Couverture de DS_473

Article de revue

Soigner, punir ou gérer des flux : les apories des politiques pénales françaises à l’encontre des usagers de drogues

Pages 363 à 399

Notes

  • [1]
    Si le terme générique de « drogue » regroupe à la fois des produits dont l’usage et la vente sont autorisés (tabac, alcool) et des produits classés comme stupéfiants au niveau international (cannabis, héroïne, cocaïne, etc.), nous privilégierons ici ce vocable plutôt que celui de « stupéfiant » pour deux raisons principales. D’abord parce que le terme de « stupéfiant » relève majoritairement du langage policier en France, tandis que le mot « drogue » est plus couramment utilisé, et aussi moins connoté. Par ailleurs, la catégorisation institutionnelle de certains produits comme stupéfiants est le produit d’un contexte historique, ceux-ci n’ayant pas toujours été interdits. 2 Circulaire du 15 décembre 1969.
  • [3]
    Au maximum 450 €, mais les sommes exigées par les juridictions varient sur le territoire, le plus souvent aux alentours de 250 €.
  • [4]
    Circulaire du 12 mai 2017.
  • [5]
    Sont donc exclus les dossiers dans lesquels les auteurs d’ILS ne consommaient pas eux-mêmes.
  • [6]
    Ces professionnels de santé n’interviennent pas en tant que thérapeutes, mais sont chargés de contrôler la bonne exécution des injonctions thérapeutiques.
  • [7]
    Source : données du service statistique (SDSE) du ministère de la Justice.
  • [8]
    L’ensemble de ces statistiques d’activité sont désormais disponibles sur le site internet du ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/.
  • [9]
    Odds ratio : 1,831 [1,033 – 3,245] ; signif. : 0,036.
  • [10]
    Odds ratio : 4,918 [2,512 – 9,628] ; signif. : 0,000.
  • [11]
    Odds ratio : 11,925 [5,565 – 25,554] ; signif. : 0,000.
  • [12]
    Au regard de la faible rémunération et du manque d’addictologues, la plupart des juridictions peinent à trouver des volontaires.
  • [13]
    Dépêche relative à la mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l’article L.3421-1 du code de la santé publique (usage de stupéfiants), Direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice, 31 août 2020.
  • [14]
    Dépêche du 31 août 2020, op. cit.
  • [15]
    p = 0,001 V de Cramer = 0,261.
  • [16]
    p = 0,001 V de Cramer = 0,156.
  • [17]
    Circulaire du 12 mai 2017.
  • [18]
    Odds ratio : 2,967 [1,484 – 5,917] ; signif. : 0,002.
  • [19]
    Odds ratio : 2,325 [1,291 – 4,186] ; signif. : 0,005.
  • [20]
    Directeur d’une association socio-judiciaire animant des stages, Milleville (e21).
  • [21]
    Sont ici pris en compte tous les types d’antécédents (ILS ou pour d’autres infractions), qu’ils aient donné lieu à une inscription au casier judiciaire après condamnation par une juridiction de jugement ou à une alternative aux poursuites prononcée par le parquet.
  • [22]
    Odds ratio : 10,753 [6,622 – 17,544] ; signif. : 0,000.
  • [23]
    Odds ratio : 0,140 [0,084 – 0,233] ; signif. : 0,000.
  • [24]
    Vice-procureur chargé des stupéfiants, Milleville (e13).
  • [25]
    Odds ratio : 3,115 [1,776 – 5,464] ; signif. : 0,000.
  • [26]
    Source : Ministère de la Justice/SG/SDSE/ fichier statistique du Casier judiciaire national. Au sens juridique, la réitération signifie que le condamné a déjà été sanctionné pour une infraction par le passé, mais dans des conditions ne permettant pas de retenir la récidive, notamment du fait du délai entre la commission des deux infractions.
  • [27]
    Source : Ministère de la justice/SG/SDSE, Exploitation statistique du Casier judiciaire national des personnes physiques.
  • [28]
    Odds ratio : 2,208 [1,190 – 4,082] ; signif. : 0,012.
  • [29]
    p = 0,001 V de Cramer = 0,323.
  • [30]
    Odds ratio : 0,501 [0,345 – 0,729] ; signif. : 0,000.
  • [31]
    Odds ratio : 0,421 [0,225 – 0,789] ; signif. : 0,007.
  • [32]
    Odds ratio : 1,642 [1,045 – 2,580] ; signif. : 0,030.
  • [33]
    Odds ratio : 1,561 [1,041 – 2,342] ; signif. : 0,030.
  • [34]
    Odds ratio : 0,454 [0,232 – 0,888] ; signif. : 0,020.
  • [35]
    Odds ratio : 0,372 [0,168 – 0,826] ; signif. : 0,014.
  • [36]
    Odds ratio : 2,547 [1,487 – 4,361] ; signif. : 0,001. Aux États-Unis, des auteurs observent que les niveaux de criminalisation des différents types de drogues résultent également d’effets de race et de classe (voir notamment Dollar, 2019 ; Omori, 2019).

Introduction

1 Le droit français en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) apparaît comme l’un des plus sévères d’Europe (Obradovic, 2016 ; EMCDDA, 2018 ; Benedetti et al., 2021 ; Stevens et al., 2022). Quel que soit le produit, les usagers de drogues [1] encourent une peine privative de liberté d’un an (art. L3421-1 du Code de la santé publique), même si ce quantum est, de fait, rarement prononcé. D’autres infractions connexes à l’usage, délits (détention, acquisition, transport, offre ou cession) ou crimes (production, fabrication de stupéfiants, direction d’un trafic), font encourir de cinq ans d’emprisonnement jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité (art. 222-34 et suivants du Code pénal). Progressivement, une autre rationalité est toutefois venue concurrencer et hybrider ces velléités punitives à l’égard des simples consommateurs, centrée sur la coercition et l’incitation à se soigner plus que sur la privation de liberté. À partir des années 1950, les pouvoirs publics ont privilégié une « médicalisation » et une « sanitarisation » des réponses pénales (Bulart et al., 1993 ; Retaillaud-Bajac, 2009 ; Mahi, 2015). Après l’échec d’une première loi en décembre 1953, qui n’a jamais été appliquée, le législateur autorisa en 1958 le prononcé d’obligations de soin dans le cadre du nouveau sursis avec mise à l’épreuve. Cette mesure est désormais applicable à tous les stades du processus pénal, dans le cadre d’un contrôle judiciaire en amont du procès comme d’un sursis probatoire ou d’un aménagement de peine.

2 Engagés dans une « guerre à la drogue », pour des raisons plus politiques que liées à l’intensité du problème (Bergeron, 1999), à la fin des années 1960, les pouvoirs publics ont renforcé l’arsenal répressif mais aussi l’« armement sanitaire », afin de « donner le pas à la prophylaxie sur la répression, insuffisante en elle-même pour assurer la guérison et la réinsertion sociale des usagers de drogues »2. Dans cette perspective, la loi du 31 décembre 1970 a introduit l’injonction thérapeutique (Bernat de Celis, 1992 ; Ehrenberg, 1996). À la différence de l’obligation de soin, il s’agissait alors principalement d’une alternative aux poursuites confiée aux parquets, suivie d’un classement sans suite à condition d’accepter un accompagnement médical. Or, depuis 1970, la consommation de drogues, en particulier de cannabis, a nettement progressé, et le nombre d’interpellations pour infractions à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par 40, dépassant 200 000 procédures par an à la fin de la décennie 2010, dont 85 % pour usage simple (Obradovic et al., 2021). Il s’agit désormais d’un contentieux de masse, qui représente 15 % du total annuel des mises en cause policières (Interstats, 2021). Les parquets ont rapidement été submergés et contraints de classer sans suite un grand nombre d’affaires, souvent à la suite de simples rappels à la loi (RAL), délivrés par les forces de l’ordre en fin de garde à vue ou par des délégués du procureur au sein des tribunaux.

3 Déconseillant cette réponse jugée « peu dissuasive » pour traiter l’usage de drogues, les directives de politique pénale ont recommandé à partir de la fin des années 1990 de privilégier les alternatives aux poursuites combinant des visées pédagogiques, préventives et sanitaires. Ainsi, depuis une loi du 23 juin 1999, le parquet peut prononcer une orientation sanitaire et sociale (OSS), qui consiste pour l’usager à contacter une structure sanitaire pour un simple rendez-vous, justifié par la transmission d’une attestation de présence. Expérimentés à la même époque, des stages de sensibilisation aux dangers des produits stupéfiants ont été consacrés par une loi du 5 mars 2007, comme alternative aux poursuites mais aussi comme peine. Revendiquant une visée pédagogique tout en étant payants [3], ils visent à « faire prendre conscience au condamné des conséquences dommageables pour la santé humaine et pour la société de l’usage de tels produits » (art. R.131-35 du Code pénal). Ils se présentent sous la forme de modules thématiques, répartis sur une ou deux journées, où divers intervenants (sanitaires, sociaux, policiers et judiciaires) s’efforcent de transmettre à des petits groupes de « stagiaires » des messages de prévention ainsi que des informations sur l’offre locale de soins (Obradovic, 2012b ; Gautron, Raphalen, 2013). Depuis l’introduction de ces deux dispositifs, qui ciblent les consommateurs de cannabis « non-dépendants », l’injonction thérapeutique a progressivement été recentrée sur les usagers concernés par des « consommations massives de cannabis » ou d’autres drogues et « qui nécessitent une prise en charge sanitaire adaptée » [4].

4 S’il s’agissait alors de faire primer les soins sur la répression, en évitant autant que possible l’incarcération, cet idéal thérapeutique a toujours été concurrencé par des rationalités punitives mais aussi, de plus en plus, gestionnaires. La plupart des gouvernements qui se sont succédés depuis le début des années 2000 s’inspirent de la doctrine nord-américaine de « tolérance zéro » à l’encontre des usagers simples. Craignant une banalisation de la consommation, ils s’accordent sur l’objectif d’une réponse judiciaire systématique. Progressivement, les rappels à la loi ont été disqualifiés dans les mêmes termes que les classements « secs ». Les stages ont été appelés à les remplacer, induisant désormais un coût financier pour les justiciables, qui vient s’ajouter à un « enseignement » sur les incidences juridiques des comportements incriminés et les conséquences d’une réitération, selon une logique rétributive et dissuasive (Gautron, Raphalen, 2013). En outre, ces stages peuvent être ordonnés dans le cadre d’une composition pénale, introduite en 1999 pour rehausser les sanctions alternatives aux poursuites, qui va de pair avec une inscription au casier judiciaire et des mesures complémentaires qui s’apparentent à de véritables peines (amende, travail non rémunéré, suspension de permis, etc.).

5 Les approches thérapeutiques ou préventives sont aussi de plus en plus concurrencées par un tropisme gestionnaire qui emprunte aux préceptes du nouveau management public (Vigour, 2006 ; Gautron, 2014a). Pour absorber un flux croissant d’affaires, le législateur a non seulement multiplié les alternatives aux poursuites, mais aussi les procédures simplifiées de jugement. Depuis 2002, les parquets peuvent opter pour des « ordonnances pénales délictuelles » (OPD), sans audience mais homologuées par un juge du siège. Aucune peine privative de liberté ne peut être prononcée, mais un emprisonnement est envisageable depuis 2004 dans le cadre des « comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC), également sous réserve d’homologation par le siège.

6 Lorsqu’ils sont saisis d’une affaire impliquant un usager de drogues, les magistrats du parquet ont donc désormais le choix entre de multiples voies procédurales et une palette de sanctions alternatives aux poursuites, de même que les magistrats du siège qui disposent d’un large éventail de peines envisageables (emprisonnement ferme, sursis assorti ou non d’une obligation de soin, peine pécuniaire, etc.). On sait néanmoins peu de choses sur les sanctions effectivement prononcées, car les données diffusées par le ministère de la Justice sont parcellaires. Les recherches françaises sont quant à elles peu nombreuses et pour la plupart anciennes (voir notamment Simmat-Durand, Martineau, 1999 ; Setbon, 2000 ; Duprez, Kokoreff, 2000 ; Barré, 2008 ; Obradovic, 2012a ; Obradovic et al., 2021). C’est à ce déficit de connaissances que cette contribution prétend répondre. Cet article expose dans un premier temps l’approche, les méthodes et les matériaux empiriques mobilisés pour objectiver l’évolution des réponses pénales prononcées par les magistrats du parquet et du siège. Il montre ensuite comment les évolutions procédurales précédemment décrites ont transformé le fonctionnement des juridictions. Elles ont eu pour effet de transférer au parquet le soin de traiter la plus grande masse des infractions commises et, plus récemment, aux forces de l’ordre elles-mêmes. Les logiques d’action à l’œuvre sont de plus en plus axées sur la gestion des flux et la répression, au détriment des alternatives aux poursuites comprenant une dimension sanitaire, même si l’on observe de fortes variations territoriales. Ces évolutions ne résultent pas uniquement des injonctions politiques et des réformes législatives : une dernière section montre qu’elles découlent de normes professionnelles et de critères décisionnels partagés par les magistrats du parquet et du siège, qui placent au premier rang une rationalité plus pénale que sanitaire. Même en présence d’addictions, ils écartent bien souvent les mesures comprenant une dimension sanitaire.

Objectiver l’évolution des réponses pénales à l’encontre des usagers de drogues : approche théorique et méthodologique

7 Si le ministère de la Justice diffuse régulièrement des statistiques rendant compte des pratiques décisionnelles des magistrats, celles-ci documentent, au mieux, le nombre et la fréquence des classements sans suite, des différentes filières procédurales, des sanctions alternatives aux poursuites et de quelques peines prononcées par les juridictions de jugement. En revanche, elles ne permettent pas d’identifier les caractéristiques socio-démographiques des prévenus, leurs antécédents et les types de produits stupéfiants consommés, ou encore les obligations de soin prononcées. Nous avons donc engagé des démarches empiriques dans le cadre d’une recherche sur l’articulation entre santé et justice pénale financée par l’Agence Nationale de la Recherche entre 2016 et 2021 (Gautron [dir.], 2023).

8 Concernant les usagers de drogues interpellés, nous avons étudié différentes dimensions des pratiques professionnelles des magistrats du parquet et du siège : la façon dont ils se sont appropriés des injonctions politiques et des réformes parfois contradictoires, d’une part ; comment ils arbitrent, en pratique, entre cette double rationalité thérapeutique et punitive, tout en composant avec une dynamique gestionnaire visant à absorber un flux croissant d’affaires, d’autre part. Cette étude s’inscrit dans le champ des socio-legal studies, plus précisément dans la lignée des approches théoriques qui envisagent le droit non pas comme un système d’impératifs systématiquement contraignants, mais comme l’un des « repères de l’action », qui oriente plus qu’il ne contraint les pratiques judiciaires (Kaminski, 2009, 2015 ; Commaille, 2015). Concernant le choix des procédures et des sanctions, les magistrats disposent en effet d’un important pouvoir discrétionnaire, néanmoins structuré par des normes institutionnelles, professionnelles et organisationnelles (Gelsthorpe, Padfield, 2003 ; Israël, 2008 ; Vanhamme, 2009 ; Tata, 2020).

9 Même si les magistrats du parquet sont placés sous la dépendance du ministère de la Justice, il ne s’agissait pas de préjuger de leur degré d’obéissance aux directives politiques et aux prescriptions normatives, ni d’une application homogène sur l’ensemble du territoire, car ceux-ci ne sont jamais les relais passifs des réformes imposées par l’État (voir notamment Slingeneyer, Kaminski, 2007). Dans cette perspective, nous avons observé les modes d’agir locaux dans six juridictions qui présentent des caractéristiques morphologiques contrastées au regard de leur taille, de leur environnement sociodémographique, du volume et de la nature de leurs contentieux. Le choix des sites d’observation, ici anonymisés, visait à comparer les pratiques judiciaires dans trois cours d’appel différentes, mais aussi entre l’une des plus importantes juridictions françaises située en région parisienne (rebaptisée Milleville), deux juridictions de taille moyenne (Orsontes et Sesnières) situées dans le Grand Ouest et trois petites juridictions dont le ressort est plus rural (Moussoux, Chastignac, Quaintrain). Nous pouvions ainsi inclure dans l’analyse des particularismes de contexte (matériels, organisationnels, environnementaux), notamment sur le plan de l’ampleur des ILS judiciarisées et de l’offre locale de soin. En effet, l’action des juridictions s’inscrit dans des configurations locales impliquant de multiples services de l’État (services de police et de gendarmerie, etc.), mais aussi de nombreux acteurs extérieurs (associations, collectivités locales, professionnels de santé, etc.) incontournables pour la mise en œuvre des stages, des orientations sanitaires et sociales, des injonctions thérapeutiques et des obligations de soin. En comparant les pratiques judiciaires dans plusieurs juridictions, nous avons ainsi évité la « déterritorialisation de la description du monde social » (Desrosières, 2008, 147), à l’inverse des statistiques nationales qui masquent l’hétérogénéité des pratiques.

10 Outre la comparaison des statistiques d’activité de ces six juridictions, nous avons étudié dans chacune un échantillon représentatif de dossiers judiciaires, impliquant uniquement des prévenus majeurs. Nous avons adopté une approche longitudinale périodique, néanmoins contrainte par les durées d’archivage des dossiers. Pour cet article, qui cible les consommateurs de drogues [5], nous nous appuierons sur une sous-population de 1 057 prévenus auxquels la justice reprochait au moins un délit à la législation sur les stupéfiants (ILS), et où une consommation de drogues apparaissait explicitement, de même que les produits consommés. Afin d’identifier des variations temporelles, l’échantillon comprend des ILS jugées par les tribunaux correctionnels en 2000, 2005, 2010 et 2015 (645 dossiers). L’accès aux dossiers traités par les parquets a été plus complexe du fait d’une destruction beaucoup plus rapide des dossiers archivés, et même impossible dans deux juridictions (Quaintrain et Milleville). La plupart des alternatives aux poursuites enregistrées datent de 2010 et 2015 (412 dossiers). En fonction des thématiques abordées, nous distinguerons donc deux sous-populations qui se superposent partiellement. Pour objectiver les pratiques décisionnelles des parquets, la première (SP1) comprend les alternatives aux poursuites et condamnations prononcées en 2010 et 2015, mais dans 4 juridictions seulement (Orsontes, Sesnières, Moussoux, Chastignac ; 667 dossiers). Pour analyser les critères de sentencing des magistrats du siège, la seconde (SP2) comprend l’ensemble des jugements des six sites de l’étude entre 2000 et 2015 (645 dossiers). Nous avons collecté des informations sur les infractions reprochées, les procédures, les caractéristiques socio-démographiques des prévenus, leurs antécédents judiciaires, les produits consommés et les sanctions prononcées.

11 Afin d’identifier et d’estimer l’influence des différents critères décisionnels des magistrats, nous avons procédé à des analyses statistiques multivariées, en particulier des régressions logistiques multinomiales. Celles-ci permettent d’estimer un odds ratio qui informe sur leur poids respectif « toutes choses égales par ailleurs », bien qu’au prix d’un artefact qui ne se rencontre jamais dans la réalité des interactions (Gautron, Retière, 2013). Nous avons sélectionné les critères les plus significatifs (variables indépendantes) à partir de la littérature scientifique relative aux critères de sentencing, d’analyses descriptives bivariées, puis de régressions logistiques simples pour chaque variable, afin de retenir un modèle apportant le maximum d’informations sur la variable à expliquer (dépendante). Ces variables, localisées par juridiction, comprennent la nature des ILS retenues par les magistrats (usage uniquement ; autres ILS), les produits consommés (uniquement du cannabis ; autres drogues), la présence d’autres types d’infractions (oui ; non), les caractéristiques des prévenus : sexe, classe d’âge (moins de 25 ans ; 25 à moins de 35 ; 35 ou plus), nationalité (française ; étrangère), antécédents judiciaires (oui ; non), situation au regard de l’emploi et du logement. Pour la seconde sous-population (SP2), nous avons ajouté l’année de jugement, car ces affaires ont été traitées sur une plus longue période (2000-2015). Ces variables n’épuisent évidemment pas l’ensemble des éléments pris en compte par les magistrats (Vanhamme, Beyens, 2007). Cette modélisation du processus décisionnel exclut des considérations peu objectivables par les statistiques, mais nous avons considéré qu’il s’agissait de la rançon à payer pour estimer l’influence des autres marqueurs qui fondent la conviction des magistrats.

12 Restituer la complexité du processus décisionnel supposait aussi d’observer l’environnement dans lequel il s’inscrit (Myers, Talarico, 1987 ; Dixon, 1995). Nous avons donc privilégié une triangulation méthodologique, en mobilisant une approche qualitative et interprétative. Nous avons réalisé, entre novembre 2018 et mars 2020, une centaine d’entretiens semi-directifs (d’une durée d’1h30 en moyenne) – sauf à Chastignac en raison des confinements liés à la pandémie de Covid-19 –, auprès de magistrats du parquet et du siège (27), des conseillers et quelques directeurs d’insertion et de probation exerçant en détention ou en milieu ouvert (24). Nous avons également rencontré des professionnels de santé (46) exerçant auprès de publics sous main de justice, pour moitié en tant qu’auxiliaires de justice (experts, médecins ou psychologues relais [6], etc.), et quelques acteurs de fédérations professionnelles dans le champ des addictions, ou du secteur associatif impliqué dans la mise en œuvre d’alternatives aux poursuites. La comparaison des prescriptions juridiques, des registres de justification des magistrats et de leurs pratiques effectives montre que les rationalités punitives et gestionnaires ont de plus en plus pris le pas sur l’ambition affichée d’un traitement alternatif d’ordre sanitaire. Ces évolutions résultent partiellement des réformes pénales et, concernant le ministère public, des injonctions politiques des ministres de la Justice. Toutefois, les parquets conservent d’importantes marges discrétionnaires, ce dont témoignent d’importantes variations des politiques pénales locales.

Les politiques pénales locales en matière d’usage de drogues : une préséance punitive et gestionnaire croissante

13 Les performances des procureurs étant évaluées à l’aune du taux de réponse pénale, avec des effets non négligeables sur leurs carrières et les moyens accordés à leurs juridictions, ils ont dû réduire drastiquement le nombre de classements sans suite durant les années 2000 (Lenoir, Gautron, 2014). Ceux-ci ont presque disparu à l’encontre des consommateurs de drogues : seuls 1,7 % des usagers majeurs en ont bénéficié en 2019 [7]. En parallèle, on observe un déclin des alternatives aux poursuites comprenant une dimension sanitaire, mais aussi une progression des poursuites. En outre, une récente réforme pourrait conduire à la suppression pure et simple des alternatives aux poursuites, du moins à l’encontre d’une majorité d’usagers majeurs.

Le déclin des alternatives aux poursuites comprenant une dimension sanitaire

14 Si ce dispositif n’a jamais connu un franc succès (Setbon, 2000), on observe depuis la seconde moitié des années 2000 un véritable effondrement du nombre d’injonctions thérapeutiques (IT). D’après les statistiques du ministère de la Justice, 721 majeurs interpellés pour une ou plusieurs ILS ont bénéficié d’un classement après injonction en 2019, contre 2 378 en 2012 (–70 %). Même en cas d’usage simple, moins de 1 % des prévenus adultes ont été sanctionnés par cette mesure en 2019 (0,7 %, contre 2,5 % en 2012 ; voir tableau I). En fin de période, moins d’un tiers des juridictions françaises en prononçaient encore, une majorité très rarement (moins de cinq par an). Dans les six sites de l’étude, un seul (Milleville) en prononce encore, trois n’en prononcent plus aucune depuis au moins dix ans (Orsontes, Moussoux, Chastignac) et deux y ont progressivement renoncé durant la décennie 2010 (Sesnières et Quaintrain). Les IT s’avèrent géographiquement concentrées : plus de 60 % sont recensées en région parisienne, plus d’un quart à Milleville (26 %). À rebours des autres juridictions, on y observe même un recours croissant (188 IT en 2019, 497 en 2020, 538 en 2021), justifié, selon les magistrats interrogés, par une forte progression du trafic et des usages de crack. Hors des juridictions enquêtées et depuis peu, quelques rares parquets expérimentent également de nouveaux dispositifs de prise en charge, soit dans le cadre d’une OSS, soit dans le cadre d’une composition pénale (Gautron [dir.], 2023). Ces expérimentations, parfois qualifiées de « justice thérapeutique » par les magistrats impliqués, s’inspirent partiellement des « drug courts » étrangères (voir notamment Kaye, 2020). Elles se distinguent toutefois des injonctions thérapeutiques : il ne s’agit plus de transférer aux acteurs de santé la prise en charge sanitaire des justiciables mais de l’accompagner par une supervision judiciaire et un accompagnement social beaucoup plus intensifs.

Tableau I

Répartition des réponses pénales et des orientations procédurales des parquets à l’encontre des prévenus majeurs sanctionnés pour usage de stupéfiants (données nationales, 2012-2019)

Tableau I
Description

2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%) (%) Alternatives aux poursuites, dont : 50,6 47,7 50,1 45,8 47,3 43,1 42,1 42,4 Rappel à la loi (RAL) 36,7 35,3 39,2 35,5 36,9 33,5 34,1 35,2 Stage ou Orientation sanitaire et sociale (OSS) 9,1 8,8 7,5 7,3 7,5 6,9 6,0 5,2 Injonction thérapeutique (IT) 2,5 2,1 1,8 1,5 1,2 1,3 0,7 0,7 Régularisation sur demande du parquet 1,0 0,5 0,6 0,5 0,6 0,4 0,3 0,4 Autres alternatives 1,2 0,9 1,0 0,9 1,2 1,0 0,9 0,9 Compositions pénales 9,6 8,9 7,8 8,5 8,2 8,0 7,9 7,3 Poursuites (dont saisine d’un juge d’instruction), dont : 39,8 43,4 42,1 45,7 44,4 49,0 50,0 50,3 Procédures de jugement dont : 38,9 42,4 41,5 44,9 43,8 48,2 49,4 49,8 OPD 17,8 20,9 21,3 23,1 22,8 25,5 27,7 29,2 CRPC 7,0 7,8 8,2 9,1 9,0 10,1 9,8 10,0 Autres procédures de jugement 14,1 13,7 11,9 12,6 12,0 12,6 11,9 10,6

Répartition des réponses pénales et des orientations procédurales des parquets à l’encontre des prévenus majeurs sanctionnés pour usage de stupéfiants (données nationales, 2012-2019)

Source : SDSE, Ministère de la Justice.

15 Les statistiques d’activité des juridictions révèlent par ailleurs un recours modéré aux autres alternatives aux poursuites comprenant une dimension sanitaire [8]. S’agissant des majeurs sanctionnés pour usage (infraction principale excluant d’autres ILS), la fréquence des OSS et des stages a décliné de façon continue (passant de 9,1 % en 2012 à 5,2 % de l’ensemble des réponses pénales en 2019), sachant que les données diffusées n’intègrent pas les stages prononcés dans le cadre d’une composition pénale. D’autres statistiques ministérielles, qui incluent les mineurs, font état de 5 à 6 % d’auteurs sanctionnés par un stage dans le cadre d’une composition pénale entre 2012 et 2018. On peut dès lors estimer de 10 % à 12 % la part des usagers majeurs sanctionnés pour lesquels les parquets ont prononcé une injonction thérapeutique, une OSS ou un stage en fin de période. Hors composition pénale, les stages et les OSS ont presque disparu dans la plupart des sites étudiés (entre 1 % et 9 % des réponses pénales).

16 Les magistrats interrogés ne s’en cachent pas : la préoccupation d’absorber les flux et de résorber les stocks d’affaires oriente leurs pratiques, en ajustant les voies procédurales aux capacités de traitement de la juridiction. L’adaptation qualitative des sanctions préconisée par les circulaires de politique pénale demeure dès lors relative. Pour restreindre le nombre de classements et afficher un fort taux de réponse pénale, les parquets prononcent encore massivement de simples rappels à la loi, malgré les directives ministérielles appelant à les restreindre (36,7 % de l’ensemble des réponses pénales et 61 % hors poursuites en 2012 ; respectivement 35,2 % et 70,8 % en 2019). Simple variable d’ajustement visant à gérer au mieux le flux d’affaires, les magistrats interrogés les prononcent souvent « faute de mieux ». La principale vertu qui leur est accordée est d’accroître le taux de réponse pénale pour un coût modique, sans encombrer davantage les autres circuits procéduraux.

17 Selon une ex-parquetière, même les OSS et les stages ne seraient pas prioritairement prononcés pour « servir de passerelle avec les soins » (e26). Elle les présente avant tout comme un dispositif pour absorber les affaires, mais « pour donner un sens aussi à cette gestion de flux ». Pour ce type d’infractions comme pour bien d’autres contentieux de masse, on observe donc une « définalisation » des réponses pénales (Kaminski, 2009, 40). Le choix des sanctions dépend d’orientations plus comptables qu’axiologiques, au point que le seul fait de répondre semble parfois plus important que le contenu de la réponse pénale elle-même (Gautron, 2014a). Si la fréquence des rappels à la loi tempère l’hypothèse d’une forte punitivité des parquets, on observe cependant un accroissement des poursuites depuis le milieu des années 2000, après une phase de recul au cours des années 1990.

Un accroissement des poursuites : l’explosion des procédures simplifiées de jugement

18 Comme le montre le tableau I, les poursuites pour usage simple ont nettement progressé (39,8 % en 2012 ; 50,3 % en 2019). Cette évolution résulte du recours croissant aux ordonnances pénales délictuelles (OPD). Ces jugements sans audience, assortis le plus souvent d’une amende, ont doublé de 2012 à 2019, représentant 29,2 % de l’ensemble des réponses pénales en fin de période et plus de la moitié des poursuites pour usage (58,6 %). Les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), plus rares, ont aussi légèrement progressé (passant de 7 % à 10 % des réponses pénales). Ces procédures simplifiées étant presque systématiquement homologuées par les magistrats du siège, les adultes sanctionnés pour usage le sont désormais près de neuf fois sur dix par le parquet (88,9 % en 2019). Cette proportion varie entre 80,8 % et 94,3 % des cas dans les six juridictions de l’étude, qui ont toutes multiplié les OPD et les CRPC.

19 Si les dynamiques à l’œuvre sont convergentes à l’échelle métropolitaine, les statistiques d’activité des juridictions donnent à voir de fortes variations locales. Malgré des tentatives régulières, les circulaires nationales de politique pénale ne sont jamais parvenues à harmoniser les pratiques locales (voir également Gautron, 2014a ; Duprez, Kokoreff, 2000 ; Pérez-Diaz, 1988), y compris au sein d’une même cour d’appel, comme en témoignent Orsontes, Sesnières et Chastignac en 2019 (voir tableau II). Si toutes ces juridictions affichent un fort taux de réponse pénale (entre 94,8 % et 98,3 %), la part des alternatives aux poursuites (hors classement sans suite) varie entre 12 % et 47 %, celle des compositions pénales de moins de 1 % à 23 %, celle des poursuites de 45 % à 75 %. Hors compositions pénales, les stages, les OSS et les injonctions thérapeutiques représentaient moins de 3 % des réponses pénales à Chastignac, Sesnières et Orsontes, dépassant à peine 9 % à Quaintrain. La part des RAL est plus élevée dans les juridictions les plus importantes (Milleville, Orsontes et Sesnières), tandis que celles situées dans des ressorts ruraux privilégient les poursuites.

Tableau II

Comparaison des réponses pénales et des orientations procédurales en 2019 selon les parquets en matière d’usage de stupéfiants

Tableau II
Description

France entière (%) Milleville (%) Orsontes (%) Sesnières (%) Moussoux (%) Quaintrain (%) Chastignac (%) Alternatives aux poursuites, dont : 42,4 47,1 45,3 37,2 23,8 29,8 12,0 Rappel à la loi (RAL) 35,2 40,1 36,9 34,0 14,7 19,0 11,0 Stage ou Orientation sanitaire et sociale (OSS) 5,2 0,1 2,7 1,4 7,1 9,1 1,0 Injonction thérapeutique (IT) 0,7 4,8 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 Autres alternatives 1,3 2,1 5,7 1,7 2,0 1,6 0,0 Compositions pénales 7,3 0,3 9,5 13,9 22,7 6,5 13,3 Poursuites (dont saisine d’un juge d’instruction), dont : 50,3 52,6 45,2 48,9 53,5 63,8 74,7 Procédures de jugement dont : 49,8 52,3 44,2 48,9 53,5 63,8 74,7 OPD 29,2 32,6 19,2 23,3 40,8 46,0 46,9 CRPC 10,0 7,2 6,8 17,4 7,1 11,7 16,6 Autres procédures de jugement 10,6 12,5 18,1 8,2 5,7 6,1 11,2

Comparaison des réponses pénales et des orientations procédurales en 2019 selon les parquets en matière d’usage de stupéfiants

Source : SDSE, Ministère de la Justice.

20 Les régressions logistiques réalisées à partir de la première sous-population d’alternatives et de poursuites confirment ces disparités territoriales. Par rapport à Orsontes, la plus importante des quatre juridictions de province, la probabilité d’un RAL est nettement moindre dans les autres juridictions. Les autres parquets privilégient les stages, et dans une moindre mesure les OSS, hormis Moussoux. Toutes choses égales par ailleurs, la probabilité des poursuites est presque deux fois plus élevée à Sesnières [9], cinq fois plus à Chastignac [10], et même douze fois plus à Moussoux [11], ce qui confirme une répression accentuée dans les petites juridictions situées en milieu rural.

21 Comment expliquer ces écarts ? Les choix des procédures et des sanctions alternatives aux poursuites dépendent de nombreux éléments contextuels et sont en premier lieu « dictés par l’ampleur des flux », insiste le procureur de Moussoux (e48). Des contraintes de gestion pèsent également sur les décisions des parquets : nombre de magistrats et d’audiences correctionnelles envisageables, de délégués du procureur, etc. Leurs décisions évoluent au gré de l’engorgement des différentes filières procédurales (Gautron, 2014a), car celles-ci sont des « process » concurrents que les procureurs utilisent en fonction des besoins et des ressources de leur juridiction (Danet, 2010). Une ex-parquetière décrit ces procédés à l’aide d’une métaphore hydraulique :

22

C’est une histoire de tuyaux. Normalement, les tuyaux ils sont pour l’eau chaude, l’eau froide et l’eau tiède. Sauf que quand le tuyau de l’eau tiède est bouché, le tuyau de l’eau froide est bouché et on va quand même donner de l’eau chaude à l’immeuble, sinon on va avoir un souci. Du coup, voilà. Et puis après, ça va être le tuyau de l’eau chaude qui va être bouché et on va basculer sur l’eau tiède ou sur l’eau froide. Donc c’est un peu lamentable, mais c’est comme ça.
(e6)

23 Ses propos manifestent une forme de résignation face à cette logique comptable et le sentiment d’une perte de sens des réponses pénales, néanmoins vécues comme inéluctables. L’essentiel reste en effet la certitude de la réponse pénale – une seule magistrate du corpus s’étant déclarée favorable à la dépénalisation de l’usage de cannabis – mais aussi de la bonne gestion des juridictions, même si ce fonctionnement peut sembler « un peu déprimant », voire même « choquant au plan des principes » (e6).

24 Le directeur de l’association socio-judiciaire qui réalise des alternatives aux poursuites pour le parquet de Milleville ajoute que les magistrats des juridictions de taille importante « sont obligés de réévaluer, de hausser le seuil de tolérance et de traitement pénal, là où dans d’autres tribunaux de province, il y a évidemment une autre approche, beaucoup plus vigoureuse, dès le premier gramme » (e21). À l’appui de sa démonstration, il cite une conversation entre deux parquetiers de juridictions de taille très différente, le premier expliquant que « à 2 grammes, on le fracasse », l’autre répondant « mais si je fais ça, je mets la clé sous la porte ». Le prononcé d’alternatives préventives et sanitaires est par ailleurs tributaire du nombre de partenaires extra-judiciaires indispensables à cette diversification des réponses, de sorte que, pour le procureur de Moussoux, « une harmonisation serait compliquée puisque nous n’avons pas tous le même tissu partenarial. À partir du moment où je sors de l’ordonnance pénale avec l’amende pure et dure, tout dépend du milieu associatif que j’ai à côté » (e48). Outre l’absence de médecins ou de psychologues relais dans de nombreux départements [12], qui explique l’absence d’injonctions thérapeutiques, certains ressorts ne disposent pas d’associations socio-judiciaires ou de structures volontaires pour organiser des stages (Gautron, Raphalen, 2013). Une magistrate du parquet d’Orsontes y ajoute la problématique de l’éloignement : « La personne, quand elle se trouve dans un milieu rural, parfois c’est compliqué d’aller dans ces structures » (e92). L’offre de prise en charge en aval oriente donc les pratiques judiciaires, structurées par des anticipations négatives quant aux conditions matérielles d’exécution de la sanction. Si les juridictions de taille importante sont souvent plus engorgées, elles disposent généralement d’un réseau partenarial plus étoffé qu’en milieu rural, ce qui contribue à expliquer la sous-représentation des alternatives aux poursuites dans les juridictions de petite taille.

25 Des enjeux économiques pèsent également sur les décisions des parquets, comme le concède le procureur de Moussoux :

26

Sur le pré-sentenciel, j’ai tendance à dire qu’on pourrait toujours essayer de trouver davantage mais il faut pas qu’on oublie non plus que tout cela a un coût économique. Non seulement ça a un coût en frais de justice. Une mesure pré-sentencielle, soit on fait une mesure qui est à la charge de la personne concernée, soit dans certains cas, c’est en réquisition en frais de justice, donc c’est déjà un coût pour le budget de l’État.
(e48)

27 À cet égard, les stages présentent un intérêt certain. Une salariée d’une fédération d’associations socio-judiciaires indique ne pas « se voiler la face » : « on ne vient pas impacter les frais de justice, on est sur quelque chose qui va être payé par le justiciable » (e40). De plus, la survie financière de ces structures oblige souvent les parquets à leur garantir un volume minimal d’activité. Selon elle, certaines remontent mensuellement des « tableaux de bord » aux procureurs, dans lesquels « les associations mettent en lumière un écart par rapport à ce qui est prévu pour que l’association puisse bien fonctionner, par rapport au nombre de mesures qui sont envisagées ». En conséquence, deux psychologues relais de région parisienne regrettent que les réponses pénales ne soient pas toujours choisies en fonction des niveaux de consommation, mais à partir d’« une répartition tout à fait arbitraire », en « distribu[ant] le gâteau à peu près à parts égales » :

28

Donc vous, vous avez un tiers des mesures. Y a un tiers pour les stages et un tiers pour les rappels à la loi. C’est une proportion qui a très peu de sens, puisque, en gros, on contente un peu tout le monde, c’est pas forcément ciblé.
(e20)

29 Enfin, il faut ajouter le poids des représentations et des pratiques personnelles des procureurs. Pour une psychologue-relais en poste depuis plus de vingt ans et proche de la retraite, « à chaque fois que les magistrats changeaient », leur « pratique était impactée et ça changeait aussi » (e20). Selon sa collègue, des magistrats « étaient très sensibles à la problématique des jeunes et de la toxicomanie et qui prononçaient des injonctions, des injonctions. Et puis y en avaient d’autres qui disaient pfff… non ». Pris individuellement, tous ne prêtent pas les mêmes vertus et/ ou désavantages aux diverses procédures, pour des raisons idiosyncratiques liées aux valeurs et représentations personnelles, aux habitus et aux carrières (Gautron, 2014a).

30 Cette hétérogénéité génère des inégalités entre justiciables, car les choix de procédure ne sont pas sans conséquence sur le degré de sévérité des sanctions, mais aussi en matière d’inscription au casier judiciaire. Les acteurs interrogés déplorent régulièrement ces différences de traitement, y compris parmi les magistrats. Les professionnels d’associations socio-judiciaires soulignent le manque de « lisibilité de la réponse pénale » qui participe pourtant « à l’efficacité de la lutte contre la récidive », les inégalités perçues par les justiciables entravant notamment l’acceptation de la sanction :

31

Le fait qu’on ait déjà des pratiques hétérogènes sur un même territoire […], ça facilite pas effectivement l’adhésion et le changement de comportement. […] Parce qu’ils en parlent entre eux. Entre copains, entre amis, dans la famille parfois, quand c’est évoqué, cette particularité on le sait «moi j’ai été arrêté, j’ai eu telle réponse. Après, la même chose, j’ai eu telle autre réponse». Ça rime à rien.
(e40)

32 Récemment, des responsables politiques ont pris appui sur ce motif pour légitimer l’introduction d’une nouvelle sanction, l’amende forfaitaire délictuelle (AFD), délivrée par les forces de police sans la moindre intervention judiciaire, mais dénoncée comme un expédient de nature à court-circuiter le rôle de la justice pénale par une procédure policière standardisée (Daillère, 2022). En déplaçant les pouvoirs de sanction directement vers les forces de l’ordre, cette réforme, introduite en 2019, apparaît comme le point d’orgue du processus évolutif décrit à partir de nos matériaux empiriques.

L’introduction d’une nouvelle amende forfaitaire : vers une extinction des alternatives aux poursuites ?

33 Mise en œuvre à l’échelle nationale à partir de septembre 2020, après une brève expérimentation dans quelques sites, une loi votée en 2019 prévoit que les policiers puissent imposer aux usagers majeurs une amende forfaitaire sur la base d’instructions générales transmises en amont par le parquet (art. 495-17 et s. Code de procédure pénale). Son montant est fixé à 150 € en cas de règlement dans les 15 jours, 200 € entre 15 et 45 jours, 450 € au-delà. À nouveau, la perspective est avant tout gestionnaire, pour permettre un « report de charge sur les fonctionnaires de police », selon les termes d’un magistrat du parquet en poste dans les services centraux du ministère de la Justice au moment de la réforme, en faisant « le pari que le taux de contestation sera relativement bas et que donc, ça va désengorger quand même les parquets » (e11). Pour homogénéiser « autant que possible » les pratiques locales, même si des dérogations sont possibles « lorsque des circonstances particulières le justifient » [13], les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont donné pour consigne de cibler l’usage et la possession de faibles quantités de drogues, principalement de cannabis (jusqu’à 50 grammes), mais aussi de cocaïne (jusqu’à 5 grammes) et d’ecstasy/MDMA (jusqu’à 5 comprimés d’ecstasy ou 5 grammes de cristaux ou de poudre de MDMA).

34 Cette réforme a été diversement accueillie par les magistrats. Certains y sont plutôt favorables, essentiellement dans une optique de gestion des flux. Selon un vice-procureur de Milleville spécialisé dans le traitement des ILS, l’AFD ne « réglera pas le problème de la toxicomanie ; c’est pas la question et c’est pas l’objectif » (e13). Pour une présidente d’audiences correctionnelles passée par le parquet « c’est une bonne chose pour une mauvaise raison. C’est le constat qu’il n’y a plus de sous et ça c’est une mauvaise raison » (e6). Un autre parquetier y voit aussi, comme les responsables politiques, un moyen de garantir une plus grande égalité des citoyens face à la répression :

35

Quand on voit que, d’un ressort à l’autre parfois, on passe d’une COPJ [convocation par officier de police judiciaire]… d’une OPD à une COPJ, moi je me dis, y a quand même un problème d’égalité. Je pense que l’égalité, on y est quand même très attaché en France, ça doit passer par là. […] Dès lors que c’est bien pensé à la base, même si c’est un peu normé, automatisé, moi, ça me choque pas.
(e11)

36 D’autres sont plus circonspects, voire rétifs, en l’absence de moyens pour vérifier le respect de leurs directives sur le terrain, du fait d’une centralisation du traitement de ces procédures au sein de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai). Pour cette raison, l’un des procureurs interrogés refusait d’appliquer cette procédure à l’époque de nos entretiens, mais reconnaissait de fortes pressions policières pour qu’elle soit mise en place :

37

Je ne pratique pas l’AFD sur mon ressort. Je m’y refuse. Je ne veux pas de ça. Le ministère a eu la bonne grâce de nous dire que c’était en fonction des instructions du procureur. Pour les premières, j’ai eu des soucis avec les services d’enquête qui disaient la loi le permet et je disais « ben oui mais moi je veux pas ». Et là j’étais coincé, parce que, s’ils le font quand même, comme tout est centralisé, je n’ai même pas de visibilité. C’est-à-dire que le procureur local n’a pas de visibilité sur ce que font les enquêteurs de son ressort en matière d’AFD. Le Conseil ayant dit que c’était en fonction de la politique pénale du procureur, j’ai dit ouf… J’ai regretté qu’ils ne censurent pas, parce que c’était choquant comme mesure. Le pouvoir de poursuite à l’enquêteur, autant sur les poursuites de contraventions de 4e classe on veut bien ; sur du délit, je suis quand même gêné, quand même très gêné.
(Procureur de la République, e48)

38 Les parquets se sont néanmoins massivement emparés de cette procédure, comme en attestent les 105 400 AFD délivrées en 2021 selon le ministère de l’Intérieur, encore plus nombreuses en 2022 (143 200), et qui concernent désormais une majorité des mis en cause pour usage de drogues (56 % en 2021 ; Interstats, 2022). Si les responsables politiques et quelques magistrats ont présenté cette amende comme un moyen de systématiser l’application de la loi et de rétablir l’égalité entre justiciables, on peut douter de l’homogénéisation des politiques pénales locales, puisque les quantités retenues et les produits ciblés varient selon les juridictions. Surtout, de nombreux professionnels s’inquiètent de l’abandon de toute ambition sanitaire pour les usagers dépendants, et préventive pour les autres. Sur un plan qualitatif, la forfaitisation réduit l’attention portée aux spécificités individuelles (usager dépendant vs festif et occasionnel) et escamote toute possibilité d’orientation sanitaire par le parquet. Si des procureurs ont manifesté leur volonté de réorienter les stages et les OSS vers un public consommant d’autres drogues que du cannabis, et/ou réitérant, les professionnels socio-judiciaires peinent à masquer leurs inquiétudes face à une réforme qui pourrait mettre leur rôle en péril :

39

Ils ont la volonté de nous rassurer en disant «ben non, ne vous inquiétez pas, les stages existeront toujours». Maintenant, on est aussi très pragmatiques, parce que cette petite musique, on l’entend dans plein de domaines et finalement, elle n’engage que ceux qui y croient. Après on voit nous, statistiquement, l’activité. Là, elle est en chute libre, et elle continuera sans doute à être en chute libre.
(Directeur général d’une association socio-judiciaire, e21)

40 De fait, on observe en 2021 une raréfaction des alternatives aux poursuites. Par rapport à l’année 2019, les statistiques du ministère de la Justice (données provisoires) montrent une division par trois du nombre de RAL à l’encontre d’usagers majeurs (passant de 39 839 à 14 027), et par deux des stages et des OSS (passant de 4 856 à 2 639, hors composition pénale). Pourtant, les interpellations pour usage ont nettement augmenté malgré les confinements des années 2020 et 2021 (Interstats, 2021 ; Ministère de la Justice, 2022). Cette hausse résulte de directives du ministre de l’Intérieur appelant à « mettre la pression » sur les consommateurs au motif de réduire les trafics.

41 En raison du montant de l’amende, qui se substitue le plus souvent à un RAL, l’AFD conduit en pratique à un durcissement des sanctions. Elle est par ailleurs juridiquement assimilée à une véritable condamnation pénale, dès lors inscrite au casier judiciaire. En outre, alors que le gouvernement entend garantir par ce biais une égalité de traitement, il s’avère au contraire que l’amende est presque « indolore » pour les publics insérés, tandis que bon nombre de condamnés sont dans l’incapacité de la payer. Tout en légitimant cette nouvelle amende à des fins punitives, un magistrat du parquet reconnaît « une aggravation très importante » de la sanction, mais aussi que les publics marginalisés pourront difficilement s’acquitter de telles sommes :

42

Ca reste une poursuite, ça reste une forme de peine. Il faut bien que ça soit… ça peut pas être indolore mais c’est vrai que le problème, c’est qu’on leur demande de l’argent, à des publics qui n’en ont pas forcément et en tout cas, quand elles en ont, elles sont pas forcément disposées à payer des amendes. Elles préfèrent assurer leur quotidien.
(e11)

43 Une magistrate du parquet d’Orsontes rappelle quant à elle l’absence régulière de paiement des amendes prononcées dans le cadre d’OPD, avant d’ajouter : « c’est pour vous dire l’incidence et l’effet dissuasif qu’aura l’amende forfaitaire » (e92). Le ministère de la Justice évoque un taux de recouvrement inférieur à 40 %. « Dans un souci de cohérence et de gradation de la réponse pénale », celui-ci recommande alors des suites judiciaires « empreintes de fermeté », mais aussi à l’encontre des usagers « ayant, sans motif valable, contesté celle-ci » [14], qui risquent à terme d’être condamnés encore plus lourdement. Cette réforme pourrait, dès lors, accentuer les discriminations judiciaires. D’autres recherches ont montré que les contrôles policiers ciblent plus souvent les jeunes hommes, les personnes en situation de précarité plus représentées dans l’espace public et les minorités visibles (Peretti-Watel, Beck, Legleye, 2007 ; Jobard et al., 2012 ; Barbier, 2016 ; Daillère, 2022 ; Perrin, Reversé, 2022). Dépourvus de « capital procédural » (Spire, Weidenfeld, 2011), nombre d’entre eux risquent de rencontrer des difficultés pour s’emparer des procédures de contestation théoriquement prévues par les textes. Pour dissuader toute velléité contestataire, les textes prévoient par ailleurs une consignation préalable équivalente au montant de l’AFD et, en cas de condamnation, une amende qui ne peut être inférieure, sauf décision spécialement motivée (art. 495-21 CPP).

44 Malgré ce durcissement progressif de la répression, le degré de punitivité des magistrats du parquet à l’encontre des usagers simples demeure modéré, puisque les alternatives aux poursuites sont principalement remplacées par des peines pécuniaires. Il en va de même concernant les peines prononcées par les juridictions de jugement. Dans l’ensemble du territoire, 6,1 % des prévenus majeurs et mineurs dont l’infraction principale était un usage ont été condamnés à un emprisonnement incluant une partie ferme en 2019, 7,4 % à un sursis total (INSEE, 2021). La majorité (72,8 %) ont été condamnés à une simple amende, mais ces données incluent les sanctions prononcées dans le cadre d’OPD et de CRPC. Lorsqu’on exclut ces deux procédures qui relèvent surtout du parquet, 10 % des majeurs poursuivis pour usage, sans infraction connexe, ont été condamnés à un emprisonnement ferme dans notre échantillon de poursuites entre 2000 et 2015. Si l’on prend également en compte les auteurs sanctionnés par une alternatives aux poursuites, 1,4 % des simples usagers de notre première sous-population ont été condamnés à un emprisonnement ferme en 2010 ou en 2015.

45 Ces résultats semblent a priori paradoxaux comparés aux enquêtes épidémiologiques sur la prévalence des abus ou dépendances aux drogues parmi les publics incarcérés. Celles-ci estiment que plus d’un quart des détenus sont concernés par un abus ou une dépendance dans les 12 mois précédant l’incarcération, avec de fortes consommations de cannabis, et dans une moindre mesure d’opiacés, de cocaïne et de crack (Rousselet et al., 2019 ; Fovet et al., 2020). Pour l’ensemble de ces produits, les prévalences sont bien plus élevées en détention qu’en population générale, de même qu’en garde à vue (Gérardin et al., 2017), ce qui témoigne de mécanismes de sélection tout au long du processus pénal. Plus qu’aux évolutions législatives décrites, ce paradoxe tient dans une large mesure à la concurrence structurelle des rationalités pénales et sanitaires au moment de prononcer une sanction à l’encontre des consommateurs de drogues.

Les critères décisionnels des magistrats : une articulation délicate des rationalités pénales et sanitaires

46 Pour arbitrer entre les orientations procédurales selon les profils des consommateurs, les circulaires ministérielles insistent sur l’importance d’enquêtes sociales ou, a minima, d’une audition circonstanciée de l’usager. Toutefois, l’ambition de rationaliser les activités judiciaires s’est traduite par l’introduction de méthodes empruntant au taylorisme (Bastard, Mouhanna, 2007 ; Rothmayr Allison, 2013). En fin de garde à vue, les officiers de police contactent les permanences téléphoniques des parquets, qui choisissent presque immédiatement une sanction alternative aux poursuites ou une procédure de jugement. Pour répondre rapidement au flux d’appels et éviter de trop fortes disparités de décision, les parquets ont automatisé et uniformisé leurs décisions en élaborant des « barèmes », qui détaillent l’orientation procédurale et les sanctions applicables aux infractions de masse, notamment en matière d’usage de drogues (Gautron, 2014b). Faute d’avoir le temps et les compétences médicales pour vérifier si l’usage est occasionnel, régulier ou relevant d’une dépendance, ils se basent donc sur des critères d’ordre pénal plus que sanitaire ou social. Les attributs de « profil » pris en compte se résument généralement au passé pénal de l’auteur, au type de produit consommé et à la quantité détenue. Dans l’hypothèse de poursuites, les enquêtes sociales préalables sont rares et les expertises médicales presque inexistantes. L’engorgement des juridictions s’est également traduit par une accélération du rythme des audiences, ce qui restreint le temps que les juges consacrent à questionner les prévenus sur d’éventuels abus ou dépendances. Les données de l’échantillon révèlent une grande proximité des critères décisionnels des magistrats du parquet et du siège, mais aussi, s’agissant des seconds, une absence de disparités territoriales significatives. Tous se fondent prioritairement sur la gravité des faits reprochés, les types de produits consommés, les antécédents judiciaires et quelques marqueurs sociaux.

Malades ou délinquants ? Une quasi-exclusion des réponses sanitaires en présence d’infractions connexes à l’usage

47 Dans la lignée des directives gouvernementales, les alternatives aux poursuites ciblent majoritairement des usagers simples, éventuellement détenteurs d’une faible quantité de produits, mais qui n’ont pas commis d’autres infractions. Fussent-ils dépendants, les prévenus impliqués dans la revente ou d’autres types d’infractions se trouvent le plus souvent exclus de certaines mesures sanitaires, ce qui confirme la persistance des logiques de prononcé d’une mesure sanitaire, qui ne dépend pas prioritairement du niveau de dépendance mais est plus souvent proposée à des usagers « méritants » (Setbon, 2000). Selon le ministère de la Justice, 94 % des IT suivies d’un classement sans suite en 2019 ont visé de simples consommateurs.

48 De même, dans notre première sous-population, 74 % des OSS et 79,3 % des stages prononcés en 2010 et 2015 ont concerné des individus interpellés pour usage. Toutes choses égales par ailleurs, et de façon très significative, la mention d’autres ILS divise par six la probabilité d’une OSS, et par cinq celle d’un stage (voir tableau III). Des poursuites sont alors privilégiées. Or, ces situations sont loin d’être exceptionnelles : 43,9 % des usagers de cette première sous-population se sont vu reprocher d’autres ILS et 18,4 % avaient été interpellés pour d’autres infractions (15 % au niveau national en 2019 ; INSEE, 2021). La probabilité de mesures alternatives aux poursuites se trouve alors également divisée (celle d’une OSS par 2,6 ; d’un stage par 3,4). À l’inverse, la probabilité de poursuites est 17 fois supérieure. Dans la deuxième sous-population, la probabilité d’un emprisonnement ferme est multipliée par 6,8 en présence d’autres ILS et par 3,2 en présence d’autres infractions connexes.

Tableau III

Estimation des probabilités de différents types de réponses pénales selon les infractions reprochées

Tableau III
Description

Variables Effectifs Signif. Odds ratio Intervalles de confiance à 95 % Modalités à expliquer Variables indépendantes Limite inf. Limite sup. Orientation sanitaire et sociale (SP1) Infractions connexes – hors ILS Non 540 1 Oui 120 0,031 ** 0,389 0,164 0,927 Autres ILS Non 371 1 Oui 289 0,000 *** 0,159 0,082 0,309 Stage prononcé comme alternative aux poursuites ou dans le cadre d’une composition pénale (SP1) Infractions connexes – hors ILS Non 540 1 Oui 120 0,013 ** 0,251 0,083 0,754 Autres ILS Non 371 1 Oui 289 0,000 *** 0,182 0,080 0,413 Poursuites pénales (SP1) Infractions connexes – hors ILS Non 540 1 Oui 120 0,000 *** 17,098 8,353 34,999 Autres ILS Oui 289 1 Non 371 0,000 *** 0,185 0,112 0,307 Emprisonnement ferme (SP2) Infractions connexes – hors ILS Non 450 1 Oui 187 0,000 *** 3,175 1,988 5,051 Autres ILS Non 174 1 Oui 463 0,000 *** 6,771 3,704 12,195

Estimation des probabilités de différents types de réponses pénales selon les infractions reprochées

Lecture : La probabilité d’un emprisonnement ferme est, toutes choses égales par ailleurs, 6,771 fois plus élevée en présence d’autres ILS qu’un simple usage, et 3,175 fois plus élevée en présence d’autres infractions connexes. Les indices de significativité statistique sont les suivants : *** significatif au seuil de 1 % (très significatif) ; ** significatif au seuil de 5 % ; * significatif au seuil de 10 % (peu significatif) ; n.s. non significatif.

49 Plus souvent poursuivis, les consommateurs mis en cause pour plusieurs ILS (associées à l’usage) sont encore plus nombreux lorsqu’une juridiction de jugement est saisie : 72,4 % ont été jugés pour d’autres ILS et 29,5 % pour d’autres infractions connexes. Si un usage donne rarement lieu à un emprisonnement ferme, cette sanction est donc en pratique bien plus fréquente au titre des infractions associées à celui-ci. Au total, 35 % des consommateurs de stupéfiants poursuivis ont été condamnés à un emprisonnement au moins partiellement ferme, dont 42,8 % de ceux sanctionnés pour d’autres ILS [15] et 46,8 % en présence d’autres infractions [16]. Toutefois, à la différence des alternatives aux poursuites comprenant une dimension sanitaire, ces infractions connexes n’ont pas d’influence significative sur le prononcé d’obligations de soin. Leur fréquence a presque triplé entre 2000 (7,9 %) et 2015 (21 %). D’autres critères interviennent donc dans le prononcé de soins, notamment le type de produits consommés.

Une influence plus significative des produits consommés que du degré de dépendance

50 Les circulaires ministériel les recommandent d’adapter les alternatives aux poursuites selon le niveau de consommation et de dépendance. Si les injonctions thérapeutiques ciblent les plus dépendants, les stages visent les primo-usagers « déclarant une consommation occasionnelle ou “récréative” de cannabis », et les OSS des usagers, surtout de cannabis, dont la consommation semble problématique et abusive, sans antécédents judiciaires ou limités à un simple rappel à la loi [17]. En pratique, les magistrats du parquet se fondent néanmoins principalement sur le produit en cause et la quantité détenue (voir également Gautron, 2014b). Toutes choses égales par ailleurs, les RAL sont trois fois plus fréquents lorsque l’usage se limite au cannabis [18]. Consommer d’autres drogues multiplie la probabilité de poursuites pénales par deux [19], surtout lorsqu’il s’agit d’opiacés, de crack ou de cocaïne. Les alternatives sont privilégiées pour les consommateurs de drogues dites « douces », selon une expression couramment utilisée par les professionnels interrogés. D’autres produits que du cannabis apparaissent toutefois dans 16,9 % des dossiers comprenant une OSS, et dans 15,5 % des cas s’agissant des stages prononcés par le parquet. À rebours des recommandations ministérielles, le choix de telles mesures n’est pas statistiquement corrélé à la fréquence des consommations de cannabis (occasionnelle, régulière ou quotidienne). Bien que les circulaires ne ciblent pas le public « dépendant », 27,6 % des « stagiaires » étaient des usagers quotidiens. Plusieurs professionnels déplorent cette indifférenciation du public et la présence de jeunes « empêtrés dans des consommations extrêmement importantes » [20].

51 Les pratiques sont plus variables concernant l’injonction thérapeutique. Certaines juridictions, comme Milleville, réservent cette mesure aux consommateurs de « drogues dures ». À l’inverse, tel le parquet de Sesnières lorsqu’il en prononçait encore, d’autres juridictions ciblent plutôt des consommateurs de cannabis, parfois parce qu’elles soupçonnent les consommateurs d’opiacés d’être nécessairement impliqués dans d’autres types de délinquance pour financer leur consommation (Setbon, 2000). Les juridictions de jugement sont également sensibles au produit consommé. De simples peines pécuniaires ou un sursis simple sont plus fréquents à l’encontre des consommateurs de cannabis (voir tableau IV). Les autres sont plus souvent condamnés à un emprisonnement ferme, surtout les consommateurs d’opiacés et de crack, ou à un sursis probatoire assorti d’une obligation de soin.

Tableau IV

Estimation des probabilités de différents types de réponses pénales selon les infractions reprochées

Tableau IV
Description

Variables Effectifs Signif. Odds ratio Intervalles de confiance à 95 % Modalités à expliquer Variables indépendantes Limite inf. Limite sup. Emprisonnement ferme Consommation d’une autre drogue que du cannabis Non 422 1 Oui 215 0,047 ** 1,536 1,001 2,356 Sursis probatoire Consommation d’une autre drogue que du cannabis Non 422 1 Oui 215 0,000 *** 2,957 1,906 4,586 Soins pénalement ordonnés Consommation d’une autre drogue que du cannabis Non 422 1 Oui 215 0,000 *** 2,704 1,688 4,331 Sursis simple Consommation d’une autre drogue que du cannabis Non 422 1 Oui 215 0,040 ** 0,610 0,378 0,983 Peine pécuniaire (amende, jour-amende) Consommation d’une autre drogue que du cannabis Non 422 1 Oui 215 0,008 *** 0,570 0,375 0,866

Estimation des probabilités de différents types de réponses pénales selon les infractions reprochées

Rechute ou récidive : le poids des antécédents judiciaires

52 La recherche d’une réponse graduée selon les antécédents constitue un invariant des pratiques décisionnelles des magistrats, car il s’agit pour eux d’un « indicateur d’ancrage dans la délinquance et d’insoumission à l’intervention de la justice » (Vanhamme, Beyens, 2007, 205). En présence d’antécédents [21], les poursuites sont privilégiées, dont la probabilité se trouve multipliée par dix [22]. À l’inverse, de simples RAL sont sept fois moins probables [23]. Plusieurs RAL successifs ne sont pas pour autant systématiquement écartés, du moins dans les juridictions les plus engorgées. Pour en accroître la solennité, ces mises en garde ne sont alors plus prononcées par des officiers de police judiciaire (OPJ), mais dans l’enceinte même du tribunal, par un délégué « qui est investi, qui représente officiellement le procureur » [24]. Son intervention est même obligatoire depuis janvier 2023, à la suite de la suppression des RAL par OPJ et à leur remplacement par un « avertissement pénal probatoire ».

53 En revanche, le critère des antécédents n’apparaît pas discriminant concernant les OSS, les stages et les compositions pénales, du fait de variations locales importantes : certaines juridictions y recourent après un RAL, d’autres en prononcent dès la première infraction. Concernant l’injonction thérapeutique, les pratiques sont également disparates. Contrairement à d’autres parquets, le prononcé de plusieurs injonctions n’est pas exclu à Milleville, notamment pour les consommateurs de crack, qui seraient selon un médecin relais « récidivistes à tous les niveaux » (e70). Le vice-procureur chargé du traitement des ILS y défend une approche pragmatique :

54

C’est la théorie entre guillemets, c’est censé être une alternative, donc s’il respecte pas l’alternative, on est censé taper tout de suite. Mais ça serait totalement déconnecté de ce qu’est la réalité de la toxicomanie et la façon de s’en sortir. Et de toutes les toxicomanies, le crack, comme l’étaient les héroïnomanes avant, est un tel phénomène d’addiction et de désociabilisation, que c’est illusoire. […] Donc oui, on va envisager la poursuite, mais seulement face à une multiple réitération ou un individu très problématique pour le voisinage et l’ordre public.
(e13)

55 Une psychologue relais confirme cette pratique, ajoutant que son service « collabore très bien là-dessus » avec le parquet : « Ça ne les gêne pas de mettre 1 IT, 2 IT, 3 IT sur 3 ans, jusqu’à ce que ça fonctionne » (e14). Ceci étant, le vice-procureur de Milleville ajoute que « si toutes les mains tendues ne fonctionnent pas, y a un moment où on se doit d’assurer la sécurité des concitoyens ». Cette mansuétude n’est par ailleurs pas généralisée. Dans le cadre de leurs stratégies de gradation des réponses pénales, le poids des antécédents est tel qu’un autre magistrat du parquet, évoquant sa pratique antérieure dans des parquets de province, reconnaît qu’ils ne choisissent « pas forcément la réponse pénale ou la peine, en fonction de la problématique » :

56

Je pense qu’on s’enferme, mais parce que ça fait partie de notre inconscient, dans cette idée à la fois de chaîne pénale et de chaîne des réponses. C’est-à-dire qu’entre le rappel à la loi OPJ et la saisie mandat de dépôt, on va commencer à monter progressivement, par une forme de cliquet, et une fois qu’on a atteint un cliquet, eh ben on revient jamais en arrière.
(e11)

57 Lorsqu’une juridiction de jugement est saisie, la probabilité d’un emprisonnement ferme est multipliée par trois en présence d’antécédents [25]. Or, les consommateurs de drogues judiciarisés ont majoritairement des antécédents : 54,3 % des prévenus de la première sous-population, mais, du fait des mécanismes sélectifs qui opèrent au fil du processus pénal, 78,3 % des individus poursuivis dans la seconde. Parmi ces derniers, près de la moitié avaient déjà été condamnés à plusieurs reprises par une juridiction de jugement (49,8 %), plus d’un tiers à un emprisonnement ferme (35,7 %). Pour contester l’idée d’une répression qui serait impitoyable à l’encontre de tous les usagers, une magistrate du siège précise :

58

Ce qu’il faut voir, c’est qu’[il] y a eu, un rappel à la loi, éventuellement un deuxième rappel à la loi, ensuite une composition pénale, éventuellement une injonction thérapeutique. Ensuite une ordonnance pénale. Ensuite un plaider coupable. En fait, finalement, ce qu’on va sanctionner, potentiellement par un emprisonnement ferme, c’est pas tellement l’usage de cannabis en soi, c’est que ça fait 3 ans qu’on dit à monsieur, madame, que l’usage de cannabis est interdit en France.
(Présidente d’audiences correctionnelles, e6)

59 À cet égard, la raréfaction des classements sans suite et l’augmentation des poursuites depuis les années 2000 ont engendré une progression mécanique du nombre de récidivistes au sens légal du terme, les auteurs cumulant plus rapidement des antécédents et des mentions au casier judiciaire (Gautron, 2014a). En moyenne nationale, la part des majeurs condamnés pour usage (infraction principale) en situation de récidive légale est passée de 1,4 % en 2001 à 7,5 % en 2016, celle des réitérants à l’identique de 6,4 % à 10,4 % [26]. Si la forte hausse des OPD s’est traduite par une diminution de la part des peines d’emprisonnement ferme dans l’ensemble des condamnations pour usage (Obradovic et al., 2021), ce phénomène pourrait expliquer leur essor durant la dernière décennie (1 827 en 2012, 2 164 en 2019) [27]. La part des quanta fermes inférieurs à trois mois est également passée de 68,1 % en 2012 à 51,4 % en 2019.

60 Les usagers réitérants sont également plus souvent condamnés à un sursis probatoire [28], souvent assorti d’une obligation de soin. Les entretiens montrent qu’une réitération vient renforcer dans l’esprit des magistrats l’hypothèse de troubles addictifs, a fortiori lorsqu’il s’agit à nouveau d’ILS. En revanche, même lorsqu’ils constatent une dépendance, ils hésitent à prononcer des soins en l’absence d’antécédents, du moins dans l’hypothèse d’infractions de faible gravité, car cela suppose de prononcer un sursis probatoire, qui constitue malgré tout une peine d’emprisonnement. A contrario, lorsque les antécédents s’accumulent, il n’est plus question de soins, du moins hors les murs, les peines d’emprisonnement ferme étant alors privilégiées. Les magistrats sont également sensibles aux révocations de sursis probatoires antérieurs. Sans que cela soit systématique, l’échec d’une première obligation de soin peut les amener à douter de l’intérêt d’en prononcer une nouvelle. Pour une présidente d’audiences correctionnelles de Sesnières, « objectivement ça fait vraiment partie des rares indices qui ne sont vraiment pas bons » et « il faut reconnaître qu’on va plus réfléchir à la question d’une peine ferme » (e65). Le procureur de la République de Moussoux indique lui aussi en requérir dans cette hypothèse, indiquant au prévenu à l’audience : « Écoutez, monsieur ou madame, on vous a aidé une ou deux fois, ça change rien. C’est plus de notre ressort. Nous, on est obligé d’en revenir… c’est sans doute insuffisant mais on n’a pas d’autre arme à l’aspect sanction du passage à l’audience, point barre » (e48).

61 À l’aune de ces différents critères judiciaires (types d’infractions, antécédents), il apparaît qu’un grand nombre d’usagers problématiques ou dépendants poursuivis se trouvent condamnés à un emprisonnement ferme plutôt qu’à une alternative sanitaire. Quel que soit le produit, la moitié de ceux pour lesquels un abus ou dépendance était mentionné dans le dossier ont été condamnés à un emprisonnement ferme (53,2 %), surtout parmi les consommateurs d’opiacés ou de crack (83,3 %), dans une moindre mesure de cocaïne (54,8 %) et de cannabis (43,9 %) [29]. Il faut encore ajouter le poids de plusieurs marqueurs sociaux.

Le poids des critères sociaux au risque de discriminations

62 Les prévenus sans emploi (non retraités et non scolarisés) ont presque deux fois plus souvent été poursuivis et condamnés à un emprisonnement ferme. Les écarts sont encore plus marqués au détriment des sans domicile fixe (SDF) et de ceux qui vivent dans des logements très précaires (squats, caravanes, etc.). En effet, les trois quarts ont été poursuivis et près de la moitié ont été condamnés à un emprisonnement ferme. Il convient toutefois d’appréhender ces indicateurs avec précaution, les informations de personnalité étant diversement renseignées et d’une fiabilité relative (Gautron, Retière, 2013). Ces différences de traitement résultent partiellement de corrélations étroites entre le fait de se trouver sans emploi et/ou sans logement, d’être interpellé pour d’autres ILS qu’un simple usage et d’avoir des antécédents judiciaires. Toutefois, les analyses multivariées confirment l’existence de discriminations négatives. Toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d’une peine pécuniaire est divisée par deux lorsque les prévenus sont sans emploi ou en situation de précarité sur le plan du logement [30]. Il en va de même pour les stages [31], en raison de leur coût prohibitif pour les justiciables sans ressources (Gautron, Raphalen, 2013). Il s’agit donc moins d’une discrimination fondée sur des préjugés, que d’une prise en considération de leur insolvabilité. Mais les seules alternatives disponibles sont alors objectivement plus sévères qu’une simple amende. Comme la probabilité de poursuites [32], celle d’un emprisonnement ferme est plus d’1,5 fois supérieure [33]. Ce recours accru à l’emprisonnement ferme n’est pas sans effet sur le prononcé de soins pénalement ordonnés. Si l’emploi n’est pas discriminant, les publics en situation de précarité sur le plan du logement sont deux fois moins souvent condamnés à un sursis probatoire [34] et la probabilité de soin est divisée par près de trois [35]. Leurs problématiques addictives sont pourtant plus prégnantes, notamment parce que l’on retrouve une plus forte proportion de consommateurs d’opiacés ou de crack, à la différence de la cocaïne qui concerne plus souvent des consommateurs insérés.

63 Ce sort particulier résulte d’un autre critère décisionnel des magistrats : les garanties de représentation (voir également Gautron, Retière, 2013). En l’absence d’adresse fixe, ils craignent que les prévenus ne se présentent pas à l’audience de jugement et, en l’absence d’emprisonnement ferme, qu’ils n’exécutent pas les alternatives prononcées, sans possibilité de les retrouver. Ceci explique le prononcé plus fréquent d’emprisonnements fermes, ainsi qu’un moindre recours au sursis probatoire, avec pour conséquence un moindre accès aux soins. Une finalité plus répressive, centrée sur l’effectivité de l’exécution des peines, tend alors à l’emporter sur le traitement des problématiques sanitaires, quand bien même les magistrats y verraient un facteur de récidive. Pour des raisons similaires, un emprisonnement ferme est 2,5 fois plus probable à l’encontre des prévenus de nationalité étrangère [36]. Les magistrats craignent alors une fuite dans leur pays d’origine, ce qui les amène à écarter un sursis probatoire. Les facteurs de discrimination tenant au logement, à l’emploi et à la nationalité se cumulent par ailleurs, puisque les étrangers sont plus souvent en situation de précarité. L’exclusion des obligations de soins s’explique aussi par la barrière de la langue lorsqu’ils ne parlent pas français. Comme le souligne une présidente d’audiences correctionnelles, il faut alors « que la personne vienne avec un interprète. Donc ça, c’est une réelle difficulté. Parce que, venir avec un interprète c’est une chose, mais en plus, qui va le payer ? » (e42).

Conclusion

64 L’analyse croisée des évolutions de la législation et des pratiques judiciaires, ancrées dans leur contexte institutionnel, organisationnel, mais aussi politique et social, national autant que local, met en évidence une transformation profonde du traitement judiciaire des infractions à la législation sur les stupéfiants impliquant des consommateurs adultes en deux décennies, entre les années 2000 et la fin des années 2010. La plupart des réponses pénales en matière d’usage simple de stupéfiants relèvent désormais du parquet, dont la position statutaire explique une plus grande perméabilité aux injonctions politiques. Si les réformes pénales ne sont pas sans influence sur cette évolution, cet article montre que les normes textuelles constituent plus une ressource qu’une contrainte impérative, dont témoignent des appropriations très diversifiées sur le territoire. Ces réformes ont d’ailleurs moins revisité le droit pénal de fond que les règles de procédure, en multipliant les orientations procédurales envisageables, à la discrétion des magistrats du parquet. Les procédures et les sanctions privilégiées témoignent sans nul doute d’une sévérité accrue depuis les années 2000. Cependant, celle-ci reste sans commune mesure avec le quantum de l’emprisonnement ferme prévu par le Code pénal. Ces mutations révèlent surtout l’incorporation, dans les pratiques, d’une logique de plus en plus gestionnaire, moins sensible à la question du sens et des objectifs de la sanction. Les parquets font en effet de plus en plus primer la gestion des flux sur une perspective thérapeutique ou préventive, quoique à des degrés variables selon les juridictions et selon les professionnels de la justice, qui témoignent de leurs difficultés à endosser un rôle de prescripteur de soins. Depuis la fin des années 2010, une nouvelle étape de ce processus de « désanitarisation » se profile, avec la récente délégation du pouvoir de sanction aux forces de l’ordre. Outre qu’elle court-circuite toute intervention judiciaire, cette réforme pourrait sonner le glas des orientations thérapeutiques pour nombre d’usagers majeurs interpellés, désormais verbalisés sur-le-champ plutôt qu’orientés vers le parquet.

65 Si l’ensemble des consommateurs n’expriment pas le besoin d’une prise en charge sanitaire, l’affaissement du paradigme faisant primer les soins ou des incitations aux soins sur la répression, initialement affirmé dans la loi du 31 décembre 1970, produit inéluctablement des effets sur les usagers dépendants. Ces réformes de procédure ne sont pas sans effet sur les peines : au-delà même de leur sévérité intrinsèque, la suppression des classements sans suite conjuguée à l’augmentation des poursuites, surtout des procédures simplifiées de jugement, a conduit à une hausse mécanique du nombre de récidivistes depuis 20 ans. Du fait d’une logique de gradation des réponses pénales au fil des réitérations, ce phénomène participe de l’aggravation des peines. Au principe d’individualisation de la peine qui s’impose aux juridictions de jugement (art. 132-1 du Code pénal) répond désormais un principe tacite d’individualisation des procédures par le parquet. Les normes professionnelles et les critères décisionnels qui guident en pratique cette individualisation, partagés par le siège et le parquet, expliquent qu’ils renoncent bien souvent au prononcé d’alternatives sanitaires, malgré l’identification d’une dépendance aux drogues. La nature des faits reprochés, les types de produits consommés et leurs antécédents judiciaires les amènent à privilégier des poursuites, puis une incarcération, a fortiori à l’encontre des plus précaires et des prévenus de nationalité étrangère. On observe ainsi de profondes inégalités de traitement, qui se retrouvent à l’échelle territoriale en ce qui concerne les réponses pénales des parquets.

66 Malgré la systématisation des réponses pénales depuis 20 ans, dans le cadre d’une législation sur le cannabis qui compte parmi les plus sévères d’Europe, la France se distingue pourtant par des niveaux de consommation très supérieurs à la moyenne européenne, même si l’usage régresse depuis dix ans parmi les plus jeunes (OFDT, 2022). Ce « French paradox » soulève l’hypothèse d’une focalisation sur la répression de l’usage, au détriment de la lutte contre le trafic, et donc porteuse de peu d’effets sur la réduction de l’offre de stupéfiants. Au niveau européen, la France compte dans le groupe restreint de pays qui ont accru la fréquence des sanctions pénales pour usage simple de drogues depuis les années 2000, à rebours des pays qui ont dépénalisé l’usage et la détention de petites quantités de cannabis et de ceux qui envisagent l’option d’une légalisation, comme l’Allemagne, la Suisse ou encore l’Italie, à la suite d’une vingtaine d’États aux États-Unis, de l’Uruguay et du Canada (Obradovic, 2022). Dans cet environnement légal changeant sur le statut du cannabis, les recherches scientifiques consacrées à la mise en œuvre des expériences étrangères s’avèrent importantes, même si leurs effets demeurent contrastés et difficiles à évaluer (Da Agra, 2009 ; Scheim et al., 2020 ; Decorte et al., 2020 ; Stevens, 2022 ; Benoit, 2023 ; Lévesque, 2023 ; Obradovic, 2023).

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Mots-clés éditeurs : politiques pénales, sanctions pénales, usage de drogues, obligations de soin, alternatives aux poursuites

Mise en ligne 27/10/2023

https://doi.org/10.3917/ds.473.0363

Notes

  • [1]
    Si le terme générique de « drogue » regroupe à la fois des produits dont l’usage et la vente sont autorisés (tabac, alcool) et des produits classés comme stupéfiants au niveau international (cannabis, héroïne, cocaïne, etc.), nous privilégierons ici ce vocable plutôt que celui de « stupéfiant » pour deux raisons principales. D’abord parce que le terme de « stupéfiant » relève majoritairement du langage policier en France, tandis que le mot « drogue » est plus couramment utilisé, et aussi moins connoté. Par ailleurs, la catégorisation institutionnelle de certains produits comme stupéfiants est le produit d’un contexte historique, ceux-ci n’ayant pas toujours été interdits. 2 Circulaire du 15 décembre 1969.
  • [3]
    Au maximum 450 €, mais les sommes exigées par les juridictions varient sur le territoire, le plus souvent aux alentours de 250 €.
  • [4]
    Circulaire du 12 mai 2017.
  • [5]
    Sont donc exclus les dossiers dans lesquels les auteurs d’ILS ne consommaient pas eux-mêmes.
  • [6]
    Ces professionnels de santé n’interviennent pas en tant que thérapeutes, mais sont chargés de contrôler la bonne exécution des injonctions thérapeutiques.
  • [7]
    Source : données du service statistique (SDSE) du ministère de la Justice.
  • [8]
    L’ensemble de ces statistiques d’activité sont désormais disponibles sur le site internet du ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/.
  • [9]
    Odds ratio : 1,831 [1,033 – 3,245] ; signif. : 0,036.
  • [10]
    Odds ratio : 4,918 [2,512 – 9,628] ; signif. : 0,000.
  • [11]
    Odds ratio : 11,925 [5,565 – 25,554] ; signif. : 0,000.
  • [12]
    Au regard de la faible rémunération et du manque d’addictologues, la plupart des juridictions peinent à trouver des volontaires.
  • [13]
    Dépêche relative à la mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l’article L.3421-1 du code de la santé publique (usage de stupéfiants), Direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice, 31 août 2020.
  • [14]
    Dépêche du 31 août 2020, op. cit.
  • [15]
    p = 0,001 V de Cramer = 0,261.
  • [16]
    p = 0,001 V de Cramer = 0,156.
  • [17]
    Circulaire du 12 mai 2017.
  • [18]
    Odds ratio : 2,967 [1,484 – 5,917] ; signif. : 0,002.
  • [19]
    Odds ratio : 2,325 [1,291 – 4,186] ; signif. : 0,005.
  • [20]
    Directeur d’une association socio-judiciaire animant des stages, Milleville (e21).
  • [21]
    Sont ici pris en compte tous les types d’antécédents (ILS ou pour d’autres infractions), qu’ils aient donné lieu à une inscription au casier judiciaire après condamnation par une juridiction de jugement ou à une alternative aux poursuites prononcée par le parquet.
  • [22]
    Odds ratio : 10,753 [6,622 – 17,544] ; signif. : 0,000.
  • [23]
    Odds ratio : 0,140 [0,084 – 0,233] ; signif. : 0,000.
  • [24]
    Vice-procureur chargé des stupéfiants, Milleville (e13).
  • [25]
    Odds ratio : 3,115 [1,776 – 5,464] ; signif. : 0,000.
  • [26]
    Source : Ministère de la Justice/SG/SDSE/ fichier statistique du Casier judiciaire national. Au sens juridique, la réitération signifie que le condamné a déjà été sanctionné pour une infraction par le passé, mais dans des conditions ne permettant pas de retenir la récidive, notamment du fait du délai entre la commission des deux infractions.
  • [27]
    Source : Ministère de la justice/SG/SDSE, Exploitation statistique du Casier judiciaire national des personnes physiques.
  • [28]
    Odds ratio : 2,208 [1,190 – 4,082] ; signif. : 0,012.
  • [29]
    p = 0,001 V de Cramer = 0,323.
  • [30]
    Odds ratio : 0,501 [0,345 – 0,729] ; signif. : 0,000.
  • [31]
    Odds ratio : 0,421 [0,225 – 0,789] ; signif. : 0,007.
  • [32]
    Odds ratio : 1,642 [1,045 – 2,580] ; signif. : 0,030.
  • [33]
    Odds ratio : 1,561 [1,041 – 2,342] ; signif. : 0,030.
  • [34]
    Odds ratio : 0,454 [0,232 – 0,888] ; signif. : 0,020.
  • [35]
    Odds ratio : 0,372 [0,168 – 0,826] ; signif. : 0,014.
  • [36]
    Odds ratio : 2,547 [1,487 – 4,361] ; signif. : 0,001. Aux États-Unis, des auteurs observent que les niveaux de criminalisation des différents types de drogues résultent également d’effets de race et de classe (voir notamment Dollar, 2019 ; Omori, 2019).
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