Notes
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[1]
Disponible sur le site du GIP Justice : http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/les-sanctions-administratives-dans-les-secteurs-techniques/.
-
[2]
M. Delmas-Marty, C. Teitgen-Colly, Punir sans juger, Economica, 1992.
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[3]
Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Groupe Canal Plus (Sté), AJDA 2012. 1928 ; D. 2012. 2382 ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 141, chron. A. Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot.
-
[4]
J. L. Mashaw, Due Process in the Administrative State, Yale University Press, 1985.
-
[5]
B. E. Harcourt, Neoliberal Penality : The Birth of Natural Order, the Illusion of Free Markets (October 2, 2008). U of Chicago Law & Economics, Olin Working Paper N°. 433, https://ssrn.com/abstract=1278067 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1278067.
-
[6]
I. Ayres, J. Braithwaite, Responsive Regulation, Transcending the Deregulation Debate, Oxford Socio-Legal Studies, OUP, 1995.
-
[7]
A. S. Barkow, R. E. Barkow (dir.), Prosecutors in the Boardroom : Using Criminal Law to Regulate Corporate Conduct, NYU Press, 2011.
1L'idée de ce colloque, qui s'est tenu le 15 juin 2017 à l'Université Panthéon-Sorbonne, a émergé à la suite d'une recherche sur « Les sanctions administratives dans les secteurs techniques » [1] commandée par le GIP Justice et menée par Maryse Deguergue, Catherine Teitgen-Colly, Gérard Marcou et Thomas Perroud. Cette étude nous a permis de mettre en évidence la constitution d'une véritable administration répressive. Ce constat n'est pas nouveau puisque la répression administrative est maintenant ancienne - la directrice de cette revue y avait d'ailleurs consacré un livre fameux [2] -, mais elle se développe dans de nombreux domaines désormais, sans qu'une réflexion d'ensemble ne lui soit consacrée. Cette administration répressive est aussi duale : à côté des autorités administratives indépendantes qui ont mis en place des procédures très protectrices, le reste de l'Administration sanctionne encore de façon assez informelle. Les citoyens ne sont donc pas égaux devant la répression administrative et, malheureusement, force est de constater que la sanction des infractions administratives dans le domaine commercial est beaucoup mieux encadrée que les autres. Parallèlement, on constate aussi un développement de la répression dans le champ du juge judiciaire civil.
2Face à ce phénomène, nous avons voulu poser des questions de politiques juridiques pour tenter de combler les vides qui nous semblent aujourd'hui s'accumuler dans le régime de la répression extra-pénale. Ce colloque sera publié dans deux numéros consécutifs de la Revue de science criminelle.
3Le premier thème du colloque, concernant la légistique, est emblématique de notre démarche. La répression administrative se développe mais aucun code ne lui est consacré, ni du point de vue procédural ni du point de vue substantiel. Cette question est traitée successivement par Sébastien Saunier et Pascale Idoux. Il est tout de même frappant que le récent Code des relations de l'Administration et du public ait éludé la question. Si la répression administrative se développe bien, une réflexion sur la codification nous semble indispensable. Cette réflexion n'est cependant pas aisée car elle impose de faire des choix. Nous le disions au début : la répression administrative aujourd'hui est profondément inégalitaire, le citoyen poursuivi par l'Autorité des marchés financiers ou le Conseil de la concurrence n'est pas traité de la même façon qu'un citoyen radié de la liste des demandeurs d'emploi. Le Conseil constitutionnel a même ratifié cette discrimination en ménageant un régime juridique spécifique pour la répression des autorités administratives indépendantes [3] en constitutionnalisant, dans ce cas, la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de décision. De bons sentiments voudraient que l'on aligne la répression administrative par le haut, mais l'exemple américain doit nous inviter à la prudence : Jerry Mashaw raconte ainsi qu'à la suite de l'arrêt Goldberg v. Kelly (397 U.S. 254, 1970) de la Cour suprême, qui impose à toutes les administrations qui prennent des sanctions de suivre des procédures juridictionnelles, le coût fut tel pour les administrations sociales que le cœur du service public en fut affecté [4]. Les tribunaux ont dû, ensuite, faire marche arrière.
4Après la question de la codification, qui est essentielle et première, il nous a semblé que trois éléments méritaient réflexion : comment peut-on articuler l'action de l'Administration et celle du Parquet ? L'Administration doit-elle publier des circulaires sur sa politique répressive, comme le fait le ministre de la Justice ? Enfin, la science politique peut-elle nous aider à formaliser davantage la relation entre l'Administration et le juge pénal ?
5La recherche que nous avons entreprise nous avait ainsi amenés à mettre en évidence de multiples problèmes de coordination entre le juge pénal et l'Administration. L'utilisation de la voie pénale double en effet l'opportunité des poursuites - l'Administration poursuit finalement assez peu et, quand elle le fait, le parquet peut aussi refuser de déclencher le procès. Si jamais l'on choisissait de conserver la voie pénale, qui reste la sanction la plus dissuasive, ne pourrait-on pas imaginer une autre articulation entre l'Administration et le juge ? L'Administration ne pourrait-elle pas remplacer le Parquet dans ces affaires et poursuivre elle-même ? Pour réfléchir à une autre place pour l'Administration dans le procès pénal, nous avons examiné le rôle de l'Administration fiscale et le fameux « verrou de Bercy » qui, manifestement, ne constitue pas un modèle à suivre. Stéphane Detraz mène ici une réflexion d'envergure.
6D'autres modèles pourraient être à inventer et si l'on recourt de plus en plus au juge civil dans la répression - comme on le verra plus bas - ce n'est peut-être pas un hasard… mais c'est aussi une particularité de la pénalité néolibérale [5] contemporaine que de multiplier les voies répressives, en évitant à tout prix le recours au juge pénal. C'est le cas aux États-Unis où l'immense majorité des peines est prononcée par le Parquet, c'est aussi le cas en France avec cette particularité que c'est, chez nous, la répression administrative qui a été largement mobilisée.
7Il nous a semblé ensuite que, pour des raisons de prévisibilité de la sanction, il pouvait être intéressant de réfléchir à la formalisation des politiques répressives de l'Administration. L'Administration ne devrait-elle pas publier régulièrement ses objectifs en matière répressive, objectifs qui devraient reposer sur une analyse des risques (par exemple dans le domaine de l'environnement), une définition des priorités (dans le domaine économique) ? À cet égard, faut-il donc prendre modèle sur le pénal, le ministre rédigeant ainsi des instructions générales ? Les politiques criminelles peuvent-elles servir de modèle pour la répression administrative ? C'est la question à laquelle Céline Chassang a cherché à donner des éléments de réponse.
8Dans le monde anglo-saxon, une théorie influente pour tenter de formaliser le processus répressif a été formulée par Ayres et Braithwaite [6], sous la forme d'une pyramide répressive. Les administrations devraient ainsi utiliser des instruments répressifs de plus en plus coercitifs en commençant par le dialogue, les mises en garde, la sanction administrative, etc. Cette pyramide est intéressante pour penser les relations entre le droit administratif répressif et le droit pénal. Nous avons voulu demander à la recherche en sciences sociales si ces préconisations pouvaient fournir un cadre intéressant auquel le législateur pouvait se référer.
9Dans le second volet de la publication, nous nous intéresserons à d'autres ordres d'interrogations.
10Deux questions institutionnelles ont été examinées : l'indépendance de l'Administration répressive et la place des tiers.
11Nous avons voulu nous demander s'il ne faudrait pas faire des administrations répressives des administrations indépendantes. Peut-on accepter que l'Administration qui inflige une peine soit soumise à l'autorité politique alors même qu'au pénal on souhaite aujourd'hui une plus grande indépendance du Parquet ? N'y a-t-il pas une contradiction entre, d'une part, les débats incessants sur l'indépendance du Parquet et le recours massif à la répression administrative ? L'exemple du droit de l'environnement nous semble assez révélateur des inconvénients de la politisation de la répression. Au niveau local, le préfet est en effet souvent un frein au déclenchement du processus répressif, c'est un résultat que nous avons pu constater lors de notre recherche et c'est le point de départ de la réflexion de Julien Bétaille. À partir d'une étude sur les nuisances aéroportuaires Julien Bétaille plaide ainsi pour le modèle de l'indépendance qui aboutirait à un niveau de sanction, et donc d'effectivité du droit, plus satisfaisant.
12Ne faut-il pas aussi porter son regard vers celui qui est probablement le grand perdant de la dépénalisation, à savoir le tiers, qui est l'objet des analyses d'Aude Rouyère. Même si les victimes n'ont pas une place centrale dans la répression pénale, et même si leur place est débattue, elles ont gagné des prérogatives, notamment celle de pouvoir déclencher les poursuites, et de pouvoir être, sous certaines conditions, indemnisées. Elles n'ont aucun rôle dans la répression administrative.
13Pour finir ce dossier, nous avons voulu élargir le sujet pour examiner les nouveaux champs de la répression avec l'essor de la répression civile, qu'étudie Johan Prorok. Nous le disions plus haut, une caractéristique de la pénalité néolibérale, dans sa version française, est l'extension tous azimuts de la répression en dehors de son champ habituel. La dernière, et la plus significative évolution étant de consacrer dans le Code civil une fonction punitive générale pour sanctionner toute faute lucrative intentionnelle, en contrariété flagrante avec l'un des principes cardinaux du droit pénal substantiel, à savoir le principe de légalité.
14À la suite de cette réflexion, il nous a semblé intéressant de porter notre regard vers le phénomène de la compliance qui, comme le montre Emmanuel Breen, est un phénomène tout à fait nouveau. Il s'agit d'internaliser la répression dans l'entreprise ou, pour utiliser les termes d'un livre célèbre sur le sujet de mettre des « procureurs dans le Conseil d'administration » [7].
15Enfin, Jérôme Chacornac entreprend une réflexion conclusive sur la façon d'articuler l'ensemble de ces voies répressives. Le principe non bis in idem impose en effet une comparaison des différents modes de répression.
16Nous espérons que les idées et les pistes formulées dans ce dossier susciteront l'intérêt des universitaires, car les évolutions contemporaines vont certainement imposer des choix qui devront être éclairés par la recherche.
Notes
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[1]
Disponible sur le site du GIP Justice : http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/les-sanctions-administratives-dans-les-secteurs-techniques/.
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[2]
M. Delmas-Marty, C. Teitgen-Colly, Punir sans juger, Economica, 1992.
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[3]
Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Groupe Canal Plus (Sté), AJDA 2012. 1928 ; D. 2012. 2382 ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 141, chron. A. Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot.
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[4]
J. L. Mashaw, Due Process in the Administrative State, Yale University Press, 1985.
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[5]
B. E. Harcourt, Neoliberal Penality : The Birth of Natural Order, the Illusion of Free Markets (October 2, 2008). U of Chicago Law & Economics, Olin Working Paper N°. 433, https://ssrn.com/abstract=1278067 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1278067.
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[6]
I. Ayres, J. Braithwaite, Responsive Regulation, Transcending the Deregulation Debate, Oxford Socio-Legal Studies, OUP, 1995.
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[7]
A. S. Barkow, R. E. Barkow (dir.), Prosecutors in the Boardroom : Using Criminal Law to Regulate Corporate Conduct, NYU Press, 2011.