Introduction
1 En 1989, l’article 19 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant a proclamé le droit à une éducation sans violence. Aujourd’hui, ce droit est ancré dans la législation de dix-huit pays européens. En Suède (1979), en Finlande (1983), en Norvège (1987) et en Autriche (1989), la codification a eu lieu avant l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies. Ont suivi Chypre (1994), le Danemark (1997), la Lettonie (1998), la Croatie (1999), l’Allemagne (2000), l’Islande (2003), la Bulgarie (2003), l’Ukraine (2004), la Roumanie (2005), la Hongrie (2005), la Grèce (2006), les Pays-Bas (2007), le Portugal (2007) et l’Espagne (2008). La législation de ces pays s’inspire de l’exemple de la Suède, pays ayant le premier au monde proscrit les châtiments corporels de l’éducation familiale. Selon le droit parental suédois : « Les enfants ne peuvent être soumis à un châtiment corporel ou à tout autre traitement humiliant » (chap. 6, § 3, al. 2).
2 Diverses recherches internationales avancent que l’interdiction des châtiments corporels en Suède a favorisé le processus de réduction de la violence éducative et eu à cet égard une influence considérable sur l’opinion et le comportement des parents (Durrant, 1999, 2005 ; Edfeldt, 1996 ; Janson, 2005 ; Stattin, Janson, Klackenberg-Larsson, Magnusson, 1998). Grâce aux mesures nationales de sensibilisation largement diffusées, la loi avait un degré de notoriété de plus de 90% un an seulement après son adoption (Newell, 1980 ; Ziegert, 1983). Au vu des résultats modérés obtenus en Allemagne où la modification de la loi a également été promue (Bussmann, 2000, 2004), il semble nécessaire d’associer l’interdiction légale à des campagnes intensives d’accompagnement. En outre, la Suède n’a eu de cesse de mener des actions de communication sur la loi d’interdiction et sur la nocivité des châtiments corporels. Ces actions, depuis lors constamment soutenues par diverses ONG (organisations non gouvernementales), telles Save the Children Sweden (Save the Children Sweden, 2001) sont menées à plusieurs niveaux et s’adressent aussi bien aux parents qu’aux enfants du scolaire et du préscolaire.
3 Il est fort probable que la Suède enregistre le niveau de violence éducative dans l’éducation familiale le plus bas de la comparaison européenne. En 1994, seuls 50% des enfants suédois rapportaient avoir subi un châtiment corporel, alors qu’ils étaient en 2001 encore 76% en Allemagne. Seuls 3% des enfants suédois ont reçu une grande gifle et 1% une raclée (en 2001 : respectivement 9% et 3% en Allemagne). Selon de récentes recherches, près de 4% des 11-13 ans et 7% des jeunes adultes suédois subissent des châtiments corporels (Durrant, 2000 ; Janson, 2003).
4 Plusieurs études rapportent cependant un recul sensible de la violence éducative dans des pays n’ayant pourtant pas légiféré sur l’interdiction de la violence. Par ailleurs, l’impact positif de l’interdiction suédoise est remis en cause par une comparaison internationale des homicides d’enfants enregistrés (Beckett, 2005). De telles analyses ne suffisent toutefois pas à évaluer les impacts d’une interdiction des châtiments corporels de manière fiable (Janson, 2005). D’une part, la comparaison des statistiques nationales échoue en raison des fameux effets de contrôle et de définition ; d’autre part, bien souvent, les homicides d’enfants ne résultent pas de punitions corporelles, mais reposent sur des causes multiples, de telle sorte qu’une interdiction de la violence n’aurait qu’une influence très relative sur ces causes de survenance (Janson, 2005 ; Schneider, 2001).
5 Néanmoins, les conséquences de l’interdiction suédoise des châtiments corporels sur la réduction de la violence sont contestées, le recul étant plutôt attribué au changement général de valeurs et d’opinions dans la société (Beckett, 2005 ; Lazelere, Johnson, 1999 ; Roberts, 2000). Les effets positifs de l’interdiction suédoise des châtiments corporels sont ainsi controversés presque trente ans après son adoption.
Concept méthodologique de l’étude comparative européenne
6 Jusqu’à présent, les répercussions des interdictions des châtiments corporels n’ont pas été étudiées avec un instrument d’enquête comparable pour tous les pays. Pour cette raison, la Deutsche Forschungsgemeinschaft, organisme allemand de promotion de la recherche, lance dans cinq pays une étude comparative européenne sur les répercussions intrafamiliales de l’interdiction des châtiments corporels. Cette orientation de recherche a été initiée par le Professeur Detlev Frehsee († 2001). En 1992, 1994 et 1996 en Allemagne, des études relatives à la violence familiale ont été menées sous l’angle juridique auprès de parents et de jeunes, avec le responsable de projet actuel (Frehsee, 1992, 1993 ; Frehsee, Bussmann, 1996 ; Frehsee, Horn, Bussmann, 1996).
7 Pour des raisons d’économie de recherche, seuls cinq pays ont été retenus pour cette première étude comparative européenne : la Suède, l’Autriche, l’Espagne, la France et l’Allemagne, qui reflètent le contexte juridique hétérogène de l’Europe. La codification de l’interdiction de la violence dans l’éducation familiale ainsi que la conduite de campagnes d’information et de sensibilisation ont servi de critères de distinction et de sélection. Outre la Suède, seules l’Allemagne et l’Autriche disposent d’une interdiction légale de la violence éducative. Le droit civil actuellement en vigueur dans ces pays proscrit catégoriquement toutes formes de violence éducative. Le texte allemand stipule : « Les enfants ont droit à une éducation non-violente. Les châtiments corporels, les maltraitances psychiques ainsi que toute autre mesure contraire à la dignité de l’enfant sont interdites » (art. 1631, al. 2 du code civil allemand). En Autriche : « Il est illégal de recourir à la violence et d’infliger des souffrances physiques ou mentales » (art. 146 a code civil autrichien). La loi autrichienne d’interdiction est certes entrée en vigueur en 1989, mais contrairement à l’Allemagne (interdiction depuis 2000), aucune campagne nationale de sensibilisation n’y a été menée. Une comparaison avec l’Autriche permet ainsi d’étudier dans quelle mesure les campagnes d’information et de sensibilisation soutiennent l’impact d’une interdiction des châtiments corporels.
8 Pour la suite de l’étude, le choix s’est porté sur l’Espagne et la France où n’existe aucune loi d’interdiction, des campagnes de sensibilisation sur la nocivité des châtiments corporels ayant toutefois été menées en Espagne. Il est ainsi possible d’étudier l’importance de l’interdiction légale par rapport aux seules actions d’information et de sensibilisation. Si l’on part du principe qu’une interdiction des châtiments corporels produit des effets intrinsèques, ne fussent-ils que de renforcement, ces deux pays devraient obtenir de plus mauvais résultats que tous les autres pays cités supra, s’agissant en particulier de l’opinion sur la violence, ainsi que de la fréquence et la gravité des punitions corporelles. Ces résultats devraient probablement être similaires à ceux de l’Allemagne des années 1990 avant l’adoption de l’interdiction de la violence (Bussmann, 2004, 2000).
9 À la date de l’enquête, le droit parental de correction en Espagne était réglé comme suit : « Les enfants mineurs sont soumis à l’autorité parentale. L’autorité parentale doit toujours être exercée dans l’intérêt de l’enfant, en fonction de sa personnalité […]. Ils peuvent châtier leurs enfants dans des limites raisonnables et avec mesure » (code civil espagnol, Livre VII, art. 154). Depuis 1998, des campagnes nationales de sensibilisation relatives aux risques des comportements éducatifs parentaux violents sont menées. De l’avis de certains scientifiques espagnols, pédiatres et psychologues, une prise de conscience du problème doit être éveillée chez les parents afin de les rallier à une éducation non-violente (Arruabarrena Madariaga, De Paúl Velasco, 1999 ; Cerezo, Pons-Salvador, 2002). Ces efforts ont mené à la nouvelle loi entrée en vigueur le 1er janvier 2008 qui restreint considérablement les limites du droit parental de correction. Désormais, les parents espagnols doivent également « tenir compte de l’intégrité physique et psychique » (code civil espagnol, Livre VII, nouvel art. 154 du 28.12.2007), les châtiments corporels y sont désormais également interdits.
10 En France, les châtiments corporels ne sont pas interdits par la loi, aucune campagne publique à l’échelle nationale avisant de leurs risques n’a été menée et la non-violence éducative n’y est pas prônée. Le code civil français accorde aux parents une grande marge d’appréciation : « L’autorité appartient aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. À cet égard, ils ont le droit et le devoir de garde, de surveillance et d’éducation » (code civil, Livre 1, Titre IX, art. 371-2). À l’exception des maltraitances qui sont également punies par la loi française, le choix des moyens éducatifs n’est pas restreint.
11 Conformément aux hypothèses de recherche, les meilleurs résultats étaient attendus en Suède, suivie par l’Autriche et l’Allemagne. Bien que la violence soit interdite en Autriche depuis longtemps déjà, on est parti du principe que les résultats auraient dû être moins bons que ceux de l’Allemagne où sont menées plus de campagnes de sensibilisation et d’information. En revanche, les plus mauvais résultats étaient attendus des pays n’ayant pas légiféré sur l’interdiction de la violence, avec la France en dernière position. La France, pays industriel d’Europe occidentale ayant concouru au changement général de valeurs, n’a entrepris aucun effort comparable en matière de réduction de la violence. Les résultats de l’enquête pour la France devraient par conséquent contraster le plus avec ceux de la Suède et être les plus mauvais de la comparaison.
12 Pour entreprendre la comparaison, un échantillon aléatoire de 5000 parents-1000 parents par pays – a été consulté d’octobre à décembre 2007 au moyen d’un questionnaire standardisé, en entrevues face à face. La population était constituée de parents vivant au foyer, ayant au moins 25 ans et au moins un enfant de moins de 18 ans. Afin d’éviter toutes distorsions des résultats, seuls les parents ayant la nationalité du pays respectif ont été retenus. Les faibles inégalités de répartition dans l’échantillon ont été pondérées en fonction des données sur l’âge et le sexe conformément à la répartition dans le pays respectif.
Prévalence de la violence éducative
L’éducation des propres enfants
13 En Suède, la comparaison de la fréquence des mesures éducatives utilisées révèle, conformément à l’hypothèse et pour l’ensemble des châtiments corporels, un niveau de sanction significativement plus bas, égalé par aucun autre pays. Quant au recours aux châtiments corporels légers, de nettes différences apparaissent entre la Suède et les pays ayant légiféré et ceux n’ayant pas légiféré. Alors que 14,1% des parents suédois ont déclaré donner de « petites gifles », ce taux atteignait 49,9% en Autriche et 42,6% en Allemagne, niveau nettement supérieur à celui de la Suède et encore plus élevé en Espagne et en France, avec respectivement 54,6% et 71,5%, conformément à l’hypothèse de recherche. Plus impressionnantes encore sont les divergences entre les deux groupes de pays (ceux ayant légiféré et ceux n’ayant pas légiféré) quant à la sanction « donner une fessée », qui représente le seuil à partir duquel les châtiments corporels sont considérés comme sévères. Alors qu’en Suède 4,1%, en Autriche 16,0% et en Allemagne 16,8% des personnes interrogées pratiquent ce genre de punition, plus de la moitié des parents espagnols (53,8%) et français (50,5 %) y ont recours. S’agissant de la France, une enquête française de 2007 parvient à des résultats similaires (Union des Familles en Europe, 2007).
14 Il semble que les parents suédois aient intériorisé l’interdiction des châtiments corporels, presque trente ans après son adoption. Ni l’Autriche, avec l’interdiction des corrections la plus ancienne d’Europe après la Suède (1989), ni l’Allemagne avec une interdiction des châtiments corporels comparable et explicitement formulée (2000), n’atteignent ce faible niveau de sanction.
Châtiments corporels légers et sévères utilisés (chiffres exprimés en pourcentage, pondérés).
Châtiments corporels légers et sévères utilisés (chiffres exprimés en pourcentage, pondérés).
Groupes de sanction
15 Afin de différencier les divers modèles éducatifs, toutes les formes de sanction faisant l’objet de l’étude ont été prises en compte, non seulement les châtiments corporels mais aussi la privation de télé et de sortie, la réduction de l’argent de poche, ainsi que le fait de crier sur l’enfant ou de ne pas lui adresser la parole. Sur la base d’une analyse factorielle (rotation varimax, analyse en composantes principales, analyse en axes principaux), toutes les mesures éducatives ont pu être affectées aux quatre facteurs : sanctions d’interdiction, sanctions psychiques, châtiments corporels légers et sévères (cf. Bussmann, 2000, 2002, 2004, 2005). La constitution des groupes de sanction n’a pas eu lieu en recourant à des indices sommatifs, mais générée en comptant le comportement de réponse.
Éducation sans châtiments corporels : Les parents renoncent aux châtiments corporels et recourent à des sanctions d’interdiction et des sanctions psychiques.
Éducation conventionnelle : Les parents utilisent toutes les formes de sanction, excepté les châtiments corporels sévères ; les personnes interrogées ayant eu une seule fois recours à des sanctions relevant des châtiments corporels sévères étant également affectées au groupe conventionnel.
Éducation affectée par la violence : À côté des autres formes de sanction, les parents recourent également plus d’une fois à des châtiments corporels sévères (donner une grande gifle, taper avec un objet, donner une raclée).
18 Ce que les seules fréquences révélaient déjà se confirme lors de la formation des sous-groupes : les trois quarts des parents suédois élèvent leurs enfants sans châtiments corporels, un cinquième de manière « conventionnelle » et seulement 3,4% se trouvent dans le groupe des parents dont l’éducation est affectée par la violence. La majorité des parents autrichiens (55,8%) et allemands (57,9%) préfèrent en revanche une éducation « conventionnelle », plus d’un quart ne recourt pas à des châtiments corporels et près de 14% se trouvent cependant dans le groupe des parents recourant à une éducation affectée par la violence. Presque la moitié des parents espagnols (47,7%) et français (46,7%) pratiquent encore ce style d’éducation.
Groupes de sanctions (chiffres exprimés en pourcentage).
Groupes de sanctions (chiffres exprimés en pourcentage).
Éducation de la génération des parents
19 Les parents ont également été interrogés sur les sanctions qu’ils ont eux-mêmes subies dans leur enfance. La comparaison révèle que la violence à laquelle les parents de chaque pays étaient soumis est nettement supérieure au niveau de violence de leurs propres mesures éducatives. Le taux de parents suédois éduqués sans châtiments corporels atteint toutefois, avec 39,4%, un niveau que ni les parents autrichiens, ni les parents allemands n’atteignent aujourd’hui. Dans le même temps, le taux de parents recourant actuellement à une éducation affectée par la violence en Espagne et en France, c’est-à-dire dans les pays n’ayant pas légiféré sur l’interdiction, est plus de deux fois plus élevé que le taux de parents y ayant recouru dans l’enfance des parents suédois interrogés.
20 Ces différences renvoient, au-delà du changement général de valeurs postulé, au succès de l’interdiction très précoce des châtiments corporels et des discours en amont relatifs à une éducation sans violence et à la nocivité des châtiments corporels. Déjà dans les années 1970 et 1980, la génération actuelle des parents suédois a subi dans son enfance moins de violence éducative que les enfants actuels des pays de la comparaison. Le recul de plus de 10% de la prévalence des châtiments corporels dans l’éducation de la génération des parents suédois est unique dans la comparaison européenne. Ceci ne peut donc pas seulement être attribué à l’adoption de l’interdiction de 1979 ; il faut pour cela prendre en considération les réformes juridiques précédentes ainsi que les discussions publiques. Déjà en 1957, la justification légale des châtiments corporels parentaux a été retirée du droit pénal suédois (Durrant, 1996). En 1966, après de longues discussions, s’ensuivit la suppression de ce droit du droit civil. Entre 1965 et 1971, l’assentiment de la population suédoise face à l’usage de châtiments corporels dans l’éducation a reculé (Durrant, 1996 ; Edfeldt, 1996). D’un point de vue juridique, les punitions corporelles n’étaient donc déjà pas admises à cette époque. L’interdiction de 1979 n’a fait que confirmer l’abolition morale de la violence par la population et donner une orientation claire aux parents. En fait, la génération actuelle des parents suédois a grandi dans une phase de proscription sociale de la violence éducative, amorcée depuis longtemps déjà et renforcée par l’interdiction explicite de 1979.
21 Ces évolutions se reflètent dans les données qui suivent, concernant les diverses générations de parents. Pour un meilleur aperçu, nous nous sommes toutefois limités, dans le tableau, aux deux groupes de parents qui élèvent / ont élevé leurs enfants sans/ avec violence (cf. tableau 1). En Suède, entre 1962 et 1967, puis entre 1968 et 1973 ainsi que pour les parents nés après 1979, on constate une croissance des modèles éducatifs sans violence et une diminution des modèles éducatifs affectés par la violence. La première évolution de 1966 pourrait être fondée sur la discussion publique ayant précédé la suppression du fait justificatif des châtiments corporels parentaux légers. Le changement après 1979 est vraisemblablement, selon nous, une conséquence de la codification de l’interdiction des châtiments corporels et de la campagne d’information nationale ayant suivi.
22 Il faut cependant prendre en considération qu’il n’existe aucune donnée de séries chronologiques ; une série chronologique a seulement été simulée en interrogeant les générations sur leurs souvenirs au moyen d’une étude transversale et en reproduisant les résultats sur une série chronologique en fonction des groupes d’âge. Les divergences seraient probablement plus contrastées s’il s’agissait ici de données de séries chronologiques avec des données d’enquête des périodes concernées, le vécu rétrospectif estompant plutôt les divergences.
23 Malgré ce biais méthodologique (Fiedler, 2004), il apparaît que la Suède témoigne d’une tradition de plusieurs décennies d’éducation en grande partie sans violence. Les répercussions positives sont aujourd’hui nettement identifiables. En revanche, les enfants recevant aujourd’hui encore une « petite gifle » en Autriche et en Allemagne sont plus nombreux que cela n’était le cas pour la génération actuelle des parents suédois.
Né à partir de 1979 (jusqu’à 29 ans) | 45,3 | 89,5 | 14,7 | 0,9 | 7,6 |
33,0 44,7 | 8,9 |
14,1 35,3 | 38,1 | 12,8 | 4,2 | 11,4 | 76,4 | 49,1 | 2,8 | 9,6 | 67,6 | 41,2 |
Né entre 1973-1978 (30-34 ans) | 44,1 | 83,9 | 16,0 | 1,2 | 10,0 |
34,2 46,4 | 13,8 |
13,3 28,4 | 45,2 | 14,1 | 7,5 | 26,9 | 67,6 | 40,3 | 2,9 | 8,2 | 68,5 | 37,9 |
Né entre 1968-1973 (35-39 ans) | 47,3 | 80,1 | 15,8 | 2,0 | 9,2 |
26,2 42,7 | 15,9 |
13,2 31,6 | 45,1 | 8,2 | 5,9 | 14,0 | 72,6 | 46,1 | 5,2 | 5,8 | 72,0 | 53,1 |
Né entre 1962-1967 (40-45 ans) | 38,3 | 75,0 | 19,0 | 1,3 | 15,2 |
26,5 46,4 | 15,3 |
9,5 26,9 | 54,6 | 14,5 | 10,9 | 14,2 | 65,8 | 47,7 | 3,1 | 6,5 | 75,5 | 49,2 |
Né avant 1962 (46 ans et plus) | 33,8 | 73,3 | 24,4 | 4,4 | 10,5 |
33,8 51,3 | 14,5 |
9,2 22,4 | 55,5 | 18,8 | 10,2 | 14,3 | 72,4 | 54,4 | 5,2 | 10,3 | 72,3 | 46,2 |
Propre enfance | Aujourd’hui | Propre enfance | Aujourd’hui | Propre enfance |
Aujourd’hui Propre enfance | Aujourd’hui |
Propre enfance Aujourd’hui | Propre enfance | Aujourd’hui | Propre enfance | Aujourd’hui | Propre enfance | Aujourd’hui | Propre enfance | Aujourd’hui | Propre enfance | Aujourd’hui | |
Suède Sans violence Affecté par la violence |
Autriche Sans violence Affecté par la violence |
Allemagne Sans violence Affecté par la violence |
Espagne Sans violence Affecté par la violence |
France Sans violence Affecté par la violence |
Faire subir et subir la violence au sein du couple
24 Des études empiriques montrent que la violence au sein du couple augmente le risque de violence éducative (Lamnek, Lüdke, Ottermann, 2006 ; McGuigan, Pratt, 2001). On a donc également demandé aux parents s’ils étaient exposés à des actes à caractère violent dans leur couple et s’ils tendaient eux-mêmes à un comportement violent.
25 En Suède, le niveau des affrontements corporels sévères entre les partenaires se situe nettement en dessous de celui des autres pays faisant l’objet de la comparaison. Les affrontements verbaux y sont plus fréquents. Ceci s’explique certainement plus par une sensibilité accrue aux formes même légères de violence que par un choix conscient de recourir à la violence verbale (plus légère) (cf. figure 3). En Suède, les actes se situant dans la limite inférieure de la violence (toucher ou pousser rudement) sont certes aussi fréquents qu’en Allemagne ou en Autriche, mais les actes évidents de violence y sont nettement plus rares. Les Suédois devraient par conséquent discerner et faire état d’un plus grand nombre de conduites conflictuelles indésirables. La question relative à la violence exercée par soi-même dans le couple fait apparaître un résultat similaire.
Violence subie dans le couple (chiffres exprimés en pourcentage).
Violence subie dans le couple (chiffres exprimés en pourcentage).
Connaissance du droit et des campagnes
Notoriété des lois et des campagnes de sensibilisation
26 Près de 90% des parents suédois interrogés rapportent avoir entendu parler de l’interdiction des châtiments corporels en vigueur depuis 1979. D’autres études montrent qu’un an seulement après son adoption et grâce à des mesures nationales de sensibilisation largement diffusées, l’interdiction avait déjà un degré de notoriété aussi élevé que celui révélé par notre étude (Newell, 1980 ; Ziegert, 1983). La Suède n’a eu de cesse de mener des actions de communication sur la nocivité des châtiments corporels et sur la loi d’interdiction. Ces actions, depuis lors constamment soutenues par diverses organisations non gouvernementales (ONG), sont menées à plusieurs niveaux et s’adressent aussi bien aux parents qu’aux enfants du scolaire et du préscolaire (Janson, 2005 ; Save the Children Sweden, 2001).
27 En Autriche et en Allemagne, près de respectivement 32% et 31% des personnes interrogées ont connaissance de la loi en vigueur. Ce résultat plutôt modéré par rapport à celui de la Suède semble parler en faveur de la nécessité d’associer l’interdiction légale à des campagnes d’accompagnement intensives et à long terme. Au contraire de l’Autriche où aucune campagne nationale d’information n’a été menée, le gouvernement allemand a eu recours à une stratégie publicitaire multimédias sous la devise « Plus de respect pour les enfants » afin de promouvoir la modification de la loi. Cette campagne n’ayant été menée qu’en 2000 et 2002, la modification de la loi n’a pas sensiblement gagné en notoriété. Ainsi, un an après l’entrée en vigueur de la loi allemande, près de 30% des parents allemands et presqu’autant d’enfants et de jeunes avaient connaissance de cette nouvelle loi sous le paradigme d’une éducation sans violence (Bussmann, 2004).
28 Ces résultats indiquent que les campagnes ont bel et bien un impact et qu’il ne faut cesser, à l’exemple de la Suède, d’informer sur les risques de la correction parentale, afin d’ancrer le droit à une éducation sans violence mais aussi la nocivité des châtiments corporels dans la conscience populaire.
29 Près de 38% des parents espagnols et 32% des parents français ont entendu parler d’actions de communication sur la nocivité des châtiments corporels. L’écart entre les deux pays est relativement faible compte tenu qu’en Espagne l’ONG Save the Children effectue depuis 1998 un travail de sensibilisation (Save the Children Spain, 2001), alors qu’en France aucune campagne nationale ou de longue durée n’a été menée.
La conscience du droit
30 En cohérence avec les résultats mis en évidence jusqu’à présent, seule une minorité négligeable de Suédois pense encore que les châtiments corporels sont autorisés. Même concernant les châtiments corporels légers qui, jusque dans les années 1980, étaient encore considérés comme normaux et socialement acceptés (Janson, 2005 ; Stattin et al., 1998 ; Straus, 1980), les limites juridiques sont correctement interprétées par une grande majorité. Même dans la limite inférieure, à savoir la « tape sur le derrière » qui, de l’avis de nombreux juristes, se trouve en deçà du seuil de gravité aussi bien en Allemagne qu’en Autriche et est donc encore considérée comme légale, seuls 6% des parents suédois la considèrent comme une mesure éducative autorisée. Ainsi, les parents suédois interprètent la loi beaucoup plus strictement que les parents des deux autres pays de la comparaison ayant également légiféré sur une interdiction absolue. Leur comportement de sanction est dans une large mesure en accord avec leur conscience relativement stricte du droit. Seuls 17% des parents suédois ont indiqué avoir donné une tape sur le derrière, contre environ deux tiers des parents allemands ou autrichiens (voir figure 1).
31 S’agissant de l’évaluation des formes légères de sanction, il semble en revanche que l’ancien droit parental de correction ait encore de forts retentissements en Allemagne et en Autriche. La réforme juridique y est beaucoup plus récente lorsque l’on considère que les toutes premières réformes du droit civil suédois sont intervenues dès la fin des années 1950. En Suède, la non-violence dans l’éducation a, de toute évidence, une tradition culturelle et juridique beaucoup plus longue.
32 Quant à l’Espagne et la France qui n’ont pas légiféré sur l’interdiction des châtiments corporels, de nettes différences se dessinent s’agissant aussi bien des châtiments corporels légers que sévères. Bien qu’à la date de l’enquête aucun des deux pays n’ait adopté un texte de loi restreignant le droit parental de correction, nettement moins de parents espagnols que de parents français considèrent les châtiments corporels comme étant juridiquement autorisés. Ceci est probablement le fruit de la répercussion des discussions publiques et des campagnes de sensibilisation qui ont précédé la réforme juridique espagnole de décembre 2007 (après le recueil de données pour cette étude). Dans tous les pays, les formes de sanctions assimilées à des maltraitances, telles les raclées, sont en revanche considérées par près de 97-99% des parents comme étant incompatibles avec la loi. Seule la France diverge. Ici, une minorité relativement élevée, soit 9,3% des parents, considère une « raclée » comme conforme à la loi.
33 Une comparaison longitudinale effectuée en Allemagne de 1996 à 2007 montre le temps nécessaire à surmonter l’héritage des conceptions du droit (Bussmann, 2003, 2005, voir figure 5). En Allemagne, la discussion publique, le changement général de valeurs ainsi que les réformes juridiques vont de pair. En 1998, la loi dite d’interdiction des maltraitances a ouvert la voie à l’interdiction absolue de la violence, en vigueur depuis novembre 2000. En ce qui concerne les châtiments corporels moins sévères comme la « petite gifle » et la « tape sur le derrière », on constate par conséquent une hausse continue dans la conscience du droit. Depuis 2003, l’assentiment juridique a diminué de plus des deux tiers s’agissant de la « petite gifle » et de plus de la moitié pour la « tape sur le derrière ». Une interdiction légale, associée à une thématisation publique et continue d’une éducation sans violence, peut donc avoir une influence sur la conscience du droit. C’est ce qui résulte également d’autres études suédoises (cf. Janson, 2005).
Évolution dans le temps de la perception par les parents allemands de ce qu’autorise le droit en vigueur.
Évolution dans le temps de la perception par les parents allemands de ce qu’autorise le droit en vigueur.
Acceptation de l’interdiction de la violence
Opinions sur le paradigme d’une éducation sans violence
34 Malgré toutes les différences constatées entre les pays, s’agissant des mesures éducatives utilisées et de l’estimation de ce qui est juridiquement autorisé, l’écrasante majorité des parents de tous les pays, dont 93,4% des Suédois, partagent les mêmes opinions de rejet de la violence et approuvent l’idéal d’une éducation sans violence. Ceci révèle le changement de valeurs postulé dans tous les pays étudiés, convergeant vers une éducation sans violence. Cependant, entre 15% et 20% des personnes interrogées pensent ne pas être capables de surmonter le quotidien de l’éducation sans recourir à de légers châtiments corporels. En Suède, près de 18% des parents le pensent également, le taux de parents recourant à une éducation conventionnelle (20,7%) étant presqu’aussi élevé (cf. figure 2).
35 Le comportement de réponse des parents espagnols à l’acceptation des châtiments corporels diverge peu de celui des parents vivant dans les pays où existe une loi d’interdiction. En France en revanche, 43% des parents, c’est-à-dire plus du double, ne peuvent s’imaginer une éducation exempte de moyens si nécessaire draconiens. Il n’est donc pas étonnant que 53% des parents français aient voté contre la suppression des châtiments corporels éducatifs (Union des Familles en Europe, 2007). L’intervention du changement de valeurs n’explique donc pas les grandes divergences existant entre les cinq pays quant à l’usage de la violence dans l’éducation. Cet effet n’aurait plutôt conduit qu’à une diminution générale du niveau de la violence.
Opinion sur l’éducation sans violence (chiffres exprimés en pourcentage).
87,6 89,1 88,2
90 84,4 85,1 86,2 86,8 85,2 82,3
80
70
60
50 42,6
40
30
20,5 19,3
18,3
17,3 17,3
20 15,3 16,112,7 14,0
10
0
Education sans punition corporelle Recours indispensable àdes mesures Aspirationà une éducation sans Idéal d’une éducationsans violence
léger impensable éducatives draconiennes violence dans la mesure du possible
Suède Autriche Allemagne Espagne France
Opinion sur l’éducation sans violence (chiffres exprimés en pourcentage).
Opinions sur la violence éducative
36 Nous avons rassemblé les opinions de manière plus différenciée encore, afin de réduire les effets de désirabilité qui étaient supposés en raison de l’opinion négative générale observée dans la société face à toute forme de violence. Indépendamment de l’existence d’une interdiction des châtiments corporels, la majorité de tous les parents plaide en faveur du dialogue, conformément à leur idéal éducatif. Deux tiers des parents sont même conscients que les coups éducatifs puissent éventuellement être à la base d’un cycle de violence.
37 Il est remarquable de constater qu’une grande partie des personnes interrogées attribue les châtiments corporels à des causes situationnelles, en l’occurrence à une détresse occasionnelle ou à un défaut d’alternatives. Ici, les différences par rapport aux parents suédois sont nettement visibles. Ceux-ci acceptent plus rarement de justifier le recours aux châtiments corporels. Seuls 3,8% des parents les envisagent pour leur aptitude à « abréger les conflits », et 6,1% en tant qu’alternative au silence. En Autriche et en Allemagne, l’acceptation de ces justifications se trouve, avec 12,8% à 14,7%, nettement au-dessus du niveau atteint en Suède. Une culture d’éducation sans violence comme en Suède n’a manifestement pas encore réussi à s’imposer dans ces deux pays.
38 D’après les résultats précédents, il n’est pas étonnant que l’approbation des justifications soit nettement plus élevée en Espagne et en France. 26,5% des parents français estiment par exemple que « les gifles sont parfois le meilleur moyen/le moyen le plus rapide » et 31,2% des parents espagnols approuvent l’affirmation « plutôt donner une gifle que ne plus parler à l’enfant ». Si l’on recueille les pour et les contre la violence éducative du point de vue des parents, on obtient pour chaque pays des résultats nettement différenciés. Dans tous les pays, les parents aspirent certes à une éducation si possible sans violence, mais ils se distinguent surtout quant au type de justification.
Opinions sur la violence éducative (chiffres exprimés en pourcentage).
Opinions sur la violence éducative (chiffres exprimés en pourcentage).
Définition de la violence
39 Partant des études précédentes (en détail Bussmann, 1996, 2004), une autre hypothèse consistait à considérer que les parents ne voyaient aucune contradiction entre leur position en faveur d’une éducation sans violence et leur propre usage de châtiments corporels parce qu’ils ne percevaient pas ces derniers comme étant une violence. Grâce à la criminologie, il est en effet connu que la notion de violence n’est pas basée sur une simple observation, mais sur une attribution.
40 En Suède, la sensibilisation relative aux châtiments corporels légers, comme une gifle ou une tape sur le derrière, est plus élevée que dans les autres pays qui, pour la majorité, ne les définissent pas comme une violence. Beaucoup plus souvent, les parents suédois perçoivent une violence éducative même « légère » comme étant une violence corporelle. En Suède, on trouve donc toujours un tableau cohérent. Ce moyen d’éducation connaît en Suède une proscription conséquente sur tous les plans. En revanche, on partage en principe dans les autres pays le rejet de la violence éducative, mais on la considère rarement comme telle.
41 La France est le pays où la violence éducative est le plus minimisée. Alors qu’en Espagne la définition de la violence se distingue à peine des estimations autrichiennes et allemandes, que ce soit en matière de correction dans et hors du cadre familial, les parents français sont en revanche beaucoup moins sensibilisés à la violence éducative. C’est ainsi que 56% seulement des Français assimilent une « raclée » à la notion de violence, même la gifle donnée par un professeur, qui n’est pas interdite par la loi française, est considérée comme étant une violence par presque 59% des Français. Si l’on compare la France et l’Espagne, la sensibilisation et l’information sur la nocivité de la violence éducative plus intensives en Espagne se manifestent probablement ici.
42 Le défaut de perception de la violence éducative en tant que telle peut ainsi expliquer pourquoi la majorité des parents aspirant à la non-violence recourt tout de même assez souvent et avant tout aux formes les moins sévères de châtiments corporels. Dans le même temps, on peut supposer que cette sensibilité accrue constitue une raison d’abolir les châtiments corporels, et constitue par conséquent une interaction entre opinions, sensibilités des parents et réformes juridiques. L’évolution en Espagne va nettement dans cette direction, alors que la France ne laisse rien présager de comparable.
Analyses multivariées
Analyses de régression linéaire
43 Des analyses de régression ont en outre été effectuées dans les pays ayant légiféré sur l’interdiction afin d’étudier l’influence de la conscience du droit, comparée à d’autres variables indépendantes, sur la variable dépendante du comportement de sanction. Pour identifier les facteurs influant sur la fréquence des châtiments corporels légers, plusieurs variables d’attitude sur l’éducation, comme par exemple l’approbation des châtiments corporels ou la conscience du droit, ont été prises en compte dans le modèle de départ à côté des variables sociodémographiques comme le sexe, l’âge et le niveau de formation. Par ailleurs, les propres expériences de violence vécues par les parents ainsi que la fréquence des violences au sein du couple ont été intégrées à l’aide d’une version abrégée du CTS (grille de comportements gradués) (Straus et al., 1998). Les variables indépendantes retenues dans ce modèle peuvent expliquer 47% de la variance de la variable dépendante « Fréquence du recours à des châtiments corporels légers ».
44 Dans ce modèle, tous les parents suédois, autrichiens et allemands ont été intégrés puisque les résultats et les analyses effectuées pour chaque pays se recoupent dans une large mesure. Il apparaît que les variables sociodémographiques ne peuvent pas ou peu expliquer la fréquence des châtiments corporels légers. Les variables ayant le plus d’influence sur l’ampleur des formes légères de correction sont celles qui avaient déjà un pouvoir explicatif dans les analyses bivariées : « l’approbation des châtiments corporels », « la conscience du droit vis-à-vis de l’autorisation des châtiments corporels légers », la « définition de la violence corporelle » ainsi que les « propres expériences de violence subies dans l’enfance (formes légères) ». L’approbation des châtiments corporels légers aussi bien que l’expérience de formes légères de violence dans l’enfance favorisent le recours à des châtiments corporels légers. La conscience du droit en revanche réduit le recours à de telles formes de sanction. Ce résultat confirme les indices mis jusqu’à présent en évidence, selon lesquels une interdiction légale exerce une influence sur le comportement, comme l’exemple de la Suède le prouve de manière remarquable et comme de précédentes études réalisées en Allemagne (Bussmann, 2000, 2004) l’ont déjà fait apparaître.
Modèles de régression linéaire pour les variables dépendantes « Fréquence du recours à des châtiments corporels légers/sévères » (Suède, Autriche, Allemagne).
Recours à des châtiments corporels légers sévères | ||||
?? | p? | ?? | p | |
Approbation des châtiments corporels | .314 | .000 | .197 | .000 |
Conscience du droit relative aux châtiments corporels légers | - .263 | .000 | .087 | .000 |
Conscience du droit relative aux châtiments corporels sévères | .104 | .000 | - .214 | .000 |
Propres expériences de violence légère dans l’enfance | .221 | .000 | - .063 | .013 |
Propres expériences de violence sévère dans l’enfance | .132 | .000 | ||
Définition de la violence corporelle | - .126 | .000 | ||
Définition de la maltraitance | - .152 | .000 | ||
Violence exercée au sein du couple | .114 | .000 | .221 | .000 |
Formation | - .077 | .000 | ||
Sexe (groupe de référence femmes) | - .055 | .000 | ||
Âge | .045 | .001 | ||
Rejet des châtiments corporels | .034 | .041 | ||
(Constante) | .908 | .000 | 1.609 | .000 |
Modèles statistiques R2 ajusté = | .467 | .293 | ||
Nombre de cas | 2802 | 2854 |
Modèles de régression linéaire pour les variables dépendantes « Fréquence du recours à des châtiments corporels légers/sévères » (Suède, Autriche, Allemagne).
45 Des relations similaires apparaissent également lorsque l’on étudie la « fréquence du recours à des châtiments corporels sévères » en tant que variable dépendante. Les variables indépendantes les plus importantes sont en revanche la variable d’opinion « approbation des châtiments corporels », la conscience du droit, en l’occurrence relative à « l’interdiction des châtiments corporels sévères » et la « définition de la violence corporelle », ainsi qu’en outre ici la variable « propres expériences de violence au sein du couple ».
Analyses de dépendance
46 En outre, des analyses de dépendance ont été effectuées afin d’étudier les effets postulés du droit en tant que medium de communication (en détail Bussmann, 1996, 2004). Cette approche postule que la conscience du droit influence non seulement directement le comportement des destinataires de la loi, mais aussi indirectement, par le biais de la définition de la violence et des opinions correspondantes (voir graphiques 7 et 8). En outre, des facteurs concurrents supplémentaires ont été pris en compte dans le modèle, comme ce fut le cas pour des études précédentes. On compte par exemple parmi eux le récit d’expériences de correction subie dans l’enfance par les parents interrogés, la connaissance du droit relative à la condition juridique générale des enfants et les définitions des maltraitances (pour les détails, voir Bussmann, 1996, 2000, 2004), ainsi que la fréquence de la violence au sein du couple.
47 Plusieurs variantes d’analyses de dépendance ont été effectuées, se limitant soit à quelques pays, soit à des groupes de pays et différenciant entre châtiments corporels sévères et légers en ce qui concerne la variable cible. Par la suite, nous nous limitons à la représentation de la variante la plus complète, qui prend en compte les parents interrogés des cinq pays de la comparaison et qui se limite en outre à la variable cible la plus intéressante, à savoir celle des châtiments corporels sévères. Les résultats des différentes variantes se ressemblaient en outre beaucoup. Cependant, la conscience du droit a beaucoup influencé le comportement éducatif dans les pays disposant d’une loi d’interdiction. Dans le modèle global étudié pour tous les pays pour expliquer la fréquence des châtiments corporels sévères, une variance expliquée de 34% a été atteinte dans le modèle global. Ceci plaide en faveur du fait que les variables explicatives importantes ont au moins été prises en compte.
48 Conformément aux suppositions théoriques, l’analyse de dépendance indique, pour les châtiments corporels sévères, non seulement une forte relation directe entre la perception des limites légales (conscience du droit) et la fréquence des châtiments corporels, mais aussi des relations indirectes entre les variables du modèle définition de la violence et approbation des châtiments corporels. Le recours à une sévère violence éducative subit de fortes influences, indirectement véhiculées par la définition de la violence (-.36) en passant par l’approbation des châtiments corporels (.26). Un défaut de conscience du droit relative aux châtiments corporels sévères affaiblit la perception de la violence et renforce en même temps les modèles d’opinions favorables aux châtiments corporels.
49 L’expérience de châtiments corporels sévères subis dans l’enfance par les personnes interrogées a également un effet direct sur le comportement de correction corporelle (.15) ; elle augmente le recours à des châtiments corporels sévères, ce qui peut parfaitement être interprété comme un indice du « cycle de violence » sans cesse vérifié par la recherche scientifique. De plus, des expériences de punitions corporelles légères subies par les parents mènent à une plus vaste définition de la violence (-.19), de sorte que moins d’événements se trouvent assimilés à des actes de violence. Ces expériences renforcent également les opinions favorables aux châtiments corporels (.16). Ceci explique le poids important des propres expériences de violence sur le comportement parental éducatif ultérieur. De surcroît, la violence au sein du couple augmente considérablement le risque de violence éducative (.17), elle a en outre des conséquences sur les opinions favorables s’y référant (.11).
Modèle de dépendance expliquant les châtiments corporels sévères.
relatif aux
châtiments corporels .37 -.26
sévères .22 -.22 .37 .34
Recours à des
- .36
Propres expériences -.19 Définiticoonrpdoerleallveiolence chAâptipmroebnattcioonrpdoersels
châtiments corporels
sévères
de violence légère
subie dans
l’enfance .16 .15
.17
- .11
Propres expériences
de violence sévère
subie dans l’enfance
Violence exercée
au sein du couple
Modèle de dépendance expliquant les châtiments corporels sévères.
Note : N = 4.474Conclusion
50 Les résultats de l’étude comparative européenne plaident en faveur de l’influence d’une interdiction des châtiments corporels sur la diminution de la violence. Dans les pays ayant légiféré sur une telle interdiction, on recourt moins aux châtiments corporels. Là et plus que dans les pays ne disposant pas d’une telle législation, l’éducation est marquée par un comportement de sanction exempt de châtiments corporels. Ceci apparaît le plus sensiblement en Suède où la proscription légale de la violence éducative a déjà été amorcée dès la fin des années 1950, avec l’interdiction de 1979 pour pierre angulaire. Depuis des générations, des campagnes et des actions menées à intervalles réguliers rappellent constamment cette situation juridique à la conscience du public. En Allemagne et en Autriche, où les lois ont été adoptées plus tard et soutenues de manière moins intensive, une évolution similaire, même si de moindre niveau, se dessine.
51 À l’issue de cette comparaison internationale et des autres analyses multivariées, il ne fait plus aucun doute que l’interdiction de la violence éducative a un effet de réduction de la violence. La condition est naturellement que l’interdiction légale de la violence soit largement promue. Puisque ceci n’a pas aussi bien fonctionné en Allemagne et en Autriche qu’en Suède, les effets d’une interdiction légale devraient être plus prononcés encore que nous n’avons pu le démontrer. Il est à noter que l’effet d’une telle interdiction passe directement et indirectement par la définition de la violence et l’opinion sur la violence éducative. Cependant et concurremment au droit, les propres expériences de correction ainsi que les propres comportements violents dans le couple se répercutent dans la pratique éducative. Une comparaison de ces deux dimensions d’influence du point de vue de la taille de l’effet révèle que les voies d’influence directes et indirectes du droit dépassent même en partie nettement la voie d’influence environnementale en concours. La signification symbolique d’une réforme juridique est aujourd’hui encore plutôt sous-estimée. Le droit est un medium de communication qui jouit d’effets subtils, mais bel et bien durables et démontrables (Bussmann, 1996, 2004).
52 Les seules mesures de sensibilisation produisent en revanche moins d’effets, surtout s’agissant des châtiments corporels plus légers. Dans les pays n’ayant pas légiféré sur l’interdiction des châtiments corporels au moment de l’enquête, presque la moitié des familles recourait à une éducation affectée par la violence. Cependant, plus de 80% des parents de tous les pays aspirent à une éducation la plus non-violente qui soit, indépendamment de l’existence d’une législation.
53 De plus, une comparaison longitudinale se fondant sur de précédentes études montre pour l’Allemagne un recul continu de l’approbation légale de la violence éducative. La conduite continue de campagnes et de mesures de sensibilisation propageant l’idée d’une éducation sans violence sur le modèle suédois pourrait de plus encourager cette évolution. Pour les lois (déjà) existantes, les multiples possibilités de diffusion médiatique pourraient ainsi être utilisées ; cet aspect devrait surtout être pris en considération dans les pays ayant récemment modifié leur loi ou ayant l’intention de le faire.
54 À l’exception des parents suédois, trop peu de parents encore conçoivent des formes de sanction alternatives aux châtiments corporels et tendent à les justifier. Ceci est en particulier le cas en Espagne et surtout en France, par conséquent pour les pays sans législation à cet égard. Cependant, l’interdiction seule, même en Allemagne et en Autriche, ne peut manifestement pas empêcher que la violence éducative soit toujours justifiée dans une large mesure. Au vu de la corrélation entre les expériences de violence subie par les parents dans leur enfance et le recours à la violence dans l’éducation de leurs propres enfants, ceci semble être un champ à fort potentiel de sensibilisation.
55 Globalement, tout porte à penser, d’un point de vue empirique, qu’il faille miser sur l’effet positif d’une interdiction légale de la violence afin d’enrayer durablement le cycle de la violence. La codification d’une interdiction des châtiments corporels éducatifs dans le droit d’autres pays doit à l’avenir être utilisée pour contribuer à la réduction de la violence. Les réformes juridiques doivent toutefois être encadrées par des campagnes d’information intensives et à long terme afin de pouvoir atteindre un effet maximum, comme le montre l’exemple de la Suède.
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