Notes
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[1]
Menace de diffusion d’images explicites, intimes ou embarrassantes de nature sexuelle sans consentement, généralement dans le but d’obtenir d’autres images, des actes sexuels, de l’argent ou autre chose. Le préjudice peut être physique (pour la victime ou ses proches), viser les biens ou la réputation (Patchin, Hinduja, 2020).
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[2]
Ancienne application (2014-2020) qui permettait de filmer en direct et de former une audience à partir de sa géolocalisation.
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[3]
Qui sommes-nous ?, Association Marion la Main Tendue [En ligne] http://www.marionlamain-tendue.com/l-association-marion-la-main-tendue/ (consulté le 06/05/2023).
Introduction
1 « Ce n’est pas la société qui éclaire le suicide, c’est le suicide qui éclaire la société » (Baudelot, Establet, 2006, 16). Le phénomène complexe du suicide peut fournir des informations importantes sur les conditions sociales dans lesquelles il se produit. En ce sens, le suicide est un miroir de la société capable de révéler des problèmes sociaux, tels que la discrimination ou l’isolement social.
2 En raison d’une augmentation inédite du taux de suicide chez les jeunes suédois à la fin des années 1960 (Lindelius, 1979, 303), le phénomène du harcèlement en milieu scolaire a progressivement été considéré comme un problème public en Europe du Nord. Le mal-être de la jeunesse, fortement médiatisé, a mobilisé l’opinion et poussé le gouvernement à débloquer des fonds pour la recherche. En 1973, le psychologue Dan Olweus publie les premières enquêtes sur le harcèlement en milieu scolaire, défini comme le fait d’agresser de manière répétée et intentionnelle une personne au point qu’elle ne soit plus en capacité de se défendre. En 1982, la première campagne nationale de prévention est lancée en Norvège, à la suite du suicide de trois victimes de harcèlement âgées de 10 à 14 ans (Olweus, 1993, 2). À partir des années 1990, des chercheurs et chercheuses du monde entier se mettent à produire des données et à alerter les pouvoirs publics. Les Français·es s’y attèlent à partir des années 2000 (Peignard et al., 1998 ; Blaya et al., 2003).
3 Dans les années 2010, des jeunes se saisissent des outils numériques pour dénoncer par eux et elles-mêmes les souffrances qui les conduisent à se donner la mort. Le récit silencieux de l’« histoire sans fin » d’Amanda Todd, posté sur YouTube le 7 septembre 2012, a ainsi eu une résonnance mondiale. La Canadienne âgée de 15 ans revient sur les faits qui l’ont conduit à faire deux premières tentatives de suicide. Elle décrit les différentes étapes de la sextorsion [1] qu’elle a subie et les troubles qu’elle a endurés (anxiété, dépression, addiction, automutilation et isolement). Un internaute à qui elle avait montré sa poitrine sur un chat vidéo à l’âge de 12 ans l’a retrouvée l’année suivante sur Facebook pour la faire chanter, divulguer ses images dénudées et détruire sa réputation – la synthèse des jugements situés à son égard (Chauvin, 2013, 132). Un harcèlement intense s’en est suivi, au lycée et en ligne, malgré trois déménagements. Après sa deuxième tentative de suicide, un élève a commenté sur Facebook qu’il espérait qu’elle soit morte, la poussant à lancer ce dernier appel à l’aide : « Je n’ai personne… J’ai besoin de quelqu’un ». Le 10 octobre, elle est retrouvée pendue chez elle.
4 Le récit d’Amanda met en lumière le fait que son suicide n’est pas un événement isolé, mais un processus dynamique impliquant une succession d’étapes et de crises résultant du harcèlement, avant de passer à l’acte. Tout d’abord, elle est étiquetée, stigmatisée, isolée et rencontre des difficultés scolaires, comme cela est décrit dans les carrières déviantes de Howard Becker (1991 [1963]). Ensuite, elle s’engage dans une carrière suicidaire avec la volonté de se donner la mort, traversant les phases décrites par Thomas Joiner dans sa théorie interpersonnelle du suicide (2006). Le harcèlement, les déménagements et les incitations au suicide l’empêchent de construire un sentiment d’appartenance et alimentent l’impression de devoir porter un fardeau croissant et insurmontable, nourrissant son désir de mettre fin à ses jours. Elle développe alors la capacité de se donner la mort en se désensibilisant progressivement aux stimuli de douleur : elle consomme des drogues, s’automutile et fait deux premières tentatives de suicide. Sa vidéo de septembre 2012, relayée par les médias internationaux, visionnée par des millions d’internautes sur YouTube, accélère la prise en compte politique déjà amorcée au Canada.
5 En France, des victimes de cyberharcèlement ont également dénoncé les violences qu’ils et elles ont subies avant de mettre fin à leurs jours. Les messages n’ont toutefois pas systématiquement été entendus : leur écho semble relatif au travail réputationnel entrepris par l’entourage après leur mort, dans l’optique de « purifier » ou de « salir » leur réputation. La réputation est un phénomène communicationnel qui échappe à celui ou celle qui l’incarne. Certaines personnes entreprennent toutefois un travail réputationnel pour garder un certain contrôle sur les jugements collectifs à leur égard. Pour construire et maintenir une réputation qui n’est jamais acquise, Stephen Zafirau montre que les producteurs et productrices hollywoodien·nes gèrent les impressions qu’ils et elles font dans l’industrie à travers la construction d’un personnage, performant un style de personnalité, ou d’une tonalité émotionnelle, au moyen de la communication verbale et non verbale. Dans le cas des jeunes harcelé·es, une réputation négative s’est cristallisée des mois, voire des années durant, au point qu’ils et elles meurent par suicide. Malgré cela, leurs proches ont pu entreprendre un travail réputationnel posthume pour éventuellement leur donner accès à un statut de victime qui permette de plaider leur cause.
6 À partir de l’analyse de deux cas de suicide de victimes de cyberharcèlement ayant marqué la fin des années 2010, dont les trajectoires réputationnelles posthumes ont pris des directions diamétralement opposées, cet article propose d’identifier sous quelles conditions des messages de jeunes suicidées peuvent ou non devenir un support de la sensibilisation contre le cybersexisme (Couchot-Schiex et al., 2016). Ce terme a été retenu, car ces cas révèlent violemment la dimension numérique et sexuelle d’une forme de harcèlement plus souvent mené par des garçons à l’encontre des filles, à partir de la puberté, et qui a un effet propre sur la réputation des victimes (Déage, 2023). Notons que, jusqu’à aujourd’hui, ces dimensions sont encore partiellement invisibilisées : l’indicateur officiel de harcèlement en milieu scolaire ne prend en compte que des victimations physiques et verbales qui concernent davantage les jeunes garçons (Debarbieux, Moignard, 2016, 37).
7 La première partie de cet article reviendra sur le terrain de recherche qui a suscité l’étonnement, révélant la tendance des adolescent·es à percevoir des liens causaux entre cyberharcèlement et suicide et présentera les matériaux mobilisés pour tenter de comprendre pourquoi. En s’appuyant sur l’analyse secondaire de données quantitatives, la deuxième partie montrera que le suicide des jeunes filles et femmes est relativement exceptionnel dans le contexte français des années 2010, ce qui le rend particulièrement spectaculaire et potentiellement à même de sensibiliser au cybersexisme. La troisième partie analysera deux cas de jeunes femmes s’étant donné la mort après avoir dénoncé le cyberharcèlement qu’elles ont subi : dans le premier cas, le message est décrédibilisé par les proches qui salissent la réputation de la victime en invoquant des troubles mentaux ; dans le second, le travail de purification réputationnelle entrepris par la mère donne de la légitimité et une portée politique au message de sa fille. Cela permettra d’ouvrir sur une discussion, en quatrième partie, sur la manière dont ces cas mettent à l’épreuve le concept de suicide fataliste proposé par Durkheim en l’éclairant par la variable du genre.
Méthode
8 Ce sont mes terrains d’enquête doctorale qui m’ont poussée à m’intéresser au suicide. Ma thèse de sociologie portait sur la manière dont la dégradation de la réputation pouvait faire encourir aux collégien·nes des risques de harcèlement, à l’heure où les relations entre pairs se prolongent dans l’espace numérique (Déage, 2023). À mon grand étonnement, dans la phase de construction de mon terrain, des collègues chercheurs et chercheuses, ainsi que des professionnel·les de l’éducation, m’avaient demandé comment j’allais trouver des élèves qui allaient se suicider. Au cours de ma recherche ethnographique, menée dans quatre collèges franciliens de septembre 2016 à juin 2018, je me suis entretenue avec environ 150 collégien·nes qui me confiaient régulièrement qu’ils et elles ne pouvaient pas être vraiment « eux et elles-mêmes » face aux autres, en particulier qu’ils et elles avaient du mal à exprimer des émotions telles que la peur, la tristesse, voire à avoir de l’empathie. La souffrance des élèves qui s’étaient ouvertement plaint·es d’être harcelé·es était systématiquement relativisée, insinuant que leur cas n’était pas si grave, puisqu’ils et elles n’en étaient pas au point de se suicider.
9 Dans les établissements, de nombreux discours trahissaient l’idée que seul le harcèlement qui mènerait au suicide était véritablement à prendre au sérieux. J’ai notamment assisté à plus d’une dizaine d’interventions de personnel·les divers·es (infirmièr·es, policier·ères, enseignant·es, etc.) très peu formé·es à la question, qui demandaient toutes et tous, à un moment ou un autre, aux élèves de trouver des exemples de harcèlement et d’imaginer ce que la victime avait pu ressentir. De manière récurrente, les élèves mentionnaient le cas de filles dont une image intime aurait circulé sur les réseaux sociaux, qui se seraient senties mal au point de vouloir mettre fin à leur vie. En somme, sur ces terrains, j’ai réalisé que les élèves établissaient presque systématiquement un lien causal entre les violences sexistes et sexuelles en ligne, le harcèlement et le suicide. Sans revenir sur ces observations, cet article cherche à comprendre d’où viennent ces représentations en mettant en miroir des données chiffrées avec des cas de suicides qui ont eu un fort écho médiatique.
10 Je me suis interrogée sur l’évolution de la prévalence du suicide des jeunes, étant donné son omniprésence dans les discours. J’ai utilisé la base de données mise à disposition en OpenData par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de Décès (CépiDc), une unité de service de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). La définition nationale des causes de décès respecte la nomenclature de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), selon laquelle le suicide est un acte consistant à se donner délibérément la mort. L’indicateur du nombre de suicides est construit à partir des certificats de décès. Cependant, certains suicides n’ont pas pu être identifiés dans cette base : les personnes dont la conclusion de l’examen médico-légal n’a pas été rapportée à l’Inserm ou celles dont l’origine de la mort violente est restée indéterminée.
11 Pour repérer les suicides qui avaient le plus attiré l’attention durant la période de recherche, j’ai utilisé l’outil Google Trends, qui permet de savoir, par région, à quelle fréquence un terme a été recherché dans Google. J’ai comparé l’évolution des requêtes pour « harcèlement » et pour « suicide » en France. L’application présente la liste des requêtes les plus fréquentes associées à ces termes. Les internautes ayant cherché le mot « suicide » cherchaient également très souvent « suicide periscope », qu’on retrouve huit fois dans le top 25 sous différentes formulations.
12 En 22e position, arrive une requête pour une série qui aborde le thème du harcèlement, « 13 reasons why ». Du côté des personnes qui ont cherché « harcèlement », le film tiré de l’histoire vraie d’une collégienne qui s’est suicidée, « Marion, 13 ans pour toujours », arrive en 14e position des recherches associées. Dans la figure 1, on voit que le thème du suicide tend à susciter plus d’intérêt que celui du harcèlement, à l’exception du début du mois de novembre à partir de 2017, alors que se tient la journée de lutte contre le harcèlement. Le suicide sur Periscope [2] a provoqué la hausse la plus notable de recherches sur le suicide, tandis que Marion, 13 ans pour toujours a entraîné la croissance la plus durable de recherches sur le harcèlement.
13 J’ai ainsi identifié les deux cas de suicides de victimes de harcèlement qui ont le plus attiré l’attention sur Internet au cours de mon enquête. En tant que fiction étrangère, 13 Reasons Why est écartée de l’argumentation, car consacrée à des faits réels français. Les suicides d’adolescentes et de jeunes femmes étant rares, ces faits font cas à la fois pour leur caractère aberrant, hors norme, et pour leur audience médiatique exceptionnelle. Un cas acquiert une valeur heuristique quand il « fait problème ; il appelle une solution, c’est-à-dire l’instauration d’un cadre nouveau du raisonnement, où le sens de l’exception puisse être, sinon défini par rapport aux règles établies auxquelles il déroge, du moins mis en relation avec d’autres cas, réels ou fictifs, susceptibles de redéfinir avec lui une autre formulation de la normalité et de ses exceptions » (Passeron, Revel, 2005, 10-11). Saisir la particularité de ces cas, resitués dans leur contexte social et historique, permet d’en induire une portée générale (Cefaï, 2015, 32), en l’occurrence, les violences numériques et sexuelles typiquement subies par les jeunes femmes échappent encore partiellement à l’analyse scientifique, voire à la reconnaissance institutionnelle. En effet, la violence, définie comme le fait d’agir sur quelqu’un contre sa volonté en employant la force ou l’intimidation, est le plus souvent réduite à sa forme physique (Michaud, 2018, 4). Or, le choix extrême du suicide pour échapper aux violences morales, numériques et sexuelles fait une démonstration spectaculaire de leur véhémence. La médiatisation de ces cas survient à un moment charnière, alors que la préoccupation pour le harcèlement s’éveille en France et un an avant le mouvement #MeToo qui a révélé au monde l’ampleur des violences sexistes et sexuelles.
Évolution de l’intérêt des recherches d’après GoogleTrends (2016-2018)
Évolution de l’intérêt des recherches d’après GoogleTrends (2016-2018)
Lecture : les résultats reflètent la proportion de recherches portant sur un mot-clé donné, sur une semaine donnée, en France, par rapport au taux d’utilisation le plus élevé des mots-clés comparés (valeur de 100). Ainsi, durant la semaine du 20 mai 2018, on a cherché quatre fois plus « 13 reasons why » que « Marion, 13 ans pour toujours » durant la semaine du 25 septembre 2016.14 Je me suis intéressée aux messages laissés par les suicidées : deux vidéos enregistrées sur Periscope, diffusées par une amie de la victime sur YouTube, et les extraits de lettres laissées par Marion, rendues publiques par sa mère. J’ai analysé ces messages comme des dispositifs de sensibilisation : des supports matériels, des mises en scène, que les jeunes femmes ou leurs proches déploient afin de susciter des réactions affectives qui prédisposent celles et ceux qui les éprouvent à s’engager ou à soutenir leur cause (Traïni, Siméant, 2009, 13). Je me suis attardée à la fois sur leur forme et sur leur fond, en particulier sur la narration des faits, les arguments avancés, les justifications et les émotions exprimées, tout en m’attachant à resituer ces dispositifs dans un contexte social et une trajectoire biographique. À la manière de Luc Boltanski et al. (1984, 5-6) avec les lettres adressées au journal Le Monde, cette analyse visera à repérer dans quelles conditions la dénonciation est reconnue comme valide ou au contraire ignorée. En m’appuyant sur les sources médiatiques présentées dans le tableau 1, je me suis intéressée aux interprétations données à cet acte et aux acteurs et actrices qui les propagent. Enfin, j’ai reconstitué l’épilogue de ces événements à partir d’articles journalistiques et scientifiques, portant sur les mécanismes de suggestions suicidaires engendrés, les décisions juridiques et les initiatives politiques enclenchées.
Corpus de sources médiatiques servant d’appui à la reconstitution des cas par ordre de mobilisation dans l’argumentaire
Date | Média | Titre |
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Suicide d’Océane sur Periscope (10/05/2016) | ||
12/05/16 | Le Monde | Ce qui va se passer risque d’être très choquant |
13/05/16 | BFM TV | Suicide en direct sur Periscope : « On entend un gros bruit et c’est là qu’on comprend… » |
29/08/17 | The Guardian | The first social media suicide |
11/05/16 | BFM TV | Suicide en direct sur Periscope : la victime dit avoir été violée par son ex-compagnon |
13/05/16 | Le Point | Suicide sur Periscope : l’homme accusé de viol relâché |
Suicide de Marion Fraisse (13/02/2013) | ||
10/04/16 | L’Express | Marion, harcelée à en mourir |
14/11/13 | Europe 1 | Harcèlement à l’école : sa fille se suicide, elle demande justice |
19/01/22 | SudOuest | Suicide de Marion, harcelée : la Cour de cassation rejette le pourvoi des parents |
14/01/23 | Ouest-France | « Un aveu d’échec » : derrière les suicides de Lucas et Ambre, le fléau du harcèlement scolaire. |
08/11/19 | Essentiel Radio | Nora Fraisse : Son combat, notre combat |
28/09/16 | Télé 2 semaines | Audiences : Blindspot (TF1) en tête, beau score pour Marion, 13 ans pour toujours (France 3) |
27/09/16 | Téléstar | Nora Fraisse, Marion, 13 ans pour toujours : « Harcelée au collège, ma fille s’est tuée à 13 ans » |
17/01/22 | Médiapart | Une figure du combat contre le harcèlement scolaire est visée par une plainte pour « harcèlement » |
Affaires connexes | ||
26/01/17 | Le Monde | « Sur Facebook, de nouvelles Babylone » |
25/11/21 | Le Monde | Marche blanche à Mulhouse, en mémoire de Dinah, adolescente harcelée qui s’est suicidée |
02/06/23 | Le Figaro | Loire : une marche blanche est organisée ce samedi après le suicide d’un élève de 10 ans |
05/06/23 | 20 Minutes | Suicide de Lucas : sa mère va se « battre jusqu’au bout » pour que le harcèlement s’arrête |
06/06/23 | franceinfo | Élisabeth Borne souhaite faire du harcèlement « la priorité absolue de la rentrée 2023 » |
08/09/23 | Le Figaro | Suicide de Lindsay : sa mère crée une association de lutte contre le harcèlement scolaire |
17/09/23 | Le Journal | Béatrice Le Blay, maman de Nicolas : « Nous étions |
du Dimanche | victimes, nous sommes devenus coupables ! » |
Corpus de sources médiatiques servant d’appui à la reconstitution des cas par ordre de mobilisation dans l’argumentaire
Des suicides de jeunes femmes qui restent exceptionnels
15 Le suicide de ces jeunes femmes est d’autant plus spectaculaire qu’il est exceptionnel. Pourtant, depuis l’affaire Amanda Todd, l’impression qu’une « épidémie de suicides » frappe la jeunesse est renforcée par les craintes inspirées par les nouvelles technologies (boyd, 2014, 15). Contrairement aux idées reçues, les jeunes ont tendance à moins se suicider pendant la période de massification de l’accès à Internet (Kim, Hargittai, 2021). En France, alors que le nombre de jeunes est relativement stable et que leur mortalité globale recule, le nombre de suicides des 15-24 ans diminue de près de moitié entre 2000 et 2017 (figure 2 : de 605 à 312), tout comme celui des moins de 15 ans (figure 3 : de 42 à 23). Selon l’enquête ESCAPAD, en 2014, 3 % des jeunes de 17 ans avaient déjà fait une tentative de suicide dans leur vie, survenue en moyenne vers l’âge de 13 ans. Les suicides surviennent plus fréquemment chez les adultes, mais les jeunes de 17 ans sont plus sujets aux pensées suicidaires (10 % contre 5 %) (Peyre et al., 2014). Les comportements suicidaires des jeunes sont dominés par un pic de fréquence à 17 ans chez les filles, mais les suicides consommés restent plus fréquents chez les garçons, selon Santé Publique France.
16 En 2013, le ministère de l’Éducation avançait que 3 ou 4 suicides par an seraient directement liés au harcèlement (AGIR), alors qu’il estimait qu’environ 744 000 élèves étaient victimes de harcèlement sévère (DEPP, 2017). Plusieurs recherches ont en effet montré que les adolescent·es victimes de harcèlement et de cyberharcèlement étaient plus susceptibles de présenter des idées suicidaires que les non-victimes (Ybarra et al., 2007 ; Hinduja, Patchin, 2010). Cependant, il est délicat d’identifier les causes d’un suicide, qui sont toujours multiples, complexes et contextuelles. La relation entre les comportements suicidaires et le harcèlement pourrait être influencée par des facteurs tiers (Hertz et al., 2013). Sur le plan social, l’absentéisme scolaire, les conflits familiaux, le chômage des parents, les difficultés de communication et les comportements violents fréquents, ainsi que la consommation de psychoactifs, sont des facteurs de risque (Peyre et al., 2014). Sur le plan psychologique, la faible estime de soi, l’isolement, l’impulsivité, la dépression, les troubles de l’humeur et les maladies psychiatriques rendent plus vulnérable (Gvion, Apter, 2012). Internet n’est pas en soi un facteur de risque, mais l’anonymat et la dimension publique de l’agression amplifient le sentiment d’impuissance et de détresse de la victime (Sticca, Perren, 2013).
17 Les constats épidémiologiques désignent les hommes d’un certain âge comme les premières victimes de suicide, ce qui conduit les pouvoirs publics à concevoir ce phénomène comme un problème masculin (Fullagar, O’Brien, 2016, 94). Le vocabulaire employé pour qualifier les suicides révèle des croyances en des capacités différenciées selon le sexe pour se donner la mort : les suicides mortels sont qualifiés de « réussis » ou « complétés » ; les suicides non-mortels sont qualifiés de « tentatives », d’actes « ratés », « incomplets », d’« échecs » (Fullagar, O’Brien, 2016, 95).
Effectif des décès chez les 5-14 ans en France de 1981 à 2017
Effectif des décès chez les 5-14 ans en France de 1981 à 2017
Lecture : en 2015, 674 personnes âgées entre 5 et 14 ans sont décédées, dont 31 par suicide.Effectif des décès chez les 15-24 ans en France de 1981 à 2017
Effectif des décès chez les 15-24 ans en France de 1981 à 2017
Lecture : en 2015, 2 420 personnes âgées entre 15 et 24 ans sont décédées, dont 357 par suicide.18 Les adolescentes qui commettent des gestes suicidaires les plus violents font figure d’exception, tant dans leur catégorie d’âge que de sexe. En commettant un acte aussi hors du commun que radical, elles cherchent à montrer à quel point les violences qu’elles endurent leur sont devenues insupportables et irréversibles (Lebreton, 2015, 19). La psychologue féministe Laura Brown explique que l’expression de la souffrance n’est pas nécessairement pathologique ou déviante, mais qu’elle peut être le signe d’un refus des normes dominantes oppressives, contre lesquelles la personne n’a pas trouvé de moyens adaptés pour résister. Certains actes de détresse signalent ainsi qu’une personne fixe une limite et refuse d’être déresponsabilisée ou déshumanisée (Brown, 1994, 143-145). Le suicide en particulier, en tant qu’acte de détresse extrême, pose la question du sens de la vie, du sens du geste suicidaire et du refus du non-sens (Thomas, 1988, 142).
19 Les effets de « résistance » du suicide sont incertains. Les émotions qu’il provoque sont ambivalentes : elles peuvent pousser à l’imitation, tout comme elles peuvent sensibiliser à une cause. Le geste suicidaire peut suggérer à d’autres une nouvelle façon de gérer leur détresse émotionnelle (Abrutyn, Mueller, 2014). Les jeunes sont vulnérables aux idées suicidaires lorsque l’un ou l’une de leurs ami·es passe à l’acte, en particulier ceux et celles qui souffrent de troubles mentaux ou ont subi des traumatismes, ainsi que les jeunes femmes (Abrutyn, Mueller, 2014). Toutefois, l’émotion provoquée par le deuil peut aussi donner lieu à des formes de contestation (Latté, 2015). En détournant les citoyens de leurs préoccupations quotidiennes, l’émotion est propice à l’adhésion à une cause politique qui déborde de leur univers personnel (Marcus, 2008, 128).
L’effet du travail réputationnel de la famille sur la réception des cas de suicide
Un suicide pathologique sur Periscope
20 Le 10 mai 2016, Océane, une jeune femme de 19 ans, s’est suicidée en direct sur Periscope en se jetant sous le RER D, en Essonne, devant plus d’un millier de spectateurs. L’entourage a plaidé pour un acte « pathologique », résultant de troubles mentaux, ce qui a mis fin aux dénonciations.
21 Avant de sauter, Océane a accusé son ex-petit ami de l’avoir violée, filmée et diffusé ces images sur Snapchat. La sextape aurait été retrouvée sur Facebook, dans des groupes « spécialisés dans le cyberharcèlement » comptant jusqu’à 28 000 adhérents. Le fonctionnement de ces groupes, où seuls les hommes entrent par cooptation, n’a été révélé que l’année suivante par une blogueuse infiltrée. En 2017, « Babylone 2.0 » comptait plus de 50 000 membres qui consultaient, commentaient ou partageaient des photos et vidéos sexuelles de femmes sans leur consentement. À travers ces groupes, les membres pouvaient coordonner des actes de harcèlement, diffuser des contenus violents ou humiliants, valider et encourager ces comportements abusifs, et renforcer leur identité collective, sans être jugés par ceux et celles qui ne partagent pas leurs valeurs. À partir d’une ethnographie de « la Communauté de la séduction » publiée cette année-là, Mélanie Gourarier (2017, 121) désigne ces hommes comme des « alphas mâles », dans le sens où ils cherchent à se valoriser dans un entre-soi viril et à dominer les autres hommes. Le renforcement de leur statut et de leur pouvoir dans le groupe masculin passe par la séduction de femmes, qu’ils exposent comme des trophées. La sextape du viol d’Océane aurait donc été instrumentalisée à des fins masculinistes. Elle n’a pu exercer aucun contrôle sur la circulation de ce contenu dans des groupes et des messages privés.
22 Quelques minutes avant de passer à l’acte, la jeune femme clarifie ses intentions : « La vidéo que je vais faire n’est pas faite pour faire le buzz, elle est faite pour ouvrir les esprits et rien d’autre. […] Je veux que le message soit partagé, quitte à ce que ce soit choquant, c’est le but, tant que tu ne touches pas à la provocation, les gens ne comprennent pas ». Sa mise en scène vise donc à susciter un choc moral (Traïni, 2020) en prenant son audience par surprise, provoquant des réactions physiques et émotionnelles vives susceptibles de remettre en question l’ordre du monde actuel et de renverser l’insensibilité.
23 Tout l’après-midi, elle a invité son audience à la rejoindre, à 16 heures, pour un événement qui « risque d’être très choquant », tout en s’efforçant de brouiller les pistes en déclarant : « Je n’ai pas dit que j’allais me suicider », « Vous verrez tout à l’heure », « Je ne peux pas vous en dire plus ». Soigneusement coiffée et maquillée, elle répond avec un air désabusé aux messages que ses spectateurs lui adressent, comme s’il s’agissait d’une cam girl ou d’un objet sexuel : « Salut bébé », « Demande à ta mère si elle suce », « Trop bonne la meuf », « Mets-toi debout », « Qu’est-ce qui te fait envie ? », « Tu es belle, il ne faut pas déprimer », « Où habites-tu ? », « Je m’invite à boire un verre chez toi », « Vas-y, je pars, elle est trop mystique pour moi », « Moi, ça m’amuse », etc. Entre deux interruptions, deux soupirs ou deux bouffées de cigarette, elle explique de manière énigmatique les raisons de son accablement.
Je suis trop blasée, putain. […] Une seule personne peut complètement te détruire et peut complètement te pourrir ta vie. […] [Message : « ton père »] […] Mon père, c’est un connard, mais ce n’est pas ça. […] Oui, c’est par rapport à mon ex […] Je sais très bien que c’est du passé, mais quand la personne en question te pourrit encore ta vie. […] Les trois ans de relation que j’ai eus avec lui, ça m’a complètement détruite. Peu importe comment je le lui dis, il ne peut pas comprendre parce que c’est quelqu’un de très égoïste. C’est quelqu’un qui n’a aucune empathie en fait, la souffrance des autres, ça ne l’atteint pas. […] C’est un manipulateur de toute façon, mais personne ne veut l’entendre […] J’ai voulu me venger, j’ai voulu faire plein de trucs, mais je me dis que finalement ça ne sert à rien. J’espère que le message que je vais transmettre tout à l’heure lui parviendra. […] Je suis arrivée au stade où plus rien ne me fait plaisir, il n’y a rien qui me fait envie, rien qui me donne la force de me lever le matin […] Je suis à un stade où je ne me sens pas assez forte pour atteindre les objectifs que je veux réaliser dans ma vie […] On dit toujours « la roue tourne », mais elle ne tourne pas pour tout le monde. Tu aimerais bien que les personnes se reprennent elles-mêmes pour ce qu’elles ont fait, mais ça ne tourne pas tout le temps, malheureusement.
24 Le compte qui a publié une version censurée de ses vidéos sur YouTube précise que cette diffusion était « la dernière volonté d’Océane pour dénoncer les réseaux sociaux, en particulier Snapchat, Periscope et Twitter ». Avant de mourir, elle a donné le nom de son ex-petit ami, son numéro de téléphone et son compte Facebook pour qu’on la venge. Les commentaires fusaient, parmi lesquels des incitations au suicide : « Cette fille n’a pas de vie, pourquoi vient-elle raconter sa vie sur Periscope ? », « C’est une pute », « Elle va se suicider, vous verrez », « Meurs », « Arrêtez-la, elle va se suicider », « Ça va mal finir », « Ne saute pas », « Elle a sauté, là ? », etc.
25 Alors que l’application Periscope fêtait tout juste sa première année, Océane a été la première à orchestrer sa mort en direct, dans une vidéo diffusée publiquement en ligne, dans le but de rassembler et d’engager le plus grand nombre contre son ex-petit ami. Le harcèlement de meute a cependant poursuivi Océane même lorsqu’elle se donnait la mort. Elle recevait principalement des commentaires d’hommes s’engageant dans une surenchère agressive. La cybercriminologue Mary Aiken (2016, 22) explique qu’en ligne, les violences se répondent souvent dans une logique d’escalade. Les participants au cyberharcèlement se sentent protégés par leur invisibilité et leur anonymat. En concurrence les uns avec les autres, ils se poussent à prendre des risques et à adopter des comportements de plus en plus extrêmes et potentiellement dommageables pour toutes les personnes impliquées. Ainsi, la jeune femme n’a pas réussi à mobiliser des soutiens, mais elle a pu démontrer que les violences morales, sexistes et sexuelles pouvaient s’exprimer sans limite sur Periscope, une plateforme qu’elle souhaitait dénoncer.
26 L’entourage d’Océane n’a pas accordé de crédit à son message et les médias français se sont alignés sur cette position. La seule enquête menée sur cette affaire provient du journal britannique The Guardian, qui révèle que son père était propriétaire d’une discothèque populaire dont le prospectus proposait des shows avec de jeunes stripteaseuses filmés et diffusés sur la plateforme pornographique YouPorn. Dans son entourage proche, la sexualisation du corps des femmes et leur diffusion dans l’espace numérique semblaient banalisées. Océane avait cultivé des valeurs en opposition et choisi de travailler comme agente d’accueil dans une maison de retraite où elle avait été confrontée à la mort de résident·es. L’entourage qu’elle décriait a réagi à son suicide en remettant en cause sa capacité même de dénoncer. Le 11 mai, le procureur de la République a déclaré aux médias qu’Océane avait un « profil psychologique fragile selon ses proches » après avoir fait auditionner son père et sa demi-sœur et a insisté sur les relations tumultueuses qu’elle entretenait avec son ex-compagnon.
27 Ici, la famille et l’institution judiciaire s’inscrivent dans un registre psychocentrique, repris par les médias. À partir d’une autopsie des personnes suicidées après avoir souffert des politiques d’austérité au Royaume-Uni, China Mills (2018, 304-305) avance que les médias recourent à des explications qui mettent l’accent sur les facteurs individuels, notamment la santé mentale de la personne, plutôt que sur les causes contextuelles. Les journalistes ont tendance à blâmer les individus pour leur propre mort, à stigmatiser certains troubles mentaux, tout en invisibilisant voire en niant la responsabilité des facteurs sociaux, politiques et économiques qui ont causé ces troubles. Dans le cas d’Océane, les violences sexistes et sexuelles de son ex-compagnon dont elle se plaint et celles qu’elle a subies en ligne ne sont pas mises en cause. Tout se passe comme si ce n’était pas le viol et le cyberharcèlement qui auraient fragilisé Océane, mais qu’elle aurait mis en scène son suicide seulement parce qu’elle était malade. Le refus de reconnaître le potentiel traumatisme d’Océane empêche de lui conférer un statut de victime et de considérer ses revendications comme légitimes (Fassin, 2014).
28 Il est fréquent que les suicides féminins soient ainsi pathologisés, interprétés comme la conséquence de difficultés relationnelles ou amoureuses, ou de troubles psychologiques liés à un rejet ou à un abandon (Canetto, Lester, 1998), alors que les suicides masculins sont expliqués par des difficultés d’accomplissement académique, sportif ou professionnel (Canetto, 2001). Or, quand une personne perd sa réputation, les conséquences ne sont pas seulement relationnelles ou psychiques, le stigmate effrite également le rapport aux institutions, celles qui permettent de s’accomplir (famille, école, entreprise), comme celles censées protéger (police, tribunaux, hôpitaux). La justice n’a pas réagi à l’appel d’Océane. Deux jours après sa mort, le procureur annonce par communiqué que le jeune homme accusé de viol « a été laissé libre à l’issue de son audition » où il a confirmé « l’existence d’une relation chaotique, à laquelle il a souhaité mettre fin et au cours de laquelle il n’y a jamais eu de relations sexuelles non consenties ». La jeune femme avait parlé à plusieurs reprises de ce viol à ses proches, mais n’avait jamais porté plainte.
29 Le suicide d’Océane a été relayé par les médias du monde entier. Dans les mois qui ont suivi ce premier suicide en direct, d’autres internautes ont reproduit sa méthode : un Turc, trois Américains, dont deux adolescentes sur Facebook Live, et un couple d’adolescent·es russes sur Periscope. La contagion du comportement suicidaire peut, en effet, se produire par le biais des médias (Phillips, 1974), même si elle est moins durable qu’entre amis proches (Abrutyn, Mueller, 2014). Les directives de l’OMS imposent désormais une charte aux médias pour limiter cet effet de contagion, notamment en évitant de décrire les méthodes employées ou d’utiliser un langage sensationnaliste (Etzersdorfer, Sonneck, 1998). Cependant, ces directives sont difficilement applicables aux réseaux sociaux numériques. D’une part, le format en direct, qui permet de partager son quotidien et son intimité en vidéo, peut créer un sentiment de proximité avec des personnes éloignées. D’autre part, au moment du suicide d’Océane, les plateformes ne pouvaient réagir qu’a posteriori, après le signalement d’internautes, aux contenus diffusés en direct, sur lesquels elles n’avaient aucun contrôle.
Un suicide politique dans le cas de Marion
30 Si l’entourage d’Océane a étouffé son message, il en va autrement pour Marion Fraisse. Le suicide de la collégienne victime de harcèlement et de sexisme dans l’établissement et en ligne a déclenché des polémiques, notamment entre ses parents, le personnel et les familles des élèves du collège dans lequel elle était scolarisée. Cependant, la mère de la victime, Nora Fraisse, a bénéficié d’un contexte institutionnel et médiatique favorable pour entreprendre un travail de sensibilisation.
31 Le 13 février 2013, Nora Fraisse découvre sa fille Marion pendue dans sa chambre, à côté de son téléphone portable, également pendu. Il est possible que l’idée de cette méthode lui ait été suggérée par le suicide d’Amanda Todd, survenu cinq mois plus tôt. Elle a laissé derrière elle une lettre dans laquelle elle relate et condamne le comportement des élèves de sa classe, adoptant un ton détaché qui lui permet d’insister sur son désir de se retirer.
Si vous recevez cette lettre, c’est que je ne suis plus de ce monde. Vous êtes allés beaucoup trop loin dans cette histoire… Ma vie a dérapé et personne ne l’a compris. « faux cul » « sans amie » « on va te niker [sic] à ton retour » « bolosse » « sale pute » « connasse »… Ok, je n’ai pas réussi à dire tout ce que j’avais sur le cœur, mais maintenant je le fais, même si mon cœur ne bat plus… ADIEU… Marion qui n’est plus de ce monde.
32 En quelques mois, la collégienne était devenue la « salope » de sa classe de quatrième. Des rumeurs propagées notamment sur Facebook ont déclenché une vague d’agressions en ligne et au sein du collège. L’adolescente a été mise à l’écart, a reçu des insultes, pour la plupart sexistes, des coups, des attouchements et des menaces de mort. La mère de Marion avait déjà demandé à deux reprises à ce qu’elle change de classe, mais le principal du collège avait refusé, arguant que les conflits finiraient par s’estomper. Sans recours, la jeune fille se rendait régulièrement à l’infirmerie, accumulait les retards et se montrait insolente. Pour ne pas inquiéter ses parents, elle cachait son vrai carnet de liaison et leur en montrait un autre, qu’elle remplissait elle-même. La veille de son passage à l’acte, un garçon lui a suggéré « d’aller se pendre », ce qui l’a poussée à s’enfermer dans les toilettes et à appeler sa mère pour qu’elle vienne la chercher.
33 L’année précédente, Luc Châtel, alors ministre de l’Éducation, avait été interpellé par Éric Debarbieux (2011, 27) à l’initiative d’une enquête qui montrait qu’un écolier sur dix était concerné par le harcèlement, ainsi que par une lettre ouverte adressée par des thérapeutes, des ONG, des journalistes, etc., qui invoquaient les risques de pensées suicidaires et de tentatives de suicide. Il avait alors organisé les Assises nationales contre le harcèlement à l’école, qui ont abouti à l’annonce de la création d’un numéro d’écoute et d’une procédure de signalement en mai 2012. Dans ce contexte, la mère de Marion Fraisse a trouvé des acteurs influents qu’elle pouvait rallier à sa cause.
34 Nora Fraisse a créé l’association Marion la Main Tendue pour que sa fille ne soit « pas morte pour rien », « pour que plus aucun enfant ne décide de mettre un terme à sa vie » et que le harcèlement scolaire soit pris au sérieux [3]. Elle cherche à « démoder » le harcèlement. La dénonciation de la souffrance de sa fille, dans des conférences publiques, des ateliers, des interventions dans des écoles et dans les médias, la transforme en ressource politique. La pureté de l’intention sacrificielle énoncée par sa fille dans l’extrait de lettre rendue publique et le caractère allusif des dénonciations permettent à Nora Fraisse d’exprimer sa tristesse pour susciter de l’empathie pour les victimes de harcèlement et leurs familles. Afin d’enrôler un maximum de soutiens, sans cliver le débat, elle recourt au registre psychosocial alors dominant pour présenter les violences subies par sa fille, sans insister sur leur dimension sexiste.
35 Elle a amené avec insistance ces dénonciations sur le terrain politique en écrivant cinq lettres au ministre de l’Éducation, Vincent Peillon. Dès la rentrée suivante, la circulaire (2013-10) du 13 août 2013 prévient les recteurs et les directeurs d’académie ainsi que les directeurs d’établissement que la lutte contre le harcèlement est « une condition nécessaire à l’accomplissement des missions de l’Éducation nationale ». En outre, le ministre lance le prix national « Mobilisons-nous contre le harcèlement à l’école », une campagne de sensibilisation à la télévision, ainsi qu’un Guide de prévention de la cyberviolence entre élèves. Le harcèlement est pour la première fois encadré par le code de l’éducation (article L911-4) et reconnu comme un délit dans le code pénal (article 222-33-2-2) le 4 août 2014. Il est passible alors, pour les mineurs à partir de 13 ans, d’un an de prison et de 7 500 euros d’amende, avec des circonstances aggravantes pour les actes commis en ligne.
36 Nora Fraisse n’est pas la seule mère à avoir investi son capital émotionnel pour protester par le deuil. Carol Todd a, elle aussi, créé une fondation pour lutter contre le harcèlement. La mobilisation des mères est courante quand elles confient leurs enfants à des institutions qui leur font courir des risques. Dans l’armée russe, un Comité des mères organise la dénonciation des mauvais traitements à l’encontre de leurs fils. Elles s’appuient sur leurs liens avec le proche qu’elles défendent pour formuler des revendications civiques (Lebendev, 2013). En Grèce, les parents de conscrits suicidés ont créé une association pour faire reconnaître la responsabilité de l’armée. Ils transforment les procès en « commémoractions », performant des funérailles en pleurant, hurlant, priant (Drongiti, 2019, 12). Dans un contexte où le gouvernement avait enclenché la lutte contre le harcèlement, le combat de Nora Fraisse est non seulement devenu l’emblème des mères des enfants harcelés, mais aussi celui d’une politique d’État. Son engagement se poursuit sur le terrain culturel. En 2015 paraît le livre relatant l’histoire de sa fille, agrémentée de fiction, Marion, 13 ans pour toujours, vendu à plus de 200 000 exemplaires et traduit en plusieurs langues. Le téléfilm adapté du bestseller a été diffusé le 27 septembre 2016 sur France 3, devant 4,4 millions de téléspectateurs. Nora Fraisse cherche ainsi à alimenter les pratiques éducatives : « Ce film deviendra un outil pour expliquer aux jeunes comment le harcèlement se met en place et comment réagir ». Le 29 septembre 2021, elle publie une bande dessinée, Camélia, qui condense les histoires des jeunes qu’elle a rencontrés.
37 Malgré cet engagement, la haute juridiction pénale a finalement établi un non-lieu en août 2018, confirmé par le rejet du pourvoi par la Cour de cassation en janvier 2022, pour la plainte contre X pour violences volontaires, menaces de mort, provocation au suicide, homicide involontaire et omission de porter secours. En 2018, le juge d’instruction d’Évry estimait que ces événements « isolés et concernant différentes personnes n’agissant pas dans une même intention » ne pouvaient caractériser une situation de harcèlement. La Cour de cassation a estimé que les violences perpétrées par les élèves « n’atteignaient pas un degré suffisant » pour justifier la réponse pénale. Quant à la responsabilité pénale du collège, la Cour estime que « les réponses ou les défauts de réponse qui ont été apportés par l’encadrement scolaire ne sont pas de nature à établir l’existence de manquements ayant contribué au décès de Marion Fraisse ». Cinq ans plus tôt, le tribunal administratif de Versailles avait reconnu la responsabilité partielle de l’État pour n’avoir ni détecté, ni empêché le harcèlement et l’avait condamné à verser 18 000 euros de dommages et intérêts.
38 Pour Nora Fraisse, chaque nouveau suicide est un « aveu d’échec » des politiques mises en place. Toutefois, depuis 2022, la mère de Marion perd son crédit, étant elle-même visée par des plaintes pour harcèlement moral au sein de son association. D’autres parents prennent le relais. En 2021, les parents de Dinah, 14 ans, puis en 2023, ceux de Ambre, 11 ans, et de Thibault, 10 ans, ont organisé des marches blanches en mémoire de leur enfant et contre le harcèlement. Les marches blanches sont des formes de protestations provoquées et légitimées par leur deuil visant notamment : à restaurer la dignité et la pureté biographique des victimes dont la réputation avait été entachée ; à exprimer publiquement des émotions collectives ; et à faire appel à l’attention médiatique, de manière à mobiliser l’opinion publique contre l’injustice dénoncée (Latté, 2015, 30-32). Cette même année, la mère de Linsday, 14 ans, a quant à elle créé une association de lutte contre le harcèlement. Les parents de Marie, 15 ans, ont porté plainte contre TikTok. Le tribunal pour enfant n’a pas retenu le harcèlement pour cause du suicide de Lucas, 13 ans, mais sa mère a annoncé qu’elle se battrait « jusqu’au bout pour que le harcèlement cesse ».
39 De janvier à septembre 2023, quatre suicides imputés par les proches au harcèlement scolaire ont eu une résonance importante : Lucas le 7 janvier, Tibault le 29 avril, Linsday le 12 mai et Nicolas le 17 septembre. L’écho médiatique est tel qu’il pousse la Première Ministre, Élisabeth Borne, à décréter que le harcèlement en milieu scolaire serait la « priorité absolue » de la rentrée 2023 et son gouvernement, à multiplier les annonces. Si l’emballement autour de ces suicides a des effets institutionnels concrets, il semble qu’il éveille des idées suicidaires chez certains jeunes. Ainsi, la mère de Nicolas déclare dans un entretien à la presse que son fils « connaissait par cœur tous les cas de harcèlement qui s’étaient déroulés envers les adolescents en France ces deux dernières années. Il me disait qu’il était outré que rien n’avance dans ce domaine ». Le mode opératoire des quatre suicides survenus cette année-là est le même : toutes les victimes ont été retrouvées pendues dans leur chambre, ce qui suggère un certain mimétisme. D’après cette mère, ces effets de contagion sont exacerbés par la « sur-couverture » des actes de suicide et par la focalisation des médias sur les échecs des institutions à réagir, plutôt que sur d’éventuelles solutions.
40 Des actualités semblables à l’international irriguent les productions culturelles destinées à la jeunesse, à l’instar de la série états-unienne 13 Reasons Why. Tirée du bestseller éponyme de Jay Asher (2017 [2007]), la première saison de la série à succès, diffusée le 21 mars 2017 sur la plateforme Netflix, raconte l’histoire d’Hannah Baker, une lycéenne de 17 ans, notamment victime de diffamation, de viol et de diffusion non consentie d’images intimes. Elle meurt par suicide après avoir préparé treize enregistrements qui détaillent les raisons de son geste, à chacune des personnes qu’elle juge responsables. Le succès de la série fait polémique, car à la sortie de la première saison, les recherches de conseils pratiques pour commettre un suicide ont augmenté significativement sur Google, témoignant d’une recrudescence des idées suicidaires (Ayers et al., 2017). Des épidémiologistes constatent qu’au début de la diffusion de la série sur Netflix en 2017, le suicide des 10-17 ans aurait augmenté de 28,9 % aux États-Unis (Bridge et al., 2020). La deuxième saison aurait toutefois contribué à développer chez les spectateurs une volonté de venir en aide aux personnes suicidaires (Arendt et al., 2019), en diffusant des messages de prévention avant chaque épisode et en mettant en scène les conflits engendrés par le jugement des personnes inculpées.
41 Dans le cadre scolaire, les séances de prévention consistent en général à demander aux élèves de produire des exemples en puisant dans leur imaginaire, alimenté par les fictions et les médias. Ainsi, un cadrage interprétatif qui surestime les risques suicidaires impliqués par le harcèlement s’autoalimente, à la manière d’une « panique » morale (Cohen, 1993 [1972]), voire à la manière d’une « prophétie auto-réalisatrice » (Merton, 1948). La dramatisation de la dangerosité du harcèlement en milieu scolaire et du cyberharcèlement contribue, comme cela a pu être le cas avec le harcèlement de rue, à alimenter une confusion entre des violences « mineures » et des violences plus lourdes (Gayet-Viaud, 2021, 70-73). Cela porte à penser que, dans les cas extrêmes, d’une part, le harcèlement serait le seul élément explicatif du suicide des adolescents et, d’autre part, que le suicide serait la seule issue possible au harcèlement. Dans les cas ordinaires, cette dramatisation accentue des formes de banalisation et d’inaction de la communauté scolaire ou des forces de l’ordre qui ne reconnaissent le harcèlement qu’à partir de la tentative de suicide. En focalisant l’attention sur les conséquences les plus extrêmes, les médias brouillent et homogénéisent la perception des causes, invisibilisant notamment leurs logiques sexistes dont souffrent aussi les garçons harcelés, comme Lucas, décédé en 2023, quand ils ne correspondent pas au type de masculinité dominant dans la cour de récréation (Déage, 2023).
Deux suicides fatalistes contre le cybersexisme
42 En tant que forme exacerbée de contrôle social sur les identités de genre, le harcèlement a poussé Océane et Marion à commettre un acte qui peut être interprété comme un suicide fataliste. Le contrôle social se définit comme l’ensemble des processus par lesquels une société exerce une influence sur les comportements de ses membres. Selon Émile Durkheim (2013 [1893]), le contrôle social désigne l’ensemble des moyens par lesquels la société s’assure de l’adhésion des individus aux règles qui la régissent, et constitue le mécanisme par lequel la société maintient l’ordre et la cohésion sociale. Ce contrôle s’exerce de manière formelle, à travers les lois et les institutions, et de manière informelle, à travers les normes et les valeurs sociales. Georg Simmel (2014 [1900]) ajoute que ces normes s’actualisent par le biais des interactions sociales, des négociations et des coopérations entre les individus. Le contrôle social repose alors sur la capacité des individus à se mettre d’accord sur les comportements acceptables et à réprouver les comportements déviants. Désignant ainsi les individus plus ou moins déviants et fréquentables, les groupes humains se forment et établissent des hiérarchies.
43 Tous les individus n’ont pas la même capacité à faire face à cette pression du groupe. Dans sa théorie sur le suicide, Durkheim (2002 [1897]) avance que les suicides se produisent régulièrement en raison de deux facteurs sociaux extérieurs aux volontés individuelles : l’intégration et la régulation. L’intégration désigne ce qui rattache l’individu aux groupes (croyances, sentiments et pratiques communes), et la régulation renvoie au pouvoir normatif qui encadre et harmonise leurs comportements en vertu d’un ordre social considéré comme légitime (Steiner, 1994). Durkheim décrit quatre types de suicide : les suicides égoïstes et altruistes correspondent respectivement à un défaut et à un excès d’intégration ; les suicides anomiques et fatalistes répondent quant à eux à un défaut ou à un excès de régulation.
44 Le suicide fataliste aurait un caractère inéluctable, inflexible et s’inscrirait dans un processus de long terme (Besnard, 1987). Il serait le produit d’un « excès de réglementation : celui que commettent les sujets dont l’avenir est impitoyablement muré, dont les passions sont violemment comprimées par une discipline oppressive » (Durkheim, 2002 [1897], 311). L’excès de règles et de contraintes placerait l’individu dans un état de désespoir et d’oppression extrême. Dans une situation perçue comme intolérable et irrévocable, tous les espoirs et les perspectives d’avenir de l’individu s’en retrouvent minés. Sans alternative, il perd le sens de son existence et le suicide peut devenir sa seule issue. Selon Durkheim, le suicide fataliste peut advenir dans des situations de privation de liberté, telles que celles vécues par les époux trop jeunes, les femmes mariées sans enfants, les esclaves et d’autres personnes soumises au despotisme matériel ou moral.
45 Durkheim a toutefois peu développé cette catégorie à laquelle il confère plutôt un intérêt historique. Philippe Besnard (1973, 60) lui reproche de s’être trop focalisé sur l’anomie et d’avoir laissé sa théorie du suicide inachevée en raison de certains préjugés à l’égard des femmes et de son engagement contre le divorce par consentement mutuel. Durkheim explique la plus faible propension des femmes à se suicider par le fait que, contrairement aux hommes, elles seraient dotées d’une sensibilité « plutôt rudimentaire », leurs désirs sexuels seraient « naturellement bornés », et elles seraient moins engagées dans la vie collective, donc moins exposées aux variations et aux contraintes de la vie sociale. Le suicide féminin est alors interprété comme l’acte égoïste d’un être détaché des préoccupations du monde et de ses règles.
46 Besnard propose de refonder des catégories cohérentes, en pointant les contradictions logiques dans l’argumentation dans les travaux de Durkheim et en corrigeant les erreurs statistiques sur les cas féminins. Il démontre ainsi « qu’une intégration satisfaisante diminue la fréquence du suicide quel que soit le degré de régulation et que la relation entre régulation et suicide s’exprime par une courbe en U quel que soit le degré d’intégration […] une régulation excessive (fatalisme) entraîne une augmentation du taux de suicide plus forte qu’une régulation insuffisante (anomie) » (Besnard, 1973, 51-52). La mention des « femmes mariées sans enfants » pour illustrer le suicide fataliste n’aurait qu’un intérêt rhétorique pour Durkheim, pourtant ses données semblent montrer que les femmes mariées qui se suicident subissent, en général, une régulation excessive (Besnard, 1973, 40). Bien plus tard, en interrogeant les femmes qui ont commis des tentatives de suicide, Simone Fullagar et Wendy O’Brien (2016, 102), des sociologues féministes australiennes, ont en effet constaté que c’était souvent le sentiment de honte de ne pas être à la hauteur des exigences des rôles assignés – de femme, de mère, de fille – qui conduisait les femmes à envisager le suicide comme une option pour se libérer de la peur du jugement.
47 Depuis les années 2000, la notion de suicide fataliste est revisitée pour étudier notamment le suicide des femmes iraniennes contraintes à se replier dans la sphère privée (Aliverdinia, Pridemore, 2009) ou celui des agriculteurs français qui peinent à concilier les exigences de leur travail avec les attentes familiales (Deffontaines, 2020). Les « troubles fatalistes » de ces derniers seraient provoqués par l’impossibilité de maintenir séparées des scènes sociales aux exigences contradictoires (Weber, 2018, 185).
48 La lecture de Durkheim invite à penser la manière dont Internet reconfigure les normes, les relations sociales et l’exposition à des risques de suicide. Sur les réseaux sociaux, des univers ordinairement séparés se rencontrent. En ligne, des contenus partagés dans des formats toujours plus courts et elliptiques peuvent être interprétés en dehors de leur contexte et provoquer des tensions (Marvick, boyd, 2011). Même si les cyberviolences tendent à se produire entre jeunes qui se connaissent (Blaya, 2016, 59), leurs attentes diffèrent selon que les situations soient amicales, amoureuses, scolaires, familiales, etc. De plus, les valeurs promues sur les réseaux sociaux ne coïncident pas toujours avec celles des internautes. Entre jeunes, la valeur des relations repose sur la confiance, l’authenticité, le divertissement et l’honneur, alors que les compteurs des plateformes valorisent essentiellement la visibilité, l’esthétique et la notoriété. Ainsi, une bonne réputation en ligne peut être renversée hors ligne (Déage, 2018).
49 Les smartphones offrent un espace pour expérimenter des formes d’intimité qui sont proscrites hors ligne, d’autant plus sévèrement pour les jeunes femmes. Dans les groupes d’adolescent·es, la réputation tend à être polarisée selon le genre : la réputation de « fille bien » s’acquiert par le respect des normes de retenue sexuelle, alors que les garçons se construisent une virilité à travers leurs conquêtes sexuelles et leur insensibilité (Holland et al., 2002 [1996] ; Clair, 2023). Dans une banlieue australienne aisée, les adolescent·es considéraient le suicide comme une option envisageable pour une fille dont la réputation aurait été ternie et qui ne parviendrait plus à trouver du soutien auprès de ses pairs pour résister aux stéréotypes de genre (Gilchrist, Sullivan, 2006, 198). Les pratiques sexuelles médiées par Internet, comme le sexting, favorisent la récolte et la diffusion de « preuves » pour intimider celles qui contreviennent aux normes de vertu (Desfachelles, Fortin, 2019, 348-349). La diffusion non consentie d’images intimes est plus fréquente et dommageable pour les jeunes femmes (Couchot-Schiex et al., 2016 ; Ricciardelli, Adordjan, 2019). Ces cyberhumiliations les font apparaître comme inférieures, méprisables, au point, parfois, de « mettre à mort » leur réputation (Dilmaç, 2017, 307).
50 Dans les deux cas étudiés, la mauvaise réputation a disqualifié et rendu infréquentables des jeunes femmes. L’excès de régulation et le défaut d’intégration les ont poussées à commettre un suicide fataliste, au sens durkheimien. En effet, ces jeunes femmes sont enfermées dans les diktats des internautes qui les réduisent à la condition d’objets, refusant de reconnaître leur individualité, leur capacité à adhérer de leur plein gré à des normes, à des valeurs et à des croyances qui pourraient les rattacher à un groupe. Réduites à une représentation véhiculée par des insultes sexistes ou par les images de leur corps qui circulent, elles se sont senties dépossédées de leur humanité, ne représentant plus qu’un interdit à toute heure du jour et de la nuit, dans l’étendue inconnue des réseaux sociaux numériques. Mises à l’écart, elles n’ont trouvé personne pour s’opposer à cette violence. De nombreuses recherches ont montré que les jeunes suicidaires souffraient d’isolement (Trout, 1980), une difficulté d’autant plus dure à surmonter que la jeunesse est l’âge de la vie où les individus sont le plus sensibles au sentiment de solitude (Shute, Howitt, 1990), susceptible d’être renforcé par la vie numérique (Turkle, 2011).
51 Un suicide fataliste n’est toutefois pas nécessairement à interpréter comme le signe d’une abdication totale face à des forces extérieures. Jason Manning (2012) explore l’hypothèse selon laquelle le suicide pourrait être considéré comme une forme de retour du contrôle social. Selon lui, le suicide peut être utilisé comme une stratégie pour résoudre des conflits interpersonnels et réguler des comportements sociaux. Il prend une dimension moraliste (Manning, 2012, 209) quand il exprime une protestation contre des politiques ou des pratiques sociales perçues comme injustes. Le suicide serait alors un signal de résistance : d’une part, il exprime la désapprobation par l’évitement total et ultime du comportement désapprouvé ; d’autre part, il inflige une sanction à l’agresseur ou appelle le groupe à le faire, en particulier lorsque les victimes laissent un dernier message. On a, par exemple, observé des femmes se suicider en Océanie pour appeler à la vengeance contre leur mari violent (Counts, 1987). Cette stratégie radicale, pour attirer l’attention sur un problème social, peut être utilisée par des personnes qui subissent des situations de domination et qui ne parviennent pas à trouver de soutien pour réclamer des changements sociaux et politiques.
52 Cependant, le suicide est un recours ultime et incertain pour faire reconnaître ses souffrances, notamment en raison du caractère imprévisible des réputations posthumes. Gary Alan Fine (2001) a montré que la réputation des personnes célèbres pouvait être renversée après leur mort selon plusieurs critères, notamment le contexte sociohistorique, la façon dont l’individu était perçu de son vivant et la manière dont il est mort. Or, les personnes harcelées souffrent généralement d’une mauvaise réputation de leur vivant et le suicide est souvent interprété comme un acte qui dénote une certaine faiblesse psychologique. En d’autres termes, pour que le message des personnes suicidées devienne crédible, un travail réputationnel doit être entrepris pour restaurer la légitimité de la victime et de son acte. Dans le cas du suicide sur Periscope, aucun travail de cette nature n’a été entrepris, figeant l’acte dans une dimension pathologique, alors que dans le cas du suicide de Marion, sa mère a mené un combat pour lui donner une envergure politique.
Conclusion
53 Les suicides de Marion et d’Océane sont des suicides fatalistes, résultant de l’excès de régulation imposé par les pairs sur les identités de genre, leur forgeant une réputation tellement négative qu’elles ne parviennent plus à s’intégrer à un groupe. Ces actes ont une portée dénonciatrice, véhiculée par leur dernier message. En se donnant la mort, en provoquant un choc émotionnel, ces jeunes femmes ont espéré faire reconnaître leurs souffrances. Leurs messages d’adieu laissent une place importante à l’expression de leur accablement, mêlant la tristesse, l’indignation et la révolte provoquées par les atteintes répétées à leur dignité. Leur acte, accompagné du message qu’elles ont laissé, devient un acte de contestation. Du côté d’Océane, qui appelle les internautes à la venger de son ex-petit-ami, cet acte est plutôt teinté de rancœur. Marion manifeste, quant à elle, sa désapprobation plus sobrement, en insistant sur sa volonté de se retirer. Ces émotions n’ont pas la même portée mobilisatrice. L’entourage d’Océane, qu’elle a attaqué frontalement dans ses vidéos, a fait savoir à la justice que la jeune femme avait des troubles mentaux. En pathologisant son acte, ils et elles ont fait perdre toute crédibilité à sa dénonciation. Tandis que le message de Marion, qui n’inculpe personne directement, a pu être repris par sa mère qui s’est appuyée sur son deuil pour devenir l’emblème de la lutte contre le harcèlement, déjà amorcée par l’État. Cette dénonciation est toutefois tributaire des registres d’interprétation psychosociaux alors dominants et fait peu de cas à la dimension sexiste des violences.
54 Les histoires de victimes de harcèlement suicidées, particulièrement choquantes, médiatisées et marquantes, servent de source d’inspiration à de nombreux récits fictifs, produits par les industries culturelles ou par les élèves eux-mêmes, dans le cadre de séances de sensibilisation. C’est ainsi que, progressivement, le suicide a été conçu comme une conséquence probable du harcèlement, dans les représentations communes, quand bien même il en reste une issue très exceptionnelle. Si la présentation des émotions a pu être, dans une certaine mesure, réfléchie par les suicidées ou par les auteurs de fictions, la réaction affective des publics reste incertaine (Lefranc, Sommier, 2009, 283-285). Quand bien même d’autres personnes auraient été émues, rien ne garantit qu’elles s’engagent contre le harcèlement. Au contraire, la médiatisation de ces faits divers peut décrédibiliser les victimes de harcèlement qui ne tentent pas de se suicider et rendre ainsi la communauté scolaire, les institutions policières et judiciaires insensibles au harcèlement « ordinaire ».
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Mots-clés éditeurs : SUICIDE, RÉPUTATION, HARCÈLEMENT, SEXISME, SENSIBILISATION
Date de mise en ligne : 15/05/2024.
https://doi.org/10.3917/ds.481.0147Notes
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[1]
Menace de diffusion d’images explicites, intimes ou embarrassantes de nature sexuelle sans consentement, généralement dans le but d’obtenir d’autres images, des actes sexuels, de l’argent ou autre chose. Le préjudice peut être physique (pour la victime ou ses proches), viser les biens ou la réputation (Patchin, Hinduja, 2020).
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[2]
Ancienne application (2014-2020) qui permettait de filmer en direct et de former une audience à partir de sa géolocalisation.
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[3]
Qui sommes-nous ?, Association Marion la Main Tendue [En ligne] http://www.marionlamain-tendue.com/l-association-marion-la-main-tendue/ (consulté le 06/05/2023).