Couverture de DS_464

Article de revue

Nurseries pénitentiaires

Subtilités du travail des surveillantes en espaces singuliers

Pages 453 à 487

Notes

  • [2]
    Les raisons invoquées pour justifier l’âge limite de présence des enfants en prison sont diverses. Dans les pays occidentaux, la théorie de l’attachement sous-tend ce temps de présence auprès des mères détenues, cependant ce critère varie en fonction de l’âge estimé de séparation et de « qui » peut incarner cette figure d’attachement (Wolleswinkel, 2002). En France, on estime à 18 mois l’âge à partir duquel les effets négatifs de la détention l’emportent sur les effets de la séparation avec la mère. En Espagne, ce même critère a justifié la baisse de l’âge limite, mais elle se doit également à l’augmentation de la population carcérale féminine (Yagüe Olmos, 2006). D’autres critères peuvent entrer en ligne de compte telle la période d’allaitement ou l’insuffisance de structures institutionnelles et familiales aptes à la prise en charge de l’enfant à l’extérieur (par ex. Ventura et al., 2015, sur le Brésil).
  • [3]
    Ces mesures ont un impact différentiel sur la population des détenues, notamment sur les femmes étrangères ou marginalisées qui pourront plus difficilement en bénéficier.
  • [4]
    Voir également le dossier « Parentalités enfermées » (Champ Pénal/Penal Field, 2014), en particulier les articles de Da Cunha et Granja sur le Portugal et de Boutron et Constant sur le Pérou qui, outre le texte de Cardi cité, incluent dans leurs analyses la maternité dans des quartiers mère-enfant.
  • [5]
    Il existe diverses manières de nommer ces espaces. Le terme « unité nurserie », proposé par Amado (2018), permet d’inclure l’ensemble des structures accueillant les mères et les enfants ainsi que les femmes enceintes. J’emploierai également le terme « nurserie ».
  • [6]
    Les « cellules mère-enfant », éparpillées sur le territoire, se trouvent dans l’impossibilité, à la fois, de mettre en place les conditions minimales d’accueil des enfants et de pallier le problème de l’éloignement familial que cette dispersion entendait réduire (Amado, 2018 ; Simon, Touraut, 2020).
  • [7]
    Les maisons d’arrêt sont censées héberger des personnes en détention provisoire ou condamnées à de courtes peines (moins de deux ans) ; les centres de détention accueillent des personnes condamnées à des peines supérieures à deux ans.
  • [8]
    J’en profite pour remercier ici ces institutions de recherche pour leur soutien, Marc Bessin et Helena Hirata qui m’ont accueillie au sein des laboratoires IRIS et GTM-CRESPPA, ainsi que les membres du Laboratoire de recherche et d’innovation et les fonctionnaires des centres pénitentiaires ayant permis ma présence au sein des nurseries.
  • [9]
    On pourrait employer le terme d’immersion ethnographique, si ce n’est que cette immersion ne peut qu’être partielle, car affectée par les limites imposées par chaque structure mais surtout par la condition de personne « extérieure » à la prison.
  • [10]
    Circulaire du 10 mai 1861.
  • [11]
    Circulaire d’application du décret du 8 décembre 1998 daté du 18 août 1999. Pour une lecture critique exhaustive du cadre juridique de l’enfant en prison, voir la thèse d’Ariane Amado (2018).
  • [12]
    Une convention datant du 6 décembre 1995 définit le cadre et les modalités d’intervention de la congrégation au sein de l’administration pénitentiaire. Elles doivent notamment respecter le principe de laïcité et de neutralité du service public (mais peuvent porter l’habit).
  • [13]
    Par exemple, 315 enfants auraient séjourné à la nurserie de la prison de Fleury-Mérogis entre 1974 et 1990 (Rostaing, 2019) ; ils ont été 488 de 1991 à 2019. Cela représente un peu moins de 18 bébés par an en moyenne.
  • [14]
    En métropole, la distance entre les lieux de détention et de résidence serait de 137 km pour les femmes en nurserie contre 74 km pour l’ensemble de la détention pour femme (Simon, Touraut, 2020).
  • [15]
    Il s’agit de mères accompagnées de leur enfant et de femmes enceintes présentes en nurserie qui ont accouché pendant leur détention et réintégré la structure avec leur nouveau-né.
  • [16]
    Outre les mères avec enfant et les femmes enceintes de plus de six mois, deux détenues appelées « filles de service » vivent au sein de l’une des nurseries où elles s’emploient à la propreté des lieux (avec les détenues qui y sont également affectées tour à tour) et aux repas des enfants.
  • [17]
    Voir, entre autres, Milhaud (2017) ou les dossiers récemment consacrés à l’espace et l’enfermement, par ex., Annales de Géographie (2015) ; Espaces et Sociétés (2015) ; Champ pénal/Penal Field (2020). En Angleterre, la carceral geography constitue un champ de recherche récent au sein de la géographie humaine ayant pour objet l’étude spatiale des pratiques et institutions d’enfermement (Moran, 2015).
  • [18]
    Conformément aux normes de la circulaire du 18 août 1999.
  • [19]
    Entretien avec un fonctionnaire de la DAP. Dans les faits, lors de mon terrain, l’UNB n’avait pas encore servi à héberger cette population.
  • [20]
    Composée d’une sage-femme, de deux gynécologues, d’un psychologue, d’une puéricultrice, et de deux éducatrices de jeunes enfants. Nous la nommerons unité.
  • [21]
    D’autres raisons pourraient expliquer ce départ. Un haut fonctionnaire de l’AP a fait mention de conflits entre l’unité et la PMI et de l’usure produite par des tensions liées aux détenues de retour de Syrie. On nous a fait également part de la détérioration de leurs conditions de travail au sein de la nurserie.
  • [22]
    Par exemple, désamorcer des conflits potentiels entre les détenues, anticiper (en fonction de la situation et de la personne concernée) la crise de colère ou d’angoisse, chercher à résoudre des situations diverses de blocage (documents, visites, autorisations diverses, etc.), quitte – comme j’en ai été témoin – à essuyer les remarques désobligeantes de collègues d’autres secteurs.
  • [23]
    Il s’agit du « jugement de beauté » que seuls peuvent délivrer ceux et celles qui connaissent « de l’intérieur » les complexités du travail. Il participe, avec le « jugement d’utilité », délivré par la hiérarchie, de la dynamique de la reconnaissance et de la production identitaire (Dejours, 1993).
  • [24]
    Les mères (qui ne travaillent pas) peuvent sortir de 9 heures à 11 heures puis de 15 heures 30 à 17 heures 30, les femmes enceintes de 10 heures 30 à 11 heures 30 puis de 14 heures 30 à 16 heures 30 ; les portes qui restaient ouvertes sont maintenues fermées, privant les femmes de mobilité entre les cellules et entre cellules et espaces communs. Les fins de semaine, les heures d’ouverture sont plus amples.
  • [25]
    Pour nombre de femmes, notamment étrangères, non seulement la crèche mais encore le type de rapport à l’enfant et à son développement ne sont en rien évidents. Certaines estiment que la place de l’enfant est avec sa mère et non pas dans une institution (un point de vue qui peut évoluer avec l’expérience de la mise en crèche) ; pour d’autres, au contraire, les bébés sont pris en charge par le groupe des femmes de la famille et non pas par la mère, dans un rapport d’exclusivité et d’intimité qui s’avère difficile à vivre.
  • [26]
    La crèche représente une dépense mensuelle de plus ou moins 40-50 euros, sur des revenus avoisinant les 250 euros (qui servent à cantiner, à téléphoner, à aider des proches à l’extérieur, à payer les parties civiles). Le Secours Catholique prend en charge les factures des mères dépourvues de ressources.
  • [27]
    Ainsi, le placement en crèche était obligatoire 3 heures par semaine afin que l’enfant (mais aussi sa mère) s’habitue aux auxiliaires qui le prendront en charge en cas de nécessité. Des discussions tendues avaient lieu entre différents acteurs autour de l’obligation de placement des bébés, notamment dès leur naissance, souhaitée par certains dans un but soit de remplissage, soit de contrôle de la relation mère-enfant, et rejetée par d’autres au nom des droits parentaux.
  • [28]
    J’emprunte cette expression à Jean-Pierre Warnier (1999).
  • [29]
    Cet exemple est intéressant car l’établissement se caractérise par l’absence de barreaux aux fenêtres, mais dans la nurserie, les acteurs le justifient au nom de la présence de bébés, ce qui répond d’ailleurs aux recommandations de la circulaire d’août 1998. Au cours de mon séjour, certaines fenêtres de la maison d’arrêt ont été équipées de barreaux à la suite d’une tentative d’évasion. La nurserie n’a pas été épargnée.

Introduction

1 Présentes au sein de certaines prisons pour femmes, les nurseries pénitentiaires accueillent des détenues accompagnées de leurs enfants. En France, ils peuvent y rester jusqu’à l’âge de 18 mois. La naissance et la présence de jeunes enfants posent des problèmes épineux à l’institution pénitentiaire qui, contrairement à ce qui fait le fondement de sa mission sociale, doit prendre en charge des personnes non détenues, qui plus est de jeunes enfants. Comment conjuguer l’incarcération de la mère avec à la fois la liberté inaliénable du nouveau-né (qui supposerait la séparation d’avec sa mère) et les besoins affectifs essentiels à son développement initial, le plus souvent prodigués par ses parents, et en particulier par sa mère (ce qui suppose qu’il demeure avec elle) ? Ce problème renvoie à des questions à la fois éthiques et philosophiques, mais représente également un défi pratique et très concret pour l’organisation pénitentiaire (Rostaing, 1997).

2 Les réponses apportées à cette problématique varient selon les pays, en fonction de leur histoire, de l’évolution des institutions, des représentations de la famille et de la maternité. Ces variations concernent la présence ou non de l’enfant auprès de sa mère, la durée de cette présence, les infrastructures mises en place, les institutions impliquées. Ainsi, par exemple, la Suède évite que les bébés restent en prison, tandis que le Portugal, la Suisse, la Belgique ou le Danemark acceptent leur présence auprès de leurs mères jusqu’à l’âge de 3 ans ; en Angleterre et en France ils peuvent rester jusqu’à leurs 18 mois [2]. Les variations se reflètent également au sein des pays, que ce soit du point de vue de l’âge (en France, l’âge de présence des enfants est passé de 4 ans à 18 mois, en Espagne de 6 à 3 ans), de l’organisation politique (au sein des États fédéraux, par exemple), ou des structures (prisons semi-ouvertes ou fermées). De même, des mesures peuvent être prises en amont pour éviter l’incarcération des femmes enceintes et/ou des mères de jeunes enfants ou favoriser leur libération conditionnelle [3].

3 Les nurseries pénitentiaires ont également donné lieu à des recherches. Pas très nombreuses, elles se centrent sur les populations hébergées dans ces structures (femmes et enfants) et s’accompagnent souvent d’une analyse genrée de ces dispositifs, au regard des politiques pénales ou des normes sociales. L’étude des nurseries peut intégrer des thématiques plus amples, comme la parentalité en prison, le gouvernement des corps ou la gestion de la déviance féminine. En France, les travaux de Corinne Rostaing (1990, 1997, 2019) puis de Coline Cardi (2007, 2014) sont incontournables sur ce sujet [4]. Partout, les recherches sur les nurseries et la maternité en prison s’adaptent aux réalités locales, non seulement l’organisation des structures et les politiques pénales, mais également les héritages de pratiques punitives (dictatures, colonialisme), le poids des conceptions (genrée) de la famille et de la maternité, ou des rapports sociaux de classe et de race (surreprésentation de populations racisées, migrantes, autochtones, afro-américaines, etc.).

4 En France, les unités nurserie (UN) [5] accueillant les mères accompagnées de leur enfant présentent une grande disparité que l’on peut schématiser en opposant les « quartiers nurserie » – espaces séparés, dédiés à l’accueil des femmes enceintes et des mères avec enfants – des « cellules mère-enfant ». Ces dernières se trouvent enclavées au sein de la détention et les mères peuvent se retrouver d’autant plus isolées que leur enfant n’est pas censé croiser d’autres détenues [6]. Les UN présentent également de grandes disparités en fonction de l’espace alloué, des services accessibles, des partenariats établis et des personnels présents. Ces conditions pèsent sur le quotidien de ces entre-soi féminins où évoluent les détenues, leurs enfants, les surveillantes et, parfois, les intervenants extérieurs, centrés sur la présence de bébés censés évoluer comme « à l’extérieur ».

5 L’analyse proposée repose sur deux unités nurserie de type « quartiers », que nous nommerons UNA et UNB, l’une ancienne, l’autre récente, l’une ample, l’autre minuscule, l’une bénéficiant de services variés tandis que l’autre en est dépourvue. La nurserie A se situe en maison d’arrêt, la B en centre de détention [7]. Ces caractéristiques ont pour effet un déséquilibre dans l’analyse en faveur de l’UNA, beaucoup plus développée que l’UNB. Cette dernière offre un contrepoint à l’analyse de l’UNA, dont l’organisation et les conditions d’accueil sont par maints aspects exceptionnelles.

6 L’analyse prend appui sur les nurseries en tant que lieux de vie et de travail dynamiques, produits et contraints à la fois par les conditions architecturales, des logiques d’intervention divergentes, et des exigences contradictoires qui pèsent sur l’activité des professionnelles présentes. Elle se centre sur le travail quotidien des surveillantes auprès des mères accompagnées de leur enfant, là où elles ont pu développer des savoir-faire et des approches relationnelles spécifiques à la source de l’élaboration d’une identité professionnelle propre, qui se heurte au déni de reconnaissance de l’institution pénitentiaire. De ce point de vue, elles apparaissent comme le miroir grossissant des rigidités d’un système centré sur la sécurité au détriment de la réalité des pratiques.

7 L’article se divise en trois parties. Dans un premier temps, nous revenons sur certains éléments du processus historique à l’origine des UN ainsi que de leur situation actuelle afin de mieux situer l’étude des cas proposés. Dans un deuxième temps, ces derniers sont saisis du point de vue de leurs configurations et dynamiques spatiales. La présence sur deux terrains très distincts qui fait apparaître en l’espace un acteur à part entière, complexe, dynamique, qui agit sur l’organisation et le travail en nurserie tout en étant transformé par ces derniers. Il peut, dans certains cas, servir de support d’identification professionnelle. La troisième, se centre sur l’UNA, où l’organisation du travail et de l’espace conjuguée à l’expérience et l’ancienneté des surveillantes rendent possible l’élaboration d’une identité professionnelle particulière. L’analyse porte sur les spécificités et subtilités du travail quotidien, discret mais essentiel de ces professionnelles, qui font face à des exigences contradictoires de la part d’un système qui peine à les reconnaître.

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Aparté méthologique
Cette analyse repose sur une recherche sur les nurseries pénitentiaires qui s’est déroulée de septembre 2019 à janvier 2020 au sein de deux prisons françaises pour femmes, un centre de détention (CD) et une maison d’arrêt. La recherche a reçu le soutien financier du programme Directeurs d’études associés de la Fondation de la Maison des sciences de l’homme 2019 (DEA FMSH) ainsi que l’« Aide au séjour de chercheur étranger 2019 » du Laboratoire d’excellence individus populations sociétés (Labex IPOPS-INED) [8]. Elle visait à saisir le rapport au travail et au care dans ces espaces contraints, « enclaves » carcérales marquées par la présence « incongrue » de bébés. Deux conditions interconnectées sous-tendaient mon approche : privilégier une présence au plus près des acteurs qui font vivre les nurseries au quotidien (détenues, surveillantes, intervenantes extérieures) et ne pas déterminer a priori les porteurs et rapports de care.
Les deux espaces analysés étaient bien distincts. Au sein du CD, la nurserie n’ayant que deux places, j’ai été conviée à étendre ma recherche au secteur de la détention pour femmes. Outre les femmes logées dans la nurserie, j’ai ainsi pu avoir des échanges formels et informels avec plusieurs autres détenues et membres du personnel (de l’administration pénitentiaire et intervenants extérieurs). Au sein de la maison d’arrêt, la nurserie occupant un secteur séparé du reste, la recherche s’est restreinte à cet espace au sein duquel j’ai pu déambuler avec aisance et réaliser divers entretiens avec des professionnelles de la surveillance, de la petite enfance, des intervenantes extérieures, et des détenues. Le développement de la recherche a également été contraint par les configurations spatiales de chacun de ces lieux. La nurserie de la maison d’arrêt présente plusieurs lieux de rencontres et d’échanges accessibles, pour les détenues ou les professionnelles. Dans le cas du centre de détention, tout n’est que passage et circulation, ce qui rend les lieux de rencontre spontanée, de coprésence et d’échanges plus difficiles (ces derniers font alors l’objet d’un déplacement vers les espaces d’activité, les locaux affectés aux rendez-vous formels et les cellules).
Une vingtaine d’entretiens « formels » (enregistrés) ont été réalisés, cependant la présence soutenue [9] et l’approche ethnographique se sont avérées plus adaptées à ces espaces par définition « clos », marqués par le poids des contraintes, des inégalités structurelles, des rapports de domination et de la méfiance. Ainsi, la recherche a-t-elle essentiellement été conçue comme un temps de présence, d’observation et d’écoute, d’échanges et d’accompagnement. J’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs événements sociaux internes (fêtes, remise de diplôme, diffusion de film, etc.), de visiter divers espaces (en particulier au CD), d’assister à des réunions d’équipes et à des ateliers de formation. J’ai également été témoin d’événements intempestifs et violents. Toutefois, une partie importante de l’enquête a consisté en de longues heures de simple présence, avec les hauts et les bas de la vie quotidienne. Je participais aux activités et aux tâches ordinaires et partageais diverses instances de vie et de travail (au sein des espaces communs, de la crèche, pendant les repas), donnant à l’occasion des coups de main ici et là (traductions, menus rangements, etc.), j’ai éprouvé à l’occasion le poids des heures lentes, qui peinent à passer. Chaque visite et échange faisaient par la suite l’objet d’une prise de notes détaillée afin de ne pas oublier la multitude de gestes, de paroles, d’émotions, de pratiques infimes, qui tissent la trame du quotidien dans ce milieu contraint. Ces notes, consignées dans trois cahiers, sont d’autant plus importantes que nombre de ces attitudes et pratiques ne sont pas réfléchies, préméditées, et que la prise de parole n’est pas aisée. Elles se complètent par les entretiens réalisés et s’enrichissent de divers documents internes (demandes de détenues, cahiers de consignes, dossier de presse de la crèche, rapports de stage, entre autres). Pour des raisons éthiques et de confidentialité, d’autant plus importantes que les espaces et équipes concernés sont réduits, seule la fonction professionnelle accompagnera les citations et aucun élément distinctif des personnes citées ne sera donné.

Situer les unités nurserie : antécédents historiques et panorama actuel

Bref retour historique

9 Les UN découlent des réponses données au cours du temps à l’incarcération problématique des femmes enceintes et la présence de nouveau-nés et de très jeunes enfants en prison. Elles reflètent notamment l’évolution du statut de l’enfant, parallèlement à celui de la mère et de la maternité, alors que la figure de la « mère délinquante » demeure comme triplement déviante : au regard de la loi, des normes de genre et des normes de la maternité (Rostaing, 2019).

10 Longtemps, le jeune enfant n’a pas de statut particulier, à peine est-il vu comme une « ébauche, un être imparfait et inquiétant » (Lebrun, 1986, 248), constamment menacé de trépas. Il faut attendre le milieu de XVIIIe siècle pour qu’il fasse peu à peu l’objet d’une attention nouvelle, et que l’indifférence fasse place à la vigilance (Lebrun, 1986). Toutefois, les enfants des prisonnières (souvent « illégitimes ») sont, du fait du statut pénal de leurs mères, assimilés à des enfants abandonnés et, pour la plupart, placés à l’hospice. Plusieurs phénomènes, tels la réprobation du placement en nourrice, l’attention croissante portée à l’allaitement mais également le coût des hospices, conduisent les autorités à se pencher sur le sort des enfants de détenues. En 1861, une circulaire [10] du ministre de l’Intérieur introduit la possibilité pour les femmes détenues de garder leur enfant auprès d’elles dans les prisons départementales. Dans un premier temps, l’enfant peut demeurer trois ans auprès de sa mère, sous condition d’allaitement (considération pécuniaire), puis cette période est étendue à quatre ans sous la IIIe République. Le droit à la maternité des prisonnières s’émancipe du sevrage pour s’inscrire dans des fondements à la fois moralisateurs – vis-à-vis des mères – et sanitaires (Le Pennec, 2017). La moralisation des détenues par le biais de la maternité, qu’elle vise le redressement des femmes ou la protection de l’enfant, perdure sous d’autres formes – comme le montre C. Cardi (2007) dans l’analyse qu’elle offre de la gestion sociale de la déviance féminine.

11 Après la Deuxième Guerre mondiale, l’âge de présence des enfants en prison auprès de leur mère est ramené à 18 mois, pour des raisons qui, cette fois, concernent les enfants et leur développement psychologique. En 1958, le nouveau Code de procédure pénale assoit les bases de l’accueil des enfants en prison, qu’il inscrit – alors qu’ils ne sont pas détenus – au sein des règles pénitentiaires. C’est toutefois une circulaire d’application émanant de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) qui détaille leurs conditions d’accueil [11]. Pour Amado (2018), la pauvreté des textes encadrant la présence de l’enfant en prison témoigne du malaise autour de cette question. Ainsi, les mesures plus récentes ne portent-elles pas sur l’encadrement de cet état de fait, mais sur la possibilité de l’éviter.

12 Le premier espace dédié aux nourrissons est installé à la prison pour femmes de Saint-Lazare, où naissent autour d’une quinzaine de bébés chaque année. Il s’accompagne déjà de mesures particulières liées à la présence des enfants. Ainsi, les mères ont accès deux fois par jour à un jardin au sein duquel elles ne sont pas assujetties aux contraintes en vigueur (silence, promenade en file indienne) (Frank, 1902). Pour le regard extérieur, à Saint-Lazare, comme aujourd’hui à l’UNA, l’ambiance du quartier tranche avec le reste de la détention :

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Quelle singulière nursery, ce dortoir sous les combles ! À côté, des grands lits, les couchettes pour les bébés. À chaque chevet, une table de nuit, une tablette où sont placés le pot de lait, le biberon, le flacon étiqueté contenant quelques potions prescrites par le docteur. La geôle se fait presque familiale, devient une crèche.
Frank, 1902

14 Avec la fermeture progressive de la prison de Saint-Lazare, la nurserie est transférée vers 1925 à la prison de Fresnes. Là, « [d]ans le bâtiment Est a été aménagée une pouponnière avec dortoirs, réfectoire et salle de récréation, où sont placées avec leur bébé les femmes mères d’enfants de moins de 4 ans » (DAPES, 1937, 3) ; surveillées par des religieuses, elles ont également accès à une cour avec jardin. En 1977, la nurserie quitte Fresnes pour la toute nouvelle maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis, tandis que la maternité demeure à Fresnes où les détenues restent de leur septième mois de grossesse au mois suivant leur accouchement. La loi du 18 janvier 1994, qui transfère la prise en charge de la santé des personnes détenues au ministère de la Santé, bouleverse cette organisation. Désormais, les femmes accouchent à l’hôpital de la ville.

15 Ces différents espaces (nurseries, maternité) ont longtemps été administrés non pas par l’État, mais par des religieuses que l’on aperçoit encore dans certaines prisons. Les religieuses ont longtemps joué un rôle central dans la prise en charge des femmes et des jeunes filles déviantes, promises à une discipline sexuée de type conventuelle et moralisatrice (Rambourg, 2013). Dans les années 1840, à la demande de l’État, les sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde, présentes à Lyon, ont étendu leurs services à l’ensemble des prisons pour femmes, puis se sont professionnalisées (éducatrices spécialisées, infirmières, etc.). Malgré le mouvement de laïcisation du tournant du XXe siècle, elles demeurent présentes au sein des espaces d’enfermement, notamment dans les nurseries où elles cèdent la place aux surveillantes pénitentiaires dans les années 1980. Elles sont encore aujourd’hui trois à Rennes, six à Fleury-Mérogis et ont rejoint les cellules du tribunal de Paris récemment installé aux Batignolles. Elles rendent visite aux détenues, animent des ateliers, rendent de nombreux services de la vie quotidienne [12]. On peut – à titre d’hypothèse – imaginer que le fonctionnement de certains quartiers nurserie actuels, plus fortement marqués par leur longue présence, a pu, dans une certaine mesure, bénéficier de l’autonomie (relative) qui fut longtemps une prérogative des religieuses.

Situation actuelle et profil des détenues

16 Quelle est la situation de nos jours ? Il n’existait, il y a peu, aucune donnée statistique portant sur l’ensemble des structures à même de recevoir des mères avec enfants dans les prisons françaises. Les informations étaient lacunaires, approximatives et souvent divergentes. Certaines unités plus importantes ont, à l’occasion, fait l’objet de dénombrements effectués par des intervenants extérieurs sur la base de documents internes ou d’observation directe [13].

17 Récemment, la DAP a cherché à combler cet écueil par une étude statistique visant à se faire une idée plus précise de la situation générale des femmes incarcérées avec leur enfant au 1er janvier 2019. Seules les femmes sont autorisées à garder leur nouveau-né avec elles, or elles représentent une goutte d’eau dans la population pénale (3,5 %) et se trouvent éparpillées sur le territoire, en général au sein de « quartiers femmes » dans des prisons pour hommes. L’éloignement familial qui touche les femmes s’approfondit dans le cas des femmes incarcérées dans les nurseries [14], puisqu’une trentaine d’établissements sur soixante-dix destinent des cellules à cet usage. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une ou deux « cellules mère-enfant » au sein de la détention ; seules quatre structures ont plus de cinq places et sont dotées d’espaces collectifs (Simon, Touraut, 2020). Les conditions d’accueil varient du tout au tout. Les petites structures auront plus de mal à consacrer un budget spécifique à la nurserie et à établir des partenariats durables. Or, l’absence d’espace collectif et d’un mode de garde extérieur de l’enfant condamnent mères et enfants à un très grand isolement social. Ainsi, bien que les structures les plus importantes, en particulier celle de Fleury-Mérogis, concentrent une proportion importante des mères avec enfant, la grande hétérogénéité des situations tend à tempérer les idées d’« intérêt supérieur » absolu de l’enfant et de « statut suprême » (quoiqu’effectivement ambigu) de sa mère incarcérée (Rostaing, 2019).

18 Selon l’Observatoire international des prisons, autour de 95 enfants sont accueillis en prison chaque année ; ils furent 88 entre janvier 2018 et juillet 2019 (Simon, Touraut, 2020). Les trois quarts d’entre eux sont nés au cours de la détention de leurs mères et sont restés auprès d’elles les premiers mois de leur vie. Deux autres données de cette étude plus large font écho à ce qu’il nous a été donné d’observer : 1) la surreprésentation des femmes étrangères et de l’Outre-mer en UN par rapport à l’ensemble de la détention pour femmes (35 % contre 30 % et 17 % contre 5 % respectivement), particulièrement marquée en région parisienne (plus de 50 % pour les étrangères) du fait de la proximité de l’aéroport international et de la plus grande difficulté à appliquer les mesures visant à éviter l’incarcération ; 2) leur profil pénal : la moitié des femmes sont des prévenues, l’autre moitié est condamnée à des peines essentiellement liées à des affaires de stupéfiants et de vols. Il s’ensuit que, du fait de peines relativement courtes, la plupart d’entre elles sortent de prison avec leur enfant, en fin de peine ou à la suite d’une libération conditionnelle. Rares sont celles qui doivent s’en séparer et en confier la garde à un tiers (le père, la famille, les services sociaux).

19 Ces données générales correspondent assez bien au profil social et pénal des mères détenues rencontrées. Des douze femmes côtoyées de manière plus stable [15], la moitié a entre 18 et 25 ans, et l’autre entre 26 et 39 ans. Sept proviennent de Guyane et du Surinam, une de Roumanie, une d’Afrique anglophone, une de Syrie, une de France et une d’Amérique latine. Les deux détenues « de service » [16] et plusieurs femmes enceintes renvoyées dans leurs pays avant l’accouchement étaient également issues du continent latino-américain. Les trois quarts ont fait l’objet d’une condamnation, la plupart pour « trafic de stupéfiant » – il s’agit essentiellement de « mules », le dernier et plus fragile chaînon de ces trafics – et pour vol. À part trois femmes dont c’était le premier enfant, elles sont en moyenne mères de trois enfants, dont la situation est source d’inquiétude quotidienne, surtout lorsqu’ils sont loin ou ont fait l’objet d’un placement. Les contacts téléphoniques (chers), et plus encore les visites, sont rares. Plus de la moitié des femmes maîtrisent mal ou nullement le français, particularité qui s’imprime sur les rapports entre les détenues et avec les professionnelles et approfondit le sentiment d’incertitude produit par la situation pénale. Si l’UNB a, un temps, bénéficié de places dans une crèche extérieure, au moment de la recherche, les mères demeurent à l’unité avec leurs enfants et doivent s’arranger entre elles pour leur garde éventuelle. L’UNA a connu plusieurs étapes avant d’incorporer au sein de ses locaux une micro-crèche, ce qui permet aux mères de travailler de manière durable et d’avoir des activités. Avant de revenir sur les effets de ces changements, en particulier sur le travail des surveillantes, une première approche plus sensible et matérielle des nurseries analysées vise à montrer les effets, rôles, usages et même appropriations différenciés des espaces, qui apparaissent alors comme des acteurs à part entière des unités nurserie.

L’espace, protagoniste de la dynamique des nurseries

20 L’espace, dès sa conception, n’est pas neutre dans les espaces d’enfermement et les pratiques sociales qui s’y déroulent. La prison représente en effet l’institution par excellence de l’horizon obstrué. L’espace y est surcodé, métrique, de manière soit à fixer, soit à circuler – beaucoup plus rarement à partager. C’est un espace artificiel, obstinément lisse, qui bannit la fantaisie, la flânerie et l’abandon. Le corps du détenu s’y habitue à tel point qu’il se trouve désemparé à l’extérieur. L’espace, à la fois contrainte et objet de détournements et de résistance, est à l’origine du développement de fructueuses recherches sur l’enfermement, à la croisée de la géographie, de l’architecture, des sciences sociales et de la criminologie [17].

21 Issue des observations sur deux terrains différents passés par de récentes transformations, notre approche consiste à saisir de quelles manières l’espace contribue à la dynamique des nurseries, leur quotidien et le travail des professionnelles abordé dans la partie suivante. Il apparaît à la fois comme réalité extérieure qui s’impose, et espace mouvant, habité, investi, produit, susceptible d’étayer l’élaboration d’identités (plus fugitives ou plus solides) qui s’écartent de celles imposées par le système carcéral. L’histoire, les acteurs présents, les injonctions de l’administration, la configuration des lieux, le régime de détention, le travail quotidien des agents sont autant de facteurs qui modèlent cet espace, lequel à son tour détermine ou oriente ces actions. Ainsi, à titre d’exemple, l’UNA est complètement séparée du reste de la détention. Une fois que l’on passe la grille d’entrée du quartier, la nurserie se présente comme un lieu plutôt vaste et ouvert où le regard ne bute pas sans cesse sur des obstacles. Il existe bien des portes grillagées susceptibles de diviser l’espace, mais les surveillantes plus anciennes les maintiennent ouvertes, au nom de la présence des enfants. Cependant, lorsque ce sont leurs collègues de moindre ancienneté qui officient, ces grilles intermédiaires qui segmentent la nurserie sont fermées, les déplacements entravés, la circulation plus lente, et on est frappé par l’aspect quadrillé et hostile qu’offre cet espace ordinairement accueillant.

22 Il ne s’agit pas ici d’opposer l’espace comme dispositif aux résistances dont il est l’objet, mais de penser sa dynamique comme étant également produite et modulée par le vivre ensemble et le travail quotidien. Qu’il s’efface ou qu’il ait un impact réel sur la subjectivité des sujets, il n’est pas neutre. La comparaison est ici éclairante : alors que la petite taille et la disposition de l’UNB, rattachée in extremis à un autre secteur, ne lui permettent pas de s’extraire (physiquement et symboliquement) de la détention, l’UNA, par son développement et son insularité, est un univers « à part », saisi comme tel par ses protagonistes. Pour les surveillantes, en particulier, cet espace (la nurserie), inséparable des particularités de l’activité qu’elles y développent et de l’équipe de travail, est source d’identification, laquelle peut être fragilisée dès lors que ces facteurs sont menacés. Nous y reviendrons le long de cet article.

23 Dans leurs conceptions architecturales, l’UNA et l’UNB ont en commun de se situer dans les bâtiments les plus éloignés du complexe pénitentiaire, comme si leur emplacement matérialisait ces marges de la détention. Entrer au centre de détention des femmes B, suppose le passage de neuf portes ou grilles, puis une fois à l’intérieur, il faut encore franchir un long couloir réservé à la détention en régime fermé puis deux nouvelles grilles pour atteindre la nurserie. Celle-ci est constituée sur la gauche de deux cellules de 15 m2[18], assombries par les barreaux et caillebotis scellés sur les fenêtres qui filtrent la lumière et la vue. Chacune comporte une petite salle de douche et le matériel nécessaire à l’hygiène des bébés. Sur la droite, se trouvent une cuisine équipée avec machine à laver, et une salle de jeux pour enfants. De cette salle, on atteint une petite cour extérieure ceinte d’une grille surmontée de fils barbelés concertina et, plus loin, d’un mur d’enceinte surplombé par un mirador. La cour est agrémentée de grands tableaux colorés dont a fait don un détenu mais qui ne parviennent pas à égayer l’espace. Lors de mon séjour, le désintérêt des détenues présentes pour les espaces collectifs ajoutait au sentiment d’isolement émanant de la nurserie. Si la nurserie B a intégré le projet initial du centre de détention, elle a longtemps été considérée comme inapte à la présence de bébés et servait d’entrepôt. Avec le retour des femmes « radicalisées » de Syrie, elle fut habilitée en 2017 afin de désengorger la nurserie A (la plus grande de la région) et de séparer ces détenues les unes des autres [19]. De menus travaux de mise en conformité furent entrepris, puis, après une convention passée avec la Protection maternelle et infantile (PMI) cet espace fut confirmé dans sa fonction initiale.

24 La nurserie A se situe également à une extrémité de la maison d’arrêt. Toutefois, elle ne constitue pas un prolongement de la détention, mais un secteur spécifique avec personnel affecté, de nombreux intervenants, un régime de détention adapté et un « dispositif sécuritaire allégé » (Scheer et al., 2012). La nurserie se présente sous la forme d’une raquette. Côté « manche » se trouvent, de part et d’autre d’un ample couloir, les bureaux des diverses professionnelles et les locaux nécessaires à son fonctionnement (réserve, cuisine, salle de repos, etc.) ainsi que le téléphone, fixé au mur. Les grilles et les portes peintes en rose orangé sur fond blanc, les murs ornés d’images enfantines, l’absence de haut-parleurs, sont destinés à offrir une atmosphère plus accueillante. Une grille, rarement fermée, donne accès à la « tête de la raquette ». Le centre est occupé par une cour de belle dimension sur laquelle donnent, d’un côté, les cellules destinées aux femmes enceintes et, de l’autre, les cellules mère-enfant. Les fenêtres des cellules, sans barreaux, sont grandes et la vue dégagée. Les dispositifs sécuritaires sont pourtant bien là, dans le fin filin qui quadrille le ciel, les murs d’enceinte et les barbelés que l’on aperçoit à moyenne distance, le blocage de l’ouverture oscillo-battante des fenêtres, les caméras postées le long des couloirs, mais ils se font plus discrets. Les cellules, dont la construction précède l’établissement des normes en vigueur, sont exiguës (moins de 12 m2, dont 3 m2 occupés par un coin toilette) et claires. L’espace est saturé par le mobilier de la cellule (lit, table, chaise, petit réfrigérateur) et celui destiné à l’enfant (lit à barreaux, commode-table à langer). Outre les cellules, cette partie de la nurserie héberge le poste de contrôle des surveillantes, la salle commune agrémentée de tapis et de jeux pour les enfants, une salle de douches collective et, depuis peu, la crèche et une salle de motricité.

25 La crèche de la nurserie A, tout juste inaugurée, témoigne de la dynamique de l’espace, et ses conséquences sur la vie sociale. Son instauration s’est accompagnée d’une transformation physique et organisationnelle de l’unité nurserie (sur laquelle nous reviendrons ultérieurement). La salle commune et la cour extérieure ont été amputées d’une partie importante de leur superficie, destinée à la crèche. La cour de promenade a été divisée par un mur coloré surmonté de concertinas, qui isole la cour de la crèche du reste de l’espace extérieur ainsi tronqué. À l’intérieur, la crèche a été installée dans l’ancienne salle commune-réfectoire, réduisant d’autant l’espace commun destiné aux mères et aux femmes enceintes. Cette réduction a impliqué un échelonnement et une compression des horaires de sortie et contraint la liberté de circulation des détenues. En outre, alors qu’auparavant, quelques places de halte-garderie étaient réservées en ville aux enfants de la nurserie, la mise en place d’une crèche dans la nurserie a importé cet « extérieur » au sein même de la prison. Or, malgré cet encastrement spatial, la crèche n’était pas, dans un premier temps, vraiment destinée à intégrer l’espace de la nurserie ; crèche et nurserie devaient être aussi étanches que possible comme pour préserver cet « extérieur » et ses usagers du milieu pénitentiaire. De ce fait, les auxiliaires de puériculture furent un temps enfermées avec les enfants dans la structure, coupées des mères et contraintes d’appeler les surveillantes pour la moindre sortie. Si cette séparation des espaces et des corps, qu’accompagne une réorganisation des responsabilités (aux auxiliaires de puériculture les bébés, aux surveillantes les détenues-mères), n’a pas résisté à la complexité de la vie en nurserie, elle témoigne indirectement de la dévalorisation des surveillantes et illustre une nouvelle fois l’embarras que suscite la présence en prison d’enfants non détenus, entre « extérieur » et « intérieur », « liberté inaliénable » (des enfants) et enfermement (des mères), « ouverture sur la cité » et « repli sur la mission sécuritaire ».

26 Les profondes différences entre les unités nurseries A et B interrogent la possibilité même d’une comparaison. L’une et l’autre se prêtent à des usages et des appropriations très diverses. D’une certaine manière, l’organisation et les représentations auxquelles elles donnent lieu sont à l’image de leur géographie carcérale. Dans le centre de détention B, l’unité nurserie se situe dans le prolongement d’une longue coursive, tel un insolite appendice. La grille, que l’on voit au loin, a été pourvue d’un plexiglas à mi-hauteur pour cacher aux enfants la vue de ce couloir, promesse interdite de découvertes. À la fois dans et en marge de la détention, la nurserie se fait presque oublier (la plupart du temps les deux mères restent entre elles sans faire de vagues). Il arrive parfois qu’elle perturbe le reste du secteur (dès que le bébé sort avec sa mère, tout le bâtiment est bloqué, afin que l’enfant ne croise pas d’autres détenues), voire toute l’organisation du centre de détention (si le bébé est malade, deux surveillantes de la détention seront tenues de l’accompagner à l’hôpital, ce qui affecte les équipes déjà insuffisantes et, in fine, le fonctionnement de l’ensemble). Pour pallier ces difficultés, le surveillant chef a choisi deux surveillantes parmi les plus anciennes et expérimentées, affectées tour à tour à l’ensemble du secteur (régime fermé et nurserie) pour aider les mères, établir un lien de confiance avec elles et avec l’enfant et, d’une certaine manière, ainsi « raccrocher » la nurserie au reste de la détention. Mais sa taille et la difficulté de mettre en place des partenariats pérennes pour une structure si petite s’accompagnent d’un isolement des mères et enfants, qui évoluent comme « en suspension », dans une bulle spatio-temporelle en marge de la dynamique du centre de détention.

27 La nurserie A est, à l’image de la presqu’île, rattachée au continent, mais jouissant d’une certaine autonomie, à la source d’identification professionnelle. La présence d’un personnel pénitentiaire expérimenté qui lui est affecté, l’existence d’espaces communs permettant de se regrouper et d’échanger, un régime (en principe) portes ouvertes, la présence de nombreux intervenants extérieurs, un ratio professionnelles/détenues qui offre la possibilité d’établir des relations plus personnalisées, font de la nurserie un lieu à part, et revendiqué comme tel par les professionnelles qui en ont la charge. Si ces particularités reposent en grande partie sur la présence des bébés, elles produisent un espace moins anonyme et impersonnel qui touche tous les acteurs. Ici, la nurserie produit, nous le verrons, une identité professionnelle propre, à la fois par différentiation d’avec les surveillantes de la détention et par identification à ce territoire : celle de surveillante de la nurserie.

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Un jour, à l’occasion d’une fête où les partenaires du projet de la crèche sont conviés, le maire de la ville remercie (entre autres) dans son discours « les surveillantes ». Ces dernières ne se reconnaissent pas dans cette appellation générale. L’une d’elles m’interpelle : « Mais quelles surveillantes ? C’est ambigu. Des surveillantes, il y en a plein derrière. Quelles surveillantes ? L’équipe nurserie, l’équipe des surveillantes de la nurserie ! ».

29 Dans la nurserie A, contrairement à l’UNB, l’espace de la nurserie se confond au collectif de travail pour acquérir valeur de territoire. Certes, la prison n’a pas vocation à produire des ter ritorialisations. Du côté des détenus, il en va de son essence même (Englebert, 2020). Du côté des surveillants, il est d’usage que l’organisation du travail (le roulement des horaires, des postes, l’isolement) fasse obstacle à l’appropriation de l’espace de travail et à sa production comme « cadre contenant » permettant de mieux saisir l’environnement (Lhuilier, Aymard, 1997). Or, ici, les conditions physiques et de travail de la nurserie A ont permis que s’opère cette appropriation. Dans un rapport dynamique entre espace et travail, les surveillantes s’identifient à l’espace de la nurserie, lui-même produit – territorialisé – par leur travail et leur engagement. Ceci contribue à faire de ce quartier un espace à la fois hautement spécialisé et particulièrement apaisé.

Travail et « vivre ensemble » en nurserie (UNA)

30 Les quartiers nurserie se présentent – de même que le reste de l’univers carcéral – comme un espace artificiel de coexistence imposée, soumise à l’intime proximité des corps et des affects, assujettie aux contraintes pénitentiaires spatiales, temporelles et relationnelles. Ce dispositif se complète par d’autres éléments particuliers à leur fonctionnement. Un premier élément concerne la responsabilité de l’AP à l’endroit des bébés, non détenus mais présents dans ses structures. Il est impératif que tout soit mis en œuvre afin que rien ne puisse leur arriver de fâcheux. Ce qui incarnerait l’échec de cette « organisation dans l’organisation » n’est pas, comme dans le reste de la détention, l’évasion ou l’émeute (Chauvenet et al., 1994), mais bien la mise en danger d’un enfant. Cette crainte crispe les directions et représente une épée de Damoclès sur le quotidien de vie au sein des nurseries et particulièrement sur le travail des professionnelles de surveillance qui, in fine, portent cette responsabilité. Ainsi, l’une d’elles confie :

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On est un service à part, […] un service qu’il faut protéger, il ne faut pas faire de vagues. Il y a des enfants, et les enfants ne sont pas des détenus.

32 Une deuxième caractéristique concerne la quantité et la diversité des professionnels intervenants, variable en fonction de la structure. À titre d’exemple, outre le personnel de l’AP et les acteurs qui interviennent en détention, l’UNA accueille des professionnels de la PMI (médecin, puéricultrices), une psychologue, des auxiliaires de puériculture, une sage-femme, divers intervenants associatifs. Une telle présence traduit l’introduction au sein de l’univers carcéral de logiques d’interventions et de missions sociales et professionnelles diverses, qui jouissent d’une certaine autonomie tout en demeurant tributaires de l’autorité pénitentiaire dont la logique d’action est avant tout fondée sur la sécurité. Cette situation est source de contradictions dans le développement de leur travail, et de complications dans la prise en charge concrète des enfants par les différents acteurs (Amado, 2018).

33 Une troisième caractéristique des quartiers nurserie implique de penser un espace qui, malgré le statut de détenues des mères, implique une « normalisation » des lieux de vie, de la prise en charge socio-sanitaire et des relations sociales. Ces conditions particulières induisent un travail spécifique de la part des surveillantes affectées, qui entre en contradiction avec les missions formelles de leur profession et les prive de la reconnaissance formelle de leur contribution de la part de la hiérarchie et de l’institution.

Temps de changements

34 Les deux nurseries, A et B, traversent des périodes particulières. Dans le cas du centre de détention (B), la nurserie est trop récente pour en saisir l’évolution (au moment de l’enquête, au total quatre femmes avec enfants y ont été accueillies). Sa capacité réduite, le temps de présence imprévisible des bébés, l’absence de véhicule à disposition posent de grandes difficultés logistiques à la mise en place de partenariats durables et à l’accès des enfants à des structures de garde extérieures. Le surveillant chef responsable de la nurserie B fait de grands efforts pour y remédier mais doit, le plus souvent, composer de fragiles arrangements (essayer de fixer des surveillantes référentes, trouver des codétenues de confiance pour garder les bébés).

35 La situation de l’UNA est tout à fait différente, et c’est sur elle que nous nous centrerons. Forte d’une longue trajectoire, elle a connu de nombreux changements et a dû souvent s’adapter pour répondre aux défis de la présence des enfants en prison. Le noyau de l’équipe surveillante est constitué de professionnelles qui ont entre vingt et trente ans d’ancienneté au sein de la nurserie. Elles contribuent à en assurer la stabilité et la continuité de ses fonctions dans le temps, malgré les nombreux bouleversements. Divers documents émanant d’intervenants et d’observateurs attestent de l’histoire mouvementée de la nurserie, notamment du fait de la multiplication des appartenances et logiques institutionnelles au sein des équipes Petite Enfance (Conseil général, mairie, hôpital, AP) qui entraînent des heurts et de successives démissions. De temps à autre, ces crises institutionnelles débouchent sur la disparition de l’équipe Petite Enfance. Au début des années 2000, à la suite de l’une de ces périodes, une convention tripartite entre le département, l’AP et un centre hospitalier donne naissance à une équipe pluridisciplinaire [20] de prise en charge et de suivi des femmes enceintes et des mères avec enfants, rattachée à un seul secteur (le centre hospitalier). Après un temps d’ajustement entre les surveillantes et les professionnelles de l’unité, l’équipe de travail « élargie » s’est consolidée et les différents témoignages lus et recueillis s’accordent sur son professionnalisme et son bon fonctionnement. L’unité était présente quatre jours par semaine au sein de la nurserie et se centrait à la fois sur la prise en charge (avec l’unité sanitaire) des femmes enceintes, le développement des enfants, et l’accompagnement des mères (conseils, soutien à la parentalité, aide à la séparation mère-enfant, etc.). La présence d’une puéricultrice permettait de suivre l’état de santé des enfants et, si nécessaire, de les amener à l’hôpital avec le véhicule de l’unité. Ce dernier était également utilisé pour les sorties des enfants et le transport des plus grands dans une halte-garderie en ville. Dans les années 2010, le Contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL) signale des tensions entre l’unité et l’AP, du fait de la verticalité des décisions et de la priorité accordée aux dimensions sécuritaires et organisationnelles plutôt que sociales ou médicales. En 2017, le centre hospitalier met fin à la convention et l’unité quitte la nurserie qui sera, une nouvelle fois, portée par les seules surveillantes [21].

36 La crèche est créée en 2018, fruit d’une convention entre l’AP, le département, la caisse d’allocations familiales, et la mairie de la ville qui emploie les salariées : une éducatrice de jeunes enfants et trois auxiliaires de puériculture. Elle est logée dans des locaux précaires, le temps de monter la structure définitive. Après des débuts difficiles, l’équipe Petite Enfance parvient peu à peu à trouver sa place, notamment vis-à-vis des autres intervenants, et à imprimer sa marque au sein de la nurserie. La crèche a pour avantage, reconnu par l’ensemble des acteurs, de permettre aux mères de travailler et d’avoir des activités qui les extraient du tête-à-tête permanent avec leur enfant et les autres mères. Elles peuvent également les déposer le temps d’un rendez-vous de santé ou d’un entretien lié à leur peine. L’arrivée de la crèche a représenté un grand bouleversement au sein de la nurserie A, dont nous ne retiendrons ici que certains aspects. La période au cours de laquelle s’effectue l’analyse correspond ainsi à une transition entre l’unité, son départ, puis l’arrivée de la crèche qui bouleverse l’espace physique ainsi que les relations professionnelles et l’organisation du travail. Les situations de changements, avec les ébranlements et les ajustements qu’elles exigent, s’avèrent particulièrement riches pour saisir ce qu’en des temps plus stables le quotidien tend à banaliser ou à éclipser.

Le travail des surveillantes, entre méconnaissance et bouleversements

37 La première chose qui frappe, dès lors que l’on passe du temps dans la nurserie A, est à quel point les activités qui incombent aux surveillantes sont nombreuses, éclatées et pour beaucoup invisibilisées, à la fois par ce qui constitue théoriquement leurs fonctions mais aussi par la nature des activités elles-mêmes, en grande partie centrées sur le relationnel et l’humain. Au sein de la nurserie, les populations prises en charge et la responsabilité vis-à-vis des enfants, ajoutées à l’ancienneté, la stabilité et la connaissance extrêmement fine de l’espace de la nurserie de la part des surveillantes, exacerbent l’écart entre les fonctions formelles de leur profession et les réalités du travail. Ainsi, comme l’observe Amado (2018, 188-189), « [en France], la place des surveillantes des unités nurserie demeure bien incomprise et peu reconnue dans sa spécificité […] [alors même qu’elles] s’affichent comme des acteurs prééminents et incontournables de ces espaces ». La délicate responsabilité de l’AP à l’égard de la présence des enfants atteint les personnels affectés, dont le travail est à la fois borné par les exigences officielles de leur fonction et par les attributions des autres intervenants (présents ou absents).

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Si tu nous demandes ce qu’on a à faire dans la nurserie, en fait, la fiche de poste n’a jamais été réalisée en tant que telle, parce que la surveillante ici, on sert de tout. Ils vont mettre les choses de base qu’on a à faire en tant que surveillantes, mais en fait [ce qu’on fait] à côté c’est flou, très flou.
Surveillante de la nurserie

39 Ce que la surveillante citée appelle « à côté » est un iceberg dont seule l’extrême pointe (« les choses de base ») fait l’objet d’une prescription. Dans ce huis clos, où sont hébergées des femmes privées de toute autonomie, avec des enfants en bas âge, les surveillantes ont centralement deux fonctions : soutenir le fonctionnement de la structure et résoudre les nombreux problèmes de la vie courante. Ces fonctions impliquent de maintenir la continuité de la nurserie indépendamment des changements, et d’anticiper le plus possible les difficultés, les problèmes et les crises. Certaines activités logistiques, ou qui se répètent, sont plus objectivables et standardisées. D’autres le sont beaucoup moins. Elles sont changeantes, ou se soustraient à la conscience (elles sont incorporées ou intègrent les rapports quotidiens), ou bien relèvent de « savoirs faire discrets » (Molinier, 2005) qui agissent en amont [22] échappant ainsi à la visibilité. Elles composent un ensemble de manières de faire, de dire, d’agir, prenant appui sur une longue expérience professionnelle et sur l’engagement de soi, mais qui peine à être reconnu comme relevant du « travail » malgré sa centralité au quotidien.

40 L’autonomie relative dont a longtemps bénéficié la nurserie compensait le manque de connaissance et de reconnaissance de la complexité de leur travail sous deux conditions : la confiance de la part de la hiérarchie (symbolisée par les chèques en blanc dont elles disposaient et par une lettre, précieusement conservée, dans laquelle une ancienne directrice leur manifestait sa pleine confiance) et la cohésion interne de l’équipe, qui permet de s’accorder sur le travail et la reconnaissance de l’apport de chacune par ses pairs [23]. Les bouleversements des dernières années se sont accompagnés de nouvelles directives qui ont affecté la nurserie, interrogé la « place » des surveillantes et mis en évidence des contradictions qui sous-tendaient leur activité.

41 L’UNA a pour spécificité, au sein de la maison d’arrêt, de fonctionner en régime portes ouvertes, tel que préconisé par la circulaire du 18 août 1999. Pensé dans l’intérêt des enfants, ce régime représente un « bénéfice secondaire » (Rostaing, 2019), ou « bénéfice par procuration », pour les mères qui échappent ainsi à l’enfermement prolongé de la détention. Habituellement, les portes demeurent ouvertes et la libre circulation autorisée de 8 heures à 11 heures 30, puis de 14 heures à 17 heures 30, ce régime, réservé aux mères, s’était étendu aux femmes enceintes de la nurserie. Cependant, l’arrivée de la crèche a signifié un remaniement de cette organisation, impliquant l’involution du régime ouvert vers un système plus limitatif et un recadrage des fonctions des surveillantes.

42 Plusieurs éléments peuvent contribuer à expliquer le passage d’un régime ouvert à un régime qui, sans être fermé, est nettement plus restrictif [24] : tout d’abord, la diminution substantielle de l’espace commun par l’encastrement de la crèche, évoquée dans la partie précédente, aurait induit un échelonnement et une diminution des temps de promenade afin d’éviter une trop grande concentration de femmes et d’enfants dans l’espace restant ; ensuite, théoriquement, l’enfant pouvant demeurer à la crèche où il bénéficie de liberté de mouvements, le régime dérogatoire, lié au bien-être des enfants et non des adultes, n’aurait plus lieu de s’appliquer. Or, dans les faits, les détenues travaillent le matin. L’après-midi, certaines font appel à la crèche le temps d’une activité ou d’un parloir, mais mères et enfants restent le plus souvent ensemble : parce que les mères souhaitent profiter de leurs enfants, parce que ce type de structure ne représente pas toujours un espace de garde « naturel » [25] ou qu’il est payant. Le tarif [26] peut sembler dérisoire, mais il ne l’est aucunement au regard des rémunérations perçues en prison. Bref, l’avantage réel de la crèche est de permettre aux femmes de travailler (à mi-temps) et d’avoir des activités tout en passant du temps avec leurs enfants. Un dernier élément d’explication touche aux logiques divergentes qui président au fonctionnement de la nurserie et de la crèche. Projet en évaluation, cette dernière doit présenter une certaine performance aux partenaires financiers, laquelle ne se mesure pas en termes de qualité de vie en prison, mais de quantité d’enfants accueillis (taux de remplissage). Or, d’une part, les mouvements des détenus sont, en maison d’arrêt, fluctuants et imprévisibles. D’autre part, le placement obligatoire des enfants en crèche heurte le droit parental des mères pour qui elle devient non plus uniquement un service (qu’elles apprécient, par ailleurs) mais une obligation [27]. Des témoignages associent ainsi la limitation du temps de promenade à une incitation faite indirectement aux mères de laisser leur enfant à la crèche afin de leur éviter de longues heures d’enfermement.

43 Cette réorganisation des temporalités et des mouvements s’accompagne d’une réorganisation du travail des surveillantes. L’introduction, au sein de la nurserie, d’une crèche induit une individuation du traitement de la mère et de l’enfant tendant vers une « normalisation » du statut de détenue de la mère et une « déspécification » du rôle des surveillantes. La « normalisation » des temporalités sociales des unes et des autres s’accompagne d’un traitement dissocié reposant sur une division du travail entre le personnel pénitentiaire et celui de la petite enfance. Cette division peut être très schématiquement illustrée par deux axes, « bébés-équipe Petite Enfance-“extérieur” » et « détenues-surveillantes-intérieur », idéalement séparés et étanches. Nous y avons précédemment fait allusion avec l’enfermement illusoire des auxiliaires au sein de la crèche. Cet échec n’a pas affecté la division signalée et les injonctions contradictoires qui accompagnent le travail des surveillantes.

44 Les spécificités de la vie en nurserie et du travail des surveillantes semblent passer inaperçues, même lorsqu’elles soutiennent seules toute la structure. En tant que surveillantes, elles sont censées être uniquement affectées aux personnes détenues (les mères) et non au couple mère-enfant ou aux bébés. Dans les faits, cette mise à distance s’avère illusoire par la responsabilité qui incombe à l’AP. Elles gardent un œil sur les enfants tout à leurs jeux pour éviter qu’ils ne se blessent, sont parfois sollicitées pour aider les mères, suivent l’évolution d’un enfant fiévreux. Cette attention, intimement liée à la prévention de difficultés, voire d’accidents, est à la fois indispensable et invisibilisée par sa qualité préventive (c’est, en creux, l’accident qui rendra visible le manque d’attention) et par leur fonction formelle. L’exemple le plus emblématique est représenté par les urgences pédiatriques. Lorsqu’un enfant est malade, il ne peut être pris en charge par l’unité sanitaire réservée aux détenus. Selon les conventions qui les unissent aux unités nurserie, les pompiers, le Samu ou SOS médecins emmènent l’enfant à l’hôpital, accompagné d’une surveillante. Elle passe parfois des heures à l’hôpital, et on compte sur elle pour nourrir et changer l’enfant, mais aussi le rassurer et le protéger. Cette double injonction contradictoire, l’une les renvoyant à leur illégitimité (vous ne devez pas toucher à l’enfant), l’autre, fondamentalement genrée, prenant appui sur le fait que, face au bébé en besoin, elles ne peuvent pas ne pas s’en occuper, est source de malaise. Et ce d’autant qu’accompagner un enfant à l’hôpital se traduit souvent par des heures de travail supplémentaires, tandis que leurs propres besoins ne sont pas pris en compte et leur responsabilité nullement définie. Ainsi, pour les surveillantes :

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— On est entre le marteau et l’enclume.
— À un moment, on nous disait « surtout ne touchez pas aux enfants ! ». Fallait pas qu’on y touche, même pour les emmener quelque part, il fallait que ce soit avec la poussette, et puis à côté de ça, on te dit « vous allez à l’hôpital avec l’enfant », et là, c’est toi qui t’en occupes, hein, tu passes du temps à la salle d’attente, tu le montres à l’infirmière, tu le déshabilles chaque fois et tu le rhabilles, tu changes sa couche, tu le montres au médecin, etc. Il te demande comme si t’étais la mère, la fièvre, et puis voilà, donc en fait on remplace la mère. Et arrivée ici, t’es surveillante !

46 Finalement, la division formelle du travail et des responsabilités n’est (éventuellement) applicable que tant que l’équipe Petite Enfance est présente. D’un point de vue général, les intervenants extérieurs sont absents les fins de semaine. Dans le cas particulier de l’UNA, il arrive également que la crèche soit fermée (jours de formation, congés). Ces fermetures sont difficiles à vivre pour nombre de mères qui sont empêchées de se rendre à l’atelier, et affectent le travail des surveillantes tenues de répondre aux besoins des mères et des enfants, et d’assurer la continuité de la structure. Cette division affecte également les auxiliaires de puériculture dont le rôle est circonscrit aux besoins des enfants, alors que les mères sont parfois en demande de conseils ou d’accompagnement. Soit elles y répondent, agissant ainsi en dehors du cadre de leurs fonctions (ce qui n’est pas sans soulever des questions de responsabilité légale), soit ces demandes retombent sur les surveillantes qui ne sont pas censées y répondre. Les unes et les autres plaident pour la reconnaissance des particularités de la structure (de la nurserie, mais aussi de la crèche) qui s’imposent de fait à leur travail dont le champ doit s’élargir pour mieux appréhender les particularités auxquelles elles sont confrontées.

47 À défaut de reconnaissance de la complexité intrinsèque du travail des surveillantes, une certaine marge de manœuvre leur permet de faire tenir ces injonctions contradictoires. Quand cette marge de manœuvre et la confiance hiérarchique qui l’accompagne se détériorent, la contradiction devient d’autant plus évidente que les bouleversements en cours s’accompagnent d’une remise en question de la « spécialisation » professionnelle issue du travail dans la nurserie et sur laquelle se fonde le sens de leur travail. Une souffrance résulte de la mise en visibilité du hiatus entre place attribuée (« on te remet à ta place de surveillante », « on est des pions ») et place construite, appropriée (« Nous, l’équipe des surveillantes de la nurserie »). Elle s’accompagne d’autres phénomènes associés qui tendent à le rendre plus sensible encore : la mise à l’écart des professionnelles de terrain (surveillantes et auxiliaires) des processus de décision concernant la nurserie et de la crèche ; les effets contre-productifs des interventions d’acteurs qui méconnaissent les particularités de la nurserie (achat de fournitures inappropriées, installation de jeux inadaptés, etc.) ; le déni des compétences professionnelles spécifiques qu’elles ont développées. Contrairement à leurs collègues de la détention, elles sont affectées au même secteur depuis des décennies et le ratio surveillant/détenus est incomparablement plus avantageux (deux surveillantes pour une moyenne de dix à vingt détenues, contre une surveillante pour une coursive en abritant plusieurs dizaines). Elles ont la nurserie dans la peau : ce qui peut sembler une image triviale traduit l’incorporation des dynamiques de l’espace et l’engagement sensori-affectivo-moteur [28] à l’origine du développement de savoir-faire qu’elles peinent à percevoir et à décrire, qui se logent dans les plis complexes de la production d’un « savoir vivre-ensemble » dans un climat pacifié, malgré la cohabitation imposée, l’enfermement et les tourments. Bien que les fonctionnaires de l’AP reconnaissent volontiers qu’« elles sont très compétentes », dans les faits on ne se soucie pas vraiment de savoir à quoi renvoient ces compétences particulières. Les erreurs qu’elles sont susceptibles de commettre feront l’objet d’une naturalisation de leurs savoirs et de leurs conceptions de la maternité, alors que les savoirs qu’elles ont construits sur la nurserie sont privés de valeur et de légitimité. Ainsi, le CGLPL, tout en reconnaissant leur contribution à la sérénité des lieux, recommande à l’AP une grande vigilance à l’endroit des surveillantes afin d’éviter des « jugements de valeurs inopportuns ». En réponse, l’AP promet un « repositionnement des personnels » et des « formations ». Nous avons abordé les effets du premier en termes d’approfondissement du déni de reconnaissance. Le cas des formations est tout aussi éclairant au regard des principes qui sous-tendent cette refonte : les surveillantes n’ont reçu aucune formation spécifique aux particularités de la prise en charge de la petite enfance tandis que les (premières) auxiliaires de puériculture de la crèche ont bénéficié d’une formation de l’AP, sur des questions de sécurité.

Une équipe pas comme « les autres » : particularités du travail et règles de coexistence

48 Le travail dans la nurserie repose sur un certain nombre de principes, certains répondent aux préconisations légales, d’autres sont issus du travail quotidien. Par exemple, il ne doit y avoir de barreaux (« Il ne doit pas y avoir de barreaux où il y a des bébés, pas vrai ? ») : les fenêtres en sont dépourvues [29], les grilles des couloirs demeurent habituellement ouvertes, la vue est dégagée. Contrairement à l’anonymat d’usage en détention, les surveillantes sont appelées par leur nom ou prénom. Cela se justifie par la présence d’enfants en bas âge, qui doivent pouvoir associer chaque personne les entourant à un nom, mais s’impose également par la coexistence durable. Les nuits font l’objet de ce qu’Ariane Amado (2018) a appelé un « régime infantile de nuit », élaboré par les surveillantes afin d’éviter de perturber de manière répétée le sommeil des bébés (et de leurs mères). Une surveillante demeure présente la nuit. Bien qu’elle ne puisse entrer dans les cellules, sa présence de l’autre côté de la porte calme les angoisses des mères dont le bébé pleure ou est malade, ou des femmes enceintes qui sentent leurs premières contractions. Elle se déplace doucement, laisse les œilletons ouverts pour éviter les grincements et tient le trousseau de clefs dans la paume de la main pour empêcher, lorsqu’elle ouvre la porte, que son tintement réveille les bébés. Ces manières de faire, plus en accord avec les normes de convivialité habituelles, se prolongent dans la journée par un ensemble de règles informelles qui facilitent la vie commune. Ainsi il est d’usage de faire en sorte de ne pas envahir l’espace privé de la détenue qui parle au téléphone (distance physique et précautions sonores). Les horaires de promenade, dont nous avons vu qu’ils sont plus restrictifs, font l’objet d’une certaine flexibilité de la part des surveillantes. Les divers besoins qui apparaissent le long de la journée et les demandes spéciales sont traités de manière à essayer d’apporter des réponses positives (par exemple, le partage d’un repas à Noël ou des promenades plus longues lorsque la crèche est fermée).

49 Le travail quotidien, qui soutient l’équilibre de la convivialité, échappe en grande partie à sa mise en récit. Plusieurs éléments y contribuent, dont nous avons déjà fait mention : il est composé d’une multitude de gestes infimes peu susceptibles d’être perçues comme relevant d’une « activité » à proprement parler ; en grande partie relationnel, corporel et émotionnel, il s’inscrit dans un engagement de soi qui ne peut faire l’objet d’une énumération de tâches objectivables ; son caractère préventif, qui le prive de visibilité. Ici, plus encore qu’en détention, le travail prescrit ne rend aucunement compte du travail réel qui se confronte à l’absence de références qui permettraient d’en rendre compte (Lhuilier, Aymard, 1997). À cela s’ajoutent probablement les reproches d’« en faire trop » et les exigences de « repositionnement » qui menacent d’entacher leur savoir-faire d’illégitimité, suscitant une forme d’autocensure. De même, l’accompagnement quotidien permet d’observer une particularité des rapports entre discours et pratique. À la différence de ce qu’ont démontré d’autres recherches (Rostaing, 1997 ; Lhuilier, Aymard, 1997 ; Malochet, 2005 ; Cardi, 2014), les surveillantes n’associent pas dans leurs récits la proximité relationnelle à la commune féminité ou maternité, et ne mettent pas en avant leur propre bienveillance, malgré la proximité avec les détenues mères. On observe au contraire un étonnant hiatus entre la dureté de certains propos (par ex. des phrases telle que « elles nous emmerdent » ou « celle-là c’est une menteuse ! ») et l’attention générale qui sous-tend les échanges et la sociabilité quotidiens. Une professionnelle de la petite enfance témoigne ainsi :

50

[Au début] tout ce que j’entendais je le prenais au pied de la lettre. Et finalement je me suis rendu compte que, derrière ce langage plutôt cru, ça ne les empêche pas d’avoir des attentions vis-à-vis des mamans […]. Ce qu’on entend ne correspond pas forcément, après, à ce qu’elles veulent mettre en place et à la considération qu’elles ont pour les gens. […] Je trouve que selon les moments elles arrivent à s’adapter quand vraiment quelqu’un ne va pas bien, elles vont faire attention. […] Il y a de la bienveillance, et là c’est l’essentiel finalement. Les adultes, les mères, je pense qu’elles apprennent à les connaître aussi […] ce n’est pas quelque chose qu’elles vivent de façon violente.

51 Le travail fait l’objet d’accords explicites et implicites au sein du collectif de surveillantes qui balisent l’activité quotidienne. Le type de discours élaboré peut être analysé en termes de défenses produites pour maintenir la distance symbolique vis-à-vis des détenues, dans un contexte où la coexistence prolongée et la présence de bébés augmentent les effets d’identification.

52 La présence et l’attention portée aux détails de la vie quotidienne, aux interactions, aux gestes, donnent à saisir un ensemble de savoir-faire qui permettent de désamorcer les inévitables conflits de la cohabitation forcée et de gérer au mieux l’espace et le complexe de relations et d’émotions qui s’y déroulent. Ces savoir-faire, basés sur l’expérience, impliquent des accords tacites entre les parties sur ce qui fonde les rapports et la coexistence en nurserie. Autrement dit, ça marche tant que chacun respecte les règles informelles. Cela ne signifie aucunement que la nurserie est exempte de tensions, entre détenues, entre professionnelles, entre professionnelles et détenues, mais qu’elles intègrent l’équilibre général de la nurserie. Les surveillantes obtiennent par la collaboration des détenues un espace plus prévisible, des bébés mieux protégés et des relations d’emblée moins clivées (et psychologiquement moins pesantes). Elles en tirent également une autorité auprès des détenues, fondée sur leur professionnalisme qui allie surveillance et respect des codes moraux qui président aux relations humaines, le premier d’entre eux étant la reconnaissance de l’autre. Ainsi, selon deux détenues de la nurserie :

53

Ce n’est pas parce que je suis ici, mais les rapports avec les surveillantes sont très différents. On est traitées comme des êtres humains, égales à elles. Elles nous parlent correctement.
Détenue de service

54

Je ne connaissais pas la nurserie. Quand je suis arrivée, j’ai regretté de ne pas être venue avant. Les surveillantes ne te crient pas dessus, ne tapent pas sur la porte, il y a deux promenades, et surtout les surveillantes nous respectent. Moi, quand on me crie dessus, ça ne marche pas. C’est différent avec Mme Y. J’ai un peu peur d’elle, parce qu’elle te respecte. Elle parle bien, avec respect. Quand elles en font trop, je n’aime pas.
Détenue mère

55 Pour les détenues, le traitement plus individualisé et les meilleures conditions de détention allègent quelque peu la vie quotidienne en prison. Les règles formelles et informelles qui régissent la nurserie, et les formes de réciprocité qu’elles impliquent, sont également sources de pouvoir en tant qu’elles redéfinissent, au nom de la présence des bébés, les frontières de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Ainsi d’une mère qui, faisant écho à un sentiment partagé par l’ensemble des détenues, a ouvertement reproché à une jeune surveillante son manque de tact lors des rondes de nuit :

56

« Elle agit comme là-bas [détention]. Ici tu peux pas, il y a des bébés » précise-t-elle à mon endroit, tandis qu’une autre ajoute « Elle ouvre la porte fort alors que le bébé dort […] Elle travaille ici comme de l’autre côté, mais ici c’est pas pareil, y’a des bébés ».

57 Un autre jour, lors d’une fouille ciblée, une autre surveillante, de moindre expérience en nurserie, palpe l’enfant. La réaction de la mère est immédiate : l’enfant n’est pas détenu, elle n’a pas le droit de l’inspecter. Malgré les excuses de la surveillante qui reconnaît son erreur, la rancune de la mère se prolonge plusieurs jours, car à l’offense faite à l’enfant s’est ajouté ce que la détenue a vécu comme une trahison aux règles informelles qui président aux relations en nurserie :

58

Elles ont fouillé partout, elles ont fouillé mon corps, elles ont fouillé mon fils. Ça, ça ne passe pas. Je n’ai rien dit. […] J’ai confiance aux surveillantes d’ici. [Mais] alors que tout est fini, Mme X demande de regarder derrière le meuble et de fouiller la poussette. […] Elle fait la gentille, alors que c’est elle qui devant moi a demandé à ce qu’on fouille derrière le meuble et dans la poussette. J’ai été très déçue. […] [Après], quand je me suis blessée et que j’avais les béquilles, Mme X m’a aidée à porter [le bébé], à sortir la poubelle. Je lui ai pardonné. C’est une erreur, c’est humain.

59 L’inégalité structurelle entre les surveillantes et les détenues est quelque peu contrebalancée par la complexité des rapports et les principes moraux partagés qu’implique la coexistence dans la durée. Les bébés autorisent, pour les unes comme pour les autres, des pratiques et des discours qui seraient illégitimes ailleurs. Le malaise provoqué par des situations qui s’écartent de ces principes pour réintroduire les contraintes carcérales formelles en témoigne en creux, comme ce fut le cas de détenues pour faits de terrorisme qu’il fallut signaler et isoler.

60 Le travail des surveillantes de l’UNA, dont nous essayons de montrer la complexité intrinsèque, est le fruit d’un long apprentissage collectif. Il ne va pas de soi au regard de la formation initiale et des fonctions officielles de ces professionnelles. Les plus anciennes et expérimentées forment une équipe soudée, solidaire, dont les relations s’étendent au-delà des murs de la prison. Elles se consultent sur les décisions à prendre et sur les erreurs commises. Elles ont fait de ces postes une spécialité à part entière, un métier, et ont choisi de renoncer à l’ascension professionnelle pour travailler ensemble, dans la nurserie. Cette spécialisation fait l’objet d’une transmission et d’un apprentissage qui n’ont rien d’évident pour les surveillantes issues de la détention ou les jeunes recrues fraîchement sorties de l’École nationale de l’administration pénitentiaire.

61

Ici, les anciennes, quand elles travaillent, quand elles ouvrent une porte, elles l’ouvrent doucement. Il y a un enfant. Ça s’apprend. Tu marches doucement aussi. […] Émilie, elle a du mal. Le problème c’est qu’après ça fait des réflexions, les détenues commencent à monter d’un ton. Alors, il faut diminuer le ton, il faut essayer de souffler, et moduler les choses sans blesser ta collègue. […] Il faut un temps d’adaptation, ici c’est différent.
Surveillante expérimentée de la nurserie

62 La jeune collègue, que l’on nomme ici Émilie, est incorporée à l’équipe qui l’accueille et reconnaît son professionnalisme en tant que surveillante, mais elle a manifestement du mal à se faire aux particularités de la nurserie. Elle applique scrupuleusement les règles formelles, remplit ses fonctions comme elle le faisait en détention, s’attirant le mépris et les moqueries à peine voilées des détenues. La jeune surveillante ne parvient pas à s’adapter à cet espace qu’elle qualifie de Disneyland ou de Bisounours.

63

Émilie accompagne un plombier employé par l’AP dans le couloir des femmes enceintes. D’un air complice, elle lui mime le type d’ordre donné sur un ton dur en détention (« Mme Truc, au parloir ! »), qu’elle contraste ironiquement avec les modalités d’usage en nurserie, qu’elle minaude (« Ici c’est : “Mme X., vous pouvez…?” ») [les deux rient].

64 Le malaise d’Émilie montre que les pratiques en vigueur au sein de la nurserie ne peuvent pas faire l’objet d’une naturalisation, mais proviennent d’un apprentissage de manières de faire qui se sont avérées, au fil du temps, plus appropriées à ses particularités. Bien qu’elle soit intégrée à l’équipe, elle illustre ce que la nurserie représente pour nombre de surveillantes de la détention : un espace de travail moins valorisant qui, plus qu’ailleurs, s’éloigne des fonctions centrales de la surveillance (Cardi, 2014). Émilie témoigne d’une identité professionnelle mise à mal par les conceptions du travail en nurserie qui la remettent sans cesse en question. Du côté des surveillantes de la nurserie, c’est justement sur ces particularités, par d’autres dépréciées, que repose la valorisation de leur profession, ou de leur spécialisation. Le « sale boulot » propre à leur fonction sociale (Lhuilier, 2005) est reporté sur « les autres » qu’incarnent les collègues de la détention et les jeunes recrues. La manière de travailler (anoblie) est ainsi présentée en opposition, d’une part, à ce qui se fait « là-bas » ou « de l’autre côté », où les conditions de travail (quantité de détenues, solitude, limitation des tâches et des rôles) ne permettent pas de réaliser un travail plus intégral, mieux contrôlé et plus personnalisé. Pour les surveillantes de la nurserie :

65

— On travaille toutes dans le même sens, parce que de l’autre côté c’est selon les équipes, y’a en qui disent vert, y’en a qui disent rouge. Nous, on travaille bien ensemble.

66

— Nous on est à part. En détention, ils ne connaissent pas les détenues […]. Ici, on a plus de relations avec elles, on échange plus, elles nous connaissent tous les jours, quoi. En détention, c’est pas possible, tu peux pas. Ici […] on fait pas mal de choses [pour elles].

67

[Suite à un oubli d’une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) affectant une détenue] les consignes passent très bien ici, c’est ça qui est bien ici ; là-bas [en détention] ça bouge beaucoup, les équipes changent. Ici, tout est noté, ou, si on oublie, les collèges appellent. [Elle appelle la CPIP pour résoudre le problème] ça, c’est des choses qu’on peut se permettre parce qu’on connaît des gens. Et ça, les détenues ont quand même un plus par rapport à la détention, parce qu’on est la même équipe, on sait ce qu’on a à faire, et depuis le temps on connaît des gens [autres professionnels de la pénitentiaire].

68 Et, d’autre part, aux manières de faire des « anciennes » par rapport aux jeunes générations :

69

On est anciens, on sait ce qu’on a à faire. On travaille à l’ancienne, si on fait une bêtise, c’est vraiment qu’il y a eu un problème. […] Travailler à l’ancienne, c’est ne pas travailler comme les jeunes d’à côté. Il y a beaucoup de problèmes à côté […] Les anciens, ils vont essayer d’atténuer les tensions, tandis qu’elles, des fois elles les attisent. […] [Par rapport à l’équipe] Tu dis non, tout le monde te suit, tu dis oui, tout le monde te suit. S’il y a un problème, on en discute. Ça, c’est les anciens. C’est une façon de travailler qu’on a eue avant. Solidarité ; collectivité et solidarité. Maintenant c’est chacun pour soi. […] C’est ça, les anciens : professionnels. Le reste, c’est à part.

70 Ces oppositions, qui instaurent une distance avec « le sale boulot », associé aux « autres », et les distinguent par contraste, se couplent aux singularités de la nurserie qui leur permettent d’opérer un retournement du sens négatif associé à leur métier par le travail développé au sein de cet espace. Trois éléments soutiennent la resignification de leur travail : 1) la présence des bébés qui ennoblit leur travail, moralement plus valorisant ; 2) la possibilité de mieux développer l’aspect social de leur travail, par les conditions de travail, les relations aux professionnelles de la santé et de la petite enfance, et la possibilité qu’offrent les enfants de trianguler la relation surveillante-détenue év itant d’avoir à se confronter aussi durement au clivage structurel ; 3) le collectif qui soutient et valide l’apport de chacune, définit les règles et les repères du travail, et guide l’action en fonction de cette « référence extérieure » qui « fait loi », rendant ainsi possibles les relations d’asymétrie et de réciprocité (Lhuilier, Aymard, 1997). Or, les changements intervenus ces dernières années, visant à « normaliser » l’organisation de la nurserie, les ramènent à une fonction non spécialisée et non valorisante, nient le travail réalisé depuis des années à la source de leur spécialisation et leurs compétences, les privent de la reconnaissance de leur contribution sociale propre.

Conclusion

71 La présence de bébés en prison pose des problèmes à la fois éthiques et pratiques, auxquels chaque pays tente de répondre à sa manière. En France, selon la quantité de places, l’existence d’espaces communs, la possibilité de mettre en place des partenariats et l’accompagnement de personnels affectés, la vie en nurserie varie du tout au tout, du tête-à-tête mère-enfant dans une profonde solitude sociale à la vie en communauté avec services de garderie. La nurserie B, installée dans une prison récente, montre bien que le seul fait d’inclure un quartier particulier dans l’établissement ne suffit pas à pallier l’isolement des mères avec enfants dès lors que sa petite capacité entrave l’établissement de partenariats et une prise en charge sociale et relationnelle satisfaisants.

72 L’observation de deux unités nurserie témoigne d’espaces pluriels, sensibles, complexes, qui peuvent être ou non investis par les acteurs présents, détenus et professionnels. En leur sein, ces derniers se trouvent souvent tiraillés par des missions et exigences divergentes. Les surveillantes, notamment, subissent des injonctions contradictoires concernant les enfants ou le couple mère-enfant. Dans les quartiers qui comptent sur un personnel fixe, ces professionnelles sont amenées à développer un ensemble de pratiques et de connaissances adaptées aux particularités de ces lieux, qui sous-tendent le sens donné au travail et l’identité professionnelle spécifiques. Dans le cas analysé, la construction de ce savoir-faire repose notamment sur l’intime connaissance de la nurserie, la triangulation des rapports surveillantes-détenues-bébés et la construction d’une équipe professionnelle soudée. Le manque de reconnaissance qui touche la subtilité de leur travail quotidien, en grande partie invisible et en décalage au regard de leur fonction officielle, peut être partiellement compensé par une certaine autonomie de leur pratique. Lorsque les contraintes des logiques formelles se resserrent, le déni du travail produit et les contradictions qui le séparent des missions formelles se font visibles, entraînant perte de repères et souffrance au travail. Notre propos consiste donc à interroger la spécificité des nurseries, de leur dynamique et du travail qui y est réellement réalisé, mais interpelle également le système pénitentiaire qui peine à reconnaître le travail réel et le réel du travail de ses agents tout en se reposant sur lui.

Je remercie les évaluateurs/évaluatrices de la revue Déviance et Société ainsi que Patricia Paperman dont les observations approfondies et détaillées ont beaucoup contribué à améliorer la première version de ce texte.

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Mots-clés éditeurs : Espace, Travail, Prisons, Surveillantes, Nurseries pénitentiaires, France

Mise en ligne 19/12/2022

https://doi.org/10.3917/ds.464.0043

Notes

  • [2]
    Les raisons invoquées pour justifier l’âge limite de présence des enfants en prison sont diverses. Dans les pays occidentaux, la théorie de l’attachement sous-tend ce temps de présence auprès des mères détenues, cependant ce critère varie en fonction de l’âge estimé de séparation et de « qui » peut incarner cette figure d’attachement (Wolleswinkel, 2002). En France, on estime à 18 mois l’âge à partir duquel les effets négatifs de la détention l’emportent sur les effets de la séparation avec la mère. En Espagne, ce même critère a justifié la baisse de l’âge limite, mais elle se doit également à l’augmentation de la population carcérale féminine (Yagüe Olmos, 2006). D’autres critères peuvent entrer en ligne de compte telle la période d’allaitement ou l’insuffisance de structures institutionnelles et familiales aptes à la prise en charge de l’enfant à l’extérieur (par ex. Ventura et al., 2015, sur le Brésil).
  • [3]
    Ces mesures ont un impact différentiel sur la population des détenues, notamment sur les femmes étrangères ou marginalisées qui pourront plus difficilement en bénéficier.
  • [4]
    Voir également le dossier « Parentalités enfermées » (Champ Pénal/Penal Field, 2014), en particulier les articles de Da Cunha et Granja sur le Portugal et de Boutron et Constant sur le Pérou qui, outre le texte de Cardi cité, incluent dans leurs analyses la maternité dans des quartiers mère-enfant.
  • [5]
    Il existe diverses manières de nommer ces espaces. Le terme « unité nurserie », proposé par Amado (2018), permet d’inclure l’ensemble des structures accueillant les mères et les enfants ainsi que les femmes enceintes. J’emploierai également le terme « nurserie ».
  • [6]
    Les « cellules mère-enfant », éparpillées sur le territoire, se trouvent dans l’impossibilité, à la fois, de mettre en place les conditions minimales d’accueil des enfants et de pallier le problème de l’éloignement familial que cette dispersion entendait réduire (Amado, 2018 ; Simon, Touraut, 2020).
  • [7]
    Les maisons d’arrêt sont censées héberger des personnes en détention provisoire ou condamnées à de courtes peines (moins de deux ans) ; les centres de détention accueillent des personnes condamnées à des peines supérieures à deux ans.
  • [8]
    J’en profite pour remercier ici ces institutions de recherche pour leur soutien, Marc Bessin et Helena Hirata qui m’ont accueillie au sein des laboratoires IRIS et GTM-CRESPPA, ainsi que les membres du Laboratoire de recherche et d’innovation et les fonctionnaires des centres pénitentiaires ayant permis ma présence au sein des nurseries.
  • [9]
    On pourrait employer le terme d’immersion ethnographique, si ce n’est que cette immersion ne peut qu’être partielle, car affectée par les limites imposées par chaque structure mais surtout par la condition de personne « extérieure » à la prison.
  • [10]
    Circulaire du 10 mai 1861.
  • [11]
    Circulaire d’application du décret du 8 décembre 1998 daté du 18 août 1999. Pour une lecture critique exhaustive du cadre juridique de l’enfant en prison, voir la thèse d’Ariane Amado (2018).
  • [12]
    Une convention datant du 6 décembre 1995 définit le cadre et les modalités d’intervention de la congrégation au sein de l’administration pénitentiaire. Elles doivent notamment respecter le principe de laïcité et de neutralité du service public (mais peuvent porter l’habit).
  • [13]
    Par exemple, 315 enfants auraient séjourné à la nurserie de la prison de Fleury-Mérogis entre 1974 et 1990 (Rostaing, 2019) ; ils ont été 488 de 1991 à 2019. Cela représente un peu moins de 18 bébés par an en moyenne.
  • [14]
    En métropole, la distance entre les lieux de détention et de résidence serait de 137 km pour les femmes en nurserie contre 74 km pour l’ensemble de la détention pour femme (Simon, Touraut, 2020).
  • [15]
    Il s’agit de mères accompagnées de leur enfant et de femmes enceintes présentes en nurserie qui ont accouché pendant leur détention et réintégré la structure avec leur nouveau-né.
  • [16]
    Outre les mères avec enfant et les femmes enceintes de plus de six mois, deux détenues appelées « filles de service » vivent au sein de l’une des nurseries où elles s’emploient à la propreté des lieux (avec les détenues qui y sont également affectées tour à tour) et aux repas des enfants.
  • [17]
    Voir, entre autres, Milhaud (2017) ou les dossiers récemment consacrés à l’espace et l’enfermement, par ex., Annales de Géographie (2015) ; Espaces et Sociétés (2015) ; Champ pénal/Penal Field (2020). En Angleterre, la carceral geography constitue un champ de recherche récent au sein de la géographie humaine ayant pour objet l’étude spatiale des pratiques et institutions d’enfermement (Moran, 2015).
  • [18]
    Conformément aux normes de la circulaire du 18 août 1999.
  • [19]
    Entretien avec un fonctionnaire de la DAP. Dans les faits, lors de mon terrain, l’UNB n’avait pas encore servi à héberger cette population.
  • [20]
    Composée d’une sage-femme, de deux gynécologues, d’un psychologue, d’une puéricultrice, et de deux éducatrices de jeunes enfants. Nous la nommerons unité.
  • [21]
    D’autres raisons pourraient expliquer ce départ. Un haut fonctionnaire de l’AP a fait mention de conflits entre l’unité et la PMI et de l’usure produite par des tensions liées aux détenues de retour de Syrie. On nous a fait également part de la détérioration de leurs conditions de travail au sein de la nurserie.
  • [22]
    Par exemple, désamorcer des conflits potentiels entre les détenues, anticiper (en fonction de la situation et de la personne concernée) la crise de colère ou d’angoisse, chercher à résoudre des situations diverses de blocage (documents, visites, autorisations diverses, etc.), quitte – comme j’en ai été témoin – à essuyer les remarques désobligeantes de collègues d’autres secteurs.
  • [23]
    Il s’agit du « jugement de beauté » que seuls peuvent délivrer ceux et celles qui connaissent « de l’intérieur » les complexités du travail. Il participe, avec le « jugement d’utilité », délivré par la hiérarchie, de la dynamique de la reconnaissance et de la production identitaire (Dejours, 1993).
  • [24]
    Les mères (qui ne travaillent pas) peuvent sortir de 9 heures à 11 heures puis de 15 heures 30 à 17 heures 30, les femmes enceintes de 10 heures 30 à 11 heures 30 puis de 14 heures 30 à 16 heures 30 ; les portes qui restaient ouvertes sont maintenues fermées, privant les femmes de mobilité entre les cellules et entre cellules et espaces communs. Les fins de semaine, les heures d’ouverture sont plus amples.
  • [25]
    Pour nombre de femmes, notamment étrangères, non seulement la crèche mais encore le type de rapport à l’enfant et à son développement ne sont en rien évidents. Certaines estiment que la place de l’enfant est avec sa mère et non pas dans une institution (un point de vue qui peut évoluer avec l’expérience de la mise en crèche) ; pour d’autres, au contraire, les bébés sont pris en charge par le groupe des femmes de la famille et non pas par la mère, dans un rapport d’exclusivité et d’intimité qui s’avère difficile à vivre.
  • [26]
    La crèche représente une dépense mensuelle de plus ou moins 40-50 euros, sur des revenus avoisinant les 250 euros (qui servent à cantiner, à téléphoner, à aider des proches à l’extérieur, à payer les parties civiles). Le Secours Catholique prend en charge les factures des mères dépourvues de ressources.
  • [27]
    Ainsi, le placement en crèche était obligatoire 3 heures par semaine afin que l’enfant (mais aussi sa mère) s’habitue aux auxiliaires qui le prendront en charge en cas de nécessité. Des discussions tendues avaient lieu entre différents acteurs autour de l’obligation de placement des bébés, notamment dès leur naissance, souhaitée par certains dans un but soit de remplissage, soit de contrôle de la relation mère-enfant, et rejetée par d’autres au nom des droits parentaux.
  • [28]
    J’emprunte cette expression à Jean-Pierre Warnier (1999).
  • [29]
    Cet exemple est intéressant car l’établissement se caractérise par l’absence de barreaux aux fenêtres, mais dans la nurserie, les acteurs le justifient au nom de la présence de bébés, ce qui répond d’ailleurs aux recommandations de la circulaire d’août 1998. Au cours de mon séjour, certaines fenêtres de la maison d’arrêt ont été équipées de barreaux à la suite d’une tentative d’évasion. La nurserie n’a pas été épargnée.
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