1 – Introduction
1En dehors des atteintes des voies visuelles antéchiasmatiques (i.e., de l’œil au chiasma optique), les troubles visuels peuvent s’observer après une atteinte des voies visuelles rétro-chiasmatiques (i.e., du chiasma aux aires cérébrales associatives). On parle alors de troubles neurovisuels (ou « cerebral visual impairment » dans la littérature anglo-saxone). Les troubles neurovisuels correspondent aux altérations du champ visuel, de l’intégration ou du traitement de l’information visuelle, et font suite à une atteinte centrale du système visuel, en général une lésion occipitale (Chokron & Marendaz, 2005 ; Chokron, 2002). Bien que ce type de déficit soit essentiellement connu chez l’adulte, un nombre croissant d’études décrit des troubles neurovisuels chez l’enfant (voir pour revue Cavézian et al., 2010). Par ailleurs, ces différentes études suggèrent que de tels troubles ne sont pas sans conséquence sur le développement de l’enfant que ce soit au niveau de son développement comportemental, cognitif, émotionnel, ou encore au niveau de ses acquisitions scolaires. Sans pour autant remettre en question les troubles des apprentissages, nous allons voir qu’effectivement, de par leur nature, les troubles neurovisuels sont à même d’altérer la qualité des acquisitions scolaires de l’enfant. Nous présenterons pour terminer la batterie de dépistage des troubles visuo-attentionnels que nous avons mise au point pour les enfants de grande section de maternelle.
2 – Les troubles neurovisuels : sémiologie et corrélat neuro-anatomique
2Comme évoqué précédemment, les voies visuelles rétro-chiasmatiques débutent au niveau du chiasma optique et s’étendent jusqu’aux aires associatives (pariétales et temporales) (Chokron & Marendaz, 2005). Depuis le chiasma optique, l’information transite via les bandelettes optiques pour atteindre le Corps Genouillé Latéral (CGL), relais thalamique, puis via les radiations optiques pour atteindre le cortex visuel primaire (ou aire V1) localisé à la pointe du lobe occipital. Dans ce circuit, l’information visuelle ne subit qu’un traitement simple et conserve une organisation rétinotopique (i.e., la disposition de l’information au niveau rétinien est retrouvée au niveau du CGL et de V1). Par conséquent, les troubles observés après une lésion de ces voies concernent la vision élémentaire, et se traduisent donc par une cécité pour tout ou partie du champ visuel (selon la localisation et l’étendue de la lésion). Au-delà de V1, l’information visuelle subit un traitement de plus en plus sophistiqué selon deux voies distinctes d’un point de vue anatomo-fonctionnel : la voie dorsale, ou occipito-pariétale (sous-tendant les traitements permettant la localisation et de l’action sur le stimulus), et la voie ventrale, ou occipito-temporale (sous-tendant les traitements permettant l’identification du stimulus). Une lésion d’une de ces voies aboutira ainsi à des troubles plus complexes, autrement dit des troubles de la cognition visuelle (Chokron, 2002).
2.1 – Les troubles de la vision élémentaire
3Lorsque les bandelettes optiques, le corps genouillé latéral, les radiations optiques, ou le cortex visuel primaire sont atteints par une lésion, cela se manifeste par une cécité pour tout ou portion du champ visuel (selon la localisation et l’étendue de la lésion). Les troubles observés varient de la cécité corticale (i.e., perte de toute sensation visuelle malgré l’intégrité de l’œil) au scotome (i.e., perte de sensation visuelle pour une petite portion du champ visuel) (Chokron, 2002 ; 2006). Parmi les troubles intermédiaires, on rencontre la vision tubulaire (i.e., réduction concentrique du champ visuel), ou son contraire la vision périphérique (i.e., perte du champ visuel central, alors que le champ visuel périphérique est préservé), l’hémianopsie latérale homonyme (i.e., perte du champ visuel contra-lésionnel), et la quadranopsie (perte d’un cadran visuel). Ces différents troubles peuvent exister isolément chez l’enfant. Toutefois, ils peuvent aussi s’observer de façon successive chez un même patient. Typiquement, la littérature rapporte plusieurs cas d’enfants souffrant initialement d’une cécité corticale qui régresse progressivement (avec ou sans entraînement) en vision tubulaire, puis hémianopsie ou quadranopsie, voire enfin, en scotome.
2.2 – Les troubles de la cognition visuelle
4Les atteintes des voies ventrales et dorsales vont pour leur part s’accompagner de troubles plus complexes touchant l’exploration et l’attention visuelles, l’organisation et la représentation de l’espace, la reconnaissance visuelle, ou la coordination visuo-motrice.
5Parmi les différents troubles de l’exploration et de l’attention visuelles pouvant exister, des cas de syndrome de Balint et de négligence spatiale unilatérale ont été décrits chez l’enfant (De Agostini, Chokron & Laurent-Vannier, 2005).
6Dans le syndrome de Balint, le patient manifeste une triade de symptômes que sont : la paralysie psychique du regard (i.e., impossibilité à déplacer/orienter volontairement le regard), la simultagnosie (i.e., difficulté à reconnaître des objets lorsqu’ils sont présentés simultanément alors que la capacité à les reconnaître lorsqu’ils sont présentés individuellement est préservée), et l’ataxie optique (i.e., difficulté à diriger des actes volontaires sous le contrôle de la vision). Le syndrome de Balint s’observe consécutivement à une lésion pariétale bilatérale, mais chacun des symptômes peut exister isolément lors de lésions moins étendues. La négligence spatiale unilatérale, le plus souvent gauche, se caractérise par des difficultés à réagir à, ou à agir sur, des stimuli présentés du côté opposé à la lésion cérébrale. Ce déficit, où le patient se comporte comme si une moitié de l’espace n’existait pas, peut s’observer dans les activités visuelles et manuelles (e.g., recherche et barrage de cibles), mais aussi au niveau locomoteur (e.g., tendance à ne tourner qu’en direction du côté non négligé).
7Les troubles de l’organisation et de la représentation de l’espace, évalués à travers des tâches de production et copie de figures géométriques, d’agencement de cubes, de puzzles et des tâches d’imagerie mentale (i.e., « visualiser une représentation » pour pouvoir répondre à une question sur les caractéristiques de l’objet), ne sont pas systématiquement évoqués dans la littérature. En particulier, les troubles de l’imagerie mentale sont rarement présentés alors qu’ils sont fréquemment observés dans la pratique clinique, les enfants pouvant manifester des difficultés à comparer deux objets (une échelle est plus grande qu’un tabouret) ou encore à donner une caractéristique typique d’un objet (e.g., la couleur d’une balle de tennis). En revanche, il existe quelques données relatives à la représentation visuo-spatiale des nombres/quantités (i.e., entre autres, les nombres, ou quantités, sont représentés selon une ligne orientée de gauche à droite). En effet, différents auteurs ont montré que certaines difficultés arithmétiques seraient liées à une altération de la représentation des nombres (voir section 3.2.) (voir Cavézian et al., 2010 et Tanet et al., 2010 pour revue).
8Les troubles de la reconnaissance visuelle (dénommés agnosie visuelle chez l’adulte) font suite à une atteinte de la région occipito-temporale et ne sont pas liés à une altération des aptitudes verbales. L’enfant manifeste des difficultés à interpréter ce qui est vu, la reconnaissance à partir d’une autre modalité sensorielle (e.g., le toucher) restant possible. Les difficultés de reconnaissance les plus fréquentes concernent les images et les objets (Chokron et al., 2002 ; Dalens et al., 2006). Toutefois, ces difficultés peuvent aussi concerner les visages et parfois même le matériel orthographique.
9Enfin, les troubles neurovisuels peuvent aussi concerner la coordination visuo-motrice. En dehors de l’ataxie optique évoquée plus haut, il est à noter que certaines difficultés manuelles résultent non pas d’une altération du geste à proprement parler, mais sont liées à une altération de la vision qui ne permet plus d’ajuster correctement le geste. Typiquement, les enfants dont l’altération du geste est liée à un trouble neurovisuel verront leurs performances se dégrader lorsque la vision intervient, mais s’améliorer lorsque l’entrée visuelle est réduite ou supprimée (voir pour revue et discussion, Gaudry et al., 2010).
10Pour finir, il est à noter qu’un trouble qui s’observe très fréquemment chez les enfants souffrant de troubles neurovisuels est le trouble oculomoteur. Bien que le lien exact entre trouble neurovisuel et trouble oculomoteur reste encore très discuté et peu évident, un grand nombre d’enfants avec troubles neurovisuels présentent des difficultés de fixation ou de poursuite visuelle, ou un déficit de la stratégie du regard (Dalens et al., 2006)
2.3 – Etiologies et corrélats neuro-anatomiques
11L’ensemble des troubles neurovisuels qui viennent d’être évoqués résulte le plus souvent d’une atteinte des régions cérébrales postérieures (i.e., lobe occipital, régions occipito-pariétale ou occipito-temporale). Néanmoins, les atteintes du champ visuel s’observent aussi lors de lésion sous-corticale (en particulier thalamique). Une récente étude rétrospective (Khetpal & Donahue, 2007) a montré que les deux principales étiologies des troubles neurovisuels sont un épisode hypoxique péri-natal (36 % des enfants) et la naissance prématurée (moins de 33 semaines d’aménorrhée; 30 % des enfants). Or, la principale atteinte cérébrale consécutive à ces deux étiologies est la leucomalacie péri-ventriculaire (i.e., nécrose de la substance blanche péri-ventriculaire), qui concerne souvent les cornes postérieures des ventricules latéraux c’est-à-dire en regard des régions temporo-pariéto-occipitales. Néanmoins, les atteintes neurologiques ne sont pas systématiquement observées chez l’enfant souffrant de troubles neurovisuels (tout comme cela est aussi le cas chez l’adulte ; peut-être en lien avec les limites des outils de l’imagerie cérébrale morphologique).
3 – Troubles neurovisuels et apprentissages scolaires
12Etant donné que la vision peut être considérée comme « le socle des apprentissages » (Mazeau, 2005) et les caractéristiques des troubles neurovisuels décrites ci-dessus, il n’est pas surprenant que ce type de déficit soit à même d’altérer les capacités de lecture, d’écriture, de calcul, et praxiques de l’enfant (Chokron, 2009). Néanmoins, on ne peut pour autant imaginer que le déficit d’une de ces fonctions doive systématiquement être considéré comme étant la conséquence de troubles neurovisuels. En d’autres termes, si l’on conçoit aisément qu’un trouble de l’attention, l’analyse et/ou la mémoire visuelles peut être responsable d’un ou plusieurs troubles des apprentissages (de la lecture, du calcul…) ou d’acquisitions élémentaires (geste), on ne peut faire l’hypothèse que les troubles d’apprentissage de la lecture, du calcul ou d’acquisition du geste sont tous dans l’ensemble et de manière générale dus à des troubles neurovisuels.
3.1 – La lecture
13Concernant la lecture, l’identification correcte des lettres, syllabes et mots repose non seulement sur une bonne vision fovéale (portion de la rétine avec la meilleure acuité), mais aussi sur l’utilisation des informations visuelles périphériques (pour programmer le déplacement des yeux sur le mot suivant). Par conséquent, et comme l’illustre la figure 1, une altération du champ visuel telle qu’un scotome central ou une hémianopsie latérale homonyme, est susceptible d’altérer les capacités de lecture de l’enfant soit à travers une altération de la qualité de la vision centrale, soit à travers une altération du balayage visuel requis lors de la lecture (e.g., difficultés à programmer le mouvement des yeux vers le mot suivant en cas d’hémianopsie latérale homonyme droite).
14D’autre part, les capacités d’apprentissage de la lecture dépendant aussi des capacités attentionnelles de l’enfant. Des troubles attentionnels comme la négligence spatiale unilatérale ou la simultagnosie vont aussi s’accompagner d’une altération de la lecture. Ainsi, dans le cas de la négligence spatiale unilatérale, il n’est pas rare d’observer des phénomènes de dyslexie de négligence et paralexie où le patient va « négliger » les mots présents dans l’espace négligé, et parfois tenter de rajouter des mots pour que le texte lu conserve du sens. Dans le cas de la simultagnosie, la capacité à regrouper (correctement) les lettres vues peut être altérée et grandement ralentir la lecture. Enfin, un autre trouble susceptible d’entraver la lecture est le déficit de reconnaissance du matériel orthographique. Dans un tel cas, qui peut s’observer après récupération d’une cécité corticale, l’enfant peut développer un trouble de l’apprentissage de la lecture évoquant l’alexie agnosique que l’on rencontre chez l’adulte (Chokron, 2002).
3.2 – Le calcul
15Le développement des aptitudes au calcul semble se dérouler en trois étapes (Krajewski & Schneider, 2009) : i) l’acquisition de la séquence verbale des mots-nombres (i.e., réciter la séquence verbale des nombres sans être capable d’utiliser ces nombres pour décrire des quantités) ; ii) l’établissement d’un lien entre la séquence verbale et les quantités qu’elle représente; et iii) l’acquisition du concept de relation entre les nombres (i.e., la différence entre 2 nombres aboutit à un 3e nombre). Dans ce modèle, la mémoire de travail visuo-spatiale et la représentation visuo-spatiale des nombres/quantités sont importantes dans les étapes 2 et 3. A priori, les troubles neurovisuels ne vont donc altérer que certains aspects du maniement des nombres et des aptitudes logicomathématiques. Par exemple, l’enfant peut être capable de manipuler la séquence verbale des nombres mais ne pas réussir à comparer des quantités (e.g., indiquer lequel de deux nombres est le plus grand). En fait, le lien entre aptitudes visuo-spatiales et aptitudes au calcul semble particulièrement fort puisqu’il a été montré que les aptitudes à comparer deux nombres (qui reposent sur des capacités visuospatiales) peuvent prédire les aptitudes logicomathématiques (qui impliquent les aptitudes verbales d’une manière plus prononcée) (voir pour synthèse et discussion Cavézian et al., 2010).
Simulation de ce qu’un patient souffrant d’une hémianopsie latérale homonyme droite voit lorsqu’il f ait l es même saccades en lecture (?) qu’un sujet normal
Simulation de ce qu’un patient souffrant d’une hémianopsie latérale homonyme droite voit lorsqu’il f ait l es même saccades en lecture (?) qu’un sujet normal
3.3 – Les praxies
16Les différents modèles de l’action volontaire montrent qu’une réponse motrice fait intervenir la vision non seulement pour l’élaboration du mouvement, mais aussi pour son contrôle en cours d’exécution (pour ajuster au mieux le mouvement). Dans ce contexte, la vision a un rôle important dans le contrôle postural, l’acquisition de la marche, et la réalisation d’activités manuelles et un trouble neurovisuel est donc susceptible d’altérer ces diverses activités (voir pour discussion Gaudry et al., 2010). Ainsi, des troubles moteurs du type akinésie ou hypokinésie ont été rapportés notamment chez l’enfant souffrant de négligence spatiale unilatérale (e.g., l’enfant aura tendance à ne pas utiliser spontanément le bras du côté négligé bien qu’il soit capable de l’utiliser sur commande verbale). Dans le cadre des activités manuelles, et en dehors de l’ataxie optique (trouble de la coordination visuo-manuelle par excellence), certaines dyspraxies (i.e., dyspraxie spatiale, dyspraxie constructive) sont à concevoir comme la résultante d’un trouble neurovisuel plutôt que comme un trouble du geste à proprement parler. D’ailleurs, plusieurs auteurs ont montré qu’une prise en charge de type visuel/neurovisuel est plus pertinente qu’une prise en charge praxique (voir pour revue Mazeau, 2005 et Gaudry et al., 2010). Pour finir, une activité manuelle que les troubles neurovisuels sont particulièrement susceptibles d’altérer, du fait du rôle primordial de la vision dans cette activité, c’est l’écriture. Ainsi, des altérations de l’écriture de type micrographie, des difficultés à suivre la ligne ou à lier les lettres entre elles peuvent être observées chez les enfants porteurs de troubles neurovisuels. De plus, dans le cas de la négligence spatiale unilatérale, des altérations de l’écriture évocatrices de dyslexie sont parfois observées (e.g., la répétition de jambage des lettres «m» et « n »). Dans l’ensemble, il a été montré que la qualité de l’écriture de l’enfant dépendait de ses capacités d’intégration visuo-motrice (voir pour discussion Tanet et al., 2010).
17Comme nous venons de le voir, les troubles neurovisuels peuvent donc gêner considérablement acquisitions et apprentissages et mimer ainsi des troubles spécifiques des apprentissages, et nécessitent donc d’être dépistés le plus tôt possible afin d’éviter ainsi leur retentissement social, affectif et scolaire.
4 – Dépister les troubles neurovisuels en grande section de maternelle
18Dans le but de dépister précocement et spécifiquement les troubles visuo-attentionnels chez l’enfant nous avons procédé, avec le soutien de la Direction Générale de la Santé, à l’élaboration d’une batterie standardisée composée de 14 subtests. Cet outil vise à tester la perception, l’analyse et la mémoire visuelles ainsi que l’orientation de l’attention dans l’espace (Vilayphonh et al., 2010).
4.1 – Population
19Nous avons appliqué une méthode transversale sur 4 groupes issus de populations différentes. Ces derniers étaient respectivement: un groupe contrôle (sans trouble visuel, ni trouble des apprentissages connu) ; un groupe neurovisuel (porteur d’une pathologie visuelle d’origine centrale), un groupe ophtalmologique tous corrigés (présentant un trouble de la réfraction, et/ou de la convergence, et/ou une amblyopie) ; un groupe dysphasique (suivi pour un trouble du langage oral connu).
- Les sujets contrôles ont été recrutés pour la plupart dans les écoles de la région d’Ile-de-France ou de la région Centre avec l’autorisation des parents et des académies respectifs.
- La recherche s’est déroulée sur 2 années et a été proposée à 327 enfants se répartissant comme suit :
20Enfants avec troubles Ophtalmologiques : 34 enfants; âge: m=5.39 ± .62 ans; 23 filles/11 garçons; 32 droitiers/2 gauchers.
21Enfants avec troubles Neurovisuels : 14 enfants ; âge : m=6.93 ± 1.01 ans ; 5 filles/8 garçons ; 9 droitiers/3 gauchers.
22Enfants avec troubles Dysphasiques : 12 enfants ; âge : m=5.55 ± .52 ans ; 6 filles/6 garçons ; 12 droitiers.
4.2 – Procédure et matériel
4.2.1 – Elaboration de la batterie
23Cette batterie est composée initialement de 15 épreuves « papier-crayon » qui ont pour but de tester les principales composantes visuo-attentionnelles. Finalement, nous ne retiendrons dans la version finale de la batterie que les 6 épreuves les plus sensibles. Parce que ces tests devront s’inscrire dans une batterie de dépistage systématique, qui sera administrée à tous les enfants de grande section de maternelle, nous avons choisi des épreuves simples et rapides, de type papier/crayon. Les épreuves ont été réalisées dans l’ordre où elles sont présentées ici.
4.2.2 – Pré-tests
24Ils sont composés d’un test d’acuité de près (Rossano-Weiss R2), et d’un test de préférence manuelle (de De Agostini & Dellatolas, 1988).
25Le test d’acuité de près Rossano Weiss R2, est une planche recto verso (12,5 cm x 21,5 cm) sur laquelle sont présentées plusieurs fois mais à des tailles différentes 8 images.
26La taille de ces images diminue ligne par ligne selon une échelle logarithmique indiquant alors l’acuité visuelle binoculaire en dixièmes.
27L’examinateur place la planche à 33 cm de l’enfant, et lui fait dénommer les 8 images différentes du coté recto afin d’écarter un problème de langage. Puis sur le verso, on se place directement à la dernière ligne (1/2). L’examinateur demande à l’enfant de fermer l’œil droit puis de nommer chaque dessin, de la gauche vers le centre. Cette procédure est réitérée avec l’œil droit, mais cette fois, la dénomination se fera de la droite vers le centre (les réponses suivantes : papillon pour feuille ; chien pour chat ; poussette pour landau, sont acceptées). L’épreuve est validée pour la reconnaissance de 6 à 7 items par œil. On contrôle ainsi la qualité de l’acuité visuelle des participants afin d’exclure ceux qui ont une acuité inférieure à 4/10 (avec correction), puisqu’on ne pourrait alors déterminer si de mauvaises performances lors des tests visuo-attentionnels sont liées à une mauvaise acuité ou à un déficit attentionnel.
28Le questionnaire de préférence manuelle renseigne sur la ou les main(s) que l’enfant utilise lors de diverses activités. Pour l’évaluer, on place successivement chacun des objets concernés devant l’enfant et l’examinateur lui demande de se servir de l’objet. Un point est attribué quand le sujet le prend avec sa main droite, deux points s’il le prend avec ses deux mains et trois points s’il le prend avec sa main gauche. Cette épreuve se note sur 24 points (droitiers de 8 à 15 points et gauchers de 16 à 24 points) avec 2 questions pour connaître l’œil directeur et la latéralité du pied.
29Ce test nous permet de mieux connaître notre population et d’observer le ratio droitier vs gaucher.
4.2.3 – Les épreuves de la batterie
30Le champ visuel :
31Cet examen permet d’évaluer la qualité et l’étendue du champ visuel. L’enfant fixe des yeux l’examinateur et sans bouger les yeux, doit dire s’il perçoit ou non un objet présenté à 30 cm de lui, en vision périphérique. L’objet est présenté deux fois en six points différents du champ visuel de l’enfant.
32La poursuite visuelle permet de vérifier la qualité de la mobilité binoculaire. L’examinateur se place face à l’enfant, de manière à ce que la lampe de poche qui lui sera présentée se situe à 30 cm.
33Le déplacement se fera à chaque fois à la vitesse de 10 cm/s. La poursuite visuelle se fera selon un déplacement pseudo aléatoire. On observe: la perte de la cible visuelle, la capacité de dissociation du mouvement oculaire du mouvement céphalique, la fluidité des saccades. A chaque capacité correspond 1 point ; on obtient alors au maximum 3 points.
34Les épreuves de barrage testent l’attention sélective en modalité visuelle (capacité à extraire une cible parmi des distracteurs), la recherche et l’exploration visuelles, ainsi que l’orientation dans l’espace.
35– Barrage des nounours de A. Laurent-Vannier et al. (2006)
36Cette épreuve consiste à rechercher et barrer 15 nounours en ombre chinoise répartis sur 5 colonnes (2 à gauche, 1 au centre, 2 à droite). Ces cibles sont mélangées à des distracteurs (13 par colonne, en ombre chinoise également) sur une feuille au format A4. Le nombre de nounours correctement barré est comptabilisé pour établir le score.
37– Barrage des A de V. Corkum (Corkum et al., 1995)
38Sur une feuille A4 présentée verticalement et centrée sur l’enfant, 15 cibles (A) sont à retrouver parmi 45 distracteurs de 4 sortes (A orientés à 45°, 90°, 270°, 315°). Les cibles sont réparties en 10 lignes et 6 colonnes. Un point est accordé par cible barrée. L’épreuve est cotée sur 15 points.
39La mémoire visuelle des formes est évaluée par une épreuve composée de 8 feuilles A4 en orientation paysage et organisées par paires. On présente la planche avec la cible durant 7 secondes, puis sur la planche suivante, l’enfant doit désigner la cible parmi les distracteurs. Un point est accordé par réponse correcte, soit un score maximal de 4 points. Exemple :
40Les figures enchevêtrées sont proposées pour tester l’analyse visuelle, et détecter d’éventuels signes de simultagnosie. Sept planches verticales, contenant chacune des figures enchevêtrées, sont présentées successivement à l’enfant qui doit nommer chacune des figures qu’il voit. Un point est attribué par réponse correcte ; au total cette épreuve est notée sur 23 points. On note les réponses dans l’ordre dans lequel il dénomme les objets.
41L’épreuve d’appariement, qui permet d’évaluer l’attention sélective et l’analyse visuelles, se compose de 8 feuilles au format A4 comportant chacune 8 items-formes différents. L’enfant est amené à apparier l’item cible avec son homologue qui se trouve parmi des distracteurs tous visuellement proches de la cible. Les caractères sont tirés d’un matériel de rééducation mais modifiés selon les critères choisis et adaptés à l’âge de la population. Les cibles ont été sélectionnées selon 3 critères répartis équitablement: caractère verbalisable ou non, symétrie, orientation. Les distracteurs sont morphologiquement proches de la cible. Pour chaque appariement correct, un point est attribué, soit un score maximal de 8.
4.3 – Remarques à l’issue des passations
42De façon générale, cette batterie s’est révélée simple à administrer et présente les qualités attendues d’une batterie de dépistage : 1/ matériel limité (papier/crayon pour l’essentiel des épreuves) ; 2/ temps de passation relativement court ; 3/ ne nécessite pas de formation approfondie de l’examinateur, 4/ cotation simple. Toutes les épreuves, sauf une, se sont avérées adaptées à notre population cible et les consignes ont été facilement comprises.
43Cette étude consistait à développer un outil permettant de dépister les troubles neurovisuels chez le très jeune enfant de la population tout-venant. Pour cela, un ensemble de tests papier-crayon a été utilisé pour évaluer les capacités d’exploration, de mémoire, d’analyse fine, et d’attention. Quatre groupes d’enfants ont complété ces différentes épreuves afin d’évaluer la sensibilité et la spécificité de la batterie élaborée.
44Dans l’ensemble, les épreuves utilisées étaient adaptées à une population de très jeunes enfants, âgés de 4 à 6 ans. Après avoir écarté les tests les plus faciles et les plus difficiles, 6 épreuves ont été retenues pour constituer la batterie rapide de dépistage. L’adéquation de ces épreuves pour les très jeunes enfants est mise en évidence par le fait que presque 80 % de la population générale réussi 5 de ces 6 épreuves.
45Concernant les performances du groupe dysphasique, nos données ne révèlent pas de différence significative entre les scores des enfants de la population tout-venant et les enfants dysphasiques, à l’exception de l’épreuve de figures enchevêtrées où ils ont un score supérieur à celui du groupe contrôle. Par conséquent, le traitement des informations visuelles ne présente pas d’anomalie particulière chez les enfants souffrant d’un trouble du langage oral. En revanche, le groupe neurovisuel montre des performances inférieures à celle du groupe dysphasique dans les épreuves de poursuite visuelle pseudo-aléatoire, de figures enchevêtrées, et d’appariement de formes. Ceci suggère que les tests sélectionnés sont sensibles aux troubles neurovisuels mais pas aux troubles du langage oral. Pour finir, selon les critères de dépistage définis dans ce travail, 6 enfants devaient être considérés comme dépistés, puisqu’ils avaient échoué à au moins 2 épreuves de la batterie. Chacun de ces enfants a été dirigé vers un praticien pour réaliser un bilan neurovisuel plus complet. A ce jour, 3 de ces enfants ont réalisé un tel bilan qui a mis en évidence chez 2 d’entre eux la présence d’un trouble neurovisuel (e.g., un trouble du contrôle volontaire du regard, trouble de la poursuite visuelle et de la stratégie visuelle exploratoire/ des signes d’ataxie optique/ une simultagnosie/ un trouble massif de l’exploration visuelle/ un trouble de la mémoire visuelle/ une agnosie visuelle pour les images avec un faible contraste ou avec une présentation non prototypique, enfin un doute sur l’intégrité du champ visuel pour lequel un examen périmétrique est demandé).
46Ces éléments permettent de confirmer : i) les critères de dépistage établis pour notre batterie ; ii) la spécificité de notre batterie à dépister les troubles neurovisuels ; et iii) la sensibilité de cette batterie aux enfants porteurs de troubles mais encore non diagnostiqués.
Conclusions
47Alors qu’au cours de la deuxième moitié du XXe siècle les troubles visuels périphériques étaient considérés comme une source majeure d’entrave aux acquisitions scolaires, les études actuelles suggèrent que les troubles de la cognition visuelle (i.e., les troubles neurovisuels) sont plus délétères que les troubles ophtalmologiques (Watson et al., 2003). Ceci s’explique sans doute par le fait que les troubles ophtalmologiques sont aujourd’hui dépistés de façon très précoce (dépistage systématique à l’entrée au CP), mais aussi du fait des progrès en néonatalogie et pédiatrie qui conduisent à une augmentation du taux de survie des enfants prématurés ou grandement malades. Ces deux phénomènes conduisent d’une part à réduire l’impact des troubles ophtalmologiques et d’autre part à une augmentation du nombre d’enfants souffrant de troubles neurovisuels. Or, étant donné la variété des troubles neurovisuels, il n’est pas surprenant qu’ils soient à même d’entraver les acquisitions scolaires. Pour autant, la caractérisation des troubles neurovisuels chez l’enfant et de leurs liens exacts avec les troubles des apprentissages reste encore à définir clairement. Dans l’ensemble, l’élaboration de la batterie d’évaluation des troubles visuo-attentionnels (E.V.A.) aboutit à des résultats satisfaisants quant à la sensibilité et la spécificité de la batterie utilisée. Cette étude a permis non seulement de déterminer les épreuves les plus susceptibles de dépister des troubles neurovisuels dans la population tout-venant, mais nous a aussi permis d’élaborer des critères de dépistage appropriés à une très jeune population. Parmi les travaux initiés par cette étude, une version plus élaborée de notre batterie de dépistage, comprenant l’évaluation initiale présentée ici et complétée par un test évaluant les capacités de fixation visuelle et un autre vérifiant l’absence d’extinction visuelle, est en cours de validation. Parallèlement, nous développons actuellement le bilan neurovisuel dans sa version rapide (dépistage) et dans une version plus approfondie destinée aux enfants plus âgés (de 6 à 12 ans). La mise en évidence de troubles neurovisuels chez l’enfant, quel que soit son âge, permet en effet : (1) d’éviter un retentissement de ces troubles sur les apprentissages, (2) de prendre en charge ces troubles de manière spécifique, (3) de spécifier l’origine neurologique du trouble d’un enfant en difficulté.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : dépistage, trouble neurovisuel d'origine centrale, Trouble des apprentissages, développement, troubles du comportement
Mise en ligne 30/03/2013
https://doi.org/10.3917/devel.006.0017