Couverture de RSG_281

Article de revue

Rupture et pérennité des business models de l’industrie des jeux vidéo

Pages 137 à 149

Notes

  • [1]
    [Notre traduction] Un jeu en ligne est défini comme tout jeu basé sur ordinateur joué sur Internet, y compris les jeux PC, console et sans fil. Cela inclut aussi bien des extensions de jeux autonomes pour que de petits groupes de joueurs puissent jouer ensemble que des jeux de rôle massivement multi-joueurs en ligne avec plus de 10 000 joueurs jouant en même temps et plus d’un million de joueurs inscris.
  • [2]
    « Au cours de la seule année 2012, la florissante industrie des jeux vidéo affiche 63 milliards de dollars de chiffre d’affaires (Reuters, 10 juin 2013). C’est plus que l’industrie du cinéma et plus du double des revenus liés au monde de la musique », Bergeron U. & Nadeau J-F, « Au Canada, une industrie comme chez elle », Le Monde Diplomatique, décembre 2013, p. 20.
  • [3]
    Fin 2011, N. Esposito pouvait ainsi écrire que : « Comme la musique et le cinéma, l’industrie des jeux vidéo est actuellement en cours de mutation. Il ne s’agit pas d’une évolution par cycle comme on la connaît depuis plusieurs décennies, mais bien d’une reconfiguration de grande ampleur », en s’appuyant sur les diverses « bascules » qu’il constatait dans la filière entre 2006 et 2009. Esposito N. (2012) « Caractérisation de la pluralité actuelles des jeux vidéo par un ensemble de bascules récentes », Actes de Game Studies ? à la française ! 2012, p. 5.
  • [4]
    Michaud L. (2012), « Le marché mondial des jeux vidéo : vers une nouvelle phase de croissance », Géo économie 2012/4, n° 63, p. 9.
  • [5]
    Michaud L. op. cit., p. 11. Cf. également Simon J.-P. (2012), « Un écosystème en évolution rapide. Analyse économique des jeux vidéo », Réseaux 2012/3, n° 173-174, pp. 25 et 29. Cet auteur évoque une étude produite par le cabinet de conseil PwC constatant qu’après avoir atteint plus de 52 milliards de dollars US de chiffre d’affaires mondial en 2009, le secteur des jeux vidéo allait atteindre 55 milliards en 2010 et qu’en suivant une prévision raisonnable de croissance cumulée de 8,2 % sur la période 2011-2015, ce chiffre pourrait s’élever à 82 milliards de dollars à l’horizon 2015.
  • [6]
    On parle de portage pour le passage d’une plateforme à une autre par exemple PC vers une console en particulier ou d’une console vers les jeux en ligne ou les applis.
  • [7]
    Cf. la récente histoire de l’application Flappy Bird que son concepteur vietnamien a retirée à cause de sa célébrité naissante qui a tourné court et donné lieu à des insultes et menaces.
  • [8]
    Lee, R., (2013), Business Models and Strategies in the Video Game Industry An Analysis of Activision Blizzard and Electronic Arts, Master Thesis, MIT Sloan School of Management, May 2013, 71 p. ; p. 19
  • [9]
    Parfois même moins, J. Soh et H. Tan, 2008 (référence citée par Feijóo C. et Gomez-Barroso J.-L (2012) « Jeux sur mobiles : les développements et le rôle des plateformes de logiciels », Réseaux 2012/3, n° 173/174, p. 91).
  • [10]
    Simon J.-P (2012), « Un écosystème en évolution rapide. Analyse économique des jeux vidéo », Réseaux 2012/3, n° 173/174, pp. 39-40. Selon le rapport d’information fait au Sénat au nom de la commission des affaires économiques et de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par le groupe de travail sur les jeux vidéo par MM. A. Gattolin et B. Retailleau (2013), « la fabrication d’un jeu pour Facebook, pour le Web ou les smartphones coûte entre 50000 et 300000 euros et celle d’un jeu pour console de 5 à 20 millions d’euros », p. 60. Ce même rapport précise que des budgets encore plus élevés ont été nécessaires pour financer des jeux comme GTA IV, le coût global de ce jeu y compris les dépenses de marketing ont été de 134,5 millions d’euros, p. 48.
  • [11]
    Qui peuvent travailler plusieurs mois, voire des années sur le projet avant sa commercialisation, De Prato G. (2012), « Les jeux en ligne : un laboratoire de modèles d’affaires », Réseaux 2012/3, n° 173/174, p. 61.
  • [12]
    Simon J.-P. (2012) op. cit., p. 40.
  • [13]
    Selon le rapport précité présenté au Sénat par MM. A. Gattolin et B. Retailleau (2013), la gestation de tels jeux peut prendre de un à sept ans, p. 47.
  • [14]
    Parmentier G.et Mangematin V. (2009). « Innovation et création dans le jeu vidéo : comment concilier exploration et exploitation », Revue Française de Gestion, n° 35 (191), pp. 71-87 ; p. 3.
  • [15]
    Lee R. (2013), op cit. p. 16
  • [16]
    Jeux à fort succès, rapportant des bénéfices conséquents permettant de financer plusieurs échecs passés ou futurs, cf. Gattolin A. et Retailleau B., (2013) op.cit., p. 30.
  • [17]
    Oscar L., (2013) « Ventes françaises l’effondrement des suites » GameKult, nov 2013.
  • [18]
    L’essoufflement de ce type de jeux doit toutefois être relativisé si l’on considère le succès de GTA, cf. « GTA tout en dérapage contrôlé », LSA, nov. 2013.
  • [19]
    Notamment la « Ouya » fonctionnant sous Android, la « Shield » fabriquée par NVidia, la « Steam Box » de Valve, la « Gamestick » de Playjam. À noter que ces lancements ont eu lieu dans un court laps de temps, et sont intervenus au moment du changement de génération des consoles historiques. Deux d’entre elles ont fait l’objet d’un financement participatif. http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/11/18/consoles-de-jeux-de-nouveaux-acteurs-tentent-une-percee_3515487_651865.html
  • [20]
    SNJV (2012) « Le jeu vidéo en France, éléments clés. » http://www.iim.fr/pdf/elements-cles-2012.pdf
  • [21]
    SNJV (2013) « Le jeu vidéo en France, éléments clés. » http://www.snjv.org/data/document/livre-blanc2.pdf
  • [22]
    SNJV (2013) op.cit.
  • [23]
    Simon J.-P. (2012) op cit., p. 47.
  • [24]
    Selon une étude GfK mentionnée par l’Expansion, les joueurs de plus de 50 ans représenteraient aujourd’hui près de 12 % de la population des joueurs sur console, et atteindrait 20 % si l’on inclut les joueurs sur PC. http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/comment-le-jeu-video-veut-conquerir-les-plus-de-50-ans_132624.html, consulté en sept. 2012.
  • [25]
    Crimson Consulting Group, (2009), “Gamer 2.0 : exploring the use of Gaming Community and Social Media”, 57 p, disponible sur http://www.crimson-consulting.com/insight.html, consulté en octobre 2012, p. 8
  • [26]
    Certains de ces jeux plus accessibles peuvent néanmoins donner lieu à des sessions assez longues.
  • [27]
    Michaud L. (2009), “Casual Gaming : Games for Everyone” ; Communications & Strategies n° 73, IDATE Ed. January 1, 2009, pp. 153-158 ; p. 154
  • [28]
    L’expression « casual gaming » est souvent traduite par « jeu occasionnel » et s’opposerait au « core gaming » ou « hardcore gaming »- jeu passionné. Cependant, dans la mesure où la majorité des casual gamers se connectent chaque jour, parfois pour des sessions de jeu de plusieurs heures, il nous semble plus approprié de traduire casual gaming par « jeu relaxant ».
  • [29]
    Op. cit., p. 154.
  • [30]
    « Les Chiffres des jeux sociaux en 2012 », Nuwave Marketing, http://www.nuwave.marketing/infographies/chiffres-jeux-sociaux-social-games-2012/
  • [31]
    « Pong » est un des premiers jeux vidéo d’arcade et le premier jeu vidéo d’arcade de sport. La société Atari le commercialise à partir de novembre 1972.
  • [32]
    Ainsi qu’un distributeur à qui se plaindre en cas de problème de fonctionnement, cf. Olsson B. & Sidenblom L. (2010), “Business Models for Video Games”, Master thesis in Informatics ; Lund University, 94 p. , p 15 et s.
  • [33]
    Selon une étude réalisée par Zalis, des budgets de l’ordre de 20 millions sont aujourd’hui à prévoir pour le développement d’un jeu, somme également répartie entre les coûts de développement et les efforts marketing. « La sinistralité du jeu vidéo » http://www.zalis.fr/la-sinistralite-du-jeu-video/, consulté en janvier 2014.
  • [34]
    Aoyama Y. et Izushi H. (2003) in Cox J. (2013), “What Makes a Blockbuster Video Game. An Empirical Analysis of US Sales Data”, Managerial and Decision Economics ; 10 p. ; p. 2.
  • [35]
    Davidovici-Nora M. et Auray N. (2012), « L’industrie des jeux vidéo sur PC à l’ère d’Internet – Analyse des stratégies d’innovation ouverte avec les communautés de joueurs », Synthèse étude PANIC – ANR/Telecom-ParisTech ; mars 2012 ; 102 p. ; p. 24 et 27. Certains cabinets de consulting n’hésitent pas à qualifier le jeu vidéo de « produit frais » tant est courte sa date de « péremption » dans l’esprit des gamers.
  • [36]
    Nintendo, Sony et Microsoft dominent désormais le marché des jeux sur console.
  • [37]
    M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op.cit. p. 13
  • [38]
    M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op. cit. p. 14
  • [39]
    R. Lee (2013) op. cit. p. 16
  • [40]
    Selon l’AFJV, janvier 2009, in M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op. cit. p. 24
  • [41]
    Le terme sequel indique la suite d’une œuvre, et dans le cas du jeu vidéo, la suite d’un opus.
  • [42]
    Cette sécurisation est d’autant plus claire que les études mettent en évidence la prééminence du cinéma dans les autres loisirs culturels des joueurs. Voir à ce propos l’étude du CNC (2012) p. 11 et suiv.
  • [43]
    In Stratégies n° 1744, 14/11/2013, « GTA V, ou la stratégie des dérapages contrôlés »
  • [44]
    Chez Atari par exemple, 20 % des jeux générant 60 % du chiffre d’affaires sont dérivés du cinéma. In M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op. cit. p. 56
  • [45]
    Le jeu « Modern Warfare 2 » aurait coûté plus de 50 millions de dollars, le jeu « Gran Turismo 5 » environ 60 millions. http://www.gameblog.fr/news/13199-combien-ca-coute-un-jeu-video (dernier accès sept. 2012), on avance pour le jeu « Diablo 3 » le chiffre de 200 millions de dollars.
  • [46]
    Depuis 2005, la plupart des éditeurs vendent une grande partie de leurs jeux sur cette plateforme qui a été créée en 2003 par la société Valve. Elle attire également les éditeurs de jeux indépendants qui y trouvent le moyen de réduire les coûts de fabrication et de distribution tout en se faisant mieux connaître.
  • [47]
    Selon le site spécialisé MMOData.net, le nombre d’abonnements actifs actuels s’établirait à plus de 18 millions au second semestre 2013. http://mmodata.blogspot.fr/Accédé janvier 2014.
  • [48]
    Lemoine L-E. et Dumazert J.-P. (2007), « Les jeux vidéo sur Internet, marketing adapté ou persistant » Marketing et Communication, n° spécial « Applications sectorielles du marketing. », n° 02/2007 ; 18 pp. ; p. 175-176
  • [49]
    Cf. Cousins B., F2P Summit : « Des risques et des gros budgets, même en Free-to-Play », http://www.jeuxonline.info/actualite/34966/f2p-summit-risques-gros-budgets-meme-free-to-play
  • [50]
    La vente de biens virtuels a débuté en Corée du Sud, notamment comme remède au problème de piraterie chronique qui sévit en Asie ; ces nouvelles formes de recettes sont en effet à l’abri de ces détournements. Bien qu’acceptés par une partie assez faible des joueurs, ces achats représentent pourtant un montant de recettes tout à fait conséquent : Zynga aurait ainsi encaissé 364 millions de dollars US en 2010 et la part de ces ventes d’actifs numériques aurait produit en 2012, un revenu mondial de15 milliards de dollars cf. Marchand A. et Hennig-Thurau Th., (2013), op. cit. p. 10.
  • [51]
    « Zynga fait ses comptes : le jeu social en berne. », 25/10/2013,http://www.jeuxonline.info/actualite/42087/zynga-fait-comptes-jeu-social-berne
  • [52]
    Ces offres peuvent cependant être maintenues pendant plusieurs années.
  • [53]
    Cf. les prévisions de l’agence de publicité Massive Incorporated, http://www.gamasutra.com/view/news/25547/Massive_InGame_Ads_Thriving.php
  • [54]
    Bien qu’il existe sur Cydia des applications permettant d’outrepasser les achats réalisés sur l’AppStore et donc de bénéficier d’items sans les payer

1 Seule au sein des industries numériques à être considérée comme digital native, l’industrie des jeux vidéo se différencie des autres industries culturelles et les domine désormais. Cette domination s’explique essentiellement par le fait que ces dernières n’ont pas réagi de manière efficace à la numérisation des contenus et à la dématérialisation qui ont pourtant induit une véritable révolution.

2 Bien que récente comparativement aux autres industries culturelles, elle a déjà connu diverses crises de nature schumpétérienne. Se succédant à un rythme soutenu, les innovations techniques et technologiques ont en effet, longtemps soumis ce secteur à une constante reconfiguration et contribué à une « destruction créatrice » qui a affecté notamment ses acteurs. Toutefois, il s’agissait, jusqu’à une époque récente, de changements qui survenaient par vagues successives (nouvelles consoles, nouveaux processeurs) et qui ménageaient des temps d’adaptation entre les sorties des différentes « nouveautés ».

3 En revanche, les transformations observées depuis le milieu des années 2000 impactent plusieurs acteurs et segments du marché en même temps et constituent des mutations plus profondes que celles engendrées par les crises passées. Ces changements se situent notamment au niveau de l’offre, avec l’apparition de nouveaux intervenants et la modification des rôles des acteurs installés. Les nouveaux entrants se manifestent tant du côté du développement et du financement que de celui de la distribution, et leur arrivée implique une réorganisation des chaînes de valeur. Les changements se constatent également au niveau de la demande, avec l’accroissement du nombre et la diversification des profils des joueurs (moins d’experts, plus de femmes, plus de seniors) ainsi que des façons de jouer (notamment en famille, en communauté). La structure du marché se trouve elle-même impactée par des innovations technologiques récentes qui ont permis, entre autre, de faciliter l’accès aux outils de développement et donné aux développeurs les moyens de s’affranchir du pouvoir traditionnel des consoliers. De nouveaux écosystèmes d’affaires se mettent en place, fondés sur la gratuité et ses corollaires, la fourniture de biens virtuels et de services (freemium). La nouvelle organisation globale du marché qui se met en place articule des logiques concurrentes de marchés bi-faces et multi-faces, qui viennent transformer les réseaux de valeur existants (Simon J.P., 2012 ; De Prato G. et al, 2010) en modifiant à la fois les rôles, les acteurs et leurs interactions. On voit se dessiner un réseau de valeur plus complexe qui intègre, non seulement de nouveaux acteurs de l’industrie vidéoludique, mais aussi des acteurs issus d’industries voisines (télécommunications, moteurs de recherche, réseaux sociaux).

4 Ces transformations majeures font qu’une partie de l’industrie vidéoludique est en crise et connaît de nombreuses faillites avec, d’un côté, la disparition d’acteurs historiques et, de l’autre, la croissance insolente de nouveaux acteurs.

5 Nous rappellerons dans ce papier les principales caractéristiques du développement de l’industrie des jeux vidéo, spécialement celles induites ou favorisées par l’arrivée des jeux en ligne, puis présenterons le résultat de ces changements en termes de modèles d’affaires pour comprendre l’apparent paradoxe d’une industrie florissante continûment traversée de crises.

1. Le marché évolutif des jeux en ligne

6 S’il paraît simple, le concept de « jeu en ligne » connaît néanmoins de multiples définitions. Dans les développements qui suivent, nous adopterons la définition de l’OECD : “An online game is defined as any computer based game played over the Internet including PC, console and wireless games. This includes extensions of stand-alone games so that small groups of players can play together, to Massively Multiplayer Online Role Playing Games with more than 10000 players playing at the same time and more than 1 million players registered.”[1] (OECD, 2005, p. 9) Compte tenu de l’époque où elle a été formulée, cette définition est toutefois incomplète. Il nous faut aujourd’hui ajouter à la liste des plateformes d’accès aux jeux en ligne qu’elle fournit, toutes celles qui sont apparues depuis lors : smartphones, tablettes, TV connectées et plus généralement, tout dispositif permettant de jouer en ligne. Nous envisagerons donc l’ensemble des jeux qui se jouent en ligne, quel que soit le matériel informatique nécessaire, et que ces jeux se jouent seul ou en groupe.

7 Nous souhaitons ici mettre en évidence certaines des particularités sur lesquelles se fonde la filière des jeux vidéo, dans la mesure où elles expliquent en partie sa dynamique propre : ces particularités se situent à la fois au niveau de l’offre et du côté de la demande.

Figure 1

Chronologie des innovations récentes qui ont contribué à transformer le secteur et les modèles

figure im1

Chronologie des innovations récentes qui ont contribué à transformer le secteur et les modèles

8 Le schéma ci-dessus présente quelques évolutions récentes qui ont largement contribué à la mutation de l’industrie vidéoludique. Ces innovations technologiques et les services associés qu’elles ont rendus possibles ont contribué aux changements aussi bien du côté de l’offre que de la demande. La dématérialisation de la distribution, les nouveaux écosystèmes web et mobile dans des marchés multi-faces, le financement collaboratif sont autant d’innovations qui ont eu des impacts forts sur la restructuration de la chaîne de valeur, l’élargissement du profil des joueurs et l’émancipation des acteurs du développement.

1.1. L’offre vidéo ludique : entre permanence et innovation

9 Le secteur du jeu vidéo est actuellement l’un des plus dynamiques au sein des industries des médias et des loisirs [2]. Depuis son émergence, à l’orée des années 1960-1970, il a su intégrer, voire susciter, de multiples innovations techniques qui au fil du temps, ont conduit à sa profonde transformation [3].

10 Grâce à la commercialisation des consoles de salon de nouvelle génération (Wii U, PS4, Xbox One), son chiffre d’affaires global devrait accuser une croissance à deux chiffres en 2013 et 2014 [4]. Néanmoins, la période 2012-2015 semble se présenter comme une phase de transition pour le segment traditionnel de l’industrie vidéoludique, alors qu’il va constituer une période de test pour les segments portés par le numérique. Dans son ensemble, le marché du logiciel de jeu vidéo devrait passer, en cinq ans, de 53,2 milliards d’euros en 2012 à 79,3 milliards fin 2016 [5].

11 Aujourd’hui, ce marché présente une configuration complexe comme en attestent les nombreuses typologies dressées par les chercheurs qui s’y sont intéressés. Son extrême diversité se constate notamment au niveau des techniques, de la créativité ainsi que des acteurs et de leurs fonctions.

1.1.1. Les techniques du jeu vidéo : entre banalisation et high tech

12 Le jeu vidéo est un monde à forte composante technique. Toutefois, si certains jeux bénéficient des techniques les plus avancées, d’autres fonctionnent sur des procédés informatiques éprouvés de longue date. Il est ainsi possible de repérer une première dualité entre les produits qui ont été développés à partir de langages depuis longtemps « banalisés », que l’on pourrait qualifier de « génériques » et ceux qui intègrent des technologies informatiques totalement innovantes, qui apparaissent comme « haut de gamme ».

13 L’innovation logicielle est d’ailleurs très liée à l’évolution des appareils et autres plateformes conçues pour jouer. L’augmentation de la puissance des consoles et des PC avait, déjà avant l’arrivée des jeux en ligne, permis des améliorations considérables de la qualité des jeux : réalisme, graphisme, bande-son, complexité… L’accès aux jeux en ligne a suscité de plus profonds changements encore en abaissant les barrières à l’entrée du marché au profit de nouveaux acteurs, capables d’adapter des jeux préexistants [6] (créés pour les plateformes traditionnelles) donc de diminuer les coûts de fabrication. L’abaissement de ces barrières a permis à des développeurs indépendants de se faire connaître en proposant des jeux utilisables dans un navigateur (web-based), sur les applications mobiles et les tablettes ou des jeux sur Facebook [7]. Plus que jamais, un véritable choix technique peut être fait par les concepteurs-éditeurs de jeux vidéo et de ce choix, découlent plusieurs conséquences.

14 La première a bien entendu un rapport étroit avec le montant des investissements consentis. Les auteurs s’accordent à reconnaître que les principaux éléments de coût dans un jeu sont la mécanique de jeu et le graphisme [8]. Il existe aujourd’hui des jeux qui fonctionnent en 3D et en temps réel avec des rendus graphiques proches de la réalité mais aussi des jeux qui se contentent d’un bien moindre réalisme. L’élaboration de ces différents jeux n’exige évidemment pas les mêmes investissements initiaux. Les budgets nécessaires vont de quelques dizaines de milliers d’euros pour les projets de jeux simples aux graphismes peu développés [9] (notamment les jeux de navigateur), à des dizaines de millions [10] pour les jeux client-serveur, tels que les jeux en ligne massivement multi-joueurs (MMOGs) et les jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs (MMORPGs), qui font appel à un grand nombre d’acteurs hautement spécialisés (designers, compositeurs, ingénieurs du son, acteurs, testeurs) [11]. Les jeux les plus lourds à financer sont les jeux conçus pour les consoles de dernière génération [12].

15 Une autre conséquence du choix opéré par les concepteurs de jeux vidéo entre technique générique et technique plus sophistiquée est la durée de fabrication du jeu. L’élaboration d’un moteur de jeu original demande en effet, de nombreux mois de travail [13] à une équipe importante de codeurs confirmés alors que la simple intégration d’un ensemble logiciel ancien et maîtrisé nécessite un temps de travail bien moindre.

16 Ainsi, deux « mondes » techniques se côtoient dans le secteur du jeu vidéo : l’un privilégie un fort taux d’innovation et l’autre se concentre sur l’exploitation de technologies informatiques éprouvées.

1.1.2. La créativité ludique : reproduire ou inventer

17 Si la technique est certainement l’un des points clés dans le secteur du jeu vidéo, la créativité ludique est, elle aussi, fondamentale.

18 La création d’un jeu suppose la définition de règles et d’un cheminement de progression : le game et le level design. Les concepteurs peuvent, là encore, choisir deux voies. La première consiste en une innovation radicale. Dans ce cas, le jeu dispose de ses propres règles mises au point par les développeurs, mais cette forme de création est lourde et onéreuse et reste donc assez rare. La seconde voie se fonde sur une stratégie de sécurité et consiste en une reprise ou refonte de jeux existants. Les éditeurs se bornent à créer des clones de jeux à grand succès ou à coder des jeux anciens pour les reproduire ou en proposer des versions nouvelles.

19 Les catégories initialement mises en évidence par R. Caillois (1967) restent encore pleinement valables et identifiables dans les jeux vidéo, mais il existe une dichotomie entre les produits qui fonctionnent sur des mécaniques très similaires à celles des anciens jeux, et les produits qui sont le fruit d’une véritable créativité ludique.

20 Si les jeux de la première catégorie trouvent aujourd’hui un public, c’est incontestablement parce que ce dernier se diversifie, mais également parce que la familiarité avec certains mécanismes est séduisante pour une partie des anciens joueurs. C’est ainsi que le fameux « Tetris » trouve dans chacune de ses variantes de nouveaux et d’anciens adeptes de la version originale ou de l’une des multiples versions en vigueur. Dans le même ordre d’idée, le « hit » Angry Birds est souvent vu comme une réédition des jeux de « casse-briques » bien plus anciens.

21 Les développeurs de la deuxième catégorie de jeux prennent au contraire le risque de créer de nouvelles mécaniques de jeu et font le pari de séduire un vaste public de joueurs, alors même que « sortir un jeu révolutionnaire qui se diffuse très largement tel qu’Age of Empires […] s’apparente à la quête du Graal, avec beaucoup de concurrents et peu d’élus [14] ». Innover de la sorte suppose d’avoir recours à des scénaristes et des graphistes talentueux et beaucoup d’autres intervenants spécialisés, sans garantie de succès puisqu’un jeu innovant exige un effort de la part des joueurs confrontés à de nouvelles mécaniques de jeu souvent complexes.

22 Le dilemme entre ces deux choix stratégiques est parfois partiellement résolu par la création de « suites », qui concernent les jeux les plus onéreux. Un titre innovant, de type AAA, peut être lancé dans plusieurs versions successives, ce qui procure une certaine sécurité à l’éditeur. En 2008, pour la première fois, les dix premières places au classement des ventes de jeux vidéo ont été occupées par des « sequels » [15], ces nouvelles versions d’anciens blockbusters [16]. Ces derniers enregistrent d’ailleurs, au moins en France, une baisse sensible [17], ce qui peut traduire un certain tarissement de la créativité. [18]

1.1.3. De nouveaux acteurs, de nouvelles fonctions

23 Notre analyse de la diversité de l’offre ne serait pas complète si nous ne mentionnions pas ses plus récentes transformations. Cette offre inclut désormais de nouveaux acteurs.

24 Pendant longtemps, les concepteurs-éditeurs ont occupé la place centrale en conduisant avec succès une politique de concentration verticale, intégrant la recherche et développement, les studios de développement avec qui ils travaillaient, et en se positionnant même parfois en vendeur final.

25 La dématérialisation a considérablement modifié ce schéma. La croissance des réseaux à haut débit a minimisé l’importance des aspects logistiques et conduit à une convergence progressive entre les rôles de producteurs et de distributeurs. C’est ce que l’on appelle la désintermédiation, phénomène bien connu de l’économie numérique. En proposant directement les jeux en téléchargement, de nombreux éditeurs minimisent les coûts physiques de fabrication et de distribution et augmentent la part de revenus acquise aux premiers maillons de la filière (IDATE, 2011). D’un autre côté, on a assisté à une forme de ré-intermédiation avec l’apparition des portails de jeux et des sites spécialisés, qui dans certains cas du moins, ont repris en charge la distribution. Le rapport de l’OECD (OECD, 2005, pp.3-26) note ainsi un transfert de valeur vers les fournisseurs d’accès à internet, qui interviennent comme agrégateurs de contenus et offrent des portails pour la distribution des jeux vidéo. Pour assumer le rôle de vendeurs en ligne, ces fournisseurs d’accès jouent de leur notoriété et se rémunèrent par la publicité qu’ils facturent aux annonceurs. Les forums à forte audience et les réseaux sociaux ont également changé la donne de la distribution en se positionnant comme capteurs d’audience au profit des éditeurs. Dans le même ordre d’idée, les applications « store » ont su s’approprier ce rôle d’information, conseil et distribution sur le segment particulier des jeux mobiles.

26 Outre la phase de distribution des jeux, c’est aussi celle de leur conception et de la fabrication des consoles et autres terminaux destinés à les recevoir qui ont été impactées par l’arrivée de nouveaux entrants. Le monde relativement monolithique des développeurs-éditeurs-distributeurs a été bouleversé par leur arrivée sur le marché car ils se révèlent plus agiles et plus dynamiques. Ils constituent une concurrence sérieuse pour les poids lourds historiques, tels que Sony, Nintendo et Microsoft [19]. Par ailleurs, le mobile game a fait ces derniers temps une percée remarquable, séduisant un public de plus en plus équipé de terminaux appropriés.

1.2. Anciens et nouveaux gamers : portrait du joueur en ligne aujourd’hui

27 Du côté de la demande, on observe également une profonde transformation. En quelques années, le profil du joueur a radicalement changé. On constate un élargissement de la cible qui permet de parler aujourd’hui du jeu vidéo comme d’un divertissement social de masse, avec dans sa pratique, deux approches principales : celle des joueurs passionnés et experts et celle des joueurs qui cherchent avant tout à se distraire et se détendre.

1.2.1. Un divertissement social de masse

28 Le nombre de joueurs dans le monde dépasse aujourd’hui le milliard d’individus [20] et, en France « tout le monde joue », surtout les adultes et les femmes. Ce sont en effet désormais, 80 % des Français qui s’adonnent aux jeux vidéo [21], et 52 % d’entre eux sont des joueuses. Par ailleurs, l’âge moyen du joueur français se situe actuellement aux alentours de 41 ans [22] et devrait encore s’élever. L’industrie vidéoludique « a donc définitivement quitté son statut de « réserve pour adolescents mâles »» [23].

29 Plusieurs raisons expliquent cet accroissement du nombre des joueurs et leur féminisation. En premier lieu, le taux d’équipement et la banalisation de certaines technologies du jeu vidéo ont rendu ce dernier « accessible » à une part importante de la population. À cette disponibilité technique, il faut ajouter une raison sociologique. Une grande partie des adultes d’aujourd’hui a connu le jeu vidéo dans son enfance et poursuit sa pratique d’autant plus facilement que les offres ont évolué vers un contenu plus mature. Par ailleurs, de nouveaux consommateurs plus âgés se tournent désormais vers ce type de loisir [24] qu’ils ignoraient précédemment. Selon l’étude menée en 2009 par Crimson-Consulting, le nombre de seniors jouant aux jeux vidéo devait croître de plus de 34 % en 2012 [25]. Beaucoup d’adultes et plus spécialement les seniors s’intéressent aussi à ce que l’on nomme les serious games, jeux alliant détente et apprentissage.

1.2.2. Une différenciation des pratiques

30 Parallèlement à cette augmentation du nombre des joueurs, on constate que le jeu vidéo se joue désormais essentiellement en ligne (73 % des joueurs) et que les pratiquants s’adonnent aux jeux les plus « accessibles » (SNJV, 2011, p. 4).

31 Cela peut s’expliquer en partie par le fait que tous les joueurs adultes travaillent et disposent de moins de temps pour jouer. Ils se détournent donc le plus souvent des titres qui nécessitent une concentration maximale sur de longues sessions et privilégient les jeux plus rapides [26] qu’ils peuvent utiliser dans leurs temps libres interstitiels. Par ailleurs, tous les joueurs n’ont pas une culture ludique qui permet d’accéder aux jeux complexes comme les jeux immersifs et interactifs.

32 Nous pouvons en conséquence distinguer schématiquement deux catégories de joueurs : ceux qui s’adonnent à des jeux complexes, souvent techniques et nécessitant certaines compétences, et ceux qui leur préfèrent des jeux accessibles ou plus relaxants. Il est bien évident qu’un même joueur peut, selon les moments, préférer l’une ou l’autre des options. L. Michaud (2009) pose à ce propos la question d’une fragmentation des usages plutôt que des publics [27].

33 La persistance de jeux anciens, produits à faible coût et disponibles immédiatement au travers du navigateur, a contribué au développement de ce qu’on a appelé le « casual gaming » [28]. Selon L. Michaud [29], ces jeux présentent plusieurs caractéristiques : ils sont disponibles sur toutes formes de plateformes, mobiles et fixes, connectées ou non ; ils sont utilisés moins longtemps que les jeux classiques par chacun des utilisateurs (les parties durent ordinairement de 5 à 20 minutes mais elles sont parfois plus longues) ; le scénario et les règles du jeu sont simples et les progrès dans le jeu rapides ; étant peu techniques, ils sont d’un prix très abordable, voire totalement gratuits.

34 Le gameplay de ces jeux de détente ou « casual games » est simple : le joueur doit trouver un bon équilibre entre la satisfaction de réussir et la frustration liée à la difficulté. Autrement dit, le jeu doit être simple à jouer mais suffisamment difficile pour être intéressant et, en même temps, son niveau de difficulté ne doit pas faire perdre au joueur la sensation d’avancer ni l’envie de continuer à jouer.

35 Dans la mesure où il s’adonne à des jeux qui ne nécessitent pas de compétences particulières et n’y consacre qu’une faible attention, le casual gamer se définit lui-même rarement comme un joueur : il se voit plutôt comme un consommateur de loisirs. Le jeu est pour lui davantage un dérivatif, une récréation qu’un challenge.

36 Le casual gaming comporte désormais un catalogue de jeux tout à fait honorable et représente actuellement plus de la moitié des revenus de l’industrie du jeu, toutes plateformes confondues. Par ailleurs, le développement des réseaux sociaux a contribué à amplifier la tendance naturelle des jeux vidéo à l’échange et au rassemblement des joueurs, aboutissant à ce que l’on désigne désormais sous l’expression « social gaming ». C’est un type de jeu dans lequel la sollicitation d’un ami en temps réel ou asynchrone est intégrée dans le scénario et permet d’accumuler des points ou d’accélérer le développement du joueur. Selon certaines analyses, le social gaming compterait 500 millions d’adeptes dans le monde en 2012, dont 14 millions en France soit le tiers de la population connectée [30].

37 À l’opposé du joueur qui cherche avant tout la détente, le hardcore gamer, ordinairement traduit par « joueur passionné », désigne un joueur qui choisit des jeux complexes et techniques, nécessitant de longs apprentissages et au travers desquels il recherche la compétition et la performance. Cette catégorie de joueurs s’entraîne sur une grande variété de ces jeux et y consacre beaucoup de temps. Ces « passionnés » peuvent même devenir contributeurs dans la création de ces jeux complexes car ces jeux permettent une interactivité qui modifie à la fois les formes du jeu et les façons de jouer.

38 En quelques années, l’industrie du jeu vidéo a donc connu de profonds bouleversements tant au niveau de l’offre, avec la démocratisation de l’informatique et le développement des réseaux qui ont conquis de nouveaux joueurs et insufflé de nouvelles dynamiques au secteur, qu’à celui des joueurs dont les profils et les pratiques ont évolué. L’une des conséquences de ces transformations est la multiplication des modèles de création de valeur. Au modèle unique dans lequel le fabricant proposait un produit fini à un marché de passionnés, se sont ajoutés ou mêlés d’autres modèles qui monétisent différemment le jeu. Nous allons voir comment et tenter de comprendre pourquoi, malgré la progression constante qu’elle enregistre, l’industrie vidéoludique reste traversée par des crises.

2. Lecture des différents modèles d’affaires dans le jeu en ligne

39 Les trois premiers sont parfaitement définis et balisés : le modèle historique, dit « Buy To Play », le modèle de l’abonnement, dit « Pay Per Play » et le modèle gratuit également appelé « Free to Play ». Mais il en existe d’autres qui apparaissent plus complexes parce qu’ils se présentent comme une hybridation des modèles précédents.

2.1. Un modèle historique : « Buy to Play » (B2P) ou la logique d’accès

40 Né avec le fameux « Pong » [31] développé par Atari, ce modèle s’est imposé au XXe siècle comme un modèle dominant que l’on peut qualifier de « classique ». Il consiste à développer un produit fini haut de gamme et à l’exploiter selon deux modèles d’affaires différents mais assez semblables fondés sur une équation simple de génération de valeur.

2.1.1. Un produit fini haut de gamme

41 Le jeu vidéo s’est initialement présenté comme un produit « fini », délivré au travers des canaux traditionnels de vente, sous une forme physique (boîte de jeu vendue en magasins spécialisés.) Ce schéma peut sembler dépassé au regard des multiples possibilités que procure le développement des moyens de transmission numériques des produits intellectuels. Il reste toutefois usité par de grands noms du jeu vidéo. Différentes études ont mis en évidence le fait que certains joueurs continuaient de préférer ce mode d’achat, afin de posséder une copie, une boîte de jeu et un manuel d’utilisation [32].

42 Complexes et innovants, tant technologiquement que du point de vue du gameplay ou du graphisme, ces jeux représentent en quelque sorte le segment haut de gamme d’un marché vaste et différencié.

2.1.2. Deux business models différenciés mais présentant de grandes similitudes

43 S’il existe de multiples typologies des jeux vidéo, il nous a semblé intéressant de distinguer ces derniers en fonction du matériel – communément appelé hardware – nécessaire pour les utiliser. La première catégorie correspond à celle qui est à l’origine de ce marché : les consoles de jeux, spécifiquement dédiées à l’activité vidéoludique. Cette première catégorie a sa logique économique propre. Les jeux édités pour ordinateurs forment la seconde.

44 Ces deux catégories présentent de grandes similitudes. En premier lieu, elles se sont initialement adressées à une cible très spécifique : celle des gamers, voire des geeks. Le jeu est un bien d’expérience dont la valeur s’apprécie au travers de sa consommation et le public des jeux vidéo a d’abord été un public de passionnés, susceptibles de payer un coût élevé et de prendre « le risque » d’acquérir une nouveauté.

45 Les coûts de développement de tels jeux sont très importants et augmentent au fur et à mesure des avancées technologiques, qui stimulent les exigences d’une cible experte. Les ressources clés sont possédées par quelques acteurs, qui les « inventent » au fur et à mesure de leur démarche d’innovation, laquelle constitue la véritable proposition de valeur des éditeurs et fabricants. Dans ce marché concurrentiel et exigeant, les coûts de développement comme les coûts marketing sont en augmentation continue [33]. Il est donc de plus en plus difficile et risqué de s’y maintenir. Les ventes y sont largement tributaires de rythmes particuliers dictés par le cycle de vie des consoles et le segment en cause est dominé par une économie de « hits » [34]. Selon M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), un jeu de type AAA se développe sur trois ans et réalise la quasi-totalité de son CA sur 12 mois, voire moins [35]. En cas de crise, le secteur se concentre et la chaîne de valeur initialement éclatée entre de multiples acteurs se réorganise autour des détenteurs de capitaux et propriétaires des technologies. Les éditeurs sont ainsi devenus le maillon central d’une industrie qui associe forte croissance et risque important. Au niveau mondial, seuls quelques-uns d’entre eux sont capables d’assumer de tels risques. Il s’agit de Nintendo, d’Electronic Arts, d’Activision Blizzard, d’Ubisoft, et dans une moindre mesure, de Take-Two Interactive et de Sony Computer Entertainement.

46 Le jeu sur console représente aujourd’hui les deux tiers du marché du jeu vidéo. Dominé par quelques grands acteurs [36], ce business model fonctionne selon la logique d’un marché à deux versants. Les fabricants de hardware vendent les consoles à des prix très raisonnables compte tenu de leurs performances techniques et des innovations proposées par les concepteurs. Les joueurs sont ensuite « verrouillés » sur le catalogue de jeux des éditeurs, lesquels reversent des royalties aux consoliers. Le jeu sur PC représente environ un tiers du marché des jeux sur console [37]. Il n’est pas affecté ou limité par la question des standards technologiques et connaît logiquement une bien moindre concentration des ventes. En 2008, par exemple, seuls trois jeux ont dépassé les 10 millions d’exemplaires vendus [38]. Le marché de l’édition de jeux pour PC réalise des performances très variables, que certains auteurs comparent à celles du cinéma [39]. Les plus gros titres génèrent jusqu’à 30 fois le montant des investissements réalisés mais 99 % de ceux-ci disparaissent des rayons au bout de quelques mois [40].

47 Afin de limiter les risques, les acteurs du jeu « triple A » ont développé différentes stratégies, telles que le développement de séries à succès à partir d’un blockbuster (les sequels) [41] ou encore l’achat de licences auprès d’autres secteurs culturels. Ce type de stratégie permet de « sécuriser » la diffusion du jeu auprès d’un public certain d’en apprécier le contenu, et/ou familier avec la licence adoptée [42]. Dans un cas, les joueurs ayant acquis une certaine dextérité avec des mécanismes de jeu, savent qu’ils vont pouvoir l’utiliser dans l’opus suivant. Dans l’autre, c’est l’attachement affectif qu’ils ont pu développer pour le ou les personnages du jeu initial qui les incitent à découvrir les suites proposées. Ainsi « GTA V », la suite du célèbre et controversé « Grand Theft Auto », a généré en trois jours un milliard de chiffre d’affaires et comptait lors de son lancement 2,5 millions de précommandes [43]. Dans le cas d’achat de licences, au cinéma par exemple, les ventes sont largement favorisées par la notoriété des personnages mis en scène dans le jeu [44]. Bien entendu, ce type d’opération est inaccessible aux petits éditeurs, ce qui contribue encore à concentrer le marché sur un faible nombre d’offreurs.

2.1.3. Une équation « simple » de génération de valeur

48 La génération de valeur dans les jeux se mesure au travers de l’ARPU, c’est-à-dire de l’Average Revenue Per User. Dans le cas des jeux achetés la génération de valeur correspond à l’équation suivante :

49 CA = Prix du jeu X Nombre de jeux vendus

50 La fixation du prix dépend de multiples conditions mais doit tenir compte notamment de la concurrence et de la qualité et de l’originalité du jeu. La somme souvent relativement élevée à débourser par les joueurs impose une qualité de jeu qui ne souffre pas d’approximations dans le choix des éléments tant techniques que ludiques ou esthétiques. Comme cela a déjà été indiqué, la part des dépenses en marketing sur ces jeux représente souvent près de la moitié des dépenses totales. Il s’agit d’un marketing de masse, qui sera développé pour l’essentiel dans les médias traditionnels auxquels s’ajoutent des salons et des manifestations qui regroupent les joueurs et fans de la marque. Dans ce business model, différentes composantes sont à prendre en considération. Les investissements de départ sont souvent importants et tardent à être rentabilisés dans la mesure où le jeu avant d’être mis sur le marché doit être complet, et sans dysfonctionnement majeur qui en gênerait le déroulement. Des chiffres dépassant les dizaines voire les centaines de millions de dollars sont couramment avancés par les industries ou les analystes [45].

51 Les jeux vidéo sont distribués par différents canaux. Ils ont été à l’origine distribués par des vendeurs spécialisés, les magasins de jeux vidéo et les grandes surfaces spécialisées. Puis, les grandes surfaces généralistes se sont vu confier une partie des ventes. Enfin, des sites spécialisés ou généralistes prennent également en charge la distribution de certains titres.

52 Avec le développement d’Internet, les grandes enseignes généralistes se sont mises à proposer les jeux en ligne à des prix plus attractifs que ceux proposés par les distributeurs traditionnels. Dans la version numérique de l’achat classique de jeux vidéo, le client paie pour pouvoir ensuite télécharger le jeu qu’il désire. Le téléchargement, se fait soit à partir d’un portail de jeux payants multi-éditeurs (comme « Steam » [46] ou une plateforme d’application pour téléphone mobile), soit à partir de la boutique d’application d’un smartphone.

2.2. Jeu sur abonnement : le Pay Per Play (PPP) et logique d’accès

53 Le modèle de la « boîte de jeu » est depuis le début des années 2000 concurrencé par une nouvelle offre de jeux qui, joués en ligne, autorisent une plus grande interaction entre les joueurs. De multiples produits entrent dans cette catégorie qui s’enrichit constamment puisque la plupart des jeux offrent aujourd’hui la possibilité de se connecter. Nous nous concentrerons néanmoins sur la catégorie qui réalise l’essentiel de son activité en ligne, à savoir le jeu en ligne massivement multi-joueurs [47].

54 Ce jeu présente de multiples spécificités au regard de celui que nous avons évoqué précédemment : il ouvre un droit d’accès limité, offre aux joueurs la possibilité de parfaire son développement et doit respecter certaines conditions pour produire de la valeur.

2.2.1. Un droit d’accès limité

55 En premier lieu, le joueur n’acquiert pas auprès de l’éditeur ou du diffuseur un jeu « complet »- jouable intégralement - mais un « accès temporaire », concrétisé par un abonnement de durée variable. Très souvent, une version restreinte du jeu est mise à disposition du public qui peut ainsi se familiariser avec les mécaniques de jeu et l’univers proposé avant de franchir le pas de l’abonnement.

2.2.2. Un service en perpétuelle évolution

56 Beaucoup de jeux en ligne présentent la particularité de ne pas être « terminés » lorsqu’ils sont proposés au public. On considère ainsi que des jeux sur abonnement peuvent être mis en ligne dès lors que 50 % du contenu est développé. Il en résulte une rentabilisation plus rapide du jeu, qui sera amélioré en continu tout au long de sa vie. Le corollaire de ce développement en continu est bien entendu, la poursuite des investissements, lesquels sont dans la pratique souvent orientés par les avis des joueurs. Ainsi, les plus gros titres réalisent de fréquentes mises à jour qui corrigent les problèmes rencontrés, voire modifient le déroulement du jeu.

2.2.3. Une génération de valeur tributaire de plusieurs impératifs

57 La génération de valeur de ce type de jeu s’exprime schématiquement par l’équation suivante :

58 CA = Nombre de joueurs X prix de l’abonnement X durée de l’abonnement

59 D’abord, il faut séduire les joueurs et cela implique un marketing de conquête. Le jeu étant disponible sur internet et touchant souvent un public familier de ce genre de média, ce marketing se fait très naturellement sur des sites spécialisés ou au travers de bandeaux publicitaires. Les communautés de passionnés se font également volontiers le relais de ces jeux sur abonnement. La gratuité des premiers niveaux du jeu constitue également en soi un argument pour convaincre les joueurs de s’abonner. Le prix de l’abonnement s’adapte en outre à la cible visée. Sur des cibles jeunes ou grand public, des modalités d’abonnement peu coûteuses sont proposées ainsi que des moyens de paiement alternatifs à la carte bancaire : téléphone portable, cartes prépayées. Les prix des produits destinés à des joueurs plus experts ou passionnés sont, en revanche, plus élevés.

60 Le deuxième impératif est ensuite, la fidélisation des joueurs abonnés. Pour atteindre cet objectif, les éditeurs de ce type de jeux développent un marketing communautaire mais introduisent également des moyens de « sociabilisation » dans le jeu (L.E. Lemoine & J.-P. Dumazert, 2007, p. 175-176) [48]. Les joueurs sont incités à faire connaissance, s’entraider et créer des liens afin de pérenniser les abonnements. Un joueur qui renonce à prolonger son engagement devra souvent renoncer aux amis qu’il s’est fait sur le jeu et reconstruire un système relationnel sur un autre titre, ce qui augmente considérablement les coûts de changement perçus. Enfin, les jeux sur abonnement doivent renouveler régulièrement l’intérêt des joueurs, en ajoutant de nouveaux territoires aux univers considérés, de nouvelles classes de personnages, de nouvelles quêtes et options de jeu. Il s’agit là d’un travail permanent d’innovation et d’enrichissement indispensable à la prolongation de la relation avec le joueur.

61 En ce qui concerne la distribution de ces types de jeux, elle se fait en ligne : lorsque le joueur décide de s’abonner à un jeu de rôle en ligne massivement multi-joueurs, il télécharge le module de base du jeu directement à partir du site de l’éditeur et doit ensuite s’acquitter d’un abonnement mensuel.

2.3. Le Free to Play (F2P) : une logique d’optimisation

62 Le jeu en ligne « gratuit » est un jeu pour lequel le joueur ne doit verser aucun droit d’entrée et qui ne nécessite pas d’abonnement. Pour des raisons de clarté, nous limiterons dans un premier temps notre définition du Free to Play aux seuls jeux entièrement gratuits dans leur version complète. Tous les types de jeux sont susceptibles aujourd’hui d’être diffusés selon ce modèle économique qui en assure la valorisation principalement par deux méthodes.

2.3.1. Des jeux majoritairement « casual », mais de plus en plus souvent « hardcore »

63 Les premiers jeux F2P sont apparus il y a quelques années mais ne concernaient à cette époque que des produits anciens, parfois qualifiés « d’abandonwares » ou « abandogiciels ».

64 Souvent jouables par le biais d’un navigateur, ces jeux ne nécessitent pas de téléchargement ni d’installation sur la machine de l’utilisateur. Les technologies utilisées sont largement accessibles et l’esthétique est relativement basique. Les règles de ces jeux sont simples à comprendre même pour un joueur débutant et ils procurent, au cours de sessions n’excédant généralement pas 30 minutes, la détente et la satisfaction attendues.

65 Depuis quelques temps, de nouveaux jeux gratuits envahissent le monde du jeu en ligne au point que certains n’hésitent pas à voir dans le Free to Play le modèle économique du futur, non seulement dans le jeu mais également dans d’autres formes d’échanges [49]. De plus en plus de producteurs de jeux hard core empruntent, eux aussi, ce modèle de valorisation, en cessant de miser sur l’abonnement et en recherchant des gains provenant de la publicité ou de la vente de biens annexes.

66 Sont ainsi désormais exploités en F2P des titres tels que « Age of Conan », « The Secret World », « Star Wars : the Old Republic », « Aion », « Everquest 2 », « Tera », « Rift », « Lord Of The Ring Online » et bien d’autres encore. La concurrence importante de jeux rendus attractifs par leur gratuité a en effet, drainé une grande part des abonnés et les éditeurs ont réagi en alignant leurs propositions.

2.3.2. Les modes de rémunération

67 Ils prennent essentiellement deux formes. En premier lieu, les joueurs se voient offrir la possibilité d’acheter, contre des sommes modiques, différents avantages pour avancer dans le jeu ou pour l’améliorer. Il peut s’agir de privilèges tels que des objets en série limitée, des améliorations esthétiques, des compétences exclusives ou des « packs d’énergie » qui leur permettent de prolonger leur expérience de jeu. Ces achats, effectués sous forme de micro-transactions, peuvent avoir lieu en monnaie réelle. Mais le plus souvent, le joueur fait d’abord l’acquisition d’une monnaie virtuelle, qui est ensuite convertie en achats de privilèges à sa convenance. Le créateur du jeu doit ici accorder une importance particulière à l’équilibre entre le plaisir de jouer et l’obligation d’acheter, car si le joueur se considère comme obligé d’effectuer des micro-transactions, il risque en effet de quitter rapidement le jeu pour un autre, moins contraignant. Si au contraire, l’achat de contenus premiums est vécu comme un « cadeau que le joueur se fait », il y a de fortes chances qu’il valide l’achat et, mieux encore, reste fidèle au jeu dans lequel il a investi.

68 Il existe une autre offre à destination des joueurs, qui peut être vue comme une dérive de la précédente : le Pay to Win. Dans ce système les joueurs peuvent acheter en euros des objets ou éléments in game qui sont généralement très puissants et permettent d’avancer plus facilement dans le jeu. Chacun décide alors, soit de jouer assez longtemps pour gagner des points permettant d’acheter ces objets, soit de payer en monnaie réelle pour les obtenir immédiatement. Ce système modifie beaucoup l’équilibre du jeu, puisque celui qui gagne n’est pas celui qui a le plus de skill ou de temps de jeu, mais celui qui a les plus grosses capacités financières. Si la majorité des joueurs déteste ce genre de procédé, d’autres y succombent aisément, parce qu’ils ont les moyens ou qu’ils n’ont pas le temps de farmer en boucle sur le jeu qu’ils apprécient. Heureusement, ce système de monétisation des jeux est assez peu présent, du moins dans les MMO occidentaux. On le retrouve par contre plus souvent dans les MMO asiatiques ou dans les jeux online à univers non persistant.

69 Dans ce modèle d’affaires, l’équation de la génération de valeur est la suivante :

70 CA = Nb de joueurs X taux de conversion X panier moyen par mois X nb de mois de jeu

71 Les éditeurs/diffuseurs doivent pouvoir drainer un nombre important de joueurs sur ces jeux gratuits, d’autant plus qu’une faible part d’entre eux procédera à un achat d’articles associés [50]. Pour y parvenir, ils ajoutent au marketing classique une forme particulière de promotion basée sur le modèle viral. Ils intègrent en effet dans les règles de ces jeux la nécessité de faire appel à des tiers pour achever les quêtes et monter en niveau. Cette caractéristique relaie efficacement le marketing qu’ils développent par ailleurs. L’éditeur Zynga a ainsi conquis en quelques mois plus de 300 millions de joueurs et, si ce chiffre s’est effondré depuis, il n’en demeure pas moins très respectable [51]. Les réseaux sociaux et leur formidable potentiel viral sont un autre moyen d’attirer les joueurs sur ce type de jeux.

72 Par ailleurs, les concepteurs des jeux en question doivent veiller constamment à maintenir l’équilibre plaisir/obligation que nous avons déjà évoqué, et diversifier leurs offres [52] afin de susciter en permanence l’envie d’acheter et de multiplier les occasions de le faire. La fidélisation des joueurs exige également de renouveler en permanence le jeu et de convaincre les participants qu’ils perdraient leurs « investissements » en le quittant.

73 Par définition, le montant des micro-transactions ne peut être élevé mais si le prix payé à l’unité est faible, les offres d’achat étant répétitives, le joueur peut finalement dépenser beaucoup et de façon presqu’inconsciente. D’autant plus que la transition par la monnaie virtuelle permet d’agir comme un écran, qui détache l’objet acquis du prix réel payé.

74 Ces jeux gratuits ont été critiqués comme étant en réalité très onéreux pour leurs utilisateurs. Cette analyse doit toutefois être nuancée. En effet, contrairement à ce qui se passe pour le paiement d’un abonnement - qui peut s’avérer cher si, faute de temps consacré au jeu, le joueur ne parvient pas à minimiser son coût horaire – c’est dans ce cas la maximisation du plaisir de jouer qui est monétisée et le joueur qui a choisi cette option « en a pour son argent ».

75 Le second mode de rémunération de ces jeux est la publicité qui, selon les cas, pourra être insérée « dans le jeu » (in game) ou prendre la forme de vidéos publicitaires intégrées par exemple au démarrage du jeu. La très large base de joueurs en casual gaming fait de ces derniers une aubaine pour des annonceurs en termes de visibilité mais aussi de capital sympathie.

76 Les dépenses des annonceurs en in game advertising s’élevaient déjà à 56 millions de dollars en 2005 et les acteurs du secteur prédisent qu’elles dépasseront le milliard dès 2014 [53]. Au départ exclusivement statique, c’est-à-dire placée dans le programme du jeu lors de sa conception - donc non modifiable - la publicité in game est devenue dynamique lorsqu’il n’a plus été nécessaire de la coder dans le jeu. Devenue beaucoup plus flexible, elle permet désormais d’adapter les campagnes des annonceurs aux spécificités du marché et n’exige pas de longs délais de diffusion. Cette flexibilité a été rendue possible par l’apparition des sociétés spécialisées dans le middleware.

77 Quant aux advergame, il s’agit de la forme la plus sophistiquée de Video-Game based Marketing. Ces jeux cherchent à promouvoir l’image d’une marque en générant du buzz autour d’elle.

78 Ce modèle d’affaire F2P présente l’avantage d’ouvrir l’accès au marché à des développeurs isolés (indé, arty, jeux Minis) et d’élargir la base de jeux accessibles aux joueurs. Il permet, en effet, de relancer une version online d’un jeu offline en déclin et d’en prolonger la durée de vie sans passer par une opération de portage trop coûteuse. Il donne aussi une seconde vie aux anciens jeux des années 1980, les abandonware games.

2.4. Les modèles d’affaires à équations combinées

79 De nouveaux modèles sont récemment apparus dans le monde évolutif des jeux en ligne. Empruntant différents éléments aux modèles qui viennent d’être évoqués, ils peuvent être qualifiés d’« hybrides » et sont d’une grande complexité.

80 Nous présenterons ici les modèles conçus par deux éditeurs qui, par de nouvelles façons d’entrelacer des méthodes et paramètres déjà utilisés, ont mis au point de nouvelles propositions de valeurs et sources de revenus dans la création vidéoludique.

2.4.1. GuildWars II : une combinaison du modèle de propriété et du modèle gratuit

81 Le premier de ces modèles innovants est celui développé par « GuildWars II ». L’éditeur ArenaNet propose en effet un jeu massivement multi-joueurs, vendu pour un prix fixe, mais qui donne accès à un monde permanent de qualité pour un temps illimité. À ce « coût d’entrée » dans le monde s’ajoutent - selon les préférences du joueur - des possibilités multiples de personnalisation et d’optimisation de l’expérience de jeu. À l’aide de contraintes savamment dosées - notamment un inventaire restreint ou des tenues vestimentaires peu variées - l’éditeur incite ses clients à l’achat de privilèges. Ces derniers sont payés en monnaie virtuelle, laquelle est échangée contre des devises réelles auprès du site « GuildWars II ».

82 Ce qu’il est important de remarquer dans ce cas, c’est la nature de la proposition de valeur. Contrairement aux autres MMO, « GuildWars II » ne s’est pas installé sur le modèle de l’abonnement mais propose un jeu illimité sur un monde évolutif pour une somme a priori fixe et suffisante. Les privilèges viennent en « surplus » et ne sont en aucun cas indispensables pour jouer. Ils rendent simplement le jeu plus agréable et plus sympathique. Parce que ces privilèges sont choisis par le joueur, leur prix pourtant objectivement être élevé, est très certainement mieux « accepté ». Par ailleurs, l’achat de ces privilèges ne crée pas de distorsions majeures dans l’économie du jeu ou le gameplay puisqu’il est essentiellement d’ordre pratique – gain de temps au travers de l’accroissement des capacités de stockage du personnage – ou cosmétique.

83 Ainsi, « GuildWars II » combine-t-il les principes de jeu d’un MMO, une modalité de création de valeur du jeu « fini » de type AAA, et une modalité de rémunération complémentaire empruntée au jeu gratuit.

84 CA = (prix de la boîte X nb d’acheteurs) + (nb de joueurs X propension à acquérir des privilèges X montant moyen du panier de privilèges acquis par période X nb de périodes de jeu.)

85 Si ce modèle a pu susciter des doutes auprès des éditeurs de jeu, il semble pourtant fonctionner. La combinaison des mécaniques complexes du MMO et de l’accessibilité de jeux moins « typés » permet à ArenaNet de dégager aujourd’hui suffisamment de profits pour renforcer ses équipes.

2.4.2. Wildstar : la création d’une synergie entre deux segments de clientèle

86 Le deuxième modèle à équation combinée est celui développé par l’éditeur NC Soft pour son titre « Wildstar ». Il a opté pour un modèle en apparence plus classique : celui de l’abonnement mensuel obligatoire. Toutefois, cette proposition comporte une originalité puisque le joueur dispose de plusieurs moyens pour payer son dû. Il pourra bien sûr payer avec de l’argent réel, comme sur un MMORPG classique, mais il pourra également s’acquitter de son abonnement grâce à un système de bons ouvrant un droit à 30 jours de jeu. Ces bons sont mis en vente par l’éditeur à un prix supérieur à celui d’un mois d’abonnement et présentent la particularité de pouvoir être échangés contre de la monnaie du jeu auprès d’autres joueurs. Concrètement, les joueurs prêts à payer plus d’argent réel peuvent se procurer de la monnaie virtuelle en revendant ces bons à d’autres joueurs. En instaurant ce double système de paiement, NC Soft s’ouvre différentes possibilités. Parce que la richesse dans un jeu MMO est souvent associée à de nombreuses heures passées en ligne, il donne la possibilité à des joueurs plus casuals de profiter des avantages d’une vie de millionnaire virtuel sans en assumer les contraintes. Il donne ainsi à des adultes qui travaillent et disposent de revenus supérieurs, la faculté de profiter pleinement des possibilités dont disposent les joueurs plus actifs et souvent moins aisés. Par ailleurs, NC Soft acquiert un bonus de rente d’abonnement puisqu’il augmente pour une partie de ses joueurs le prix mensuel de l’accès au jeu.

87 Ici, l’équation de la génération de revenus pour le jeu s’avérerait encore plus complexe que dans le modèle d’ArenaNet. Il faudrait, cette fois, tenir compte non seulement de la population « classique » qui acquitte un abonnement au prix public, mais également du nombre de joueurs susceptibles de payer en monnaie réelle un surplus de richesse en ligne, et de surcroît déduire les abonnements qui seront payés par le biais de bons d’échange. L’équilibre de ce modèle, qui combine différentes modalités d’abonnement, est en réalité difficile à prévoir par l’éditeur qui devra prendre en considération de multiples paramètres. Néanmoins, il a l’avantage d’impacter la proposition de valeur du business model et d’ouvrir celui-ci à d’autres segments de clientèle, tout en créant des synergies entre deux populations jusqu’alors peu compatibles : celles des hardcore et des casual gamers.

Discussion

88 Un double mouvement se dessine dans les tendances récentes entre convergence et fragmentation des modèles et des marchés. L’évolution des technologies (web based, mobile, dont les environnements sont découplés des traditionnels biens systèmes console/cartouche) a entraîné de nouveaux types de jeux (social, casual…) qui ont eux-mêmes fait émerger de nouveaux types de joueurs (masse de joueurs casuals, puis apparition des mid-core). Parallèlement, de nouvelles méthodes ont été créées pour extraire de la valeur de ces nouveaux jeux. Une fois installés, ces nouveaux modèles d’affaires sont entrés en concurrence avec les modèles traditionnels, lesquels en retour sont allés les attaquer sur leur terrain. Les modèles classiques tentent, en effet, le F2P et les nouveaux jeux (casual, social, retro…) avec des succès tels que « League of Legends ». De leur côté, les nouveaux entrants investissent le salon avec les micro-consoles (Ouya, Gamestick et M.O.J.O). Dans le même temps Steam change la donne en bousculant la chaîne de valeur et en jouant sur tous les tableaux : elle vise tous les joueurs (hardcore casual, social et mid-core), distribue tous les jeux (AAA ou casual) et introduit beaucoup d’innovations dans la distribution, le marketing et la fidélisation, grâce à une plateforme de distribution digitale qui représente 75 % du marché de la distribution en ligne et qui finance le studio de développement Valve Studio. Les consoliers intègrent dans leur dernière génération de consoles les caractéristiques des récentes évolutions du secteur, telles que l’ubiquité de leurs jeux (PS4 + PS Vita, Console + application compagnon) et du cloud gaming (rachat de Gaika par Sony en 2013). Poussés par les nouveaux entrants, ils doivent impérativement trouver de nouvelles parts de marché dans la frange des nouveaux joueurs. Le double mouvement observé est donc celui des consoliers, qui tentent de sortir du salon (ubiquité, cloud computing, Free to Play), et des disrupteurs qui essaient, eux, d’y accéder (Steam, Ouya, Gamestick…).

89 Ce double mouvement caractérise le changement de paradigme dans les business models de l’industrie des jeux vidéo et le passage d’une économie de biens systèmes à une économie de service. Ce changement est marqué par la dématérialisation des contenus, la reconfiguration des réseaux de valeur, des mouvements de désintermédiation mais aussi d’intégration verticale. Le tableau suivant propose de décrire les changements d’un paradigme à l’autre.

90 La dématérialisation des contenus, qui caractérise l’évolution récente de l’industrie vidéo-ludique permet à cette industrie d’avoir des coûts marginaux proches de zéro et d’éviter les problèmes classiques de piratage [54] mais, d’un autre côté, l’absence de support physique empêche la constitution d’un marché de l’occasion, difficilement organisable par les éditeurs.

91 Les modèles d’affaires de distribution dématérialisée articulés à des modèles de revenu mixtes ou hybrides de gratuité (F2P, freemium, P2W…) recouvrent des problèmes classiques d’économie de l’information et d’économie des réseaux. En effet, en adossant la dématérialisation au bon modèle de revenu, on résout à la fois un problème classique lié aux biens d’expérience, mais aussi un problème de tarification et de satisfaction de la demande la plus large possible.

Tableau 1

Des modèles classiques aux modèles émergents

Figure Historique Figure Emergente
Faible croissance et forte concentration Forte croissance et marché en expansion
Réduction du nombre d’acteurs installés : disparition de studios et d’éditeurs. Nombre croissant d’acteurs : nouveaux entrant avec des modèles de développement agile.
Matériel : boîte de jeu (cartouche, disque) et console. Digital : contenus téléchargeables, jeux en ligne client/serveur, jeux en ligne web, streaming, cloud gaming.
Produit : Plateforme et environnement de développement permettant l’excluabilité de la consommation pour capter la valeur. Services : Ouverture et faibles barrières technique (élargissement de l’environnement avec l’ouverture des SDK ou Software Development Kits) permettant d’accéder à une plus large audience de manière à déplacer la valeur.
Économie de l’accès et des plateformes : Verrouillage des utilisateurs dans la plateforme, bien système, catalogue de jeux avec des exclusivités. Économie du contenu et de la désintermédiation : ubiquité et interopérabilité (smartphone, tablette, ordinateur, TV connectée).
Marché : marché à deux versants (two-sided) orchestré par les consoliers. La valeur est captée sur le versant des développeurs et de la vente des « boîtes » de jeux. Marché : marché à multiples versants (n-sided) intégré à des éco systèmes (Apple AppStore, Google Play, Facebook…) orchestré par des opérateurs non spécialistes. La valeur est captée sur plusieurs versants (publicité, achats intégrés, coûts de transaction)
Logique : de stock (nombre de copies produites et vendues, nombre de boîtes de jeux et de consoles). Logique : de flux (infrastructure permettant d’accueillir les comptes des clients et leurs interactions en ligne).
Bien d’expérience : évaluation de l’utilité et de la valeur ex ante. Le paiement à l’avance rend le choix risqué. Bien d’expérience : évaluation de l’utilité et de la valeur ex post. Pas de paiement requis. Le paiement peut intervenir alors que l’utilisateur a déjà expérimenté le jeu.
Acte d’achat : repose sur la notoriété et le renom du développeur/éditeur. Acte d’achat : repose sur l’engagement de l’utilisateur et l’expérience ludique.
Temporalité, coûts, ROI et risque : cycles de développement longs, coûts de développement élevés, retour sur investissement de plus en plus ramassé dans le temps, incertitude élevée. Temporalité, coûts, ROI et risque : cycles de développement courts, faibles coûts de développement, retour sur investissement progressif, faible incertitude.
Audience : des « hardcore gamers » aux joueurs « casual », « midcore », sociaux et mobiles. Audience : des joueurs « casual », sociaux et mobiles aux « midcore » et « hardcore ».
figure im2

Des modèles classiques aux modèles émergents

Guesmi et Lemoine

92 Le problème classique des biens d’expérience, dont on ne découvre la valeur ou l’utilité que lors de leur consommation, est d’en estimer la valeur et l’utilité avant de les avoir consommés. Cette estimation repose sur une appréciation individuelle subjective et sur des avis extérieurs mais elle peut aussi être le résultat, dans les modèles classiques de jeux sur console, de phénomènes de réputation. Le deuxième problème à résoudre est de trouver la tarification la plus juste possible et de servir une demande maximale sans en connaître la propension à payer. Le modèle d’affaires de distribution dématérialisée adossé à un modèle de revenu hybride permet de supprimer le problème des biens d’expérience en autorisant le joueur à jouer avant tout paiement, pour tester lui-même l’intérêt du jeu, alors que le modèle classique exige un paiement immédiat et avant toute expérience. Les deux problèmes recoupent la notion de discrimination au 3e degré, en permettant aux éditeurs utilisant ce modèle de servir une demande très large (coût marginal nul, évaluation du jeu ex ante) et en mettant les consommateurs dans la position de révéler leur propension à payer en choisissant de payer ou non. On passe d’une logique de lock-in sur une plateforme et un marché organisés par les consoliers à un écosystème ouvert, qui sert la demande la plus large possible et permet de déterminer la part des consommateurs qui sont prêts à payer.

Conclusion

93 Différents processus de création de valeur se côtoient donc aujourd’hui dans l’industrie du jeu en ligne mais leurs frontières tendent à s’estomper : aucun d’entre eux ne supplante les autres et on observe plutôt des chevauchements inattendus. Le modèle historique du fabricant perdure mais, pour tenter de capter une part des nouveaux joueurs entrés dans l’univers vidéo-ludique par les casual ou le social hors du salon, les acteurs classiques sont en train d’intégrer les caractéristiques innovantes apportées par les nouveaux entrants et les modèles d’affaires émergents. Dans le même temps, ces derniers recherchent en permanence l’innovation et font tout pour conquérir le salon, chasse gardée des acteurs classiques de l’industrie. Si chacun de ces modèles semble mieux convenir à l’exploitation de certains types de jeux, ici encore les mélanges sont fréquents. Ainsi les jeux élaborés relèvent le plus souvent des deux premières méthodes de création de valeur, tandis que les jeux moins complexes se positionnent en Free To Play. Toutefois, comme nous l’avons vu, certains jeux complexes commencent à proposer des accès gratuits illimités et, s’il ne s’agit souvent que de « secondes chances » pour des jeux qui n’ont pas rencontré leur clientèle, il se pourrait que le Pay For Play se transforme peu à peu en Play For Pay. Ces diverses mutations oscillent entre fusion et fragmentation des modèles et des marchés. Toutes ces mutations et tendances récentes qui agitent le monde du jeu vidéo poussent à s’interroger sur ses perspectives d’évolution : de crise en crise, s’acheminera-t-il vers la fusion des modèles et des marchés qui l’habitent ou bien se diluera-t-il dans une fragmentation encore plus grande ?

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Mots-clés éditeurs : Average Revenue Per User, Modèles d’affaires, Free-to-Play, Buy-to-Play, Pay-per-Play

Date de mise en ligne : 08/03/2017

https://doi.org/10.3917/rsg.281.0137

Notes

  • [1]
    [Notre traduction] Un jeu en ligne est défini comme tout jeu basé sur ordinateur joué sur Internet, y compris les jeux PC, console et sans fil. Cela inclut aussi bien des extensions de jeux autonomes pour que de petits groupes de joueurs puissent jouer ensemble que des jeux de rôle massivement multi-joueurs en ligne avec plus de 10 000 joueurs jouant en même temps et plus d’un million de joueurs inscris.
  • [2]
    « Au cours de la seule année 2012, la florissante industrie des jeux vidéo affiche 63 milliards de dollars de chiffre d’affaires (Reuters, 10 juin 2013). C’est plus que l’industrie du cinéma et plus du double des revenus liés au monde de la musique », Bergeron U. & Nadeau J-F, « Au Canada, une industrie comme chez elle », Le Monde Diplomatique, décembre 2013, p. 20.
  • [3]
    Fin 2011, N. Esposito pouvait ainsi écrire que : « Comme la musique et le cinéma, l’industrie des jeux vidéo est actuellement en cours de mutation. Il ne s’agit pas d’une évolution par cycle comme on la connaît depuis plusieurs décennies, mais bien d’une reconfiguration de grande ampleur », en s’appuyant sur les diverses « bascules » qu’il constatait dans la filière entre 2006 et 2009. Esposito N. (2012) « Caractérisation de la pluralité actuelles des jeux vidéo par un ensemble de bascules récentes », Actes de Game Studies ? à la française ! 2012, p. 5.
  • [4]
    Michaud L. (2012), « Le marché mondial des jeux vidéo : vers une nouvelle phase de croissance », Géo économie 2012/4, n° 63, p. 9.
  • [5]
    Michaud L. op. cit., p. 11. Cf. également Simon J.-P. (2012), « Un écosystème en évolution rapide. Analyse économique des jeux vidéo », Réseaux 2012/3, n° 173-174, pp. 25 et 29. Cet auteur évoque une étude produite par le cabinet de conseil PwC constatant qu’après avoir atteint plus de 52 milliards de dollars US de chiffre d’affaires mondial en 2009, le secteur des jeux vidéo allait atteindre 55 milliards en 2010 et qu’en suivant une prévision raisonnable de croissance cumulée de 8,2 % sur la période 2011-2015, ce chiffre pourrait s’élever à 82 milliards de dollars à l’horizon 2015.
  • [6]
    On parle de portage pour le passage d’une plateforme à une autre par exemple PC vers une console en particulier ou d’une console vers les jeux en ligne ou les applis.
  • [7]
    Cf. la récente histoire de l’application Flappy Bird que son concepteur vietnamien a retirée à cause de sa célébrité naissante qui a tourné court et donné lieu à des insultes et menaces.
  • [8]
    Lee, R., (2013), Business Models and Strategies in the Video Game Industry An Analysis of Activision Blizzard and Electronic Arts, Master Thesis, MIT Sloan School of Management, May 2013, 71 p. ; p. 19
  • [9]
    Parfois même moins, J. Soh et H. Tan, 2008 (référence citée par Feijóo C. et Gomez-Barroso J.-L (2012) « Jeux sur mobiles : les développements et le rôle des plateformes de logiciels », Réseaux 2012/3, n° 173/174, p. 91).
  • [10]
    Simon J.-P (2012), « Un écosystème en évolution rapide. Analyse économique des jeux vidéo », Réseaux 2012/3, n° 173/174, pp. 39-40. Selon le rapport d’information fait au Sénat au nom de la commission des affaires économiques et de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par le groupe de travail sur les jeux vidéo par MM. A. Gattolin et B. Retailleau (2013), « la fabrication d’un jeu pour Facebook, pour le Web ou les smartphones coûte entre 50000 et 300000 euros et celle d’un jeu pour console de 5 à 20 millions d’euros », p. 60. Ce même rapport précise que des budgets encore plus élevés ont été nécessaires pour financer des jeux comme GTA IV, le coût global de ce jeu y compris les dépenses de marketing ont été de 134,5 millions d’euros, p. 48.
  • [11]
    Qui peuvent travailler plusieurs mois, voire des années sur le projet avant sa commercialisation, De Prato G. (2012), « Les jeux en ligne : un laboratoire de modèles d’affaires », Réseaux 2012/3, n° 173/174, p. 61.
  • [12]
    Simon J.-P. (2012) op. cit., p. 40.
  • [13]
    Selon le rapport précité présenté au Sénat par MM. A. Gattolin et B. Retailleau (2013), la gestation de tels jeux peut prendre de un à sept ans, p. 47.
  • [14]
    Parmentier G.et Mangematin V. (2009). « Innovation et création dans le jeu vidéo : comment concilier exploration et exploitation », Revue Française de Gestion, n° 35 (191), pp. 71-87 ; p. 3.
  • [15]
    Lee R. (2013), op cit. p. 16
  • [16]
    Jeux à fort succès, rapportant des bénéfices conséquents permettant de financer plusieurs échecs passés ou futurs, cf. Gattolin A. et Retailleau B., (2013) op.cit., p. 30.
  • [17]
    Oscar L., (2013) « Ventes françaises l’effondrement des suites » GameKult, nov 2013.
  • [18]
    L’essoufflement de ce type de jeux doit toutefois être relativisé si l’on considère le succès de GTA, cf. « GTA tout en dérapage contrôlé », LSA, nov. 2013.
  • [19]
    Notamment la « Ouya » fonctionnant sous Android, la « Shield » fabriquée par NVidia, la « Steam Box » de Valve, la « Gamestick » de Playjam. À noter que ces lancements ont eu lieu dans un court laps de temps, et sont intervenus au moment du changement de génération des consoles historiques. Deux d’entre elles ont fait l’objet d’un financement participatif. http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/11/18/consoles-de-jeux-de-nouveaux-acteurs-tentent-une-percee_3515487_651865.html
  • [20]
    SNJV (2012) « Le jeu vidéo en France, éléments clés. » http://www.iim.fr/pdf/elements-cles-2012.pdf
  • [21]
    SNJV (2013) « Le jeu vidéo en France, éléments clés. » http://www.snjv.org/data/document/livre-blanc2.pdf
  • [22]
    SNJV (2013) op.cit.
  • [23]
    Simon J.-P. (2012) op cit., p. 47.
  • [24]
    Selon une étude GfK mentionnée par l’Expansion, les joueurs de plus de 50 ans représenteraient aujourd’hui près de 12 % de la population des joueurs sur console, et atteindrait 20 % si l’on inclut les joueurs sur PC. http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/comment-le-jeu-video-veut-conquerir-les-plus-de-50-ans_132624.html, consulté en sept. 2012.
  • [25]
    Crimson Consulting Group, (2009), “Gamer 2.0 : exploring the use of Gaming Community and Social Media”, 57 p, disponible sur http://www.crimson-consulting.com/insight.html, consulté en octobre 2012, p. 8
  • [26]
    Certains de ces jeux plus accessibles peuvent néanmoins donner lieu à des sessions assez longues.
  • [27]
    Michaud L. (2009), “Casual Gaming : Games for Everyone” ; Communications & Strategies n° 73, IDATE Ed. January 1, 2009, pp. 153-158 ; p. 154
  • [28]
    L’expression « casual gaming » est souvent traduite par « jeu occasionnel » et s’opposerait au « core gaming » ou « hardcore gaming »- jeu passionné. Cependant, dans la mesure où la majorité des casual gamers se connectent chaque jour, parfois pour des sessions de jeu de plusieurs heures, il nous semble plus approprié de traduire casual gaming par « jeu relaxant ».
  • [29]
    Op. cit., p. 154.
  • [30]
    « Les Chiffres des jeux sociaux en 2012 », Nuwave Marketing, http://www.nuwave.marketing/infographies/chiffres-jeux-sociaux-social-games-2012/
  • [31]
    « Pong » est un des premiers jeux vidéo d’arcade et le premier jeu vidéo d’arcade de sport. La société Atari le commercialise à partir de novembre 1972.
  • [32]
    Ainsi qu’un distributeur à qui se plaindre en cas de problème de fonctionnement, cf. Olsson B. & Sidenblom L. (2010), “Business Models for Video Games”, Master thesis in Informatics ; Lund University, 94 p. , p 15 et s.
  • [33]
    Selon une étude réalisée par Zalis, des budgets de l’ordre de 20 millions sont aujourd’hui à prévoir pour le développement d’un jeu, somme également répartie entre les coûts de développement et les efforts marketing. « La sinistralité du jeu vidéo » http://www.zalis.fr/la-sinistralite-du-jeu-video/, consulté en janvier 2014.
  • [34]
    Aoyama Y. et Izushi H. (2003) in Cox J. (2013), “What Makes a Blockbuster Video Game. An Empirical Analysis of US Sales Data”, Managerial and Decision Economics ; 10 p. ; p. 2.
  • [35]
    Davidovici-Nora M. et Auray N. (2012), « L’industrie des jeux vidéo sur PC à l’ère d’Internet – Analyse des stratégies d’innovation ouverte avec les communautés de joueurs », Synthèse étude PANIC – ANR/Telecom-ParisTech ; mars 2012 ; 102 p. ; p. 24 et 27. Certains cabinets de consulting n’hésitent pas à qualifier le jeu vidéo de « produit frais » tant est courte sa date de « péremption » dans l’esprit des gamers.
  • [36]
    Nintendo, Sony et Microsoft dominent désormais le marché des jeux sur console.
  • [37]
    M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op.cit. p. 13
  • [38]
    M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op. cit. p. 14
  • [39]
    R. Lee (2013) op. cit. p. 16
  • [40]
    Selon l’AFJV, janvier 2009, in M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op. cit. p. 24
  • [41]
    Le terme sequel indique la suite d’une œuvre, et dans le cas du jeu vidéo, la suite d’un opus.
  • [42]
    Cette sécurisation est d’autant plus claire que les études mettent en évidence la prééminence du cinéma dans les autres loisirs culturels des joueurs. Voir à ce propos l’étude du CNC (2012) p. 11 et suiv.
  • [43]
    In Stratégies n° 1744, 14/11/2013, « GTA V, ou la stratégie des dérapages contrôlés »
  • [44]
    Chez Atari par exemple, 20 % des jeux générant 60 % du chiffre d’affaires sont dérivés du cinéma. In M. Davidovici-Nora et N. Auray (2012), op. cit. p. 56
  • [45]
    Le jeu « Modern Warfare 2 » aurait coûté plus de 50 millions de dollars, le jeu « Gran Turismo 5 » environ 60 millions. http://www.gameblog.fr/news/13199-combien-ca-coute-un-jeu-video (dernier accès sept. 2012), on avance pour le jeu « Diablo 3 » le chiffre de 200 millions de dollars.
  • [46]
    Depuis 2005, la plupart des éditeurs vendent une grande partie de leurs jeux sur cette plateforme qui a été créée en 2003 par la société Valve. Elle attire également les éditeurs de jeux indépendants qui y trouvent le moyen de réduire les coûts de fabrication et de distribution tout en se faisant mieux connaître.
  • [47]
    Selon le site spécialisé MMOData.net, le nombre d’abonnements actifs actuels s’établirait à plus de 18 millions au second semestre 2013. http://mmodata.blogspot.fr/Accédé janvier 2014.
  • [48]
    Lemoine L-E. et Dumazert J.-P. (2007), « Les jeux vidéo sur Internet, marketing adapté ou persistant » Marketing et Communication, n° spécial « Applications sectorielles du marketing. », n° 02/2007 ; 18 pp. ; p. 175-176
  • [49]
    Cf. Cousins B., F2P Summit : « Des risques et des gros budgets, même en Free-to-Play », http://www.jeuxonline.info/actualite/34966/f2p-summit-risques-gros-budgets-meme-free-to-play
  • [50]
    La vente de biens virtuels a débuté en Corée du Sud, notamment comme remède au problème de piraterie chronique qui sévit en Asie ; ces nouvelles formes de recettes sont en effet à l’abri de ces détournements. Bien qu’acceptés par une partie assez faible des joueurs, ces achats représentent pourtant un montant de recettes tout à fait conséquent : Zynga aurait ainsi encaissé 364 millions de dollars US en 2010 et la part de ces ventes d’actifs numériques aurait produit en 2012, un revenu mondial de15 milliards de dollars cf. Marchand A. et Hennig-Thurau Th., (2013), op. cit. p. 10.
  • [51]
    « Zynga fait ses comptes : le jeu social en berne. », 25/10/2013,http://www.jeuxonline.info/actualite/42087/zynga-fait-comptes-jeu-social-berne
  • [52]
    Ces offres peuvent cependant être maintenues pendant plusieurs années.
  • [53]
    Cf. les prévisions de l’agence de publicité Massive Incorporated, http://www.gamasutra.com/view/news/25547/Massive_InGame_Ads_Thriving.php
  • [54]
    Bien qu’il existe sur Cydia des applications permettant d’outrepasser les achats réalisés sur l’AppStore et donc de bénéficier d’items sans les payer

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