Notes
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. Le contenu de ce compte rendu n’engage que son autrice.
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. Les auteurs et autrices de l’ouvrage citent par exemple les travaux pionniers de P. Rosanvallon (1981), sur la crise de l’État-providence, ou ceux de S. Paugam (1991) puis de R. Castel (1995).
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. O. Giraud est directeur de recherche en science politique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), affilié au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise), unité mixte de recherche du CNRS et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). G. Perrier est maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne Paris Nord.
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. L. Lima et C. Tuchszirer soulignent à ce propos qu’il s’agit bien d’attacher à l’indemnisation une valeur morale du travail : l’incitation à la paresse est considérée comme inefficace car elle encouragerait les chômeurs volontaires.
1 L’ouvrage Politiques sociales : l’état des savoirs se présente quasiment comme un manuel à l’attention des sociologues et des politistes. Sans chercher l’exhaustivité pour autant, il permet de resituer la complexité des politiques sociales dans le sillage de la sociologie de l’action publique. En mobilisant des travaux de sociologie critique, largement inspirés d’une tradition française de recherche sur l’État social [2], il prend au sérieux la dimension mouvante des politiques sociales dont la trajectoire ne s’arrête pas « au moment des prises de décision politique » (p. 9). L’approche constructiviste, fondée sur les jeux de pouvoir entre institutions dans une perspective diachronique, est couplée avec une approche centrée sur le stade de la mise en œuvre des politiques sociales, à travers leurs acteurs et actrices ainsi que leurs instruments. Cette articulation permet une complémentarité des regards pour un tour d’horizon riche des enjeux des politiques sociales.
2 L’ouvrage est construit en trois parties qui résultent des choix épistémologiques et des traditions disciplinaires du coordinateur et de la coordinatrice [3]. Une première partie ouvre sur les secteurs de l’action sociale (pauvreté, chômage, retraite, famille, handicap, autonomie, santé), incontournable tant la diversité de ces politiques est importante. Des points communs à la construction sociohistorique des secteurs envisagés dans ces sept chapitres peuvent être relevés. Des reconfigurations intervenant à partir des années 2000 semblent toucher tous les secteurs : sous le poids des injonctions communautaires, des organisations internationales, mais aussi de la décentralisation, les systèmes de retraite, les politiques familiales et de lutte contre la pauvreté sont orientées politiquement en faveur d’une baisse des dépenses des différentes branches de la Sécurité sociale. Elle se traduit, par exemple, par l’allongement de la durée du travail dans les réformes successives des systèmes de retraite, par l’individualisation et le ciblage renforcés des prestations familiales ou encore par la volonté de rendre le travail payant pour les chômeurs (bénéficiaires de minima sociaux ou chômeurs indemnisés par Pôle emploi) de sorte à éviter le piège de « l’assistanat » (p. 55) [4]. Selon les auteurs et autrices, dans le champ du handicap ou des politiques d’autonomie notamment, le passage à une logique de prévention des risques sociaux semble symptomatique d’un tournant néolibéral de la protection sociale. Ce courant de pensée enjoint l’État à une dépense non seulement maîtrisée, mais surtout envisagée comme un investissement social sur l’avenir. Enfin, dans la quasi-totalité des secteurs investigués, un enjeu de représentation des populations ciblées par les politiques reste en suspens, surtout dans un contexte de reprise en main par l’État central d’un certain nombre d’instances de pilotage ou de gouvernance. Les chercheuses et chercheurs s’interrogent alors sur leur participation à des décisions dont le haut degré de technicité a contribué à un éloignement démocratique.
3 Une seconde partie, composée de cinq chapitres, s’attelle à dépasser la focale sectorielle des politiques sociales pour les analyser à partir des outils de la sociologie de l’action publique. L’intérêt de leur conceptualisation en ces termes est de saisir plus finement les évolutions de l’État social, dans une perspective comparée à l’échelle des États européens. Les auteurs et autrices rappellent qu’une partie des approches, institutionnalistes ou de sociologie politique, s’attachent à saisir à un niveau macro les évolutions de l’État social et les effets de système. Pour le dire autrement, il s’agit de comprendre par quelles modalités les différents systèmes de protection sociale sont transformés depuis les années 1980 par des réseaux d’acteurs transnationaux partageant un même « sens commun réformateur » (p. 148). La typologie désormais classique de G. Esping-Andersen (1990) permet de dresser trois idéaux-types de régimes d’État social selon deux critères : le degré de dépendance au marché et le système de stratification sociale du pays étudié. Ces approches institutionnalistes sont complétées par une perspective bottom-up (qui analyse l’action publique par le bas) revendiquée par les approches de la mise en œuvre des politiques sociales, c’est-à-dire au niveau des acteurs et actrices individuels des guichets. Ces politiques sociales envisagent le « moment problématique » (Philippe, 2004) de confrontation à la réalité de l’application d’une décision. Il s’agit alors, au niveau méso, voire micro, d’envisager la production des politiques sociales comme le résultat de rapports sociaux, déterminés notamment par les positions sociales et les trajectoires des professionnelles et professionnels de terrain. Les autrices de ce douzième chapitre évoquent, par exemple, les travaux précurseurs de V. Dubois (2010) sur l’autonomie des contrôleurs et contrôleuses des Caisses d’allocations familiales (Caf). Ce positionnement peut être conforté par les conditions mêmes de l’emploi dans les institutions : le recours à de nombreux contractuels dans les services publics conditionne davantage la réalisation d’objectifs quotidiens chiffrés, qui peuvent influencer l’octroi des droits. C’est enfin par le prisme cognitif que cette deuxième partie propose d’analyser les politiques sociales en montrant le poids de la culture et des idées. La diversité et la hiérarchie des représentations culturelles (sur la justice sociale, sur les destinataires ou encore sur le rôle de la famille) sont envisagées comme un facteur déterminant dans la conception des politiques sociales. Au même titre, le rôle des idées dans l’évolution des systèmes de protection sociale met l’accent sur l’introduction de mots-clés qui circulent entre différents espaces : scientifiques, politiques et technocratiques entre autres. Le concept de « vieillissement actif » est analysé par O. Giraud comme apparaissant dans les années 1970 dans une revue scientifique avant d’être investi par l’Organisme de coopération et de développement économiques (OCDE) à la fin de la décennie 1990. Sa définition particulièrement floue et mouvante permet sans doute son utilisation politique pour insister in fine sur l’autonomie et la responsabilisation des individus face au vieillissement. Cela s’inscrit ainsi dans un paradigme néolibéral de repositionnement de l’État, masquant les inégalités sociales et économiques entre les citoyens vieillissants.
4 L’apport le plus original de l’ouvrage se situe dans une troisième partie (chapitres 13 à 17) qui se concentre sur les enjeux contemporains des politiques sociales. Le chapitre écrit par G. Perrier sur les rapports sociaux de genre permet de rendre compte de leur caractère systémique à toutes les échelles de l’État social. Selon la chercheuse, le maintien de discriminations liées au genre contribue à une répartition sexuée du travail du côté des destinataires des politiques sociales mais aussi du côté des acteurs et actrices des guichets, participant ainsi à la reproduction de représentations stéréotypées. Les travaux de N. Okbani et J. Simha ainsi que de B. Lucas et P. Warin offrent une vision d’ensemble sur des moments clés des politiques sociales mais qui ne peuvent être catégorisés ni dans la décision de l’action publique ni dans sa mise en œuvre. Ils abordent respectivement l’importance de la phase d’évaluation et l’avènement de l’expérimentation dans la mise en place d’une politique publique comme révélateurs de controverses ou d’usages politiques et organisationnels divers. Selon N. Okbani et J. Simha, la création d’un marché concurrentiel de l’évaluation est symptomatique de son institutionnalisation au sein d’une action publique que ses promoteurs souhaitent rationalisée et agissant comme une « science de gouvernement » (p. 254). Les auteurs et autrices analysent ce recours quasi systématique à l’évaluation (et parfois aussi à l’expérimentation) des politiques sociales comme une quête de légitimité du politique. Le chapitre sur le non-recours aux prestations de B. Lucas et P. Warin offre, quant à lui, une « grammaire critique » (p. 240) des politiques sociales pour saisir non seulement les modalités qui conduisent les individus à ne pas demander une aide sociale, mais aussi les manières dont les rapports sociaux de genre ou la restriction des politiques migratoires rendent d’autant plus ineffectifs ces droits. Deux derniers défis sont enfin présentés. Tout d’abord, C. Ledoux invite, dans son chapitre sur l’État social au défi du marché, à concevoir ce dernier comme un ordre social dans lequel se jouent des relations de domination et de pouvoir, mais avec lequel l’État interagit de manière croissante. Enfin, O. Giraud et N. Tietze, par l’étude des échelles de l’État social, proposent de tenir compte des territoires abritant les dynamiques principales de ce dernier. Ils suggèrent de les aborder par le prisme de rééchelonnements de ces espaces sociaux sous les effets conjoints de la globalisation, de l’européanisation et de la décentralisation.
5 Cet ouvrage se présente donc à la hauteur des ambitions affichées et permet d’ouvrir des questionnements théoriques et empiriques féconds pour renouveler les analyses critiques des politiques sociales.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Castel R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard.
- Dubois V., 2010, La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica.
- Esping-Andersen G., 1990, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Princeton, Princeton University Press.
- Paugam S., 1991, La disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Presses universitaires de France.
- Philippe S., 2004, La mise en œuvre de l’action publique : un moment problématique. L’exemple de la politique de santé mentale, Revue française de science politique, vol. 54, n° 2, p. 315-334.
- Rosanvallon P., 1981, La crise de l’État-providence, Paris, Seuil.
Notes
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[1]
. Le contenu de ce compte rendu n’engage que son autrice.
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[2]
. Les auteurs et autrices de l’ouvrage citent par exemple les travaux pionniers de P. Rosanvallon (1981), sur la crise de l’État-providence, ou ceux de S. Paugam (1991) puis de R. Castel (1995).
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[3]
. O. Giraud est directeur de recherche en science politique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), affilié au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise), unité mixte de recherche du CNRS et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). G. Perrier est maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne Paris Nord.
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[4]
. L. Lima et C. Tuchszirer soulignent à ce propos qu’il s’agit bien d’attacher à l’indemnisation une valeur morale du travail : l’incitation à la paresse est considérée comme inefficace car elle encouragerait les chômeurs volontaires.