Couverture de RSG_263

Article de revue

La légitimité par les médias de référence sur les marchés financiers :

le cas du Wall Street Journal dans les introductions en Bourse aux États-Unis

Pages 135 à 143

Notes

  • [1]
    La tonalité des articles n’a pas été étudiée dans le cadre de cette étude compte tenu de la sensibilité à de multiples biais d’une telle caractérisation. La plupart des publications mêlent en effet une analyse fondée à la fois sur les risques et sur les opportunités d’investissement. D’autre part, cette étude analyse l’effet du volume médiatique indépendamment du contenu informationnel.

1Les médias participent au processus de légitimation des entreprises au point de servir quelquefois d’indicateur en matière de légitimité (D. Deephouse & M. Suchman, 2008, p. 55-56). T.G. Pollock et V.P. Rindova (2003) ont, à ce titre, exploré l’impact occasionné par les médias sur la légitimité des entreprises au travers de leur effet sur les titres échangés le jour des introductions en Bourse (Initial Public Offeringou IPO) de l’année 1992 aux USA. Ils ont mis en évidence un effet de légitimation des médias qui est négatif sur les prix et positif sur les volumes échangés. La littérature sur la remise d’illégitimité ou illegitimacy discount (E.W. Zuckerman, 1999, p. 1415) y est mobilisée pour expliquer que l’absence de légitimité a un effet positif sur l’évolution du cours de l’action lors de son introduction du fait d’une sous-évaluation de l’offre à l’ouverture.

2Notre étude se concentre sur l’ensemble des IPO réalisées entre mi-2005 et mi-2011 sur les marchés américains et se focalise plus distinctement sur les médias de référence comme le Wall Street Journal. Nos observations contredisent partiellement les régularités mises en évidence par T. G. Pollock et V.P. Rindova (2003, p. 638). Ainsi, selon nos résultats, l’effet de la couverture médiatique concorde avec une évolution positive sur les prix à la fermeture du premier jour en Bourse. L’effet positif de la visibilité dans les médias est à ce point favorable à l’évolution du prix de l’action introduite qu’il contrebalanceraitcomplètement l’effet négatiflié à l’absence de légitimité. Par ailleurs, nous nous concentrons sur d’autres impacts des médias pour expliquer leur apport de légitimité au cours d’une introduction en Bourse. Selon nos observations, la publication sous forme d’un article du Wall Street Journal aun effet significatif sur les volumes d’actions échangées le jour de l’entrée en Bourse.

3Dans la première partie théorique du début de ce travail, nous présentons la légitimité comme un concept fondamental de lathéorie néo-institutionnelle. Les médias sont présentés comme un thème récurrent des théories sur les changements d’opinion. À partir de la notion de médiateur de légitimité (D. Deephouse & M. Suchman, 2008, p. 69-70), nous construisons une problématique autour de la légitimité apportée aux entreprises par les médias. La période de l’introduction en Bourse est un moment propice pour éprouver nos propositions. Dans l’instrumentation de nos propositions, nous montrons les indicateurs retenus pour observer les différentes catégories observées. Les problèmes d’endogénéité de la légitimité des médias et de colinéarité entre nos variables occupent une bonne part de notre attention. Nous détaillons notre protocole pour montrer la mise en œuvre de nos mesures de précaution. Enfin, la présentation des résultats nous permet de mettre en évidence les mécanismes médiatiques que nous suggèrent nos analyses statistiques. Les résultats sont confortés par la mobilisation d’approches théoriques existantes pour expliquer les différences constatées par rapport aux travaux précédents.

1. Théorie et propositions

4L’approche néo-institutionnelle des organisations mobilise le concept de légitimité afin d’expliquer pourquoi les organisations se conforment aux normes sociales. Selon cette approche néo-institutionnelle, retenue par J.P. Pichard-Stamford (2000, p. 145), les liens institutionnels entre firmes définissent le cadre des actions légitimes et fondent un réseau de liens humains fonctionnant comme un « système de rapports stables et légitimes ». Cette approche traite par ailleurs séparément les médias de masse des autres organisations du fait de leur participation à la production et à l’homogénéisation de l’environnement culturel (E. Abrahamson & C. Fombrun, 1992, p. 178-179). Nous complétons ce cadre théorique sur la légitimité des organisations par des éléments de l’approche sociocognitive des médias afin d’y faire reposer nos propositions. Notre recherche s’attache à éclairer le rôle des médias comme médiateur de légitimité (D. Deephouse & M. Suchman, 2008, p. 69-70). La légitimité, au sens de M. Suchman (1995, p. 574), est une perception ou une supposition générale du caractère désirable, approprié ou pertinent, de l’action d’une entité selon un système socialement construit de normes, de valeurs et de définitions. Nous supposons que les informations fournies aux investisseurs par les analystes au travers des médias façonnent leurs impressions(H. Dumez & A. Jeunemaître 1995, p. 35). Nous nous demandons si ces impressions se reflètent quantitativement dans les volumes de transactions et se matérialisent dans les prix des valeurs introduites en Bourse.

1.1. Le médiateur de légitimité

5Une place prépondérante est accordée aux médias dans l’étude des changements d’opinion. De W. Lippmann (1922) à M. Castells (2009) en passant par C. Hovland (1953), les études sur l’effet de la propagande ont étayé le rôle des médias. Leur vision de la société suppose que la presse fabrique le consentement de l’opinion publique. En management, C. Fombrun et M. Shanley (1990, p. 280), puis E. Abrahamson et C. Fombrun (1992, p. 177), soulignent aussi que les médias agissent entre autres pour façonner l’information au travers d’éditoriaux et d’articles caractéristiques. L’assimilation de l’information par les lecteurs transforme leurs impressions sur les actions et les événements perpétrés dans leur environnement. Les médias servent alors d’intermédiaires.

6Certains concepts précurseurs de celui de médiateur retracent les tendances suivies par l’étude des médias de masse. Des travaux de recherche d’avant-garde ont qualifié le rôle d’intermédiaire en le dénommant guide d’opinion (E. Katz & P. Lazarsfeld, 1955, p. 102). Il était alors question d’étudier les changements d’opinion obtenus auprès des masses. Des recherches plus récentes ont mis en avant la notion de prescripteur (A. Hatchuel, 1998, p. 35) dédiée à un intervenant extérieur. Le référent (J.E. Keith et al., 1990, p. 30) et l’expert intermédiaire (V.P. Rindova et al., 2005, p. 1033) évoquent également la connaissance mise à disposition par un intervenant sans, pour autant, ni bien retranscrire, ni souligner, l’importance de la transmission d’information. Cela nous amène ici à reprendre la notion de médiateur de légitimité déjà mobilisée par D. Deephouse et M. Suchman (2008, p. 49-54). Pour leur faire écho, nous nous demandons si les médias ne servent pas d’intermédiaires à la légitimité des entreprises.

1.2. La légitimité par les médias

7Les médias façonnent positivement ou négativement les informations dont ils disposent à propos d’une entreprise. Ils ne permettent pas seulement aux investisseurs de se former une opinion, mais ils leur permettent également d’apprécier le détail et la qualité des informations disponibles sur une entreprise. Les investisseurs évaluent la fiabilité et la confiance à accorder à une entreprise à la lumière des informations accessibles. Leur impression de conformité aux normes représente la légitimité qu’une entreprise possède à leurs yeux.

8Suivant différents travaux de M. Suchman, la légitimité organisationnelle se présente sous trois formes différentes : pragmatique, morale et cognitive (M. Suchman, 1995, p. 572). Les médias peuvent fournir trois formes de légitimité, chacune associée à un phénomène spécifique.

9En premier lieu, la visibilité dans les médias améliore la légitimité dite « pragmatique » par la diffusion des articles contenant de simples déclarations (D. Deephouse & M. Suchman, 2008, p. 53). Elle peut être évaluée par le volume annuel d’articles de tout genre, publiés et répertoriés par une base de données (C. Fombrun & M. Shanley, 1990, p. 242). Cette visibilité médiatique peut cependant ne pas être bénéfique pour la réputation (M.D. Pfarrer et al., 2010, p. 1131). En deuxième lieu, l’apparition dansun média spécialisé ou la publication sous un certain format, comme l’article du Wall Street Journal, fournissent un statut et une légitimité « morale » associés à la réalisation d’objectifs collectifs (D. Deephouse & M. Suchman, 2008, p. 50). Les apparitions dans certains médias ou sous certaines formes de publication peuvent être mesurées à l’aide du volume annuel d’articles diffusés dans ces publications spécifiques. Enfin, en troisième lieu, la dramatisation de certains événements par les médias procure la célébrité aux entreprises (V.P. Rindova et al., 2006, p. 50) et leur accorde une légitimité « cognitive » associée aux remises en question sur le sens des événements et leur signification. Le meilleur moyen envisagé pour évaluer la dramatisation par les médias n’a pu être mis en œuvre dans cette recherche-ci. Il aurait consisté à énumérer les articles publiés le jour même d’un événement et d’en mesurer la tonalité par un codage en double aveugle. Étudier la légitimité par les médias nous amène donc simplement à chercher l’effet quantitatif de l’exposition médiatique sur la légitimité d’une firme. Cette étude ne prendra pas en compte la dimension cognitive de la légitimité pour des raisons méthodologiques développées dans la troisième partie de cet article.

1.3. Les intermédiaires d’information en période de financement

10Certaines périodes critiques sont propices à l’observation de ces phénomènes médiatiques sur le niveau de légitimité des entreprises. En particulier, les entreprises s’exposent au jugement des investisseurs à chaque période de financement. Parmi les différents modes de financement, l’introduction en Bourse est un processus d’ouverture au public intrinsèquement lié aux médias et accessible aux chercheurs en quête de données fiables et réfutables. Les médias assurent une couverture médiatique pour les nouveaux titres offerts à leur propre public et en publient d’ailleurs généralement le cours de l’action dès le premier jour de cotation.

11L’information publiée par les médias n’affecte pas seulement le processus de formation de l’impression de légitimité par sa tonalité, positive ou négative. La légitimité d’une entreprise peut également être associée à un niveau de couverture médiatique. Au cours de notre recherche, le simple calcul de fréquence des catégories que nous eussions utilisé pour évaluer la tonalité des articles se serait heurté à plusieurs difficultés. D’une part, les mots constituant les catégories peuvent présenter plusieurs sens selon leur place dans le texte.

12D’autre part, l’usage des pronoms et des sous-entendus, généralement non comptabilisés, diminue l’intérêt d’une approche quantitative pour étudier la tonalité (R.A. Thiétart, 2007, p. 517). De plus, la tonalité est souvent sujette à interprétation, pour les lecteurs comme pour les chercheurs, et mène à des résultats non immédiats lors des introductions en Bourse (T.G. Pollock & V.P. Rindova, 2003, p. 634). Par contre, les volumes d’articles publiés mesurent directement les éléments à portée de connaissance des investisseurs pour façonner leur impression (P.C. Tetlock, 2007, p. 32).

13Une introduction en Bourse est un moment critique, au cours duquel les informations diffusées aident à obtenir des fonds auprès des investisseurs publics (T.E. Stuart et al., 1999, p. 324). Ceux-ci espèrent une évolution du prix positive et un échange facilité par la liquidité du marché secondaire d’échange des actions. Le niveau du prix et des volumes échangés témoigne de la légitimité de l’entreprise notée le jour de l’introduction. Si un investisseur voit que personne ne veut acheter, il peut décider de ne pas acheter même quand il détient une information favorable. Pour prévenir ce phénomène, un distributeur peut vouloir sous-pricer la valeur afin de pousser les premiers investisseurs potentiels à acheter et, ainsi, induire un effet cascade au travers duquel tous les investisseurs suivants s’intéressent à ce placement quelles que soient leurs propres informations (J.R. Ritter, 1998, p. 8-9). Cette hypothèse est pourtant mise à mal par nos premières observations et celles de la partie sur la surévaluation à court terme de l’étude de A.K. Purnanandam et B. Swaminathan (2004 : 25). Les entreprises médiatisées connaissent a priori les variations de cours les plus favorables le jour de leur introduction en Bourse. Les médias constituent une sorte d’intermédiaire par qui la visibilité ou la dramatisation de l’action se transforme en légitimité. Certains médias spécialisés accordent un statut à l’entreprise qu’ils médiatisent. Ils sont fréquemment ciblés par les organisations et les associations d’entreprises pour construire ou améliorer leur propre légitimité (D. Deephouse & M. Suchman, 2008, p. 55).

14Nous formulons deux propositions de recherche pour faire suite à la littérature relative au phénomène de légitimation par les médias lors des IPO. Ces deux propositions traitent de l’impact des médias sur la valorisation des titres et le volume des échanges au cours du premier jour d’introduction en Bourse.

15Proposition 1 : « L’exposition médiatique d’une firme au cours de l’année précédant son introduction en Bourse a un effet positif sur la variation du prix de clôture le jour de l’IPO par rapport au prix de l’offre ».

16Proposition 2 : « L’exposition d’une firme à travers un média de référence au cours de l’année précédant son introduction en Bourse a un effet positif sur le volume des échanges le jour de l’IPO ».

2. Instrumentation des propositions

17Les variables mentionnées dans nos propositions sont : l’exposition médiatique, la parution dans un média de référence, l’évolution du prix et le volume de titres échangés le jour de l’introduction en Bourse. La variable indépendante est à chaque fois associée à une variable dépendante. L’évolution du prix et le volume d’échanges seraient dépendants de l’exposition médiatique ou de la publication dans un média de référence. Ces différentes variables sont opérationnalisées suivant une démarche présentée ci-dessous.

2.1. La couverture des médias avant l’IPO

18Les médias sont identifiés comme un indicateur et comme une source de légitimité (D. Deephouse & M. Suchman 2008, p. 55-56). Cette position requiert de recourir à un indicateur extérieur pour évaluer l’effet des médias sur la légitimité des entreprises. Les médias jouent donc généralement un double rôle dans la recherche sur la légitimité. Ce double rôle souligne l’endogénéité de la légitimité par rapport à la couverture médiatique. Nous tentons de dépasser cet écueil en nous référant à d’autres indicateurs disponibles grâce aux données des marchés. L’endogénéité de la légitimité par rapport aux prix des valeurs boursières peut également être soulignée.

19Le problème d’endogénéité est encore plus aigu dans le cas des médias de référence tels que le Wall Street Journal, lequel figure à une place prééminente dans les études sur la légitimité. Empiriquement, les médias de référence fournissent des indicateurs attrayants pour la légitimité car ils sont facilement disponibles sous format électronique, réduisant le coût souvent prohibitif de la sélection et du traitement des échantillons sur les médias (M. Conway, 2006, p. 56). En théorie, ces médias de référence peuvent très probablement avoir influencé ceux-là mêmes qui les utilisent pour établir des mesures, parce qu’ils sont produits par et pour des élites sociales, ou des personnes aspirant à ce statut, ou encore d’autres participant au mainstreamculturel. Par ailleurs, les médias de référence imposent souvent les agendas d’autres productions de médias moins prestigieux (D. Deephouse et M. Suchman, 2008, p. 56).

2.1. Le prix le jour d’introduction en Bourse

20La légitimité d’une entreprise peut être évaluée à l’aune de ses ressources (J.W. Meyer et B. Rowan, 1977, p. 352), de ses résultats ou du prix de son action (B.D. Cohen et T.J. Dean, 2005, p. 683-684). Nous avons retenu l’évolution du prix le jour même de l’introduction plutôt que sur un plus long terme, de manière à éviter la prise en compte des effets entrecroisés de cascades entre investisseurs les jours suivants l’introduction (T.G. Pollock et al., 2008 : 351-353) ainsi que les effets conjoncturels et contextuels difficiles à analyser, comme A.K. Purnanandam et B. Swaminathan (2004 : 25-26) l’ont montré dans la partie de leur travail traitant l’évolution à long terme du prix d’une action introduite en Bourse. Le prix de l’offre reflète, à ce titre, une part de la légitimité d’une firme. Il existe trois modalités distinctes en matière de formation du prix de l’offre : La première, intitulée procédure à prix fixe, suppose que ce prix est déterminé par l’entreprise et son intermédiaire ; la seconde, nommée procédure d’enchère, signifie que le prix de l’offre découle de l’équilibre entre l’offre et la demande des titres ; la troisième, enfin, intitulée procédure du livre d’ordre, notifie que les ordres sont collectés par l’intermédiaire qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans l’allocation des titres et dans la détermination du prix de l’offre (P. Sentis, 2005, p. 228). Cette dernière méthode tend à s’imposer progressivement compte tenu de la possibilité qu’elle procure en matière d’allocation préférentielle de l’offre aux investisseurs révélant leurs informations (A.M. Faugeron-Crouzet, 2001). Cette modalité renforcerait en effet les chances de réussite de l’opération et assurerait une fixation plus précise du prix de l’offre (P. Sentis, 2005, p. 235). Le prix de clôture traduit quant à lui le montant de la transaction qui a précédé la fermeture quotidienne du marché.

2.3. Le volume des échanges le jour de l’introduction en Bourse

21Le volume des échanges est également une variable mobilisée dans le cadre de cette étude. Elle traduit le nombre cumulé de titres échangés (achats et ventes) sur une période donnée. Les investisseurs et les analystes financiers sont attachés à cet indicateur associé à la notion de « liquidité ». Les titres sont en effet jugés « liquides » dès lors qu’il est possible d’acquérir ou de céder sur le marché et au prix affiché un volume important de titres sans influer sur leurs cours. Le volume d’actions échangées fournit un indicateur de l’intérêt éprouvé par les investisseurs pour cette valeur. Un volume d’échanges élevé représente un indicateur de la légitimité du titre puisqu’il indique la sursouscription de l’offre ou le niveau auquel la demande excède l’offre d’actions introduites en Bourse (T.G. Pollock & V.P. Rindova, 2003, p. 633). Les volumes les plus importants sont généralement observés lors du premier jour d’introduction en Bourse (K. Ellis et al., 2000, p. 1050), compte tenu de l’effet médiatique généré par l’IPO et des nombreux investisseurs attirés par la sous-valorisation des titres.

22Le premier jour de l’IPO constitue, pour sa part, une période propice à l’étude de notre problématique car les investisseurs ne sont soumis qu’à deux sources informationnelles majeures que sont la couverture médiatique et le prix d’offre (F. Cornelli & D. Goldreich, 2001, p. 2360). L’évolution de la cotation au cours du premier jour d’introduction intègre a priori l’essentiel de l’effet de ces deux sources d’information. Il nous a par contresemblé beaucoup plus périlleux d’évaluer l’impact sur le prix et les volumes échangés d’une couverture médiatique, les jours suivant l’introduction, compte tenu des nombreux autres facteurs qui tendent à orienter l’évolution du titre.

3. Traitement des données

23L’échantillon retenu comprend les firmes introduites en Bourse de 2005 à 2011 aux États-Unis. Nous avons pris soin de distinguer l’impact de média (s) particulier (s) par rapport à l’ensemble des supports médiatiques répertoriés par les bases de données. Nous présentons d’abord le protocole suivi pour recueillir et analyser les principales variables mobilisées avant de présenter l’analyse de leurs apparitions statistiques et, enfin, de discuter les résultats de nos interprétations.

3.1. Le protocole

24Le protocole d’évaluation de nos propositions de recherche repose sur une procédure composée de 4 étapes :

25La première étape a pour objet d’identifier l’ensemble des introductions en Bourse (sans distinction de nationalité ni de secteur d’activité) menées aux États-Unis entre le 1er juillet 2005 et le 22 juin 2011 (date de la collecte des données à l’origine de cette étude). Ce terrain a été choisi pour quatre motifs majeurs. Premièrement, le 29 juin 2005, la Securities and Exchange Commission (SEC) a voté un assouplissement de la règle ditede « quiet period » qui interdit à toute entreprise candidate à une introduction en Bourse de communiquer pendant les 25 jours qui suivent la première cotation des titres. Il a, par conséquent, été impossible d’approfondir l’historique avant le 25 juin 2005 sans compromettre la pertinence des données collectées du fait de la difficulté à comparer les couvertures médiatiques des entreprises soumises à une IPO avant et après cette date du 25 juin 2005. L’assouplissement de la SEC a en effet conduit les entreprises à maintenir un plan de communication dans la durée. Deuxièmement, ce terrain a permis d’accéder à des données récentes tout en réduisant les biais relatifs à une éventuelle conjoncture économique homogène. Les six années étudiées couvrent en effet un cycle économique dit de J. Kitchin (1923, p. 11) avec des périodes caractérisées par une croissance forte, modérée voire négative comme en témoigne l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial édité par la Banque Mondiale pour les années 2005 à 2010 (2005 : 3, 56 %, 2006 : 4, 02 %, 2007 : 3, 94 %, 2008 : 1, 5 %, 2009 : -2, 5 %, 2010 : 4, 22 %). Troisièmement, les États-Unis constituaient encore le plus grand marché financier au monde au cours de la collecte des données. Ils ont depuis été dépassés par Hong Kong, selon le rapport annuel sur le développement financier, publié le 13 décembre 2011 par le Forum Économique Mondial. Cette progression résulte notamment de scores particulièrement élevés dans le domaine des services non bancaires incluant les assurances et les introductions en Bourse à Hong Kong. Quatrièmement, les informations à fournir à la SEC dans le processus des IPO menées aux États-Unis sont accessibles sur la période étudiée. Les informations relatives aux firmes candidates aux IPO ont été recueillies sur la base de données Hoover’s alimentée par les sources publiques de la SEC et des marchés financiers. Elle liste l’ensemble des IPO réalisées sur le marché américain entre le 1er juillet 2005 et le 22 juin 2011 (soit 734 références) et identifie, pour chacune d’entre elles, le volume des échanges, le prix de l’offre, le prix d’ouverture et le prix de clôture au premier jour d’introduction. Hoover’s est une base de données spécialisée dans les domaines économiques et financiers donnant accès à plus de 3000 sources d’informations et plusieurs millions d’entreprises.

26La seconde étape a pour objet de bâtir un échantillon représentatif de la population. Un échantillon de 27 % de celle-ci a donc été sélectionné par le biais d’un tirage équiprobable, réalisé à partir d’un générateur de nombre aléatoire physique exploitant un phénomène optique élémentaire. Ce générateur repose sur la transmission ou la réflexion aléatoire des photons au travers d’un miroir semi-transparent, associée à un bit 0 ou 1 selon que les photons parviennent ou non à s’y réfléchir. L’outil mis à disposition en ligne par des chercheurs suisses nous a ainsi permis de procéder à une sélection aléatoire des entreprises étudiées (B. Hayes, 2001). Initialement, l’échantillon présente une marge d’erreur de 5, 91 % avec un niveau de confiance de 95 %. Il couvre 200 firmes créées entre 1851 et 2009 issues de 35 industries, originaires de plus de 10 pays différents et introduites entre le 15 décembre 2005 et le 29 juin 2011 sur le marché américain. Notre échantillon aurait pu faire l’objet d’un retraitement à la manière de T.G. Pollock et V.P. Rindova (2003, p. 636-638) afin de le rendre plus homogène face à la probabilité de rencontrer une couverture médiatique. Toutefois, nous avons estimé qu’un tel retraitement, bien que partiellement sécurisé à l’aide d’une régression de probit, présentait un risque de biais de sélection des données. Le fait, par exemple, de choisir les entreprises en fonction de leur origine géographique ne nous paraît pas neutre. Une firme localisée aux États-Unis n’implique en effet pas automatiquement que sa nationalité et celle de ses investisseurs soient américaines ni que les médias locaux ne s’adressent qu’à une audience locale. Cela semble délicat de bâtir une telle typologie sans provoquer de biais significatifs. La troisième étape a pour objet de mesurer l’exposition médiatique de chaque entreprise de l’échantillon. L’indicateur utilisé a été le nombre d’articles de LexisNexis (toutes langues, zones géographiques et sujets confondus) faisant au moins une fois référence (dans le titre ou dans le corps du texte) au nom de l’entreprise (ticker) au cours de l’année précédant son introduction en Bourse (à partir de la pricing date). LexisNexis est un outil structuré d’informations appuyé sur une base de 36000 titres internationaux, nationaux et régionaux (généralistes et spécialisés) émanant de 100 pays différents. La profondeur de l’historique (un an) a été choisie suivant deux motifs majeurs. Premièrement, elle permet de comparer les diverses couvertures médiatiques sur un cycle annuel significatif à l’échelle des médias. Deuxièmement, la littérature indique que les firmes tendent à planifier leur IPO environ un an avant l’introduction effective (en raison notamment des contraintes réglementaires). Or, cette période de préparation de l’IPO génère des activités qui orientent la couverture médiatique de ces entreprises(M.D. Pfarrer et al., 2010, p. 1133). La composition de la couverture médiatique a ensuite été caractérisée en fonction de la source et de la nature des publications [1] en vue d’aboutir à deux indicateurs distincts, à savoir, la « couverture globale » (toutes publications confondues) et la « couverture dite de référence » (articles publiés au sein du Wall Street Journal). Les articles du Wall Street Journal ont été qualifiés d’articles de référence en raison de l’aura singulière dont bénéficie ce quotidien. Le Wall Street Journal est en effet le quotidien économique et financier le plus vendu au monde. Sa diffusion aux États-Unis a d’ailleurs dépassé celle du quotidien généraliste USA Today depuis octobre 2009.

27La dernière étape a pour objet de mener les calculs statistiques nécessaires à la validation des propositions de recherche. L’influence de la couverture médiatique lors d’une IPO est ici évaluée à l’aune de son impact sur le volume des échanges et de son effet sur la variation du prix de clôture du jour d’introduction par rapport au prix de l’offre. Ces corrélations ont donc été mesurées par le biais du coefficient de Kendall et du coefficient de Spearman dans une première approche destinée à observerla concordance entre ces variables. Ensuite, les contributions de nos variables au volume d’échanges et à l’évolution du prix de l’action sont testées à l’aide de modèles construits à partir de la méthode des régressions. Enfin, nous donnons une perspective théorique et pratique à nos résultats empiriques.

3.2. Les résultats statistiques

28Les caractéristiques de l’échantillon sont détaillées dans le tableau (Tab. 1) de statistique descriptive. Ce tableau caractérise l’échantillon étudié. L’asymétrie (skewness) et l’aplatissement (kurtosis) montrent à quel point les distributions de la couverture et de l’évolution du prix sont éloignées de celle de la loi normale. Nous nous sommes interrogés sur l’utilité de la standardisation des variables. Vu que nos données ne sont pas construites sur des échelles comparables (évolution du prix sous forme de pourcentage, volume d’échanges et volume de couverture médiatique sous forme de valeurs absolues), nous avons conduit les analyses statistiques sur les variables brutes et sur les variables standardisées. Au final, nous avons retenu les analyses sur les variables non standardisées car l’échantillon des variables standardisées présentait le même niveau de validité (R.A. Thiétart, 2007, p. 398), c’est-à-dire les mêmes significations pour les variables de concordance et les modèles de notre analyse statistique. Nous nous représentons en premier lieu les éventuels problèmes de colinéarité à l’aide de l’évaluation de tous les coefficients de Kendall et de Spearman pour chacune de nos variables. Ces coefficients de concordance peuvent être utilisés pour caractériser le lien entre données observées quelle que soit la forme de leur distribution. Nos variables dépendantes, l’overpricing et le volume d’échange le jour de l’IPO, sont des données observées lors d’un événement unique. Les deux autres variables sont observées pendant un an avant l’événement en question. Cela nous permet de considérer le volume des publications 1 avant l’introduction en Bourse et la couverture par le Wall Street Journal comme les variables explicatives principales de nos modèlesde l’évolution du prix et des volumes d’échanges le jour d’une introduction en Bourse.

Tab. 1

Statistiques descriptives

figure im1

Statistiques descriptives

Tab. 2

Coefficients de corrélation de Kendall et de Spearman

figure im2

Coefficients de corrélation de Kendall et de Spearman

**Corrélation significative à un niveau de 0.01 level (2-tailed).
*Corrélation significative à un niveau de 0.05 level (2-tailed). Liste N = 188
Tab. 3

Modèle des moindres carrés de l’effet de l’exposition médiatique sur l’ overpricing

figure im3

Modèle des moindres carrés de l’effet de l’exposition médiatique sur l’ overpricing

a Prédicteur : (Constant), Volume de publications 1 an avant l’introduction
Variable dépendante : Overpricing
Tab. 4

Modèle des moindres carrés de l’effet de publication dans le WSJ sur le trading volume

figure im4

Modèle des moindres carrés de l’effet de publication dans le WSJ sur le trading volume

a Prédicteur : (Constant), Couverture par le WSJ sous forme d’abstract
Variable dépendante : Volume des échanges le jour d’introduction

29Des modèles de causalité permettent de tester plus précisément la significativité de nos propositions. L’utilisation d’une régression nous conduit cependant à nous exposer à un risque élevé d’erreur de type II. Les méthodes d’estimation comme celle des moindres carrés ou du maximum de vraisemblance fournissent un test de khi-2 comparant l’hypothèse nulle à l’hypothèse alternative. Le modèle qui en résulte est accepté si l’hypothèse nulle n’est pas rejetée, contrairement à la situation classique où le modèle n’est accepté que si l’hypothèse nulle n’est pas retenue (R.A. Thiétart, 2007, p. 347).

30Cependant, même si les alternatives à l’estimation classique des coefficients de régression par la méthode des moindres carrés visent à atténuer les problèmes de multicolinéarité, ces alternatives suggèrent généralement de supprimer les variables redondantes. L’utilisation de variables principales à la place des variables explicatives initiales, du fait que ces dernières sont corrélées, ne se justifie pas si l’apport souhaité consiste à mettre en adéquation une proposition avec les variables explicatives initiales (R. Palm & A.F. Iemma, 1995, p. 30). Par ailleurs, la robustesse d’un modèle s’obtient à l’aide de méthodes qui réduisent ou annulent l’importance de données atypiques. L’information fournie par ces observations y est atténuée (Ritschard, 1990, p. 78). L’interprétation et l’utilisation du modèle conduisent en quelque sorte à trahir la portée des résultats en esquivant la spécificité de leur terrain.

31Les modèles tirés de nos propositions ont donc été testés à l’aide de la méthode des moindres carrés. Cette analyse par régression linéaire se destine aux applications prédictives et aux explications de variances et de régression. R2 et la signification des relations entre construits y indiquent dans quelle mesure le modèle convient (P.C. Pupion, 2008, p. 289). Conceptuellement, cette méthode des moindres carrés est une combinaison des principaux composants reliant les mesures au construit. Cette approche génère des coefficients de régression standardisés, lesquels peuvent être utilisés pour examiner les relations entre variables sous-jacentes. Elle ne repose pas sur des hypothèses spécifiques quant à la distribution des données pour estimer les paramètres du modèle, à propos de l’indépendance des observations, ou encore, au sujet des variables métriques. Ces suppositions non restrictives nous ont amenés à préférer cette méthode des moindres carrés à toute autre technique de modélisation.

32Les résultats du tableau Tab. 3. présentent le modèle de régression linéaire associé à notre première proposition. Ce modèle corrobore l’effet positif (R = 0, 167) de la couverture médiatique sur l’évolution du cours de l’action le jour de son introduction en Bourse. Le test consistant à retenir l’hypothèse « tous les coefficients sont nuls » présente cependant une probabilité (sig. F Change = 0, 019) non nulle de le rejeter à tort. Le modèle proposé n’est donc pas tout à fait significatif. De plus, sa contribution au R2 est limitée (R square = 0, 028).

33Les résultats de l’analyse par la méthode des moindres carrés de notre seconde proposition sont réunis dans le tableau Tab. 4.Ces résultats empiriques corroborent (sig. F Change = 0) notre proposition théorique liant le volume d’actions échangées le premier jour d’une introduction en Bourseà la publication d’un article au nom de l’entreprise dans un journal de référence, en l’occurrence, le Wall Street Journal. La parution d’un article sur l’entreprise dans un journal de référence présente un effet positif (R = 0, 315) sur le volume d’échanges le jour de l’IPO. La contribution au R2 est de l’ordre de 10 pour cent (R square = 0, 099). Ces résultats soutiennent donc notre seconde proposition, mais ne permettent pas de rejeter une proposition alternative à notre première hypothèse. Cependant, les résultats de ces deux régressions linéaires nous confortent dans notre appréciation d’un effet positif de la couverture médiatique sur les introductions. Cet effet positif s’assimile, selon nous, à un apport de légitimité par les médias aux entreprises concernées par ces introductions en Bourse.

3.3. La discussion des résultats

34Notre étude de la légitimité apportée par les médias lors des introductions en Bourse permet de mettre en avant les avantages pragmatiques et moraux que les entreprises peuvent retirer de leur couverture par les médias. Notre travail distingue l’avantage tiré de la quantité d’informations diffusées sur une entreprise de celui tiré de la diffusion d’informations qualifiées par un média de référence, même si nos résultats ne fournissent pas de soutien clair à tous nos arguments théoriques concernant l’effet du volume de publications sur le prix de l’action. L’avantage d’une large couverture médiatique sur l’évolution du prix de l’action pourra être étayé par des recherches ultérieures, tandis que l’avantage de la diffusion d’informations qualifiées est d’ores et déjà confirmé par nos observations sur les volumes de transactions. La visibilité médiatique est favorable au prix de l’action, et l’apparition dans un média de référence à la liquidité le jour de l’introduction. Ces deux critères, de prix et de liquidité, qualifient la performance d’une introduction en Bourse (P.C. Tetlock, 2007, p. 1141).

35Les données recueillies pour notre échantillon ne permettent cependant pas d’évaluer avec certitude l’effet des médias sur la volatilité d’un titre boursier. La couverture par les médias du 1er jour de notation dramatise sans doute l’évènement. A priori, cette possible dramatisation aggraverait des effets opposés sur le prix de l’action. Elle nous empêcherait de disposer d’un modèle significatif de prédiction de l’évolution du cours reposant sur une simple régression linéaire. Cette question de la dramatisation d’une introduction en Bourse par les médias parachèverait notre étude de la légitimité qu’ils apportent aux entreprises cotées. Elle devrait nous permettre de distinguer, parmi tous les articles publiés un an avant l’IPO, ceux directement associés à l’événement que constitue l’introduction en Bourse de ceux liés aux autres projets de l’entreprise. D’autres ont cependant déjà pris le soin d’approfondir cette question de l’effet des médias sur la volatilité de certains cours boursiers. L.X. Liu et al. (2008) ont en particulier établi un lien significatif entre la révision du prix de l’offre pendant la période d’introduction et la couverture médiatique. Pendant la période précédant l’offre, ils observent une relation positive entre la couverture médiatique et la sous-évaluation d’autant plus forte que l’incertitude est plus grande (L.X. Liu et al., 2008 : 19-21).L.X. Liu et al (2009) confirment leur résultat de l’année précédente, mais reconnaissent également la difficulté à établir un lien entre couverture médiatique et performance de long terme.

36Ce travail fait enfin le lien entre l’approche institutionnelle, dont la légitimité est un thème de fond, et l’approche cognitive, pour laquelle les médias ont un rôle organisationnel prépondérant. Au même titre que A. Hatchuel (1998, p. 35) met en avant le rôle de prescription, nous mettons ici en avant le rôle de médiateur de légitimité tenu par les médias. Ce rôle est positivement lié aux facteurs de succès d’une introduction en Bourse, le prix et la liquidité du cours de l’action. Le rôle des médias apparaît encore plus significatif, dans nos modèles de régression, quand la couverture médiatique est assurée par un média de référence. Le concept de médiateur de légitimité allie justement un phénomène institutionnel, la légitimité, à la dynamique interactionnelle figurée par la médiation. Il est une invitation à l’étude de l’influence des médias par la recherche théorique.

Conclusion

37Cette étude visait à déterminer l’impact du volume médiatique sur la valorisation et le volume des titres échangés lors du premier jour d’introduction en Bourse. Les travaux de T.G. Pollock et V.P. Rindova (2003, p. 631) soulignent un effet de légitimation négatif sur les prix et positif sur les volumes échangés. Notre étude, fondée sur une analyse des volumes médiatiques un an avant l’IPO, contredit partiellement les régularités mises en évidence par ces deux auteurs. L’intensité de la couverture médiatique semble en effet jouer un rôle positif sur l’évolution des prix à la clôture du premier jour d’introduction en Bourse, et ce, quelle que soit la légitimité initiale de la firme. Nos résultats soulignent en outre que la présence d’une entreprise au sein d’un média de référence, à l’instar du Wall Street Journal, contrebalance l’effet d’une absence de légitimité sur l’évolution du prix et favorise en particulier un volume d’échanges élevé.

38Notre étude a permis de mettre en évidence les effets des médias sur le cours d’une action. L’antériorité de la couverture médiatique sur le déroulement d’un événement unique est sans équivoque. Cela facilite l’établissement du lien de cause à effet. L’évolution du prix et des volumes d’actions échangées le jour de l’introduction intègrent alors tout le passé médiatique de l’entreprise. Notre étude suppose un lien positif entre le prix et le passé médiatique et soulignant fine l’effet d’une médiatisation par les médias de référence sur les volumes échangés.

39La couverture médiatique devrait, à plusieurs titres, être considérée lors de toute introduction en Bourse. La valorisation d’un titre financier le premier jour de son introduction et, surtout, le volume des échanges sont impactés par le niveau de la couverture médiatique. Au niveau du prix de l’action, cette couverture semble à même de contrebalancer l’effet produit par une sous-évaluation. La couverture par certains médias spécialisés, à l’instar du Wall Street Journal, augmente de surcroît le volume d’échanges, et par là, la liquidité de l’action.

40Une firme pourrait ainsi sécuriser son IPO en ajustant sa stratégie à l’aune des retombées médiatiques en mesure d’être produites. À l’inverse, un analyste financier pourrait considérer ces indicateurs pour ajuster ses conseils aux investisseurs. Selon les rôles, l’objectif serait de maintenir ou de surveiller le flux informationnel concernant l’entreprise au cours de l’année précédant l’introduction en Bourse. Cela leur imposerait également d’identifier les stratégies de communication les plus enclines à produire un écho au sein des médias. Nos résultats permettent déjà de préciser en quoi la couverture médiatique par les journaux de référence favorise le succès d’une IPO.

41Cette étude ne prend pas en compte l’effet de la légitimité, dite cognitive (caractérisée par le contenu et la tonalité des informations), sur la valorisation et la liquidité des titres. Or, il se pourrait que cette variable joue un rôle significatif dans l’évolution du marché et ce, plus particulièrement lors du premier jour de l’introduction en Bourse. Cette journée est en effet singulière compte tenu de l’attention particulière que les investisseurs réservent à tous signaux capables de sécuriser ou encore d’optimiser leur arbitrage. Une étude centrée sur la couverture médiatique le jour de l’IPO permettrait probablement de distinguer la part de médiatisation liée à la volatilité du cours à celle qui est associée à la pure valorisation. Une série de facteurs contingents (P.M. Lee et al., 2011), propres à l’entreprise, à son secteur, à ses partenaires souscripteurs, se reflètent également dans le prix de l’action le jour de l’introduction. Par exemple, la présence de banques d’investissement permet de bénéficier de phénomènes positifs sur le marché de l’introduction en Bourse, du fait des sentiments qu’une banque introductrice donnée peut exercer sur les investisseurs. D.O. Cook et al. (2006 : 59) assimilent le rôle de la principale banque d’investissement d’un IPO à un agent marketing. Nous ne faisons qu’évoquer cet effet ici, mais un autre travail fait l’objet d’une étude approfondie sur l’effet de légitimation de la banque introductrice sur la valeur de l’entreprise introduite.

42Il conviendrait en outre de déterminer si la réputation(P.M. Lee et al., 2011) et la célébrité (V.P. Rindova et al., 2006) d’une firme conditionnent l’impact des informations sur l’évolution des titres. L’étude de M.D. Pfarreret al. (2010, p. 1131-1132) donne là encore des premiers indicateurs sur le sujet. Leur étude souligne que les entreprises réputées ou célèbres bénéficient des informations positives à leur sujet tout en limitant l’impact des informations à caractère négatif les concernant (M.D. Pfarrer et al., 2010, p. 1132). Il semblerait à ce titre qu’un management stratégique de l’information leur permette de bâtir un cadre interprétatif, un environnement cognitif et informationnel, à même de sécuriser l’évolution d’un titre en dépit d’éventuelles informations déstabilisantes.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Théorie néo-institutionnelle, Introduction boursière, Média, Légitimité

Date de mise en ligne : 11/02/2014.

https://doi.org/10.3917/rsg.263.0135

Notes

  • [1]
    La tonalité des articles n’a pas été étudiée dans le cadre de cette étude compte tenu de la sensibilité à de multiples biais d’une telle caractérisation. La plupart des publications mêlent en effet une analyse fondée à la fois sur les risques et sur les opportunités d’investissement. D’autre part, cette étude analyse l’effet du volume médiatique indépendamment du contenu informationnel.
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