » et, simultanément, développer de nouvelles formes d’intervention, avec une dimension d’accueil qui s’apparente à la notion d’insertion alors particulièrement en vogue.
7Le dernier background à évoquer est le champ de la protection de l’enfance, dont il faut dire qu’il ne s’est mobilisé que plus tard avec l’engagement de certaines Sauvegardes.
8L’extraordinaire, c’est que la création des Espaces-Rencontre procède, au-delà de cette diversité d’origines, d’un mouvement commun qui les dépasse et qui lie entre eux ces champs de la pratique socio-légale. Les réflexions engagées à partir de ces différentes personnes et de ces différents points de départ ont en effet abouti à un concept commun et à un dispositif analogue – même si se greffent sur lui des pratiques distinctes.
9Le concept commun, c’est l’idée de la priorité à donner au maintien des liens. Les réflexions menées dans les différents cadres ont conduit à penser que les souffrances rencontrées par les parents et les enfants, les dysfonctionnements des relations familiales postdivorce, provenaient notamment de la rupture des relations entre l’enfant et le parent avec lequel il ne vit pas, de la mise à l’écart d’un parent. Par conséquent, parmi les divers problèmes que présentent les désunions, l’attention s’est focalisée sur la question du droit de visite. Cette question est devenue l’enjeu et l’objectif majeurs, et a coloré entièrement l’action des divers lieux créés pendant les dix premières années de leur existence.
10À « concept » commun, solutions identiques : sans se concerter, les lieux d’accueil pour l’exercice du droit de visite ont mis en place d’une manière extraordinairement convergente un dispositif analogue, qui se caractérise par les éléments que vous connaissez : un espace (un lieu physique pour que les rencontres se fassent), un « cadre » de travail (un ensemble de règles s’appliquant à la présentation de l’enfant et à la rencontre avec lui) et un accompagnement (la présence de tiers qui, de différentes manières, soutiennent les enfants et les parents dans la rencontre et les poussent à respecter le cadre et à modifier leur manière de voir la situation pour qu’à terme des rencontres puissent se poursuivre autrement).
11Je n’irai pas plus loin dans l’analyse. Vous savez que ce dispositif opère avec des pratiques ou des options théoriques différentes. Mais peu importe : les lieux se rattachent à une même « famille », comme le symbolise l’existence de la fédération.
Quelle place occupent aujourd’hui les Espaces-Rencontre ?
12Quelle place occupent aujourd’hui les Espaces-Rencontre dans le champ des interventions qui concernent la famille – dans le champ judiciaire, dans la santé mentale, dans le travail social ?
Les Espaces-Rencontre et la justice : reconnaissance et indifférence
13La relation des Espaces-Rencontre au monde du droit et de la justice a deux faces : elle est faite de reconnaissance d’un côté, d’ignorance ou d’indifférence de l’autre. L’intérêt du judiciaire s’accompagne en effet, curieusement, d’une absence de reconnaissance juridique.
14L’enquête que nous avons faite en 2002 montre que plus de 11 000 enfants ont vu leur parent non hébergeant dans un lieu d’accueil en 2000 [4]. C’est dire l’importance que revêt l’activité des lieux. Concrètement, cette activité est passée de 80 % de situations adressées par un juge – d’après le travail réalisé par la Fondation de France, dix ans auparavant – à 90 % de situations adressées par les juges ( JAF surtout, et aussi JE et cours d’appel). Les juges sont donc les principaux (et presque les seuls) pourvoyeurs des lieux d’accueil, qui sont devenus un instrument indispensable pour eux. Cette évolution a eu pour effet d’uniformiser, sinon les pratiques, qui restent diverses, mais le type de situations reçues, et d’en exclure certaines. Ceux qui voulaient recevoir des usagers à leur demande personnelle (la Passerelle à Grenoble, par exemple) ont pratiquement cessé de le faire. La dimension « hôtelière » que voulaient avoir certains – en offrant un hébergement à un père ou une mère qui vient de loin – a disparu devant la manifestation des attentes des juges, qui considèrent qu’ils sont des clients prioritaires et que « leurs » situations, parce qu’elles sont marquées par la gravité, doivent être traitées, serait-ce au détriment des parents « volontaires ».
15Cette « reconnaissance » judiciaire s’accompagne curieusement de la persistante absence de reconnaissance légale que l’on sait. Il est étonnant, scandaleux, diront certains, que des lieux qui participent au traitement des ruptures conflictuelles à la demande des juges ne soient nulle part évoqués dans les textes légaux. C’est encore plus étonnant quand on pense que ces lieux ont pour activité – sinon pour raison d’être – de limiter la liberté des parents dans l’exercice de leur autorité parentale alors que ces deniers sont censés en être détenteurs !
16Les Espaces-Rencontre ont peut-être été eux-mêmes hésitants – ou le sont encore – sur cette reconnaissance. À préciser leur mission et leur fonctionnement, ne risque-t-on pas de les placer dans la dépendance du juge ? La question est alors de savoir comment ils peuvent rechercher et obtenir une reconnaissance pour ce qu’ils sont véritablement.
Dans le champ de la santé mentale : une question préoccupante
17Il est un deuxième champ par rapport auquel il faut préciser la place des Espaces-rencontre et rechercher une définition de leur action : celui de la santé mentale. Évoquer cette dimension de l’action s’impose aujourd’hui parce l’évolution du public des Espaces-Rencontre, orchestrée par les juges, fait que l’on y voit de plus en plus de situations dans lesquelles un des parents au moins se présente avec une pathologie qui relève, autant qu’on peut en juger, de la santé mentale. Or, cette situation introduit dans le fonctionnement du cadre et le travail des intervenants une difficulté pour laquelle il n’y a pas de réponse satisfaisante [5].
18Quelle est l’origine de cette difficulté ? On peut penser que la norme du maintien des liens s’impose aujourd’hui sans que les institutions spécialisées du champ de la santé mentale aient encore pris la mesure de cette question. Quoi qu’il en soit, les Espaces-Rencontre sont amenés à prendre en charge des situations difficiles qui « bloquent » leur fonctionnement de diverses façons. Ces situations exigent une présence soutenue et monopolisent l’attention – celle des intervenants et celle des autres usagers. Autant le fait de côtoyer dans les lieux d’autres parents et d’autres enfants peut amener des « cycles d’identification positifs », autant les complications qui surgissent avec un parent difficile et des enfants qui l’injurient ou le traitent de « fou » peuvent provoquer de phénomènes négatifs en cascade pour tous les usagers. Cela peut faire « flamber » le fonctionnement d’un lieu. Par ailleurs, il est à craindre que ces situations ne soient sans grand espoir d’évolution – ce qui rend vaine l’intervention et ralentit le renouvellement des prises en charge.
19Plus profondément, ces situations posent la question de l’adéquation de la réponse qu’offrent les Espaces-Rencontre à certains de ceux qui lui sont adressés. Les intervenants sont-ils « équipés » pour faire face à des parents en grande difficulté sur le plan psychologique ? La présence croissante de ce type d’usagers requiert-il de faire évoluer la définition de ces lieux, le sens de leur action et le style de leur intervention ? Un signe dans ce sens a été donné par Jean Gréchez dans un rapport que nous avons réalisé ensemble il y a quelque temps [6]. À ses yeux, la justification de l’action des Espaces-Ren-contre, qui faisait initialement référence au « conflit » des parents et, par conséquent, à « l’exercice du droit de visite », cèderait peu à peu la place à une autre justification, moins visible, qui aurait trait à la difficulté pour un parent de « prendre sa place » auprès de l’enfant – qu’il se soit écarté de lui-même ou qu’il ait été mis à l’écart. Les parents qui souffrent de troubles mentaux relèvent de cette dernière catégorie.
20Si un tel changement de perspective se confirme, on ne peut pas sérieusement faire l’impasse sur la difficulté de certaines prises en charge et les risques qu’elles présentent pour l’enfant – en référence, par exemple, aux travaux de Maurice Berger. Et l’on ne peut pas non plus ignorer que l’intervenant, pour faire face à de telles situations, doit ou devrait disposer d’une compétence adéquate et d’une expérience adaptée.
21Va-t-on assister à une évolution dans ce sens et à un accroissement des exigences à l’égard des structures et de leur personnel ? Ou bien, dans une perspective un peu différente, ne doit-on pas considérer ce glissement avec circonspection et tenter de le freiner ? En supposant les Espaces-Rencontre « équipés » et leurs intervenants adéquatement formés, est-on sûr que ce type de structure soit approprié pour prendre en charge des cas pathologiques – sachant que les Espaces-Rencontre n’ont pas la dimension forte d’une institution de soins et n’offrent pas le cadre qui permettrait de faire face à ce parent en tant que parent en souffrance ? C’est une question qui mérite d’être prise au sérieux et qui renvoie encore une fois à la définition de ce qu’est un Espace-Rencontre.
Les Espaces-Rencontre et le travail social : concurrence, coopération, passerelles
22Sur ce troisième plan, des évolutions se font jour et de nouvelles questions apparaissent.
23L’un des aspects qui se décante enfin un peu, c’est celui des rapports entre médiation et Espaces-Rencontre. Je n’y reviendrai pas, sauf pour dire que les deux pratiques s’inscrivent selon moi dans la même mouvance, avec des accents différents. L’idée qui les réunit, c’est un principe négatif : le refus des situations qui privent un enfant de l’accès à l’un de ses parents, de quelque manière qu’on caractérise ces situations – fusion trop grande d’une mère avec l’enfant, « mise à distance » d’un père qui ne parvient pas à prendre sa place. Cette idée se décline ensuite de façons différentes. Les médiateurs s’associent au projet de la « coparentalité », où l’idéal est que les parents accèdent par eux-mêmes, à terme, à la maîtrise de leur situation et de leurs rapports avec leurs enfants. Ils s’adressent à des ex-conjoints « volontaires », entre lesquels une négociation est d’ores et déjà possible. Les Espaces-Rencontre, eux, s’adressent aux parents sans nécessairement prétendre à la réalisation d’un tel idéal – qu’une partie de leurs responsables réfute d’ailleurs. Mais ils répondent au même objectif : que l’enfant soit en contact avec ses deux parents. Pour le mettre en œuvre dans des situations difficiles, ils font appel à des ressources hybrides, combinant l’injonction du juge avec le travail sur la relation.
24Aujourd’hui, à mon sens, au lieu d’opposer médiation et Espace-Ren-contre, les professionnels concernés doivent réfléchir ensemble sur les indications de chacune de ces pratiques, sur leurs publics respectifs et sur les « passerelles » qu’on peut éventuellement imaginer.
25Une autre parenté qui peut être mentionnée est celle qui existe entre les lieux d’accueil pour le maintien des relations enfants-parents et d’autres dispositifs du même genre. Les maisons vertes et les lieux d’accueil enfants-parents, eux aussi, ont pour projet d’aider les parents à prendre leur place auprès de leurs enfants. Les Relais enfants-parents interviennent aussi d’une manière comparable à celle des Espaces-Rencontre. Chacun de ces dispositifs est né et s’est développé dans un contexte particulier – la vie de quartier, l’incarcération d’un parent, la séparation conjugale. Chacun a suivi son chemin, mis en place une équipe, construit et théorisé sa pratique « dans son coin », avec ses propres références et ses propres expériences. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un cheminement toujours singulier, qui ne pouvait faire l’objet d’une reproduction ni s’enrichir de l’expérience des autres. Il est pourtant intéressant de constater ce qui réunit ces structures et de travailler sur cette parenté. Pour nous, socio-logues, cette parenté ressort de l’analyse des modes d’action de ces dispositifs : ce sont des lieux où on « laisse venir » le parent, où on le respecte et où, simultanément, de façon peu visible, on le guide. Dans la pratique, l’échange et la mise en commun pourraient profiter à tous, soit en termes cliniques, soit en termes de formation, soit encore pour corroborer réflexions et actions touchant à l’exercice professionnel dans ces différents cadres.
26Il faudrait encore évoquer les relations des Points-Rencontre avec d’autres segments du travail social – je pense notamment à la protection de l’enfance, au travail social que l’on pourrait appeler « de contrôle », par rapport auquel les Espaces-Rencontre se montrent par principe très distants, voire très réticents quant à une éventuelle collaboration.
27À cet égard, il apparaît que le modèle de travail des Espaces-Rencontre, l’accueil de l’enfant et de son parent en présence d’un tiers dans un cadre approprié, est en passe de se répandre, et ce à l’initiative notamment des juges pour enfants, très enclins aujourd’hui à recourir aux « visites médiatisées ». Cette diffusion d’un certain mode de travail n’est pas sans poser question. Les professionnels des structures « traditionnelles » sont confrontés à ce nouveau type de fonctionnement, s’en saisissent avec leurs propres références et leur expérience. Et, pour les Espaces-Rencontre, ce qui apparaissait comme une innovation et comme une spécificité se diffuse et ne conbstitue plus une compétence exclusive.
La question de l’identité des Espaces-Rencontre
28Il paraît indispensable de bien « positionner » une action si on veut qu’elle soit visible, bien comprise et efficace. La question se pose du « positionnement social » des Espaces-Rencontre. Comment s’est définie leur identité ? Cette définition est-elle née de sa seule dynamique interne, ou bien est-elle aussi la résultante de déterminations externes ?
29D’un côté, on peut avoir le sentiment que les Espaces-Rencontre ont été constamment centrés sur eux-mêmes et très jaloux de leur indépendance. Comme si chaque expérience était unique, chaque équipe souveraine et seule à même de définir sa ligne de travail et de construire son expérience. Comme si on se tenait bien à distance des juges – ceci a été assez reproché aux Espaces-Rencontre –, des enquêteurs sociaux, etc. On trouve la trace de cette volonté d’indépendance dans le code de déontologie de la fédération. Il y est précisé que les juges qui adressent des situations sont invités à prendre connaissance de leur règlement intérieur; et il y est stipulé que le fait qu’une institution finance un lieu d’accueil ne lui permet en rien de dicter son fonctionnement.
30À l’inverse, on peut aussi avoir l’impression que les Espaces-Rencontre ont été portés par un mouvement qui les a largement dépassés, et qu’ils n’ont maîtrisé entièrement ni les indications relatives à leur activité, ni les caractéristiques de leur public, ni même le style de travail qu’ils ont mis en œuvre. Cela s’est défini sans eux, notamment de par le jeu des renvois provenant des juges aux affaires familiales. Dans cette perspective, toutes sortes de questions se posent. Comment les Espaces-Rencontre se situent-ils par rapport à la justice ? Quelles modalités de relations ont-ils avec les médiateurs, avec les travailleurs sociaux, voire avec les institutions de la santé mentale ? Sur un plan plus collectif, comment gèrent-ils leurs relations avec l’État ?
31Tout se passe comme si on était aujourd’hui dans une situation étrange : les Espaces-Rencontre ont pris leur place parmi les institutions qui interviennent auprès des familles, mais ils n’ont aucune base institutionnelle ; les Espaces-Rencontre revendiquent la qualité professionnelle de leur intervention, mais on ne voit pas se préciser la définition d’une compétence professionnelle spécifique en la matière. On peut considérer que le maintien d’un certain flou sur ces questions a eu un intérêt et une valeur de créativité dans la période de lancement et de théorisation progressive de la pratique. Mais, après quinze ans, n’est-il pas temps de voir se combler le déficit manifeste qui persiste dans la formalisation de l’activité des Espaces-Rencontre ?
32Certes, les intervenants des Espaces-Rencontre et leurs responsables ont déjà beaucoup à faire dans le quotidien – traiter les situations, réunir leur budget, etc. Pourtant, ce n’est pas parce que les Espaces-Rencontre ont mis en place une certaine pratique – qui donne satisfaction – qu’il ne faut pas réfléchir à cette pratique afin de mieux l’ancrer et de lui donner une place mieux définie et des contours plus nets parmi les divers dispositifs de l’action sociale. N’est-il souhaitable, dans la situation actuelle, de poser les questions qui font problème et d’amorcer un débat au plan tant local que national ou européen ?
Mots-clés éditeurs : médiation familiale, coparentalité, Séparation conjugale, Espaces-Rencontre, Point-Rencontre, enfants
Mise en ligne 01/09/2006
https://doi.org/10.3917/dia.164.0115Notes
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Je voudrais remercier Caroline Kruse et Laura Cardia-Vonèche, qui m’ont aidé dans la préparation de cette intervention.
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Benoit Bastard, Laura Cardia-Vonèche, Nathalie Deschamps, Caroline Guillot, Isabelle Sayn, Enfants, parents, séparations. Des lieux d’accueil pour l’exercice du droit de visite et d’hébergement, Paris, Fondation de France, 1994. Benoit Bastard, Laura Cardia-Vonèche, Bernard Eme, Gérard Neyrand, Reconstruire les liens familiaux. Nouvelles pratiques sociales, Paris, Syros, 1996.
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[3]
Benoit Bastard, Jean Gréchez, Des lieux d’accueil pour le maintien des relations enfants-parents. Propositions pour la reconnaissance des Espaces-Rencontre, Rapport remis à Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, avril 2002.
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Des lieux d’accueil pour le maintien des relations enfants-parents. Propositions pour la reconnaissance des Espaces-Rencontre, rapport cité.
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Voir à ce sujet dans ce numéro l’article de Caroline Kruse, « Réflexions sur le travail en Espace-Rencontre. L’intervention au piège des pathologies ».
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Des lieux d’accueil… Rapport cité.