Notes
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[1]
Le contenu de cet article n’engage que ses auteurs. Les auteurs remercient Bernard Corminboeuf pour ses relectures du texte.
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[2]
Cette recherche a bénéficié des soutiens apportés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre des investissements d’avenir dans le cadre du Labex Liepp (ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02) et de l’IdEx Université Paris Cité (ANR-18-IDEX-0001). Il s’agit d’une publication tirée du projet POLWOM (“Welfare State Change as a Polanyian Double Movement. How social policy change affects women across different social classes”).
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[3]
La stratégie européenne pour l’emploi fixe une série d’objectifs que les États membres sont tenus d’atteindre par des politiques de marché du travail.
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[4]
Elles recouvrent les dispositifs de soutien à la création d’emplois, la formation professionnelle, l’accompagnement des demandeurs d’emploi, etc.
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[5]
L’indice EPL est composé de 21 sous-indicateurs répartis en trois macrodomaines mesurant la protection des travailleurs réguliers contre les licenciements individuels, la réglementation du travail temporaire et certaines exigences supplémentaires en matière de licenciements collectifs. L’indice va de 0 (marché du travail parfaitement flexible) à 6 (marché du travail parfaitement rigide).
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[6]
Les nouveaux risques sociaux sont définis comme les risques typiques des sociétés post-industrielles, tels que la conciliation du travail et de la famille, la monoparentalité, la présence d’un parent fragile, des compétences faibles ou obsolètes et une couverture sociale insuffisante (Bonoli, 2005, p. 3-4).
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[7]
Pour nous assurer que les indicateurs de dépense et de composition de la force de travail, par nature plus exposés aux fluctuations du cycle économique que les indicateurs institutionnels, n’ont pas d’impact sur ces typologies (ainsi que sur les trajectoires obtenues par le biais du score multidimensionnel), une série de contrôles de robustesse a également été effectué (ACP avec les indicateurs institutionnels uniquement, ACP utilisant une moyenne de 5 ans pour les résultats). Le test confirme la fiabilité de ces modèles. Les analyses additionnelles sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
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[8]
Les taux de chômage, la proportion de travailleurs ayant un contrat à durée indéterminée ou déterminée et la proportion de travailleurs employés involontairement avec un contrat à temps partiel (une approximation des emplois de mauvaise qualité).
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[9]
Les données manquantes sont imputées en utilisant la valeur de l’année la plus proche. Un tableau contenant les détails sur chaque indicateur utilisé pour les deux périodes est disponible sur demande auprès des auteurs.
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[10]
Le Japon est un cas hybride (chrétien-démocrate/libéral, voir G. Esping-Andersen, 1997). Toutefois, à l’instar de M. Estevez-Abe et al. (2001), cette analyse le considère comme l’une des économies coordonnées, tout en le classant parmi les libéraux en termes de protection du marché du travail.
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[11]
En ce qui concerne la composition de la force de travail, il a été décidé de ne pas utiliser les valeurs des États-Unis comme point de référence, car le pays présente de faibles niveaux de chômage ainsi qu’une faible proportion de contrats temporaires et de contrats à temps partiel involontaire, tant en 1990 qu’en 2015. Cela est dû à la faible législation sur la protection de l’emploi, qui rend presque indifférent pour les employeurs le fait d’embaucher sur une base permanente ou temporaire. L’utilisation de cette référence aurait donc conduit à des sous-scores excessivement élevés (ou faibles), ce qui aurait biaisé l’analyse.
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[12]
Conformément aux conclusions de travaux antérieurs sur l’évolution du marché du travail, qui traitent les différents indicateurs et dimensions de la protection de la même manière, il a été décidé dans cette étude de ne pas pondérer les différents sous-scores.
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[13]
Un tableau contenant les détails sur chaque indicateur dans chaque pays utilisé pour les deux périodes est disponible sur demande aux auteurs.
1 Au cours des trois dernières décennies, la protection de l’emploi dans les pays à revenu élevé a connu un processus de changement. Ce dernier est ici mesuré entre pays et au sein même des différentes nations. Cet article prend comme point de départ les cadres théoriques définis par G. Esping-Andersen, puis P. Hall et D. Soskice, qui classifient les pays à revenu élevé et comparent les similitudes et les différences transnationales dans différents domaines de la politique sociale, en distinguant trois régimes d’État-providence (Worlds of Welfare [WoW]) et deux variétés de capitalisme (Varieties of Capitalism [VoC]) [Esping-Andersen, 1990 ; Hall et Soskice, 2001].
2 Dans The Three Worlds of Welfare Capitalism, G. Esping-Andersen (1990, p. 37) suggère que les États-providence des pays à revenu élevé se répartissent en trois catégories : libéraux, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates. Ces variétés sont liées à différents niveaux de démarchandisation (decommodification), c’est-à-dire à la capacité des pensions, des indemnités de maladie et de chômage à garantir aux individus et aux familles « un niveau de vie socialement acceptable indépendamment de la participation au marché », et à l’aptitude des États-providence à réduire la stratification sociale, c’est-à-dire la division de la société en classes sociales. Dans le monde social-démocrate, l’universalisme prévaut (d’où une faible stratification sociale), avec un faible recours aux mécanismes de marché (d’où une forte démarchandisation). Dans le monde chrétien-démocrate, l’assurance sociale est prédominante et les pays se caractérisent par une capacité de démarchandisation moyenne et une stratification sociale élevée. Dans le monde libéral, l’assistance sociale est prédominante et les pays sont caractérisés par une faible capacité de démarchandisation et une forte stratification sociale (pour une revue des débats sur ces variétés, voir Ferragina et Seeleib-Kaiser, 2011). Des chercheurs ont théorisé l’existence d’une variété méditerranéenne (Ferrera, 1996), qui se distingue du monde chrétien-démocrate par des niveaux de solidarité plus faibles, un clientélisme persistant et une aide au revenu inadéquate. Pour cette raison, l’analyse inclut également la Grèce, l’Espagne et le Portugal.
3 Le concept de « variétés de capitalisme » (VoC) relie l’avantage concurrentiel national au mode de coordination existant entre les entreprises et les institutions (Hall et Soskice, 2001). En conséquence, les pays sont classés en deux groupes : dans les économies coordonnées (Coordinated Market Economies [CME]), il existe un degré élevé de coopération entre les entreprises et les acteurs institutionnels, tandis que dans les économies libérales (Liberal Market Economies [LME]), de faibles relations de partage du pouvoir et un manque de coordination entre les entreprises et les acteurs institutionnels sont observés. M. Estevez-Abe et al. (2001) ont établi un lien entre les VoC et la protection de l’emploi en se penchant sur le processus de formation des compétences. Selon eux, ce processus contribue à créer un avantage concurrentiel national à long terme, car la décision des employés d’investir dans leurs compétences est liée aux niveaux de protection du marché du travail (emploi, chômage, salaires). Dans les CME, où les entreprises fondent principalement leur avantage concurrentiel sur la présence de compétences spécifiques (à une industrie ou une entreprise), les travailleurs demandent une protection plus élevée pour préserver leur investissement dans les compétences spécifiques acquises. En revanche, dans les LME, où les entreprises créent principalement leur avantage concurrentiel sur des compétences générales, la protection s’avère moins généreuse.
4 Les variétés institutionnelles se concentrent sur la similarité ou la dissimilarité à des moments spécifiques et, en termes relatifs, les uns par rapport aux autres ; cependant, dans les dernières décennies, la protection du marché de l’emploi a subi des réformes sévères. Alors que ces processus ont eu lieu principalement dans les économies libérales au cours des années 1980 (les réformes de Reagan et Thatcher ont servi de modèle), ils ne se sont déployés dans les économies coordonnées qu’à partir des années 1990, entraînant une augmentation remarquable des niveaux de pauvreté et accroissant les difficultés à concilier travail et vie familiale (Hantrais et Letablier, 1995 ; Eydoux et Letablier, 2009 ; Duvoux, 2011 ; Van Oorschot et Math, 1996). Les réformes de la protection du marché du travail ont été influencées par le libéralisme, la globalisation et le processus d’intégration européenne (Ferragina et al., 2022), qui ont favorisé une convergence (contingent convergence), y compris dans les CME (Hay, 2004). Dans ce contexte, la stratégie européenne pour l’emploi [3] a été mise en œuvre pour trouver un équilibre entre les objectifs d’augmentation de la compétitivité et de maintien de la cohésion sociale.
5 Les réformes de la protection du marché de l’emploi se sont accélérées en Europe, autour d’un consensus sur la flexicurité. Elle induirait une plus grande compétitivité en combinant flexibilité du marché du travail et protection sociale grâce à des politiques ciblées sur les chômeurs (Wilthagen et Tros, 2004). Les marchés du travail plus déréglementés étaient censés mieux résister aux fluctuations économiques, en améliorant les performances systémiques des entreprises et les niveaux d’emploi (OCDE, 1994) mais ils ont entraîné la diminution de la protection des travailleurs et la décentralisation des systèmes de négociation salariale (Esping-Andersen et Regini, 2000). Par ailleurs, cette déréglementation aurait dû être compensée par une augmentation de la protection sociale, à travers les politiques actives de l’emploi [4] pour réduire la charge des allocations (Bonoli, 2010). Cependant, alors que cette réduction s’est traduite par une remarchandisation et un recalibrage des allocations chômage et des minima sociaux (Seeleib-Kaiser, 2002), les politiques visant à réintroduire les chômeurs dans la population active sont restées pour la plupart sous-dimensionnées (Barbier, 2011). Les chercheurs ont également critiqué la mise en œuvre de la stratégie de flexicurité. Les réformes, souvent mal coordonnées et incapables d’interagir positivement avec d’autres types de politiques sociales (Burroni et Keune, 2011), ont réduit la capacité des marchés du travail à faire face aux chocs extérieurs − ce qui a été défini comme la « résilience du marché du travail » (Hijzen et al., 2017). Ces questions ont pris de l’importance à la suite de la grande récession (2008), lorsque les pays, après avoir adopté des mesures de relance à court terme de type keynésien, ont mis en œuvre des mesures d’austérité (avec réduction de la protection sociale et déréglementation accrue du marché du travail) [Heyes, 2013].
6 C’est pourquoi l’analyse de cette diversité de la protection de l’emploi en termes relatifs, entre nations, est complétée dans cet article par une étude des processus de changement dans chaque pays. La littérature souligne que la déréglementation des licenciements, la diminution (et le recalibrage) des allocations chômage et des minima sociaux ainsi qu’une plus forte conditionnalité des aides à l’adhésion aux politiques actives ont modifié les niveaux de protection du marché de l’emploi. K. Thelen (2014), s’appuyant sur ces observations, a classé les pays en fonction de leurs stratégies de libéralisation du marché de l’emploi. Selon elle, les pays libéraux (comme les États-Unis) ont poursuivi une stratégie de déréglementation, qui est une forme de libéralisation entraînant une réduction de la législation sur la protection de l’emploi (Employment Protection Legislation [EPL] [5]), le démantèlement des institutions de négociation collective, l’affaiblissement des syndicats ainsi que la diminution des allocations chômage et des minima sociaux (c’est-à-dire la remarchandisation). Les pays chrétiens-démocrates (comme l’Allemagne) ont suivi une stratégie de dualisation, qui est un concept rendant compte d’un maintien élevé de protection et de coordination pour les travailleurs en contrat à durée indéterminée mais qui reporte des coûts de la libéralisation sur les travailleurs précaires (Rueda, 2005 ; Emmenegger et al., 2012). L’EPL est alors déréglementé pour les travailleurs temporaires et la négociation salariale décentralisée, tandis que la générosité des allocations chômage pour les travailleurs à durée indéterminée est maintenue et la conditionnalité d’obtention des minima sociaux augmentée. Enfin, les pays sociaux-démocrates (comme le Danemark) ont poursuivi une stratégie de flexibilisation intégrée (embedded flexibilisation), qui est une adaptation de la libéralisation basée sur la « solidarité du côté de l’offre » et la collectivisation du « risque en concentrant les ressources pour permettre aux plus vulnérables dans la société d’obtenir et de conserver un emploi » (Thelen, 2014, p. 15). Elle implique une déréglementation de la protection de l’emploi et des investissements conséquents dans les allocations et les politiques d’activation pour les chômeurs.
7 Ces trajectoires n’ont toutefois été examinées que dans quelques pays et en n’utilisant qu’un nombre limité d’indicateurs. Par conséquent, cette analyse est systématisée dans un cadre plus large et plus élaboré sur le plan conceptuel et porte sur les questions suivantes : les variétés de protection de l’emploi ont-elles changé de manière substantielle au cours des trois dernières décennies ? Certaines trajectoires de changement ont-elles été négligées ? Dans quelle mesure les trajectoires des pays dépendent-elles de leur précédent cadre institutionnel et sont-elles cohérentes avec les variétés institutionnelles étudiées dans la littérature ?
8 Les variétés de protection de l’emploi et les trajectoires des pays sont classées dans cet article en tenant compte de quatre dimensions institutionnelles et de l’évolution de la composition de la force de travail. Ainsi, l’hypothèse typique des deux approches WoW et VoC, selon laquelle la force de travail est homogène (Clasen et Siegel, 2007), est atténuée. VoC et WoW mesurent la protection du marché du travail pour le travailleur moyen (Average Production Worker [APW]), c’est-à-dire un homme de 40 ans travaillant dans l’industrie manufacturière depuis vingt ans et qui est pleinement éligible à la plupart des programmes d’aide sociale. Cette hypothèse sous-estime toutefois l’importance de changements sociétaux, tels que l’entrée des femmes sur le marché du travail, l’avènement de l’économie des services et le fossé grandissant entre travailleurs stables et précaires (Ferragina et al., 2022). Ces changements ont contribué à la montée de nouveaux risques sociaux [6] (new social risks) qui, à leur tour, ont impliqué des changements massifs de l’État-providence.
9 Les variétés de protection du travail et les trajectoires de changement des pays sont mesurées ici à l’aide de deux méthodes. La première, une série d’analyses en composantes principales (ACP), traite la mesure multidimensionnelle des variétés ; la seconde, un score composite, saisit les caractéristiques des trajectoires de changement des pays. L’analyse de ces trajectoires se concentre sur les économies coordonnées, car les économies libérales ont entrepris une trajectoire de libéralisation avant les années 1990. En conséquence, ces pays ont connu des réductions mineures des niveaux de protection de l’emploi au cours de la période allant de 1990 à 2015 par rapport aux économies coordonnées. L’évaluation des trajectoires de changement de la protection sur le marché du travail au cours de deux périodes, plutôt que dans un cadre temporel continu, réduit la complexité de l’analyse et permet de se concentrer davantage sur les tendances à long terme. Cela est d’autant plus vrai que la plupart des indicateurs utilisés sont institutionnels, c’est-à-dire qu’ils sont moins sujets aux fluctuations du cycle économique que ceux de dépenses et d’emploi et qu’ils ne changent qu’après l’adoption de réformes spécifiques.
10 Cette analyse apporte trois contributions au débat. Elle développe d’abord une nouvelle typologie qui tient compte des processus de changement entre 1990 et 2015 et qui regroupe les pays sur la base de leurs niveaux de coordination et de solidarité, soit l’Europe centrale/nordique, l’Europe du Sud et les pays libéraux. Elle montre ensuite que, malgré un écart persistant, une grande majorité des CME connaissent une baisse du niveau de protection, se rapprochant des LME. Enfin, elle propose une taxonomie à cinq catégories des trajectoires de changement (libéralisation, dualisation, flexicurité, dé-dualisation, protection renforcée) qui montre que ces trajectoires ne sont pas toujours dépendantes des cadres institutionnels passés et qu’elles ne sont pas cohérentes avec les variétés institutionnelles précédemment développées dans la littérature.
11 Les conclusions de cet article peuvent être lues à deux niveaux interconnectés. Le premier présente des données empiriques systématiques sur la générosité et l’évolution de la protection de l’emploi dans les pays à revenu élevé. Le changement est étudié empiriquement, puis recomposé analytiquement avec nos ACP et le score composite. Le second va au-delà de la description et fournit aux chercheurs une typologie et une nouvelle taxonomie du changement, qui relient les données empiriques, conséquentes pour chaque pays, et les indicateurs dont les fondements conceptuels sont à la base de cette étude. Cette recherche offre une plateforme d’analyse qui peut être appliquée à d’autres domaines de la protection sociale pour enrichir la compréhension des dynamiques plus générales des transformations de l’État-providence.
12 Cet article commence par décrire l’approche méthodologique puis discute des résultats, avant de conclure en interprétant ces nouvelles données par rapport aux débats sur les variétés institutionnelles et les trajectoires de changement.
Données et méthodes
Dimensions et indicateurs utilisés dans l’analyse
13 Quatre dimensions de protection sont considérées (la protection de l’emploi, l’allocation chômage, le revenu minimum et les politiques d’activation) et les changements dans la composition de la force de travail lors de deux périodes (1990 et 2015) [7] sont également pris en compte. Ces quatre dimensions comprennent 13 indicateurs qui prennent en compte les processus de déréglementation, la diminution de la générosité des allocations (c’est-à-dire la marchandisation), la substitution des allocations par des mesures visant à réintroduire les chômeurs dans la population active (les politiques d’activation), le fossé grandissant entre les travailleurs stables et précaires (dualisation) et les nouveaux risques sociaux.
14 Les tendances à la déréglementation de la protection de l’emploi sont étudiées à l’aide de l’indice de la législation sur la protection de l’emploi (EPL) pour les contrats permanents et temporaires, le pourcentage de travailleurs couverts par des conventions collectives et le taux de syndicalisation. Les allocations chômage sont mesurées à l’aide des taux de remplacement (en pourcentage du salaire antérieur du travailleur moyen) et des dépenses publiques consacrées aux allocations chômage et aux indemnités de licenciement. Il est suggéré que la démarchandisation est également liée au revenu minimum, qui est destiné aux personnes qui ne sont pas éligibles aux allocations chômage, par exemple les travailleurs atypiques, les chômeurs de longue durée et les personnes se situant en dessous du seuil de pauvreté. Le revenu minimum est évalué avec un taux de remplacement calculé en pourcentage du revenu médian et les dépenses publiques dédiées au revenu minimum. L’analyse considère aussi les politiques d’activation, mesurées par la part des dépenses publiques consacrées à ces programmes. Les dimensions institutionnelles sont intégrées dans des indicateurs mesurant la composition de la force de travail [8]. De cette manière, l’augmentation des emplois temporaires et des emplois à temps partiel involontaires sont pris en compte, alors qu’ils ne le sont pas dans la littérature sur les variétés institutionnelles (Ferragina et al., 2015). Le tableau 1 dresse une liste de tous les indicateurs et des sources de données [9].
Tableau 1. Description des dimensions et des indicateurs
Indicateurs | Source | |
---|---|---|
Protection de l’emploi | ||
1 | Indice de protection de l’emploi pour les contrats à durée indéterminée | OCDE |
2 | Indice de protection de l’emploi pour les contrats temporaires | OCDE |
3 | Taux de syndicalisation | OCDE |
4 | Pourcentage de la force de travail protégée par une convention collective | OCDE |
Allocations chômage | ||
5 |
Allocation chômage (taux de remplacement moyen des personnes seules et des familles) | Scruggs |
6 |
Dépenses liées aux allocations chômage (indemnités de chômage/indemnités de licenciement) | OCDE |
Revenu minimum | ||
7 |
Revenu minimum (taux de remplacement moyen des personnes seules et des familles) | OCDE |
8 | Dépenses de revenu minimum, en % du PIB | OCDE |
Politiques actives | ||
9 | Dépenses consacrées aux politiques actives, en % du PIB | OCDE |
Composition de la force de travail | ||
10 | Taux de chômage | OCDE |
11 | Pourcentage de la force de travail ayant un contrat à durée indéterminée (emploi salarié) | OCDE |
12 | Pourcentage de la force de travail ayant un contrat à durée déterminée (emploi salarié) | OCDE |
13 | Travailleurs sous contrat à temps partiel involontaire, en % de l’emploi total | OCDE |
Tableau 1. Description des dimensions et des indicateurs
PIB : produit intérieur brut.Analyse en composantes principales (ACP) et score de changement de la protection du marché du travail (CPMT)
15 L’ACP est utilisée pour gérer la nature multidimensionnelle de la protection de l’emploi (Jolliffe, 2002 ; Ferragina et al., 2013, Ferragina, 2022 ; Ferragina et Filetti, 2022). Afin d’étudier la validité intertemporelle des variétés institutionnelles et d’observer si les pays s’écartent de leur groupe, il est supposé a priori que les pays appartiennent aux typologies de WoW. Ainsi, le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède sont assignés au groupe social-démocrate ; l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse au groupe chrétien-démocrate ; la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne au groupe méditerranéen ; l’Australie, le Canada, l’Irlande, le Japon [10], la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis au groupe libéral. L’ACP crée des dimensions non corrélées, les composantes principales (CP), qui sont des combinaisons linéaires des indicateurs utilisés pour les analyses. Les CP sont classées par ordre décroissant en fonction de la part d’information qu’elles expliquent. La première CP fournit davantage d’informations que la deuxième et la part d’information diminue avec chaque CP successive jusqu’à devenir négligeable. Les figures 1, 2 et 3 sont basées sur les deux premières CP. Chaque indicateur contribue à la définition des deux axes du plan cartésien (les deux premières CP) selon un indice de corrélation qui varie de -1 à +1. Les pays ayant des valeurs élevées (positives ou négatives) pour les indicateurs fortement corrélés avec les deux CP sont positionnés aux extrémités de l’espace, tandis que ceux ayant des valeurs proches de la moyenne de la distribution sont placés à l’intersection des axes.
16 En outre, un score composite évalue les caractéristiques des trajectoires des économies coordonnées. La distance entre les valeurs des pays en 1990 et 2015 est calculée pour chaque indicateur en regard de la valeur correspondante des États-Unis en 1990. La protection du marché du travail aux États-Unis est en effet utilisée comme référence car, étant l’un des premiers à le libéraliser, il affiche le niveau de protection le plus bas en 1990. Ce jalon permet de normaliser la variation des différents indicateurs et échelles. Ensuite, la différence entre chaque distance relative en 2015 et en 1990 est calculée, ce qui permet d’obtenir une série de sous-scores. Si la variation de la distance relative est positive, le pays a augmenté sa protection du marché du travail en 2015. Inversement, si le pays affiche un score négatif, la générosité de la protection du marché du travail a diminué.
17 Comme la plupart de ces dimensions comprennent plusieurs indicateurs, la moyenne des valeurs des indicateurs contenus dans chaque dimension est utilisée pour calculer les sous-scores. Lors de la définition des trajectoires, chaque indicateur est pris en compte (tableau 2). Par exemple, la comparaison de l’évolution de la législation sur la protection de l’emploi pour les travailleurs permanents et temporaires permet de faire la distinction entre libéralisation et dualisation. Dès lors, les sous-scores pour les indicateurs de composition de la force de travail sont construits en calculant l’écart relatif pour chaque indicateur entre 1990 et 2015 [11].
18 Ces indicateurs permettent d’obtenir une image plus nette des trajectoires de changement propres à chaque pays et d’analyser l’évolution conjointe des institutions et de la force de travail (c’est-à-dire la résilience du marché du travail). Enfin, la moyenne de chaque sous-score donne le score de changement de protection du marché du travail (CPMT), ce qui définit, en conséquence, une série de trajectoires [12].
Les variétés institutionnelles dans l’espace et le temps
19 La corrélation entre les indicateurs considérés et les composantes principales (CP) est stable entre 1990 et 2015, ce qui permet d’interpréter les espaces que les deux ACP délimitent de manière similaire, et donc d’analyser l’évolution des groupes de pays dans le temps. L’axe horizontal des ACP est structuré autour de la corrélation positive entre la protection de l’emploi, l’allocation chômage, les politiques d’activation, le pourcentage de contrats temporaires et la première CP (tableau 2).
Tableau 2. Corrélations entre les indicateurs, la composante principale 1 (CP1) et 2 (CP2) en 1990 et 2015
Indicateurs | CP1 | CP2 | ||
---|---|---|---|---|
1990 | 2015 | 1990 | 2015 | |
Protection de l’emploi | ||||
Indice de protection de l’emploi pour les contrats à durée indéterminée | 0,83 | 0,80 | -0,20 | 0,15 |
Indice de protection de l’emploi pour les contrats temporaires | 0,67 | 0,69 | -0,31 | -0,09 |
Taux de syndicalisation | 0,09 | 0,17 | 0,23 | 0,71 |
Pourcentage de la force de travail protégée par une convention collective | 0,66 | 0,78 | -0,03 | 0,43 |
Allocations chômage | ||||
Taux de remplacement des allocations chômage | 0,68 | 0,75 | 0,37 | 0,07 |
Dépenses d’allocations chômage, en % du PIB | 0,26 | 0,63 | 0,65 | 0,01 |
Revenu minimum | ||||
Taux de remplacement du revenu minimum | -0,13 | -0,09 | 0,75 | 0,56 |
Dépenses de revenu minimum, en % du PIB | -0,05 | 0,04 | 0,57 | 0,38 |
Politiques actives | ||||
Dépenses consacrées aux politiques actives, en % du PIB | 0,47 | 0,48 | 0,56 | 0,73 |
Composition de la force de travail | ||||
Taux de chômage | 0,19 | 0,54 | 0,18 | -0,57 |
Pourcentage de la force de travail ayant un contrat à durée indéterminée | -0,83 | -0,80 | 0,04 | 0,25 |
Pourcentage de la force de travail ayant un contrat à durée déterminée | 0,83 | 0,80 | -0,04 | -0,25 |
Travailleurs sous contrat à temps partiel involontaire, en % de l’emploi total | -0,22 | 0,30 | 0,68 | -0,61 |
Variance expliquée (%) | 29,38 | 35,60 | 18,90 | 19,59 |
Variance expliquée (cumulative en %) | 29,38 | 35,60 | 48,28 | 55,19 |
Tableau 2. Corrélations entre les indicateurs, la composante principale 1 (CP1) et 2 (CP2) en 1990 et 2015
Note : en gras, les indicateurs les plus (positivement ou négativement) corrélés avec CP1 et CP2 en 1990 et 2015. Les variances cumulées sont calculées pour chaque année (1990 et 2015).20 Sur la figure 1, l’axe horizontal fait écho à la littérature sur les VoC : les CME, qui affichent les niveaux les plus élevés de protection de l’emploi, d’allocations chômage, de politiques d’activation et le plus de travailleurs temporaires, se situent à droite du graphique, tandis que les LME, qui affichent des valeurs plus faibles, se trouvent à gauche. L’axe vertical est structuré autour des corrélations positives entre le revenu minimum, les politiques d’activation et la deuxième CP. Par conséquent, les pays présentant des niveaux de solidarité plus élevés, des programmes d’activation mieux financés et un marché du travail moins dégradé (en particulier en 2015) sont proches du sommet, tandis que ceux présentant des niveaux de solidarité plus faibles, des programmes d’activation moins financés et un marché du travail plus détérioré sont en bas. L’axe vertical situe les pays en distinguant différents niveaux de protection, selon la théorie des WoW. Dans le premier quadrant, en haut à droite, se trouvent des pays avec des niveaux élevés de coordination et de solidarité ; dans le second, en haut à gauche, ceux avec de faibles niveaux de coordination et une grande solidarité ; dans le troisième, en bas à gauche, ceux avec de faibles niveaux de coordination et une faible solidarité ; dans le quatrième, en bas à droite, ceux avec de faibles niveaux de solidarité et des niveaux élevés de coordination.
Figure 1. Définition des axes et des espaces
Figure 1. Définition des axes et des espaces
Clusters dans les années 1990
21 En 1990, au sein du groupe social-démocrate, situé dans le premier quadrant (à l’exception de la Finlande), les pays bénéficient d’une forte protection du marché du travail dans toutes les dimensions [13], avec des niveaux élevés de solidarité et de coordination (figure 2). La Finlande et la Suède sont proches de l’axe horizontal, tandis que le Danemark et la Norvège sont placés près de l’axe vertical. La position de la Finlande et de la Suède est due à la forte protection de l’emploi pour les contrats permanents et à la proportion élevée de travailleurs temporaires ; le Danemark a le revenu minimum le plus élevé et, comme la Norvège, est proche de la moyenne des pays chrétiens-démocrates sur la plupart des autres indicateurs.
Figure 2. Variétés de protection du marché du travail en 1990
Figure 2. Variétés de protection du marché du travail en 1990
AUT : Autriche ; AUS : Australie ; BEL : Belgique ; CAN : Canada ; DNK : Danemark ; FIN : Finlande ; FRA : France ; DEU : Allemagne ; GRC : Grèce ; IRL : Irlande ; ITA : Italie ; JPN : Japon ; NLD : Pays-Bas ; NZL : Nouvelle-Zélande ; NOR : Norvège ; PRT : Portugal ; ESP : Espagne ; SWE : Suède ; CHE : Suisse ; GBR : Royaume-Uni ; USA : États-Unis.22 Le groupe des pays chrétiens-démocrates est positionné près de l’origine des axes, avec des niveaux de protection du marché du travail proches de la moyenne en 1990. Ce groupe de pays se caractérise par une protection élevée de l’emploi et des allocations chômage généreuses, un faible taux de chômage et une forte proportion de travailleurs sous contrat à durée indéterminée. La France, la Belgique et les Pays-Bas se situent dans le premier quadrant, à proximité des pays sociaux-démocrates. La France est la plus proche de l’origine, avec des niveaux de protection de l’emploi, d’allocations chômage et de politiques d’activation supérieurs ou similaires à la moyenne des pays chrétiens-démocrates. Elle présente également le marché du travail le plus dégradé au sein du groupe. La Belgique, située au milieu du quadrant, affiche une protection de l’emploi, un revenu minimum et des politiques actives plus étendues. Les Pays-Bas ont des caractéristiques similaires à celles de la Belgique, mais possèdent le niveau de maintien du revenu et la proportion de contrats à temps partiel involontaire les plus élevés de l’échantillon. La Suisse et l’Autriche occupent le troisième quadrant et affichent des caractéristiques libérales. La Suisse arbore des scores de protection de l’emploi, de revenu minimum, de dépenses pour les allocations de chômage et de politiques d’activation inférieurs à la moyenne du groupe (Armingeon et al., 2004), ainsi qu’un marché du travail dynamique. L’Autriche, malgré un niveau élevé de protection de l’emploi pour les contrats permanents, présente un niveau de revenu minimum et de dépenses pour les politiques d’activation inférieur à la moyenne du groupe. L’Allemagne, située dans le quatrième quadrant, bénéficie d’une forte protection de l’emploi et d’un niveau d’allocation chômage et de revenu minimum inférieurs à la moyenne des autres pays chrétiens-démocrates.
23 Le groupe méditerranéen se caractérise en 1990 par une forte protection de l’emploi, de faibles niveaux de revenus minimums et des taux de chômage élevés. L’Espagne est placée à l’extrême droite du premier quadrant, en raison d’une forte protection de l’emploi et du niveau le plus élevé de contrats temporaires de l’ensemble des pays (Dolado et al., 2002). La Grèce et le Portugal occupent le milieu du quatrième quadrant. Cependant, une comparaison entre ces deux pays révèle que la Grèce a une EPL, une proportion de contrats temporaires, un taux de syndicalisation, une couverture des conventions collectives et des dépenses pour les allocations de chômage plus élevés (Petmesidou, 1996). Le Portugal connaît, quant à lui, une EPL plus importante pour les contrats permanents, avec des allocations chômage, un taux de remplacement du revenu minimum, ainsi que des dépenses dans les politiques d’activation, plus généreuses (ibid.). En outre, la proportion des contrats à durée indéterminée est plus faible au Portugal, ce qui explique sa position plus proche du premier quadrant que la Grèce. L’Italie se situe au bas du troisième quadrant, près de l’axe vertical, avec une EPL pour les contrats permanents inférieure à la moyenne des pays méditerranéens, l’EPL pour les contrats temporaires la plus forte entre les pays analysés et des taux de syndicalisation élevés. L’Italie, comme les pays libéraux, possède également une faible protection contre le chômage et de faibles dépenses pour les politiques d’activation ; comme dans tous les pays méditerranéens, les politiques de revenu minimum y sont sous-développées.
24 Le groupe des pays libéraux occupe les deuxième et troisième quadrants. Une faible protection de l’emploi (dans toutes ses composantes) et une forte proportion de contrats permanents sont des caractéristiques communes à ce groupe, ce qui confirme que ces pays ont libéralisé la protection de leur marché du travail avant 1990. Les pays situés dans le troisième quadrant ont, en 1990, des allocations chômage, un revenu minimum et des dépenses dans les politiques d’activation plus faibles que ceux situés dans le deuxième quadrant. L’Australie, située à l’extrême gauche du deuxième quadrant, affiche le taux le plus élevé de contrats permanents de l’échantillon ainsi qu’une protection de l’emploi et un niveau de revenu minimum supérieurs à la moyenne libérale (Castles, 1996). Le Canada, situé au sommet du deuxième quadrant, présente de faibles niveaux de protection de l’emploi et une proportion de contrats permanents inférieure à la moyenne du groupe libéral (Cooke et Zeytinoglu, 2004). L’Irlande, située au milieu du deuxième quadrant, dispose d’une EPL pour les contrats permanents et d’un taux de syndicalisation élevé, mais d’une faible EPL pour les travailleurs temporaires ainsi que de conventions collectives moins inclusives. La Nouvelle-Zélande montre des niveaux de protection de l’emploi et d’allocations chômage ainsi qu’un revenu minimum similaires à ceux de l’Irlande. Le Japon, situé au milieu du deuxième quadrant, présente l’EPL la plus élevée parmi les pays libéraux, mais avec des taux de syndicalisation plus faibles et des conventions collectives moins inclusives. Les taux de remplacement des allocations chômage et du revenu minimum y sont plus élevés que la moyenne des pays libéraux, mais les dépenses associées sont plus faibles (de même que leurs dépenses pour les politiques d’activation). Le Royaume-Uni et les États-Unis occupent l’extrême gauche du troisième quadrant et présentent les niveaux de solidarité et de coordination les plus faibles de l’échantillon. Le Royaume-Uni se situe au-dessus des États-Unis en affichant des niveaux de protection légèrement supérieurs, dans toutes les dimensions ; en outre, la proportion de contrats à temps partiel involontaire y est plus élevée.
25 En résumé, l’analyse des composantes principales place, en 1990, les pays selon les VoC, avec les CME à droite et les LME à gauche. Au sein du groupe coordonné, conformément au cadre WoW, un groupe social-démocrate, un groupe chrétien-démocrate et un groupe méditerranéen sont distingués.
Évolution temporelle des clusters (1990-2015)
26 Les différentes variétés de protection de l’emploi ont évolué au cours des trois dernières décennies. En 2015, la plupart des pays sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates se regroupent dans le premier quadrant ; les pays libéraux et méditerranéens se rassemblent plus étroitement et occupent respectivement les troisième et quatrième quadrants (figure 3).
Figure 3. Variétés de protection du marché du travail en 2015
Figure 3. Variétés de protection du marché du travail en 2015
AUT : Autriche ; AUS : Australie ; BEL : Belgique ; CAN : Canada ; DNK : Danemark ; FIN : Finlande ; FRA : France ; DEU : Allemagne ; GRC : Grèce ; IRL : Irlande ; ITA : Italie ; JPN : Japon ; NLD : Pays-Bas ; NZL : Nouvelle-Zélande ; NOR : Norvège ; PRT : Portugal ; ESP : Espagne ; SWE : Suède ; CHE : Suisse ; GBR : Royaume-Uni ; USA : États-Unis.27 Les groupes des pays sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates se chevauchent, mais le Danemark fait exception, car il occupe le haut de l’espace cartésien en raison du choix de la stratégie de flexicurité. La Belgique, la Suède, la Finlande et les Pays-Bas se situent au milieu du premier quadrant. Non loin d’eux et près de l’axe vertical se trouvent la Norvège et l’Autriche. L’Autriche, la Suisse et l’Allemagne se sont rapprochées de l’origine par rapport à leur position de 1990. Le changement le plus important au sein du groupe méditerranéen est la détérioration du marché du travail, avec une augmentation du taux de chômage (Grèce et Espagne, en particulier) comme de la part des contrats à temps partiel involontaire (Italie, notamment). L’Espagne, l’Italie et la France (qui a rejoint le groupe méditerranéen en raison de la dégradation de son marché du travail) sont plus proches de la Grèce et du Portugal qu’en 1990. Tous les pays libéraux (l’Australie, le Canada, l’Irlande, le Japon et la Nouvelle-Zélande) se situent dans le même espace que les États-Unis et le Royaume-Uni. Ces pays ont continué à déréglementer la protection de l’emploi à la marge, principalement avec un déclin du taux de syndicalisation et de conventions collectives. Ils subissent aussi une détérioration de leurs marchés du travail, avec une augmentation de la part des contrats temporaires et des contrats à temps partiel involontaire.
Trajectoires des pays
28 Le score composite révèle une évolution vers la libéralisation dans les CME entre 1990 et 2015, avec un rapprochement, différencié selon les pays, vers les États-Unis, dû en grande partie à la déréglementation de la protection de l’emploi (tableau 3). L’EPL diminue dans la plupart des pays, avec une baisse trois fois plus importante pour les contrats temporaires par rapport à ceux à durée indéterminée. La baisse du nombre de travailleurs protégés par des conventions collectives et la diminution du taux de syndicalisation sont généralisées bien que moins évidentes que la réduction de l’EPL. En outre, presque partout, une dégradation des conditions de la force de travail a lieu, car le taux de chômage, le nombre de contrats temporaires et surtout de contrats à temps partiel involontaire a augmenté. En revanche, les allocations chômage, les revenus minimums et les politiques d’activation sont légèrement améliorés. Cependant, les scores relatifs à l’allocation chômage et au revenu minimum sont positifs parce que les dépenses ont augmenté, tandis que les taux de remplacement sont restés stables. Par conséquent, les niveaux de générosité, en moyenne, n’augmentent pas, mais la dégradation de la composition de la main-d’œuvre se traduit par des niveaux de dépenses plus élevés. Toutefois, si l’on exclut le Danemark (qui les augmente significativement), les dépenses pour les politiques d’activation, en moyenne, diminuent dans l’ensemble des CME.
Tableau 3. Score de changement de la protection du marché du travail (CPMT) pour chaque indicateur
Pays | Protection de l'emploi | Allocations chômage | Revenu minimum | Politiques actives | Composition de la force de travail | Score | Trajectoires | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
EPL CDI | EPL CDD | Taux de syndicalisation | Conventions collectives | Taux de remplacement AC | Dépenses d’AC | Taux de remplacement RM | Dépenses de RM | Dépenses de PA | Taux de chômage | % CDI | % CDD | % temps partiel involontaire | |||
Suède | -0,74 | -13,08 | -1,04 | -0,05 | -0,40 | -0,99 | -0,38 | -0,66 | -1,37 | 3,13 | -0,03 | 0,18 | 0,23 | -1,44 | Libéralisation |
Espagne | -5,84 | -4,75 | 0,04 | -0,55 | -0,20 | -2,49 | -0,10 | 1,69 | -0,81 | 0,38 | 0,07 | -0,16 | 7,12 | -1,19 | Libéralisation |
Grèce | -2,66 | -10,00 | -0,67 | -2,47 | 0,10 | 0,14 | 0,21 | - | 0,37 | 2,56 | 0,06 | -0,28 | 4,51 | -0,99 | Libéralisation |
Allemagne | 0,37 | -8,50 | -0,97 | -1,55 | -0,01 | 0,21 | 0,21 | 1,58 | -1,10 | -0,04 | -0,03 | 0,24 | 4,24 | -0,78 | Dualisation |
Norvège | 0,00 | -0,50 | -0,43 | -0,16 | -0,02 | -1,44 | -0,28 | -2,28 | -1,74 | -0,19 | 0,06 | -0,38 | -0,62 | -0,74 | Libéralisation |
Belgique | 0,19 | -9,00 | 0,02 | 0,00 | 0,01 | 1,13 | 0,03 | 0,43 | -1,71 | 0,18 | -0,04 | 0,70 | -0,25 | -0,65 | Dualisation |
Italie | -0,32 | -11,50 | -0,21 | 0,00 | 0,63 | 1,35 | 0,00 | 0,23 | 1,39 | 0,04 | -0,09 | 1,69 | 5,53 | -0,47 | Dualisation |
Portugal | -6,42 | -6,25 | -0,94 | -0,32 | 0,00 | 1,75 | -0,28 | 2,15 | 0,43 | 1,71 | -0,04 | 0,20 | 2,47 | -0,47 | Libéralisation |
Pays-Bas | -0,86 | -1,75 | -0,49 | 0,41 | 0,04 | -2,18 | -0,03 | 4,26 | -2,04 | -0,07 | -0,14 | 1,66 | -0,28 | -0,41 | Libéralisation |
Japon | -1,30 | -3,25 | -0,55 | -0,48 | 0,04 | -0,33 | 0,14 | 2,09 | -0,84 | 0,61 | -0,03 | 0,29 | -0,12 | -0,29 | Libéralisation |
Suisse | 0,00 | 0,00 | -0,49 | 0,07 | 0,05 | 1,69 | -0,41 | 3,49 | 1,86 | 1,67 | -0,03 | 0,20 | 8,65 | 0,31 | Flexicurité |
Autriche | -1,48 | 0,00 | -1,38 | 0,00 | 0,07 | 0,73 | 0,41 | 2,81 | 2,01 | 0,64 | -0,03 | 0,51 | 2,31 | 0,49 | Dé-dualisation |
Finlande | -2,41 | 1,25 | -0,45 | 0,35 | -0,07 | 4,30 | -0,24 | 2,85 | 0,83 | 2,02 | 0,04 | -0,16 | 1,33 | 0,63 | Dé-dualisation |
Danemark | 0,06 | -7,00 | -0,43 | 0,07 | -0,22 | 0,00 | 0,07 | 1,32 | 6,35 | -0,26 | 0,02 | -0,20 | 0,41 | 1,03 | Flexicurité |
France | 0,17 | 2,25 | -0,14 | 0,20 | -0,07 | 1,01 | 0,45 | 5,80 | 1,41 | 0,13 | -0,07 | 0,59 | 0,59 | 1,06 | Protection renforcée |
Moyenne | -1,42 | -4,81 | -0,54 | -0,30 | 0 | 0,33 | -0,01 | 1,84 | 0,34 | 0,83 | -0,02 | 0,34 | 2,41 | -0,26 |
Tableau 3. Score de changement de la protection du marché du travail (CPMT) pour chaque indicateur
Notes : taux de remplacement AC : taux de remplacement moyen des allocations chômage pour les célibataires et les familles ; dépenses d’AC : dépenses d’allocations chômage en pourcentage du PIB (indemnités de chômage et licenciement) ; taux de remplacement RM : taux de remplacement moyen du revenu minimum pour les célibataires et les familles ; dépenses publiques RM : dépenses du revenu minimum en pourcentage du PIB ; dépenses de PA : dépenses consacrées aux politiques actives en pourcentage du PIB.En gras, les indicateurs affichant des sous-(scores) négatifs, des sous-scores positifs pour le taux de chômage, le nombre de contrats temporaires et de contrats à temps partiel involontaire. Les valeurs pour les quatre dimensions de l’emploi sont exprimées en nombre d’écarts types par rapport à la valeur des États-Unis en 1990 ; les valeurs pour la composition de la force de travail sont exprimées en écart relatif de chaque pays par rapport à 1990 ; les données pour les dépenses relatives au revenu minimum pour la Grèce sont manquantes, le score pour la dimension du revenu minimum est calculé sur la base du taux de remplacement uniquement.29 Cinq trajectoires d’évolution de la protection du marché du travail sont observées, caractérisées par des scores composites négatifs (libéralisation et dualisation) et positifs (flexicurité, dé-dualisation, protection renforcée). Dix CME ont suivi les trajectoires de libéralisation et de dualisation. Dans ces pays, la protection du marché du travail est plus faible en 2015 qu’en 1990. Les trois autres trajectoires (flexicurité, dé-dualisation et protection renforcée) ne concernent que cinq CME : ces pays ont renforcé leur protection de l’emploi (tableau 2).
30 Une trajectoire de libéralisation implique une déréglementation de la protection de l’emploi et une réduction de la protection en raison du déclin d’une autre dimension. La notion de « libéralisation » est préférée dans cet article à celle de « déréglementation » (Thelen, 2014) pour définir un processus de changement plus profond que la simple réduction de l’EPL. Une trajectoire de dualisation indique une déréglementation des contrats temporaires plus marquée que celle affectant les contrats permanents. La dualisation est également associée à une augmentation du nombre de contrats temporaires et de contrats à temps partiel involontaire (Rueda, 2005). Une trajectoire de flexicurité englobe une dérégulation de la protection de l’emploi ainsi qu’une stabilité sur les dimensions d’allocations chômage et de revenu minimum, ou bien, lorsque ces deux dimensions sont en recul, une augmentation symétrique des dépenses pour les politiques d’activation. À ces trois trajectoires, précédemment définies dans la littérature, deux nouvelles sont ajoutées qui prennent en compte l’augmentation de la protection du marché du travail : la dé-dualisation (le contraire de la dualisation) et la protection renforcée (le contraire de la libéralisation). Une trajectoire de dé-dualisation est similaire à la flexicurité, mais la réduction de l’EPL est plus forte pour les contrats permanents que pour les contrats temporaires. Une trajectoire de protection renforcée implique une re-réglementation de la protection de l’emploi ainsi qu’une augmentation de la démarchandisation et des dépenses pour les politiques d’activation.
31 La Suède, l’Espagne, la Grèce, la Norvège, le Portugal, les Pays-Bas et le Japon ont suivi une trajectoire de libéralisation. Parmi eux, deux modalités de libéralisation diffèrent légèrement. L’Espagne, le Portugal et la Norvège ont connu une trajectoire de libéralisation linéaire qui s’est déroulée sans différence substantielle entre les contrats temporaires et permanents (Picot et Tassinari, 2017 ; Prosser, 2016). Au Portugal et en Espagne, la libéralisation est intervenue dans un contexte de marché du travail déjà dualisé (Cárdenas et Villanueva, 2021 ; Cardoso et Branco, 2018). La Norvège a poursuivi une trajectoire de libéralisation classique, mais dans une moindre mesure que le Portugal et l’Espagne. En outre, contrairement à tous les autres pays du groupe, mais avec le Danemark, elle a connu une amélioration des conditions de la force de travail.
32 La Suède, la Grèce, les Pays-Bas et le Japon ont suivi une trajectoire de libéralisation avec tendance à la dualisation. La Suède a connu un recul généralisé de la protection de l’emploi dans toutes les dimensions considérées (Anderson, 2001). C’est le pays qui s’est le plus libéralisé, confirmant la diminution de sa capacité de coordination et de sa solidarité sociale. Les mesures d’austérité qui ont suivi la grande récession ont accru la libéralisation en Grèce (Matsaganis, 2012). La déréglementation de l’EPL y est la plus poussée de tous les pays, principalement due à une réduction de l’EPL pour les contrats temporaires. La Grèce a également connu une forte augmentation du taux de chômage et de la part des contrats à temps partiel involontaire. La protection du marché du travail reste très faible dans l’ensemble. Aux Pays-Bas, la libéralisation s’est traduite par une réduction de toutes les dimensions de la protection de l’emploi, à l’exception du revenu minimum. Les contrats temporaires y sont déréglementés et davantage diffusés (ils sont le deuxième des pays de ce groupe après l’Italie). Au Japon, la trajectoire de libéralisation a surtout touché les contrats temporaires dans un contexte de détérioration des conditions de la force de travail (Coe et al., 2011).
33 L’Allemagne, l’Italie et la Belgique ont suivi une trajectoire de dualisation, ponctuée par une légère augmentation (Belgique et Allemagne) ou une diminution (Italie) de la protection des contrats permanents. Les allocations chômage et le revenu minimum ont légèrement augmenté (principalement en raison d’une hausse des dépenses liées à la détérioration des conditions de la force de travail). Les dépenses consacrées aux politiques d’activation ont diminué en Allemagne et en Belgique, mais ont augmenté en Italie. Cependant, en Italie ces dépenses restent beaucoup plus faibles que dans les deux autres pays. L’Allemagne représente un cas typique de dualisation (Seeleib-Keiser et Fleckenstein, 2007) et l’Italie suit une trajectoire similaire (Berton et al., 2012 ; Emmenegger, 2014). Toutefois, cette analyse ne tient pas compte de la réforme du marché du travail italien de 2015 (le Jobs Act) qui, pour la première fois depuis les années 1990, a déréglementé la protection de l’emploi, y compris pour les contrats permanents, tout en réduisant considérablement la protection de l’emploi pour les contrats temporaires. C’est pourquoi, selon certains chercheurs, la dualisation s’est transformée en libéralisation (Ferragina et Arrigoni, 2021).
34 Le Danemark et la Suisse ont suivi une trajectoire de flexicurité (Andersen, 2012 ; Fossati, 2018). La stratégie danoise de flexicurité a été déployée en déréglementant la protection de l’emploi pour les contrats temporaires, en préservant les allocations chômage et le revenu minimum et en augmentant les dépenses des politiques d’activation au niveau le plus élevé parmi les pays de l’OCDE. La Suisse, qui avait déjà déréglementé l’EPL en 1990, a augmenté ses formes actives et compensatoires de protection du marché du travail. Ainsi, le Danemark a suivi une trajectoire fondée sur la « flexibilité intégrée » (Thelen, 2014), tandis que la Suisse a choisi une voie plus libérale, en commençant à étendre un niveau de générosité auparavant faible.
35 L’Autriche et la Finlande ont suivi une trajectoire de dé-dualisation, dérégulant l’EPL pour les contrats permanents tout en maintenant (Autriche) [Rathgeb, 2017] ou en augmentant (Finlande) l’EPL pour les contrats temporaires. En outre, les allocations chômage, le revenu minimum et les politiques d’activation ont été étendus pour contrer la détérioration des conditions de la force de travail. La France, malgré une augmentation du chômage et des contrats précaires (en particulier pour les jeunes) [Chevalier, 2016], est la seule économie coordonnée à afficher des sous-scores positifs pour toutes les dimensions institutionnelles.
Conclusion
36 Cet article étudie systématiquement les variétés de protection de l’emploi et les trajectoires de changement des pays. Il y est déterminé comment les variétés de protection de l’emploi ont évolué au cours de trois décennies dans 21 pays et une typologie révisée est proposée. Il a également été examiné dans quelle mesure les trajectoires de protection de l’emploi sont dépendantes des précédents cadres institutionnels et cohérentes avec les variétés institutionnelles identifiées dans la littérature, et une nouvelle taxonomie en cinq catégories a été établie. En outre, il est suggéré que les cadres théoriques WoW et VoC sont des points de départ utiles pour analyser les variétés de protection de l’emploi ; cependant, ils doivent être considérés cum grano salis. Leur qualité heuristique n’implique pas une capacité durable à saisir les différentes formes de protection.
37 Les analyses en composantes principales montrent que le cadre WoW a perdu une partie de son pouvoir descriptif. Cela confirme la littérature qui identifie la globalisation, l’européanisation et la libéralisation comme des facteurs expliquant la réduction de la protection de l’emploi (Ferragina et al., 2022) et montre l’utilité d’une typologie révisée. Alors que, en 1990, les variétés de protection du marché du travail correspondaient largement au WoW (avec une différenciation entre les régimes sociaux-démocrates, chrétiens-démocrates, libéraux et méditerranéens), la distinction entre les pays sociaux-démocrates (à l’exception du Danemark) et les pays chrétiens-démocrates disparaît en 2015. Depuis lors, une première variété regroupe les pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale, caractérisés par les plus hauts niveaux de coordination et de solidarité (bien que ces deux éléments soient en déclin). Une deuxième variété comprend les pays d’Europe du Sud (la France rejoignant ce groupe) et une troisième variété les pays libéraux. Dans tous les cas, les pays sont plus proches les uns des autres en 2015 qu’en 1990, avec des variétés institutionnelles plus homogènes. Dans les pays d’Europe du Sud, une nouvelle détérioration de la coordination, des niveaux de solidarité et des conditions de la force de travail (affectant, en particulier, les taux de chômage et la proportion de contrats temporaires et de contrats à temps partiel involontaire) est observée. Dans le groupe libéral, le niveau de protection n’a que légèrement diminué, car un processus avancé de libéralisation était déjà en cours dans les années 1980.
38 Le cadre VoC semble avoir mieux résisté à l’épreuve du temps que le WoW − ce qui est peut-être dû à sa catégorisation plus parcimonieuse, mais avec des réserves. En 2015, une différence est persistante entre les deux groupes d’économies coordonnées (le groupe unifié des pays sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates, plus le groupe méditerranéen) et les économies libérales. Toutefois, cet indicateur composite révèle que le niveau de protection a diminué depuis 1990 dans 10 des 15 économies coordonnées.
39 Le travail de K. Thelen (2014) permet de définir les trajectoires d’un certain nombre de pays (le Danemark, la Belgique, l’Allemagne et l’ensemble des pays libéraux). Cependant, les trajectoires de changement apparaissent plus nombreuses que les trois qu’elle a formulées, suggérant l’élaboration d’une taxonomie à cinq catégories. Trois de ces trajectoires ressemblent beaucoup à celles que K. Thelen a conceptualisées, à savoir la libéralisation, la dualisation et la flexicurité. Dans cet article, « déréglementation » est remplacée par « libéralisation », afin d’indiquer un processus plus global de diminution de la protection sur le marché du travail, et « flexicurité intégrée » par « flexicurité », car la trajectoire implique également un pays en dehors du régime social-démocrate. En outre, deux autres trajectoires sont conceptualisées dans cette étude pour affiner cette taxonomie. La première est la dé-dualisation, caractérisée par une réduction de l’EPL, bien qu’elle soit plus forte pour les contrats permanents que pour les contrats temporaires. La seconde est celle d’une protection renforcée, c’est-à-dire une re-réglementation généralisée de la protection du travail dans toutes ses dimensions. En outre, les trajectoires de changement ne sont pas toujours ancrées dans des variétés classiques. Parmi les pays sociaux-démocrates, la flexicurité ne se trouve qu’au Danemark. En Suède et en Norvège, le score révèle une trajectoire de libéralisation et en Finlande une trajectoire de dé-dualisation. Parmi les pays chrétiens-démocrates, une dualisation en Belgique et en Allemagne, une libéralisation aux Pays-Bas, une dé-dualisation en Autriche et une protection renforcée en France sont observées. Enfin, les pays méditerranéens semblent avoir connu une trajectoire de libéralisation, à l’exception de la trajectoire italienne, que l’indicateur composite semble décrire comme une dualisation.
40 En conclusion, si le cadre théorique WoW est un outil heuristique valable pour conceptualiser les variétés institutionnelles, il perd une partie de son pouvoir explicatif face à des processus de changement généralisés. Cette considération renforce la raison d’être de cet article : il est important d’examiner systématiquement et d’affiner conceptuellement la manière dont les variétés de protection de l’emploi et les trajectoires de changement des pays évoluent au fil du temps, ce qui devrait également s’appliquer à d’autres domaines des politiques sociales (sur la politique familiale, voir Daly et Ferragina, 2018 ; Ferragina, 2019). En outre, malgré la distinction persistante entre les économies coordonnées et libérales, les premières se rapprochent de plus en plus des secondes. Il appartient aux futures recherches de déterminer si, à long terme, ce processus compromettra la validité des VoC, comme l’ont affirmé certains chercheurs. Pour l’instant, face au biais de stabilité dont les deux cadres semblent souffrir, nous nous en tenons aux prétendus mots déclarés par Galilée lors de son procès : « Eppur si muove » (« Et pourtant, elle tourne ! »).
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : variétés de libéralisation, État-providence, variétés de capitalisme, protection du marché du travail, dualisation
Mise en ligne 11/07/2024
https://doi.org/10.3917/rpsf.151.0039Notes
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[1]
Le contenu de cet article n’engage que ses auteurs. Les auteurs remercient Bernard Corminboeuf pour ses relectures du texte.
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[2]
Cette recherche a bénéficié des soutiens apportés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre des investissements d’avenir dans le cadre du Labex Liepp (ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02) et de l’IdEx Université Paris Cité (ANR-18-IDEX-0001). Il s’agit d’une publication tirée du projet POLWOM (“Welfare State Change as a Polanyian Double Movement. How social policy change affects women across different social classes”).
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[3]
La stratégie européenne pour l’emploi fixe une série d’objectifs que les États membres sont tenus d’atteindre par des politiques de marché du travail.
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[4]
Elles recouvrent les dispositifs de soutien à la création d’emplois, la formation professionnelle, l’accompagnement des demandeurs d’emploi, etc.
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[5]
L’indice EPL est composé de 21 sous-indicateurs répartis en trois macrodomaines mesurant la protection des travailleurs réguliers contre les licenciements individuels, la réglementation du travail temporaire et certaines exigences supplémentaires en matière de licenciements collectifs. L’indice va de 0 (marché du travail parfaitement flexible) à 6 (marché du travail parfaitement rigide).
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[6]
Les nouveaux risques sociaux sont définis comme les risques typiques des sociétés post-industrielles, tels que la conciliation du travail et de la famille, la monoparentalité, la présence d’un parent fragile, des compétences faibles ou obsolètes et une couverture sociale insuffisante (Bonoli, 2005, p. 3-4).
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[7]
Pour nous assurer que les indicateurs de dépense et de composition de la force de travail, par nature plus exposés aux fluctuations du cycle économique que les indicateurs institutionnels, n’ont pas d’impact sur ces typologies (ainsi que sur les trajectoires obtenues par le biais du score multidimensionnel), une série de contrôles de robustesse a également été effectué (ACP avec les indicateurs institutionnels uniquement, ACP utilisant une moyenne de 5 ans pour les résultats). Le test confirme la fiabilité de ces modèles. Les analyses additionnelles sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
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[8]
Les taux de chômage, la proportion de travailleurs ayant un contrat à durée indéterminée ou déterminée et la proportion de travailleurs employés involontairement avec un contrat à temps partiel (une approximation des emplois de mauvaise qualité).
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[9]
Les données manquantes sont imputées en utilisant la valeur de l’année la plus proche. Un tableau contenant les détails sur chaque indicateur utilisé pour les deux périodes est disponible sur demande auprès des auteurs.
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[10]
Le Japon est un cas hybride (chrétien-démocrate/libéral, voir G. Esping-Andersen, 1997). Toutefois, à l’instar de M. Estevez-Abe et al. (2001), cette analyse le considère comme l’une des économies coordonnées, tout en le classant parmi les libéraux en termes de protection du marché du travail.
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[11]
En ce qui concerne la composition de la force de travail, il a été décidé de ne pas utiliser les valeurs des États-Unis comme point de référence, car le pays présente de faibles niveaux de chômage ainsi qu’une faible proportion de contrats temporaires et de contrats à temps partiel involontaire, tant en 1990 qu’en 2015. Cela est dû à la faible législation sur la protection de l’emploi, qui rend presque indifférent pour les employeurs le fait d’embaucher sur une base permanente ou temporaire. L’utilisation de cette référence aurait donc conduit à des sous-scores excessivement élevés (ou faibles), ce qui aurait biaisé l’analyse.
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[12]
Conformément aux conclusions de travaux antérieurs sur l’évolution du marché du travail, qui traitent les différents indicateurs et dimensions de la protection de la même manière, il a été décidé dans cette étude de ne pas pondérer les différents sous-scores.
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[13]
Un tableau contenant les détails sur chaque indicateur dans chaque pays utilisé pour les deux périodes est disponible sur demande aux auteurs.