Couverture de PSF_138

Article de revue

Politiques publiques d'accueil de la petite enfance en situation de pauvreté

Enseignements et réflexions issus de la littérature internationale

Pages 111 à 119

Notes

  • [1]
     Cet article présente une synthèse de la littérature internationale sur ce sujet. Le champ est ainsi vaste et diversifié. Les études recensées sont, par conséquent, difficiles à comparer car elles ne portent pas exactement sur le même objet et se situent, pour la majorité, en dehors du cadre français. Puisque l’analyse d’une politique publique ne peut s’effectuer qu’en la contextualisant, il faut donc rester prudents et ne pas transposer à l’identique les conclusions émises.
  • [2]
    Le terme de « pauvreté » est polysémique. Pour une définition contextualisée, voir Zaouche Gaudron et al. (à paraître).
  • [3]
    Par exemple, la discrimination par les critères d’éligibilité, les exigences de composition de dossier, les compétences nécessaires pour les démarches en ligne, etc.
  • [4]
    La plupart des articles mobilisés indiquent des constats statistiques mais n’apportent pas d’explications. Pour une présentation de différentes hypothèses pour expliquer les limites des politiques ciblées, voir Séraphin (2015). Par ailleurs, les résultats de la littérature internationale montrent également que les structures d’accueil collectives peuvent plus aisément être le support d’autres politiques publiques, notamment sanitaires, qui participent indirectement à lutter contre la pauvreté.
  • [5]
    Head Start est un programme du Département de la santé, de l'éducation et des services sociaux des États-Unis qui fournit une éducation complète, des services d’aide parentale mais aussi de santé, de nutrition, aux enfants à faibles revenus et à leurs familles. Head Start a été créé en 1965 et a été remplacé par le Head Start Act de 1981. Ce programme a traversé les modifications les plus profondes dans son dernier renouvellement de décembre 2007. C'est aussi le programme ayant la plus grande longévité parmi ceux destinés à régler la pauvreté systémique aux États-Unis. L’initiative REDI Head Start, « For Research-based, Developmentally Informed » (« axée sur la recherche et le développement »), est une forme enrichie du programme traditionnel d’éducation préscolaire Head Start.
  • [6]
    La législation flamande mettant en application la règle réservant 20 % des places en crèche pour les familles vulnérables (parents à faibles revenus, sans emploi, en formation, familles « monoparentales ») dans toutes les crèches subventionnées. En France, pour rappel, la norme est de 10 %.

1En mai 2020, un groupe de travail coordonné par la chercheuse Chantal Zaouche Gaudron a remis à la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf) un rapport sur l’accueil des enfants âgés de moins de 3 ans en situation de pauvreté dans les structures d’accueil de la petite enfance (Zaouche Gaudron et al., à paraître).

2Dans la perspective de proposer des pistes de réflexion et d’innovation pour la politique publique française, une revue des littératures nationale et internationale qui rend compte d’expériences ou d’observations menées dans d’autres pays a été conduite [1]. La sélection des références a été effectuée de la manière suivante : les études considérées portent sur le périmètre de ce qui est appelé « petite enfance » en France, à savoir la population des enfants de moins de 3 ans ; cependant, des études portant sur une population plus large (moins de 6 ans) ont parfois été mobilisées. Une recherche des textes publiés entre 2014 et 2019 a d’abord été effectuée dans les banques de données relatives au sujet général du rapport, l’accueil des jeunes enfants en situation de pauvreté [2] (BibCnrs, Cairn, Persée, PsycInfo, EbscoHost, SocIndex, Medline, Academic Search Premier, EPsyarticle, Psycritique, etc.), sur la base de la combinaison d’une cinquantaine de mots-clés (en français et en anglais) dont : enfants pauvres libre-choix, programme-pratiques d'intervention, prévention, politiques publiques, solidarités publiques/privées, politique universelle-ciblée, universalité, ciblage, pratiques d'universalité-de ciblage, etc. Cette première recherche a ensuite été complétée par une sélection sur Internet des principaux auteurs ayant publié sur le sujet. Dans le cadre de cet article, les références les plus significatives ont été sélectionnées.

3Cet article, fondé sur l’un des chapitres du rapport consacré à la mise en œuvre des politiques publiques, a pour ambition de répondre à trois questions couramment posées comme des alternatives dans le débat public français. Est-il préférable de mener une politique universelle ou alors une politique ciblée ? Subsidiairement, peut-on imaginer une voie intermédiaire qui serait une « universalité proportionnée » ? Par ailleurs, est-il préférable d’investir dans des structures ou de développer des allocations à la personne ?

Politiques universelles ou ciblées : les enseignements des expériences internationales

4Depuis de nombreuses années, la question de l’universalité ou du ciblage d’une politique publique fait l’objet de débats (Revue française des affaires sanitaires et sociales, 2018), parfois virulents, notamment lorsqu’ils portent, en France, sur les allocations familiales (Séraphin, 2015). Une politique universelle, dans un domaine déterminé, s’adresse à tous les individus dans la situation d’un besoin identifié, en ce qui concerne la prestation, le service, etc., couverts par la politique en question. Une politique ciblée ne couvre le besoin que d’une sous-catégorie spécifique parmi les personnes dans une situation de besoin. Le ciblage peut porter sur des types d’individus, de familles, de ménages, de foyers allocataires, de foyers fiscaux ou même sur des territoires. De plus en plus, dans le débat public (ibid.), il est évoqué une universalité « intégrale » ou alors « proportionnée ». Dans le premier cas, tous les citoyens bénéficient de la politique dans les mêmes conditions (avec un même montant d’allocation par exemple). Dans le second, tous les citoyens bénéficient de la politique mais de façon différente ou dans des proportions différentes (ils bénéficient alors d’une allocation mais elle est d’un montant différent selon leurs revenus).

5Dans la thématique ici, l’accueil de la petite enfance en situation de pauvreté, une politique universelle s’adresserait à toutes les familles et tous les enfants, tandis qu’une politique ciblée ne viserait que les enfants en situation de pauvreté et leurs familles. Le ciblage peut concerner l’accès à des services ou des prestations individualisées. Il peut également porter sur des prestations dites « familialisées ». Dans le premier cas, le bénéfice d’une prestation dépend des caractéristiques de l’individu bénéficiaire et dans le second, il dépend des caractéristiques d’un foyer allocataire.

Des politiques universelles plutôt favorables aux enfants en situation de pauvreté… 

6En ce qui concerne le versement de prestations monétaires pour répondre aux besoins matériels des individus ou des familles (allocations et prestations), des études anciennes, dont les principales conclusions ont été synthétisées par Gilles Séraphin (2013), montrent qu’une politique familiale universelle, complétée par des politiques ciblées, ou dans certains cas « proportionnée », est efficace en termes de lutte contre la pauvreté. Qu’en est-il aujourd’hui, en ce qui concerne l’accueil des jeunes enfants en dehors de leur cellule familiale ?

7Sneha Elango et ses collègues (2015) synthétisent la littérature sur cette question et analysent les sources de données primaires provenant d’enquêtes sur des programmes d’accueils divers, universels ou ciblés, issues d’études menées en Norvège, au Québec et aux États-Unis. Les chercheurs concluent que, non seulement l’universalité favorise l’ensemble de la population, mais aussi, plus particulièrement, ceux qui vivent en situation de pauvreté. Portia Miller et ses collègues (2017) confirment ces résultats à partir d’une comparaison entre les deux principaux modèles états-uniens de programmes de prématernelle (Preschool, un à deux ans avant la maternelle) financés par des fonds publics : la prématernelle ciblée, soumise à condition de ressources, et la prématernelle universelle. Ces programmes diffèrent souvent par les caractéristiques économiques des enfants d'âge préscolaire inscrits. Selon les auteurs, des études antérieures avaient mis en évidence des liens entre les résultats scolaires individuels des enfants et la catégorie sociale d’appartenance des autres élèves de la classe, mais peu d’entre elles avaient permis de déterminer si ces corrélations étaient effectives dans les classes de l’enseignement préscolaire. En utilisant les données de 2 966 enfants dans 709 classes prématernelles, les chercheures examinent tout d’abord si l’origine sociale des élèves de la classe (revenu familial moyen, écart-type des revenus et pourcentage d'élèves issus de ménages à faible revenu) est liée à la réussite scolaire. Elles étudient ensuite si l’association entre la composition économique de la classe et les résultats scolaires des enfants diffère en fonction du niveau de compétences académiques initial. Le premier résultat vérifie l’hypothèse de départ : l’augmentation de l’avantage économique dans les classes d’enseignement prématernel est corrélée positivement à la réussite scolaire de l’élève. Plus précisément, l'augmentation du revenu global des salles de classe, entre 22 500 et 62 500 dollars, est liée à l'amélioration des résultats en mathématiques. A contrario, l’augmentation de la proportion d'enfants issus de ménages à faible revenu dans la classe est liée négativement aux compétences en mathématiques, en lecture, en écriture et en expression. Dans tous les cas, il y a peu de preuves statistiques que les corrélations entre l’origine sociale des élèves de la classe et leurs performances scolaires diffèrent selon le niveau de compétence initial. Mais, au final, les résultats (de modèles de régressions logistiques notamment) indiquent que les programmes de prématernelle « universels » (avec une grande variabilité de revenus) peuvent être plus bénéfiques pour les enfants d’âge préscolaire issus des ménages à faible revenu que les classes destinées uniquement aux enfants économiquement défavorisés.

8Par ailleurs, Amélie Petitclerc et ses collègues (2017) ont mené une étude sur le degré de participation à des dispositifs d’accueil d’enfants âgés de 0 à 5 ans révolus. L’étude intègre les données de cinq cohortes d'enfants vivant dans différents pays occidentaux à revenu élevé (Royaume-Uni, États-Unis, Pays-Bas, Canada et Norvège, au total 21 437 enfants). Les auteurs constatent que les taux de participation aux services d’accueil plus élevés sont associés à des allocations universelles, c’est-à-dire non ciblées sur les familles à faible revenu. Les prestations universelles bénéficieraient ainsi à l’ensemble des familles et ne seraient pas associées à des effets pervers de sélection par le revenu ou associées au revenu (comme, par exemple, le fait de « ne pas se sentir à sa place »).

… à condition que la politique soit réellement universelle

9Toutefois, il est nécessaire de distinguer universalité théorique et universalité pratique. Zoelene Hill et ses collègues (2019) exposent la politique états-unienne du Fonds de développement et de protection de l’enfance [The Child Care and Development Fund (Cccdf)] qui poursuit un double objectif : promouvoir l’emploi, l’éducation et la formation des parents à faible revenu, et les encourager à utiliser des services d’accueil et d’éducation de haute qualité pour les enfants âgés de moins de 5 ans. Pourtant, alors que la Ccdf a pour objectif d’améliorer l’accessibilité et la fonctionnalité de ses subventions pour toutes les familles à faible revenu éligibles, leur utilisation par les familles hispaniques, qui représentent la proportion la plus importante des familles à faible revenu, demeure faible. Il est donc apparu nécessaire de transformer cet accès théorique (ce « droit » lorsque la politique est universelle) en un accès pratique. Ainsi, l’étude citée explore les moyens par lesquels le contexte de la politique d’accueil de jeunes enfants au niveau des États fédérés [3] peut affecter négativement l’utilisation des ressources par les familles hispaniques et contribuer aux disparités ethniques dans l’utilisation des programmes. Cette étude montre la nécessité d’accompagner l’universalité théorique d’une action engagée pour que chaque citoyen ait accès à ses droits (information, accompagnement ou encore présence des services et des structures sur l’ensemble du territoire) et puisse en bénéficier.

Des politiques ciblées aux effets incertains sur le long terme

10En introduction de leur article, Karen L. Bierman et ses collègues (2017), sur la base d’une recension de recherches longitudinales antérieures, indiquent un effet limité de la plupart des programmes d’accompagnement états-uniens ciblés [4]. Au cours des interventions prématernelles ciblées, les gains réalisés par les enfants vivant dans des familles à faible revenu s’estompent souvent au moment de l'entrée à l'école maternelle et disparaissent au début de l'école primaire. La recherche des auteurs se fonde sur plusieurs évaluations (par essais randomisés) de l’efficacité dans la durée d’un programme de suivi renforcé, le Head Start REDI[5], envers des populations précarisées.

11Les auteurs montrent que l’intervention en classes préscolaires durant deux années a eu, la troisième année, des effets bénéfiques sur les compétences socioaffectives, en améliorant la participation en classe, les relations élève-enseignant, la compétence sociale et les relations entre pairs. L’intervention coordonnée de visites à domicile a, en outre, eu des effets bénéfiques supplémentaires sur la santé mentale des enfants (compétences sociales perçues et relations avec les pairs) et sur les compétences cognitives (compétences en lecture, rendement scolaire). Selon cette étude, ces programmes Head Start renforcés peuvent être ajustés à une population précarisée. La politique ciblée ne se révélerait ainsi pas plus efficace que l’universelle, mais pourrait être adaptée à ces populations précises et devenir tout aussi efficace pour une population distincte, telle que celle en situation de pauvreté. Cependant, cette efficacité est somme toute évaluée dans une courte durée, puisque l’étude est menée lors de la troisième année, l’accompagnement ayant été renforcé durant les deux premières.

12D’autres travaux complètent ce constat. Même s’ils observent, de prime abord, que les effets du Head Start sont plus importants chez les enfants qui, autrement, ne fréquenteraient pas l’école maternelle, Patrick Kline et Christopher Walters (2016) soulignent que, finalement, les effets bénéfiques peuvent être imputés à la mise en œuvre de programmes ou de modes d’accueil antérieurs et « concurrents », financés eux aussi sur des fonds publics. Ainsi, les dernières recherches semblent démontrer qu’une politique d’accueil ciblée peut se révéler être efficace en matière de réduction des effets délétères de la pauvreté, mais des questions subsistent quant à la durée de ses effets positifs sur le long terme.

De l’universalité à l’universalité proportionnée

13Une politique publique universelle peut également être proportionnée dans son application, ce qui est également une forme de ciblage, en favorisant certaines catégories de populations dans l’intensité de l’aide, de la prestation ou du service.

14Ainsi, Michel Vandenbroeck et Ankie Vandekerckhove (2016), dans le cadre d’une recherche-action au long cours (2003-2012), analysent un projet de crèche inclusive à Bruxelles. Trois crèches avaient initialement été sélectionnées pour participer au projet, ce qui impliquait alors de : réviser leur politique d'admission [6], ne plus s’exprimer exclusivement en néerlandais, accepter une fréquentation plus irrégulière ; former les personnels à la diversité. Après deux ans, 70 enfants de primo-arrivants ont obtenu des places dans ces crèches. En 2012, à la fin de la recherche-action, le projet couvrait presque toutes les crèches flamandes « subventionnées ». Les crèches participantes réservaient alors un pourcentage de places aux familles primo-arrivantes. En outre, la priorité auparavant accordée aux jeunes enfants de parents en emploi a fait place à des considérations plus sociales, priorisant les mères élevant seules un enfant, les familles en situation de crise, avec de faibles revenus et les minorités ethniques. À la fin de ce projet, selon les chercheurs, les parents étaient devenus des partenaires, plus que des utilisateurs, et les crèches participantes ont gagné en présence dans les quartiers, tissant des liens avec d’autres services de proximité. Et le principal de cette expérience est la prise de conscience croissante de l'importance d’être en contact et d’impliquer des familles défavorisées et la preuve qu’une politique d’admission bien pensée conduit à plus d’égalité. Il ne s’agit alors pas de réserver certains modes d’accueil à une catégorie de la population, mais plutôt d’en favoriser l’accès. Par ce biais, cette politique, toujours universelle mais proportionnée, permettrait un accès efficient aux droits.

Universalité et libre choix

15Comme l’ont montré les travaux de Philippe Warin (2014), de Philippe Warin et Pierre Mazet (2014), la mise en place d’un dispositif d’aides ne suffit pas pour que les prestations sociales atteignent le public visé et déploient les effets attendus. En effet, les individus et les familles opposent régulièrement des formes diverses de « non-recours » aux prestations qui leur sont offertes.

16En France, l’accès aux modes d’accueil (en proportion et selon le type d’accueil) est inégal (Onape, 2019 ; Virot, 2017 ; Thévenon, 2016), notamment selon les territoires et l’emploi des parents. En outre, le coût pour les familles des modes d’accueil de jeunes enfants diffère selon leurs ressources disponibles, les aides financières proposées par les caisses d’allocations familiales (Caf) dépendant des niveaux de revenus des parents. Les commissions d’attribution des places en crèche, et certaines assistantes maternelles, effectuent aussi des arbitrages parmi les demandes (Herman, 2017). Par ailleurs, les familles des classes populaires peuvent privilégier la garde familiale en cas d’inactivité d’un membre de la famille, la mère généralement, en raison de l’absence de revenus disponibles pour opter pour un mode d’accueil externe, ou encore de normes sociales privilégiant ce mode d’accueil des jeunes enfants. Ainsi, près de six enfants de moins de 3 ans sur dix sont gardés au sein de leur famille.

17Dans ce contexte, des pistes pourraient être explorées pour rendre cette politique plus universelle en pratique : créer un service public universel d’accueil des jeunes enfants, étendre les possibilités d’accueil en école maternelle dès l’âge de 2 ans sur l’ensemble du territoire (Périvier, 2015), mieux harmoniser une universalité proportionnée, c’est-à-dire permettre un accès à tous les enfants sans exception avec un ciblage sur quelques catégories d’enfants afin d’inciter et d’améliorer leur accès (Thévenon, 2016 ; Vandenbroeck et Vandekerckhove, 2016).

Les effets des aides individualisées et des aides aux structures d’accueil

18En France, la politique de diversification des modes d’accueil repose sur la coexistence de deux types de prestations (avec également des possibilités de crédits d’impôt). Les prestations individuelles visent la compensation des frais de garde engagés par les familles. Elles leur sont versées directement (comme le complément mode de garde dans le cas de l’accueil chez une assistante maternelle, une garde à domicile ou une micro-crèche) et sont calculées selon des paliers de ressources. Les aides collectives soutiennent le fonctionnement des structures d’accueil [prestation de service unique (Psu), aides à la création et au fonctionnement des relais d’assistantes maternelles…], ou l’amélioration de la qualité (soutien à la formation, accompagnement de pratiques d’accueil émergentes…). Versées aux structures d’accueil et, en ce qui concerne la Psu, ces aides sont calculées selon les ressources des familles accueillies.

19Est-il préférable d’accorder une allocation aux familles afin qu’elles choisissent leur mode d’accueil et/ou compensent leurs dépenses ou faut-il soutenir des structures accessibles au plus grand nombre, à prix accessible voire gratuitement ? Quels sont les effets de ces types de politiques, voire d’une articulation des deux, en termes de lutte contre la pauvreté ? La littérature internationale apporte quelques éléments de réponse.

Des effets des prestations monétaires positifs à court terme mais qui s’estompent à moyen terme

20Sur la base d’une comparaison entre plusieurs pays dits « développés », Susan Mayer (1997) avait démontré, dès la fin des années 1990, que l’accroissement des prestations monétaires offertes aux familles n’était pas automatiquement source d’une augmentation des opportunités offertes aux enfants, notamment en ce qui concerne le recours à des services de qualité. Ce constat est renouvelé par Anna D. Johnson et Rebecca M. Ryan (2015). Ce dernier article porte sur le rôle des allocations pour l’accueil formel de jeunes enfants de parents à faible revenu aux États-Unis. Les principaux résultats indiquent que les allocations augmentent la possibilité d’accès à des modes d’accueil formel et de qualité, mais les effets directs en termes de développement de l’enfant ont été, dans les faits, nuls ou négatifs.

21Dans la même perspective, toujours en ce qui concerne les États-Unis, Alejandra Ros Pilarz (2018) a observé si l’enfant d’une famille à faible revenu bénéficie d’un meilleur accès à une diversité des modes d’accueil lorsqu’une allocation monétaire est versée à sa famille. Sur la base des données de la Early Childhood Longitudinal Study – Birth Cohort (Ecls-B), échantillon représentatif de 14 000 enfants nés aux États-Unis en 2001, la chercheuse a mené une étude qui utilisait des techniques de difference-in-difference afin d’estimer les effets des dépenses des programmes de subvention pour la garde d'enfants sur les décisions des parents en ce qui concerne le nombre et le type de structures de garde. Cette recherche indique, certes, que les dépenses au titre des programmes d’allocations sont corrélées à une probabilité plus élevée d'utiliser un mode d’accueil unique (en centre d’accueil) et à une probabilité plus faible d'utiliser plusieurs arrangements. Cependant, l’auteure suggère également que le caractère souvent inaccessible des services d’accueil contribue parallèlement à l'utilisation de multiples arrangements et « bricolages » par les parents à faible revenu.

22Par ailleurs, Anna D. Johnson, Anne Martin et Rebecca M. Ryan (2014) ont analysé, aux États-Unis, les effets du Programme fédéral d’allocations pour la garde d'enfants sur la probabilité d’accès ultérieur aux services préscolaires d’accueil d'enfants (preschool childcare), après réception d’une allocation. Une hypothèse est que ces allocations augmentent la probabilité de participer à d'autres programmes préscolaires par des fonds publics (« Head Start » et « Public pre-K ») financés qui offrent des accueils de haute qualité aux familles à faible revenu. La prestation monétaire permettrait alors d’accéder à un mode d’accueil collectif de qualité, inaccessible jusqu’alors aux familles à faibles revenus. Elle ouvrirait ensuite la voie, pour ces familles, au recours à toutes sortes de services collectifs de qualité. À partir de l’analyse des données de « Cohorte longitudinale de la petite enfance – Cohorte de naissance » (n = 2 100 ; environ deux ans), les chercheuses démontrent que la perception de l’allocation pendant la petite enfance est corrélée à une plus grande utilisation des autres formes d’accueil financées par des fonds publics au cours de l’année préscolaire, seulement si l’allocation antérieure est utilisée dans une structure collective.

23En outre, plusieurs études montrent que les éventuels effets bénéfiques, à court terme, des allocations ont tendance à s’estomper à moyen terme. Ainsi, Caroline Krafft et ses collègues (2017) constatent que, chaque mois, aux États-Unis, le Programme d’allocation pour la garde d’enfants aide près d’un million de familles à faible revenu. Leur hypothèse de départ est simple et rejoint celle de l’équipe précédente : on pourrait s’attendre à ce que ce soutien financier améliore la stabilité et la qualité de soins qui favorisent le développement des enfants. Dans leur étude, les auteures utilisent des données d’enquêtes longitudinales sur les familles à faible revenu et des données administratives couplées sur les subventions reçues pour étudier la stabilité temporelle et la perception par les parents de la qualité des arrangements en matière d’accueil d'enfants. Le constat est clair : selon les déclarations des parents, lorsque les familles reçoivent des subventions pour l’accueil formel de leurs jeunes enfants, ceux-ci bénéficient dans un court délai d’un accueil de meilleure qualité. Mais sur une période plus longue, l’octroi ou non d’une allocation n’entraîne aucune différence dans la stabilité des arrangements d’accueil, les enfants utilisant souvent plusieurs modes d’accueil en même temps, indépendamment du montant de la subvention.

24Ces résultats suggèrent que le versement d’une subvention pour la garde d’enfants pourrait éventuellement favoriser des résultats positifs pour les enfants, surtout dans un premier temps, à la condition d’un accès important et permanent à des accueils de meilleure qualité. Cette politique d’aide individualisée doit s’accompagner d’une politique d’aide aux structures, afin d’assurer la qualité mais, surtout, la continuité de l’accueil.

Conclusion

25Si l’un des objectifs d’accueil de la petite enfance est de contribuer à la lutte contre les effets délétères de la pauvreté des jeunes enfants, cette revue de littérature internationale semble montrer qu’il est préférable de viser une politique d’accueil universelle, quitte à proportionner le niveau de l’aide. Par ailleurs, les critiques générales concernant les politiques ciblées portent essentiellement sur celles qui prennent la forme de programmes dont l’application est limitée dans le temps. Par conséquent, s’agissant des programmes qui sont souvent l’objet de questionnements, il est possible d’émettre l’hypothèse que ce n’est pas tant le ciblage en soi qui se révélerait, au final, peu efficace (ou moins que souhaité), mais le manque de pérennité des programmes et donc leur application limitée dans le parcours de vie d’un enfant.

26En outre, les aides individualisées semblent peu efficaces si elles ne sont pas accompagnées d’une aide aux structures afin que les familles aient, a minima, accès au mode d’accueil qu’elles souhaitent. Dans tous les cas, que ce soit dans le cadre d’une politique universelle ou dans le cadre d’une politique d’aide aux structures, la question de l’accès aux droits est primordiale pour que la politique publique menée soit efficace.

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Bibliographie

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : accueil petite enfance, pauvreté, aides publiques, universalité

Mise en ligne 06/07/2021

https://doi.org/10.3917/psf.138.0111

Notes

  • [1]
     Cet article présente une synthèse de la littérature internationale sur ce sujet. Le champ est ainsi vaste et diversifié. Les études recensées sont, par conséquent, difficiles à comparer car elles ne portent pas exactement sur le même objet et se situent, pour la majorité, en dehors du cadre français. Puisque l’analyse d’une politique publique ne peut s’effectuer qu’en la contextualisant, il faut donc rester prudents et ne pas transposer à l’identique les conclusions émises.
  • [2]
    Le terme de « pauvreté » est polysémique. Pour une définition contextualisée, voir Zaouche Gaudron et al. (à paraître).
  • [3]
    Par exemple, la discrimination par les critères d’éligibilité, les exigences de composition de dossier, les compétences nécessaires pour les démarches en ligne, etc.
  • [4]
    La plupart des articles mobilisés indiquent des constats statistiques mais n’apportent pas d’explications. Pour une présentation de différentes hypothèses pour expliquer les limites des politiques ciblées, voir Séraphin (2015). Par ailleurs, les résultats de la littérature internationale montrent également que les structures d’accueil collectives peuvent plus aisément être le support d’autres politiques publiques, notamment sanitaires, qui participent indirectement à lutter contre la pauvreté.
  • [5]
    Head Start est un programme du Département de la santé, de l'éducation et des services sociaux des États-Unis qui fournit une éducation complète, des services d’aide parentale mais aussi de santé, de nutrition, aux enfants à faibles revenus et à leurs familles. Head Start a été créé en 1965 et a été remplacé par le Head Start Act de 1981. Ce programme a traversé les modifications les plus profondes dans son dernier renouvellement de décembre 2007. C'est aussi le programme ayant la plus grande longévité parmi ceux destinés à régler la pauvreté systémique aux États-Unis. L’initiative REDI Head Start, « For Research-based, Developmentally Informed » (« axée sur la recherche et le développement »), est une forme enrichie du programme traditionnel d’éducation préscolaire Head Start.
  • [6]
    La législation flamande mettant en application la règle réservant 20 % des places en crèche pour les familles vulnérables (parents à faibles revenus, sans emploi, en formation, familles « monoparentales ») dans toutes les crèches subventionnées. En France, pour rappel, la norme est de 10 %.
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