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Article de revue

Les sexualités « contre-nature » face à la justice pénale. Une analyse des condamnations pour « homosexualité » en France (1945-1982)

Pages 421 à 459

Notes

  • [1]
    Nous tenons à remercier Jean Danet, Fabien Jobard, René Lévy, Élise Marsicano ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue, pour leurs relectures attentives des versions précédentes de cet article et les commentaires qu’ils et elles nous ont adressés.
  • [2]
    Cette enquête, qui a bénéficié du soutien de la Dilcrah, a été réalisée dans le cadre du projet de recherche « HomoCop. Police, justice et homosexualités » coordonné par Jérémie Gauthier (Université de Strasbourg, Dynamiques Européennes, Centre Marc Bloch Berlin) et Régis Schlagdenhauffen (EHESS-IRIS).
  • [3]
    Ce chiffre confirme les résultats des recherches menées précédemment à partir des mêmes sources (voir plus bas).
  • [4]
    Environ 50 000 personnes auraient été condamnées pour « gross indecency » au Royaume-Uni entre 1950 et 2000 (Schraer, D’Urso, 2017) et environ 68 000 en République fédérale d’Allemagne (RFA) entre 1949 et 1994 (Hoffschildt, 2002). L’homosexualité a été dépénalisée en 1967 au Royaume-Uni et partiellement en 1969 puis totalement en 1994 en RFA. Concernant la République démocratique Allemande (RDA), la dépénalisation a eu lieu en 1968 (Kiani, 2019).
  • [5]
    En 1945, la loi de 1942 est maintenue et devient l’article 331 alinéa 3 du Code pénal.
  • [6]
    Les années d’occupation ne donnent pas lieu à l’édition de Comptes généraux de la justice complets. Bien qu’une loi réprimant les relations homosexuelles sous certaines conditions fût promulguée en 1942, les statistiques judiciaires n’en font état qu’à partir de 1945. De même, à partir de 1978, les condamnations pour « homosexualité » disparaissent en tant que telles et sont intégrées à la catégorie « Autres [attentats aux mœurs] » qui comprend les infractions suivantes : homosexualité, incitation de mineur·e·s à la débauche, adultère, concubinage, bigamie et aide à la prostitution, (Annuaire statistique de la justice, 1978). Les chiffres pour les années 1978 et 1982 (les données détaillées ne sont pas disponibles pour les années 1979, 1980 et 1981) indiquent respectivement 323 et 50 condamnations.
  • [7]
    Nous nous concentrons ici sur le droit pénal bien qu’il ne fût pas le seul à réprimer les relations entre personnes de même sexe. Par exemple, à partir de 1946, le statut général des fonctionnaires stipulait que « Nul ne peut être nommé à un emploi public s’il n’est de bonne moralité », justifiant ainsi les discriminations. Un article du Code du travail, qui établissait que « Le maître doit se conduire envers l’apprenti en bon père de famille, surveiller sa conduite et ses mœurs, soit dans la maison soit au-dehors, et avertir ses parents […] des penchants vicieux qu’il pourrait manifester », permettait de légitimer les licenciements pour mauvaise moralité, voire homosexualité. Le 1er février 1949, le préfet de police de Paris édicte une ordonnance précisant que « Dans tous les bals […] il est interdit aux hommes de danser entre eux » (Borrillo, 1999).
  • [8]
    Ces volumes, édités annuellement depuis 1830, recensent l’activité des tribunaux et cours de justice françaises. Seuls les prévenu·e·s majeur·e·s y sont comptabilisé·e·s. Ils ont servi de sources à de nombreuses enquêtes sociologiques et historiques, notamment celles de Gabriel Tarde, Émile Durkheim ou Michel Foucault (Sgard, 2010).
  • [9]
    Comme le dispose l’article 331 du Code pénal de l’époque « Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 60 FF à 15 000 FF quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans ».
  • [10]
    Concernant la position du Parti communiste français sur l’homosexualité, voir Albertini, 2012.
  • [11]
    En se fondant sur les statistiques du ministère de la Justice, Claude Courouve note qu’« en moyenne », 300 à 400 condamnations sont prononcées par année pour « homosexualité », que les peines sont de l’ordre de quelques mois de prison pour les délinquant·e·s majeur·e·s (un peu moins d’un tiers sont marié·e·s ou l’ont été), que les délinquant·e·s mineur·e·s (60 à 80 par an) peuvent faire l’objet de mesures éducatives et que l’homosexualité poursuivie est presque exclusivement masculine (Courouve, 1977). Selon Claude Courouve, en 1966, 36 garçons de moins de 15 ans ont été amenés devant les tribunaux pour enfants au titre de l’infraction « homosexualité ». Pendant les « années noires », entre 20 % et 25 % des homosexuel·le·s poursuivi·e·s avaient moins de 21 ans.
  • [12]
  • [13]
    Voir les actes non publiés : Tamagne F., 2015, Surveillance et répression des pratiques homosexuelles en France (années 1920-1950) : retour sur quelques affaires de mœurs, colloque international « Histoire comparée des homosexualités en Europe au XXe siècle, Université de Lausanne, 12 au 14 octobre 2015 ; Tamagne F., 2016, Homosexualities in France and Germany (XIX-XXth century) : Some Comparative Perspectives, Journées d’études internationales « État et homosexualités au XXe siècle. Rupture et continuités dans les pays francophones et germanophones », Centre Marc Bloch, Berlin, 26-28 mai 2016. Voir également, Tamagne F., 2017, Les relations entre femmes 1945-1970 : invisibilisation et affirmation, journée d’étude « Violette Leduc ou la remise en cause des normes de l’après-guerre aux années 1968 », Université de Lille 3, 20 octobre 2017 ; Tamagne F., 2007, Same-sex relations between women in France : 1945-1970, conférence « Postwar Homosexual Politics : 1945-1970 », University of Amsterdam, 2-3 août 2007.
  • [14]
    Selon une jurisprudence de 1851 (cour d’appel d’Angers), « s’agissant de relations consenties avec un mineur de même sexe, la loi doit être différente, la prohibition le principe, alors qu’à l’époque, au-delà de 11 ans, les mêmes relations avec un mineur de l’autre sexe ne sont pas pénalement sanctionnées » (Danet, 1999, 99-100).
  • [15]
    Jean Danet appelle cette période l’« âge du combat » contre l’homosexualité par le biais du droit pénal (Danet 1999, 101), qui précède l’« âge de l’ignorance » (les années 1980) puis l’« âge de l’acceptation » (les années 1990).
  • [16]
    Avant 1942, la majorité sexuelle est de 13 ans pour les hétéro- et homosexuel·le·s.
  • [17]
    « Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 2 000 francs à 6 000 francs quiconque aura soit pour satisfaire les passions d’autrui, excité, favorisé ou facilité habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou de l’autre sexe au-dessous de vingt et un ans, soit pour satisfaire ses propres passions, commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans. »
  • [18]
    Cette mesure est précédée, fin 1948, par la proposition de Jacques Debu-Bridel, résistant, conseiller de Paris, de fermer toutes les boîtes de nuit homosexuelles de la capitale. La presse populaire lui emboîte le pas et publie quelques articles à sensation sur le sujet (Jackson, 2009).
  • [19]
    Pierre Hahn cite par exemple une déclaration en 1961 de Bernard Chenot, ministre de la Santé publique, sur la recrudescence des maladies vénériennes : « En réalité, les causes sont de deux ordres : résistance accrue des microbes aux antibiotiques, développement considérable de l’homosexualité dans tous les pays. […] Comment lutter contre cette recrudescence ? En aggravant les peines appliquées aux homosexuels […] », « La recrudescence des maladies vénériennes n’est pas particulière à la France », Le Monde, 24.07.1961.
  • [20]
    « La survie de l’ordre « moral » ambiant a permis à l’acte dit loi de 1942 de faire partie des textes maintenus par le Gouvernement de la Libération. L’exposé des motifs de l’ordonnance n° 45-190 du 8 février 1945 précise : “L’acte de l’autorité de fait dit loi n° 744 du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du Code pénal a réprimé les actes homosexuels dont serait victime un mineur de vingt et un ans. Cette réforme inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs ne saurait, en son principe, appeler aucune critique. Mais en la forme une telle disposition serait mieux à sa place dans l’article 331”. La politique de l’après-guerre ne s’est donc pas caractérisée par un retour à une approche de la sexualité plus conforme au respect des droits de l’homme, pourtant fortement réaffirmés dans le préambule de la constitution de 1946. » Patrick Bloche, « Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur les propositions de loi n° 88, 94 et 249 », Paris, Assemblée nationale, 1er octobre 1998.
  • [21]
    « Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 500 F à 15 000 F. », article 330 de l’ancien Code pénal.
  • [22]
    Ce moment répressif ne fut pas propre à la France : une campagne anti-homosexuel·le·s, dite de la « Lavender scare », a été menée aux États-Unis pendant les années 1950 dans le contexte du maccarthisme (Johnson, 2006).
  • [23]
    « La recrudescence des maladies vénériennes n’est pas particulière à la France », Le Monde, 24.07.1961.
  • [24]
    Voir la conférence de Tamagne F., 2018, Homosexualité, lieux de plaisir et surveillance policière (fin xixe – années 1970), Les nuits du Gay Paris, Paris, Petit Palais, 12 janvier 2018, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=pJrEzJDiLZw/.
  • [25]
    Il est à cet égard intéressant de noter que les stéréotypes concernant les Maghrébins se sont inversés avec le temps et le passage de la répression de l’homosexualité à la répression de l’homophobie : perçus dans les années 1950-1960 comme un groupe porté sur l’homosexualité, les Maghrébins sont aujourd’hui souvent perçus comme hostiles à cette dernière.
  • [26]
    Pierre Hahn cite le journal Paris-Presse du 18 novembre 1960 : « Il était une heure du matin. Sur le trottoir du boulevard Saint-Germain à l’angle de la rue de Rennes, des petits groupes de jeunes gens marchaient lentement […] Soudain, on vit clignoter au carrefour les phares à éclipse des voitures de police. Pendant quelques instants, il y eut une véritable chasse à l’homme […] par cars entiers les jeunes furent emmenés dans les bureaux de la brigade mondaine au deuxième étage du Quai des Orfèvres. Toute la nuit ils y furent interrogés par des inspecteurs spécialisés dans les affaires de mœurs […] Sur soixante-neuf homosexuels interpelés, neuf viennent d’être déférés au parquet » (Hahn, 1972, 133).
  • [27]
    Notamment les actions du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) et du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (Cuarh), (Idier, 2013). Voir également Bérard et Sallée (2015) pour une comparaison France-Québec.
  • [28]
    Ce déclin de l’attention portée à l’homosexualité dans les années 1970 semble également se traduire au niveau policier. D’après un entretien réalisé par Emmanuel Blanchard, le commissaire de la brigade mondaine de l’époque, Roger le Taillanter, dit avoir profondément transformé la Mondaine, notamment en ne portant aucune attention excessive aux « trouduculeries [sic] ». Le « groupe des pédés [sic] » continua d’exister mais aurait eu des fonctions de surveillance et de « protection » des lieux de rencontre homosexuels. Ces missions perdirent du prestige au profit de la Brigade des stupéfiants dont les effectifs furent considérablement étoffés (Blanchard, 2008).
  • [29]
    On rappellera que la majorité sexuelle était fixée à 11 ans en 1851, pour être portée à 13 ans en 1863 puis 15 ans en 1945.
  • [30]
    Les données ne sont pas disponibles pour la période 1942-1945.
  • [31]
    Notre analyse exclut donc la répression infrapénale par les services de police (c’est-à-dire les pratiques de contrôle, de fichage, de harcèlement, voire de violence).
  • [32]
    La catégorie « Autres attentats aux mœurs » comprend un total de 50 condamnations pour l’année 1982.
  • [33]
    Outrage public à la pudeur, outrage aux bonnes mœurs, outrage public à personne de même sexe, incitation de mineur·e à la débauche, proxénétisme, racolage actif, bigamie, aide à la prostitution, proxénétisme hôtelier, publications destinées à la jeunesse (catégories de 1977). Plusieurs de ces rubriques peuvent concerner des conduites homosexuel·le·s, en particulier l’incitation de mineur·e·s à la débauche.
  • [34]
    De 1945 à 1953, le CGJ distingue seulement les peines inférieures et supérieures à un an d’emprisonnement. À partir de 1953, un système hybride est utilisé. À partir de 1956, le CGJ renseigne la durée des peines « en tenant compte des décisions d’appel ».
  • [35]
    Pour les années 1953 et 1954, les résultats varient de 147 condamnations prison selon que l’on se fonde sur le premier ou le second calcul.
  • [36]
    Selon une note méthodologique du Compte général de la justice, « il s’agit des individus condamnés par les tribunaux correctionnels, sans qu’un appel ait été formé, et des individus condamnés par des cours d’appel ».
  • [37]
    L’article 331 al. 3 du Code pénal ne parle pas d’un acte impudique ou contre-nature commis sur la personne d’un individu de son sexe, comme le font les deux premiers alinéas de cet article à propos de l’attentat à la pudeur, il envisage l’acte impudique ou contre-nature commis avec un individu de son sexe. De cette rédaction, il résulte nettement que les deux protagonistes sont ici coauteurs d’un même délit et qu’ils peuvent donc être poursuivis ensemble s’ils sont tous les deux mineur·e·s de 21 ans (Yvorel, 2011).
  • [38]
    Il n’est pas possible de distinguer les
    condamnations dans le cadre de la loi de 1945 de celles liées à l’amendement Mirguet sur les outrages publics à la pudeur.
  • [39]
    Les statistiques disponibles ne permettent pas de distinguer le sursis partiel du sursis total.
  • [40]
    L’analyse de la durée des peines porte sur 8 211 peines de prison dont la durée est connue : dans certains cas la durée de la peine était inconnue, dans d’autres cas, il se peut que la peine n’ait pas été mise à exécution.
  • [41]
    « La délégation de pouvoirs donnés au Gouvernement par la loi précitée du 30 juillet 1960 comporte également la possibilité de prendre toutes les mesures propres à lutter contre l’homosexualité. Pour satisfaire aux buts ainsi fixés par le législateur, l’ordonnance prévoit dans le détail les mesures suivantes […]. L’article 2 institue à l’article 330 du Code pénal une peine aggravée pour le cas où l’outrage public à la pudeur est commis par des homosexuels […]. Il a paru qu’il était particulièrement utile, pour répondre au vœu exprimé par le Parlement, d’augmenter les peines prévues lorsque cette infraction est commise par des homosexuels. » (Ordonnance n° 60-1245 du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme, JO du 27 novembre 1960, p. 10604).
  • [42]
    Ces résultats se fondent sur l’analyse d’archives judiciaires d’« internats d’observation » pour filles et garçons et du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel de la Seine. Les auteurs ont dépouillé plus de 1 600 dossiers individuels et de procédure correctionnelle ayant trait à des affaires d’attentats aux mœurs (relevant principalement des articles 330 et 331 du Code pénal) et impliquant des mineurs, filles ou garçons, victimes ou inculpés, entre 1945 et 1958 (Blanchard, Revenin, 2011).
  • [43]
    Classes supérieures (N = 375) : professions littéraires et scientifiques (58), professeurs, cadres supérieurs (118), industriels (28), rentiers (7), professions libérales (43), patrons (2), patrons pêcheurs (3), propriétaires exploitants (8), artistes (108). Classes moyennes (N = 1 379) : cadres moyens (35), ingénieurs (40), instituteurs (155), autres intellectuels (24), techniciens (110), cadres administratifs moyens (188), services médicaux sociaux (14), artisans (88), commerçants (522), armée et police (87), contremaîtres (58), clergé (58). Classes populaires (N = 4 375) : manœuvres (896), apprentis (24), ouvriers (14), OS (769), ouvriers qualifiés (1090), mineurs (95), marins pêcheurs (33), gens de maison (10), femme de ménage (1), gardien (10), autres personnes de service (340), ménagères (5), employés de commerce (180), employés de bureau (512), agriculteurs (127), salariés agricoles (243), fermiers (2), métayer (1), militaires du contingent (23).
  • [44]
    Pour un constat similaire dans une petite ville des États-Unis dans les années 1960, voir Humphreys, 2007.
  • [45]
    Belges, Espagnols, Italiens, Polonais, Portugais, Yougoslaves et « autres ». Les données pour 1966, 1971 et 1973 sont manquantes.
  • [46]
    Pour l’année 1978, la proportion des étrangers parmi les condamnés hommes pour l’ensemble des infractions étaient de 12,7 % ; elle était de 15,6 % pour les infractions « contre les mœurs » (Aubusson de Cavarlay, 1985).
  • [47]
    En 1956 et 1975, la France métropolitaine comptait respectivement 44 millions et 52 millions d’habitants.
  • [48]
    S’agissant des DOM, les années 1951 et 1960 restent lacunaires. L’année 1972 indique un chiffre global (2) pour l’ensemble des DOM. Par ailleurs, les statistiques ne sont plus disponibles après 1973.
  • [49]
    Le détail des condamnations par département figure en Annexe.
  • [50]
    En 1981, le Groupe de contrôle des homosexuels de la Préfecture de police de Paris est dissout et les fichiers qui recensent les homosexuel·le·s sont officiellement supprimés.

1 Cet article [1] propose une analyse quantitative des peines prononcées entre 1945 et 1978 par la justice pénale française pour « homosexualité » ainsi qu’un profilage sociologique des personnes condamnées pour ce motif, à partir des statistiques fournies par le Compte général de la justice (CGJ) [2]. Environ 10 000 condamnations pour des actes homosexuels ont été prononcées par la justice française entre 1945 et 1978 [3]. Ce chiffre reste largement inférieur au volume des condamnations pour « outrage public à la pudeur » (133 155 sur la même période) ainsi qu’au nombre de peines prononcées en Angleterre ou en République fédérale d’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale pour motif d’« homosexualité » [4]. Il vient cependant fortement nuancer les récits mettant en avant le supposé libéralisme de la France en matière de mœurs bien qu’elle fût le premier État au monde à dépénaliser le crime de sodomie en 1791 (Borillo, 1999, 124). En effet, certaines relations homosexuelles sont de nouveau pénalisées à partir d’août 1942 par le régime de Vichy (Boninchi, 2005) : l’article 334 du Code pénal réprime désormais quiconque aura commis « un ou plusieurs actes contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans ». Cette législation est conservée à la Libération [5], puis durcie au début des années 1960, avant d’être abrogée en 1982. Entre 1942 et 1982 [6], le Code pénal français contenait donc des dispositions visant certains actes homosexuels qui ont conduit à des condamnations par les juridictions françaises. La fin de la pénalisation de l’homosexualité en France vient alors clore, concernant la justice pénale tout du moins, une longue phase de répression de l’homosexualité. À ce titre, la période que nous étudions constitue les derniers soubresauts de la répression pénale de l’homosexualité en France, avant que le droit ne devienne un outil de répression de l’homophobie [7].

2 Afin d’évaluer l’ampleur de la répression pénale de l’homosexualité en France, nous avons travaillé à partir des statistiques de condamnation disponibles dans le Compte général de la justice (CGJ) [8] entre 1945 et 1978. Ces comptes, publiés annuellement depuis 1830, offrent une description statistique de l’activité des institutions judiciaires françaises, à partir des fiches établies par les juridictions de jugement pour mettre à jour le casier judiciaire des personnes condamnées pour crime, délit ou contravention de cinquième classe (Aubusson de Cavarlay, 1985). À partir de 1945, la colonne « nature des délits » du CGJ s’enrichit de la catégorie « Homosexualité », suivie de la mention « art. 331 nouveau [9] ». Le délit d’« homosexualité » est inclus dans les « infractions contre les mœurs et la morale », entre les incriminations d’« excitation à la débauche » et d’« adultère ». L’analyse longitudinale du nombre de condamnations prononcées pour « homosexualité » en vertu de l’article 331 nous permet donc de connaître le volume et la nature des peines prononcées pour ce motif ainsi que le profil des condamné·e·s en termes de classe d’âge, de genre, de statut matrimonial et de catégorie socio-professionnelle. En outre, les statistiques relatives aux condamnations par départements nous informent sur les variations territoriales en France. Il en ressort que 9 566 condamnations ont été prononcées pour ce motif en France envers des prévenu·e·s, âgé·e·s de 18 ans et plus, dont 8 975 en métropole.

3 S’agissant de la période précédant la Seconde Guerre mondiale, la répression de l’homosexualité est désormais bien connue (Tamagne, 2000 ; Jaouen, 2017). Elle relève généralement de l’outrage public à la pudeur, de l’outrage aux bonnes mœurs, de l’incitation de mineur·e à la débauche, du proxénétisme et ou du racolage, de l’adultère et de la bigamie. Concernant l’après Seconde Guerre mondiale, les recherches ont principalement porté sur l’évolution du cadre législatif et sur le « bavardage des juges » sur la question homosexuelle (Danet, 1977, 1999 ; Borillo, 1999), sur les évolutions des « lois de l’amour » (Mossuz-Lavau, 1991), sur le délit d'« homosexualité » (Idier, 2013), ainsi que sur les mobilisations homosexuelles ayant revendiqué la dépénalisation complète de l’homosexualité et la mise au placard des alinéas discriminatoires du Code pénal (Idier, 2013 ; Bérard, Sallée, 2015 ; Callwood, 2017). Ces travaux sur les aspects juridiques et militants de la répression de l’homosexualité après 1945 ont cependant eu tendance à laisser dans l’ombre le rôle concret joué par la police et la justice. Sur ce dernier point, on peut néanmoins identifier un certain nombre de publications, notamment militantes, à partir des années 1950. Elles attestent de la constitution d’une somme de savoirs au sein des mouvements homophiles et homosexuels d’après-guerre.

4 Daniel Guérin est, à notre connaissance, le premier à mobiliser les statistiques du Compte général de l’administration de la justice criminelle pour analyser les peines pour « homosexualité » et tracer le profil des condamné·e·s entre 1945 et 1954. Dans l’article « La répression de l’homosexualité en France » (Guérin, 1958), Guérin souligne que les condamnations pour ce motif concernent principalement des « hommes du peuple ou des manuels : artisans, employés, ouvriers » dont moins de la moitié sont mariés et ont plus de 40 ans. Ce constat lui permet de réfuter « une idée répandue, notamment dans les milieux de gauche, selon laquelle l’homosexualité serait l’apanage des classes privilégiées » (Albertini, 2012) [10]. Guérin indique également que des peines de prison ferme sont généralement prononcées (les amendes et acquittements représentant environ 6 % de l’ensemble) et qu’il s’agit principalement de peines inférieures à un an. L’auteur souligne en outre certaines limites propres aux statistiques judiciaires : ne sont mentionnés ni les délits détectés par la police et non portés devant les tribunaux (contrairement aux statistiques britanniques par exemple), ni la durée des incarcérations préventives (pouvant pourtant durer plusieurs mois), ni les cas de personnes dénoncées ou qui ont été victimes de chantage. Daniel Guérin montre ainsi que les seules statistiques judiciaires ne permettent pas d’épuiser la question de la répression des actes homosexuels (Guérin, 1958).

5 Par la suite, les publications, qu’elles soient militantes, grand public ou scientifiques, prolongent cette première analyse. Il en va ainsi du Dossier homosexualité de Dominique Dallayrac (1968), de l’article « La répression des homosexuels en France » de Pierre Hahn (1972) ou encore de l’ouvrage Des homosexuels et les autres de Claude Courouve (1977). Toutes ces publications présentent des analyses fragmentaires à visées militantes [11]. Enfin, à la fin des années 1970, une autre publication militante, le Catalogue des ressources (Aoust, Bone, 1977), a édité une courbe indiquant l’évolution du nombre de condamnations entre 1945 et 1975, livrant un comptage proche du nôtre sans pour autant approfondir la question de la nature des peines ou celle de la sociologie des condamné·e·s. Ces publications témoignent, en matière d’homosexualité, d’une intrication forte entre savoirs scientifiques et militants.

6 Concernant la période 1945-1954, un comptage partiel des condamnations pour « homosexualité » est publié en 1993 à partir des données de la base Davido [12] par des chercheurs du Cesdip (Aubusson de Cavarlay et al., 1993). L’historienne Florence Tamagne a quant à elle présenté dans deux conférences un comptage portant sur la période 1945-1978 en précisant la ventilation des condamnations par groupes d’âge, de sexe, de nationalité et de profession en se focalisant sur les caractéristiques des femmes condamnées [13]. Ces dernières étant la plupart du temps invisibilisées, les travaux sur la question se concentrent généralement sur l’homosexualité masculine (Tamagne, 2018). Florence Tamagne montre que, d’une part, les condamnations prononcées en France sont sans commune mesure avec celles prononcées en Allemagne (qui s’élèvent, après-guerre, jusqu’à 3 500 par an – bien que la loi sur laquelle elles se fondent ne concerne que les hommes majeurs) et que, d’autre part, la proportion de femmes condamnées en France reste très faible (une centaine de cas). Par ailleurs, elle insiste sur un autre fait : le profil socio-professionnel des femmes condamnées se distingue de celui des hommes. Une majorité d’entre elles se déclare « sans profession » et la moitié des femmes condamnées déclare être mère. Ce constat prolonge celui énoncé en 1998 par la juriste Marianne Schulz selon qui « le législateur a entretenu une vision sexiste de l’homosexualité puisque de manière implicite et sous-jacente, sont avant tout visées les relations homosexuelles masculines » (Schulz, 1998). Plus récemment, l’historien britannique Dan Callwood montre dans sa thèse de doctorat que, contrairement à ce qui est souvent avancé, la répression des actes homosexuels par la police et la justice s’est poursuivie à niveau constant jusqu’au début des années 1980 en s’appuyant sur une perception des homosexuel·le·s comme danger envers la jeunesse et l’ordre public. En se fondant sur une analyse partielle des statistiques de police et de justice, Dan Callwood nuance ainsi le poids des mobilisations gays des années 1970 concernant l’intensité de la répression (Callwood, 2017).

7 Dans ces différents travaux, le traitement statistique des données judiciaires reste toutefois parcellaire. Il nous a donc semblé opportun de procéder à un nouveau comptage de données relatives aux condamnations pour « homosexualité » contenues dans les volumes du Compte général de la justice entre 1942 et 1982 afin d’appréhender l’ampleur de la répression pénale de l’homosexualité en France après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, dans la mesure où les données concernant les années 1942, 1943 et 1944 ainsi que celles relatives aux années 1979, 1980, 1981 et 1982 sont lacunaires, nous présentons dans cet article les résultats de notre propre comptage pour les années 1945 à 1978 en mettant en lumière les enjeux méthodologiques associés à l’utilisation des statistiques judiciaires tout en proposant des pistes d’interprétation des résultats s’appuyant sur les acquis récents de la sociologie de la sexualité et de la police.

8 Après avoir rappelé l’historique de la pénalisation de l’homosexualité en France et les choix méthodologiques qui ont été opérés, nous présenteront les résultats de l’enquête en nous focalisant tout d’abord sur le type de peines prononcées (réclusion, amende, sursis) puis sur les caractéristiques sociodémographiques des condamné·e·s et enfin sur la répartition géographique des condamnations. Nous montrons que les condamnations pour « homosexualité » sont inégalement réparties en fonction du genre, de la classe sociale et de l’âge des prévenu·e·s : elles concernent principalement des jeunes hommes issus des classes populaires urbaines (majoritairement des ouvriers). Les condamnations révèlent en outre un double clivage ville/campagne et Paris/province dans la mesure où les zones urbaines sont surreprésentées, notamment Paris plus que toute autre métropole française. Notre enquête contribue ce faisant à l’analyse de la gestion différentielle des illégalismes en matière de sexualité (Mainsant, 2014) par les institutions pénales dans le contexte français ainsi qu’à une sociologie historicisée de la répression de l’homosexualité en France. Enfin, elle invite à initier un travail de recherche qualitatif à partir des archives policières et judiciaires nationales et locales.

La pénalisation de l’homosexualité entre 1942 et 1982

9 Depuis la Révolution et l’abolition du crime de sodomie en 1791, l’homosexualité ne constitue plus une infraction en tant que telle en France (Pastorello, 2010). Cette dépénalisation ne doit cependant pas masquer le fait que, après cette date, l’homosexualité reste une déviance par rapport à la norme hétérosexuelle. À ce titre, comme le montrent les archives et les enquêtes historiques, les homosexuel·le·s ont continué à faire l’objet d’un ciblage policier dans le cadre des lois sur la prostitution, l’exhibition sexuelle et l’atteinte sexuelle sur mineur·e, respectivement alors appelés « outrage public à la pudeur » et « attentat à la pudeur » (Tamagne, 2000). Par ailleurs, les juges ont continué à réprimer les actes sexuels entre un·e adulte et un·e mineur·e du même sexe par l’emploi détourné de la notion d’excitation de mineur e à la débauche [14]. Ainsi, derrière l’absence de loi réprimant explicitement les relations sexuelles entre personnes de même sexe, s’est développée une pratique de surveillance de l’homosexualité qui trouve son origine dans une homophobie judiciaire et policière (Tamagne, 2000). Jusqu’alors, les hommes homosexuels faisaient ainsi partie des « clientèles policières » et des « indésirables », au même titre que les vagabonds, les étrangers ou encore les prostitués, comme en témoigne par exemple la pratique policière des « rondes battues » dans les lieux de rencontres homosexuelles jusqu’au début des années 1980.

10 La période 1942-1982 voit s’ouvrir une nouvelle séquence de répression pénale des actes homosexuels par le biais de l’introduction dans le Code pénal de dispositions discriminatoires entre hétéro- et homosexuel·le·s relatives à la majorité sexuelle [15]. En 1942, le gouvernement de Vichy inscrit dans le Code pénal une distinction entre hétéro- et homosexuel·le·s portant la majorité sexuelle pour les actes hétérosexuels à 13 ans et à 21 ans pour les actes homosexuels [16] (art. 334 [17]). Cette disposition introduit une discrimination de fait pour les homosexuel·le·s ayant commis des « actes impudiques et contre-nature » avec des personnes de moins de 21 ans. Concernant les condamnations pour « homosexualité » entre 1942 et 1945, nous ne disposons que de données parcellaires issues d’études réalisées par des historiens. Nous savons ainsi grâce aux travaux de Marc Boninchi (2005), Cyril Olivier (2005) et Jean-Luc Schwab (2017) que des hommes et des femmes ont été arrêtés pour « homosexualité » durant cette période et condamnés à des peines de prison, voire d’internement. Cependant, la dizaine de cas relevés à chaque fois se limite à un seul département. Seule une enquête de plus grande ampleur dans les archives départementales permettrait d’avoir une idée plus précise de ces condamnations auxquelles il conviendrait aussi d’ajouter les 351 personnes arrêtées pour « homosexualité » en Alsace annexée mais jugées selon les lois allemandes (Schlagdenhauffen, 2014 ; Stroh, 2017) tout comme les 23 hommes détenus pour ce motif en Moselle annexée (Neveu, 2012).

11 Après la Libération, un ensemble de facteurs contribue à instaurer un climat répressif visant les comportements homosexuels, principalement masculins : l’article 330.1 du Code pénal, l’interdiction préfectorale à Paris de danser entre hommes en public de 1949 jusqu’à la fin des années 1960 [18], l’interdiction des publications homophiles, l’obsession nataliste, le culte de la famille, les craintes de la délinquance et le souci de protéger la jeunesse (Jackson, 2009, 59). Les gouvernements d’après-guerre s’inscrivent de fait dans la continuité de Vichy en considérant l’homosexualité masculine comme une « maladie » dont la répression devait éviter la « contamination » (Tamagne, 2000) du corps social, et plus particulièrement des mineur·e·s [19]. En 1945, le gouvernement choisit donc de conserver l’article 334 qu’il transfère dans l’article 331 du Code pénal : si la majorité sexuelle est portée à 15 ans pour les hétérosexuel·le·s, elle reste fixée à 21 ans pour les homosexuel·le·s [20]. Ainsi, la loi de 1942 et l’ordonnance de 1945, en réprimant l’acte sexuel commis avec un individu de même sexe mineur de 21 ans, s’inscrivent dans la continuité des tentatives jurisprudentielles de punir sous la prévention d’excitation de mineur·e·s à la débauche tous les actes homosexuels consentis entre majeur·e·s et mineur·e·s (Danet, 1999).

12 Ce régime discriminatoire se durcit en 1960 lorsque Paul Mirguet, député catholique et conservateur de l’Union pour la nouvelle République, obtient le classement de l’homosexualité dans la liste des « fléaux sociaux » permettant ainsi au gouvernement de légiférer par décret pour la combattre. Le député fait voter un amendement qui double les peines minimales encourues pour outrage public à la pudeur [21] « lorsqu’il consistera en un acte contre-nature avec un individu de même sexe » réprimant plus sévèrement l’acte homosexuel que l’acte hétérosexuel ou solitaire pour ce délit (art. 330 al. 2 du Code pénal). Le début des années 1960 constitue ainsi un contexte de croisade morale contre l’homosexualité, alors fréquemment associée à la pédophilie, d’une part, et aux maladies vénériennes, d’autre part [22]. Le ministre de la Santé publique de l’époque, M. Chenot, considère ainsi en 1961 que leur recrudescence s’explique notamment par le « développement considérable de l’homosexualité dans tous les pays [et qu’un des moyens de lutte consiste en « l’aggravation] des peines appliquées aux homosexuels [23] ».

13 À partir de l’année 1960, le Code pénal français comporte donc une double discrimination à l’encontre des homosexuel·le·s : d’une part, en raison de la différence entre majorité sexuelle hétéro- et homosexuelle ; d’autre part, en raison de l’établissement de circonstances aggravantes lorsque les outrages publics à la pudeur concernent des personnes du même sexe. Ces dispositions pénales ciblent donc les homosexuel·le·s tout en aggravant les peines encourues. Les années 1960, comme l’indiquent d’ailleurs nos chiffres, constituent à ce titre une période particulièrement répressive pour les homosexuel·le·s. Ainsi que le souligne à ce sujet Florence Tamagne, les Bulletins du conseil municipal de Paris pour les années 1961, 1966 et 1967 indiquent que des conseillers municipaux se plaignaient de « comportements choquants pour les citoyens honnêtes » ; en 1967, les conseillers de Paris demandent par exemple « que la police accentue sa surveillance entre le boulevard Raspail et St-Germain-des-Près arguant que ces lieux étaient fréquentés par des homosexuels qui racolaient les passants [24] ». Dans sa thèse sur la Brigade mondaine de la Préfecture de police de Paris, Gwenaëlle Mainsant montre que le contrôle policier a principalement porté sur la surveillance des milieux de pouvoirs (par le fichage de « personnalités homosexuelles ») et dans le contrôle de l’espace public (visant principalement les hommes et les classes populaires), (Mainsant, 2012). Selon Claude Courouve (1977), le travail du « groupe de contrôle des homosexuels » de la Préfecture de police de Paris consiste quant à lui pour une part en la répression des outrages publics à la pudeur (OPP) commis par des homosexuel·le·s dans les saunas, jardins publics, clubs et autres lieux où certains pourraient être tentés de « consommer sur place ».

14 À partir de son travail sur le contrôle policier des Algériens en métropole pendant la guerre d’Algérie, Emmanuel Blanchard montre quant à lui les liens existants entre le contrôle de l’homosexualité et celui des « citoyens diminués » que sont les Algériens en métropole dans les années 1950 et 1960. Blanchard expose que le stéréotypage policier envers ces derniers portait aussi sur la sexualité supposément déviante de cette « société d’hommes » aux désirs perçus comme incontrôlés et incontrôlables notamment en raison de leur pratique supposée de la prostitution masculine [25]. La sexualité perçue comme déviante des « Français musulmans d’Algérie » venait donc justifier la répression policière (Blanchard 2008, 2012). Enfin Todd Shepard (2017) observe qu’au début des années 1960, les mouvements nationalistes et poujadistes imputent l’essor supposé de l’homosexualité à l’arrivée d’immigrés maghrébins.

15 La répression policière et pénale de certains actes homosexuels atteint donc son apogée en 1961 (442 condamnations prononcées) à la suite sans doute de la mise en œuvre de l’amendement Mirguet (1960) [26]. Le nombre de condamnations décline ensuite lentement et constamment jusqu’en 1978 (Hahn, 1972 ; Courouve, 1977 ; Tamagne, 2017). Julian Jackson relativise cependant le rôle de la répression pénale en raison du nombre relativement faible de condamnations et des continuités observées avec l’avant-guerre (notamment le recours à l’infraction d’outrage public à la pudeur). Selon lui, « s’il est plus difficile d’être homosexuel en France après 1945, la raison en est moins la loi que le climat moral dominant » (Jackson, 2009, 56).

16 À partir du milieu des années 1970, les mobilisations homosexuelles vont précisément s’attaquer au climat moral répressif d’après-guerre [27], amorçant ainsi une période de déclin de la répression pénale de l’homosexualité [28]. En 1974, le passage de la majorité civile de 21 ans à 18 ans s’accompagne d’un abaissement de la majorité sexuelle des homosexuel·le·s à 18 ans (bien que celle des hétérosexuel·le·s reste fixée à 15 ans) [29]. À partir de 1982, la majorité sexuelle est fixée à 15 ans sans distinction entre hétéro- et homosexuel·le·s. Dans le même temps, l’amendement Mirguet et la loi Pétain sont tous les deux abrogés (en 1982) ouvrant la voie à un « changement juridique radical […] : ce n’est plus l’homosexualité qui est problématisée mais au contraire l’homophobie » (Borillo, 1999, 126).

17 Nous pouvons conclure que tous les actes homosexuels n’ont donc pas été visés par la loi entre 1942 et 1982 et que seuls certains d’entre eux ont fait l’objet d’incriminations spécifiques. L’homosexualité entre adultes consentants est restée légale tant qu’elle ne faisait pas l’objet d’outrages publics à la pudeur. La législation répressive en question ne visait que les relations homosexuelles impliquant un·e ou plusieurs mineur·e·s, ou les conduites homosexuelles susceptibles d’être qualifiées d’outrages publics à la pudeur, ce qui malgré la définition extensive de ces derniers en jurisprudence, ne visait qu’une fraction de ces conduites (Iacub, 2008). Ainsi, le droit pénal de l’époque, tout comme l’action des juges, traduisent bien une gestion différentielle des illégalismes sexuels entre hétéro- et homosexuel·le·s. Avant de quantifier les condamnations pour des relations homosexuelles durant la deuxième moitié du xxe siècle, nous présentons les problèmes méthodologiques et choix que nous avons opérés lors de l’exploitation des statistiques du CGJ.

Comment mesurer la répression pénale de l’homosexualité en France ?

18 Les résultats présentés ci-après se fondent sur les statistiques compilées annuellement dans le CGJ entre 1945 et 1978 [30]. À partir de ces données, nous avons procédé à un traitement statistique des condamnations à des peines de prison et/ou des peines d’amendes prononcées dans le cadre de la législation réprimant les actes homosexuels [31]. Ces condamnations sont relevées dans la rubrique « Homosexualité » qui devient « outrage public à personne de même sexe » à partir de 1976 avant d’être agrégée à partir de 1979 au sein de la catégorie « autres attentats aux mœurs [32] » pour finalement disparaître en 1982. Ces rubriques, qui sont incluses dans l’« Ensemble des infractions contre les mœurs [33] », reflètent l’ambiguïté du droit pénal vis-à-vis de l’homosexualité. Cette dernière ne constitue en effet pas une infraction en soi mais plutôt une discrimination qui élargit l’assiette des justiciables, tout en alourdissant les peines prononcées à l’encontre des prévenus reconnus coupables d’homosexualité. De fait, les condamnations au motif de relations homosexuelles constituent une circonstance aggravante pour des actes commis entre personnes consentantes.

19 Les recueils du CGJ contiennent les données agrégées par année des condamnations prononcées (prison et amende, ferme et sursis). Le fait qu’il s’agisse de données agrégées ne nous permet pas de réaliser des tris croisés. Selon les années, la ligne « Homosexualité » permet de quantifier la pénalisation de l’homosexualité à partir des variables suivantes : Nombre de condamnations par an ; Type de peine ; Récidive ; Sexe ; CSP ; Département du jugement ; Qualification de l’infraction ; Âge des condamné·e·s ; Nationalité ; Lieu de naissance ; Durée de la peine ; Situation matrimoniale ; Nombre d’enfants. Par ailleurs, l’analyse quantitative des données du CGJ présente un certain nombre de difficultés qu’il convient au préalable de circonscrire. Elles sont de trois ordres : la transformation des nomenclatures du CGJ et les évolutions du territoire français liées notamment à l’indépendance de l’Algérie (1962) et à la réorganisation de la région parisienne (1964) ; la nature des actes sanctionnés ; la question des prévenu·e·s mineur·e·s.

Le problème de la transformation des nomenclatures du Compte général et des évolutions du territoire national

20 L’évolution des nomenclatures du Compte général de la justice au fil des années constitue une première difficulté. En fonction de la période, certaines informations parmi celles indiquées précédemment sont manquantes. Par exemple, les catégories socio-professionnelles ne sont disponibles qu’à partir de 1953 à la suite de la mise en place en 1951 du Code des catégories socioprofessionnelles (Pierru, Spire, 2008) et la ventilation par sexe des condamné·e·s n’est disponible qu’à partir de 1953. D’une manière générale, lorsque les modalités des tableaux varient d’une année à l’autre, nous avons opéré des regroupements permettant de conserver la cohérence de nos données (par exemple, la durée des peines prononcées [34]). Le nombre d’affaires et le nombre de prévenus ne sont disponibles que de 1945 à 1954, c’est pourquoi nous avons retenu les « condamnations » comme unité de compte.

21 Une seconde difficulté renvoie aux transformations des tables statistiques au cours des années, notamment concernant la distinction entre les décisions prononcées en première instance et en appel. Entre 1945 et 1952, les données portent sur les « condamnations en tenant compte des décisions d’appel ». En 1953 et 1954, les condamnations sont présentées dans trois tableaux distincts : « en tenant compte des décisions d’appel », « sans tenir compte des décisions d’appel », « cours d’appel ». Afin de conserver la cohérence des données, nous avons retenu le premier comptage [35]. En 1955 et 1956, nous disposons de deux tableaux : « résultat des poursuites sans tenir compte des décisions d’appel » + « résultats cours d’appel » : nous avons fait le choix d’additionner les deux. À partir de 1957, les registres reviennent aux données agrégées en vigueur avant 1953 : « tribunaux correctionnels et cours d’appel » [36]. Par ailleurs, concernant les DOM et l’Algérie, certaines années ne précisent pas la distinction entre les différents types de comptages.

22 Une troisième difficulté concerne les sursis prononcés. Avant 1955, les données ne permettent pas de distinguer les sursis portant sur des peines de prison et d’amende. À partir de 1955, la distinction est renseignée. Mais c’est seulement à partir de 1977 qu’est précisée la portée du sursis prononcé (« sur une partie de la peine » ou « sur l’ensemble de la peine »). Pour plus de lisibilité, nous n’avons retenu dans l’analyse que les sursis portant sur des peines de prison.

23 Une dernière limite renvoie à l’évolution du territoire français sur la période étudiée. Jusqu’en 1962, l’Algérie était considérée comme un département, bien que des dispositions spécifiques s’y appliquassent. Jusqu’en 1962, le CGJ inclut donc les condamnations prononcées en Algérie française. Par ailleurs, le régime du protectorat étant aboli en Tunisie et au Maroc au printemps 1956, les informations les concernant disparaissent du CGJ en 1957. Les statistiques concernant les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion) ne sont renseignées qu’à partir de 1948. Notons, en outre, qu’en 1961, les infractions pour « homosexualité » dans les DOM ont été agrégées aux « autres infractions aux mœurs » (OPP, proxénétisme, pornographie, racolage, etc.). Enfin, le CGJ ne renseigne pas la situation dans les autres collectivités et territoires d’outre-mer.

Quels types d’actes et de prévenu·e·s sont concernés par les rubriques « homosexualité » puis « outrage public à personne de même sexe » du CGJ ?

24 À partir de 1945, le CGJ institue une rubrique spécifique, intitulée « homosexualité » qui sera remplacée par « outrage public à personne de même sexe » en 1976. La première nomenclature ne correspond pas à une infraction du Code pénal qui préfère parler « d’acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe ». Nous partons du principe que la rubrique « homosexualité » du CGJ comptabilise les condamnations en vertu de la loi de 1942 confirmée en 1945 et celles en vertu de l’amendement Mirguet à partir de 1960 : les majeur·e·s de plus de 21 ans ayant eu une relation homosexuelle avec un ou plusieurs mineur·e·s de moins de 21 ans jusqu’en 1974, puis avec un ou plusieurs mineur·e·s de moins de 18 ans après cette date. Ainsi, les données dont nous disposons ne contiennent que les condamnations qui concernent des prévenu·e·s majeur·e·s condamné·e·s pour des actes homosexuels. S’agissant des mis·e·s en cause mineur·e·s, les chiffres les concernant sont consignés dans les statistiques de la justice des mineur·e·s [37] (Yvorel, 2011). Les affaires concernant deux mineur·e·s de moins de 18 ans échappent donc également au comptage du CGJ.

25 Par ailleurs, le Compte général de la justice ne donne pas d’information sur le caractère consenti de l’acte sexuel, ni sur sa nature, ni ne précise l’âge de la/du ou des mineur·e·s avec lesquels il a été réalisé. Il est cependant probable que les condamnations enregistrées dans la rubrique « homosexualité » concernent uniquement les cas pour lesquels la/le mineur·e a dépassé la « majorité sexuelle hétérosexuelle » selon la loi de l’époque. Car les faits sur des mineur·e·s de moins de 15 ans (ou de 18 ans selon les cas) auraient sans doute été qualifiés selon la plus haute incrimination possible (viol, attentat à la pudeur, attentat aggravé, etc.).

Qu’en est-il des mis·e·s en cause mineur·e·s ?

26 Des mineur·e·s furent également mis·e·s en cause bien que la législation fût légitimée à partir du gouvernement de Vichy par la prétendue « protection de la jeunesse de la corruption homosexuelle ». Selon Jean-Jacques Yvorel, entre 1958 et 1976, 676 mineur·e·s ont été jugé·e·s par les tribunaux pour enfants pour un « acte impudique ou contre-nature commis avec un individu de son sexe ». À l’instar de nos chiffres concernant les prévenu·e·s majeur·e·s, le volume de condamnations des mineur·e·s ne recouvre vraisemblablement pas l’ensemble de la répression de l’homosexualité juvénile qui s’est souvent dissimulée sous d’autres incriminations notamment l’outrage public à la pudeur voire même, avant l’ordonnance de décembre 1958, derrière une qualification de vagabondage (Yvorel, 2011). Le chiffre avancé par Jean-Jacques Yvorel a toutefois de quoi surprendre car, sur la même période, ce sont 5 981 prévenu·e·s majeur·e·s qui ont été condamné·e·s. Or, étant donné que ces condamnations impliquaient des mineur·e·s, on aurait pu supposer que nous aboutirions à un nombre équivalent de mineur·e·s. De là découlent plusieurs hypothèses que seule une analyse fine des décisions de justice pourrait éclairer : soit les mineur·e·s sont considéré·e·s comme des victimes dès lors qu’elles/ils sont appréhendé·e·s dans le cadre d’une relation avec un·e majeur·e de leur sexe. Ceci correspondrait à l’esprit de la loi et de l’amendement Mirguet dont l’objectif indiqué était la « protection de la jeunesse » contre le « vice » et la « corruption » homosexuelle. Ceci expliquerait la raison pour laquelle ils/elles n’apparaissent pas en nombre équivalent dans les statistiques compulsées par Yvorel. Il est également possible que la loi ait permis la condamnation de majeur·e·s indépendamment de la réalisation d’un acte avec un·e mineur·e (comme le permettait par exemple l’amendement Mirguet). Comme l’a montré Régis Revenin (2008), les mineur·e·s font généralement l’objet de « mesure éducatives » : ils sont placés en « centre d’observation », notamment lorsqu’ils sont suspectés de se prostituer. Rien qu’à Paris, entre 1 000 et 3 000 jeunes hommes se livrant à la prostitution masculine étaient comptabilisés chaque année durant les années 1950 et 1960. Ce sont essentiellement des fils d’ouvriers et d’employés (dont l’âge moyen est de 16 ans), même s’il y a aussi quelques enfants d’artisans et de commerçants. Ils sont placés au « centre d’observation » de Juvisy-sur-Orge car les autorités craignent leur « basculement » vers l’homosexualité. Enfin, les clients des jeunes prostitués sont principalement de jeunes majeurs, souvent de jeunes ouvriers, sans famille, maghrébins ne se définissant pas comme « homosexuels » (Revenin, 2008).

27 En conclusion, nous pouvons considérer qu’en l’état des chiffres disponibles, au moins 10 242 condamnations (majeur·e·s et mineur·e·s) pour homosexualité ont été prononcées en France entre 1945 et 1978. Chiffre auquel il faudrait adjoindre ceux, indisponibles, des années 1942 à 1944 et 1979 à 1982.

28 Dans la partie qui suit, nous allons tout d’abord explorer les types de peines prononcées, leur durée et leur évolution pour ensuite analyser les caractéristiques des condamné·e·s selon l’âge, la profession, la classe sociale, la situation matrimoniale ainsi que la répartition géographique des jugements prononcés.

Des délits et des peines : l’homosexualité masculine, populaire et urbaine dans le filet pénal

Caractéristiques des peines

Figure 1

Peines de prison et d’amendes (Métropole, DOM, Algérie et Tunisie, 1945-1978), N = 9 566

Peines de prison et d’amendes (Métropole, DOM, Algérie et Tunisie, 1945-1978), N = 9 566

Peines de prison et d’amendes (Métropole, DOM, Algérie et Tunisie, 1945-1978), N = 9 566

29 Entre 1945 et 1978, la rubrique « Homosexualité » du CGJ compte 9 566 condamnations à des peines de prison ou d’amende en métropole, DOM, Algérie et Tunisie. Les condamnations en seule métropole sur la période s’élèvent à 8 975 ; les condamnations dans les DOM, en Algérie ou Afrique française du nord représentent 591 personnes (dont 58 pour les départements de la Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion). Notons en outre que le volume du contentieux pour « Homosexualité » apparaît relativement réduit lorsqu’on le compare par exemple au nombre de condamnations pour « Outrages publics à la pudeur » : environ 133 000 condamnations ont été prononcées pour cette infraction entre 1945 et 1978, soit presque quatorze fois plus que pour les infractions relatives aux relations homosexuelles.

30 D’après la Figure 1, nous observons une augmentation graduelle du nombre total de condamnations entre la fin des années 1940 et le début des années 1960. L’amendement Mirguet (1960) marque le début d’une décennie plus punitive que la précédente, avec un pic de 442 condamnations prononcées en 1961. À partir de la fin des années 1960, le nombre de condamnations décroît jusqu’à la fin des années 1970. On peut supposer que le net décrochage observé à partir de 1974 est dû au changement de l’âge de la majorité civile, à une plus grande visibilité de l’homosexualité qui est de moins en moins vécue dans la honte (multiplication des associations homosexuelles, émergence des « cruising bars ») et, plus généralement, aux effets de Mai 68 en matière de libéralisation des mœurs.

31 En 1976, la catégorie « homosexualité » du Compte général de la justice se transforme en « outrage public à personne de même sexe ». Cette modification survient un an après l’abaissement de la majorité civile à 18 ans qui a également emporté un abaissement de l’âge en dessous duquel, en vertu de l’article 331 al. 3 du Code pénal (lois de 1942 et 1945), les relations homosexuelles étaient pénalisées (21 ans ramenés à 18 ans car il semblait difficile de maintenir la répression entre majeur·e·s civils). Il subsiste certes encore après 1976 dans les textes une répression spécifique pour les actes avec un·e mineur·e de 15 à 18 ans mais le nombre de condamnations subit une forte érosion. Peut-être a-t-on alors préféré faire porter la statistique sur l’amendement Mirguet [38] (1960) qui prévoyait une aggravation de l’outrage public à la pudeur lorsque ce dernier était commis sur un·e mineur·e de même sexe, ce qui permettait une répression accrue de la drague homosexuelle masculine de mineur·e·s.

Figure 2

Les types de peines (Métropole, 1945-78), N = 8 825

Les types de peines (Métropole, 1945-78), N = 8 825

Les types de peines (Métropole, 1945-78), N = 8 825

32 La répartition par types de peines présentée dans la Figure 2 indique que la réponse pénale pour les affaires liées à l’homosexualité se traduit principalement par des peines de prison, ferme ou avec sursis [39], et plus rarement par des amendes. Au total, en métropole, entre 1945 et 1978, 8 211 peines de prison (soit 93 % du total des peines) et 614 peines d’amende ont été prononcées. Une part marginale des décisions concerne des interdictions de séjour (37) ainsi qu’une peine de relégation (1). Le nombre de peines de prison avec sursis prononcé évolue de manière comparable à celui des peines de prison ferme jusqu’en 1974. À partir de cette date, le nombre de peines avec sursis devient supérieur à celui des peines de prison ferme, ce qui traduit une moindre sévérité des jugements. Les années 1977 et 1978 se caractérisent quant à elles par l’absence de peines de prison ferme et par une diminution des autres types de peines. La part du sursis rapportée au total des peines de prison varie entre 0 % en 1945 puis 84 % en 1974 pour atteindre 100 % lors des deux dernières années. Cette part relativement importante du sursis semble alimenter l’hypothèse selon laquelle le combat pénal contre l’homosexualité a été mené avec une détermination toute relative (Danet, 1999, 102). Néanmoins, la part élevée des peines de prison peut s’expliquer par une volonté de la part des magistrats de mettre à l’écart des personnes dont les mœurs étaient à l’époque associées à la pédophilie et envisagées sous l’angle de la « contamination » du corps social – tout comme peut-être par une volonté de punir avec fermeté les récidivistes. En effet, sur 8 825 peines prononcées, 1 860 concernent des situations de récidive, soit 21 % du total. Cependant, le GGJ ne permet pas de savoir si les condamnations antérieures ont été prononcées pour le même type d’infraction.

Figure 3

Durée des peines de prison (Métropole, 1945-1978), N = 8 211 [40]

Durée des peines de prison (Métropole, 1945-1978), N = 8 21140

Durée des peines de prison (Métropole, 1945-1978), N = 8 211 [40]

33 Plus de la moitié des peines de prison prononcées en métropole entre 1945 et 1978 sont d’une durée de trois mois à un an (53 %, N = 4 327). Les peines de moins de trois mois constituent le quart des peines prononcées. Par conséquent, 79 % des peines prononcées sont d’une durée inférieure ou égale à un an. Concernant les peines plus longues, celles de un à trois ans constituent 20 % du total. Les peines supérieures à cinq ans de prison représentent quant à elles une part marginale de l’ensemble (environ 1 %). On observe toutefois que, sur la durée, le nombre de peines supérieures à trois ans augmente légèrement au cours des années 1960, c’est-à-dire après l’adoption de l’amendement Mirguet.

Figure 4

Évolution de la durée des peines de prison (Métropole, 1945-1978), N = 8 211

Évolution de la durée des peines de prison (Métropole, 1945-1978), N = 8 211

Évolution de la durée des peines de prison (Métropole, 1945-1978), N = 8 211

34 Afin de mieux comprendre l’évolution de la durée des peines, rappelons que celles encourues dans le cadre de la loi de 1945 (« acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans ») et de l’amendement Mirguet (outrage public à la pudeur « lorsqu’il consistera en un acte contre nature avec un individu de même sexe ») sont respectivement de six à trois ans d’emprisonnement et de 60 000 à 15 000 francs d’amende pour la première, et de six mois à quatre ans d’emprisonnement et de 1 000 à 30 000 francs d’amende pour le second. En outre, l’ordonnance du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme complète l’article 330 du Code pénal d’un alinéa qui prévoit l’aggravation des peines minimales encourues lorsque les outrages publics à la pudeur sont commis par des « homosexuel·le·s » [41]. On observe que dans 79 % des cas, les juges ont donc retenu des peines de prison se situant dans la fourchette basse des peines prévues par la loi (moins d’un an d’emprisonnement). Les peines supérieures à un an ont quant à elles connu une hausse importante à la fin des années 1950 pour décroître à partir du début des années 1970 ce qui confirme l’hypothèse d’une répressivité accrue au cours des années 1960 à la suite de l’amendement Mirguet.

Caratéristiques des condamné·e·s

35 Les données renseignant le sexe des condamné·e·s pour délit d’homosexualité ne sont disponibles qu’à partir de 1953. Entre 1953 et 1978, on compte 7 559 hommes condamnés contre seulement 106 femmes, soit 1,4 % du total. Cette part marginale des femmes laisse supposer que les 1 635 condamnations prononcées entre 1945 et 1952 ont également principalement concerné des hommes. La proportion de femmes condamnées pour « homosexualité » est ainsi nettement inférieure à la part des femmes dans l’ensemble des condamnations estimée à 12,1 % pour l’année 1978 (Aubusson de Cavarlay, 1985). On peut toutefois noter que le profil des femmes condamnées se distingue en partie de celui des hommes. En effet, un peu plus du tiers des femmes condamnées se déclare « sans profession » reflétant ainsi leur plus forte dépendance à une source tiers de revenus à l’époque. La répression pénale des actes homosexuels a donc été principalement masculine.

Figure 5

Condamnations par sexe et par âge des prévenu·e·s (Métropole, 1959-1978), N = 5 831

Condamnations par sexe et par âge des prévenu·e·s (Métropole, 1959-1978), N = 5 831

Condamnations par sexe et par âge des prévenu·e·s (Métropole, 1959-1978), N = 5 831

36 Les données permettant une ventilation précise par âge au-delà de 40 ans ne sont disponibles qu’à partir de 1959. La répartition des condamné·e·s par classes d’âge indique que les condamnations pour homosexualité concernent principalement des hommes entre 20 et 30 ans (30 % du total des condamné·e·s sur la période) et entre 30-40 ans (28 %) puis se raréfient progressivement chez les plus âgés. Du côté des femmes, malgré la faiblesse des effectifs, nous observons un mouvement semblable puisque 54 % des femmes condamnées appartiennent à la classe des 20-30 ans. Concernant les prévenu·e·s mineur·e·s, Jean-Jacques Yvorel souligne que, entre 1962 et 1976, ce sont 532 garçons et 9 filles qui comparaissent pour avoir entretenu des relations homosexuelles. On retrouve donc chez les mineur·e·s la même disproportion entre les sexes que celle constatée chez les prévenu·e·s majeur·e·s. La répression pénale de l’homosexualité fut donc un phénomène genré, puisqu’essentiellement masculine.

37 Plusieurs pistes permettent de comprendre la part marginale des femmes dans les condamnations pour des relations homosexuelles. Tout d’abord, d’une manière générale, les femmes ont toujours été sous-représentées dans les statistiques pénales (Parent 1992 ; Chauvaud et al., 2002). De plus, des formes différenciées de contrôle social sont appliquées en fonction des sexes : le déplacement des femmes seules dans l’espace public, surtout la nuit, est fortement contrôlé. À cela s’ajoute l’intégration par les femmes de leur vulnérabilité vis-à-vis de la violence masculine dans les espaces publics (Lieber, 2008). Le système de domination et de contrôle des pères et des maris sur les filles et les épouses limite donc de fait l’accès des femmes à l’espace public et a fortiori aux lieux de rencontre homoérotiques, quasi-inexistants pour les lesbiennes dans l’espace public : qu’il s’agisse de parcs, de forêts, de toilettes publiques ou d’autres lieux reculés, ceux-ci ne sont que très rarement pensés par les femmes comme des lieux de rencontre et d’accomplissement d’actes sexuels (Jaurand, 2015). Ainsi, les lieux de drague et de rencontre homosexuels sont, dans leur majorité, des espaces publics investis par des hommes ; la « population disponible » au contrôle policier étant alors principalement masculine. Une seconde explication renvoie au type de prise en charge des personnes considérées comme déviantes : les hommes ont tendance à intégrer les filières pénales alors que les femmes sont orientées vers les dispositifs de « protection » ou la psychiatrie (Cardi, Pruvost, 2012). Une troisième explication réside dans le caractère genré de l’étiquetage des comportements sexuels déviants par l’institution judiciaire. Concernant les jeunes filles, ce sont les rapports hétérosexuels hors mariage qui sont perçus comme déviants car, tout en contrevenant à la morale dominante, ils impliquent un risque de grossesse et peuvent parfois être assimilés par les juges à de la prostitution. Concernant les garçons, l’hétérosexualité hors mariage et multipartenariale est au contraire perçue comme un fondement de l’identité virile. Dans leur cas, le regard des institutions se porte sur l’homosexualité et la prostitution masculine. L’homosexualité entre jeunes filles était certes considérée par les institutions comme anormale mais pas comme dangereuse car sans risque de grossesse et exclue du champ de la prostitution [42] (Blanchard, Revenin, 2011). Cela s’illustre plus globalement par la faiblesse du nombre de condamnations pénales liées à l’homosexualité féminine. Ainsi, la surveillance policière des hommes gays était partie intégrante d’une surveillance sociale plus générale des normes de genre (Chauncey, 2003). L’« invisibilité lesbienne » dans l’espace public (Revillard, 2002) ainsi qu’une gestion différentielle des déviances féminines permettent donc d’expliquer la très faible proportion de femmes jugées pour délit d’« homosexualité ». Invisibilité qu’on retrouvera ensuite dans l’espace du militantisme, en raison notamment de « l’articulation […] conflictuelle entre féminisme et mouvement homosexuel », qui a traversé l’histoire des mouvements lesbiens (Revillard, 2002).

Figure 6

Statut matrimonial des condamné·e·s (Métropole, 1953-1978), N = 6 040)

Statut matrimonial des condamné·e·s (Métropole, 1953-1978), N = 6 040)

Statut matrimonial des condamné·e·s (Métropole, 1953-1978), N = 6 040)

Figure 7

Nombre d’enfants des condamné·e·s (Métropole 1953-1978), N = 5 713

Nombre d’enfants des condamné·e·s (Métropole 1953-1978), N = 5 713

Nombre d’enfants des condamné·e·s (Métropole 1953-1978), N = 5 713

38 Les données relatives au statut matrimonial indiquent qu’environ deux tiers des prévenu·e·s sont célibataires au moment de leur condamnation. Le tiers restant, qui concerne principalement des hommes mariés, veufs ou divorcés, invite à creuser plus avant les modes de vie homosexuels de l’époque, notamment en termes d’identité bisexuelle ou de double vie : conventionnelle et hétérosexuelle aux yeux de la société, homosexuelle dans d’autres circonstances. Concernant le statut parental des condamné·e·s (N = 6 047), 74 % des condamné·e·s se déclarent sans enfant. Les condamné·e·s avec enfants représentent respectivement 8,5 % (un enfant), 7 % (deux enfants), et 9 % (trois enfants et plus).

Figure 8

Condamnations par catégories socio-professionnelles en % (Métropole, 1953-1978), N = 7 082

Condamnations par catégories socio-professionnelles en % (Métropole, 1953-1978), N = 7 082

Condamnations par catégories socio-professionnelles en % (Métropole, 1953-1978), N = 7 082

39 Le Compte général de la justice renseigne les professions des personnes condamnées à partir de 1953. Les recherches précédentes sur les statistiques pénales ont souligné les limites de l’enregistrement de la profession : les données initiales sont celles du casier judiciaire, elles-mêmes produites par les greffiers à partir de ce qui figure dans les procédures ; or, lorsqu’un·e mis·e en cause décline sa profession, on ne sait jamais clairement s’il s’agit du métier dans lequel il a été formé ou de celui qu’il exerce actuellement ou du dernier emploi exercé. De plus, il peut aussi décliner une profession alors qu’il est inactif (Aubusson de Cavarlay, 1985). Bien qu’une part d’incertitude soit par conséquent consubstantielle à ce type d’analyse, nos données montrent la place importante des métiers ouvriers parmi les prévenu·e·s (41 %).

Tableau I

Écart entre la part de la CSP dans la population active et dans les condamnations

Année 1954 1962 1968 1975
Catégorie socioprofessionnelle (CSP) % de la population active % des condamnations Ecart (points) % de la population active % des condamnations Ecart (points) % de la population active % des condamnations Ecart (points) % de la population active % des condamnations Ecart (points)
Ouvriers 33,2 55,8 +22,6 38,9 38,5 - 0,4 38,7 42 +3,3 37,1 35,2 - 1,9
Employés 12,8 23 +10,2 18,3 19,4 +1,1 20,5 17,9 - 2,6 22,9 21,8 - 1,1
Artisans, commerçants, chefs d'entr. 20,3 11 10,9 - 0,1 10,2 6,4 - 3,8 8,4 5,6 - 2,8
Agriculteurs exploitants 20,3 5 - 15,3 16 2,1 - 13,9 12,6 5,3 - 7,3 8,1 5 - 3,1
Professions intermédiaires 12,4 11,1 8,2 - 2,9 12,5 7,5 - 5 16,2 7,3 - 8,9
Cadres et prof. int. sup. 5,8 4,7 6,1 +1,4 5,5 4,1 - 1,4 7,3 4,5 - 2,8
Écart entre la part de la CSP dans la population active et dans les condamnations

Écart entre la part de la CSP dans la population active et dans les condamnations

Sources : Insee, Recensements de la population pour les années 1962, 1968 et 1975 ; pour l’année 1954 : Marchand et Thélot, 1997.

40 La distribution des condamnations selon la CSP du prévenu peut être partiellement mise en regard avec la structure de la population active du milieu des années 1950 au milieu des années 1970. Les condamnations concernant les ouvriers et les employés, qui représentent le gros des effectifs, sont surreprésentées en début de période pour ensuite se rapprocher de la distribution dans la population active. Les autres catégories socioprofessionnelles, notamment les « agriculteurs exploitants », sont quant à elles sous-représentées sur l’ensemble de la période.

41 Ces statistiques permettent de constater que les condamnations concernent principalement des prévenus issus des classes populaires : ouvriers qualifiés (1 090), manœuvres (896), ouvriers spécialisés (769), employés (512), puis les agriculteurs et employés agricoles (370). Nous avons donc regroupé les CSP mentionnées dans les tableaux statistiques en trois classes sociales [43] (supérieures, moyennes et populaires). La classification ainsi élaborée nous permet de souligner que les condamnations pour « homosexualité » touchent en majorité les classes populaires (62 %). Les classes moyennes (20 %) représentent quant à elles un cinquième et les classes supérieures environ 5 % de l’échantillon. Une analyse qualitative plus fine permettrait d’identifier différentes fractions à l’intérieur de chaque classe en fonction notamment des types de peines prononcées.

42 Comment expliquer ces différences ? Nous pouvons tout d’abord supposer que le contrôle policier de l’homosexualité est moindre en milieu rural, d’où la sous-représentation des agriculteurs. S’agissant de la surreprésentation des classes populaires (Siblot et al. 2015), un premier argument renvoie aux effets de sélection par les policiers : en matière de mœurs comme pour d’autres types d’infractions, les illégalismes populaires ont tendance à être commis dans l’espace public là où la bourgeoisie dispose d’espaces privés ; de fait, les classes populaires sont davantage soumises au regard policier et constituent à ce titre une « clientèle policière » disponible. Un deuxième argument renvoie aux différents types de lieux de sociabilité homosexuels : pour des raisons financières et en raison du stigmate associé aux lieux gays, les classes populaires ont tendance à moins fréquenter les lieux de sociabilité homosexuels commerciaux (bars, boîtes de nuit) et privilégient par conséquent les lieux de rencontre en extérieur (parcs, jardin, toilettes publiques) soumis à un plus fort contrôle policier [44]. On peut également supposer que la possession d’une automobile, dans laquelle pouvaient se dérouler des actes sexuels moins visibles au regard policier, fut pendant longtemps réservée aux catégories les plus fortunées de la population. Un troisième argument renvoie aux effets bien connus de sélection sociale par le système pénal. Tout d’abord, à la différence des jeunes des classes ouvrières, les jeunes bourgeois échappent le plus souvent aux condamnations pour des délits de faible gravité car ils sont mieux encadrés et protégés par leurs familles que leurs homologues des milieux populaires (Herpin, 1977). Enfin, la surreprésentation des ouvriers dans les condamnations à des peines de prison s’explique par le rôle déterminant des garanties de représentation (logement, travail, insertion familiale, voire versement d’une caution) qui, lorsque le juge estime qu’elles font défaut, exposent les prévenus à des décisions restrictives de liberté. Ainsi, en matière de mœurs, comme pour d’autres types d’infractions, les peines de prison visent en premier lieu les prévenus issus des classes populaires.

Figure 9

Condamnations par classes sociales (Métropole, 1953-1978), N = 7 020

Condamnations par classes sociales (Métropole, 1953-1978), N = 7 020

Condamnations par classes sociales (Métropole, 1953-1978), N = 7 020

Figure 10

Condamnations concernant des étrangers (1960-1978), N = 546

Condamnations concernant des étrangers (1960-1978), N = 546

Condamnations concernant des étrangers (1960-1978), N = 546

43 À partir de 1947, les catégories du CGJ distinguent la population nationale de la population étrangère. À partir de 1960, le CGJ renseigne également la nationalité d’origine des condamné·e·s [45]. Entre 1953 et 1978 (N = 6 716), ce sont 6 170 personnes de nationalité française et 546 personnes étrangères (environ 8 % du total) qui ont été condamnées à des peines de prison et d’amende. La part des étrangers condamnés pour ce motif est donc marginale [46]. L’évolution sur la période des catégories employées pose toutefois quelques problèmes d’interprétation en raison principalement des changements en termes de nationalité et de territoire liés à la décolonisation.

44 Concernant les condamné·e·s de nationalité française, nous nous fondons sur la catégorie « Français né en métropole » qui est renseignée entre 1953 et 1978 à laquelle nous avons agrégé les catégories « Né en Afrique du nord non musulman » (renseignée de 1953 à 1955, puis à nouveau entre 1974 et 1978), « Français nés en France ou en Algérie musulmans » (renseignée de 1956 à 1960), « Français nés dans la communauté et les départements d’Outre-mer » (renseignée de 1953 à 1978) et « Français par naturalisation et nés à l’étranger » (renseignée de 1953 à 1978).

45 Concernant les condamnés étrangers, certaines nationalités (Belges, Espagnols, Italiens, Polonais, Portugais, Yougoslaves) ne sont renseignées que pour la période 1960-1978 (N = 546). Aussi, à partir de 1953, le CJG renseigne la catégorie « Étrangers marocains et tunisiens » à laquelle sont ajoutés les « Algériens » en 1963. Environ la moitié des condamnés étrangers relèvent de la catégorie « Marocains, Tunisiens puis Algériens à partir de 1963 ». À partir de la fin de l’Algérie française, les effectifs passent de 6 à 23 condamnés pour atteindre 50 en 1969 (sur un total de 284 condamné·e·s), soit 17 %. La part croissante des Maghrébins, et parmi ceux-ci des Algériens, peut s’expliquer par le contrôle resserré de la police sur ces « citoyens diminués » issus de l’Algérie française.

46 À cette époque, ce sont en effet deux « sociétés d’hommes sans femmes », les Algériens en métropole et les policiers, qui se font face. Dans ce contexte, Emmanuel Blanchard a montré que les stéréotypes policiers vis-à-vis des Algériens reposaient en partie sur la sexualité supposée de ces derniers : des mœurs sexuelles « exotiques » (homosexualité, polygamie, agressivité sexuelle, inceste, sexualité débridée, exhibitionnisme), une incapacité à maîtriser leurs désirs, la dangerosité des hommes privés de femmes ou encore le manque de virilité (Blanchard, 2008). Ainsi, le contrôle de la sexualité des Algériens semble faire partie intégrante du travail quotidien de la police. De plus, la précarité de l’habitat des Algériens impliquait alors la quasi-absence de lieux privés dédiés à l’intimité. Aux yeux des policiers, le « mauvais genre » des Algériens, et de fait, leur sexualité, représentait donc un problème d’ordre public (Blanchard, 2008).

47 Les données par département ne sont disponibles qu’entre 1956 et 1975 [47] (N = 6582, Métropole + DOM), à l’exception de l’Algérie qui est décomptée à part de 1945 à 1959 et des DOM à partir de 1948. On observe tout d’abord que des condamnations pour « homosexualité » ont été prononcées dans tous les départements de France, métropole et DOM. Sans surprise, le nombre le plus élevé de condamnations a été prononcé en Île-de-France : 1 591 personnes ont été condamnées soit un peu plus de 24 % du total des condamnations entre 1956 et 1975. Cependant, il convient de noter que le département de la Seine regroupait jusqu’en 1968 la ville de Paris ainsi que les actuels départements de la « petite couronne » (91, 92, 93, 94 et 95). Au moment de sa suppression, le département de la Seine comptait 5 700 000 habitants, dont 2,6 millions rien que pour la ville de Paris – faisant de la Seine le département le plus peuplé de France qui totalisait à l’époque 50 millions d’habitants. Néanmoins, bien que la Seine concentrât 10 % de la population française, le nombre de condamnations prononcées pour homosexualité s’y élève à plus de 20 % du total. Ce différentiel s’explique notamment, comme nous l’avons déjà suggéré, par un plus grand dynamisme de la vie homosexuelle dans la capitale, lui-même corrélé à une plus importante présence policière.

48 Les statistiques par département indiquent qu’après la Seine/Paris et les Yvelines (334 condamnations), ce sont les départements du Nord (343 condamnations, soit environ 5 % du total des condamnations sur la période), de la Seine-Maritime (225 condamnations, 3,5 % du total), du Rhône (222 condamnations, 3,5 % du total), de la Moselle (212 condamnations, 3,3 % du total), du Bas-Rhin (202 condamnations, 3,1 % du total) et des Bouches-du-Rhône (169 condamnations, 2,6 % du total) pour lesquels on observe le nombre le plus élevé de condamnations pour délit d’« homosexualité ». Ces départements représentent à eux seuls 27 % des condamnations en province. À l’exception de Paris, les condamnations pour « homosexualité » concernent donc plutôt des départements frontaliers, industriels et ouvriers. À l’inverse, les départements où l’on condamne peu ont pour point commun d’être plutôt ruraux et/ou montagneux. Il en va ainsi de la Creuse (N = 7), de la Corrèze (N = 3), de l’Ariège (N = 2) et de la Lozère (N = 1). Dans ces départements ruraux et peu denses, les lieux de sociabilité homosexuels y sont en effet rares et la concentration policière y est moins élevée que dans les zones urbaines et industrielles (ce qui explique en partie la sous-représentation des agriculteurs).

49 Enfin, en Algérie française (données disponibles entre 1945 et 1959), 530 condamnations ont été prononcées, soit 14 % du total des condamnations sur la même période (N = 3 905). Cette part des condamnations en Algérie française, qui semble relativement élevée, invite à creuser plus avant la question de la police des mœurs en situation coloniale dont on sait que la « défense du prestige de la France » passait par la « bonne conjugalité des colons » (Blanchard, 2008).

50 S’agissant des départements d’outre-mer, 58 condamnations pour homosexualité ont été prononcées en Guadeloupe, Martinique, Guyane et à la Réunion entre 1958 et 1973 [48]. Sur la période concernée, la Guadeloupe est le département d’outre-mer où l’on condamne le plus les relations homosexuelles (34 condamnations, avec un pic de 20 condamnations en 1948), suivie de la Réunion (15 condamnations), de la Martinique (7) et de la Guyane (2).

51 En conclusion, on observe donc de fortes variations en termes d’intensité de la répression. Plutôt marginale dans les DOM et les départements ruraux, elle est plus élevée (>100) dans les départements urbains, industriels ou portuaires tout comme dans ceux en lesquels sont situées de grandes métropoles (Marseille, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Nantes et Lille). Ce différentiel est sans doute lié à la densité policière et aux politiques de gestion de l’ordre public dans les grands centres urbains. Seule une étude plus poussée, fondée sur un examen des archives de police et des minutes de procès pour délit d’« homosexualité », permettrait de mieux comprendre les variations régionales du traitement pénal de l’homosexualité.

Figure 11

Condamnations par départements (1956-1975), N = 6 582 [49]

Condamnations par départements (1956-1975), N = 6 58249

Condamnations par départements (1956-1975), N = 6 582 [49]

Conclusion

52 Les quelque 10 000 condamnations pour délit d’« homosexualité », dont une majorité à des peines de prison, viennent relativiser l’idée d’une exception française en matière de mœurs. Entre 1942 et 1982, certains actes homosexuels ont en effet fait l’objet d’une répression pénale spécifique que nos données permettent, sous certaines limites évoquées plus haut, de quantifier. La sexualité homosexuelle, principalement lorsqu’elle concerna des hommes, a fait l’objet d’une punitivité supérieure et discriminatoire vis-à-vis de la sexualité hétérosexuelle. À ce titre, certains types d’actes homosexuels vinrent alimenter durant cette période la population pénale. Force est donc de constater qu’à l’opposé de certains récits enchantés, la France d’après-guerre ne fut pas un havre de paix pour les homosexuels. En outre, nos données montrent également que la répression pénale de l’« homosexualité » fut principalement masculine, urbaine, populaire et ouvrière. Ce résultat va à l’encontre de représentations hétéronormées associées au monde ouvrier véhiculées notamment par les dirigeants du Parti communiste français (PCF) et de la Confédération générale du travail (CGT) jusqu’aux années 1970 et pour lesquels l’homosexualité était considérée comme un « vice bourgeois » et une « tradition étrangère à la classe ouvrière » (Albertini, 2012). Notre recherche nous met plutôt sur la piste d’une gestion différentielle des illégalismes en matière de sexualité entendus comme l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts : le contrôle de l’homosexualité populaire passait par le ciblage policier et la répression pénale ; l’homosexualité bourgeoise faisant quant à elle l’objet de fichage, notamment par la brigade mondaine de la Préfecture de police de Paris, à des fins de pression et de chantage [50].

53 Les données présentées ici ne reflètent cependant qu’un seul aspect de la répression des actes homosexuels sur la période étudiée, en l’occurrence ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale. On peut en effet supposer que la part discrétionnaire du contrôle policier de l’homosexualité fut particulièrement importante, notamment les formes de « justice sans procès » (Skolnick, 1966), c’est-à-dire des stratégies policières reposant sur le harcèlement, le fichage, les contrôles d’identité, les rafles, voire de la violence physique. Il reste donc encore à élucider l’action policière destinée à lutter contre ce qui a été qualifié en 1960 de « fléau social » et par-delà à mieux comprendre les relations concrètes entretenues entre les homosexuels et la police. Durant cette période, les homosexuels constituaient en effet une « clientèle policière » associée à une figure de l’ennemi au même titre que, en fonction des époques, les Juifs, les Arabes ou encore les communistes. Une des fonctions de la police fut en effet de défendre l’ordre des genres et des sexualités contre l’homosexualité dont on craignait qu’elle ne fragilise l’ordre politique républicain (Blanchard, 2008).

54 À un autre niveau, et comme nous l’avons évoqué en introduction, la répression policière et pénale de l’homosexualité dans l’espace public a eu un effet structurant sur les mobilisations homosexuelles à partir des années 1960 (Bérard, Sallée, 2015). Ce constat ne se réduit pas à la France : à New-York, la chasse aux homosexuel·le·s par la police a donné naissance à la mobilisation de Stonewall (1969) ainsi qu’à l’émergence de nombreux collectifs de libération homosexuelle à travers l’Europe (Schlagdenhauffen, 2011). Le lien entre répression, mobilisation et changement social interroge le rôle politique plus général de l’action policière et de la justice pénale. Comme le note Fabien Jobard, le policier juge le mandat politique dont il estime être dépositaire : l’économie de la force ou de la retenue, estimée, voire délibérée par les policiers au cours de l’interaction, est la traduction dans l’action du mandat politique (Jobard, 2012). Concernant la question homosexuelle, l’évolution du mandat politique est particulièrement flagrante. En effet, à partir des années 1980, la répression de l’homosexualité va progressivement laisser la place à la répression de l’homophobie, les homosexuel·le·s étant de moins en moins considéré·e·s comme des « indésirables ». La mise en place d’une législation antidiscriminatoire, ou encore l’émergence, à partir des années 2000, d’une cause LGBT au sein de l’institution policière par l’intermédiaire d’une association des policiers et policières LGBT, indiquent que le rôle des institutions pénales en matière de sexualité s’est profondément transformé. Notre travail invite donc à approfondir la connaissance des répressions pénales et policières de l’homosexualité, à travers par exemple le recueil de témoignages, à des fins scientifiques, mais aussi éventuellement mémorielles. Cette recherche incite également à une réflexion plus générale sur le caractère contingent des clientèles policières et pénales, notamment en comparant le traitement des groupes sociaux qui constituent, selon les époques, les « propriétés policières ».


Annexe

Nombre de condamnations par départements (1956-1975, N = 6 582)

Département Nb de condamnations Département Nb de condamnations Département Nb de condamnations Département Nb de condamnations
Paris (Seine) 1 114 Indre-et-Loire 74 Somme 35 Réunion 15
Nord 343 Maine-et-Loire 68 Eure 34 Cantal 14
Yvelines 334 Morbihan 67 Vaucluse 34 Haute-Vienne 13
Seine-Maritime 225 Meuse 62 Guadeloupe 34 Tarn-et-Garonne 13
Rhône 222 Charente-Maritime 61 Savoie 32 Vienne 13
Moselle 212 Côte-d'or 59 Drome 30 Alpes-de-htepce 12
Bas-Rhin 202 Manche 59 Haute-Marne 30 Corse 11
Bouches-du-Rhône 169 Aisne 55 Charente 29 Hautes-Pyrénées 11
Haut-Rhin 157 Cher 53 Puy-de-Dôme 29 Territoire de Belfort 11
Pas-de-Calais 149 Saône-et-Loire 53 Aveyron 28 Hautes Alpes 9
Meurthe-Moselle 126 Hérault 51 Mayenne 28 Haute-Loire 9
Ille-et-Vilaine 122 Gard 50 Ardennes 27 Hautes-Alpes 9
Loire-Atlant. 110 Tarn 47 Indre 27 Landes 9
Haute-Garonne 106 Loir-et-cher 45 Lot-et-Garonne 27 Lot 9
Doubs 101 Haute-Savoie 44 Dordogne 26 Gers 8
Gironde 101 Nièvre 44 Pyrénées-Orientales 26 Hauts-de-Seine 8
Calvados 93 Var 44 Val-d'Oise 25 Ain 7
Isère 83 Deux-Sèvres 43 Essonne 24 Creuse 7
Loire 83 Yonne 43 Aude 22 Seine-Saint-Denis 7
Alpes-Marit. 80 Orne 40 Allier 21 Martinique 7
Loiret 79 Côtesd'Armor 39 Aube 21 Corrèze 3
Marne 79 Jura 39 Haute-Saône 20 Ariège 2
Finistère 78 Pyrénées-atl. 39 Eure-et-Loire 18 Val-de-Marne 2
Seine-et-Marne 77 Vosges 39 Vendée 17 Guyane 2
Sarthe 76 Oise 38 Ardèche 16 Lozère 1
Nombre de condamnations par départements (1956-1975, N = 6 582)

Nombre de condamnations par départements (1956-1975, N = 6 582)

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Notes

  • [1]
    Nous tenons à remercier Jean Danet, Fabien Jobard, René Lévy, Élise Marsicano ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue, pour leurs relectures attentives des versions précédentes de cet article et les commentaires qu’ils et elles nous ont adressés.
  • [2]
    Cette enquête, qui a bénéficié du soutien de la Dilcrah, a été réalisée dans le cadre du projet de recherche « HomoCop. Police, justice et homosexualités » coordonné par Jérémie Gauthier (Université de Strasbourg, Dynamiques Européennes, Centre Marc Bloch Berlin) et Régis Schlagdenhauffen (EHESS-IRIS).
  • [3]
    Ce chiffre confirme les résultats des recherches menées précédemment à partir des mêmes sources (voir plus bas).
  • [4]
    Environ 50 000 personnes auraient été condamnées pour « gross indecency » au Royaume-Uni entre 1950 et 2000 (Schraer, D’Urso, 2017) et environ 68 000 en République fédérale d’Allemagne (RFA) entre 1949 et 1994 (Hoffschildt, 2002). L’homosexualité a été dépénalisée en 1967 au Royaume-Uni et partiellement en 1969 puis totalement en 1994 en RFA. Concernant la République démocratique Allemande (RDA), la dépénalisation a eu lieu en 1968 (Kiani, 2019).
  • [5]
    En 1945, la loi de 1942 est maintenue et devient l’article 331 alinéa 3 du Code pénal.
  • [6]
    Les années d’occupation ne donnent pas lieu à l’édition de Comptes généraux de la justice complets. Bien qu’une loi réprimant les relations homosexuelles sous certaines conditions fût promulguée en 1942, les statistiques judiciaires n’en font état qu’à partir de 1945. De même, à partir de 1978, les condamnations pour « homosexualité » disparaissent en tant que telles et sont intégrées à la catégorie « Autres [attentats aux mœurs] » qui comprend les infractions suivantes : homosexualité, incitation de mineur·e·s à la débauche, adultère, concubinage, bigamie et aide à la prostitution, (Annuaire statistique de la justice, 1978). Les chiffres pour les années 1978 et 1982 (les données détaillées ne sont pas disponibles pour les années 1979, 1980 et 1981) indiquent respectivement 323 et 50 condamnations.
  • [7]
    Nous nous concentrons ici sur le droit pénal bien qu’il ne fût pas le seul à réprimer les relations entre personnes de même sexe. Par exemple, à partir de 1946, le statut général des fonctionnaires stipulait que « Nul ne peut être nommé à un emploi public s’il n’est de bonne moralité », justifiant ainsi les discriminations. Un article du Code du travail, qui établissait que « Le maître doit se conduire envers l’apprenti en bon père de famille, surveiller sa conduite et ses mœurs, soit dans la maison soit au-dehors, et avertir ses parents […] des penchants vicieux qu’il pourrait manifester », permettait de légitimer les licenciements pour mauvaise moralité, voire homosexualité. Le 1er février 1949, le préfet de police de Paris édicte une ordonnance précisant que « Dans tous les bals […] il est interdit aux hommes de danser entre eux » (Borrillo, 1999).
  • [8]
    Ces volumes, édités annuellement depuis 1830, recensent l’activité des tribunaux et cours de justice françaises. Seuls les prévenu·e·s majeur·e·s y sont comptabilisé·e·s. Ils ont servi de sources à de nombreuses enquêtes sociologiques et historiques, notamment celles de Gabriel Tarde, Émile Durkheim ou Michel Foucault (Sgard, 2010).
  • [9]
    Comme le dispose l’article 331 du Code pénal de l’époque « Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 60 FF à 15 000 FF quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans ».
  • [10]
    Concernant la position du Parti communiste français sur l’homosexualité, voir Albertini, 2012.
  • [11]
    En se fondant sur les statistiques du ministère de la Justice, Claude Courouve note qu’« en moyenne », 300 à 400 condamnations sont prononcées par année pour « homosexualité », que les peines sont de l’ordre de quelques mois de prison pour les délinquant·e·s majeur·e·s (un peu moins d’un tiers sont marié·e·s ou l’ont été), que les délinquant·e·s mineur·e·s (60 à 80 par an) peuvent faire l’objet de mesures éducatives et que l’homosexualité poursuivie est presque exclusivement masculine (Courouve, 1977). Selon Claude Courouve, en 1966, 36 garçons de moins de 15 ans ont été amenés devant les tribunaux pour enfants au titre de l’infraction « homosexualité ». Pendant les « années noires », entre 20 % et 25 % des homosexuel·le·s poursuivi·e·s avaient moins de 21 ans.
  • [12]
  • [13]
    Voir les actes non publiés : Tamagne F., 2015, Surveillance et répression des pratiques homosexuelles en France (années 1920-1950) : retour sur quelques affaires de mœurs, colloque international « Histoire comparée des homosexualités en Europe au XXe siècle, Université de Lausanne, 12 au 14 octobre 2015 ; Tamagne F., 2016, Homosexualities in France and Germany (XIX-XXth century) : Some Comparative Perspectives, Journées d’études internationales « État et homosexualités au XXe siècle. Rupture et continuités dans les pays francophones et germanophones », Centre Marc Bloch, Berlin, 26-28 mai 2016. Voir également, Tamagne F., 2017, Les relations entre femmes 1945-1970 : invisibilisation et affirmation, journée d’étude « Violette Leduc ou la remise en cause des normes de l’après-guerre aux années 1968 », Université de Lille 3, 20 octobre 2017 ; Tamagne F., 2007, Same-sex relations between women in France : 1945-1970, conférence « Postwar Homosexual Politics : 1945-1970 », University of Amsterdam, 2-3 août 2007.
  • [14]
    Selon une jurisprudence de 1851 (cour d’appel d’Angers), « s’agissant de relations consenties avec un mineur de même sexe, la loi doit être différente, la prohibition le principe, alors qu’à l’époque, au-delà de 11 ans, les mêmes relations avec un mineur de l’autre sexe ne sont pas pénalement sanctionnées » (Danet, 1999, 99-100).
  • [15]
    Jean Danet appelle cette période l’« âge du combat » contre l’homosexualité par le biais du droit pénal (Danet 1999, 101), qui précède l’« âge de l’ignorance » (les années 1980) puis l’« âge de l’acceptation » (les années 1990).
  • [16]
    Avant 1942, la majorité sexuelle est de 13 ans pour les hétéro- et homosexuel·le·s.
  • [17]
    « Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 2 000 francs à 6 000 francs quiconque aura soit pour satisfaire les passions d’autrui, excité, favorisé ou facilité habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou de l’autre sexe au-dessous de vingt et un ans, soit pour satisfaire ses propres passions, commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans. »
  • [18]
    Cette mesure est précédée, fin 1948, par la proposition de Jacques Debu-Bridel, résistant, conseiller de Paris, de fermer toutes les boîtes de nuit homosexuelles de la capitale. La presse populaire lui emboîte le pas et publie quelques articles à sensation sur le sujet (Jackson, 2009).
  • [19]
    Pierre Hahn cite par exemple une déclaration en 1961 de Bernard Chenot, ministre de la Santé publique, sur la recrudescence des maladies vénériennes : « En réalité, les causes sont de deux ordres : résistance accrue des microbes aux antibiotiques, développement considérable de l’homosexualité dans tous les pays. […] Comment lutter contre cette recrudescence ? En aggravant les peines appliquées aux homosexuels […] », « La recrudescence des maladies vénériennes n’est pas particulière à la France », Le Monde, 24.07.1961.
  • [20]
    « La survie de l’ordre « moral » ambiant a permis à l’acte dit loi de 1942 de faire partie des textes maintenus par le Gouvernement de la Libération. L’exposé des motifs de l’ordonnance n° 45-190 du 8 février 1945 précise : “L’acte de l’autorité de fait dit loi n° 744 du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du Code pénal a réprimé les actes homosexuels dont serait victime un mineur de vingt et un ans. Cette réforme inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs ne saurait, en son principe, appeler aucune critique. Mais en la forme une telle disposition serait mieux à sa place dans l’article 331”. La politique de l’après-guerre ne s’est donc pas caractérisée par un retour à une approche de la sexualité plus conforme au respect des droits de l’homme, pourtant fortement réaffirmés dans le préambule de la constitution de 1946. » Patrick Bloche, « Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur les propositions de loi n° 88, 94 et 249 », Paris, Assemblée nationale, 1er octobre 1998.
  • [21]
    « Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 500 F à 15 000 F. », article 330 de l’ancien Code pénal.
  • [22]
    Ce moment répressif ne fut pas propre à la France : une campagne anti-homosexuel·le·s, dite de la « Lavender scare », a été menée aux États-Unis pendant les années 1950 dans le contexte du maccarthisme (Johnson, 2006).
  • [23]
    « La recrudescence des maladies vénériennes n’est pas particulière à la France », Le Monde, 24.07.1961.
  • [24]
    Voir la conférence de Tamagne F., 2018, Homosexualité, lieux de plaisir et surveillance policière (fin xixe – années 1970), Les nuits du Gay Paris, Paris, Petit Palais, 12 janvier 2018, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=pJrEzJDiLZw/.
  • [25]
    Il est à cet égard intéressant de noter que les stéréotypes concernant les Maghrébins se sont inversés avec le temps et le passage de la répression de l’homosexualité à la répression de l’homophobie : perçus dans les années 1950-1960 comme un groupe porté sur l’homosexualité, les Maghrébins sont aujourd’hui souvent perçus comme hostiles à cette dernière.
  • [26]
    Pierre Hahn cite le journal Paris-Presse du 18 novembre 1960 : « Il était une heure du matin. Sur le trottoir du boulevard Saint-Germain à l’angle de la rue de Rennes, des petits groupes de jeunes gens marchaient lentement […] Soudain, on vit clignoter au carrefour les phares à éclipse des voitures de police. Pendant quelques instants, il y eut une véritable chasse à l’homme […] par cars entiers les jeunes furent emmenés dans les bureaux de la brigade mondaine au deuxième étage du Quai des Orfèvres. Toute la nuit ils y furent interrogés par des inspecteurs spécialisés dans les affaires de mœurs […] Sur soixante-neuf homosexuels interpelés, neuf viennent d’être déférés au parquet » (Hahn, 1972, 133).
  • [27]
    Notamment les actions du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) et du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (Cuarh), (Idier, 2013). Voir également Bérard et Sallée (2015) pour une comparaison France-Québec.
  • [28]
    Ce déclin de l’attention portée à l’homosexualité dans les années 1970 semble également se traduire au niveau policier. D’après un entretien réalisé par Emmanuel Blanchard, le commissaire de la brigade mondaine de l’époque, Roger le Taillanter, dit avoir profondément transformé la Mondaine, notamment en ne portant aucune attention excessive aux « trouduculeries [sic] ». Le « groupe des pédés [sic] » continua d’exister mais aurait eu des fonctions de surveillance et de « protection » des lieux de rencontre homosexuels. Ces missions perdirent du prestige au profit de la Brigade des stupéfiants dont les effectifs furent considérablement étoffés (Blanchard, 2008).
  • [29]
    On rappellera que la majorité sexuelle était fixée à 11 ans en 1851, pour être portée à 13 ans en 1863 puis 15 ans en 1945.
  • [30]
    Les données ne sont pas disponibles pour la période 1942-1945.
  • [31]
    Notre analyse exclut donc la répression infrapénale par les services de police (c’est-à-dire les pratiques de contrôle, de fichage, de harcèlement, voire de violence).
  • [32]
    La catégorie « Autres attentats aux mœurs » comprend un total de 50 condamnations pour l’année 1982.
  • [33]
    Outrage public à la pudeur, outrage aux bonnes mœurs, outrage public à personne de même sexe, incitation de mineur·e à la débauche, proxénétisme, racolage actif, bigamie, aide à la prostitution, proxénétisme hôtelier, publications destinées à la jeunesse (catégories de 1977). Plusieurs de ces rubriques peuvent concerner des conduites homosexuel·le·s, en particulier l’incitation de mineur·e·s à la débauche.
  • [34]
    De 1945 à 1953, le CGJ distingue seulement les peines inférieures et supérieures à un an d’emprisonnement. À partir de 1953, un système hybride est utilisé. À partir de 1956, le CGJ renseigne la durée des peines « en tenant compte des décisions d’appel ».
  • [35]
    Pour les années 1953 et 1954, les résultats varient de 147 condamnations prison selon que l’on se fonde sur le premier ou le second calcul.
  • [36]
    Selon une note méthodologique du Compte général de la justice, « il s’agit des individus condamnés par les tribunaux correctionnels, sans qu’un appel ait été formé, et des individus condamnés par des cours d’appel ».
  • [37]
    L’article 331 al. 3 du Code pénal ne parle pas d’un acte impudique ou contre-nature commis sur la personne d’un individu de son sexe, comme le font les deux premiers alinéas de cet article à propos de l’attentat à la pudeur, il envisage l’acte impudique ou contre-nature commis avec un individu de son sexe. De cette rédaction, il résulte nettement que les deux protagonistes sont ici coauteurs d’un même délit et qu’ils peuvent donc être poursuivis ensemble s’ils sont tous les deux mineur·e·s de 21 ans (Yvorel, 2011).
  • [38]
    Il n’est pas possible de distinguer les
    condamnations dans le cadre de la loi de 1945 de celles liées à l’amendement Mirguet sur les outrages publics à la pudeur.
  • [39]
    Les statistiques disponibles ne permettent pas de distinguer le sursis partiel du sursis total.
  • [40]
    L’analyse de la durée des peines porte sur 8 211 peines de prison dont la durée est connue : dans certains cas la durée de la peine était inconnue, dans d’autres cas, il se peut que la peine n’ait pas été mise à exécution.
  • [41]
    « La délégation de pouvoirs donnés au Gouvernement par la loi précitée du 30 juillet 1960 comporte également la possibilité de prendre toutes les mesures propres à lutter contre l’homosexualité. Pour satisfaire aux buts ainsi fixés par le législateur, l’ordonnance prévoit dans le détail les mesures suivantes […]. L’article 2 institue à l’article 330 du Code pénal une peine aggravée pour le cas où l’outrage public à la pudeur est commis par des homosexuels […]. Il a paru qu’il était particulièrement utile, pour répondre au vœu exprimé par le Parlement, d’augmenter les peines prévues lorsque cette infraction est commise par des homosexuels. » (Ordonnance n° 60-1245 du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme, JO du 27 novembre 1960, p. 10604).
  • [42]
    Ces résultats se fondent sur l’analyse d’archives judiciaires d’« internats d’observation » pour filles et garçons et du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel de la Seine. Les auteurs ont dépouillé plus de 1 600 dossiers individuels et de procédure correctionnelle ayant trait à des affaires d’attentats aux mœurs (relevant principalement des articles 330 et 331 du Code pénal) et impliquant des mineurs, filles ou garçons, victimes ou inculpés, entre 1945 et 1958 (Blanchard, Revenin, 2011).
  • [43]
    Classes supérieures (N = 375) : professions littéraires et scientifiques (58), professeurs, cadres supérieurs (118), industriels (28), rentiers (7), professions libérales (43), patrons (2), patrons pêcheurs (3), propriétaires exploitants (8), artistes (108). Classes moyennes (N = 1 379) : cadres moyens (35), ingénieurs (40), instituteurs (155), autres intellectuels (24), techniciens (110), cadres administratifs moyens (188), services médicaux sociaux (14), artisans (88), commerçants (522), armée et police (87), contremaîtres (58), clergé (58). Classes populaires (N = 4 375) : manœuvres (896), apprentis (24), ouvriers (14), OS (769), ouvriers qualifiés (1090), mineurs (95), marins pêcheurs (33), gens de maison (10), femme de ménage (1), gardien (10), autres personnes de service (340), ménagères (5), employés de commerce (180), employés de bureau (512), agriculteurs (127), salariés agricoles (243), fermiers (2), métayer (1), militaires du contingent (23).
  • [44]
    Pour un constat similaire dans une petite ville des États-Unis dans les années 1960, voir Humphreys, 2007.
  • [45]
    Belges, Espagnols, Italiens, Polonais, Portugais, Yougoslaves et « autres ». Les données pour 1966, 1971 et 1973 sont manquantes.
  • [46]
    Pour l’année 1978, la proportion des étrangers parmi les condamnés hommes pour l’ensemble des infractions étaient de 12,7 % ; elle était de 15,6 % pour les infractions « contre les mœurs » (Aubusson de Cavarlay, 1985).
  • [47]
    En 1956 et 1975, la France métropolitaine comptait respectivement 44 millions et 52 millions d’habitants.
  • [48]
    S’agissant des DOM, les années 1951 et 1960 restent lacunaires. L’année 1972 indique un chiffre global (2) pour l’ensemble des DOM. Par ailleurs, les statistiques ne sont plus disponibles après 1973.
  • [49]
    Le détail des condamnations par département figure en Annexe.
  • [50]
    En 1981, le Groupe de contrôle des homosexuels de la Préfecture de police de Paris est dissout et les fichiers qui recensent les homosexuel·le·s sont officiellement supprimés.
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