1 Avec une population vieillissante et le développement démographique et économique des zones intérieures, le flux de travailleurs migrants vers les zones côtières se tarit. Ce phénomène sans précédent pose un important problème en matière de ressources humaines pour la Chine dont le développement économique, depuis le début de la réforme sociale, s’est bâti sur une réserve abondante de travailleurs migrants ruraux et d’une utilisation de main-d’œuvre non qualifiée et bon marché. Ce flux migratoire en provenance des zones rurales intérieures de la Chine a assuré le développement manufacturier dans les zones côtières où sont localisées les usines exportatrices (J.D. Sachs & W.T. Woo, 2001 ; S. Li, 2010).
2 Aujourd’hui cependant, en raison du vieillissement de la population et de la politique chinoise de développement des zones intérieures du pays, ce flux de main-d’œuvre se tarit en dépit de l’augmentation des salaires.
3 Les caractéristiques de cette population migrante ont également changé. La génération née après 1978, dans la période de la réforme sociale et de la politique de l’enfant unique, est souvent décrite comme individualiste, matérialiste, hédoniste, et entreprenante tandis que la génération née dans la période de la révolution culturelle 1966-1976 a connu un environnement promouvant les valeurs d’équité, de conformisme et de sacrifice pour l’intérêt commun (S. Rosen, 1990).
4 Ce constat fait émerger une question centrale : est-ce que cette pénurie de main-d’œuvre a une influence sur les formes de coopération entre les générations ?
5 Avec un clivage fort entre des générations ayant des finalités et des valeurs différentes (J. Sun & X. Wang, 2010), nous souhaitons nous intéresser aux formes de partage et de coopération qui ont pu émerger dans les entreprises (e.g. formation, compagnonnage, etc.).
6 Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs dans des usines chinoises avec des managers et des opérateurs.
7 Nous souhaitons identifier si le management en usine, conscient de cette problématique, va chercher à favoriser des formes de coopérations entre générations pour attirer et conserver les employés.
8 Les résultats de ce travail ouvriront des voies d’amélioration pour la gestion des compétences des travailleurs dans les usines chinoises.
1. Contexte générationnel de la Chine et populations migrantes
1.1. La Chine et sa population vieillissante
9 La Chine doit aujourd’hui faire face à un vieillissement de sa population. Le pourcentage des personnes de plus de 60 ans est passé de 10.3 % en 2000 à 13.3 % en 2010, tandis que celui des moins de 15 ans est passé de 22.9 % à 16.6 % sur la même période (National Bureau of Statistics, 2011).
10 La baisse de la fécondité et l’allongement de la durée de la vie ne cessent de bouleverser la structure par âge de la population chinoise. Selon les projections démographiques des Nations Unies, le pourcentage des personnes âgées de 65 ans ou plus, qui était de 7 % en 2000, devrait plus que tripler d’ici 2050 pour atteindre 25 % ; la Chine comptant alors 330 millions de personnes âgées (W. Chen & J. Liu, 2009).
11 Cette modification de la pyramide des âges voit sa source dans une large mesure dans la politique de contrôle strict des naissances mise en place pour contenir l’explosion démographique que la Chine a connue dans la seconde partie du XXe siècle. La population chinoise a en effet plus que doublé en l’espace de 50 ans passant de 583 millions d’habitants en 1953 à 1 340 millions d’habitants en 2010.
12 Ce phénomène pose aujourd’hui un important problème en matière de ressources humaines pour le développement économique de la Chine.
1.2. Les travailleurs migrants : moteur économique de la Chine
13 Le développement industriel de la Chine depuis son entrée dans l’économie de marché en 1978 est intimement lié à l’histoire des travailleurs migrants issus des campagnes. Malgré les efforts d’industrialisation des années 1950 et 1960, la Chine était très pauvre et principalement rurale au début de la réforme. Le secteur de l’agriculture employait 71 % de la force de travail et était taxée sévèrement pour soutenir l’industrie.
14 Du fait de cette pression pesante sur le secteur agricole, cette libéralisation a eu des résultats immédiats. Entre 1981 et 1984, les rendements des cultures ont augmenté en moyenne de 10 % par an. Ces bons chiffres ont eu pour effet de réduire les besoins en ressources humaines et ont entraîné une réallocation du surplus de main-d’œuvre paysanne vers des industries. Le développement de la Chine entre 1978 et 1994 a amené la création de 100 millions de nouveaux emplois (J.D. Sachs & W.T. Woo, 2001).
15 Dans le même temps, en 1980, afin d’intégrer la Chine de manière progressive dans les systèmes financiers et commerciaux internationaux, quatre villes côtières du Sud de la Chine (Shantou, Shenzhen, Xiamen et Zhuhai) sont désignées « Zones Economiques Spéciales » avec le droit d’expérimenter de nouvelles institutions, et des droits comme l’accord des compagnies à capitaux étrangers et la collecte de nombreuses taxes (J.D. Sachs & W.T. Woo, 2001).
16 Les avantages conférés aux zones économiques spéciales par rapport aux zones intérieures, combinés avec les avantages géographiques inhérents aux régions côtières à participer au commerce international, ont contribué aux migrations massives de travailleurs des provinces intérieures vers les économies côtières bourgeonnantes. Ces villes côtières reçoivent alors un afflux très important de migrants. Les villes de Shenzhen et Dongguan dans la province du Guangdong comptent ainsi, au début du siècle, une population active composée de 70 à 80 % de migrants (J.D. Sachs & W.T. Woo, 2001).
17 Les travailleurs migrants sont une population jeune. D’après l’enquête sur les migrations rurales/urbaines réalisée par le Bureau national des statistiques de Chine (NBS, 2009), 41.6 % d’entre eux avaient entre 16 et 25 ans, 20 % d’entre eux avaient entre 26 et 30 ans, 22.43 % d’entre eux avaient entre 31 et 40 ans, 11.9 % d’entre eux avaient entre 40 et 50 ans, et 4.2 % avaient plus de 50 ans.
18 Selon les déclarations de Li Bin, directeur de la commission sur la population nationale et la planification des familles de Chine, rapportées par le quotidien chinois China Daily (édition du 3 mars 2011), les travailleurs migrants restent en général quelques années avant de repartir chez eux dans la campagne où ils achètent une maison avec l’argent accumulé pendant la période de migration et fondent une famille. La moitié de ces migrants reste en général plus de 3 ans dans une même ville. Bien que le salaire moyen dans les villes soit bien plus élevé que les revenus du travail de la terre, la plupart des travailleurs perçoivent des rémunérations inférieures ou proches du salaire minimum urbain (S. Li, 2010).
1.3. Les caractéristiques de cette population migrante ont changé.
19 Il est possible de distinguer deux générations de migrants : une première génération née avant la réforme de 1979 et une deuxième génération née après cette réforme. Cette différenciation s’est cristallisée dans l’expression populaire de « balinghou » qui signifie littéralement « après les années 1980 ».
20 La notion de génération est utilisée de manière courante pour donner du sens à des différences d’âge entre des groupes dans une société et des individus dans une période donnée (J. Pilcher, 1994). Selon K. Mannheim (1952), le style de pensée ou la « vue sur le monde » est conditionné socialement par l’appartenance à une génération (ou cohorte de naissance). Les personnes de différentes générations ont donc des façons définies de se comporter, de ressentir et de penser. Dans son analyse, les personnes sont influencées de manière cruciale par le contexte socio-historique prédominant durant leur jeunesse.
21 Dans un contexte chinois, J. Sun & X. Wang (2010) avancent que la population chinoise peut être divisée en quatre générations par rapport à quatre mouvements sociaux particuliers qui se sont produits en Chine après 1949 : « le grand bond en avant », « la révolution culturelle », « le début de la réforme sociale », et « la transition sociétale » qui ont eu un impact fort sur les différentes générations. Ils démontrent ensuite qu’il existe un clivage fort entre ces générations ayant des finalités et des valeurs différentes (J. Sun & X. Wang, 2010).
22 Le grand bond en avant (1958 – 1961) fut une campagne politique, économique et sociale visant à transformer rapidement la Chine sous le communisme d’une société essentiellement agraire vers une société industrielle. Elle s’est soldée par un échec. Néanmoins, le climat général d’idéalisme, de collectivisme, d’héroïsme, et d’enthousiasme de la période a eu un impact sur la jeunesse de l’époque (J. Sun & X. Wang, 2010).
23 La période de la révolution culturelle (1966-1976) fut une période de bouleversements politiques, sociaux et économiques du pays. Des millions de jeunes Chinois ont rejoint les gardes rouges pour sauvegarder le chemin communiste et son leader, le président Mao. Les valeurs prônées durant cette période portent sur le sacrifice du confort matériel et de la vie familiale pour le bien du pays (K.H. Hung, F.F. Gu & C.K. Yim, 2007).
24 Les politiques modernes de Deng Xiaoping ont signifié le début de la période de la réforme sociale (1978) qui encourageait la réussite individuelle, le matérialisme, l’efficacité économique et l’entrepreneuriat. Même si les reformes sociales ont réhabilité Confucius, la jeunesse chinoise qui a grandi durant cette période de la reforme sociale est souvent décrite comme individualiste, matérialiste, hédoniste et entrepreneuriale (S. Rosen, 1990). Les travailleurs migrants faisant partie de cette génération sont aujourd’hui âgés de 33 ans ou moins. Cette génération coïncide avec l’expression populaire de balinghou.
25 Il faut cependant noter que cette expression fait aussi référence dans la mémoire collective à la date à partir de laquelle a été mise en place la politique de l’enfant unique qui est qualifiée de « petit empereur ».
26 Selon T. Maurer, K. Wrenn & E. Weiss (2003), la définition d’un travailleur âgé renvoie à des personnes de plus de 35 ans. F. Grima (2007) a identifié différentes études portant sur la définition d’un travailleur âgé qui précisent une moyenne autour de 50 ans. Dans le cadre de notre étude, nous considérons qu’un travailleur migrant qualifié d’âgé est un travailleur ayant un peu plus de 30 ans.
27 Ce choix s’est fait en cohérence avec le retour du management lors des interviews. De plus, selon les données du Bureau national des statistiques de Chine (BSN, 2009), les moins de 30 ans correspondent à plus de 58 % de la population des migrants. En outre, les plus de 30 ans correspondent à la « nouvelle génération de travailleurs ruraux migrants », définie par le Bureau National des statistiques (BSN, 2009). Cette définition renvoie à des travailleurs ayant émigré 6 mois ou plus dans l’année et faisant partie de la population des travailleurs ruraux nés après 1980. Les travailleurs migrants ruraux nés avant 1980 sont définis par opposition comme « la précédente génération de travailleurs ruraux migrants ».
2. Cadre théorique
2.1. Diversité des savoir-faire dans les usines chinoises
28 Dans le contexte actuel de mondialisation, de nombreux secteurs de l’industrie doivent faire face à l’internationalisation de leurs fournisseurs et de leurs clients (K. Evrard Samuel, A. Spalanzani, 2006).
29 La délocalisation d’entreprises occidentales et l’émergence d’usines chinoises pour la réalisation de biens ordinaires à faible valeur ajouté font émerger de grandes différences de savoir-faire entre les différentes usines.
30 Selon B. Delay (2008), si la stabilité et la mixité des collectifs semblent créer un environnement favorable aux échanges intergénérationnels, c’est également le cas de l’assouplissement des contraintes de production.
31 L’intervention de l’entreprise ne peut donc se limiter à un aménagement de l’espace physique, ni même à la constitution de collectifs mixtes en termes d’âge et d’ancienneté. Elle doit aussi participer à créer les conditions favorables au niveau de l’organisation quotidienne de l’activité (notamment en desserrant la pression temporelle) pour que puisse s’enclencher une dynamique coopérative entre les générations. B. Delay (2008) ajoute que la richesse de la transmission intergénérationnelle se retrouve dans la coopération.
32 Ainsi, dans les usines sans savoir-faire spécifique, où les ouvriers accomplissent un travail à la chaîne sur les lignes d’assemblage chinoises sous contrainte temporelle, les conditions ne sont pas favorables à l’émergence de dynamiques coopératives entre les générations. En revanche, dans les usines avec un savoir faire spécifique, où il existe une transmission intergénérationnelle, les dynamiques coopératives entre les générations sont favorisées. Ce qui nous amène à formuler l’hypothèse suivante :
33 Hypothèse 1 : Des formes de coopération intergénérationnelles au travail sont présentes dans les usines ayant un savoir-faire spécifique (qui est détenu par la population âgée) et absentes (ou peu présentes) dans les usines n’ayant pas de savoir-faire spécifique.
2.2. Influence de l’origine géographique des travailleurs chinois
34 Les migrations en Chine sont strictement régulées à travers le système de hukou. Les personnes qui cherchent à changer de lieu de résidence de façon permanente ou de façon formelle doivent obtenir l’accord des autorités locales. Pour les résidents urbains, le changement de résidence à l’intérieur des frontières d’une ville ou d’une division administrative est généralement autorisé. En revanche, le changement formel ou de façon permanente du hukou au delà des frontières de la ville ou de la division administrative est strictement régulé et nécessite l’accord des autorités de sécurité publique.
35 Cet accord est donné de manière parcimonieuse et uniquement s’il existe de bonnes raisons pour ce changement et que cela sert ou n’est pas en opposition avec les intérêts politiques locaux ou du centre. De manière générale, il est très difficile de changer un hukou des zones rurales vers les petites villes. (F.L. Wang, 2005 ; K.W. Chan, 2009).
36 En conséquence, le système de hukou dans la période postérieure à la réforme sociale a fonctionné de facto comme un système de passeport interne pour prévenir l’exode interne. Aujourd’hui, le système fonctionne davantage comme un système limitant la distribution des bénéfices locaux et des droits. Les migrants ruraux sont autorisés à se déplacer et à travailler dans les villes (sous la catégorie « résidence temporaire »), mais ils ne peuvent pas avoir un hukou dans la ville où ils résident.
37 Ces migrants ne sont ainsi pas éligibles auprès des avantages et services sociaux dont les résidents urbains ordinaires bénéficient de manière automatique (K.W. Chan, 2011).
38 Ces migrants sont originaires de différentes provinces. L’appartenance à une province peut avoir une influence sur les normes, attitudes et valeurs des personnes. Selon L.C. Chang (2006), il existe en Chine des sous-cultures, c’est-à-dire des groupes dont les membres diffèrent du groupe majoritaire en ce qui concerne le point de vue, le style de vie et pensent qu’ils sont différents des autres groupes. S’intéressant aux différents styles des hommes d’affaires, L.C. Chang (2006) explique qu’à travers l’histoire, les personnes de différentes régions ont présenté des caractéristiques distinctes, et que plus récemment, ces distinctions ont ré-émergé ou évolué dans des caractéristiques qui différencient les hommes d’affaires de différentes régions. Il fournit ainsi une description générale des différents styles des hommes d’affaires de différentes parties ou villes de la Chine : Pékin, Shanghai, Canton, le Nord-Est (Heilongjiang, Jilin, et Liaoning), le Sichuan, et le Zhejiang.
39 Sur les travailleurs, il note que les travailleurs sont influencés par le provincialisme : ils rejettent ceux qui ne sont pas de la même province, ce qui génère des conflits et des problèmes (L.C. Chang, 2006).
40 Ces éléments nous amènent à formuler l’hypothèse suivante : Hypothèse 2 : L’origine géographique des travailleurs (provinces et villes d’origine) a un effet sur les formes de coopération entre les travailleurs.
2.3. Fidélisation des travailleurs chinois
41 Depuis son entrée dans l’économie de marché, le développement de la Chine s’est en grande partie réalisé grâce à ces travailleurs migrants ou « Ming Gong ». Cet important flux migratoire en provenance des zones rurales intérieures de la Chine est allé chercher du travail dans les zones côtières où sont localisées les usines exportatrices et où les salaires sont plus élevés (J.D. Sachs & W.T. Woo, 2001). En 2010, ce nombre de travailleurs migrants ruraux est estimé à 155 millions de personnes (F. Cai, D. Yang & D. Wang, 2011).
42 Cependant, en se basant sur les données du recensement de 2010, Li Bin, directeur de la commission sur la population nationale et la planification des familles de Chine, constate que de plus en plus de travailleurs migrants affluent dans les villes intérieures du pays, renversant une tendance pour laquelle des millions de personnes s’étaient déplacées vers les régions côtières à la recherche d’un travail.
43 La province de Guangdong, par exemple, voit sur la période 2000-2005, une migration négative de 1,7 million de personnes souvent dirigée vers les provinces d’origine des migrants comme le Hunan et le Jiangxi, ce qui correspond à un retour des anciens migrants (K.W. Chan, 2011).
44 Ce changement de tendance représente un défi majeur pour les usines exportatrices situées dans les zones côtières. Traditionnellement habituées à avoir une main-d’œuvre abondante et bon marché, elles font face aujourd’hui à une pénurie de travailleurs
45 Dans ce contexte, elles doivent développer des stratégies pour fidéliser les travailleurs migrants et en recruter de nouveaux. Elles doivent aussi maintenir dans leur organisation les compétences stratégiques dont elles ont besoin, compétences souvent détenues par les salariés les plus expérimentés (H. Rouilleault, 2005).
46 Les entreprises se trouvent confrontées à la nécessité de se transformer en organisation d’apprentissage (C. Argyris & D.A. Schon, 1978), c’est-à-dire de propager et transmettre leurs connaissances et savoir-faire au sein de l’entreprise afin de maintenir un avantage compétitif (E.M. Pertusa Ortega & L. Rienda Garcia, 2005).
47 Nous formulons l’hypothèse suivante :
48 Hypothèse 3 : Dans les usines ayant un savoir-faire spécifique, pour faire face à la pénurie de travailleurs migrants, le management développe des stratégies pour fidéliser les anciens travailleurs qui favorisent les coopérations intergénérationnelles.
3. Méthode
49 Les données ont été recueillies par entretiens semi-directifs en usine. Les entretiens ont été réalisés par des auditrices de nationalité chinoise à partir d’une grille d’entretiens traduite en chinois. Les entretiens ont été réalisés en chinois mandarin. Un descriptif de la population de travailleurs a été effectué pour les cinq usines dans lesquelles ont été réalisés les entretiens. Les entretiens avec le management comme avec les opérateurs se sont déroulés individuellement (auditeur-travailleur) à l’intérieur des différents sites de production.
3.1. Caractéristiques de l’échantillon
50 Les données ont été collectées dans des usines chinoises basées dans les provinces côtières de Guangdong et Fujian dans lesquelles ont été interviewés des dirigeants et des travailleurs. L’usine 1 est une usine de chaussures qui emploie 200 personnes. La répartition de l’âge est approximativement : 5 % de travailleurs âgés de 16 à 20 ans, 60 % de travailleurs âgés de 20 à 30 ans, 35 % de travailleurs âgés de plus de 30 ans. Le turnover est faible avec 80 % des travailleurs ayant plus de 2 ans d’expérience. 70 % des travailleurs sont de sexe féminin et 30 % sont de sexe masculin. Le travail est de type léger et ne nécessite pas d’expertise. Le niveau d’éducation se situe dans la moyenne du collège et lycée. Les travailleurs comprennent 5 % de locaux et 95 % de migrants principalement originaires de la province du Hunan. Les interviews comprennent : la responsable des ressources humaines, âgée de 45 ans, de sexe féminin, ainsi que 3 travailleurs de sexe féminin, âgés de 30 à 45 ans, niveau lycée, travaillant dans les ateliers de découpe, d’assemblage et de packaging, originaires des provinces du Hunan et du Guangxi. L’usine 2 est une usine d’ustensiles de cuisine qui emploie 500 personnes. La distribution de l’âge est approximativement : 2 % de travailleurs âgés de 16 à 20 ans, 30 % de travailleurs âgés de 20 à 30 ans, 68 % de travailleurs âgés de plus de 30 ans. Le turnover est faible avec 60 % des travailleurs ayant plus de 3 ans d’expérience. 70 % des travailleurs sont de sexe masculin et 30 % sont de sexe féminin. Le travail est pénible et nécessite souvent une expertise. Le niveau d’éducation est collège. Les travailleurs comprennent 60 % de migrants originaires de la province du Guangxi et 30 % sont originaires de la ville de Hunan dans la province du Hebei ou bien d’autres provinces. Les interviews comprennent : le responsable des ressources humaines et le responsable de la production. Ils sont de sexe masculin, âgés respectivement de 38 et 46 ans, ainsi que 5 travailleurs de sexe masculin âgés de 30 à 40 ans travaillant dans les ateliers d’emboutissage, de peinture et d’assemblage.
51 L’usine 3 est une usine de jouets en plastique qui emploie 1500 personnes. La distribution de l’âge est approximativement : 30 % de travailleurs âgés de 16 à 20 ans, 50 % de travailleurs âgés de 20 à 30 ans, 20 % de travailleurs âgés de plus de 30 ans. Le turnover est élevé avec seulement 30 % des travailleurs ayant plus de 3 ans d’expérience. 50 % des travailleurs sont de sexe féminin et 50 % sont de sexe masculin. Le travail est de type léger et ne nécessite pas d’expertise. Le niveau d’éducation se situe dans la moyenne du lycée ou collège. Les travailleurs comprennent 5 % de locaux et 95 % de migrants en provenance de diverses provinces. Les interviews comprennent : le responsable des ressources humaines et des systèmes de management. Ils sont de sexe féminin, âgées de 30 ans, diplômées de l’université, ainsi que 3 travailleurs de sexe masculin, âgés de 25 à 30 ans, travaillant dans les ateliers d’injection et d’assemblage, et ayant travaillé dans l’entreprise depuis 1 à 2 ans.
52 L’usine 4 est une usine de mobilier qui emploie 500 personnes. La distribution de l’âge est approximativement : 10 % de travailleurs âgés de 16 à 20 ans, 30 % de travailleurs âgés de 20 à 30 ans, 60 % de travailleurs âgés de plus de 30 ans. Le turnover est faible avec 70 % des travailleurs ayant plus de 2 ans d’expérience. 50 % des travailleurs sont de sexe féminin et 50 % sont de sexe masculin. Le travail est de type intermédiaire et ne nécessite pas d’expertise. Le niveau d’éducation est celui du collège. Les travailleurs comprennent 30 % de locaux et 70 % de travailleurs migrants en provenance du Jiangxi. Les interviews comprennent : le responsable de la production et de la vente, de sexe masculin, âgé de 40 ans, diplômé de l’université, ainsi que 5 travailleurs de sexe masculin âgés de 30 à 40 ans, niveau lycée, travaillant dans les ateliers d’assemblage et avec plus de 4 ans d’expérience.
53 L’usine 5 est une usine de jouets qui emploie 50 personnes. La distribution de l’âge est approximativement : 0 % de travailleurs âgés de 16 à 20 ans, 40 % de travailleurs âgés de 20 à 30 ans, 60 % de travailleurs âgés de plus de 30 ans. Le turnover est intermédiaire avec 50 % des travailleurs ayant plus de 3 ans d’expérience. 80 % des travailleurs sont de sexe féminin et 20 % sont de sexe masculin. Le travail est de type léger et ne nécessite pas d’expertise. Le niveau d’éducation est celui du collège. Les travailleurs comprennent 1 % de locaux et 99 % de migrants. Les interviews comprennent : le responsable de production, de sexe féminin, âgée de 40 ans, responsable de la production ; ainsi que 3 travailleurs de sexe féminin âgées de 25 à 50 ans, niveau lycée, travaillant dans les ateliers de découpe, soudure et packaging et ayant travaillé dans l’entreprise depuis 2 ans.
3.2. Grille d’entretiens
54 Nous avons réalisé deux grilles d’entretiens pour le management et les ouvriers des usines.
55 Les questions posées pour le management sont les suivantes :
- Quel est votre âge ? expérience professionnelle ? sexe ? Quelle qualification avez-vous ?
- Pensez-vous qu’il y ait une pénurie de main-d’œuvre concernant votre activité ?
- Si oui, comment ressentez-vous les effets de la pénurie de main-d’œuvre ?
- Si oui, quelle est votre stratégie pour répondre à cette pénurie de main-d’œuvre ?
- Avez-vous mis en place des actions spécifiques pour les jeunes travailleurs ?
- Avez-vous mis en place des actions spécifiques pour les travailleurs âgés ?
- Quelle est la nature des relations entre les jeunes travailleurs et les travailleurs âgés ?
- Quelle formation avez-vous mise en place pour les jeunes travailleurs ?
- Qu’en est-il des relations entre personnes issues d’une même province ?
- Les questions posées pour les ouvriers sont les suivantes :
- Quel est votre âge ? expérience professionnelle ? sexe ? Quelle qualification avez-vous ?
- Pensez-vous qu’il y ait une pénurie de main-d’œuvre concernant votre activité ?
- Si oui, comment ressentez-vous les effets de la pénurie de main-d’œuvre ?
- Dans le cadre de votre travail (avec vos collègues), pourriez-vous décrire la relation que vous entretenez avec les travailleurs âgés ? Avec les jeunes travailleurs ? Pourriez- vous expliquer votre fonction et vos responsabilités ?
- En dehors du cadre de travail, pourriez-vous décrire la relation que vous entretenez avec les travailleurs âgés ? Avec les jeunes travailleurs ?
- Comment transférez-vous vos compétences à d’autres personnes ? Recevez-vous ou avez-vous reçu un transfert de connaissances dans cette usine ou dans une autre usine ? Est-ce que vous pourriez les décrire ?
4. Résultats
H1 : Des formes de coopérations intergénérationnelles au travail sont présentes dans les usines ayant un savoir-faire spécifique (qui est détenu par la population âgée) et absentes (ou peu présentes) dans les usines n’ayant pas de savoir-faire spécifique.
57 Parmi les usines étudiées, certaines nécessitent que les ouvriers possèdent un savoir-faire spécifique pour la bonne exécution de leur tâche. C’est le cas de l’usine de fabrication d’ustensiles de cuisine (usine 2) notamment pour les opérations d’emboutissage et de peinture ainsi que l’usine de fabrication de mobilier particulièrement pour les opérations de séchage, de découpe, de perçage, d’assemblage, de ponçage et de peinture. En revanche, certaines activités pour d’autres usines ne nécessitent aucun savoir-faire spécifique. C’est le cas des usines de jouets (usine 3 et usine 4) notamment pour les opérations d’injection plastique et d’assemblage. Dans ces usines, la décomposition des tâches est proche du taylorisme. En effet, n’importe qui peut être affecté à un poste de travail dans la mesure où les tâches qui sont à réaliser ne demandent aucune qualification particulière (C. Everaere, 2008). L’usine de chaussures (usine 1) représente un cas limite : les opérations de collage et d’assemblage sont très simples tandis que les opérations de découpe sont modérément complexes. On observe des formes de coopérations intergénérationnelles uniquement dans les usines qui nécessitent de la part des ouvriers un savoir-faire spécifique pour la bonne exécution de leurs tâches, à savoir l’usine d’ustensiles de cuisine (usine 2) et l’usine de mobilier (usine 4). Dans l’usine d’ustensiles de cuisine, la personne qui a conduit les entretiens rapporte ainsi que « les anciens travailleurs ont une bonne relation avec les nouveaux travailleurs et les accueillent ». Elle constate également un nombre élevé de travailleurs anciens. Dans l’usine de mobilier (usine 4), elle note que « les anciens travailleurs accueillent les nouveaux travailleurs et les forment. Les anciens travailleurs développent leurs compétences ».
58 Dans l’ensemble des usines, la formation initiale des nouveaux employés présente des formes similaires. Celle-ci est réalisée par le superviseur de la ligne de production. Celui-ci explique avant de commencer le travail au nouvel employé la séquence des opérations à exécuter sur son poste de travail. Après cette courte formation initiale, l’ouvrier qui aurait une question ou un problème dans l’exécution de son travail s’adresse en priorité à son voisin sur la ligne de production. Ceci signifie que le complément de la formation initiale est dispensé à travers les coopérations qui peuvent se développer dans le cadre du travail. Ainsi, dans l’atelier d’emboutissage de l’usine d’ustensiles de cuisine (usine 2), où les ouvriers travaillent en trois shifts sur une même machine, le savoir spécifique est transmis par des anciens ouvriers vers les jeunes travailleurs ouvriers sur la même machine. Un travailleur ajoute : « Si la relation entre les ouvriers est bonne, ils peuvent parler de travail en dehors de l’usine ». En revanche, dans les usines n’ayant pas de savoir-faire spécifique, les ouvriers jeunes et les ouvriers âgés expriment chacun qu’ils n’ont pas besoin d’avoir de relations avec l’autre groupe. Dans l’usine de peluches (usine 5), une ouvrière décrit ainsi sa relation avec les autres employés : « J’habite à l’extérieur de l’usine avec mon petit ami. Je n’ai pas besoin d’avoir de bonnes relations avec les anciens travailleurs. J’ai déjà mes amis ». Une autre ouvrière explique : « J’ai une famille donc je n’ai pas le temps de connaître plus de travailleurs dans l’usine. Je reviens directement à la maison après le travail supplémentaire ».
59 L’absence de savoir-faire spécifique et l’organisation du travail réduisent le besoin de coopération entre les ouvriers. Dans l’usine de jouets (usine 3), sur les lignes d’assemblage, c’est la vitesse de défilement de la ligne de production qui fixe la cadence du travail. L’ouvrier doit réaliser son opération sur chacune des pièces qui défilent devant lui. Dans l’usine de jouets (usine 5), sur les postes individuels, où les ouvriers sont payés à la pièce, ce sont les quotas de production journaliers qui fixent la cadence de travail. L’ouvrier souhaite terminer le plus rapidement son quota journalier pour pouvoir rentrer chez lui et n’a pas le temps d’échanger avec ses collègues pendant les horaires de travail. Dans l’usine de chaussures (usine 1), un ouvrier explique : « je ne connais que des travailleurs du même étage, on ne parle pas trop durant le travail ».
60 On observe dans les usines ayant un savoir-faire spécifique détenu par la population âgée des formes de coopérations intergénérationnelles au travail qui ne sont pas présentes dans les usines n’ayant pas ou peu de savoir-faire spécifique.
H2 : L’origine géographique des travailleurs (provinces et villes d’origine) a un effet sur les formes de coopération entre les travailleurs.
61 Dans l’usine de chaussures (usine 1), les ouvriers interviewés expliquent que les travailleurs récemment arrivés n’ont en général que quelques amis au sein de l’usine. Il n’est pas courant que les nouveaux travailleurs tissent des liens avec les anciens travailleurs. Dans cette usine, les cas qui échappent à cette règle sont ceux où le nouveau travailleur a été introduit par un ancien travailleur.
62 On retrouve des relations similaires dans l’usine de fabrication d’ustensiles de cuisine (usine 2) où un ouvrier récemment recruté qui travaille dans l’atelier de peinture explique qu’il n’a pas d’expérience à ce poste mais que son oncle travaille dans le même atelier et va le former.
63 Dans les zones côtières, où la plupart des travailleurs sont migrants, la majorité des nouveaux travailleurs sont introduits par des anciens travailleurs. Ces liens entre travailleurs d’une même ville et province peuvent polariser fortement la distribution des origines des ouvriers au sein d’une même usine. Le cas de l’usine d’ustensiles de cuisine (usine 2) où la grande majorité des ouvriers sont originaires de la province chinoise du Guangxi illustre bien cette dynamique. Il s’agit d’une situation spécifique à la zone industrielle dans laquelle se trouve l’usine. La zone industrielle comprend quelques grosses usines de plus de 1000 travailleurs dont la majorité des ouvriers sont migrants et originaires des provinces chinoises du Guangxi ou Jiangxi.
64 Les travailleurs interrogés originaires de la même province louent une chambre dans le même bâtiment et ils sortent souvent ensemble après le travail.
65 L’importance des liens qui se tissent en rapport avec l’origine géographique a une influence sur les stratégies développées par le management et les ouvriers dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, dans l’usine de mobilier (usine 4), la direction explique qu’ils essaient de maintenir de très bonnes relations avec les ouvriers. D’une part, les anciens travailleurs vont introduire de nouveaux travailleurs. D’autre part, le groupe des anciens travailleurs (avec qui des relations ont été tissées d’autant plus facilement qu’ils sont originaires de la même province) vont éviter que les ouvriers ne partent massivement. Selon la direction : « Dans la province du Fujian, il y a des zones contrôlées socialement par les travailleurs. Il arrive qu’un ouvrier fédère un groupe d’ouvriers d’une usine et vienne voir la direction d’une autre usine en manque de travailleurs en disant qu’il peut fournir immédiatement 50 ouvriers contre des salaires plus élevés ».
66 Ces éléments renforcent l’hypothèse selon laquelle l’origine géographique des travailleurs a un effet sur les formes de coopération entre les travailleurs.
H3 : Dans les usines ayant un savoir-faire spécifique, pour faire face à la pénurie de travailleurs migrants, le management développe des stratégies pour fidéliser les anciens travailleurs qui favorisent les coopérations intergénérationnelles.
67 La pénurie de main-d’œuvre est plus sensible dans les usines ayant un savoir faire spécifique. Le management de l’usine d’ustensiles de cuisine (usine 2) explique qu’il est très difficile de garder les travailleurs avec une expertise.
68 De manière générale, la direction des usines exprime une préférence significative pour les travailleurs âgés vis-à-vis des jeunes travailleurs, identifiant des différences dans les valeurs et le rapport au travail entre les groupes de jeunes travailleurs et de vieux travailleurs. Dans l’usine de chaussures (usine 1), le manager indique : « Les ouvriers qui ont entre 17 et 20 ans ne peuvent pas s’asseoir dans l’atelier pendant une journée entière. Les travailleurs qui ont plus de 28 ans en général veulent plus de stabilité. De plus, ils peuvent travailler à l’usine pendant une longue période. Je leur en suis reconnaissant. Je donne un meilleur salaire aux ouvriers qui sont dans l’usine depuis plus de deux ans et je leur fournis de plus grandes facilités comme le dortoir gratuit, la nourriture gratuite, et la possibilité de discuter avec moi de n’importe quel sujet. Je souhaite garder les travailleurs qui ont plus de 28 ans et au moins une année d’expérience dans une usine ».
69 Dans l’usine d’ustensiles de cuisine (usine 2), un des managers tient les propos suivants : « Je ne suis pas inquiet pour les ouvriers qui ont plus de 25 ans. Nous fabriquons des produits en métal, ce qui signifie que la majorité des tâches sont lourdes. Les jeunes ne savent pas faire ces tâches et ne veulent pas les faire. Parce que les ouvriers de mon usine sont familiers avec leurs tâches, on les paie suffisamment et on leur fournit de meilleurs avantages sociaux. Ces personnes ont des responsabilités vis-à-vis de leurs familles, il en va de même de moi vis-à-vis d’eux ».
70 Dans la même usine (usine 2), un autre manager, originaire de Taiwan, exprime sa compréhension des valeurs de la jeune génération : « Aujourd’hui, les jeunes sont heureux parce que la majorité d’entre eux n’ont pas de pression familiale, ils doivent juste subvenir à leur nourriture. Mes enfants sont pareils. Mon dernier garçon n’avait pas de but dans la vie avant de rejoindre l’armée. Quand il a fini l’armée, il voulait trouver un emploi, mais il n’avait toujours pas de but dans la vie. En tant que père, je ne souhaite pas qu’il s’épuise pour faire tourner une entreprise, je veux juste qu’il trouve un travail où il se sent heureux. Je comprends les jeunes d’aujourd’hui. Le point central sur lequel ils s’accordent est d’avoir un travail heureux, une vie heureuse mais la plupart d’entre eux ne savent pas ou n’ont pas encore trouvé ce qui était important dans leur vie afin de travailler dur pour l’obtenir. Je vois comment sont certains jeunes de mon usine : ils n’apprennent pas de nouvelles choses et travaillent sans utiliser leur réflexion ».
71 En conséquence, la direction développe des stratégies pour fidéliser en priorité les travailleurs anciens.
72 Ainsi, dans l’usine de mobilier (usine 4), la direction offre de meilleurs avantages sociaux aux anciens travailleurs y compris un voyage annuel. La direction essaie d’entretenir de très bonnes relations avec les anciens travailleurs et fait attention à la manière dont elle communique avec eux. Elle porte également une attention particulière au recrutement en essayant de recruter en priorité des travailleurs issus d’une même province ou qui ont des liens avec les anciens travailleurs : « Quand les travailleurs sont originaires de la même province, il y a peu de différences dans leurs situations, c’est donc facile de contrôler ».
73 Dans l’usine de jouets (usine 2), la direction explique également : « Nous manquons de travailleurs. Aussi, nous faisons de notre mieux pour les garder. Fournir un bon environnement de travail contribue à ce que les ouvriers introduisent plus d’amis ou de personnes pour venir travailler chez nous ».
74 Ces stratégies de fidélisation des anciens travailleurs conduisent ainsi au développement de communautés de travailleurs dans lesquelles les nouveaux travailleurs ont des liens (familiaux, d’amitiés, ou autres) avec les anciens travailleurs qui les ont introduits dans l’usine, ce qui favorise les coopérations intergénérationnelles.
Discussion et conclusion
75 En raison de la population vieillissante, les usines exportatrices localisées dans les zones côtières ne bénéficiant plus d’une main-d’œuvre abondante et bon marché vont avoir des difficultés à poursuivre leur développement avec le même taux de croissance. La pénurie de travailleurs migrants se fait déjà sentir et ne devrait que s’accentuer dans les années à venir.
76 Les caractéristiques de cette population migrante ont également changé avec un clivage fort entre deux générations de migrants ayant des finalités et des valeurs différentes.
77 Certaines usines vont devoir considérer un transfert de leurs activités dans les zones intérieures de la Chine où les salaires sont moins élevés et où il existe toujours un surplus de main-d’œuvre rurale. Les freins au développement de ces zones intérieures sont les infrastructures avec le coût du transport mais la Chine est en train de combler ce retard à très vive allure comme en témoigne le nombre de lignes de train à haute vitesse en construction.
78 Les usines qui vont rester dans les zones côtières ne vont pas avoir d’autre choix que d’investir dans l’amélioration de la productivité pour compenser les coûts supplémentaires de salaire et la pénurie de travailleurs.
79 Dans ce contexte, cette analyse de terrain s’est intéressée au lien entre la pénurie de main-d’œuvre et d’éventuelles formes de coopération entre les générations.
80 Les résultats de cette étude montrent que les coopérations intergénérationnelles sont observées dans les usines ayant un savoir-faire spécifique (qui est détenu par les anciens travailleurs) et qu’elles sont fortement polarisées par l’origine géographique des travailleurs migrants (e.g. province et ville d’origine). De plus, dans ces entreprises présentant un savoir-faire spécifique, la pénurie de main-d’œuvre peut même avoir une influence positive sur les coopérations intergénérationnelles au travers des stratégies que la direction met en place pour fidéliser le groupe des anciens travailleurs (meilleurs salaires et avantages sociaux, recrutement de travailleurs d’une même province).
81 Cependant, la rhétorique managériale et médiatique actuelle dépeint très souvent la cohabitation des âges au travail sous l’angle du « conflit générationnel » (B. Delay, 2008). La Chine qui a des générations marquées par une transformation forte et profonde dans un temps très court va devoir dépasser ce risque de conflit en misant sur des formes de partage entre générations afin de conserver le savoir-faire et de stabiliser les nouvelles générations de travailleurs.
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Mots-clés éditeurs : Chine, coopération intergénérationnelle, travailleursmigrants
Date de mise en ligne : 20/04/2012.
https://doi.org/10.3917/rsg.253.0099