Notes
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[*]
Le bulletin est rédigé par des membres de la Commission Léonine sous la coordination de Kristina Mitalaitė. Les auteurs signalés dans le texte par leurs initiales restent responsables de leurs notices. Cette livraison du bulletin accueille également des recensions de Kristina Mitalaitė.
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[1]
Iohannis Scotti Eriugenae Carmina, Michael W. Herren, Andrew Dunning (éd.) ; De imagine, Chiara O. Tommasi (intro.), Giovanni Mandolino (éd.), Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum Continuatio mediaevalis », 167), 2020 ; 15,5 × 24,5, clvii+201 p., 205 €. ISBN : 978-2-503-55174-6.
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[2]
Iohannis Scotti Eriugenae Carmina, Michael W. Herren (éd.), Dublin, Institute for advanced studies, School of Celtic studies (coll. « Scriptores Latini Hiberniae », 12), 1993.
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[3]
Il est peut-être regrettable que M. W. H. n’ait pas pris en considération les propositions d’amélioration du texte signalées par O. Szerwiniack dans sa recension de la première édition, parue dans Études celtiques 32 (1996), p. 285-288.
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[4]
Maïeul Cappuyns, « Le “De imagineˮ de Grégoire de Nysse traduit par Jean Scot Érigène », Recherches de théologie ancienne et médiévale 32 (1965), p. 205-262.
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[5]
Isaac Lampurlanés Farré, Excerptum de Talmud. Study and Edition of a Thirteenth-Century Latin Translation, Turnhout, Brepols (coll. « Contact and Transmission : Intercultural Encounters from Late Antiquity to the Early Modern Period », 1), 2020 ; 15,6 × 23,4, 302 p., 85 €. ISBN : 978-2-503-58690-8.
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[6]
Voir Gilbert Dahan, Élie Nicolas, René-Samuel Sirat (éd.), Le Brûlement du Talmud à Paris, 1242-1244, Paris, Éditions du Cerf, 1999.
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[7]
Voir André Tuillier, « La condamnation du Talmud par les maîtres universitaires parisiens, ses causes et ses conséquences politiques et idéologiques », ibid., p. 59-78.
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[8]
Extractiones de Talmud per ordinem sequentialem, Ulisse Cecini, Óscar de la Cruz Palma (éd.), Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum Continuatio mediaevalis », 291), 2019.
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[9]
G. Dahan, « Les traductions latines de Thibaud de Sézanne », dans Le Brûlement du Talmud à Paris, op. cit., p. 100.
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[10]
Julie Casteigt, Albertus Magnus, « Super Iohannem » (Ioh. 1, 1-18), Leuven-Paris-Bristol, Peeters (coll. « Eckhart : Texts and Studies », 10), 2019 ; 16, 2 × 24, 5, dlxxxvi [=244+342] + 320 p., 110 €. ISBN : 978-90-429-3609-6 ; Eadem., Métaphysique et connaissance testimoniale. Une lecture figurale du « Super Iohannem » (Jn 1, 7) d’Albert le Grand, Leuven-Paris-Bristol, Peeters (coll. « Eckhart : Texts and Studies », 11), 2019 ; 16, 2 × 24, 5, xviii + 665 p., 115 €. ISBN 978-90-429-3610-2.
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[11]
L’édition du texte comprend un index s’articulant en quatre parties, dont on signale surtout la dernière (« Index rerum et uerborum notabilium quae in Super Iohannem [Ioh. I, 1-18] continentur », p. 247-319), très utile pour une approche thématique au texte latin.
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[12]
Le manuscrit N (Nürnberg, Stadtbibliothek Cent. I.37), que J. C. exclut définitivement être un témoin direct de l’autographe (A, p. xxiii-xxiv, clxxii, lxxxiii-lxxxiv), présente une importante lacune à partir du commentaire à Jn 1, 3. Cela amène l’éditrice à trier et analyser ces données en distinguant une portion A, dans laquelle N est présent, d’une portion B, dans laquelle N est en revanche absent (A, p. civ ; cxxxiii-cxxxix).
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[13]
Voir Dominique Poirel, « Lachmann, Bédier, Froger : quelle méthode d’édition donne les meilleurs résultats ? », dans Cédric Giraud, D. Poirel (éd.), La Rigueur et la passion. Mélanges en l’honneur de Pascale Bourgain, Turnhout, Brepols (coll. « Instrumenta patristica et mediaevalia », 71), 2016, p. 939-968 : 939-950, 967-968.
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[14]
Pour des précisions sur cette notion, qui n’a pas une signification uniforme en philologie médiévale, voir D. Poirel, « Généalogie des témoins et reconstitution du texte. Méthode, conventions et abréviations », dans Hugo de S. Victore, De tribus diebus, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum Continuatio mediaevalis », 177), 2002, p. 67*-70* : 68*. C’est de cette introduction de D. Poirel que J. C. dit explicitement s’inspirer pour concevoir sa méthode d’enquête philologique (A, p. xcix).
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[15]
Jean Gerson, Josephina. L’épopée de saint Joseph, vol. 1 (distinctions I-V) & 2 (distinctions VI-XII), intro., notes et commentaire par Isabel Iribarren, texte latin établi par Giovanni Matteo Rocatti, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Bibliothèque scolastique », 15), 2019 ; 12,4 × 19,6, clxxv + 1274 p., 139 €. ISBN : 978-2-251-45031-5.
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[16]
Marie de l’Assomption O.P. (Émilie d’Arvieu), Nature et grâce chez Saint Thomas d’Aquin. L’homme capable de Dieu, Préf. du Cardinal Marc Ouellet, [s.l.], Parole et Silence (coll. « Bibliothèque de la Revue Thomiste »), 2020 ; 15,2 × 23,5, 858 p., 37 €. ISBN : 9782889592531.
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[17]
C’est, d’après Thomas, la position de Platon et des porretani, qu’il réfute : Qu. disp. de ver., 21, 4.
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[18]
Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia IIae, q. 2, a. 8, resp. : « […] nihil potest quietare voluntatem hominis, nisi bonum universale. Quod non invenitur in aliquo creato, sed solum in Deo […] » (éd. Léonine, t. 6, p. 24b).
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[19]
Ibid., p. 23-24.
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[20]
Id., Scriptum super libros Sententiarum, t. III, éd. M. F. Moos, Parisiis, Lethielleux, 1933, p. 192. L’édition Moos-Mandonnet du Scriptum super Sent., la plus récente, est celle qu’il faudrait citer ; É. d’A. ne mentionne aucune édition dans sa « Bibliographie » (p. 819-825), mais semble dépendre de l’édition publiée dans l’Index thomisticus, qui reproduit l’édition de Parme.
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[21]
Fr. Jean-Baptiste Cazelle, La Vertu de miséricorde selon saint Thomas d’Aquin, Paris-Perpignan, Artège-Lethielleux (coll. « Sed contra »), 2020 ; 13,5 × 21,5, 321 p., 22 €. ISBN : 978-2-503-58701-1.
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[22]
Nicolas Faucher, La Volonté de croire au Moyen Âge. Les théories de la foi dans la pensée scolastique du xiiie siècle, Turnhout, Brepols (coll. « Studia Sententiarum », 4), 2019 ; 15,6 × 23,4, xviii + 412 p., 85 €. ISBN : 978-2-503-58701-1.
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[23]
Youri Desplenter, Jürgen Pieters, Walter Melion (éd.), The Ten Commandments in Medieval and Early Modern Culture, Leiden-Boston, Brill (coll. « Intersections », 52), 2017, 25 × 16 cm, xii+241 p., 109 €. ISBN : 978-9004-30982-1. – Sommaire : « Acknowledgments », p. vii. – « Notes on the Editors », p. viii. – « Notes on the Contributors », p. x. – « List of Illustrations », p. xiii. – « Introduction : Exploring the Decalogue in Late Medieval and Early Modern Culture », p. 1-13. – 1. Lesley Smith, « The Ten Commandments in the Medieval Schools : Conformity or Diversity ? », p. 13-29. – 2. Luca Gili, « “Ché, se potuto aveste veder tutto / mestier non era parturir Maria” : Dante on the Decalogue as a Means to Salvation », p. 30-48. – 3. Charlotte E. Cooper, « Fit for a Prince : the Ten Alternative Commandments in Christine de Pizan’s Epistre Othea », p. 49-74. – 4. Gregory P. Haake, « Loving Neighbour Before God : The First Commandment in Early Modern Lyric Poetry », p. 75-89. – 5. Robert J. Bast, « The Ten Commandments and Pastoral Care in Late-Medieval and Early Modern Europe : An Inquiry into Expectations and Outcomes », p. 90-112. – 6. Greti Dinkova-Bruun, « The Ten Commandments in the Thirteenth-Century Pastoral Manual Qui bene presunt », p. 113-132. – 7. Youri Desplenter, « Morals From a Mystical Cook : Jan van Leeuwen and the Ten Commandments », p. 133-151. – 8. Lucie Doležalová, « Latin Mnemonic Verses Combining the Ten Commandments with the Ten Plagues of Egypt Transmitted in Late Medieval Bohemia », p. 152-172. – 9. Krzysztof Bracha, « The Ten Commandments in Preaching in Late Medieval Poland : “Sermo de preceptis” from Ms. 3022 at the National Library in Warsaw », p. 173-195. – 10. Henk van den Belt, « The Law Illuminated : Biblical Illustrations of the Commandments in Lutheran Catechisms », p. 196-218. – 11. Waldemar Kowalski, « Man and God : The First Three Commandments in the Polish Catholic Catechisms of the 1560s-1570s », p. 219-238. – « Index Nominum », p. 239-241.
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[24]
L. Smith, The Ten Commandments : Interpreting the Bible in the Medieval World, Leiden-Boston, Brill (coll. « Studies in the history of Christian traditions », 175), 2014.
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[25]
Gabriella Zuccolin (éd.), Summa doctrina et certa experientia. Studi su medicina e filosofia per Chiara Crisciani, Firenze, SISMEL–Edizioni del Galluzzo (coll. « Micrologus Library », 79), 2017 ; 21 × 14, 484 p., 68 €. ISBN : 978-88-8450-762-4. – Sommaire : G. Zuccolin, « Introduzione », p. vii-xv. – i. Medicina e filosofia nel medioevo : Luca Bianchi, « Ubi desinit physicus, ibi medicus incipit », p. 5-28. – Pietro B. Rossi, « La Summa super 4 libro Metheororum attribuita a Guglielmo Anglico », p. 29-48. – Andrea Tabarroni, « Medicina est philosophia corporis. Un sermo in principio studii di Bartolomeo da Varignana », p. 49-78. – Roberto Lambertini, « Un medico-filosofo di fronte all’usura : Bartolomeo da Varignana », p. 79-98. – Gianfranco Fioravanti, « Due Principia di Maino de’ Maineri », p. 99-135. – ii. Auctores e trasmissione dei testi medievali : Danielle Jacquart, « Hippocrate : le maître lointain et absolu des universitaires médiévaux », p. 139-160. – Iolanda Ventura, « Ps. Galenus, De medicinis expertis. Per un état des lieux », p. 161-193. – Marilyn Nicoud, « Alla ricerca degli autori cosiddetti “minori” : un percorso nella tradizione manoscritta del consilium », p. 195-220. – iii. Intrecci disciplinari : Saperi biologici, filosofia pratica e teologia nel medioevo : Massimo Parodi, « Un percorso tra esperienza e cultura in Giovanni di Salisbury », p. 223-236. – Luciano Cova, « Seme e generazione umana nelle opere teologiche di Alberto Magno », p. 237-256. – Silvana Vecchio, « Passioni umane e passioni animali nel pensiero medievale », p. 257-275. – Carla Casagrande, « Tommaso d’Aquino : onori e virtù », p. 277-292. – Alessandro Ghisalberti, « Il metodo dialogico nella Disputatio fidei et intellectus di Raimondo Lullo (1303) », p. 293-312. – Joseph Ziegler, « Engelbert of Admont and the Longevity of the Antediluvians C. 1300 », p. 313-336. – Stefano Simonetta, « Ex fructibus eorum cognoscetis eos. John Fortescue alle origini del comparativismo costituzionale e giuridico », p. 337-355. – iv. Oltre il medioevo : medicina, alchimia e filosofia dal xvi al xix secolo : Agostino Paravicini Bagliani, « Vives igitur, beatissime pater, ni fallor, diutissime. La prolongevità dei papi nel De vita hominis ultra CXX annos protrahenda di Tommaso Giannotti Rangoni (1493-1577) », p. 359-373. – Mariacarla Gadebusch Bondio, « Il genio si racconta : Il De vita propria di Cardano e alcuni suoi celebri interpreti », p. 375-395. – Franco Bacchelli, « Una lettera inedita di Paolo Giovio a Gian Matteo Giberti », p. 397-407. – Michael McVaugh, Nancy Siraisi, « From the Old World to the New : The Circulation of the Blood », p. 409-427. – Michela Pereira, « Vital Experiment. Alchimia, filosofia e medicina nel xix secolo. Una divagazione », p. 429-452. – G. Zuccolin, « Bibliografia di Chiara Crisciani », p. 453-464. – Indici : « Indice dei nomi di persona », p. 467-482. – « Indice dei manoscritti », p. 483-484.
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[26]
Francesca Roversi Monaco (éd.), Teoria e pratica medica nel basso Medioevo. Teodorico Borgognoni vescovo, chirurgo, ippiatra, Firenze, SISMEL–Edizioni del Galluzzo (coll. « Micrologus Library », 99), 2019 ; 21 × 14, 220 p., 40 €. ISBN : 978-88-8450-936-9. – Sommaire : Maddalena Modesti, « Teodorico Borgognoni : testi, contesti, pratiche e saperi di un chirurgo del Duecento », p. vii-xvii. – i. Bologna nel xiii secolo : istituzioni politiche, religiose, culturali : F. Roversi Monaco, « Bologna nel Duecento : istituzioni, politica, economia », p. 5-23. – Riccardo Parmeggiani, « Episcopato, società e ordini mendicanti in area emiliano-romagnola nel Duecento », p. 25-41. – Tommaso Duranti, « Un mondo in formazione : la medicina a Bologna nel xiii secolo », p. 43-61. – ii. Teoria e pratica medica medievale : Teodorico Borgognoni chirurgo e ippiatra : M. McVaugh, « Teodorico Borgognoni : From Surgeon’s Son to Surgical Author », p. 65-74. – C. Crisciani, « Sensi e Ingenium in alchimia e chirurgia », p. 75-94. – Martina Schwarzenberger, « The Mulomedicina of Teodorico dei Borgognoni : A Unique Bridge From the Late-Antique Hippiatry to the Middle Ages and Far Beyond », p. 95-117. – Lisa Sannicandro, « Sulle fonti della Mulomedicina di Teodorico Borgognoni : I Digesta artis mulomedicinalis di Vegezio », p. 119-129. – iii. Il testamento e la tomba di Teodorico Borgognoni : A. Paravicini Bagliani, « Il testamento di Teodorico Borgognoni e i testamenti curiali del Duecento », p. 133-146. – Annafelicia Zuffrano , « Teodorico Borgognoni : nuovi apporti documentari dall’Archivio di Stato di Bologna – 1 », p. 147-162. – Lorenza Iannacci, « Teodorico Borgognoni : nuovi apporti documentari dall’Archivio di Stato di Bologna – 2 », p. 163-177. – Paolo Cova, « Ipotesi sulla tomba di Teodorico Borgognoni e alcune riflessioni sulle sepolture a Bologna fra Due e Trecento », p. 179-190. – D. Jacquart, « Conclusions : Teodorico Borgognoni, chirurgien flamboyant du xiiie siècle », p. 191-205. – Roberta Napoletano, « Indice dei nomi, autori, studiosi e opere », p. 209-218. - Eadem, « Indice dei manoscritti », p. 219-220.
Éditions et traductions
1Jean Érigène. — L’édition critique des poèmes de Jean Érigène et de sa traduction latine du De imagine de Grégoire de Nysse que la collection du Corpus christianorum Continuatio mediaevalis publie en un seul volume [1], révèle l’un des traits saillants du profil intellectuel de ce savant majeur de l’époque carolingienne : son amour du grec, qui l’a mené à la traduction de la patristique grecque en latin. Force est de rappeler que la poésie carolingienne ne relevait pas du loisir. Les figures majeures du cercle intellectuel et ecclésiastique d’élite côtoyant le roi écrivaient des poèmes. Dédiés aux rois, les carmina étaient destinés à mettre en valeur l’excellente maîtrise de l’art de la parole chez leurs auteurs ; ils mettaient également en vers des sujets théologiques complexes et faisaient état de problèmes sociaux. Michael W. Herren [M. W. H.], l’un des meilleurs connaisseurs des carmina érigéniens, rassemble pour la présente édition les poèmes de cet auteur, dont la plupart a été déjà éditée dans différentes publications. En 1993, M. W. H. avait publié une première édition des poèmes [2]. Comme il le précise dans son introduction à la présente édition, sa nouvelle version reprend l’ancienne [3] tout en la révisant et en augmentant l’appareil des sources, ce dernier, particulièrement bien développé, proposant de nombreuses références patristiques et bibliographiques. Les poèmes d’Érigène sont rassemblés dans un corpus, dont M. W. H. attribue la constitution à Érigène lui-même, qui l’aurait effectuée vers la fin de sa vie, en 869. Le désignant par le sigle Ω, l’éditeur a reconstitué ce corpus initial en se basant sur cinq manuscrits, dont R (Vaticano, BAV, Reg. lat. 1587 et Vat. lat. 1709) qui, d’après M. W. H., propose sa version originale ; autrement dit, il serait légitime d’y voir l’intervention de Jean Scot lui-même. Le manuscrit de Laon, Bibl. mun. 444, qui transmet sept poèmes gréco-latins d’Érigène, est copié par le célèbre Martinus Hiberniensis. Toujours selon M. W. H., la collection Ω a été destinée à une circulation restreinte et à l’usage privé. L’étude de la tradition manuscrite permet à l’éditeur de diviser les poèmes en groupes : les poèmes dédiés au roi, les poèmes dédicatoires accompagnant les traductions ; les poèmes courts en grec ; s’y ajoute l’Aulae siderae, rédigé à l’occasion de la construction d’Aix-la-Chapelle. Les poèmes d’Érigène constituent la partie la moins étudiée de son œuvre. Espérons que cette nouvelle édition encouragera les chercheurs à s’appliquer aux différents aspects des carmina, l’un des plus séduisants étant les thèmes doctrinaux.
2Chiara Ombretta Tommasi [C. O. T.], dans l’introduction au De Imagine, observe que la traduction par Érigène d’un opuscule de Grégoire de Nysse sur la création de l’homme est un projet d’importance mineure dans la carrière de traducteur de l’auteur carolingien. Denys le Petit avait préparé la première version latine au vie siècle et la nouvelle traduction par Érigène ne visait pas à la remplacer. Édité pour la première fois en 1965 par Maïeul Cappuyns sur la base d’un manuscrit (Bamberg, Staatsbibliothek, Misc. Patr. 78, provenant de Reims), le De imagine a reçu une deuxième édition partielle préparée par Édouard Jeauneau en vue de l’édition de l’opus majus de l’auteur, le Periphyseon : le chercheur français s’est servi également du second manuscrit découvert entretemps, Paris, BnF, n. a. lat. 2664, f. 122r-139v, provenant de Cluny. M. Cappuyns a souligné l’intérêt mineur de la traduction d’Érigène, de moindre qualité, selon lui, que celle de Denys le Petit, qui a connu une large diffusion, celle de Jean n’étant jamais diffusée [4], opinion qui est aussi celle de C. O. T, comme nous l’avons vu. Néanmoins, M. Cappuyns a reconnu que le De imagine d’Érigène permet de mieux comprendre le néo-platonisme dans la pensée de l’auteur irlandais.
3En vue de la reconstitution du texte original, l’éditeur Giovanni Mandolino [G. M.] s’est fondé sur les deux témoins déjà mentionnés, mais également sur les extraits du De imagine, cités dans le Periphyseon. Il a également comparé la traduction érigénienne au texte grec de Grégoire de Nysse. Les deux manuscrits sont des témoins indépendants dans la transmission du texte : C. O. T., dans l’introduction, en fournit la preuve par des arguments convaincants. La traduction a également circulé sous forme de courts extraits, ce dont témoignent le manuscrit de Berlin, Staatsbibliothek Lat. qu. 690 (Görres 87) et le manuscrit de Paris, BnF lat. 18095, respectivement Q et F de la présente édition. Érigène cite largement cet opuscule grégorien dans le quatrième livre du Periphyseon. Dans son travail de comparaison, G. M. retient les versions I-II de ce dernier traité, conservées dans le manuscrit de Reims, Bibl. mun. 875 (R), établies sous la surveillance d’Érigène lui-même et qui sont clairement visibles dans l’édition du Periphyseon préparée par E. Jeauneau. Dans la présente édition, la version des citations du De imagine dans le Periphyseon ne prévaut pas sur les deux témoins C et B, pour la bonne raison qu’elle présente l’état remanié de l’opuscule traduit. R présente les annotations autographes d’Érigène et/ou de son secrétaire (R1), qu’on détecte également dans les citations de Grégoire. L’analyse minutieuse de l’intervention amène C. O. T. à la conclusion que la traduction était un texte auxiliaire en vue de la rédaction du Periphyseon, réservée à l’usage privé de l’auteur, ce qui explique que les corrections (notes interlinéaires, etc.) de la traduction sont rapportées dans R et non dans B et C. Le bien-fondé de cette hypothèse est renforcé par le manuscrit Paris, Bibl. Mazarine 561 (Bamberg), M dans la présente édition. Copié à Saint-Médard de Soissons, ce témoin contient également l’Ambigua ad Iohannem. Il a appartenu à Wulfrad, ami proche d’Érigène, à qui il avait dédié son Periphyseon. Ce même manuscrit contient une glose retranscrite d’une main identifiée comme i2, la même qui avait collaboré à l’entreprise de transcription du Periphyseon. Étant donné que la traduction du savant carolingien est difficilement compréhensible par endroits, les éditeurs ont pris la judicieuse décision de donner les extraits de l’original grec.
4On peut reprocher très peu de choses à l’analyse et à l’édition de l’opuscule de Grégoire de Nysse, traduit par Érigène, sinon peut-être regretter l’absence d’une présentation sommaire de la différence entre les stratégies de traduction chez Denys le Petit et chez Jean Scot. Les deux éditions serviront aux chercheurs travaillant sur les stratégies de traduction employées par Jean Scot et sur la connaissance du grec à l’époque carolingienne, questions qui passionnent toujours les historiens du haut Moyen Âge.
5K. M.
6Excerptum de Talmud. — Isaac Lampurlanés Farré [I. L. F.] publie l’édition de l’Excerptum de Talmud, qui ouvre la nouvelle collection « Contact and Transmission : Intercultural Encounters from Late Antiquity to the Early Modern Period [5] ». Dans la première partie, l’éditeur se penche sur l’histoire de la traduction et tout particulièrement sur les sources principales de l’Excerptum, dont il propose l’édition dans la seconde partie de son ouvrage.
7La polémique avec les Juifs est l’une des plus anciennes dans laquelle les chrétiens se sont engagés, à différents niveaux, dès la naissance de leur religion. Traversant les sources patristiques, elle s’intensifie au xiie siècle jusqu’au point culminant de la controverse de 1240 et du traumatisant brûlement du Talmud, qui a lieu à deux reprises (1242 et 1244). Marquées par les décisions du quatrième concile du Latran, l’Église et la société chrétienne vivent alors des transformations importantes. La volonté d’une christianitas forte – Innocent IV se proclame souverain universel de la chrétienté – donne naissance à la « société de la persécution », qui se purifie en mettant en place le mécanisme d’exclusion des hérétiques, des Juifs et des sarrasins.
8L’affaire du brûlement du Talmud est déclenchée par un Juif converti, Nicolas Donin, qui, en 1236, a dénoncé au pape les erreurs juives en 35 articles, tirés du Talmud. Les raisons de sa conversion et de sa dénonciation ont été amplement discutées dans des études antérieures [6] : il aurait fait les frais d’une dispute interne du judaïsme – Donin aurait été un karaïte qui s’est affronté aux Juifs traditionalistes à propos de l’interprétation du Talmud, le premier voulant appliquer le principe rationnel à la foi [7]. Le pape instruit l’affaire en 1240 : il écrit aux princes en demandant de saisir les livres du Talmud pour examen. Saint Louis s’exécute. La controverse entre les autorités ecclésiastiques et les rabbins juifs a eu lieu le 12 juin 1240 : y étaient présents Donin tenant le rôle d’accusateur, rabbi Yéhiel de Paris, entre trois autres représentants juifs, se portant pour défendre le Talmud. Si les Juifs emportent le débat, la controverse se solde toutefois par un procès contre le Talmud à l’issu duquel il fut condamné à être brûlé. Un premier groupe de sources en résulte : le compte rendu en hébreu, intitulé Vikkuaḥ Rabbenu Yeh’el mi-Paris et un document latin. Les discordances entre les deux sont notables : le Vikkuaḥ avait toujours été unanimement considéré comme étant un récit fictif, alors que I. L. F. conclut que cette source rédigée par Joseph ben Nathan transmet des faits réels et s’affirme comme étant aussi fiable que le récit latin.
9Le brûlement du Talmud n’a pas été suivi de répressions immédiates : dans un premier temps, les Juifs obtiennent de Louis IX la restitution des livres. À Grégoire IX, qui avait demandé d’expurger le Talmud des erreurs ou de le brûler sinon, succède Innocent IV qui à son tour poursuit le procès et réclame finalement au roi de France le brûlement de tous les livres juifs. La révision du premier procès engendre, de la part d’Innocent IV, l’initiative de traduire le Talmud. Il confie le travail de supervision à Odon de Châteauroux, évêque de Tusculum. Ces deux premières étapes du « brûlement de Talmud » présentent des faits majeurs dans l’histoire de la censure des livres religieux, mais surtout elles font date dans la polémique anti-juive, car elles donnent lieu à la traduction latine du Talmud comme source principale de la controverse.
10Cette entreprise a donc engendré une traduction suivie du Talmud qui constitue le second groupe des sources : les Extractiones de Talmud ; elles font partie du dossier qui s’est enrichi d’autres pièces polémiques, que l’on trouve regroupées dans le manuscrit de Paris, BnF lat. 16558 : le Livre des Krubot ; deux prologues qui introduisent les lecteurs aux textes talmudiques ; les 35 articles de Nicolas Donin, « anthologie » des extraits (deux séries des Extractiones), les gloses de Rachi ou Salomon de Troyes sur la Bible, les confessions des deux protagonistes de la première controverse du rabbin Yéhiel et du rabbin Judah ; une liste des rabbins qui figurent dans la version latine du Talmud ; des lettres concernant la condamnation du Talmud. Dans un premier temps, les extraits ont été transcrits selon l’ordre des traités du Talmud et, dans un second temps, une nouvelle série d’extraits fut dressée selon l’ordre thématique tout en s’inspirant des accusations de Donin. Cette source d’importance majeure, plus précisément les Extractiones selon l’ordre des traités ou per ordinem sequentialem, a fait l’objet d’une remarquable édition préparée par Ulisse Cecini et Ó scar de la Cruz Palma, parue en 2018 dans la collection du Corpus christianorum Continuatio mediaevalis, vol. 291 [8]. Dans son introduction, les éditeurs annonçaient le travail en cours des Extractiones thématiques ou per ordinem thematicum. Soulignons la grande qualité d’analyse du contexte historique et des manuscrits que les éditeurs y proposent.
11La question du nom du ou des traducteurs a été déjà posée précédemment. Ainsi Gilbert Dahan a-t-il suggéré le nom de Thibaud de Sézanne, auteur d’origine juive, converti, sous-prieur du couvent dominicain de Saint-Jacques à Paris, qui fut chargé de ce travail. Thibaud était également en charge de l’un des correctoires de la Bible, à l’initiative alors des dominicains et des franciscains. G. Dahan a proposé une analyse minutieuse et précise de la traduction des Extractiones en la comparant aux extraits utilisés par Thibaud dans son traité Pharetra (Errores iudaeorum). Il a relevé l’excellente qualité de la traduction produite par Thibaud. Il a aussi proposé un scénario de ce travail accompli, selon lui, par un groupe de traducteurs :
[…] le premier traducteur donne une version orale en langue vernaculaire d’un texte arabe (ou hébraïque), le second traduisant par écrit en latin du vernaculaire. […] d’autre part, il y a contrôle par une seconde traduction [9].
13Alexander Fidora, dont l’opinion a été suivie par le groupe d’éditeurs des Extractiones et I. L. F., a remis en doute la paternité de Thibaud. D’après Fidora, c’est Donin lui-même qui s’est chargé de la première traduction dont parle l’une des préfaces du dossier ; ainsi, la paternité de Thibaud étant complètement écartée, les autres traducteurs restent, pour l’instant, inconnus.
14Les Extractiones sont transmises dans neuf manuscrits parmi lesquels celui conservé à la BnF, lat. 16558 (xiiie siècle) est incontestablement le témoin le plus important. Tout en analysant les témoins, I. L. F. montre l’évolution de la traduction qu’on peut observer dans les manuscrits : d’abord insérés dans les marges du texte hébreu, les extraits latins ont été ensuite réunis dans un texte latin à part selon l’ordre des livres du Talmud (per ordinem sequentialem) ; ils ont enfin subi une sélection pour établir le dossier thématique. Lors de ces étapes, que trahissent les manuscrits, la traduction a subi des corrections. Cette évolution de la traduction a été également constatée par les éditeurs déjà mentionnés de la série des Extractiones de Talmud per ordinem sequentialem : selon eux, son ou ses auteurs ont amélioré la traduction au cours du processus déjà mentionné. I. L. F. constate cette même révision de la traduction mais cette fois-ci, il la dégage dans la transmission manuscrite de la série thématique des Extractiones de Talmud per ordinem thematicum.
15Peu après le brûlement du Talmud à Paris, les Extractiones thématiques ont subi de nouvelles modifications, dont est issu l’Excerptum : I. L. F. entreprend une comparaison particulièrement minutieuse. Nous y trouvons également les traces d’autres pièces du dossier conservé dans le manuscrit parisien : particulièrement influentes sont les gloses de Rachi. L’éditeur conclut que l’auteur n’avait pas de connaissance approfondie ni du Talmud, ni de l’hébreu : ainsi utilise-t-il les gloses de Rachi comme étant le corpus du Talmud. I. L. F. parvient à établir l’aire géographique de l’origine de l’Excerptum : deux manuscrits sont en lien avec le sud de l’Allemagne (München, Bayerische Staatsbibl. Clm. 21259, et London, British Library, Add. 19952). Il démontre également que ce sont deux témoins indépendants descendant d’un même prototype. Selon l’hypothèse d’I. L. F., l’épitomé est une mise à jour d’une ancienne source polémique, ce qui prouve, selon lui, que la controverse engagée par Odon de Châteauroux continue. Néanmoins on ne détient aucune preuve que l’Excerptum ait été utilisé dans ce but et rien ne le prouve, en dépit du style clairement polémique, plus précisément anti-juif, qui se dégage de la source.
16La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’édition de l’Excerptum, basée sur les deux manuscrits déjà mentionnés, et à sa traduction anglaise. Elle est accompagnée d’un appendix dans lequel l’auteur a édité les extraits des Extractiones de Talmud per ordinem thematicum, dont s’est servi l’auteur de l’Excerptum. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure la présence des extraits thématiques est justifiée, étant donné que leur édition est annoncée par les éditeurs déjà mentionnés. En revanche, on ne peut rien reprocher à la qualité de l’édition ni à l’élégance de la traduction anglaise. L’ouvrage d’I. L. F. contribue grandement aux études sur la polémicité médiévale.
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18Albert le Grand. — Inaugurée en 2011 avec une monographie de Markus Vinzent sur l’art du détachement chez Maître Eckhart, la collection « Eckhart : Texts and Studies », aux éditions Peeters, connaît un essor depuis 2016. Une dizaine de travaux ont paru jusqu’à présent, qui représentent bien la double vocation de la collection, à la fois philologique et doctrinale. Parmi eux, les deux volumes récemment achevés par Julie Casteigt [J. C.], respectivement une édition de texte et un essai philosophique [10], viennent élargir désormais les horizons d’une série consacrée principalement à Maître Eckhart. Les deux ouvrages de J. C. s’y inscrivent plus que légitimement, dans la mesure où ils ouvrent des perspectives nouvelles sur la pensée d’Albert le Grand – notamment au sujet des interactions entre noétique et métaphysique du flux –, dont on saurait difficilement surestimer l’influence sur l’« école dominicaine allemande », aussi inadéquate que soit cette étiquette, est indiscutable.
19Cet imposant diptyque de plus de 1500 pages comporte un premier volume (A), avec une édition scientifique du commentaire d’Albert au prologue de l’Évangile de Jean, accompagnée en vis-à-vis par une traduction française, et un deuxième volume (B), avec une étude approfondie, la première monographie à proprement parler, sur la notion de médiation d’après Albert le Grand, qui « circule transversalement dans toute l’œuvre albertienne – dans le corpus aristotélicien, dionysien, scripturaire – et dans tous les champs de sa pensée – théologique, ontologique, noétique, physique, cosmologique, biologique, minéralogique… » (B, p. 21). Fait fonction de trait d’union entre les deux volets une citation tirée du commentaire d’Albert à Jn 1, 7, que J. C. met en exergue de son introduction au deuxième volume et qui porte sur le témoignage rendu par Jean-Baptiste au Verbe divin et sur son rôle de médiation nécessaire entre l’intellect humain et le principe divin :
Et il [= l’évangéliste Jean] touche le mode du témoignage en particulier, en disant : « pour rendre témoignage à la lumière (lumine) ». Et, bien qu’en elle-même elle soit très manifeste, cependant, notre intellect est, par rapport à elle, comme les yeux de la chauve-souris par rapport à la lumière (lumen) du soleil. C’est pourquoi aussi, comme <le> dit Denys, il faut qu’il soit conduit par la main au moyen d’une lumière (luce) qui lui soit proportionnée et, quant à cela, il a besoin d’un témoignage.
21Comme explicité dès le titre, J. C. en fait l’objet d’une « lecture figurale », voire le point de départ d’un « parcours figural » (B, p. 497), qui permet « de mettre en lumière des aspects du témoignage quasi inapparents dans le commentaire de l’Évangile de Jean lu de manière suivie selon l’ordre linéaire du discours » (B, p. 519). Clé de voûte de l’interprétation albertienne du quatrième Évangile, qui est lu par le docteur universel comme témoignage d’une séquence de témoignages et appelle tout lecteur à devenir témoin à son tour (B, p. 6-7), la notion de témoignage acquiert ainsi une connotation métaphysique de connaissance médiate qu’on peut assimiler in via au sujet du premier principe, et devient plus largement le « lieu philosophique privilégié pour déployer la notion de médiation » (B, p. 21).
22On ne saurait pas rendre compte de la complexité et de l’originalité de l’opération interprétative de J. C. sans s’attarder sur la notion de figure, d’où l’adjectif « figural », qui relie en quelque sorte l’objet de son enquête à sa méthode. La capacité d’aller au-delà des « figures » à travers lesquelles une réalité nous est signifiée, de mettre en relation des choses qui ne sont pas naturellement en rapport, et de faire ainsi sortir de l’ombre des éléments qui resteraient cachés à un observateur prisonnier des schémas ordinaires de raisonnement, une telle « intelligence figurale » doit être attribuée à J. C., avant même qu’au témoin dont elle nous parle en tant qu’interprète des signes à travers lesquels il rend son témoignage. En effet, J. C. fait de la présence de certaines figures le critère de sélection des textes qu’elle examine et desquels elle extrait, au fur et à mesure, des réponses de plus en plus circonstanciées à la question cruciale que de telles figures cèlent, et qui lancine Albert sans qu’il ose pourtant jamais la soulever ouvertement dans ces termes précis : « comment est-il possible de connaître le principe divin […] dans les conditions anthropologiques qui caractérisent l’intellect humain conjoint aux sens et à l’imagination ? » (B, p. 528). Pour interpréter les quelques lignes d’Albert évoquées plus haut, J. C. ne travaille donc pas sur des passages parallèles portant sur la notion de témoignage, mais va plutôt interroger à ce sujet des endroits qui, traitant d’autres questions, contiennent pourtant les mêmes images que le passage concerné : celle des yeux de la chauve-souris face à la lumière éblouissante du soleil (image d’inspiration aristotélicienne) et/ou celle de la manuduction, à savoir de l’être conduit par la main vers la lumière (d’inspiration dionysienne), qui acquièrent le statut de figures au vu du nombre d’occurrences dans le corpus albertien et de la fonction argumentative spécifique qu’elles ont dans des contextes différents. J. C. assemble ainsi des réseaux de textes albertiens, selon qu’une de ces images ou les deux y sont évoquées, et que d’autres figures y sont associées de manière plus ou moins récurrente, comme c’est le cas de celle du « vase de lumière », parmi d’autres. De chaque figure est ainsi examinée, dans une multiplicité de textes appartenant à différents genres littéraires, « la manière dont le maître de Cologne [la] déploie », « en circonscrit les caractéristiques structurelles et introduit des variations selon les problèmes spécifiques qu’il traite » (B, p. 50). J. C. observe par exemple que la comparaison entre l’intellect humain face à ce qui est plus manifeste en soi, par sa nature, et les yeux des animaux volants nocturnes (identifiés selon les cas avec la chauve-souris, la chouette, le corbeau de nuit ; ou deux d’entre eux ou les trois à la fois) face à la lumière (soit du soleil, soit du jour, soit de la lune) a des implications différentes selon qu’elle figure ou pas dans des textes tirés du « corpus aristotélicien » d’Albert. Au risque d’une simplification, on pourrait en effet dire que le docteur universel oscille entre deux lectures de cette comparaison : l’animal volant nocturne représente-t-il pour lui une condition noétique destinée à être surpassée au cours de la vie ou son état permanent ? à savoir, l’homme doit-il forcément se transformer en aigle pour acquérir in via quelque connaissance du principe ou peut-il en cerner quelques aspects même dans l’ombre, en demeurant chauve-souris ? L’opposition qui en découle est au fond celle entre la connaissance du premier principe propre au métaphysicien, qui arrive à connaître Dieu à partir de ses effets en tant que cause de l’être, et la connaissance propre, large loquendo, au théologien symbolique, qui a accès à Dieu par le moyen des traces qu’il en trouve dans le monde corporel. Si elles se rejoignent dans l’impossibilité pour l’homme pèlerin sur terre de parvenir à une connaissance immédiate de Dieu en sa nature, ces deux options épistémologiques présupposent deux modèles anthropologiques concurrents : d’un côté l’homme qui se perfectionne par élévation, en renforçant sa dimension intellectuelle au détriment de sa dimension corporelle, de laquelle il s’éloigne progressivement, pour s’adapter à son objet ultime de connaissance ; de l’autre l’homme qui trouve son achèvement humain dans le monde matériel et temporel, dont il vit le changement en tant que composé d’esprit et chair, auquel le principe se rend accessible par le moyen de manifestations visibles culminant dans l’Incarnation, dont Jean Baptiste est appelé à rendre témoignage. Dans ce cadre, la « connaissance testimoniale », évoquée dès le titre conjointement à la « métaphysique », prend consistance comme une deuxième voie vers le principe séparé, qui permet à Jean Baptiste, et par son biais à tout homme, d’en acquérir une connaissance qui n’est pas seulement théorétique, comme celle qui est métaphysique, mais aussi pratique (B, p. 364).
23De là, la méthode forgée par J. C. fait la preuve de son efficacité. En suivant le fil conducteur de complexes figuraux récurrents dans des domaines différents et en parcourant transversalement le corpus albertien, on est en effet amené à aborder des problématiques déjà connues à nouveaux frais. Le cas du rapport entre philosophie et doctrine sacrée, avec ses multiples implications, est certainement le plus éclatant. Grâce à ses recherches, J. C. ne se borne pas à rejoindre certaines thèses déjà émises dans la littérature historico-philosophique au sujet de la théologie en ses relations avec la métaphysique et de la difficile conciliation tentée par Albert entre motifs aristotéliciens, péripatéticiens et dionysiens. Elle arrive de plus à nuancer ces thèses, à les préciser et à les compléter sous différents aspects en s’appuyant sur un corpus de textes considérablement élargi, qui en comprend surtout certains qui étaient demeurés jusqu’à présent très marginaux dans les études albertiennes et avaient été pratiquement ignorés dans les études philosophiques. Avec son expérience J. C. met donc le doigt sur l’importance d’aller au-delà d’une lecture du docteur universel par compartiments étanches et notamment de tenter la valorisation philosophique d’ouvrages moins philosophiques en apparence.
24Parmi le grand nombre de passages passés au crible, certains sont bien évidemment tirés du commentaire au prologue de l’Évangile de Jean, qui est ainsi situé plus concrètement entre exégèse, théologie et métaphysique, en tant que texte de portée philosophique majeure, dont l’« intention est […] de montrer que l’Évangile de Jean, en tant que témoignage, se présente comme une réponse à l’aporie des philosophes » (B, p. 7). Il s’agit notamment de voir dans le quatrième Évangile une réponse philosophiquement engagée « au problème philosophique posé par Aristote de l’impossibilité, pour l’intellect humain, de connaître le principe directement » (ibid., p. 501) – à l’ « aporie noétique » du livre alpha de la Métaphysique ou au « chiasme de l’intellection humaine du divin », pour reprendre les formules de J. C. –, qu’on lit aux lignes 993b 9-11, d’où est tirée l’image elle-même de la chauve-souris incapable de fixer ses yeux sur le soleil. Comme Jean, et à travers lui, Albert le Grand s’adresse aux philosophes pour leur indiquer, à la suite du pseudo-Denys, la richesse médiatrice de l’ombre comme solution face à l’intensité insaisissable de la source de toute lumière. Le quatrième Évangile témoigne en effet de la venue de quelqu’un qui n’indique pas aux hommes la voie de l’élévation, du détachement du monde sensible et de la divinisation comme clé d’accès au premier principe, mais plutôt de « la venue de quelqu’un qui vient prendre d’autres personnes par la main en marquant leur chair du sceau d’une disproportion en vue de les conduire vers leur Père, c’est-à-dire vers le principe divin duquel ils proviennent » (B, p. 531). Il s’agit dès lors, pour l’homme dans sa condition corporelle, de se laisser guider par les médiations sensibles à travers lesquelles le principe divin continue à se manifester, tout en demeurant incommensurable aux signes à travers lesquels il se rend accessible : la chair et les actes humains du Christ, les paraboles, les sacrements, les miracles, et même avant cela la figure du Baptiste. Transformé en profondeur par la lumière divine, en vertu de son propre être humain, de sa dévotion et de sa foi, le Baptiste illumine à son tour les destinataires de son témoignage, tout en demeurant incapable de les transformer à leur tour en profondeur. Il devient ainsi un instrument à travers lequel d’autres hommes sont mis dans les conditions d’accueillir le principe ultime qui se manifeste. Si en elles-mêmes la corporéité et la pleine humanité du Baptiste ne sont pas la manifestation du principe – en Jean Baptiste la lumière divine demeure distincte de Jean Baptiste lui-même –, elles s’avèrent pourtant nécessaires à rendre compréhensible une telle lumière aux hommes en leur condition corporelle. J. C. insiste notamment sur le rôle pivotal que le Baptiste joue dans la métaphysique du flux albertienne : unique et inaltérable en son intensité, par le moyen du témoignage de Jean la lumière divine arrive à illuminer toute chose qui lui est disproportionnée, se faisant multiple et commensurable aux viatores. En effet, le témoignage de Jean ne se réalise pas simplement dans le fait d’être tangible, de se rendre visible, de se faire entendre par ses destinataires : à sa fonction de médiation sensible s’ajoute aussi son rôle noétique, qu’est celui d’apprendre, de susciter et d’orienter l’activité de l’intelligence figurale dont il devient objet en ceux qui reçoivent son témoignage (B, p. 517-519). En essayant de trouver une proportionnalité entre les propriétés et l’agir corporels des signes d’un côté, les propriétés et l’agir spirituels qui se manifestent à travers tels signes de l’autre, l’homme est ainsi amené à apercevoir la lumière dans l’ombre, d’une manière convenable à ses facultés. Cette remontée des effets visibles aux causes invisibles s’inscrit dans le flux comme mouvement inverse de la manifestation d’un Dieu qui se met volontairement en images, jusqu’à se faire homme.
25Comme il ressort de ces quelques remarques sur les contenus, la monographie de J. C. a l’audacieux mérite de faire converger sur un passage de quelques lignes des aspects cruciaux du système philosophique albertien, que l’auteur analyse avec rigueur : outre la déjà mentionnée métaphysique du flux, la théorie de la signification, l’analogisme, la hiérarchie des sciences, la métaphysique de l’Incarnation, pour n’en citer que quelques-uns. Dans son exposition, qui s’articule en quatre vastes chapitres plus des conclusions générales, J. C. consacre beaucoup d’espace aux textes, qu’elle discute au cas par cas de manière détaillée, sans craindre de donner au lecteur tous les moyens pour se faire sa propre opinion sur chaque pièce du dossier qu’elle constitue. Si cette manière de procéder a d’un côté le grand avantage de « faire parler » l’auteur étudié et de permettre de discerner les textes d’Albert de l’apport interprétatif de J. C. (dans sa traduction française avant même sa lecture philosophique), une telle accumulation comporte le risque de décourager le lecteur. Il faut toutefois reconnaître que J. C. maîtrise son copieux dossier avec compétence, ce qui lui permet de le structurer de manière claire et nette. Les chapitres sont ainsi subdivisés en sections et sous-sections, et complétés par des appendices. Des titres détaillés introduisent les différentes parties, qui se développent presque systématiquement autour de questions précises, explicitées en ouverture et dont la réponse est formulée en conclusion de chaque division. Cette scansion rend l’ouvrage plus facilement consultable et plus immédiatement abordable pour des lecteurs dont les intérêts seraient ciblés sur certains aspects seulement, aussi bien que pour des lecteurs non spécialistes. En ce sens, on appréciera l’ajout d’une « Table des matières » à la fin du volume (B, p. 653-665), où le « Sommaire » fourni au début est ultérieurement détaillé (B, p. ix-xiii), ainsi que la présence d’un index thématique très bien conçu (B, p. 565-583) à côté de celui de textes d’Albert (et Eckhart) cités (B, p. 539-559), excellents supports pour une approche non-linéaire, partielle ou transversale, aux pages de J. C.
26Innovatrice d’un point de vue philosophique et méthodologique, l’entreprise de J. C. ne l’est pas moins d’un point de vue historico-textuel, et ce n’est pas seulement parce qu’elle puise au commentaire d’Albert au prologue de l’Évangile de Jean (Jn 1, 1-18), texte très peu étudié jusqu’à présent. Elle en fournit en effet la première traduction française, et surtout la première édition scientifique, qui rendent accessible aux spécialistes, ainsi qu’aux lecteurs non-latinistes, un état du texte plus proche de l’original d’Albert que celui attesté respectivement par les éditions Jammy (Lyon, 1651) et Borgnet (Paris, 1899). J. C. prouve que ces deux éditions témoignent plutôt de la réception de cet ouvrage exégétique au xve siècle, et notamment dans le milieu rhénan (A, p. ccx). Quoiqu’ils demandent d’être confirmés sur la base de sondages conduits sur d’autres portions du texte en vue d’une véritable édition critique – le texte édité représente moins d’un vingtième du commentaire dans son ensemble et les témoins fragmentaires ne sont pas considérés –, les résultats auxquels parvient J. C. en étudiant la tradition manuscrite du commentaire aux verset 1, 1-18, sont solides. Ils sont exposés systématiquement dans une introduction très détaillée, qui s’articule en cinq chapitres portant respectivement (I) sur l’authenticité du commentaire, (II) sur sa composition (chronologie relative de l’ouvrage et lieu), (III) sur son titre – ou plutôt sur l’absence d’un intitulé, que J. C. choisit de ne pas intégrer (A, p. lxi) – et sur sa structure, (IV) sur les témoins complets de l’ouvrage (alors que les extraits et les fragments sont présentés dans le troisième appendice : A, p. dxxix-dxxxvii), manuscrits et éditions imprimées, (V) sur leur généalogie et leur contribution à la reconstitution du texte d’Albert.
27J. C. établit le texte de la section du commentaire d’Albert consacrée à la « partie doctrinale » du prologue de Jean, son édition s’arrêtant là où débute l’explication de la « partie historique » (A, p. lxxiii-lxxiv) [11]. Choisi sur la base des contenus, ce segment du commentaire est attesté par une tradition « classique », entièrement non-universitaire, qui s’avère suffisamment accidentée mais aussi unitaire pour pouvoir être synthétisée sous forme de stemma codicum : y trouvent place non seulement les neuf témoins collationnés (tous ceux qui transmettent le texte du commentaire en entier [12]), mais aussi les éditions imprimées (A, p. clxxiii ; cxci). De plus, J. C. fait émerger du matériau critique recueilli l’histoire de la composition et de la transmission de ce commentaire d’Albert, dont elle reconstruit quelques étapes : elle individue « au moins, deux états du texte remontant probablement à l’auteur et un, voire deux, relevant de la tradition » (A, p. ccviii).
28En appliquant des principes d’édition stemmatique inspirés par Jacques Froger [13], J. C. articule son examen des variantes, plus de trois mille pour la portion de texte étudiée, en deux phases (A, p. c-ci). Dans un premier temps, elle raisonne principalement en termes quantitatifs (sans pourtant manquer de souligner que certaines variantes sont plus significatives que d’autres), afin d’établir comment les manuscrits s’enchaînent les uns aux autres et d’observer s’il y a des clivages stables entre groupes, et lesquels. Ce n’est que dans une deuxième phase que les variantes sont évaluées qualitativement, et que J. C. fait appel à la distinction entre leçons bonnes et erronées, afin de donner une orientation au stemma codicum, en indiquant « le “sens” de la copie » et discernant parmi les témoins entre ancêtre(s) et descendants. À ce stade ce sont notamment les fautes de copie qui servent à guider l’enquête, c’est-à-dire celles que Dominique Poirel, cité par J. C. (A, p. ci), définit comme erreurs « suffisamment manifeste[s] pour que l’ancêtre des manuscrits qui [les] transmettent soit disqualifié de la place d’archétype ». Dans ce contexte J. C. se montre prudemment attentive aux nuances que la notion d’erreur admet, notamment à la possibilité que l’archétype atteste aussi de fautes d’auteur et au fait que l’absence d’erreur ne soit pas nécessairement signe de proximité à l’archétype.
29Dans la présentation des groupes, les variantes conjonctives sont listées et sélectivement discutées. L’accent est opportunément porté sur les variantes « pures », exclusives de la famille concernée et telles qu’elles la mettent à part du reste de la tradition. La cohérence des hypothèses formulées est, selon les circonstances, étayée avec l’examen des « phénomènes […] de transversalité », voire des « variantes à témoins rares [14] », afin d’en écarter le rôle conjonctif, ainsi qu’avec l’examen des variantes individuelles, afin d’en saisir l’origine et de situer le témoin qu’elles caractérisent par rapport aux autres du même groupe. Comme observé pour sa monographie, la présence de questions en début de sections aide le lecteur à comprendre les objectifs des différentes étapes d’une argumentation plutôt technique, que la subdivision en sections et la présence de titres très clairs contribuent déjà à rendre plus profitable.
30Le stemma orienté auquel J. C. parvient présente quatre branches. En cas de convergence des quatre ou de trois sur quatre groupes, c’est leur accord qui détermine le texte de l’archétype. Au cas, cependant, d’une opposition des branches deux à deux, J. C. penche en général, et sauf face à des erreurs manifestes, vers les leçons attestées conjointement avec d’autres témoins par le manuscrit T (Toulouse, Bibliothèque mun. 162), qui atteste d’un état primitif du texte. Quant aux cas, peu nombreux, où elle tient nécessaire de déroger à ces critères de choix, apportant parfois des véritables corrections à l’archétype, J. C. les discute à part (A, p. ccxi-ccxxi). Une analyse discursive de plus de cent-cinquante « leçons erronées » ainsi que de plus de deux-cents « variantes » est fournie en appendice au volume (A, respectivement p. ccxlvii-ccclxxii ; ccclxxiii-dxxvii). S’il est vrai que, selon ses intentions, J. C. offre ainsi au lecteur des éléments supplémentaires pour réfléchir sur les hypothèses stemmatiques émises dans l’introduction et pour juger pleinement des choix qui en découlent dans l’établissement du texte, la surabondance d’informations et considérations fournies dans ces deux répertoires des leçons commentées nous amène à nous interroger sur le difficile équilibre que chaque éditeur est appelé à trouver entre la transparence, concernant les démarches accomplies pour recueillir et trier les données, et la sélectivité face à l’énorme quantité d’informations et détails sur lesquels on se trouve à travailler, sans pouvoir les fournir tous au lecteur. Entre les deux, J. C. privilégie certainement le premier aspect, ce qui a un impact négatif surtout sur la façon dont son texte est finalement présenté, notamment sur sa lisibilité. Les apparats critiques s’avèrent en effet assez chargés, malgré la présence d’une introduction si riche et des explications complémentaires données en appendice. D’autant plus que J. C. choisit de ne pas exploiter à proprement parler les regroupements qu’elle a pourtant bien justifiés précédemment : chaque manuscrit continue à y être mentionné en tant que tel, sans référence aux sous-archétypes individués. Dans ce même sens paraît aller le choix de renvoyer à l’apparat critique avec un système de notes en pied de page, au lieu de s’appuyer plus simplement sur la combinaison entre numérotation des lignes et lemmes. Le texte latin finit par en être sensiblement alourdi, si on pense que ces renvois de notes (en chiffres arabes et avec numérotation continue sur la longueur du texte) sont plus de trois mille, et qu’ils viennent se croiser avec deux autres ordres d’annotations, destinés à identifier respectivement les sources bibliques (en lettres) et non-bibliques (en chiffres romains) du commentaire d’Albert. S’il s’avère utile pour faire le lien entre édition (et traduction), introduction et appendices, ce système de numérotation des variantes retenues rend la consultation de la version latine du texte indépendamment des autres parties du volume moins immédiate qu’on ne le souhaiterait.
31Mais bien évidemment, ces aspects finalement formels n’enlèvent rien à la fiabilité et à la solidité de ce travail d’édition accompli par J. C. Cette double parution, qu’elle a louablement su assurer conjointement, nous amène décidemment à toucher du doigt l’importance et la fécondité d’une recherche de longue haleine, qui sait s’aventurer dans différents terrains et faire appel à des compétences diverses mais complémentaires, de la philologie à la pensée philosophique, en passant par l’histoire des textes, l’exégèse et la théologie.
32M. B.
33Jean Gerson. — Cette édition de la grande épopée de saint Joseph met à la disposition du public le texte critique que Matteo Rocatti a établi sur dix manuscrits et l’édition princeps [15]. Succédant au texte de Palémon Glorieux, il n’était alors accessible que sur CD-ROM (2001), et dans un état qui, dans l’esprit de l’éditeur, n’était que provisoire, dans l’attente d’un apparat des sources, satisfaite par cette publication avec la traduction en regard.
34Madame Isabel Iribarren [I. I.] a profondément remanié la traduction de Gilbert Ouy, dont le parti humaniste pouvait oblitérer la visée doctrinale de Gerson. Elle a rédigé une imposante introduction historico-doctrinale, où se trouvent récapitulés les traits essentiels relevés dans les études consacrées à chacune des distinctions, publiées à leur terme, sans compter les notes ad loc. qui figurent en fin d’ouvrage et détaillent les sources. Une bibliographie, des index des noms propres, ainsi que des lieux bibliques, couronnent ce beau travail.
35La Josephina est un témoignage de ce qu’on a appelé le premier humanisme français. Il s’agit d’une épopée en hexamètres rédigée par Gerson au Concile de Constance pour promouvoir le culte à saint Joseph et la portée symbolique de son mariage avec Marie, signifiant les épousailles mystiques du Christ et de l’Église.
36I. I. entreprend d’éclairer le texte par les circonstances de sa composition. Elle tient, avec Max Lieberman, que Pierre d’Ailly est en dépendance de Gerson quant à l’enseignement touchant saint Joseph. Gerson a trouvé le canevas de son épopée dans un office liturgique en usage à Milan, y intégrant par ailleurs des extraits de ses propres ouvrages. Son zèle à promouvoir le culte de saint Joseph s’était déclaré dès 1413, parmi les conflits entre Armagnac et Bourguignons, pour désigner à son siècle le modèle de cet homme pacifique. Les affirmations de Gerson touchant la royauté de Marie étaient d’ailleurs de portée délicate, car semblant favoriser les prétentions des Anglais à une succession par ligne féminine.
37I. I. étudie ensuite l’ouvrage de Gerson selon son genre littéraire, son organisation et son contenu. Il présente douze divisions, selon la forme canonique de l’épopée. Mais la référence à la scolastique n’est pas moindre, à travers l’appellation de « distinctions » par quoi elles sont désignées. Gerson renoue avec le genre antique de l’épopée scripturaire, récemment renouvelé d’ailleurs par le milieu humaniste du Collège de Navarre. On capte l’antique noblesse du poème épique en faveur de la France et contre Rome, pour répondre aux prétentions de Pétrarque. Mais, par son contenu, la Josephina garde évidemment quelque chose de très médiéval.
38Le récit commence par la fuite en Égypte, avant de revenir plus loin aux événements précédents : aussi bien, l’Énéide ne suivait-elle pas non plus la chronologie des faits, mais débutait in medias res. D’ailleurs, le progrès dans ce poème n’est pas historique, mais spirituel. Le fil des distinctions laisse le champ libre à la pratique rhétorique de l’amplificatio comme de la ratiocinatio, en vue d’écrire dans les blancs laissés par l’évangile.
39Le propos de l’ouvrage est édifiant, bien sûr, écartant soigneusement les questions qui seraient susceptibles de débats trop épineux. On se cantonne à des sujets tous tirés de la doctrine chrétienne, sans concession à un naturalisme qui pourrait passer pour idolâtre.
40La Josephina est ensuite considérée dans ses rapports avec la littérature dévotionnelle, et spécialement celle du milieu franciscain, surtout les Meditationes vite Christi, du pseudo-Bonaventure. Elle y emprunte son caractère « sentimental », ou plutôt cette familiarité très vite affective, qui vous fait pénétrer dans l’intimité de la Sainte Famille, destinée à s’épurer en amour des réalités spirituelles.
41I. I. relève l’expression pie credendum est, que Gerson emploie à propos des mystères qui ne sont pas directement rapportés par les saints évangiles. Curieusement, on le voit qui s’abandonne à suivre une imagination qu’il s’attache par ailleurs à condamner dans les excès où elle donne facilement. La commentatrice note des affinités avec la devotio moderna. L’obéissance de Joseph acquiert relief d’après les débats des franciscains en vue de proposer un modèle spirituel qui puisse se démarquer de l’hérésie du « Libre Esprit ».
42Est considéré ensuite le rapport aux apocryphes et à la tradition iconographique. Si Gerson emprunte aux premiers, on le voit surtout réagir contre la dévalorisation qui s’y opère de Joseph, vieillard en retrait, comme le représentent alors volontiers les artistes, et père ayant eu déjà des enfants. Gerson tient fermement pour la virginité de Joseph, et il en fait, à travers ses tribulations, une figure assez profonde du juste tourmenté que Dieu élève jusqu’à soi.
43Il se livre ainsi à une « reconstruction doctrinale » du personnage de Joseph. Qu’il eût été lors dans la force de l’âge importait à la réputation de la Sainte Famille, et cela l’habilitait en outre à faire vivre son foyer, tandis que le siècle de Gerson voit se développer la dévotion à Joseph comme chef de la Sainte Famille. La présence, régulièrement marquée, de l’ange auprès de lui relève aux yeux du lecteur la mesure d’une vie spirituelle contemplative et active tout ensemble.
44La deuxième partie de l’introduction a pour titre : « Poétique, mystique et doctrine ». I. I. s’attache d’abord à définir la place de la Josephina dans la pensée mystique de Gerson. Elle estime difficile de la rattacher à l’une ou l’autre des deux phases distinguées par André Combes dans l’évolution de sa doctrine spirituelle : entre une actualisation de la syndérèse dans l’excessus mentis, et une vision qui relève le rôle de la grâce comme condition de l’expérience intuitive de Dieu.
45Est ensuite dégagé l’art poétique de Gerson en cet ouvrage. Si la poésie n’a pas sa fin en soi, mais est au service de la doctrine, elle n’en est pas l’instrument servile, mais elle participe à l’élaboration permanente de la doctrine, dont l’auteur avait une conscience aigüe : ainsi le remplacement de la figure de Joseph, vieillard insignifiant dans les apocryphes, par la sainte nouveauté de cet homme associé de si près à l’œuvre du salut. La poésie, en outre, accomplit le lien entre les théologiens spéculatifs et le peuple chrétien, dans la perspective réformatrice chère à Gerson.
46La poésie met en œuvre une estimatio vel pia credulitas, en quoi se résume, selon I. I., l’essentiel de la démarche de Gerson. Cette sainte conjecture qui emporte la créance porte sur des matières qui ne sauraient se déduire de l’Écriture, mais ne sauraient non plus la contredire. Elle est propre à édifier le cœur pieux, dans la pensée aussi que ce qui n’est certes que probable n’en est pas forcément faux pour cela. Elle n’exige pas qu’on affirme comme nécessaire ce qui est ainsi pieusement conjecturé. On peut religieusement croire que « les choses auraient pu se passer ainsi ».
47Par là, on rejoint la problématique de la Poétique d’Aristote touchant le vraisemblable, par quoi la poésie est « plus philosophique » que l’histoire, car à portée plus universelle. L’estimatio gersonienne recueille l’héritage de la consideratio bernardine, mais aussi de l’argument topique entendu comme « raison produisant la croyance en une chose douteuse » selon Cicéron et Boèce, repris par Pierre d’Espagne. Elle s’étend dans le milieu entre la scientia certa et l’opinio, selon l’enseignement des péripatéticiens arabes, tel Avicenne. Le domaine de la scientificité s’ouvre désormais à la rhétorique, ainsi qu’à la poésie, pour une « conception élargie du raisonnement logique ». Gerson reprend ainsi les vues de Buridan élaborant une logique « rhétorique », propre aux sciences morales.
48Le statut parisien de 1340 relevait l’importance de la subjecta materia, du contexte précis, dans une perspective respirant le nominalisme. On veut faire droit à « une éloquence théologiquement informée, contre le technicisme rhétorique ».
49Quelle autorité théologique ces vérités probables présentent-elles ? La Josephina a valeur d’un exemplum de sainteté. Or, il y a une autorité propre à l’exemplum, dont le maître universitaire est responsable contre certaines dérives à quoi engagerait une piété mal éclairée. Mais Gerson est persuadé que « l’humilité des simples n’est pas incompatible avec la plus haute contemplation ».
50J.-C. N.
Études
51Thomas d’Aquin : nature et grâce. — Marie de l’Assomption O.P. (Émilie d’Arvieu) [É. d’A.] vient de publier un volume, d’environ 850 pages, consacré à la relation de la nature à la grâce dans l’œuvre de Thomas d’Aquin [16]. Il se compose d’une brève introduction (p. 25-34) et de deux parties, chacune divisée en deux chapitres. La première partie – « Les rapports de la nature à la grâce chez l’homme : essai de définition et histoire » – étudie, dans le premier chapitre, les concepts sur lesquels porte l’étude (par exemple : nature, naturel, contre-nature etc.), puis, dans le deuxième, la nature humaine dans ses différents états : pré-lapsaire, post-lapsaire, restauré. La seconde partie – « La question de la fin : quel avenir pour l’homme ? Désir naturel et béatitude » – présente d’abord une étude d’ensemble de la béatitude humaine, au troisième chapitre, puis, au quatrième, de la béatitude par rapport à l’être humain et à sa capacité à l’atteindre. L’ouvrage s’achève sur des conclusions succinctes (p. 805-817).
52É. d’A. se propose de réhabiliter les thèses d’Henri de Lubac autour de la relation entre nature et grâce, contre la tendance récente à reprendre, sur ce point, la position de Cajetan (p. 810). Dicté peut-être par des contraintes d’ordre matériel, le choix de ne pas inclure dans l’étude la relation entre la grâce, la liberté et la prédestination apparaît regrettable : la question de la grâce se trouve ainsi mutilée de son développement le plus important.
53É. d’A. examine une masse de matériaux considérable, principalement des extraits de Thomas présentés selon un ordre thématique, ou ordo scientificus. Ainsi, pour nous limiter à un seul exemple, lorsqu’elle expose les divers emplois du terme beatitudo, É. d’A. a recours à l’Exp. super Isaiam, à la Summa theologiae, au De virtutibus, aux Sentences, au De veritate, au De malo, à la Contra Gentiles, aux Sermons etc., sans tenir compte de l’ordre chronologique des ouvrages ni du contexte doctrinal ; sa méthode consiste à extraire des micro-segments de l’œuvre de Thomas, pour les rapprocher d’autres micro-segments utilisant, de son point de vue, le terme dans un sens proche. Cette méthode présente l’inconvénient de faire abstraction du contexte dans lequel le terme est utilisé : É. d’A. cherche ainsi davantage à répertorier les définitions qu’à expliquer les concepts et leur formation. La complexité de la pensée de Thomas, en elle-même et dans sa genèse historique, échappe ainsi souvent à É. d’A. : par exemple, son étude du concept de nature néglige des emplois du terme qui sont fondamentaux pour comprendre la métaphysique de Thomas, comme c’est le cas pour le concept de natura absoluta (Quodl. VIII, qu. 1, a. 1), par lequel Thomas fait sienne la théorie de l’essence d’Avicenne, qu’il fait converger avec les participationes in se pseudo-dionysiennes (In De div. nom., XI, 4). É. d’A. semble ainsi flotter sur des pans gigantesques de l’histoire de la métaphysique aristotélicienne, en négligeant la complexité des problèmes impliqués dans les textes qu’elle étudie.
54Ces enquêtes « lexicographiques », réalisées à l’aide d’instruments informatiques, mènent parfois à des résultats fautifs. Par exemple, É. d’A. affirme (p. 56) que « de tous les médiévaux, c’est lui [Thomas] qui fait l’usage le plus fréquent de ce concept » (celui de supernaturalis ou supra naturam) ; une note précise : « 370 mentions selon l’Index thomisticus […] Selon la Library of latin texts – Série A, il y a 313 emplois du terme par celui-ci, 101 chez Guillaume d’Occkham [sic], 28 pour Bonaventure ». Ces données sont en réalité inexactes et difficilement exploitables : d’une part, la production de Guillaume d’Ockham est remarquablement plus modeste que celle de Thomas d’Aquin, si bien que ce n’est pas le nombre d’occurrences d’un terme, mais sa fréquence relative, qu’il conviendrait de prendre en compte ; de l’autre, ce n’est que très récemment que la Library of latin texts a inclus le Commentaire des Sentences de Bonaventure ; les 28 occurrences repérées par É. d’A. ne tiennent donc pas compte de l’ouvrage le plus monumental du théologien franciscain. La même recherche, réitérée aujourd’hui, renvoie à quelque 200 occurrences de supernatural(is) et supra naturam chez Bonaventure.
55L’apport des analyses d’É. d’A. est, dans de nombreux cas, discutable : l’auteur témoigne d’une certaine propension à la paraphrase (par ex. aux p. 476-483, sur l’objet de la beatitudo, qui résument Ia IIae, q. 2, a. 1-7). Quand on vient à la compréhension des questions théoriques, l’ampleur de la tâche spéculative semble parfois avoir eu raison des efforts d’É. d’A.
56À propos de l’objet de la volonté, par exemple, justice n’est pas rendue à la cohérence de la pensée thomasienne. Prônant une ontologie aristotélicienne, Thomas sait que « bien », comme « être », est un terme analogue ; c’est-à-dire qu’il peut être prédiqué d’étants spécifiquement et génériquement différents (l’ange est bon, le couteau est bon etc.) ; et puisque le jugement dépend de l’état psychologique de celui qui le prononce, « bien » peut se prédiquer aussi d’un faux bien, c’est-à-dire d’un mal : l’ivrogne ne dit-il pas que la boisson est bonne ? C’est ici la psychologie morale d’Aristote que Thomas exploite, en particulier la distinction entre bien et bien apparent (bonum, apparens bonum). Et lorsqu’il affirme que la volonté a pour objet le bien, Thomas entend le bien au sens le plus universel, le plus général et imprécis, incluant le bien parfait, le bien imparfait, la fin, le moyen, l’objet de la vertu ou du vice etc. (Ia IIae, q. 8, a. 1). C’est pourquoi il s’abstient d’identifier Dieu au bien en tant qu’objet de la volonté. En effet, comment saurait-on identifier Dieu et le bien apparent ? Or c’est justement en confondant l’objet du bonheur et celui de la volonté qu’É. d’A. amène la pensée de Thomas là où celle-ci n’a jamais osé s’aventurer : estimant que Dieu et « bien universel » sont la même chose, É. d’A. affirme (p. 485) :
L’universel est ce qui est dit de toutes choses. Le bien parfait qu’est Dieu est le bien universel parce qu’il est total, sans manque, et que tout autre bien participe de lui. Le bien universel coïncide alors avec le bien premier.
58Fort heureusement, É. d’A. n’a pas achevé son syllogisme comme la logique l’aurait exigé, puisque des prémisses « l’universel est dit de toutes choses » et « Dieu est universel », on devrait tirer une conséquence dangereusement panthéiste, et résolument non-thomiste, à savoir que « Dieu est dit de toutes choses [17] ». Certes, le texte sur lequel É. d’A. se fonde parle de Dieu comme du bien universel [18] ; cependant, il ne faut pas entendre par là l’universel logique, qui se prédique d’une multiplicité de sujets ; déjà Cajetan, dans son commentaire, met en garde contre une telle interprétation : si l’on affirme que l’objet de la volonté est le bonum in universali (au sens logique), on ne peut pas affirmer que Dieu est l’objet de la volonté ; en revanche, on peut affirmer que Dieu est objet de la volonté en tant que bien universel, si par « universel » on entend le bien absolu [19].
59Du point de vue formel, l’ouvrage présente des caractéristiques certes fréquentes dans des recherches doctorales, mais qu’une publication en volume devrait chercher à corriger. É. d’A. ne semble pas avoir élaboré une pratique cohérente en matière de citation : les sources primaires cités en note le sont tantôt en traduction seule (p. 93, note 204, p. 95, note 209 etc.), tantôt en latin et en traduction (p. 208, note 10, p. 533, notes 295-296 etc.) ; parfois, un même texte se trouve paraphrasé, puis cité en note en traduction française, avec un effet de redondance, alors que l’intérêt de citer un auteur ad litteram, c’est évidemment celui de restituer sa pensée dans sa langue d’origine. Les citations ad litteram abondent (elles semblent constituer près de la moitié du texte), y compris les citations extraites de la bibliographie secondaire : cette profusion de citations ne rend pas l’ouvrage scientifiquement plus solide et ne fait, en réalité, qu’en rendre la lecture plus malaisée, d’autant que les auteurs cités ne sont que trop rarement soumis à une évaluation critique.
60Par ailleurs, s’il est certain que les traductions françaises actuelles d’Aristote sont plus intelligibles que les traductions latines médiévales, il est moins sûr qu’il faille y avoir recours pour illustrer la pensée de Thomas d’Aquin. Quiconque est familier des commentaires aristotéliciens du xiiie siècle et, surtout, de l’Aristoteles latinus, connaît les problèmes redoutables que pose l’utilisation de ces textes : il n’en reste pas moins que ce sont ceux que lisait Thomas, et que remplacer Guillaume de Moerbeke ou Robert Grosseteste par Pierre Pellegrin conduit fatalement à gommer les particularités de l’Aristote de Thomas d’Aquin, ses difficultés, sa rudesse, parfois ses incohérences ; et ce qui pourrait être acceptable dans une perspective pédagogique de vulgarisation philosophique l’est moins dans une contribution destinée à un lectorat de spécialistes.
61En général, la dette de Thomas envers Aristote aurait mérité plus d’attention : prenons, par exemple, la définition de « nature » (p. 38-39). É. d’A. se fonde sur l’In Sent. III (d. 5, q. 1, a. 2), sans cependant remarquer que le long texte auquel elle se réfère (cité ibid., note 3), est un exposé fidèle d’Aristote (Metaph. V, chap. v, sur les sens de « nature », et chap. x, sur les sens de « substance ») ; en même temps, Thomas montre la cohérence entre les définitions aristotéliciennes et celles de Boèce (Contra Eut., chap. i). La question que Thomas traite ici étant de nature christologique (utrum unio sit facta in natura), l’intérêt de cette opération exégétique consiste à isoler un sens de nature et de substance à partir duquel résoudre la question. Le sens que Thomas retient est celui de quiddité ou essence, qu’il trouve à la fois chez Aristote et chez Boèce :
Alio modo dicitur substantia quod quid erat esse, idest quidditas et essentia quam significat definitio cuiuslibet rei, prout significatur nomine ousiae. Et sic etiam substantia dicitur natura, secundum quod Boetius dicit quod « natura est unumquodque informans specifica differentia » ; quia ultima differentia est quae definitionem complet [20].
63Convergence évidente : Boèce dépend ici manifestement d’Aristote, qu’il cite explicitement au chap. i du traité Contre Eutychès et Nestorius. É. d’A. oublie donc la contribution fondamentale d’Aristote lorsqu’elle affirme (p. 38-39) : « Si l’on ne tient pas compte de l’évolution historique de ce mot, c’est à Boèce que Thomas emprunte les sens principaux qu’il peut revêtir. » À Boèce, certes, qui les emprunte à Aristote, ce que Thomas vient de montrer avec rigueur.
64Parfois, la pensée d’Aristote fait l’objet d’étonnantes simplifications. Il est problématique, en effet, d’affirmer : « Aristote conçoit cependant le bonheur comme un don des dieux » (p. 435, note 2) : isolé de son contexte d’origine, le passage cité à l’appui de cette thèse (Eth. Nic. I, 1099b10-14) ne veut rien dire. En réalité, Aristote conçoit le bonheur comme l’état d’actuation des habitus vertueux, état auquel on parvient essentiellement, quoique pas exclusivement, par l’effort personnel.
65En outre il y a dans ce livre – et c’est peut-être son défaut le plus gênant – un grand absent : le Moyen Âge. Certes, É. d’A. cite ici ou là Albert le Grand et Bonaventure (toujours à titre de comparaison, l’analyse de ces auteurs n’est jamais détaillée). Mais qu’en est-il des auteurs qui formaient la culture philosophique et théologique de Thomas ? Qu’en est-il de Philippe le Chancelier, de Guillaume d’Auvergne, de la Summa fratris Alexandri et des autres grandes synthèses écrites entre la fin du xiie et le début du xiiie siècle ? Qu’en est-il d’Averroès (dont le grand commentaire à la Métaphysique est décisif, pour Thomas, dès la composition de l’In I Sent.) ? Qu’en est-il d’Avicenne et de sa théorie de l’essence ? Qu’en est-il de la première réception artienne de la philosophie naturelle et de la métaphysique d’Aristote, si importante – désormais nous ne pouvons plus l’ignorer – pour la formation de la pensée du jeune Thomas ? De la sorte, le lecteur ne sait jamais si telle ou telle position de Thomas est originale, ou bien commune à la théologie de son époque. Le Thomas d’É. d’A. est un Thomas arraché à son monde, arraché à l’histoire, alors que l’application aux textes de la critique historique est la condition qui en permet une compréhension correcte ; mais cela, de toute évidence, n’est pas ce que vise É. d’A.
66Enfin, on ne peut s’empêcher de regretter, tout au long de l’ouvrage, une certaine négligence formelle. Le De veritate, par exemple, est cité d’après une édition non critique, incluant des mots inauthentiques et omettant de nombreux passages authentiques, restitués dans l’édition Léonine. De même, pour les commentaires aristotéliciens, il est inopportun de se référer à des lectiones (suivant l’usage d’éditions non critiques et dépassées) : il y a déjà 60 ans que le P. Gauthier a établi que cette terminologie n’était pas pertinente. Quant au De homine d’Albert le Grand, il est cité d’après l’édition Borgnet, alors que depuis 2008 il est disponible dans l’édition critique de Cologne.
67On ne peut que rendre hommage à l’intention de l’auteur de revivifier la pensée stimulante d’Henri de Lubac ; mais en l’état actuel où les travaux d’É. d’A. sont présentés, sur ces questions d’un immense intérêt, on préfèrera continuer à se référer aux travaux fondateurs du théologien jésuite plutôt qu’à ceux de ses épigones.
68I. C.
69Thomas d’Aquin : miséricorde. — Il s’agit d’une étude de la Somme de théologie, IIa IIæ, q. 30, par fr. Jean-Baptiste Cazelle [J.- B. C.] [21]. Elle est conduite par la tension que l’auteur distingue, dans la miséricorde selon Thomas, entre passion et vertu, d’une part, justice et charité d’autre part. Le propos est de dégager les traits de l’habitus vertueux, d’après l’analyse préalable des sources thomasiennes. Une troisième partie examine enfin la miséricorde dans ses rapports avec la justice et la charité respectivement.
70Dans la Bible, la vertu de miséricorde est articulée comme à son exemplaire à la miséricorde divine, affective et effective tout ensemble. Celle-ci est rapportée à la justice divine, celle-ci se produisant en harmonie universelle, et en châtiment pour le pécheur endurci, qui refuse de pardonner à autrui. Dans la Vulgate, la Bible de saint Thomas, misericordia hérite et récapitule divers termes des Bibles hébraïque et grecque. Elle conjoint une pitié presque instinctive et maternelle à une fidélité indéfectible à l’Alliance, qui porte Dieu à pardonner par pure faveur.
71Suit un examen des philosophes païens. J.-B. C. étudie en particulier le rapport de la misericordia thomiste à l’ἔλεος aristotélicien, cette pitié qui est une passion pénible. Le trait par où Thomas se distingue nettement d’Aristote, est qu’à la différence de la pitié, la miséricorde s’étend même à l’homme coupable, qui souffre par sa propre faute. La pitié chez Aristote a quelque chose d’intéressé, puisqu’on l’éprouve pour le malheureux parce qu’on se sait soi-même exposé à son malheur. La miséricorde chez Thomas est tristesse du mal d’autrui, absolument. Ainsi est-elle susceptible de concerner les facultés supérieures de l’âme, au-delà de la seule sensibilité.
72La tradition stoïcienne est surtout considérée d’après la polémique que saint Augustin mène contre l’idée que le sage devrait être exempt de passion, mais aussi d’après les écrits de Cicéron. J.-B. C. estime qu’on ne peut pas opposer à la veine stoïcienne de cet auteur son éloge de la miséricorde, vu qu’il intervient dans un contexte oratoire.
73Le troisième chapitre de cette étude des sources concerne la liturgie et saint Augustin. Thomas a médité la collecte du XVIe dimanche per annum, tirée du gélasien ancien : la miséricorde de Dieu signale sa toute-puissance, seul le législateur souverain pouvant passer outre à la stricte application de la loi. La condition de la miséricorde selon saint Augustin, est qu’elle compose compassion intérieure pour la misère d’autrui, d’une part, et bienfaisance pour le miséreux, d’autre part : sans ce dernier trait, la miséricorde ne serait, en effet, qu’une passion vaine, comme celle que l’auteur des Confessions éprouve, au livre III, devant les représentations tragiques ; car alors, on aime à souffrir, plutôt qu’on n’aime l’homme qui souffre. Chez l’homme, la véritable miséricorde a pour exemplaire la miséricorde divine qui, elle, consiste dans le secours même qu’elle procure à celui qui souffre, et non pas dans la souffrance. Elle est principe d’actes bons plutôt qu’elle n’est peine. D’Augustin, Thomas emprunte ce rapport de la miséricorde à la justice, qui la désigne comme vertu naturelle, mais susceptible d’être orientée selon la Révélation, soin dont se chargera le Docteur angélique.
74Dans sa deuxième partie, « Analyse du mécanisme psychologique de la miséricorde », J.-B. C. montre que Thomas, dans son concept de miséricorde, accorde la vision chrétienne d’une miséricorde vertueuse à la tradition issue d’un paganisme qui n’y voit guère qu’une émotion. Misericordia désigne chez lui, tout ensemble, une passion de l’appétit sensible, mais aussi une vertu de l’appétit intellectuel. Elle présente une double condition : d’une part, la misère d’autrui ; d’autre part, la compassion, chez l’âme miséricordieuse.
75La miséricorde pour Thomas n’est pas une misère, comme elle l’était chez les stoïciens, dans la mesure où elle fait face au contraire à la misère. La misère étant ce qui s’oppose à la béatitude, qui est véritable comme union à Dieu, il s’ensuit que le péché, qui sépare de Dieu, est la plus lourde des misères. Ainsi la peine s’attache-t-elle à la coulpe, et c’est ainsi que pour Thomas, le pécheur se trouve éligible à devenir objet de la miséricorde, tandis que le coupable n’était pas digne de pitié selon les vues d’Aristote.
76Le deuxième chapitre de la deuxième partie considère la miséricorde dans les rapports entre passion et vertu, à travers l’étude des articles 2 et 3 de la question 30, de la IIa IIæ. Thomas y définit la miséricorde comme une tristesse à propos du mal d’autrui ; d’un mal que l’on regarde comme le sien propre, soit par amitié pour autrui, soit d’après la conformité des conditions, avisant qu’on pourrait souffrir la même chose qu’autrui : par là, comme on voit, la miséricorde selon Thomas confine à l’ἔλεος aristotélicien. Ces deux causes de miséricorde sont à rapporter aux deux ordres d’amour : l’amour d’amitié, d’une part, l’amour de concupiscence, d’autre part. Toutefois, l’union dite « réelle » dans le sentiment d’une vulnérabilité commune n’est pas fermée à une union d’affection. La passion se mue ainsi en vertu par le désir de faire du bien à autrui en soulageant sa misère.
77Thomas tient cependant qu’il existe une compassion toute spirituelle, sans passion, donc, analogique de la précédente, par quoi la misère d’autrui est sujet d’aversion (odium). Elle a son principe en Dieu, sur le fond d’une unio affectus. Il ne s’agit donc pas d’une aversion générale et abstraite contre le mal, mais elle est fondée sur l’amitié de Dieu. Les miséricordes sensible et spirituelle, pour être diverses quant aux puissances, sont cependant pour aller de pair. La miséricorde est rendue vertueuse, quand l’homme l’ordonne à la raison et à la volonté, de sorte qu’en retour, la passion en rend plus prompt l’exercice.
78La troisième partie examine les rapports entre miséricorde, charité et justice, dans le but de rendre compte de leur évolution, entre le Scriptum super Sententiis, où la miséricorde est rattachée à la justice (en vertu de ce qu’elle engage la relation à autrui), et la Somme, où elle l’est à la charité, en tant qu’elle a pour condition l’unio affectus.
79Un premier chapitre retrace l’élaboration de la pensée thomasienne sur la place de la vertu de miséricorde. La question 58 de la Summa theol., IIa IIæ, l’annonce comme partie potentielle de la justice, comme on vient de le dire – mais, on le sait, ce programme annoncé ne sera pas rempli finalement, lorsque la prépondérance de la notion de justice l’aura cédé, dans l’esprit de Thomas, à celles de gratuité et d’amitié.
80Or, pour Thomas, la notion de justice engage celle de dette. Il suit, en cela, Aristote, et veut articuler à la notion biblique de justice, qui comporte une perfection d’abord intérieure, celle d’un règlement des actes extérieurs selon la légalité et le droit. Où est cette dette, s’agissant de la miséricorde ? La miséricorde se rattache à l’affectus qui, à la différence de l’amitié, concerne le rapport à l’inférieur. Il se traduit par des actes extérieurs qu’inspire l’humanitas (voir q. 80, ad 2), qui se fonde sur une communauté de nature. Celle-ci comporte un debitum, certes non légal, mais moral. C’est là une miséricorde naturelle. La miséricorde surnaturelle s’en distingue par le motif, savoir, que l’autre est enfant de Dieu. C’est une manifestation du don de piété, qui porte en soi également un debitum moral, fondant le rapport à la vertu de justice, qui va cependant s’amenuisant à mesure que Thomas poursuit son œuvre.
81Un deuxième chapitre en cette troisième partie relève la place déterminante qu’a prise la notion de gratuité dans sa réflexion, commandant son évolution. Ce n’est pas que la miséricorde soit contraire à la justice, mais c’est qu’elle la dépasse dans la manifestation de la bonté du miséricordieux. La création ex nihilo est elle-même à regarder, à ce titre, comme une miséricorde (voir Summa theol., Ia Pars, q. 21, a. 4, ad 4) parce que fondée sur nul mérite antérieur, précédant donc toute notion de dette. C’est ainsi que la justice de Dieu à l’œuvre dans l’univers se trouve fondée sur un principe de miséricorde.
82Suivent des pages assez belles sur la gratuité que porte en creux la nature créée, d’une manière certes différente du Créateur. En elle, essence et acte d’être sont distincts, mais selon une distinction justement polarisée vers Dieu comme pur acte d’être et, partant, vers un dépassement des limites qu’impose l’essence. J.-B. C. fonde ici son propos sur une question touchant la volonté des anges, en Summa theol., Ia Pars, q. 59, a. 2. S’agissant, d’autre part, du gouvernement divin, il indique que la miséricorde divine passe les bornes marquées par la justice, en faveur de cette même gratuité se signalant dans l’œuvre de la création et du salut.
83J.-B. C. conclut son chapitre en faisant observer que la notion d’amitié, sur quoi Thomas finit par établir, de manière privilégiée, la miséricorde, n’est pas contraire à celle de justice, puisque l’égalité que l’on y observe comporte un devoir d’amitié. Mais il est certain que l’amour d’amitié est la clef principale de la miséricorde, selon le dernier chapitre. La miséricorde se partage d’après l’amour qui la fonde : amour de convoitise, où on se rapporte à l’aimé comme à quelque chose de soi-même ; amour d’amitié, où on s’y rapporte comme à soi-même, selon l’unio realis, ou l’unio affectus, respectivement.
84Les deux amours ne s’excluent pas, d’ailleurs. La miséricorde établie sur l’amour naturel ne peut être entièrement désintéressée et se passer de tout retour. En revanche, si la miséricorde n’était qu’intéressée, elle serait simple pitié, et n’inclinerait pas à secourir le malheureux : elle fuirait en lui l’image des périls à quoi on se perçoit être soi-même exposé. Quand la justice s’attache à restaurer l’ordre lésé par la faute, la miséricorde veut surtout rétablir la relation personnelle lésée par l’offense.
85J.-B. C. observe que saint Thomas, au final, n’a pas thématisé une vertu naturelle de miséricorde, que son propos, pourtant, n’excluait pas. C’est l’indice de ce que tout doit être ordonné dans son esprit à la charité. Ainsi, note J.-B. C. en conclusion, la miséricorde est plénitude de justice de par la gratuité qu’elle implique. Fondée sur l’amitié, elle corrige l’inégalité que porte avec soi la bienfaisance.
86L’étude nous semble inutilement alourdie par des considérations sur l’actuel train du monde qui, pour justes qu’elles soient, exigeaient des développements mieux fondés. Il y a des anachronismes, comme l’usage qui est fait, p. 75, de la notion, relativement récente, de magistère de l’Église, projetée sur la pensée médiévale. L’ouvrage vaut surtout, et c’est l’essentiel, par son analyse à nos yeux pertinente des lieux thomasiens.
87J.-C. N.
88Place de la volonté dans l’acte et la vertu de foi. — Dans son avant-propos, Nicolas Faucher [N. F.] justifie une approche philosophique de la croyance religieuse, fondée sur la volonté de croire [22].
89Dans le chapitre introductif, il indique avoir emprunté cette notion d’abord au courant pragmatiste contemporain, représenté principalement par William James et Charles S. Pierce, donnant lieu à une approche comparatiste propre à manifester l’originalité des problématiques médiévales. James s’accorde avec les médiévaux sur ce que croire relève d’un choix engageant profondément nos puissances affectives. Pour lui cependant, nous serions convoqués à croire par la vie même, tandis que les médiévaux insistent sur la liberté de l’acte de croire. Par ailleurs, selon ce philosophe, nos croyances sont révisables selon les progrès dans la découverte du vrai. Les médiévaux tiennent au contraire que les vérités acquises selon la foi doivent être invariablement tenues, le mérite de la foi dépendant de cette constance. Pierce distingue quant à lui deux causes à la croyance : la ténacité individuelle et l’autorité qui commande de croire. La première relève d’un volontarisme inconnu des médiévaux. La deuxième n’est guère relevée que par Duns Scot, pour ce qui est de la désignation des vérités à croire et non de l’acte de croire, qui est libre.
90Un deuxième chapitre présente les notions qui fondent la conduite de l’étude. N. F. définit l’acte de foi par rapport à l’habitus de foi, rapport qui distingue la foi des autres vertus acquises par actes répétés, et qui fait place à l’œuvre du surnaturel. Les médiévaux relèvent unanimement la nécessité de la volonté pour assentir à des propositions non évidentes et indémontrables. Est enfin considéré le couple foi implicite et foi explicite. N. F. avoue que les questions contemporaines sur la crédibilité respective de diverses doctrines étaient étrangères aux médiévaux. Il tient néanmoins qu’elles peuvent rejoindre leur souci de mesurer la proportionnalité de l’assentiment aux preuves.
91L’enquête se limite aux « scolastiques de l’âge d’or », chez qui N. F. distingue un double mouvement de naturalisation de la foi, d’une part, et d’insistance croissante sur l’élément volontaire. Le corpus est essentiellement constitué de commentaires des Sentences du Lombard. N. F. marque sa dette à l’égard des travaux de Roger Aubert sur le caractère raisonnable de l’acte de foi et le rôle qu’y joue la volonté, dont il annonce toutefois nuancer les conclusions.
92Suivent six monographies, distribuées en deux parties. La première réunit des maîtres chez qui N. F. distingue « l’émergence des fondements naturels de la croyance volontaire » (p. 47). Les maîtres étudiés dans la deuxième partie sont donnés comme procédant à une « réduction de la place du surnaturel comme fondement de la foi ».
93Un premier chapitre étudie successivement Alexandre de Halès et Bonaventure. On relève chez le premier la notion de foi religieuse naturelle et acquise, à l’égard de l’autorité ecclésiastique et des miracles, s’agissant de vérités à qui est ainsi procurée une lumière analogue à celle que les vérités évidentes par soi présentent à l’intellect. Lumière qui, toutefois, n’est pas directement salutaire, puisqu’elle accompagne, chez l’homme, une foi informe, et chez les démons, une foi ainsi nommée pour signaler en elle un degré de clarté inférieur à celle dont jouissent les anges bienheureux. La foi humaine informe est produite par l’assentiment de la volonté, entendu comme une inclination de cette puissance vers des objets qu’elle ne va pas jusqu’à aimer d’un consentement qui, lui, est propre à la foi formée. Tant la foi informe que la foi formée comportent donc un élément volontaire, l’intellect étant, chez Alexandre, sous la mouvance de la volonté, qui le fait s’attacher au vrai comme à son bien. N. F. relève ainsi le caractère décisif de l’œuvre surnaturelle dans un processus n’ôtant rien d’ailleurs à la liberté humaine qui rend la foi vertueuse et méritoire.
94Bonaventure quant à lui réduit à l’intellect et à la volonté les puissances engagées dans l’acte et la vertu de foi. Surtout, il disjoint l’élément formel, divin, de l’habitus de foi, conféré par le baptême, et l’élément matériel, l’assentiment effectif aux articles de foi, suspendu de la sorte à la volonté humaine. L’engagement des puissances cognitive et affective colore diversement la foi, rendue, par la première, plus claire et étendue et, par la deuxième, plus intense et plus ferme.
95Le chap. ii, dans la série des monographies, est pour Thomas d’Aquin. Ce docteur relève le rôle de la volonté dans la fermeté de l’assentiment de foi. N. F. se fonde ici sur un passage de Quodlibet VI, où Thomas, parlant de la ferme adhésion de l’hérétique à son erreur, emploie le vocable de « foi ». C’est par cet engagement de la volonté que la foi se distingue de l’opinion, révisable selon l’apport éventuel de nouvelles lumières. Ce n’est pas donc de l’habitus surnaturel de foi, qui a son siège dans l’intellect, que provient la certitude, mais de la volonté, qui pallie l’inévidence d’une proposition donnée à croire, et rend la foi méritoire, sous la mouvance d’une grâce coopérante plutôt qu’opérante et, par là, non coercitive à l’égard de la volonté. La volonté à l’origine de cette foi n’est pas d’ailleurs simple volonté de vérité, comme dans la foi des démons, car tout mérite serait alors ôté à la foi. Cette moralité se manifeste quand sont embrassées dans la foi les vérités préambules de la foi. N. F. cite un passage du De veritate, q. 14, a. 9, traitant du passage d’un jugement faible que Dieu existe, à une foi ferme à son existence, par une adhésion qui, désormais, plaît à Dieu, ainsi appréhendé comme aimable, motif pourquoi je donne volontairement foi à cette vérité, d’une volonté accordée à la Sienne.
96Chez Pierre de Jean Olivi (chap. iii), N. F. note un estompement de la frontière entre croire et connaître, la connaissance relevant d’un « croire » au sens large d’affirmer une vérité. La certitude d’une croyance, portant sur des espèces mémorielles, peut s’étendre à des objets à quoi rien ne correspond hors de l’esprit, puisqu’ils ne sauraient être appréhendés de manière évidente : c’est le cas des objets de foi, de sorte que la certitude à leur propos ne peut naître que de la volonté, appliquant l’intellect auxdits objets, non en raison de l’énoncé même, mais du caractère aimable du bien auquel il renvoie. Olivi tend d’ailleurs à exclure l’argument de raison comme soutien à une foi qui, de droit, se soutient soi-même. Il estime que la certitude qui se tire des démonstrations de l’existence de Dieu ne s’étend qu’à l’acte par quoi l’esprit s’y applique et n’engage aucune habitude ferme (on songe ici à ce que dira Pascal touchant les preuves métaphysiques de l’existence de Dieu, n. d. r.). Olivi exclut qu’on prenne argument en faveur de telle ou telle vérité du fait que la majorité des humains y adhèreraient. Le principe de la foi est en Dieu même, dans l’éclat dont sa bonté se pare immédiatement aux yeux de l’homme. Cette relucentia divine désigne la foi aux articles du credo comme un moyen convenable pour Le servir, requérant d’abord l’attachement volontaire au fait qu’Il existe. C’est ainsi que Dieu se manifeste d’abord comme aimable, avant que d’être appréhendé comme étant. D’autre part, la foi catholique et la croyance hérétique sont conformes quant au même instinct de la relucentia qui les signale respectivement au catholique et à l’hérétique. La croyance religieuse rejoint ici la croyance ordinaire, au mépris de la distinction ferme que posaient entre elles les auteurs précédemment cités. Olivi reconnaît certes un rôle important au surnaturel dans la relucentia, mais c’est un rôle que lui dispute un instinct guidant la volonté, instinct qui serait, quant à lui, tout naturel – nous avouons quelque difficulté à suivre ici l’auteur, et à voir dans le caractère naturel de cet instinct une condition d’un exercice vraiment libre de la volonté.
97Le chap. iv sur Henri de Gand inaugure la deuxième partie. L’originalité de ce maître est dans le lumen medium qu’il pose entre l’obscurité de la foi et la lumière de gloire, et dont les théologiens comme tels seraient bénéficiaires. Science théologique et foi sont d’ailleurs compatibles pour Henri de Gand, qui tient que la saisie de tout principe autre que ceux connus par soi nécessite une lumière divine. L’objet de foi consiste en une proposition dont l’intelligence entend le sens sans pouvoir en déterminer la vérité ou la fausseté, proposition qu’il saisit toutefois émaner d’une instance de vérité, Écriture ou Église, qu’il est nécessaire de croire pour jouir de la béatitude éternelle. La volonté intervient à cet endroit, commandant à l’intellect d’y adhérer comme à une vérité. C’est l’habitus surnaturel de foi qui revêt de certitude les vérités à croire. Connaissance de foi et connaissance théologique se distinguent dès lors pour Henri de Gand en ce que la première se manifeste comme hétéronome, comme soumission à l’autorité authentifiant les énoncés, tandis que la deuxième repose sur une intelligence personnelle et autonome des réalités mêmes que désignent les énoncés de foi. L’assentiment de foi qu’engage la volonté, d’une part, et le jugement théologique sur les objets mêmes de la foi, d’autre part, sont de deux ordres différents. Le deuxième est scientifique, mobilisant le seul intellect, divinement éclairé d’une lumière supérieure à celle de la foi. Ce rapport entre foi et théologie, signale N. F., est à l’origine d’un fort débat.
98Le chap. v est une étude sur Godefroid de Fontaines. La volonté chez ce maître est dans une étroite dépendance des jugements de l’intellect lui présentant tel objet comme désirable. Pour des objets de foi, de soi inévidents, l’intellect ne saurait se déterminer que par une disposition habituelle, soit infuse, soit acquise, à la faveur de choix où la volonté a sa part : disposition inclinant l’intellect au vrai, s’il s’agit de la foi catholique, mais, hors cette foi, au faux, par un jugement dont l’acte procède, chez le sujet, d’une seconde nature. La détermination de la volonté par l’intellect semblerait propre à ruiner le mérite de la foi : pour Godefroid, la moralité de l’acte de foi a son principe dans son objet même que l’intellect, divinement illuminé, juge devoir être élu, et que la volonté élit en effet. La foi étant l’œuvre d’un intellect divinement illuminé, le rôle de la volonté est tout indirect. Il est de se porter à des actes propres à favoriser chez l’intellect une connaturalité avec l’objet de foi propre à l’y faire assentir, ou bien à le détourner de ce qui s’oppose à la foi : « On mérite naturellement de mériter surnaturellement » (p. 268). L’imputabilité de l’acte de foi n’est donc, elle-même, qu’indirecte : elle est dans cette disposition à accueillir volontairement l’habitus de foi. Contre Thomas, Godefroid ne reconnaît pas la subalternation de la science des bienheureux comme principe propre à fonder la théologie comme science. Il critique, de même, le lumen medium dévolu, selon Henri de Gand, aux théologiens. Pour Godefroid, les principes de la théologie sont crus, et non pas sus. La foi infuse étant indistincte subjectivement de la croyance donnée à de fausses vérités, le théologien ne saurait prendre le pas sur le simple croyant.
99Jean Duns Scot, étudié au chap. vi, se distingue des autres maîtres par son refus de considérer la foi d’après son origine surnaturelle, et cela, au nom d’un principe d’économie. La foi acquise suffisant pour assentir à des objets non évidents par soi, il serait inutile que Dieu intervînt à cette fin. Cette thèse relève assurément la part faite à l’humain. Elle engage en outre une réflexion sur la crédibilité des témoignages. Scot met en évidence la réalité de la foi acquise d’après l’exemple du fidèle tombant dans l’hérésie et continuant cependant d’adhérer promptement aux articles de foi autres que ceux qu’il exclut désormais. Il voit un autre effet de la foi acquise, dans le pécheur adhérant, sans conversion salutaire, à une prédication que des miracles autorisent, alors que les autres théologiens auraient distingué là une foi surnaturelle informe, dont Scot rejette le principe ; enfin, un enfant non baptisé, mais nourri dans les vérités catholiques, croira aux articles de la foi catholique. La foi infuse a pour condition la foi acquise, qu’elle rend méritoire, mais non plus ferme quant à l’assentiment de l’intellect aux vérités, ni mieux attestée par une plus grande certitude intérieure.
100Quant à la théologie, elle n’est d’aucune manière un approfondissement de la foi dont elle éclairerait les propositions. Elle consiste dans une exégèse du texte de l’Écriture conduite selon les règles de la logique, exégèse que même un infidèle est propre à produire. Tout dépend donc de la confiance qu’on accorde à l’Église. N. F. analyse les arguments avancés par Scot en faveur de la véracité de l’Église et de l’Écriture comme étant simplement probables plutôt que démonstratifs ; insuffisants, partant, pour fonder fermement la foi, à quoi la volonté doit prêter dès lors son appui.
101C’est la volonté qui cause l’habitus de foi et, indirectement, par l’habitus de foi, les actes de foi. La volonté peut suspendre le cours de ces actes. L’habitus de foi se signale par la disponibilité à croire ce qu’enseigne l’Église, plutôt que par la croyance à tel ou tel objet. On voit que, puisqu’il en est ainsi, le fidèle ne dispose d’aucun moyen pour distinguer l’hérésie.
102Chez le simple fidèle, la foi est acte implicite relativement à tout objet de foi, et n’est explicite qu’à l’égard de certains, selon que les circonstances le requièrent. La prudence commande qu’il fuie les nouveautés, dans l’incertitude où il est si l’Église les autorise. Scot est donc faillibiliste en matière de foi, rien ne permettant au croyant de distinguer s’il croit de manière surnaturelle et, donc, salutaire, ni s’il ne se trompe pas. Le travail théologique lui-même ne suffit pas à fonder l’adhésion.
103Un chapitre conclusif de tout l’ouvrage examine les auteurs selon trois problématiques : celle des raisons objectives d’adhérer à une réalité ou à une proposition inévidentes par soi ; celle de la part revenant respectivement à l’intellect et à la volonté, selon que celle-ci élit directement ses objets ou ne fait que diriger vers eux l’attention de l’intellect ; celle, enfin, du rapport de la foi catholique avec les autres croyances, si les auteurs admettent que celles-ci se distinguent, par leur fermeté, de la simple opinion révisable et selon le rôle par ailleurs dévolu à l’intervention divine.
104N. F. reconsidère brièvement les deux courants de pensée distingués dans son ouvrage, pour relever, chez chacun d’eux, une naturalisation progressive de l’acte de foi, jointe à une accentuation du rôle de la volonté, concomitant à la réduction de la causalité propre à l’habitus de foi infuse. Il indique en sa conclusion que « L’histoire des doctrines de la foi au xiiie siècle pourrait donc se concevoir comme un processus au cours duquel la part de la liberté humaine et l’importance des processus naturels dont l’homme et ses institutions peuvent avoir le contrôle va sans cesse croissant dans l’évolution des doctrines de la foi » (p. 384). De telles vues semblent présupposer l’idée d’une liberté humaine dont le fondement divin serait trop lointain pour être mentionné. Elles paraissent camper la volonté humaine face à la volonté divine. Notre sentiment est que le départ entre l’œuvre de Dieu et celle de l’homme ne saurait s’opérer de la sorte, au moins chez Thomas d’Aquin, présenté par N. F. comme un jalon dans ce processus de naturalisation.
105J.-C. N.
106Les dix Commandements. — Le quatrième concile du Latran (1215) avec le précepte de la confession annuelle et de la communion pascale (Denz. Sch. § 812) a eu, entre autres conséquences, le renouvellement de l’examen de conscience avec le passage progressif de la grille des sept péchés capitaux à celle des dix commandements. Le volume édité par Youri Desplenter, Jürgen Pieters et Walter Melion met en lumière cette transformation et rassemble une partie des conférences tenues à Gand en 2014 lors du colloque de même intitulé, porté par le projet de recherche : « De Tien Geboden en het ideaal van instrospectie en individuatie in de Late Middeleeuwen (ca. 1300-ca. 1550) » (p. vii et 1-6) [23]. Le lecteur trouvera parmi les liminaires (p. 6-11), le résumé des différentes contributions. Une liste des illustrations précise l’origine des documents reproduits (p. xiii-xiv) et un index des noms cités clôt l’ouvrage (p. 239-241). Loin de se cantonner aux ouvrages de théologie morale, ce recueil démontre la diffraction multiforme des dix commandements dans des supports variés : il y est question à la fois de Dante et de Christine de Pisan, de poésie et de morale voire de mystique, de mémorisation, d’iconographie comme de catéchèse. Comme l’ouvrage ne comprend pas de bibliographie générale mais que chaque contribution comporte la sienne (ainsi que les manuscrits quand c’est le cas), chacune peut servir d’introduction à des recherches ultérieures.
107En ce qui concerne l’histoire des doctrines médiévales, retenons pour ce bulletin, sans préjuger de la qualité des autres, quatre contributions. Deux concernent directement le lien entre théologie et pastorale autour des commandements. De celle de L. Smith [24], retenons le caractère structurant du traitement des commandements par Pierre Lombard dans le Livre des Sentences et aussi combien les nouvelles pratiques (l’usure par exemple) obligent à une approche renouvelée des textes bibliques par les théologiens et prédicateurs.
108Cet impact des commandements dans la prédication et dans la pastorale est étudié par R. Bast dans le contexte de Strasbourg et de ses différents prédicateurs comme Marquard de Lindau, Geiler de Kaysersberg ou Martin Bucer : il n’en demeure pas moins délicat à partir de la documentation prédicatoire de mesurer son influence sur les comportements.
109L’étude de G. Dinkova-Bruun met en lumière l’ouvrage de Richard de Wetheringsett , Qui bene presunt, des années 1220 et ses sources, en particulier son maître Guillaume de Montibus à l’école cathédrale de Lincoln. Elle donne en appendice une édition de la partie qui concerne le quatrième commandement à partir principalement du manuscrit Cambridge, University Library MS. Add. 3471, f. 157v-158v.
110Un autre texte manuscrit est présenté par K. Bracha, un Sermo de preceptis (peut-être de Pierre de Miloslaw ) présent dans le manuscrit Warzawa Bibl. Narodowa 3022 , f. 91rb-95va, et au moins dans un autre témoin. Ce recueil de sermons de la deuxième moitié du xve siècle a connu un large succès. Ce sermon témoigne de la place des commandements dans la culture religieuse, en particulier avec une version rythmée des commandements et donc destinée à la mémorisation par les auditeurs, en vieux polonais.
111Ce volume bien conçu avec une belle sélection de points de vue, offre finalement un tour d’horizon varié de la réception et de l’usage des dix commandements : il peut être un guide précieux dans ce domaine de recherche qui se révèle riche et nuancé.
112M. M.
113Histoire des sciences naturelles. — Le recueil Summa doctrina et certa experientia offert à Chiara Crisciani par ses collègues et amis reflète très bien l’ample champ de recherche qu’elle a exploré et l’intersection des disciplines qu’elle a pratiquée dans ses nombreuses études novatrices, ses analyses poussées des textes et de leurs sources, comme le met bien en évidence Gabriella Zuccolin dans l’introduction, en soulignant l’engagement de C. Crisciani dans la promotion de projets de recherche menés en commun et en collaboration [25]. L’ouvrage se divise ainsi en quatre chapitres : « i. Medicina e filosofia nel medioevo » ; « ii. Auctores e trasmissione dei testi medievali » ; « iii. Intrecci disciplinari : Saperi biologici, filosofia pratica e teologia nel medioevo » ; « iv. Oltre il medioevo : medicina, alchimia e filosofia dal xvi al xix secolo ».
114Le recueil s’ouvre par une recherche sur les sources et l’origine d’une maxime, Ubi desinit physicus, ibi medicus incipit, qui exprime la réflexion sur les principes de la médecine en tant que science connexe et subalternée à la philosophie naturelle, à partir de laquelle elle est constituée en un savoir spécifique et autonome. Luca Bianchi, après avoir analysé la bibliographie sur cette affirmation, non seulement trace l’histoire de l’axiome à partir de l’époque moderne, mais montre les nuances selon lesquelles la notion de subalternation des sciences impliquée par le texte du De sensu (436a19-b1) est différemment interprétée par les auteurs les plus éminents, déjà à partir de l’époque médiévale. Les trois autres études qui composent, avec celle-ci, le premier chapitre, comportent chacune des éditions de textes : nous rendrons compte de cette section de l’ouvrage.
115Pietro B. Rossi, après une étude détaillée de l’auteur et de l’ouvrage, propose l’édition du De congelatis, première section de la Summa super 4 libro Meteororum ou Tractatus de meteoris, ouvrage attribué à « Willelmus Anglicus » et transmis par le manuscrit Paris, BnF lat. 6552. L’étude à propos de l’auteur et de sa manière de travailler par rapport à ses sources, en fait ressortir l’originalité, dont l’édition de la section I constitue un exemple.
116Barthélémy de Varignana fait l’objet des deux études suivantes. Andrea Tabarroni [A. T.] publie un Sermo in principio studii medicine qui commence : « Medicina est philosophia corporis », conservé dans le manuscrit Vat. lat. 4452. A. T. montre très clairement le genre littéraire de ce texte, organisé selon le style du sermo modernus, et il analyse certaines particularités du contenu ; il propose de le situer à l’ouverture de l’année académique (18 octobre) entre 1290-1310 environ, ce qui constituerait un des premiers témoignages de ce genre d’exercice pour la faculté de médecine et de philosophie, avec le Principium in logica de Gentile da Cingoli . De Barthélémy de Varignana, Roberto Lambertini publie une question sur l’usure, qui montre les intérêts philosophiques de ce médecin, question qui atteste la connaissance d’une ample variété de sources (philosophiques, juridiques, théologiques) et une prise de position originale par rapport à l’interprétation traditionnelle des sources mêmes. La question est conservée dans le manuscrit Venezia, Bibl. dei Redentoristi della Fava 3 (445), provenant de la bibliothèque dominicaine des Santi Giovanni e Paolo.
117Avec l’étude que Gianfranco Fioravanti [G. F.] consacre à deux principia de Maino de’ Maineri , nous retrouvons le contexte des sermones in principio studii rencontré avec Barthélémy de Varignana. Le premier texte, transmis par le manuscrit Vat. lat. 845, concerne un cours sur la logique, où cette discipline est exaltée au-dessus même de la métaphysique, ce qui semble bien relever d’un procédé rhétorique. Le second, transmis par ce même Vat. lat. 845 et par Bologna, Bibl. univ. 1625, concerne une Laus philosophie. Comme dans d’autres textes de ce genre, à la commendatio de la discipline succède la considération de ce qui en empêche l’étude, manière d’inciter les étudiants à s’y engager de manière sérieuse et, enfin, une division des sciences situe la discipline enseignée. La formation de Maino à Paris a certainement influencé sa conception de la philosophie dans une mouvance « averroïste », comme le montre G. F., avec tous les bémols qu’il faut mettre devant l’usage de cet adjectif (p. 100 et 105).
118Remarquons encore, dans ce recueil, trois textes inédits publiés par Franco Bacchelli. Une lettre de Paolo Giovio à Gian Matteo Giberti , écrite à cheval entre 1521 et 1522. Ce dernier, en tant que médecin du cardinal Giulio dei Medici , était enfermé dans le conclave qui élut Adrien VI. La lettre, qui en intègre aussi une de Richard Pace, concerne la politique des Vénitiens envers les Français qui cherchaient à reconquérir Milan. Le deuxième texte, encore de Giovio, est une farce qui témoigne de la vie littéraire de l’époque. Le troisième est une composition poétique de Jérôme Vida , adressé à Giberti, contre Luther et Hutten, qui témoigne des incompréhensions romaines face à la Réforme. Les trois textes sont transmis par le manuscrit Bologna, Bibl. univ. 400. Avec plusieurs autres articles de ce recueil, l’édition de ces textes est un bel exemple du croisement des disciplines qu’a honoré la recherche de Chiara Crisciani.
119J’attire l’attention sur l’étude que Luciano Cova consacre au rôle de la semence, masculine et féminine, dans l’embryologie d’Albert le Grand, principalement dans ses ouvrages théologiques, comparés cependant avec ses traités philosophiques. Une fine et précise analyse des sources, différemment employées par Albert, montre, chez lui, une réflexion toujours très active, avec des prises de position bien assurées et des hésitations importantes, par rapport à une tradition théologique partagée, en particulier par rapport à l’Incarnation du Christ et au rôle de Marie dans sa génération. La génération des fils d’Adam et la transmission du péché originel font également l’objet d’analyses soignées : cette étude, bien que concise, aborde de manière très précise une ample variété de sujets concernant la génération humaine, d’un point de vue biologique aussi bien que théologique.
120Théologie, ou plus précisément exégèse biblique, et philosophie naturelle se croisent aussi dans l’étude que Joseph Ziegler [J. Z.] consacre au traité d’ Engelbert d’Admont sur la longévité des hommes avant le déluge. Daté autour de 1300, ce Tractatus de causis longevitatis hominum ante diluvium (conservé intégralement dans un seul manuscrit de l’abbaye de Zwettel) a peu attiré l’attention des chercheurs, alors qu’il semble le premier ouvrage assez étendu (41 chapitres) consacré entièrement à cette question. Après avoir décrit la biographie et l’œuvre prolifique de l’abbé d’Admont, J. Z. analyse de manière précise et détaillée la structure du traité, ses sources et les développements originaux de l’auteur. Si le texte de base est celui de la Bible, l’abbé d’Admont pratique une exégèse qui tient compte des connaissances qu’il tire de différents traités de philosophie naturelle, d’Aristote et de ses commentateurs (moins de la médecine, qu’il ne semble pas avoir étudiée) ; il aborde de manière personnelle les questions de l’origine naturelle ou préternaturelle des prérogatives des personnages d’avant le déluge (causes de la longévité, des dimensions, etc.), en évitant d’opposer dispositions naturelles et volonté divine, nature et surnature.
121À la suite de cet important ouvrage qui fait ressortir de nombreux liens entre la médecine et d’autres disciplines ainsi que la variété de problèmes sous-jacents à ces liens, nous pouvons suivre un passionnant aperçu de la médecine à Bologne, principalement au xiiie siècle, avec le volume collectif (issu d’un colloque en 2018) consacré à Teodorico Borgognoni vescovo, chirurgo, ippiatra [26]. Après une introduction qui aiguise la curiosité du lecteur, l’ouvrage se compose de trois parties bien proportionnées.
122La première partie, « Bologna nel XIII secolo : Istituzioni politiche, religiose, culturali » (p. 3-61), qui comprend trois études, offre le cadre dans lequel s’intègre et opère la personnalité de Teodorico (1205-1298). La première étude offre le contexte politique général du Nord de l’Italie, les luttes entre l’empereur et le pape pour dominer la région autour de Bologne, qui conditionnent fortement la vie politique et sociale de la ville. L’essor du « Comune popolare » – représenté par les commerçants et les artisans, sous la conduite de notaires issus de milieux populaires qui arrivent à créer « una repubblica dei notai » – produit une importante croissance économique, au moins pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que la société se transforme et se divise. C’était déjà le sort de l’aristocratie, qui par des luttes intérieures et extérieures à la ville, contribue à l’appauvrissement des autres classes sociales et donc du « Comune ». L’Église aussi joue son rôle dans ces luttes et profite de membres des Ordres mendiants, élus ou nommés à la tête de plusieurs diocèses, pour affermir son pouvoir. Le Studium, naturellement, subit les conséquences de ces événements et se rattache de plus en plus au pape pour se garantir une certaine autonomie. C’est dans ce contexte que la médecine, d’une simple ars, pratiquée et enseignée en privé, peu à peu devient discipline enseignée dans le Studium. L’étude de Tommaso Duranti, en plus de montrer avec précision de détails ce processus, comporte aussi d’importantes observations sur l’histoire du Studium dans son ensemble. L’ordre dominicain à Bologne – auquel Teodorico appartenait – semble avoir contribué non seulement à sa formation, mais aussi à son insertion dans la vie du « Comune ».
123La deuxième partie, « Teoria e pratica medica medievale : Teodorico Borgognoni, chirurgo e ippiatra » (p. 63-129), comporte quatre études, deux consacrées à la Chirurgia et deux à la Mulomedicina de Teodorico. La première étude, par Michael McVaugh, montre la formation de Teodorico à l’école de son père médecin et surtout l’autorité qu’il acquiert peu à peu, par rapport aux médecins qui l’avaient précédé et qui faisaient école, cela grâce à son ouvrage Chirurgia qui connut trois rédactions, dont la première, inédite, est à la base de cette étude, l’auteur en préparant l’édition. De l’originalité de cet ouvrage – en particulier pour la dernière partie consacrée aux Vulnera – retenons l’usage des sources grecques et arabes, opposées à l’enseignement de ses prédécesseurs et contemporains pour en amender les conduites thérapeutiques, mais aussi la correction de ces sources, à partir de son expérience pratique ou de celle d’Hugues, son père. De cette partie de l’ouvrage, ressort clairement le lien de la médecine avec l’alchimie, thème développé dans l’étude suivante, par Chiara Chrisciani. Si les deux arts ont un rapport direct à la pratique, industria manuum, dans les deux cas, l’experientia doit s’accompagner de l’ingenium et de la meditatio, et vice-versa. L’étude lexicologique des notions impliquées par ces deux disciplines, ne se limite pas à l’œuvre de Teodorico ; en particulier, très féconde est la comparaison entre l’œuvre du médecin Guillaume de Saliceto et celle de l’alchimiste Bernard de Grava .
124La première étude consacrée à la Mulomedicina étudie d’abord l’ouvrage, ses sources (ce qui permet de fixer en 1277 son terminus post quem) et leur usage. Il apparaît que l’ouvrage est une compilation et Martina Schwarzenberger affirme que les rares passages écrits par Teodorico ne permettent pas de savoir s’il a vraiment exercé lui-même l’art vétérinaire. On peut remarquer, en cela, la grande différence avec sa Chirurgia, où, au fur et à mesure qu’il l’écrit, il devient de plus en plus original et même combattif par rapport à certains enseignements reçus ou contemporains. L’originalité de cet ouvrage est dans la manière de composer ensemble les sources de l’Antiquité et celles immédiatement antérieures à Teodorico et l’ouvrage a été ainsi un pont reliant les nombreux traités qui dépendent de celui-ci, avec les sources de l’Antiquité et du Moyen Âge. Une comparaison entre les soins décrits par Teodorico et certaines pratiques utilisées encore au début du xxe siècle montre la continuité historique de cet art. Lisa Sannicandro [L. S.] présente la Mulomedicina comme une somme du savoir vétérinaire de l’époque, que Teodorico, déjà évêque de Cervia, a probablement compilée en tant qu’amateur de chevaux, sa pratique de l’art vétérinaire étant plutôt épisodique. L’analyse d’une source, les Digesta artis mulomedicinalis de Vegetius, montre la manière appliquée de travailler de Teodorico, que L. S. met en relation avec l’enseignement reçu chez les dominicains. L. S. remarque que l’ouvrage de Vegetius a eu une diffusion manuscrite minime et qu’une seule copie du xiiie siècle nous est aujourd’hui connue, conservée à Venise. Les importants enseignements de Vegetius, inutilisés au Moyen Âge, ont été transmis grâce à la Mulomedicina.
125La troisième partie, « Il testamento e la tomba di Teodorico Borgognoni » (p. 131-205) comporte cinq études, plus une conclusion générale. La première étude, d’Agostino Paravicini Bagliani grand spécialiste des testaments des cardinaux médiévaux, compare le testament de Teodorico à ceux de cardinaux de l’époque et nous permet d’en saisir toute l’importance. Les deux études suivantes, portent sur le testament et sur le fameux rotulus qui l’accompagne. Annafelicia Zuffrano, d’abord, présente une biographie de Teodorico (que l’on aimerait avoir lue au début de l’ouvrage) et ensuite étudie avec précision le testament et d’autres documents y afférents, avec seulement les références nécessaires au rotulus, analysé par Lorenza Iannacci dans l’article suivant. En passant, on peut rappeler le haut prix des manuscrits à l’époque, ce qui pourrait expliquer certains legs de livres. Ces deux études complémentaires sont menées en collaboration et font partie d’un projet d’édition qui ne concerne pas seulement le testament et le rotulus, mais une multitude d’autres documents et témoignages retrouvés par ces deux chercheurs avec d’autres membres de l’équipe. Je me borne ici à dire que le rotulus est un procès que l’on peut situer entre le 1er et le 31 décembre 1298, antérieur à la mort de Théodorico (24 décembre 1298) et prévu par celui-ci, afin de documenter par des témoignages (dicta testium) ses droits de propriété sur les biens qu’il lègue dans le testament. Et non seulement les biens immeubles, mais l’argent accumulé et les rentes obtenues pendant sa vie. Du point du vue historique, ce rotulus permet de tracer non seulement la biographie de Teodorico, mais il contribue également à l’histoire ecclésiastique et sociale de l’époque. Aux qualités de pasteur, de chirurgien, d’hippiatre il faut ainsi ajouter celle d’entrepreneur : « [du rotulus] si delinea la sua spiccata vena imprenditoriale » (p. 176). Nous regrettons de devoir rendre compte si brièvement de ces deux enthousiasmantes études, que complète celle consacrée par Paolo Cova au tombeau que Teodorico s’était fait construire. Cette étude contribue à enrichir la connaissance de la figure de cet évêque et chirurgien, en soulignant l’intérêt de ce prélat pour les arts et en le situant dans l’histoire de la ville de Bologne. Il formule ainsi l’hypothèse que le tombeau de Teodorico ait servi de modèle pour l’époque (p. 189).
126Danielle Jacquart écrit des conclusions qui peuvent constituer un modèle du genre. À la fois, elle complète les études précédentes, en particulier à propos de la réception de la Chirurgia de Teodorico, et réfléchit sur les autres études en les présentant de manière originale et en y apportant certains compléments.
127A. O.
128Commission Léonine
43ter, rue de la Glacière
F-75013 Paris
Notes
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[*]
Le bulletin est rédigé par des membres de la Commission Léonine sous la coordination de Kristina Mitalaitė. Les auteurs signalés dans le texte par leurs initiales restent responsables de leurs notices. Cette livraison du bulletin accueille également des recensions de Kristina Mitalaitė.
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[1]
Iohannis Scotti Eriugenae Carmina, Michael W. Herren, Andrew Dunning (éd.) ; De imagine, Chiara O. Tommasi (intro.), Giovanni Mandolino (éd.), Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum Continuatio mediaevalis », 167), 2020 ; 15,5 × 24,5, clvii+201 p., 205 €. ISBN : 978-2-503-55174-6.
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[2]
Iohannis Scotti Eriugenae Carmina, Michael W. Herren (éd.), Dublin, Institute for advanced studies, School of Celtic studies (coll. « Scriptores Latini Hiberniae », 12), 1993.
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[3]
Il est peut-être regrettable que M. W. H. n’ait pas pris en considération les propositions d’amélioration du texte signalées par O. Szerwiniack dans sa recension de la première édition, parue dans Études celtiques 32 (1996), p. 285-288.
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[4]
Maïeul Cappuyns, « Le “De imagineˮ de Grégoire de Nysse traduit par Jean Scot Érigène », Recherches de théologie ancienne et médiévale 32 (1965), p. 205-262.
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[5]
Isaac Lampurlanés Farré, Excerptum de Talmud. Study and Edition of a Thirteenth-Century Latin Translation, Turnhout, Brepols (coll. « Contact and Transmission : Intercultural Encounters from Late Antiquity to the Early Modern Period », 1), 2020 ; 15,6 × 23,4, 302 p., 85 €. ISBN : 978-2-503-58690-8.
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[6]
Voir Gilbert Dahan, Élie Nicolas, René-Samuel Sirat (éd.), Le Brûlement du Talmud à Paris, 1242-1244, Paris, Éditions du Cerf, 1999.
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[7]
Voir André Tuillier, « La condamnation du Talmud par les maîtres universitaires parisiens, ses causes et ses conséquences politiques et idéologiques », ibid., p. 59-78.
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[8]
Extractiones de Talmud per ordinem sequentialem, Ulisse Cecini, Óscar de la Cruz Palma (éd.), Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum Continuatio mediaevalis », 291), 2019.
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[9]
G. Dahan, « Les traductions latines de Thibaud de Sézanne », dans Le Brûlement du Talmud à Paris, op. cit., p. 100.
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[10]
Julie Casteigt, Albertus Magnus, « Super Iohannem » (Ioh. 1, 1-18), Leuven-Paris-Bristol, Peeters (coll. « Eckhart : Texts and Studies », 10), 2019 ; 16, 2 × 24, 5, dlxxxvi [=244+342] + 320 p., 110 €. ISBN : 978-90-429-3609-6 ; Eadem., Métaphysique et connaissance testimoniale. Une lecture figurale du « Super Iohannem » (Jn 1, 7) d’Albert le Grand, Leuven-Paris-Bristol, Peeters (coll. « Eckhart : Texts and Studies », 11), 2019 ; 16, 2 × 24, 5, xviii + 665 p., 115 €. ISBN 978-90-429-3610-2.
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[11]
L’édition du texte comprend un index s’articulant en quatre parties, dont on signale surtout la dernière (« Index rerum et uerborum notabilium quae in Super Iohannem [Ioh. I, 1-18] continentur », p. 247-319), très utile pour une approche thématique au texte latin.
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[12]
Le manuscrit N (Nürnberg, Stadtbibliothek Cent. I.37), que J. C. exclut définitivement être un témoin direct de l’autographe (A, p. xxiii-xxiv, clxxii, lxxxiii-lxxxiv), présente une importante lacune à partir du commentaire à Jn 1, 3. Cela amène l’éditrice à trier et analyser ces données en distinguant une portion A, dans laquelle N est présent, d’une portion B, dans laquelle N est en revanche absent (A, p. civ ; cxxxiii-cxxxix).
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[13]
Voir Dominique Poirel, « Lachmann, Bédier, Froger : quelle méthode d’édition donne les meilleurs résultats ? », dans Cédric Giraud, D. Poirel (éd.), La Rigueur et la passion. Mélanges en l’honneur de Pascale Bourgain, Turnhout, Brepols (coll. « Instrumenta patristica et mediaevalia », 71), 2016, p. 939-968 : 939-950, 967-968.
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[14]
Pour des précisions sur cette notion, qui n’a pas une signification uniforme en philologie médiévale, voir D. Poirel, « Généalogie des témoins et reconstitution du texte. Méthode, conventions et abréviations », dans Hugo de S. Victore, De tribus diebus, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum Continuatio mediaevalis », 177), 2002, p. 67*-70* : 68*. C’est de cette introduction de D. Poirel que J. C. dit explicitement s’inspirer pour concevoir sa méthode d’enquête philologique (A, p. xcix).
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[15]
Jean Gerson, Josephina. L’épopée de saint Joseph, vol. 1 (distinctions I-V) & 2 (distinctions VI-XII), intro., notes et commentaire par Isabel Iribarren, texte latin établi par Giovanni Matteo Rocatti, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Bibliothèque scolastique », 15), 2019 ; 12,4 × 19,6, clxxv + 1274 p., 139 €. ISBN : 978-2-251-45031-5.
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[16]
Marie de l’Assomption O.P. (Émilie d’Arvieu), Nature et grâce chez Saint Thomas d’Aquin. L’homme capable de Dieu, Préf. du Cardinal Marc Ouellet, [s.l.], Parole et Silence (coll. « Bibliothèque de la Revue Thomiste »), 2020 ; 15,2 × 23,5, 858 p., 37 €. ISBN : 9782889592531.
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[17]
C’est, d’après Thomas, la position de Platon et des porretani, qu’il réfute : Qu. disp. de ver., 21, 4.
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[18]
Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia IIae, q. 2, a. 8, resp. : « […] nihil potest quietare voluntatem hominis, nisi bonum universale. Quod non invenitur in aliquo creato, sed solum in Deo […] » (éd. Léonine, t. 6, p. 24b).
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[19]
Ibid., p. 23-24.
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[20]
Id., Scriptum super libros Sententiarum, t. III, éd. M. F. Moos, Parisiis, Lethielleux, 1933, p. 192. L’édition Moos-Mandonnet du Scriptum super Sent., la plus récente, est celle qu’il faudrait citer ; É. d’A. ne mentionne aucune édition dans sa « Bibliographie » (p. 819-825), mais semble dépendre de l’édition publiée dans l’Index thomisticus, qui reproduit l’édition de Parme.
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[21]
Fr. Jean-Baptiste Cazelle, La Vertu de miséricorde selon saint Thomas d’Aquin, Paris-Perpignan, Artège-Lethielleux (coll. « Sed contra »), 2020 ; 13,5 × 21,5, 321 p., 22 €. ISBN : 978-2-503-58701-1.
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[22]
Nicolas Faucher, La Volonté de croire au Moyen Âge. Les théories de la foi dans la pensée scolastique du xiiie siècle, Turnhout, Brepols (coll. « Studia Sententiarum », 4), 2019 ; 15,6 × 23,4, xviii + 412 p., 85 €. ISBN : 978-2-503-58701-1.
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[23]
Youri Desplenter, Jürgen Pieters, Walter Melion (éd.), The Ten Commandments in Medieval and Early Modern Culture, Leiden-Boston, Brill (coll. « Intersections », 52), 2017, 25 × 16 cm, xii+241 p., 109 €. ISBN : 978-9004-30982-1. – Sommaire : « Acknowledgments », p. vii. – « Notes on the Editors », p. viii. – « Notes on the Contributors », p. x. – « List of Illustrations », p. xiii. – « Introduction : Exploring the Decalogue in Late Medieval and Early Modern Culture », p. 1-13. – 1. Lesley Smith, « The Ten Commandments in the Medieval Schools : Conformity or Diversity ? », p. 13-29. – 2. Luca Gili, « “Ché, se potuto aveste veder tutto / mestier non era parturir Maria” : Dante on the Decalogue as a Means to Salvation », p. 30-48. – 3. Charlotte E. Cooper, « Fit for a Prince : the Ten Alternative Commandments in Christine de Pizan’s Epistre Othea », p. 49-74. – 4. Gregory P. Haake, « Loving Neighbour Before God : The First Commandment in Early Modern Lyric Poetry », p. 75-89. – 5. Robert J. Bast, « The Ten Commandments and Pastoral Care in Late-Medieval and Early Modern Europe : An Inquiry into Expectations and Outcomes », p. 90-112. – 6. Greti Dinkova-Bruun, « The Ten Commandments in the Thirteenth-Century Pastoral Manual Qui bene presunt », p. 113-132. – 7. Youri Desplenter, « Morals From a Mystical Cook : Jan van Leeuwen and the Ten Commandments », p. 133-151. – 8. Lucie Doležalová, « Latin Mnemonic Verses Combining the Ten Commandments with the Ten Plagues of Egypt Transmitted in Late Medieval Bohemia », p. 152-172. – 9. Krzysztof Bracha, « The Ten Commandments in Preaching in Late Medieval Poland : “Sermo de preceptis” from Ms. 3022 at the National Library in Warsaw », p. 173-195. – 10. Henk van den Belt, « The Law Illuminated : Biblical Illustrations of the Commandments in Lutheran Catechisms », p. 196-218. – 11. Waldemar Kowalski, « Man and God : The First Three Commandments in the Polish Catholic Catechisms of the 1560s-1570s », p. 219-238. – « Index Nominum », p. 239-241.
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[24]
L. Smith, The Ten Commandments : Interpreting the Bible in the Medieval World, Leiden-Boston, Brill (coll. « Studies in the history of Christian traditions », 175), 2014.
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[25]
Gabriella Zuccolin (éd.), Summa doctrina et certa experientia. Studi su medicina e filosofia per Chiara Crisciani, Firenze, SISMEL–Edizioni del Galluzzo (coll. « Micrologus Library », 79), 2017 ; 21 × 14, 484 p., 68 €. ISBN : 978-88-8450-762-4. – Sommaire : G. Zuccolin, « Introduzione », p. vii-xv. – i. Medicina e filosofia nel medioevo : Luca Bianchi, « Ubi desinit physicus, ibi medicus incipit », p. 5-28. – Pietro B. Rossi, « La Summa super 4 libro Metheororum attribuita a Guglielmo Anglico », p. 29-48. – Andrea Tabarroni, « Medicina est philosophia corporis. Un sermo in principio studii di Bartolomeo da Varignana », p. 49-78. – Roberto Lambertini, « Un medico-filosofo di fronte all’usura : Bartolomeo da Varignana », p. 79-98. – Gianfranco Fioravanti, « Due Principia di Maino de’ Maineri », p. 99-135. – ii. Auctores e trasmissione dei testi medievali : Danielle Jacquart, « Hippocrate : le maître lointain et absolu des universitaires médiévaux », p. 139-160. – Iolanda Ventura, « Ps. Galenus, De medicinis expertis. Per un état des lieux », p. 161-193. – Marilyn Nicoud, « Alla ricerca degli autori cosiddetti “minori” : un percorso nella tradizione manoscritta del consilium », p. 195-220. – iii. Intrecci disciplinari : Saperi biologici, filosofia pratica e teologia nel medioevo : Massimo Parodi, « Un percorso tra esperienza e cultura in Giovanni di Salisbury », p. 223-236. – Luciano Cova, « Seme e generazione umana nelle opere teologiche di Alberto Magno », p. 237-256. – Silvana Vecchio, « Passioni umane e passioni animali nel pensiero medievale », p. 257-275. – Carla Casagrande, « Tommaso d’Aquino : onori e virtù », p. 277-292. – Alessandro Ghisalberti, « Il metodo dialogico nella Disputatio fidei et intellectus di Raimondo Lullo (1303) », p. 293-312. – Joseph Ziegler, « Engelbert of Admont and the Longevity of the Antediluvians C. 1300 », p. 313-336. – Stefano Simonetta, « Ex fructibus eorum cognoscetis eos. John Fortescue alle origini del comparativismo costituzionale e giuridico », p. 337-355. – iv. Oltre il medioevo : medicina, alchimia e filosofia dal xvi al xix secolo : Agostino Paravicini Bagliani, « Vives igitur, beatissime pater, ni fallor, diutissime. La prolongevità dei papi nel De vita hominis ultra CXX annos protrahenda di Tommaso Giannotti Rangoni (1493-1577) », p. 359-373. – Mariacarla Gadebusch Bondio, « Il genio si racconta : Il De vita propria di Cardano e alcuni suoi celebri interpreti », p. 375-395. – Franco Bacchelli, « Una lettera inedita di Paolo Giovio a Gian Matteo Giberti », p. 397-407. – Michael McVaugh, Nancy Siraisi, « From the Old World to the New : The Circulation of the Blood », p. 409-427. – Michela Pereira, « Vital Experiment. Alchimia, filosofia e medicina nel xix secolo. Una divagazione », p. 429-452. – G. Zuccolin, « Bibliografia di Chiara Crisciani », p. 453-464. – Indici : « Indice dei nomi di persona », p. 467-482. – « Indice dei manoscritti », p. 483-484.
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[26]
Francesca Roversi Monaco (éd.), Teoria e pratica medica nel basso Medioevo. Teodorico Borgognoni vescovo, chirurgo, ippiatra, Firenze, SISMEL–Edizioni del Galluzzo (coll. « Micrologus Library », 99), 2019 ; 21 × 14, 220 p., 40 €. ISBN : 978-88-8450-936-9. – Sommaire : Maddalena Modesti, « Teodorico Borgognoni : testi, contesti, pratiche e saperi di un chirurgo del Duecento », p. vii-xvii. – i. Bologna nel xiii secolo : istituzioni politiche, religiose, culturali : F. Roversi Monaco, « Bologna nel Duecento : istituzioni, politica, economia », p. 5-23. – Riccardo Parmeggiani, « Episcopato, società e ordini mendicanti in area emiliano-romagnola nel Duecento », p. 25-41. – Tommaso Duranti, « Un mondo in formazione : la medicina a Bologna nel xiii secolo », p. 43-61. – ii. Teoria e pratica medica medievale : Teodorico Borgognoni chirurgo e ippiatra : M. McVaugh, « Teodorico Borgognoni : From Surgeon’s Son to Surgical Author », p. 65-74. – C. Crisciani, « Sensi e Ingenium in alchimia e chirurgia », p. 75-94. – Martina Schwarzenberger, « The Mulomedicina of Teodorico dei Borgognoni : A Unique Bridge From the Late-Antique Hippiatry to the Middle Ages and Far Beyond », p. 95-117. – Lisa Sannicandro, « Sulle fonti della Mulomedicina di Teodorico Borgognoni : I Digesta artis mulomedicinalis di Vegezio », p. 119-129. – iii. Il testamento e la tomba di Teodorico Borgognoni : A. Paravicini Bagliani, « Il testamento di Teodorico Borgognoni e i testamenti curiali del Duecento », p. 133-146. – Annafelicia Zuffrano , « Teodorico Borgognoni : nuovi apporti documentari dall’Archivio di Stato di Bologna – 1 », p. 147-162. – Lorenza Iannacci, « Teodorico Borgognoni : nuovi apporti documentari dall’Archivio di Stato di Bologna – 2 », p. 163-177. – Paolo Cova, « Ipotesi sulla tomba di Teodorico Borgognoni e alcune riflessioni sulle sepolture a Bologna fra Due e Trecento », p. 179-190. – D. Jacquart, « Conclusions : Teodorico Borgognoni, chirurgien flamboyant du xiiie siècle », p. 191-205. – Roberta Napoletano, « Indice dei nomi, autori, studiosi e opere », p. 209-218. - Eadem, « Indice dei manoscritti », p. 219-220.