Notes
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[1]
Le chiffre est exprimé pour un million de sujets âgés de plus de 80 ans.
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[2]
Traduction de « death hastening behavior ». Cette expression désigne les formes d’abandon, de négligence et de meurtre qui ont été pratiquées dans certaines sociétés traditionnelles.
-
[3]
Par convention, les taux de suicide sont mentionnés pour 100 000 personnes.
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[4]
Dans une tout autre perspective, Toupet (2021) qualifie d’« ultime reprise » les intentions suicidaires portées par les personnes âgées qui militent pour une mort choisie. Selon l’auteure, il s’agirait des dernières « prises » que ces personnes âgées ont sur une existence marquée par des pertes d’autonomie fonctionnelle, décisionnelles et civiles.
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[5]
Traduction personnelle de : « It is simply impossible to assign a reliable diagnosis of mental disorder to some-one by interviewing someone else. » (Hjelmeland et al., 2012, 623)
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[6]
Baechler (1975, 126) écrivait à ce propos que « les rescapés, lorsqu’ils sont interrogés sur le sens de leur geste, sont généralement incapable de l’exprimer, ou le font en des termes si pauvres qu’ils deviennent inutilisables ».
-
[7]
Weber (2018) précise : « J’utilise ici le terme de “troubles psychiques invalidants” plutôt que celui de maladies mentales pour marquer qu’il ne s’agit pas de telle ou telle maladie diagnostiquée, mais d’un ensemble de troubles invalidants sans diagnostic physiologique connu, que ceux-ci aient fait ou non l’objet d’un diagnostic psychiatrique ».
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[8]
« Geriatricians are increasingly encountering older adults expressing suicidal wishes in the absence of overt mental illness. This is expected to grow as life expectancy increase» (Balasubramaniam, 2018, 998).
-
[9]
Traduit de Richards (201713) « age-related desire to die ».
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[10]
Aux Pays-Bas, le terme employé est celui de Voltooid leven, qui peut se traduire par « vie achevée ».
- [11]
Introduction
1 Ainsi qu’a pu le montrer Minois (2014), le suicide a presque toujours fait l’objet d’une réprobation sociale. Condamné par la morale, criminalisé, pathologisé, le suicide est souvent considéré comme le parangon de la mauvaise mort. Outre des débats d’ordre philosophique, on peut considérer que le suicide est réellement devenu un objet de recherches en France depuis le début du XIXe siècle, avec les premières collectes de données par les médecins du conseil de salubrité de Paris. Depuis lors, il a fait l’objet de nombreuses controverses scientifiques et programmes de prévention jusqu’à la création, en 2013, de l’Observatoire national du suicide. Parmi les suicides, certains furent davantage objets de préoccupation que d’autres ; c’est notamment le cas des suicides des jeunes et des suicides liés au travail. Parce qu’ils perturbent peut-être moins l’ordre social et/ou parce que la « quantité d’existence » (Establet, Baudelot, 2011, 109) sacrifiée est moindre, les suicides des personnes âgées demeurent relativement peu investigués. Pourtant, ainsi que l’avait déjà souligné Durkheim (1897, 79), les taux de suicide augmentent avec l’âge, au point d’atteindre des taux jusqu’à dix fois supérieurs à ceux des jeunes. Comment interpréter le suicide des personnes âgées ?
2 En nous appuyant sur certains travaux incontournables de la sociologie du suicide en France, nous montrerons tout d’abord que, si le suicide des personnes âgées a fait l’objet de nombreux constats statistiques, au plan interprétatif, il a tour à tour été ignoré, invisibilisé et minoré. Nous verrons ainsi que pour Durkheim, l’âge avancé constituait davantage une condition biologique qu’une condition sociale, puis nous montrerons que les analyses cherchant à saisir et dénoncer certaines transformations sociales – notamment du travail – ont conduit à se détourner du suicide des personnes âgées qui ne permettait pas de soutenir ces analyses. En contrepoint, nous verrons que la suicidologie française s’est saisie de cet objet dans une perspective pathologisante, tandis que les rares travaux sociologiques à visée compréhensive se sont efforcés de proposer des pistes d’interprétation alors même que le matériau empirique et les démarches d’enquête font débat. Enfin, nous aborderons la manière dont les paradigmes interprétatifs développés pour comprendre les suicides se heurtent à certaines spécificités du suicide des personnes âgées et notamment au paradoxe de l’âge. Dans cette optique, nous défendrons que le suicide des personnes âgées pourrait être interprété en considérant la question des aides actives à mourir.
Les suicides des personnes âgées : un non-sujet pour la recherche en sociologie ?
3 En nous appuyant sur une perspective chronologique, nous verrons tout d’abord comment Durkheim a interprété le suicide des vieillards. Nous évoquerons ensuite quelques-uns des travaux menés ultérieurement par la sociologie et la démographie pour montrer la manière dont le suicide des personnes âgées a tour à tour été ignoré puis invisibilisé.
Le suicide des vieillards selon Durkheim
4 La place de l’âge – et du suicide des personnes âgées – dans l’œuvre de Durkheim est portion congrue même si la manière dont il aborde la question n’est pas simplement illustrative de l’idée qu’il se faisait de ce que devait être la sociologie en tant que démarche scientifique mais évoque aussi une certaine idée de ce qu’était l’âge pour lui. On retrouve ainsi dans son œuvre plusieurs tableaux qui intègrent la variable « âge ».
Un suicide égoïste ?
5 Le premier est le tableau IX (Durkheim, 1897, 79), qui compare les taux de suicide des hommes et des femmes (pour un million de sujets) pour la France, la Prusse, la Saxe, l’Italie et le Danemark sur des périodes de 10 ans (1835-1844 pour la France). Les classes d’âge sont construites par tranches de 10 ans jusqu’à la classe « au-dessus de 80 ans ». Pour tous les pays et les deux sexes, on constate une augmentation des taux de suicide à chaque classe d’âge, sauf pour les hommes italiens et le Danemark où les taux de la dernière classe d’âge sont légèrement inférieurs à ceux des 70-80 ans. Dans le cas de la France, le taux de de suicide des hommes les plus âgés (345,1 [1]) est six fois supérieur à celui de la classe des 16-20 ans.
6 Durkheim utilise principalement cette hausse des taux de suicide avec l’âge pour remettre en question l’argument de l’hérédité biologique et indique que « cette progression ininterrompue démontre que la cause dont il dépend se développe elle-même à mesure que l’homme vieillit » (Durkheim, 1897, 80). Si l’auteur laisse entendre qu’il y a bien un lien entre la cause sociale (ce qui se joue en matière d’intégration sociale) et le vieillissement, il ne propose pas formellement de piste d’interprétation.
7 Les tableaux XX, XXI et XXII (Durkheim, 1897, 182, 183 et 204) intégrant la variable « âge » avec les mêmes classes d’âge que précédemment interviennent dans le chapitre consacré au suicide égoïste. Durkheim les utilise pour comparer les taux de suicide des hommes et des femmes célibataires, mariés ou veufs et en déduire des coefficients de préservation. L’âge est absent de l’analyse alors que le constat d’une augmentation des taux avec l’âge se confirme à nouveau en dépit des variations de moindre importance liées au statut matrimonial, tant pour les hommes que pour les femmes. Pour la France, on retrouve une inflexion de cette hausse continue sur la dernière classe d’âge pour les hommes et les femmes célibataires et veufs ainsi que les femmes mariées. À nouveau, les taux de suicide des personnes les plus âgées sont de deux (pour les femmes) à six fois plus importants que ceux des jeunes. Le tableaux XXII qui porte sur le département de la Seine et la province illustre les mêmes constats.
8 Il apparaît donc que, dans le modèle d’analyse du suicide égoïste que propose Durkheim, l’âge pose problème. Ainsi, l’auteur le considère tout d’abord comme un « élément perturbateur » dont il faut, selon lui, « se débarrasser » (Durkheim, 1897, 175), pour bien saisir ce qui se joue du côté des célibataires qui, en nombre absolu, se suicident moins que les gens mariés. L’explication que développe Durkheim pour défendre son propos le conduit à une analyse quelque peu paradoxale :
[…] un très grand nombre de célibataires ont moins de 16 ans tandis que tous les gens âgés mariés sont plus âgés. Or, jusqu’à 16 ans, la tendance au suicide est très faible par le seul fait de l’âge […] cette atténuation est due à l’âge et non au célibat.
9 Si le propos laisse entendre qu’il se joue quelque chose du côté de l’âge, puisque celui-ci semble apparaître comme un élément agissant sur la suicidalité, Durkheim préconise de ne pas en tenir compte. Il faut aller plus loin dans son œuvre pour comprendre la lecture qu’il fait de l’âge et de la vieillesse (Durkheim, 1897, 226 et 230) :
En fait, quoique l’enfant soit naturellement égoïste, qu’il n’éprouve pas le moindre besoin de survivre et que le vieillard, à cet égard comme à tant d’autres, soit très souvent un enfant, l’un et l’autre ne se laissent pas de tenir à l’existence autant et même plus que l’adulte […] Nous savons que le suicide est exceptionnel chez l’enfant et qu’il diminue chez le vieillard parvenu aux dernières limites de la vie ; c’est que chez l’un et chez l’autre, l’homme physique tend à redevenir tout l’homme. La société est encore absente du premier qu’elle n’a pas eu le temps de former à son image ; elle commence à se retirer du second, ou ce qui revient au même, il se retire d’elle. Ayant moins besoin de se compléter par autre chose qu’eux-mêmes, ils sont aussi moins exposés à manquer de ce qui est nécessaire pour vivre. L’immunité de l’animal n’a pas d’autres causes.
10 L’argument est discutable, non seulement parce que toutes les données que mobilise Durkheim ne montrent pas une diminution des taux de suicide dans les classes d’âge les plus âgées, mais aussi parce que, lorsque c’est le cas, il conviendrait d’expliquer en quoi – en quelles circonstances – la nature reprend le pas sur le social. On peut émettre l’hypothèse que Durkheim pense ici à la grande sénescence, voire à la sénilité et à la grabatisation comme un temps de la vie où l’être humain ne serait mu que par ses besoins physiologiques. Détaché du social, les causes sociales du suicide ne s’appliqueraient plus à sa « situation » et ce, bien que les taux de cette « classe d’âge » restent très supérieurs à la moyenne.
11 Une autre piste d’explication s’appuyant sur l’argument biologique qui n’a pas, semble-t-il, été envisagée par Durkheim, serait que l’état physiologique du vieillard pourrait être, en soi, une explication de la baisse des suicides aux âges extrêmes. La part de ces individus souhaitant se donner la mort serait alors la même, voire supérieure à celle des classes d’âge plus jeunes, mais ils ne seraient pas physiquement en capacité de mettre en œuvre leur suicide. En effet, les vieillards auxquels Durkheim fait référence sont des personnes âgées de plus de 80 ans ayant vécu à la fin du XIXe siècle, époque où l’espérance de vie en France était inférieure à 50 ans. Si, à l’instar de Bourdelais (1993), nous considérons qu’il est nécessaire de tenir compte de la « réalité de l’âge », ces octogénaires, qui avaient dépassé de plus de 30 ans l’espérance de vie de leur époque, étaient vraisemblablement des vieillards, au sens de « personnes fortement marquées par la sénescence ».
12 Le modèle du suicide égoïste développé par Durkheim laisse peu de place à l’interprétation des suicides des personnes âgées puisqu’il ne propose pas d’interprétation à l’augmentation des taux de suicide avec l’âge. Au risque de trahir sa pensée, nous pourrions envisager qu’avec l’avancée en âge, l’intégration (familiale) et l’intensité de la vie commune, considérées comme des éléments préservant du suicide, s’amenuiseraient. Il y aurait ainsi une forme d’individualisme qui, s’exacerbant avec l’âge, détacherait progressivement l’individu de son groupe. Cette lecture du suicide égoïste appliquée au suicide des personnes âgées est évidemment anachronique. Nous verrons plus loin qu’elle trouve néanmoins des échos dans certains développements récents qui correspondent assez bien à la définition que fait l’auteur du suicide égoïste : « le suicide égoïste vient de ce que les hommes n’aperçoivent plus de raison d’être à leur vie » (Durkheim, 1897, 288).
13 Si certains auteurs, tel Paugam (2002), ont pointé les convergences entre les modèles du suicide égoïste et celui du suicide anomique de Durkheim, il paraît plus difficile de rattacher ce second type au suicide des personnes âgées, car l’âge est absent de l’argumentation.
Un suicide altruiste ?
14 L’autre référence aux vieillards faite par Durkheim apparaît dans son chapitre sur le suicide altruiste lorsque qu’il évoque les suicides des vieillards et des personnes malades dans les sociétés traditionnelles et s’inscrit justement en faux contre l’idée suivant laquelle le suicide des vieillards s’expliquerait par leur lassitude de la vie et leurs maux (Durkheim, 1897, 236) :
Sans doute, quand on nous parle de vieillards qui se donnent la mort, nous sommes au premier abord, portés à croire que la cause en est dans la lassitude ou dans les souffrances ordinaires à cet âge. Mais si, vraiment ces suicides n’avaient pas d’autre origine, si l’individu se tuait uniquement pour se débarrasser d’une vie insupportable, il ne serait pas tenu de le faire ; on n’est jamais obligé de jouir d’un privilège. […] La société pèse donc sur lui pour l’amener à se détruire. Sans doute elle intervient aussi dans le suicide égoïste ; mais son intervention ne se fait pas de la même manière dans les deux cas. Dans l’un, elle se contente de tenir à l’homme un langage qui le détache de l’existence : dans l’autre, elle lui prescrit formellement d’en sortir.
15 Les raisons évoquées par Durkheim relativement à ce type de suicide altruiste sont d’ordre religieuses et symboliques. Le vieillard diminué, sans vigueur, affaiblit son groupe. Il est donc dans l’intérêt de ce dernier qu’il se donne la mort.
16 Si l’on rapproche l’analyse proposée par Durkheim du suicide altruiste de celle des travaux de Glascock (2009) sur les comportements visant à hâter la mort [2] des personnes âgées dans certaines sociétés traditionnelles, alors la prescription au suicide avancée par Durkheim s’apparente très fortement aux formes d’accompagnement vers la mort de type euthanasique tels que l’abandon des vieillards chez les Lau de Polynésie ou le « meurtre » des vieux Chuckchee de Sibérie poignardés par leurs fils. Ainsi que le soulevait Glascock, les frontières entre l’injonction à se suicider, l’accompagnement au suicide et le meurtre s’avèrent ici très minces. Notons, à ce titre, que ces comportements ne furent pas simplement le fait des sociétés traditionnelles mais qu’il est possible d’en trouver des traces en France ainsi que le souligne Ormezzano (1982) :
Dans l’île de Ré, il y a moins d’un siècle, on décidait encore en conseil de famille le suicide du grand-père qui obtempérait après avoir partagé ses terres entre ses enfants et été promené un mois chez l’un, un mois chez l’autre quelques années, avant qu’il ne devînt vraiment de trop.
17 Dans le modèle du suicide altruiste, cette prescription au suicide de certaines sociétés traditionnelles était anecdotique en comparaison du développement accordé par l’auteur aux suicides dans l’armée. À l’inverse, de nos jours, l’idée d’une injonction – plus que d’une prescription – au suicide s’avère très vivace dans la littérature gérontologique. Depuis plusieurs années, de nombreux auteurs dénoncent le traitement sociétal (maltraitance, privation de liberté, discours utilitariste durant la pandémie) fait aux personnes âgées ; certains vont même jusqu’à envisager que la société enjoint aux personnes âgées d’envisager la mort plutôt que de peser sur la société. La psychanalyste Charazac-Brunel (2013, 47) voit ainsi, dans les démarches de légalisation de l’euthanasie, « une incitation au suicide de la personne âgée ».
18 Si les travaux de Durkheim sur le suicide égoïste et le suicide altruiste n’ont pas été conçus pour proposer une interprétation du suicide des personnes âgées, il n’en reste pas moins qu’ils ont permis de pointer l’augmentation des taux de suicide avec l’âge et qu’ils trouvent aujourd’hui des développements contemporains.
Des interprétations conduisant à invisibiliser et minorer le suicide des personnes âgées
19 Si l’œuvre de Durkheim a fait l’objet de nombreux débats scientifiques, approfondissements et discussions (Halbwachs, 1930), mais aussi de critiques (Douglas, 1967 ; Baechler, 1975) la question du suicide des personnes âgées est restée relativement absente des interprétations qui ont été développées par les chercheurs au cours du XXe siècle.
Une absence d’interprétation du suicide des personnes âgées dans la littérature
20 Dans le travail d’Halbwachs, la question du suicide des personnes âgées est plus absente encore qu’elle ne l’est dans l’œuvre de Durkheim. En effet, très peu des statiques qu’il mobilise intègrent l’âge. Dans le chapitre consacré aux taux de suicide en Europe, Halbwachs présente les taux de suicide des hommes de plusieurs pays par tranche d’âge de 10 ans et indique simplement, sans commentaire, que : « Or, c’est un fait bien connu que, dans la population masculine tout au moins, le taux du suicide augmente très régulièrement avec l’âge » (Halbwachs, 1930, 73). Il s’agirait donc d’un fait bien connu qui se passe de commentaire et de piste interprétative…
21 La variable « âge » apparaît également dans le chapitre consacré aux tentatives de suicide : deux tableaux (Halbwachs, 1930, 76, 77) montrent comment la proportion des tentatives de suicide par empoisonnement et pendaison s’inversent au fil de l’âge pour les femmes au Danemark et en Allemagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Pour autant, Halbwachs ne propose pas réellement d’interprétation liée à l’âge et se limite à citer les travaux de Bachi sans préciser s’il adhère à cette analyse : « les personnes (âgées) qui tentent de se suicider, ont des raisons plus sérieuses de mourir, et mettent leur dessein à exécution avec plus de fermeté » (Halbwachs, 1930, 76).
22 Bien que la question de l’âge et plus encore du suicide des personnes âgées ne fasse l’objet d’aucune interprétation chez Halbwachs, il paraît possible – comme nous l’avons fait pour Durkheim – d’envisager en quoi son modèle explicatif du suicide, qui associe causes et motifs, puisse fournir des pistes d’hypothèse pour notre objet. Halbwachs défend en effet que :
Si les hommes se tuent, c’est toujours à la suite d’un événement ou sous l’influence d’un état survenu soit au-dehors, soit au-dedans (dans leur corps ou dans leur esprit), qui les détache ou les exclut du milieu social, et leur impose le sentiment insupportable de leur solitude.
23 Notons que la solitude constitue aujourd’hui une des explications les plus souvent mobilisées pour expliquer le suicide des âgés.
24 Enfin, s’il est un point qu’il convient d’aborder dans l’œuvre d’Halbwachs, c’est la manière dont il intègre, à la différence de Durkheim, la dimension psychopathologique du suicide (Halbwachs, 1930, 314) :
[…] nous admettrions sans peine que chez tout individu qui se tue on trouverait, au moment où il se suicide, et peut-être dans les quelques heures et même les quelques jours qui précèdent, un trouble plus ou moins profond, mais toujours effectif, des fonctions nerveuses et cérébrales, d’où doit résulter un état psychique voisin de ceux que l’on constate dans la névrose d’angoisse, la dépression, etc. […] On dira qu’il y a toutefois cette différence entre le suicidé normal et le suicidé psychopathe, que, chez celui-ci, le déséquilibre résulte d’une cause intérieure au corps […] Chez le suicidé normal, au contraire, le trouble organique ne serait préparé dans le corps que comme le déséquilibre l’est dans l’équilibre : la cause qui le détermine est extérieure à l’organisme.
25 Cette intégration de la dimension pathologique du suicide comme fruit du contexte social apparaît aujourd’hui centrale, voire incontournable, pour toute une partie de la sociologie du suicide tandis que la notion de trouble mental s’avère être la pierre angulaire des interprétations de la suicidologie française.
L’augmentation des taux de suicide avec l’âge : une constante invisibilisée
26 Au cours du XXe siècle, des articles de démographes présentant les taux de suicide par âge ont régulièrement été publiés, sans que l’augmentation des taux de suicide avec l’âge soit réellement commentée ni que le suicide des personnes âgées fasse l’objet d’interprétations spécifiques. Trois articles publiés dans la revue Population à vingt ans d’intervalle l’illustrent assez clairement.
27 L’article de Daric (1956) présente les taux de suicide par âge en France (la dernière classe d’âge est celle des 70 ans et plus) pour les périodes 1925-1927 et 1952-1954. Sans surprise, on constate, pour les hommes comme pour les femmes des deux périodes, une augmentation des taux de suicide avec l’âge et que celle-ci est plus particulièrement marquée pour les hommes. Pour ces derniers, à partir de 70 ans et plus, ce taux est de 105,4 [3] pour la première période et de 78,5 pour la seconde alors que les taux, tous âges confondus, étaient respectivement de 20 et 15,5.
28 En revanche, les courbes qui comparent les taux de suicide par âge des différents pays montrent que si pour tous les pays considérés, les taux s’élèvent (de manière hétérogène) avec l’âge, en particulier pour les hommes, certains pays voient une légère inflexion des taux à partir de 60 ans. Daric ne fait aucun commentaire sur ces phénomènes, peut-être parce qu’il analyse la répartition des suicides par âge pour 100 suicides plutôt que les taux de suicide par âge. Cette « construction statistique » conduit à renforcer l’importance du suicide de la tranche d’âge 40-59 ans, ce qui fait dire à l’auteur que, « pour les hommes comme pour les femmes, la proportion de suicides la plus élevée se situe entre 40 et 79 ans » (Daric, 1956, 677). Plus loin dans l’article, la manière dont il présente le nombre de suicides pour 100 décès réduit d’autant plus encore l’importance que l’on pourrait accorder au suicide des personnes âgées puisque, en raison des multiples causes de mortalité au grand âge, le suicide n’en constitue qu’une faible part : 0,5 % pour les hommes de 80 ans et plus contre 6,6 % pour leurs homologues de 30 à 34 ans.
29 L’article de Chesnais de 1973, qui concerne les périodes 1956-1957 et 1966-1967, s’inscrit dans la même veine mais ne présente pas la même richesse statistique. Les deux seules classes d’âge présentées sont les 15-24 ans et les 65 ans et plus. Cela permet simplement de constater que, pour tous les pays, et en dépit de variations inter-pays, les personnes âgées se suicident plus que les jeunes pour les deux périodes concernées. Le ratio entre les deux va de 1,6 fois plus pour les Japonais de la période 1956-57 jusqu’à 12 fois plus pour les Belges et Français de la même période. Face à ce constat, l’auteur écrit (Chesnais, 1973, 421) :
La croissance du suicide avec l’âge varie donc beaucoup d’un pays à l’autre. Cette grande variabilité tient principalement à l’étendue des écarts chez les jeunes […] De façon générale, cette homogénéisation va plutôt dans le sens d’un accroissement de l’incidence relative du suicide aux âges jeunes. Aux âges élevés, le taux de suicidité a diminué dans tous les pays, excepté l’Allemagne et l’Autriche.
30 Ainsi, et alors même que pour la France par exemple, le ratio jeunes/âgés est encore de 8,3 pour la période 1966-67, l’auteur se focalise sur la diminution du ratio et non sur le fait que les personnes âgées se suicident encore huit fois plus que les jeunes.
31 Vingt ans plus tard, l’article de Surault (1995), qui s’attache à analyser les variations des taux de suicide depuis 1950, présente lui-aussi des données avec les taux de suicide par âge. L’analyse portée sur les variations – plutôt que sur la constante d’une augmentation des taux de suicide avec l’âge – conduit l’auteur à mettre la focale sur le suicide des jeunes. En effet, si entre 1976 et 1990, tous les âges connaissent la même trajectoire d’évolution de leurs taux de suicide – progression entre 1976 et 1985 puis baisse sur la fin de la période –, ces variations ne sont pas de la même ampleur selon les âges. Il apparaît ainsi que, pour les hommes, c’est le suicide des 25-34 ans qui progresse le plus sur la période. Ce sur quoi l’auteur ne s’attarde pas est que le second « âge » au suicide qui progresse le plus fortement est celui des 85 ans et plus. Celui des 75-84 ans progresse de manière quasi équivalente à celui des 35-44 ans tandis que celui des 15-24 fait partie de ceux qui progressent le moins fortement sur la période. Les choses sont sensiblement différentes du côté des femmes dont les suicides qui progressent le plus sont ceux des 45-54 puis des 25-44 ans, suivis des suicides des femmes les plus âgées. L’auteur précise néanmoins (Surault, 1995, 989) :
Or, à 15-24 ans, en 1990, la mortalité par suicide chez les hommes (14 pour 100 000) était plus de deux fois inférieure à celle des 25-34 ans (30,7), plus de six fois à celle des 75-84 ans (90,7) et plus de dix fois à celle des 85 ans et plus (152,3), les rapports étant du même ordre chez les femmes […] L’importance accordée au suicide des jeunes, en évitant le plus souvent de le comparer à celui des groupes plus âgés, s’appuie sur le constat que le suicide est devenu la deuxième cause de décès chez les jeunes…
32 Ce qui est particulièrement intéressant dans les travaux de Surault, c’est qu’il propose une analyse longitudinale des taux de suicide permettant d’illustrer les effets d’âge et de génération sur les variations des taux. Or, si cette démarche illustre effectivement des variations intergénérationnelles (plutôt minimes), elle confirme surtout que, pour toutes les cohortes, les taux de suicide augmentent avec l’âge.
33 Selon nous, Surault se trompe lorsqu’il avance que :
L’effet d’âge (augmentation de la suicidité) a été plus que compensé par l’effet de période dans les générations nées entre les deux guerres pour lesquelles les taux ont diminué avec l’avance en âge.
34 Si ce constat est vrai, il n’est cependant que partiel puisque pour ces cohortes, l’observation de l’évolution des taux s’arrête respectivement aux âges de 50 et 65 ans. Or, les données statistiques qui suivront viendront infirmer cette tendance puisque les taux remontent dans les grands âges. Contrairement aux travaux de Surault qui pointent une augmentation des taux de suicide entre 1976 et le milieu des années 1980, les travaux d’Andrian (1999) montrent que les taux de suicide les plus élevés connus pour la France sont ceux des hommes de 85 ans et plus pour l’année 1990, soit un taux supérieur à 152 et se poursuivent jusqu’au milieu des années 1990. Ainsi, alors que Surault s’efforce d’expliquer la baisse des taux qu’il nomme « un renversement de tendance intervenu au milieu des années 1980 » (Surault, 1995, 1003), les taux de suicide des personnes âgées, eux, n’ont pas diminué mais se sont amplifiés. Pour ces classes d’âge âgées, la baisse n’interviendra que 10 ans plus tard.
35 Ainsi, en dépit de la qualité de ses données, Surault se focalise sur les variations des taux au fil du temps, ce qui le conduit à élaborer des hypothèses liées aux effets de génération et d’époque, sans proposer d’hypothèse liée à l’âge. Cependant, plus encore que ce type de travaux ayant simplement « ignoré » le phénomène de l’augmentation des taux de suicide avec l’âge, d’autres ont considérablement participé à l’invisibiliser.
Minorer le suicide des personnes âgés par un effet « loupe » sur le suicide des jeunes
36 Dans leur chapitre « le suicide aujourd’hui » de leur ouvrage Durkheim et le suicide (2011), Establet et Baudelot s’appuient sur deux graphiques présentant l’évolution des taux de suicide selon l’âge et le sexe de 1960 à 1982 pour affirmer que :
le suicide est d’autant plus fréquent que l’âge est élevé. Si la hiérarchie demeure inchangée, les écarts entre taux de suicide des différentes classes d’âge ont fortement diminué au cours de ces vingt dernières années ; cet écrasement des écarts est le résultat de deux tendances contraires : une forte augmentation, surtout depuis 1965, du suicide des plus jeunes ; une diminution de celui des plus vieux.
37 Il est regrettable que les auteurs ne soient pas plus explicites sur ce qui leur permet une telle conclusion – et notamment peut-être ce qu’ils entendent par « jeunes » et « vieux » – car la lecture des graphiques sur lesquels ils s’appuient montrent qu’entre le début (1960) et la fin de la période (1982), l’écart des taux de suicide des 15-24 ans et celui des 65-74 ans s’est plutôt maintenu autour d’un écart d’environ 60 points pour les hommes (12/100 000 contre 72/100 000) et s’est accru pour les femmes, passant d’un écart de 25 points environ à 35 points à la fin de la période (5/100 000 contre 40/100 000). Une telle affirmation ne peut se justifier que si leur analyse ne considère que les hommes âgés entre 25 et 44 ans.
38 Sans doute comprend-on mieux leur préoccupation pour le suicide des jeunes à la lecture de leur interprétation du suicide des personnes âgées (Establet, Baudelot, 2011, 109) :
Un adolescent et un sexagénaire ne sacrifient pas la même quantité d’existence. Si donc l’on se tue plus facilement quand on est plus âgé, ce n’est point parce que la vie pèse davantage, mais parce que le sacrifice à faire est plus léger. Cette explication, qui consiste à voir dans le suicide non pas le sacrifice de la vie, mais le sacrifice d’une certaine quantité d’existence, est beaucoup plus simple.
39 Dans la nouvelle édition de leur ouvrage sur Suicide, l’envers de notre monde (2016), les auteurs ne consacrent pas d’analyse au suicide des personnes âgées mais un chapitre entier au suicide des jeunes au motif que (Baudelot, Establet, 2016, 152, 155, 162) :
Parmi toutes les transformations qui ont affecté le régime du suicide depuis deux siècles, la plus spectaculaire concerne l’âge. Le dernier quart du XXe siècle a bouleversé une relation que plus de cent cinquante ans de statistiques mondiales avaient incité à considérer comme une donnée universelle : la croissance régulière des taux de suicide avec l’âge […] Et puis, voilà qu’au cours des années 1970, cette belle institution vieille d’un siècle et demi se dérègle brutalement sous les coups d’un double mouvement : le suicide des jeunes augmente, celui des personnes âgées diminue […] les jeunes sont devenus plus vulnérables et les vieux mieux protégés.
40 Pour défendre leur argument, les auteurs s’appuient tout d’abord sur un graphique présentant l’évolution des taux de suicide selon l’âge aux États-Unis entre 1950 et 1990. Il apparaît effectivement que l’augmentation des taux de suicide avec l’âge est plus prononcée en 1950 qu’en 1990. Les taux pour les 15-44 ans en 1990 sont en effet plus élevés (d’environ 8 points) qu’en 1950. Ils sont ensuite relativement stables avant de remonter à partir de 64 ans mais à un niveau moins élevé (10 points) qu’en 1950. Le choix de ce graphique est cependant assez discutable.
41 En effet, ainsi que l’a montré Andrian (1999), la France et les États-Unis sont difficilement comparables en matière de suicide, en particulier au niveau des personnes âgées puisque pour les 75 ans et plus, la France a, en 1990, un taux presque deux fois supérieur à celui des États-Unis (97,8 contre 50,7). L’autre problème de ce graphique est que les courbes s’arrêtent à la classe d’âge 65+ ; or, comme nous l’avons vu précédemment, les taux de suicide sont particulièrement élevés au-delà de 85 ans. Ainsi, si l’on peut avancer que les jeunes se suicident un peu plus en 1990 qu’en 1950 aux USA, il n’est pas possible d’affirmer avec ce graphique que les plus âgés se suicident moins car, comme nous l’avons vu plus haut, le taux de suicide en France des personnes de 85 ans et plus en 1990 était de 152/100 000, soit le niveau le plus haut de l’histoire. Se baser sur des données américaines et fusionner toutes les classes d’âge au-delà de 65 ans a pour effet d’invisibiliser le suicide des personnes très âgées.
42 L’autre graphique retenu pour défendre leur argument présente les courbes des taux de suicide par âge des années 1980, 2000 et 2014 en France sur un graphique qui, cette fois, s’étend jusqu’au 95 ans et plus. À la différence du graphique précédent, les courbes de suicide des jeunes et des âgés ne se croisent pas, ce qui montre que la baisse des taux de suicide s’est réalisée pour tous les âges. Il n’y a d’ailleurs aucune différence de taux entre 1980 et 2000 pour les 85-94 ans. Enfin, si les courbes de 2000 et 2014 présentent une inflexion au très grand âge (au-delà de 90 ans), celle-ci n’a rien d’un effet d’époque puisque, comme nous l’avons vu, Durkheim l’avait déjà constaté.
43 Enfin, les données de l’Observatoire national du suicide indiquent que le taux de suicide des personnes de 95 ans et plus en 2011 était de 58,1 et qu’il a atteint 69,9 en 2012 tandis que ceux des 15-24 ans et 25-34 ans sont, sur cette période, respectivement passés de 6,4 et 12,3 à 6,1 et 11,2. En s’appuyant sur ces chiffres, nous arrivons à la conclusion exactement inverse de celle des auteurs : alors que le suicide des jeunes baisse, celui des âgés continue de progresser dans les grands âges ou, du moins, se maintient à des taux sans commune mesure avec celui des jeunes.
44 Comment expliquer que l’analyse des auteurs soit aussi divergente des chiffres de l’Observatoire national du suicide ? Sans doute, la volonté des auteurs de trouver des causes conjoncturelles (économiques et sociales) conformément à la thèse de Chauvel (1997) d’une inégalité de destin entre les cohortes les a-t-elle conduits à porter la focale sur l’augmentation du suicide des jeunes et à ignorer que le suicide des personnes âgées demeure en moyenne 6 fois supérieur à celui des jeunes comme c’était déjà le cas au temps de Durkheim.
45 Afin de donner une illustration récente de l’ampleur statistique du suicide des plus âgés et, particulièrement, de celui des hommes très âgés, nous avons regroupé des données extraites des cinq derniers rapports de l’Observatoire national du suicide qui s’appuient sur les données du CepiDc de l’INSERM (tableau 1).
Taux de suicides des hommes âgés de plus de 75 ans en France entre 2011 et 2017 comparés aux taux de suicide moyen et taux des hommes de tous âges
2011 | 2012 | 2014 | 2016 | 2017 | |
---|---|---|---|---|---|
Taux de suicide moyen | 17,9 | 16,6 | 14,9 | 14,0 | 13,4 |
Taux hommes tous âges | 27,7 | 25,9 | 35,4 | 22 | 20,7 |
Taux 75+ tous âges | 46,6 | 39,8 | 35,4 | 33,3 | 30,1 |
Taux hommes 75+ | 68,7 | 67,0 | 59,4 | 55,7 | 49,5 |
Taux hommes 85-94 | 102,7 | 97,9 | 83,8 | 82,2 | 77,7 |
Taux hommes 95+ | 103,7 | 122,0 | 72,7 | 120,1 | 90,1 |
Taux de suicides des hommes âgés de plus de 75 ans en France entre 2011 et 2017 comparés aux taux de suicide moyen et taux des hommes de tous âges
46 S’il apparaît que, sur cette courte période, les taux de suicide s’inscrivent pour tous les âges dans une tendance à la baisse, il demeure que les taux de suicide des hommes aux grands âges sont en moyenne 6 fois supérieurs aux taux de suicide moyen en France. En cela, la tendance de l’augmentation des taux de suicide avec l’âge et du « sursuicide » des vieillards constatés par Durkheim n’est pas démentie.
47 Dès lors, comment expliquer que les différents auteurs aient tour à tour ignoré, minoré voire invisibilisé ce phénomène ? Plusieurs hypothèses semblent pouvoir être formulées. La première est relative à la difficile intégration de l’âge avec le modèle théorique développé. C’est le cas dans le modèle durkheimien qui ne considère pas l’âge (et le genre) comme des situations sociales mais simplement comme des variables secondaires. La seconde relève de la vocation même de la recherche. Pour des chercheurs comme Baudelot et Establet, il ne s’agit pas de comprendre le suicide mais de mobiliser le suicide comme un révélateur de phénomènes sociaux. Il en découle une troisième hypothèse qui est d’ordre idéologique. Dans le cadre d’une démonstration tendant à dénoncer une situation sociale inique, le suicide constitue une forme d’argument quasi irréfragable. Ce faisant, le risque de le mobiliser dans le sens qui sert la démonstration n’est pas négligeable. Lorsqu’il s’agit de dénoncer le chômage et la précarité de la jeunesse ou encore des conditions de travail dégradées, le suicide des plus âgés n’apporte rien à la démonstration et pourrait même la desservir.
Quelles interprétations du suicide des personnes âgées pour la sociologie compréhensive ?
48 À la différence des travaux précédemment étudiés, certaines démarches sociologiques ont clairement pris le suicide pour objet en s’appuyant sur une démarche compréhensive. Nous entendons par là une sociologie qui considère le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et représentations. Ce faisant, ces travaux font, pour partie, écho à la suicidologie (Aujard, 2007), espace d’expertise au service du soin et de la prévention du suicide dominé par des paradigmes relevant de la psychologie.
Baechler et la recherche du sens du suicide
49 Dans la préface de son ouvrage, Baechler (1975) inscrit de manière explicite sa thèse dans le champ de la suicidologie en défendant qu’il est possible, jusqu’à un certain point, de comprendre et d’expliquer les suicides et les tentatives de suicide. Opposé à la démarche durkheimienne, Baechler ne recherche pas les causes de suicide mais le sens (la fin poursuivie) de celui-ci à partir de la question : « qui cherche quelle solution à quel problème existentiel en se tuant ou en tentant de le faire ? » (Baechler, 1975, 2). Pour Baechler, l’âge en tant que tel n’a pas de rapport avec le suicide, raison pour laquelle il préconise de considérer la sénilité. Pour l’essentiel, il rattache le suicide des personnes vieillissantes à sa typologie du suicide escapiste qui recouvre trois sous-types : la fuite, le deuil et le châtiment. Ainsi, il évoque la mélancolie liée à l’avancée en âge mais aussi la « dépression du vieillard liée à la sénescence elle-même » tout en précisant que le « gâtisme est une protection puissante, car le suicide est un acte positif et humain » (Baechler, 1975, 384-385). Il rattache surtout le sens du suicide des plus âgés à deux dimensions : les conséquences de la sénescence et les transformations des liens sociaux liés à l’avancée en âge. Il évoque la survenue de « maladies douloureuses et/ou incurables » auxquelles le sujet cherche à échapper via un suicide-deuil en évoquant le fait qu’il « arrive même qu’on se suicide en prévision de ces atteintes, avant qu’elles ne se fassent sentir ». Dans un registre plus social, il évoque « la raréfaction progressive des relations avec autrui », « l’isolement », « le renforcement névrotique du lien conjugal », « la mise en retraite », « la misère matérielle » et affirme que « la maladie, la dépression du vieillard… sont universelles ».
50 Si les travaux de Baechler à propos du suicide des personnes âgées souffrent, selon nous a minima, d’une absence d’empirie problématique, et ce d’autant plus qu’il ne rattache directement aucune étude de cas à cette partie de l’analyse, il convient néanmoins de souligner que les hypothèses qu’il formule sur les raisons du suicide des personnes âgées se retrouvent dans de nombreux travaux ultérieurs et ce, sans doute plus fréquemment dans les recherches en psychologie qu’en sociologie. Bien qu’il ne soit cité qu’à titre exceptionnel, sa typologie a certainement influencé plus ou moins directement nombre de travaux ultérieurs qui se sont appuyés sur l’analyse du discours de proches.
Le travail pionnier de Josiane Andrian et le paradoxe de l’âge
51 À notre connaissance, les premiers travaux de sociologie à s’être intéressés aux suicides des personnes âgées en France sont ceux de Andrian (1988, 1991, 1999). Son principal apport a été, en s’appuyant sur la description statistique du suicide des personnes âgées, de le mettre en question plutôt que de le considérer comme une évidence ne souffrant pas d’interprétation.
52 Ainsi, à partir de plusieurs tableaux présentant les taux de suicide par sexe et âge, l’auteure montre clairement que « le suicide devient de plus en plus fréquent au fur et à mesure de l’avancée en âge et touche davantage les hommes que les femmes » (Andrian, 1999, 55) et que les taux s’avèrent particulièrement élevés pour les hommes de plus de 85 ans, soit 134,7/100 000 contre 28,3 pour les hommes de tous âges confondus en 1997. Elle corrige à ce titre l’analyse de Baudelot et Establet, en signalant que c’est la tranche d’âge pour laquelle la baisse des suicides est la moins importante à cette époque. Elle souligne également pourquoi se focaliser sur les causes de décès conduit à invisibiliser le suicide des plus âgés. En effet, chez les personnes de 85 ans et plus, le suicide n’est que la vingt-huitième cause de décès alors qu’elle figure parmi les premières chez les jeunes.
53 Les pistes d’interprétation qu’elle développe sont assez sommaires car non articulées à des données de recherches précises mais ont le mérite d’exister. Certaines d’entre elles constituent d’ailleurs des hypothèses de travail qui sont toujours en vigueur aujourd’hui. Ainsi, elle s’efforce de faire correspondre les événements du parcours de vie dans l’âge avancé avec l’augmentation des taux par tranche d’âge tels que la retraite pour les 65-74 ans, la période transitoire pour les 75-84 ans et l’âge de la vieillesse dépendante, fragile et vulnérable au-delà de 85 ans (Andrian, 1999, 55). Selon elle, si l’on constate moins de suicides chez les seniors d’aujourd’hui que chez ceux d’hier, c’est parce que ces personnes appartiennent à une génération de retraités plus active et en meilleure santé que les précédentes et qu’ils ont également davantage de revenus et de patrimoine. Elle évoque également le fait que les progrès de l’espérance de vie pourraient conduire à une dévalorisation de la vieillesse, davantage perçue comme une charge pour la société et les proches. Parmi la liste de ce qu’elle considère comme des facteurs suicidogènes, elle évoque l’abandon, l’isolement et le sentiment d’inutilité ainsi que ce qu’elle nomme des « facteurs physiques et psychologiques » : diminution auditives, visuelles, maladies invalidantes, perte d’autonomie fonctionnelle et d’intégrité corporelle, douleur physique…
54 Enfin, l’un des points essentiels soulevé par Andrian est celui du rapport entre taux de suicide et suicide accompli et le double paradoxe qui traverse ce rapport. Elle écrit :
Le rapport des tentatives aux suicides accompli est élevé chez les jeunes filles, 115 vers 20 ans, il devient inférieur à 20 en dessous de 50 ans. Chez les hommes, ce rapport est égal à 20 avant 20 ans et s’abaisse à 4 vers 50 ans. À 85 ans ou plus, on compte 6 tentatives pour un suicide accompli chez les femmes, 2 tentatives chez les hommes.
55 Andrian propose quelques hypothèses, toujours d’actualité pour la suicidologie, pour expliquer que les tentatives de suicide sont plus nombreuses chez les jeunes alors que les suicides accomplis le sont davantage pour les personnes âgées. Selon elle, le suicide des vieillards serait davantage prémédité, mieux préparé et réalisé par des moyens plus efficaces. L’isolement réduirait également les chances de secours.
56 Pour défendre son propos, elle s’appuie sur les différences de mode de suicide en fonction de l’âge. Elle montre ainsi que la pendaison est le mode le plus utilisé pour les deux sexes au-delà de 65 ans (43 %) et que l’usage des médicaments se réduit au fil de l’âge tandis que la pendaison et l’usage d’armes à feu progressent.
Le suicide des personnes âgées éclairé par la sociologie du vieillissement
57 Si les travaux d’Andrian ont permis de rendre visible la problématique du suicide des plus âgés, Campéon (2012) s’est efforcé de proposer des hypothèses à partir d’une démarche qualitative. Les entretiens qu’il a conduits l’ont été avec des personnes âgées de plus de 75 ans rencontrées dans le cadre de sa thèse de doctorat consacrée à la solitude au grand âge. Il est à noter qu’une partie de ces informateurs étaient engagés dans une association pour le droit à mourir dans la dignité. Ce qui a été collecté relève donc de projections sur l’éventualité d’un suicide et des justifications de cet acte potentiel. Campéon a analysé ces discours via des concepts et des notions développés dans le champ de la sociologie du vieillissement, tel que la déprise (Barthe et al., 1988), la précarité de la vieillesse (Clément, 2007), l’étrangeté au monde (Caradec, 2007) ou l’épreuve du grand âge (Caradec, 2007). Dans les entretiens collectés, ses informateurs se projettent sur la grande vieillesse et la fin de la vie et évoquent le risque de solitude, la perte de sens de l’existence, la maladie, la mort « par morceaux », médicalisée… En s’appuyant sur la typologie de Péclier (1986), psychiatre et psychologue, Campéon (2012) développe trois catégories de suicide : le suicide « par anticipation », par « étrangeté au monde » et le suicide « deuil ». Si, pour la première, il s’agirait de se suicider pour éviter le mal vieillir (maladie, perte d’autonomie, solitude…), la seconde renvoie à l’idée de mourir parce que l’on ne trouve plus sens à la société et à l’époque dans laquelle on vit. Enfin, le suicide deuil renvoie à l’impossibilité de continuer à faire face aux différentes pertes (conjoint, autrui significatif, santé…). Campéon évoque enfin l’hypothèse du suicide comme « déprise ultime » [4]. L’ultime déprise consisterait alors en une forme de suicide passif, processus par lequel les personnes âgées se laisseraient mourir faute de pouvoir continuer à vivre.
58 Le contexte de l’enquête – des personnes âgées qui envisagent le suicide – participe certainement du matériau recueilli et de l’analyse proposée dont il est difficile de ne pas trouver des formes de convergence avec le suicide escapiste développé par Baechler (1975). Les personnes âgées qui s’expriment ici sur leur suicide potentiel semblent l’envisager comme une échappatoire au mal vieillir et à la condition de vieillard. Si le terme « escapiste » n’est pas employé, le « suicide deuil » de Péclier (1986) n’est pas sans résonner avec celui de Baechler (1975). Par ailleurs, on retrouve l’idée de « suicide fuite » dans les propos des informateurs mobilisés, c’est-à-dire d’attenter à sa vie pour échapper à une situation insupportable.
59 Les travaux sociologiques engagés dans une visée compréhensive du suicide se sont confrontés aux limites de la méthode qualitative qui consiste souvent en la réalisation d’entretiens avec les personnes concernées par le phénomène étudié. Ne pouvant conduire des entretiens avec les suicidés, ces auteurs ont, soit conduit des entretiens avec des personnes envisageant leur suicide, soit tenté de trouver des corrélations entre les taux de suicide et des conditions d’existence propres aux personnes âgées, qu’il s’agisse d’évènements du parcours de vie (retraite, veuvage…) ou de conditions sociales (isolement, solitude…) et physiologiques (incapacités…). En fonction des auteurs, certaines analyses trouvent des points de convergence avec une suicidologie influencée par des paradigmes issus de la psychologie.
60 S’il n’est pas possible ici de rendre compte de la littérature en psychologie du suicide qui s’avère foisonnante et très disparate, on peut considérer, de manière très schématique, trois grands paradigmes. Un premier qui porte la focale sur les facteurs de risques médicopsychologiques et accorde une grande place à la dépression (CNBD, 2013), un autre qui s’inscrit dans un cadre neurocognitif (Richard-Devantoy, Jollant, 2012) et cible des facteurs biologiques et génétiques et une perspective psychanalytique attachée aux traumatismes du parcours de vie (Charazac, 2013).
Des convergences interprétatives et leurs limites pour penser le suicide des âgés
61 Constituant par nature un objet qui met au défi les méthodes de la recherche, le suicide a été au cœur de nombreuses controverses scientifiques sur les moyens de l’investiguer et de l’interpréter. Des méthodes spécifiques ont été développées tandis que sur le plan théorique, et alors que Durkheim récusait les explications psychologisantes, des convergences entre les approches psychologiques et sociologiques se sont établies.
De l’influence de la méthode d’enquête sur les interprétations possibles
62 Deux méthodes sont employées pour collecter un matériau susceptible de produire des interprétations possibles : la démarche d’autopsie et l’enquête auprès des suicidants.
L’autopsie : enquêter a posteriori
63 En matière de suicide, employer le terme d’autopsie conduit inévitablement à évoquer la méthode d’autopsie psychologique développée par les fondateurs de la suicidologie (Scheindman, Farberow, 1956 ; Scheindman, 1981). S’il existe plusieurs définitions de cette méthode à laquelle le terme « psychologique » n’est pas toujours rattaché, la plupart des travaux (Badoc et al., 2008 ; Boyer et al., 2005) s’accordent à dire qu’il s’agit de différentes démarches visant à recueillir des informations sur les circonstances ayant précédé le décès et, plus particulièrement, les dimensions psychologiques dans lesquelles se trouvait le suicidé. Pour ce faire, les tenants de cette démarche peuvent s’appuyer sur le recueil de documents, notamment médicaux (ordonnances, dossiers de patients, etc.) et, éventuellement, de lettres laissées par les suicidés, mais il s’agit surtout de conduire des entretiens avec des personnes de l’entourage proche ou professionnel (médecin généraliste, médecin certificateur, etc.). Ces « enquêtes », généralement menées par des psychologues ou des psychiatres, aboutissent souvent à des résultats assez similaires, qui mettent en avant des psychiatric disorders et, en particulier, la dépression (Hawton et al., 1998). Depuis plusieurs années, de nombreuses critiques (Hawton et al., 1998 ; Hjelmeland et al., 2012) ont été formulées vis-à-vis de cette méthode, notamment qu’il était impossible d’établir un diagnostic de trouble mental à quelqu’un en interrogeant quelqu’un d’autre [5]. Nous partageons pleinement ces critiques, en particulier quand cela concerne des personnes âgées. En effet, la littérature médicale s’accorde sur le fait que poser un diagnostic de dépression chez le sujet âgé est un véritable défi (Sibille et al., 2019), et ce d’autant plus lorsque ces personnes sont susceptibles d’être atteintes de maladies dégénératives (Gasser et al., 2018).
64 Inspiré de cette démarche visant à reconstruire les éléments du parcours de vie des personnes suicidées pour expliquer leur suicide, Fincham et al. (2011) proposent quant à eux une autopsie sociologique (sociological autopsy). Ces chercheurs ont mis en œuvre leur méthode pour tenter d’expliquer le suicide des hommes à partir des données recueillies dans 100 dossiers de coroners (Scourfield et al., 2012). De manière assez attendue, ils en déduisent non pas des éléments explicatifs d’ordre psychologique mais des facteurs sociaux tels que l’isolement, les problèmes financiers, ou davantage encore les problèmes familiaux (avec le conjoint ou ex-conjoint et les enfants) comme principales causes du décès d’hommes d’âge moyen.
65 La mise en perspective de ces deux types d’autopsie tend à souligner le poids de l’ancrage disciplinaire et épistémologique dans les interprétations proposées. En effet, c’est assez logiquement que les approches psychologisantes portent la focale sur les troubles mentaux tandis que la sociologie se focalise sur des épreuves du parcours de vie.
66 L’autre type de démarche possible consiste en la conduite d’entretiens à visée compréhensive avec des proches de personnes âgées suicidées.
67 Sur ce point, les travaux de Deffontaines (2019) sur le suicide des agriculteurs s’avèrent précieux pour au moins deux raisons. La première est que son travail s’efforce, à la suite d’Halbwachs (1930), de dépasser l’opposition stérile entre une approche quantitative portant sur les causes et une approche qualitative (par entretiens) portant sur les motifs. La seconde est qu’il soulève la question du bon informateur ou, dit autrement, auprès de quels proches enquêter. L’auteur défend qu’enquêter les « proches » (enfants, conjoint) du suicidé est peu heuristique car l’enquêteur se heurte à la sidération, à la culpabilité et/ou à la volonté de dire des choses justes, c’est-à-dire les raisons expliquant l’acte. En s’adressant à des personnes plus distantes au plan affectif, des « proches éloignés » (collègues, voisins), il serait davantage possible de saisir des « configurations sociales suicidogènes » (Deffontaines, 2019, 101).
68 L’autre option possible pour tenter de neutraliser les affects – sans pour autant pouvoir neutraliser complètement la volonté de compréhension des informateurs – serait d’enquêter à distance de l’évènement et de croiser les discours de proches. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire (Balard, 2021) en enquêtant auprès des descendants de suicidés. Outre l’effet récit (Bertaux, 2016) conduisant inévitablement à un propos « filtré » et « lissé » par les oublis et les réinterprétations qui était attendu, la difficulté fut de trouver des conjoints et des enfants. La plupart de nos informateurs furent ainsi des petits-enfants, voire des neveux ou nièces dont la parole semblait facilitée parce que ces personnes étaient moins engagées dans le care. Nous ne développerons pas ici l’analyse de ces entretiens mais il faut préciser que les récits collectés pour un même suicide comportaient invariablement des motifs – alors même que nos guides d’entretiens visaient à cerner des contextes et des parcours de vie – et que ces motifs et éclairages sur le contexte différaient, parfois de manière très nette, en fonction du locuteur.
Enquêter auprès des suicidants et des suicidaires
69 Enfin, la dernière option méthodologique possible qui ne relève pas de l’autopsie mais qui est néanmoins fortement mobilisée par la suicidologie, est l’enquête auprès des suicidants (personnes ayant déjà réalisé une ou plusieurs tentatives de suicide [6]) ou de suicidaires (personnes ayant des « comportements autodestructeurs »). Cette démarche repose sur une hypothèse qui, à notre connaissance, est assez peu discutée par la littérature : que les (raisons des) suicidants et suicidaires soient comparables aux suicidés. La comparabilité repose principalement sur deux arguments. Le premier est que les tentatives de suicide seraient, statistiquement, un fort prédicteur de suicide et le second, que les mécanismes qui conduisent aux tentatives de suicide sont les mêmes que ceux qui conduisent au suicide. C’est dans cette optique que les travaux de Charazac-Brunel (2014, 69, 70) assimilent ce qu’elle nomme « différentes formes de suicide », soit le suicide actif des personnes âgées et le « suicide passif » se déclinant en « l’arrêt du traitement », « la négligence grave dans l’hygiène de vie », « le syndrome de Münchhausen », « le syndrome de glissement », « les conduites à risque ou équivalents suicidaires », « le suicide assisté et l’euthanasie ». Selon les auteurs qui défendent cette approche, il y aurait, derrière ces actes de nature différente, des mécanismes (psychiques) similaires. Pour la suicidologie, l’un de ces mécanismes n’est autre que la dépression. Dans le cas des personnes âgées, cette assimilation se heurte au paradoxe de l’âge. Alors que les taux de suicide augmentent avec l’âge, les tentatives de suicide et les épisodes dépressifs caractérisés diminuent (Léon et al., 2022).
Articuler les causes sociales et la souffrance psychique
70 Halbwachs (1930) n’évacuait pas les motifs de suicide et intégrait au contraire la dimension psychique, voire psychopathologique, dans son analyse du suicide. Notons à ce titre, ainsi que l’ont montré Mucchielli et Renneville (1998, 12), que les aliénistes contemporains de Durkheim voyaient déjà dans la folie « la conséquence médiante de causes organiques et/ou morales, voire sociales » et non une cause unilatérale du suicide. Selon Halbwachs (1930, 449) :
En réalité le suicide, tout suicide, peut être envisagé de deux points de vue. Suivant que l’on se place à l’un ou à l’autre, on y verra l’effet d’un trouble nerveux, qui relève de causes organiques, ou d’une rupture de l’équilibre collectif, qui résulte de causes sociales.
71 Pour lui, il s’agit d’une seule et même explication, « des faits ou des circonstances, des sentiments ou des pensées qui isolent l’homme de la société » (Halbwachs, 1930, 419).
72 Bien qu’il ait pu connaître différentes déclinaisons, le paradigme d’Halbwachs demeure sans doute aujourd’hui celui qui agrège la majorité des approches sociologiques contemporaines du suicide.
73 Florence Weber (2018) va plus loin dans la réflexion sur l’articulation entre sciences sociales et psychologie. En rapprochant la pensée de Durkheim et celle de Mauss, elle souligne le double lien entre société et individu, la société dans l’individu et la société extérieure à l’individu (Weber, 2018, 179) :
la société est présente deux fois dans le comportement des individus : comme autocontrainte, intériorisation plus ou moins forte des obligations morales, jusqu’au relâchement des contraintes que Durkheim a décrit comme anomie ; comme contrainte morphologique extérieure, « matérialisation » du fait social.
74 À partir des recherches portant sur les « troubles psychiques invalidants [7] », elle propose de rapprocher les suicides avec les taux de décès liés à des troubles mentaux et du comportement pour calculer ce qu’elle nomme un taux de « déviance individuelle conduisant au décès ». Elle postule ainsi l’existence d’un « nouveau régime de société […] caractérisé par une mosaïque de populations qui coexistent sans se connaître, voire qui s’évitent, et qui sont caractérisées par de très grandes variations des troubles psychiques ainsi redéfinis ». Si l’auteure souligne qu’elle s’inscrit dans « un courant de recherches en psychiatrie qui s’interroge sur la pertinence médicale des diagnostics disponibles », elle ne va pas jusqu’à remettre en question la relation entre le suicide et troubles psychiques.
75 Il en va de même pour les travaux de Cousteaux et Pan Ké Shon (2008) dans leur analyse des liens entre genre et mal-être. Dans leur appréhension du mal-être, ils rattachent ce dernier aux « souffrances individuelles » et rapprochent ainsi « suicide, risque suicidaire, dépendance alcoolique, dépression, sentiment de solitude, boulimie, anorexie, diverses maladies mentales » au motif que le mal-être serait « une variable discrète dont les modalités sont parfois poreuses (suicide et dépression, sentiment de solitude et dépression) … ».
76 Considérant ces approches, il ne pourrait donc y avoir de formes de mal-être sans que celui-ci ne s’inscrive dans une forme de trouble psychique. Or, il apparaît que face à la fragilité d’une partie de la nosographie psychiatrique telle qu’illustrée par le DSM (Demazeux, 2013), les « troubles psychiques » semblent être devenus le melting pot psychiatrique de tout ce qui ne peut être étiqueté comme pathologique… mais qu’il s’agit néanmoins de soigner ou de corriger.
77 Dans le cas du suicide des personnes âgées, lorsque la dépression ne peut être diagnostiquée, il est fréquemment question de « troubles psychiques » voire d’« état psychologique transversal » pour qualifier la « démoralisation » et le « désespoir » des plus âgés (Chastang et al., 2021, 133). Dans cette perspective, la tentation qui consiste à assimiler des éléments potentiellement distincts est patente. Le sentiment d’avoir accompli sa vie, « la fatigue de vivre », deviennent alors l’équivalent du mal-être, des souffrances psychiques, des troubles psychiques, voire de la dépression, et ce alors même que des travaux s’efforcent de distinguer le mal-être et les troubles psychiques (Chevance, Gaillard, 2018).
Des suicides sans trouble psychique ? L’hypothèse du suicide rationnel des personnes âgées
78 Dans la littérature, les suicides liés au travail et le suicide des jeunes constituent la base empirique de la grande majorité des modèles interprétatifs du suicide. Dès lors, il apparaît entendu que le suicide est la résultante d’une situation générant un mal-être, plus ou moins pathologique. L’American Association of Suicidology tient d’ailleurs à ce que le terme suicide ne soit pas appliqué aux aides actives (médicales) à mourir que sont l’euthanasie et le suicide assisté. Pour cette instance de prévention du suicide, il importe d’instaurer une frontière claire entre le suicide qu’il faut empêcher et l’assistance au mourir de personnes en fin de vie.
79 Le suicide des personnes âgées vient bousculer ces « évidences ». Paulette Guinchard, ex-députée française et secrétaire d’État aux personnes âgées, qui était atteinte du « syndrome cérébelleux » a choisi de mourir par suicide assisté en Suisse le mars 2021. Sans doute en raison de la position sociale et des capitaux associés à son statut, les commentaires parus dans la presse à la suite de son acte n’ont jamais mis l’accent sur un possible trouble psychique mais davantage sur l’absence de perspective thérapeutique et sur son engagement militant en faveur des aides actives à mourir. En quoi ce suicide assisté diffèret-il des suicides que nous avons évoqués précédemment si ce n’est au niveau du contexte sociopolitique (Balard et al., 2020) dans lesquels ils se sont déroulés ?
80 Certains travaux (notamment Balasubramaniam, 2018) soulignent qu’avec l’accroissement du nombre de personnes très âgées, « les gériatres rencontrent de plus en plus de patients exprimant des désirs suicidaires en l’absence de maladie mentale manifeste » [8]. Ces constats ouvrent la voie à la perspective d’un suicide rationnel au grand âge (McCue, Balasubramaniam, 2016 ; Richard, 2017) qui conduit à penser ensemble suicide et suicide assisté tel qu’il se pratique notamment en Suisse. L’hypothèse d’un suicide rationnel au grand âge repose sur l’idée que les personnes très âgées auraient plus de raisons « objectives » de se suicider que les plus jeunes. Elles seraient par exemple davantage touchées par les maladies invalidantes, les restrictions d’activité, la réduction des liens sociaux et seraient par conséquent plus sujettes à différentes formes de souffrances physiques et morales. Si cette hypothèse, très centrée sur le rapport au corps, pourrait être mobilisée pour expliquer la constante historique du sursuicide des personnes âgées, elle pourrait néanmoins trouver des déclinaisons contextuelles relatives au contenu des âges de la vie. En effet, dans des sociétés modernes prônant l’autonomie (dans ces différentes acceptions), les personnes très âgées cumuleraient ainsi de multiples raisons de vouloir mourir.
81 Ces discussions sont traversées depuis quelques années par l’hypothèse selon laquelle certaines personnes très âgées pourraient décider de mourir – ou tout du moins demander à mourir – en dehors de toutes maladies invalidantes et souffrance morale mais en raison d’un « désir de mort lié à l’âge » [9]. Dans cette acception, le suicide serait moins la résultante d’une forme de mal-être que celle d’un désir de hâter la mort à un âge de la vie auquel l’existence serait dénuée de sens et de qualité. Cette hypothèse rejoint de manière assez claire un argument ancien des militants au « droit à mourir » (Pohier, 1991) selon lequel l’allongement de la vie humaine et, en corollaire, du temps de la fin de la vie (la grabatisation) serait le fruit de l’industrie humaine et qu’il reviendrait à la société le devoir, non pas seulement d’accompagner les fins de vie, mais aussi, lorsque la personne le demande, de les mettre en œuvre.
82 Depuis 2015, ces discussions ont resurgi aux Pays-Bas puis en Belgique – pays dans lesquels l’euthanasie est légale – lorsque les partis libéraux ont proposé que l’accès à l’euthanasie puisse s’ouvrir également aux motifs de « sentiment de vie accomplie » [10] et de « fatigue de vivre ». La position de l’Institut européen de bioéthique (IEB) sur cette question est assez éclairante sur le fait qu’il paraît difficile de ne pas considérer une demande de mort comme le fruit d’un trouble psychique. En effet, l’IEB rattache les motifs précités à :
L’anhédonie est le terme scientifique pour désigner une forme de souffrance psychique endurée par une personne qui, pour des raisons médicales ou autres, n’éprouve plus de plaisir à vivre et qui, par conséquent, préférerait voir sa vie terminée.
83 Or, si l’IEB fait référence aux travaux menés auprès de personnes âgées exprimant le sentiment d’une vie complète menés par Els van Wijngaarden et al. (2015), il apparaît que la recherche menée n’est pas aussi catégorique sur la dimension pathologique de ces « sentiments ». L’enquête par entretiens menée auprès de 25 informateurs souligne simplement une association intrigante [11] entre souhait de mort et dépression. Sur le fond, cette recherche constitue davantage une contribution venant alimenter les travaux relatifs aux différentes dimensions du vécu de la vieillesse (Balard, 2011), tel que le sentiment d’inutilité ou la fatigue.
84 Si le cas du suicide assisté de Paulette Guinchard correspondait aux critères d’accès à cette aide active à mourir, il en est deux autres qui posent davantage question. Le premier est celui de David Goodall, scientifique australien décédé le 10 mai 2018 à l’âge de 104 ans. Débouté de sa demande d’euthanasie dans son pays qui ne disposait pas d’aide active à mourir à cette époque, Goodall a d’abord fait une tentative de suicide manqué à l’âge de 103 ans, avant de se rendre en Suisse, accompagné par sa famille. Le cinéaste Jean-Luc Godard a fait de même le 13 septembre 2022 à l’âge de 91 ans. La militance de Goodall en faveur des aides médicales à mourir ainsi que son âge ont probablement contribué à normaliser sa demande de mort et son suicide. Il n’en fut pas de même pour Jean-Luc Godard. En effet, alors que certains de ses proches avaient expliqué dans la presse le 13 septembre qu’il n’était pas malade mais simplement épuisé, moins de 10 jours plus tard, une contre-déclaration du coprésident d’Exit – l’association qui l’a accompagné dans son suicide – indiquait qu’il souffrait de « polypathologie invalidante liée à l’âge ».
Conclusion
85 Comment interpréter le suicide des personnes très âgées ? Une telle question soulève plusieurs registres de questionnement, à commencer par savoir si les paradigmes interprétatifs développés par les chercheurs depuis près d’un siècle et demi peuvent s’appliquer à cet objet alors même que ces chercheurs ont, pour la plupart, ignoré ces suicides. Se pose ensuite la problématique de l’âge et, plus particulièrement, celle du grand âge. Alors même que le constat d’un « sursuicide » aux grands âges est une constante statistique historique, doit-on prendre en compte le contenu social des âges de la vie pour comprendre les suicides des personnes âgées, sachant que ce qu’être très âgé aujourd’hui n’a probablement pas le même sens qu’hier ?
86 Pour la majeure partie de la sociologie française du suicide, l’intégration sociale, et ce même si cette notion peut connaître différentes déclinaisons, demeure le paradigme central pour interpréter les suicides. Les suicidés seraient des personnes souffrant d’un déficit d’intégration qui ne parviennent plus à tenir le rôle social à partir duquel elles se définissaient ou étaient définies par leur entourage. Un tel paradigme peut tout à fait être déployé pour interpréter le suicide des personnes âgées. En effet, cela permet de penser les deux manières dont la société interagit avec l’individu. D’une part, elle produit un cadre normatif voire injonctif qui impose un rôle social aux vieillards et, d’autre part, elle pénètre l’individu à travers de multiples dimensions agissant sur son corps, ses manières d’être et de faire. Ainsi, on perçoit ce que peut être une configuration suicidogène au grand âge. Lorsque les injonctions normatives au bien vieillir et à l’autonomie se heurtent à l’usure du corps, au sentiment de solitude, d’inutilité sociale, l’individu peut se trouver confronté à une perte de sens. À cela s’ajoutent l’hétérogénéité des parcours de vie et le cumul des inégalités tout au long de l’existence pour produire des formes de mal-être au grand âge. Par ailleurs, on pourrait formuler l’hypothèse suivante : lorsque l’injonction au bien vieillir s’articule à une projection vers un grand âge repoussoir, le suicide deviendrait alors une perspective envisageable. Le suicide de Jacqueline Jeancquel en constituerait une bonne illustration. En effet, cette militante pour le suicide assisté, présidente de l’ADMD de 2014 à 2017, prônant « une interruption volontaire de vieillesse », a mis fin à ses jours le 22 mars 2022 à l’âge de 78 ans alors qu’elle n’était atteinte d’aucune pathologie invalidante.
87 Des questions demeurent. Peut-on concevoir qu’une personne se suicide alors même qu’elle ne souffre pas de trouble, que celui-ci soit physique, psychique ou social ? Le mal-être doit-il nécessairement être rapproché de la notion de trouble psychique, récurrente pour la suicidologie ? Pour Halbwachs (1930), il n’y pas lieu de distinguer fondamentalement ce qui relèverait du trouble pathologique de ce qui ne serait qu’une souffrance sociale. Nous défendons l’idée qu’au grand âge, cette distinction mérite d’être finement regardée en lien avec l’hypothèse du suicide rationnel, c’est-à-dire d’un suicide qui ne relève pas d’un trouble ni même peut-être d’une forme de mal-être mais, simplement, du sentiment d’avoir fini sa vie et de ne pas souhaiter la poursuivre. Si, sans doute, des personnes plus jeunes peuvent également exprimer une demande de mort en dehors de toute pathologie mentale, il nous semble qu’elle ne prend pas le même sens pour les personnes âgées de plus de 95 ans, âge auquel les taux de suicide sont les plus élevés. Interpréter le suicide des personnes très âgées ne peut se faire sans porter l’analyse sur le contenu d’un âge de la vie qui a, jusqu’ici, été peu investigué et que de plus en plus d’individus sont amenés à connaître. À l’heure où se discute un texte de loi qui pourrait ouvrir l’accès aux aides médicales à mourir en France, on comprend aisément que l’hypothèse d’un suicide rationnel au grand âge ne soit pas simplement difficile à considérer au plan scientifique mais qu’elle l’est davantage encore au plan éthique et politique.
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Mots-clés éditeurs : SOCIOLOGIE, SUICIDE, PERSONNES ÂGÉES, INTERPRÉTATION, MAL-ÊTRE
Date de mise en ligne : 15/05/2024.
https://doi.org/10.3917/ds.481.0113Notes
-
[1]
Le chiffre est exprimé pour un million de sujets âgés de plus de 80 ans.
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[2]
Traduction de « death hastening behavior ». Cette expression désigne les formes d’abandon, de négligence et de meurtre qui ont été pratiquées dans certaines sociétés traditionnelles.
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[3]
Par convention, les taux de suicide sont mentionnés pour 100 000 personnes.
-
[4]
Dans une tout autre perspective, Toupet (2021) qualifie d’« ultime reprise » les intentions suicidaires portées par les personnes âgées qui militent pour une mort choisie. Selon l’auteure, il s’agirait des dernières « prises » que ces personnes âgées ont sur une existence marquée par des pertes d’autonomie fonctionnelle, décisionnelles et civiles.
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[5]
Traduction personnelle de : « It is simply impossible to assign a reliable diagnosis of mental disorder to some-one by interviewing someone else. » (Hjelmeland et al., 2012, 623)
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[6]
Baechler (1975, 126) écrivait à ce propos que « les rescapés, lorsqu’ils sont interrogés sur le sens de leur geste, sont généralement incapable de l’exprimer, ou le font en des termes si pauvres qu’ils deviennent inutilisables ».
-
[7]
Weber (2018) précise : « J’utilise ici le terme de “troubles psychiques invalidants” plutôt que celui de maladies mentales pour marquer qu’il ne s’agit pas de telle ou telle maladie diagnostiquée, mais d’un ensemble de troubles invalidants sans diagnostic physiologique connu, que ceux-ci aient fait ou non l’objet d’un diagnostic psychiatrique ».
-
[8]
« Geriatricians are increasingly encountering older adults expressing suicidal wishes in the absence of overt mental illness. This is expected to grow as life expectancy increase» (Balasubramaniam, 2018, 998).
-
[9]
Traduit de Richards (201713) « age-related desire to die ».
-
[10]
Aux Pays-Bas, le terme employé est celui de Voltooid leven, qui peut se traduire par « vie achevée ».
- [11]