1 Des facteurs anthropométriques et physiologiques différencient les femmes des hommes, et ces facteurs agissent défavorablement dans la plupart des aspects de la performance physique au combat. Les femmes sont en moyenne plus petites, ont une masse maigre, c’est-à-dire une masse musculaire plus faible, en particulier au niveau des membres supérieurs (-33 à -50 %, contre -20 à -25 % au niveau des membres inférieurs) et une masse grasse supérieure (+10 %). Cela a des conséquences directes sur le développement de la force et de la puissance musculaires, puisque la force mesurée au niveau du haut du corps chez la femme serait de l’ordre de 40 à 60 % de celle mesurée chez l’homme, alors qu’au niveau des membres inférieurs elle serait en moyenne chez la femme de 70 à 75 % de celle mesurée chez l’homme (Roberts et al., 2016). Les niveaux d’aptitude physique aérobie sont plus faibles chez la femme, avec des consommations maximales d’oxygène en valeur absolue de l’ordre de 15 à 30 % inférieures à celles d’hommes modérément entraînés ; si ces valeurs sont exprimées par rapport à la masse corporelle, cette différence n’est plus que de 10 %.
2 Ces données correspondent à des moyennes dans les sous-populations d’hommes et de femmes, les écarts interindividuels étant eux-mêmes importants à l’intérieur de ces groupes. Ainsi, même si en moyenne les femmes sont globalement moins fortes que les hommes, il existe un certain recouvrement entre les populations, la femme la plus forte étant plus forte que l’homme le plus faible. Autre élément à prendre en considération, la capacité à maintenir un niveau de force ou de puissance sur des contractions répétées de faible intensité est plus importante pour la femme par rapport à l’homme ; mais lorsque cette intensité est supérieure ou égale à 80 % de l’intensité maximale, cette différence favorable pour la femme disparaît. Ces plus faibles aptitudes physiques aérobie et anaérobie mettent les femmes en situation défavorable lorsqu’il s’agit de réaliser des tâches militaires telles que lever ou transporter des charges lourdes, ou encore déplacer de telles charges sur de longues distances. Toutes les armées occidentales sont confrontées à la contrainte du port de charges, aggravé par le port des équipements de protection balistique. La charge portée n’est dans ces conditions pas proportionnelle à la masse des individus, mais liée à celle des équipements transportés. Ainsi, travaillant à un pourcentage supérieur de leurs capacités maximales pour réaliser les mêmes niveaux de performance que les hommes, les femmes se fatiguent plus vite et sont prédisposées à un risque plus important de blessures musculo-squelettiques liées à l’exercice.
3 L’analyse de la littérature montre de façon systématique une incidence des blessures plus importantes chez les jeunes recrues féminines par rapport à leurs confrères masculins, en particulier au cours de la formation initiale. Pendant la carrière professionnelle, cette différence persiste, que ce soit au cours de l’entraînement régulier ou lors des déploiements actifs. Des différences existent également dans le type de blessures observé, les femmes étant encore plus sujettes aux blessures des membres inférieurs que les hommes. De manière intéressante, il faut noter qu’un niveau élevé d’aptitude cardio-vasculaire (aptitude aérobie) permet de réduire, sans les annuler, les différences homme-femme dans l’incidence des blessures. Ce plus grand risque de blessures observé chez les femmes peut également être attribué à des différences anatomiques au niveau osseux ainsi qu’une plus grande laxité articulaire. La structure même des os longs chez la femme, plus fins que chez l’homme, pourrait au moins en partie expliquer le plus grand nombre de fractures dites de fatigue (fractures de stress pour les Anglo-Saxons), les différences hormonales ayant également leur part de responsabilité dans cette pathologie (Epstein et al., 2015). Les différences physiologiques avérées ne doivent pas faire oublier le rôle délétère des équipements mal adaptés à une morphologie différente entre hommes et femmes ; dans la plupart des cas, les équipementiers industriels ne se sont guère préoccupés d’adapter les effets aux caractéristiques morphologiques féminines. Or, un équipement mal adapté crée au minimum un inconfort et peut contribuer significativement à augmenter la charge mentale et physique de la tâche à réaliser, voire à accroître le risque de blessures.
4 D’autres différences physiologiques existent entre hommes et femmes, que nous n’aborderons ici que brièvement, et toujours en rapport avec les aptitudes spécifiques requises et les environnements particuliers imposés par les situations opérationnelles. Les femmes auraient une tolérance moindre à la chaleur, notamment du fait d’un débit sudoral moindre qui va limiter les possibilités de pertes thermiques par évaporation et donc accroître le stockage thermique ; cependant, l’incidence des pathologies liées à la chaleur et tout particulièrement du coup de chaleur à l’exercice n’est pas plus élevée chez la femme que chez l’homme. Dans le domaine thermique encore, si une plus grande masse grasse est un élément favorable à la tolérance aux expositions au froid, cet effet favorable est contrebalancé par une surface corporelle plus élevée par rapport au volume corporel, ce qui favorise les pertes de chaleur, et par la plus grande incidence du phénomène de Raynaud en particulier à certains moments du cycle menstruel. Ainsi, les femmes présentent un risque de gelures des extrémités plus important lorsqu’elles sont accidentellement exposées au froid. La prévention de ce risque pourrait aisément bénéficier des améliorations technologiques des vêtements de protection grâce notamment aux nouveaux textiles.
5 Il existe des situations environnementales et des expositions opérationnelles particulières qui n’entraînent pas de différence majeure de réponse physiologique entre hommes et femmes ; ainsi, malgré une plus faible capacité de transport de l’oxygène (liée à un taux d’hémoglobine sanguin inférieur), les femmes ont en moyenne une tolérance à l’hypoxie identique à celle de l’homme. De même, la tolérance aux accélérations continues et soutenues, spécifiques de l’aviation de combat, ne semble pas dépendre de différence liée au sexe, alors même qu’elle est variable d’un individu à l’autre. Ainsi, les femmes ont une aptitude aux contraintes aéronautiques similaires à celle des hommes (Friedl, 2005).
6 Dans le domaine des activités subaquatiques, la plus grande proportion de masse grasse des femmes pourrait les exposer à un risque de survenue d’accidents de décompression plus fréquent, du fait de la dissolution préférentielle des gaz (en particulier de l’azote) dans les graisses. Il semble cependant qu’à l’issue d’une plongée saturante il n’y ait pas de phénomène bullaire plus important chez la femme, et l’incidence des accidents de décompression ne serait pas plus élevée chez elle. Pour ce qui concerne les performances en plongée, il est intéressant de noter qu’avec une cage thoracique plus petite et des volumes pulmonaires plus faibles, la femme dispose d’une autonomie plus importante en plongée, ce qui représente un avantage opérationnel incontestable. Par ailleurs, si dans la Marine nationale il existe des barèmes différenciés entre hommes et femmes pour les épreuves physiques évaluées au sol, ceux-ci n’existent plus dès lors qu’il s’agit de tester les aptitudes subaquatiques : ces épreuves subaquatiques sont réussies ou échouées selon des critères identiques aux hommes et aux femmes.
7 Ainsi, il apparaît clairement que les tâches militaires requérant un haut niveau d’aptitude physique, tout particulièrement le port de charges lourdes, sont les seules activités militaires qui risquent objectivement de mettre en difficulté les femmes par rapport à la plupart de leurs confrères masculins. Ce constat doit faire l’objet d’une prise en charge spécifique et structurée, dans laquelle la sélection joue un rôle primordial, tout comme la mise en œuvre de protocoles d’entraînement physique individualisé et adapté. En effet, tout comme pour les hommes, un entraînement physique spécifique, régulier et progressif est susceptible de faire évoluer favorablement les performances physiques des femmes et ainsi de réduire les différences observées avec les hommes, sans pour autant toujours les annuler (Nindl, 2015). Mais ce qui compte en définitive, c’est la capacité à réaliser les tâches élémentaires liées au poste de combat occupé par le personnel, qu’il soit féminin ou masculin. C’est la raison pour laquelle il paraît nécessaire de définir précisément des standards d’aptitude physique minimums requis pour accomplir de telles tâches, et de vérifier que ces niveaux minimums sont obtenus par tout le personnel assigné à ce type de tâche, quel que soit son sexe et quel que soit son âge. En Finlande, pays où les femmes peuvent faire le service militaire depuis 1995 et où elles accèdent à tous les services ou unités y compris les Forces spéciales, les mêmes standards physiques sont appliqués aux hommes et aux femmes. Une étude réalisée par une équipe finlandaise auprès de 362 femmes militaires de tous grades et âges montre que 76 % trouvent que ces prérequis ne sont pas trop exigeants ; de façon intéressante, cette étude montre également que si 48 % d’entre elles considèrent que ces exigences physiques sont source d’inégalité, elles sont aussi 42 % à considérer que si les standards étaient inférieurs pour les femmes, cela engendrerait un manque de respect de la part de leurs collègues masculins.
8 La question des barèmes physiques à appliquer est ainsi une question centrale qu’il conviendrait de revisiter. Nous proposons que soient distingués, d’une part ce qui relève de l’évaluation de la performance pour la notation du personnel, qui implique d’appliquer un barème différencié tenant compte des aptitudes physiologiques spécifiques en fonction du sexe et de l’âge, et d’autre part ce qui relève de l’aptitude à accomplir une tâche précise pour tenir un poste précis, qui implique que ne soit retenue que la notion de « réussite » ou d’« échec » et ce, quels que soient le sexe et l’âge.
Bibliographie
Éléments de bibliographie
- Yoram Epstein, Chen Fleischmann, Ran Yanovich et Yuval Heled : « Physiological and Medical Aspects that put Women Soldiers at Increased Risk for Overuse Injuries », The Journal of Strength and Conditioning Research, vol. 29, n° 11, novembre 2015, p. 107-110.
- Karl Friedl : « Biomedical Research on Health and Performance of Military Women: Accomplishments of the Defense Women’s Health Research Program », Journal of Women’s Health, vol. 14, n° 9, décembre 2005, p. 764-802.
- Bradley Nindl : « Physical Training Strategies for Military Women’s Performance Optimization in Combat-Centric Occupations », The Journal of Strength and Conditioning Research, vol. 29, n° 11, novembre 2015, p. 101-106.
- Delia Roberts, Deborah L. Gebhardt, Steven E. Gaskill, Tanja C. Roy et Marilyn Sharp : « Current Considerations Related to Physiological Differences between the Sexes and Physical Employment Standards », Applied Physiology, Nutrition, and Metabolism, vol. 41, n° 6, juin 2016, p. 108-120.