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Article de revue

Une fonction à l’œuvre : la fonction utérine

Pages 7 à 26

Notes

  • [1]
    Note d’Agnela Jaffé : Dans les écrits de Poimandrès, qui appartenait à une secte gnostique païenne, le Cratère est un vaisseau empli d’esprit… Ce vaisseau – ou vase – était une sorte d’utérus du renouvellement spirituel et de la renaissance.
  • [2]
    Ou castration – du latin Vir ; terme utilisé dans le texte de Schreber.
  • [3]
    À ce titre, je le rapproche symboliquement de ce que Spinoza (1660 [1965] p. 21) entend par l’essence comme enveloppe, le moyen par lequel est aussi conçu ce qui est dans cette autre chose. En pensant à l’eczéma géant dont a souffert Jung dans son enfance (1962[1973], p. 27), je rapproche également ses nombreuses références à l’utérus au travail de Didier Anzieu (1985, pp. 4, 214-215 et 233) sur l’enveloppe, peau pour les pensées, structure intermédiaire psychique.
  • [4]
    Comme dans le mythe de Déméter.
  • [5]
    Ce qui signifie que, pour s’exercer, la fonction transcendante a besoin d’une matrice qui se représente.
  • [6]
    En psychanalyse, la notion ‘d’espace délimité du cadre de l’analyse’, le vas bene clausum selon l’expression jungienne, permet un travail dans une certaine sécurité. Dans cet espace, empathie, et identification projective oscillent de part et d’autre. S’y joue aussi « une capacité éthique universelle innée » qui correspondrait à l’expérience de la disponibilité mentale ou émotionnelle d’un autre à son égard. Cette capacité éthique universelle innée est entée sur les expériences éthiques du nourrisson avec l’adulte qui le contient, expériences vécues à un niveau profondément inconscient – celui d’un pré-moi perdu au sein d’un autre qui lui est dévoué.
  • [7]
    Les recherches d’aménagement du cadre – recherches qui peuvent prendre parfois beaucoup de temps – peuvent être regroupées autour de notre capacité à percevoir où, et comment, fonctionnent les valeurs de l’enjeu. Ces valeurs, à certains moments, prennent appui sur la notion d’éthique, et cette dernière devient alors le centre de référence de ce qui fait du sens ou du non-sens, c’est-à-dire, par exemple, ce qui fait « repérer où et comment joue la tendance première, celle qui cherche à maintenir dans la Mère ». Dans ce cas, où est le cadre, sinon dans ce « sur-mesure » qui tient lieu de loi pendant longtemps, résultat d’une intuition commune entre l’analysant et son analyste, intuition qui peut se manifester dès la première séance.

1 – La matrice peut-elle se représenter ?

1Je vais aborder cette question par la figure originelle de l’utérus. Ce n’est pas si simple de se faire une image de la matrice (en dehors de ce que présentent les livres). Et je ne peux l’aborder que de mon point de vue de psychanalyste, en termes de contenant et contenu, ce qui conduit à s’intéresser au cadre de l’analyse.

2Trois citations orientent mon travail, que je commenterai largement par la suite :

3- D’une part, Diotime questionne Socrate dans Le Banquet de Platon : « Ceux qui poursuivent l’amour […], à quel type d’activité se livrent-ils ? De quelle sorte de besogne s’agit-il ? […] Il s’agit d’un accouchement à terme, que ce soit selon le corps ou selon l’âme. […] Tous les êtres humains sont gros dans leur corps et dans leur âme, […] quand l’être gros approche de son terme, il éprouve du bien-être et, submergé par la joie, il se dilate, il accouche et il procrée. » (Platon 380[2005], pp. 137-159).

4- D’autre part, Jung, dans Ma Vie : « […] le Cratère (récipient mélangeur), le vase de la métamorphose en esprit. Le Cratère est un principe féminin qui n’a trouvé aucune place dans le monde patriarcal de Freud » (Jung, 1962[1973]), p. 234) [1]. On entend là son reproche non dissimulé à la théorie freudienne telle qu’il la reçoit. Pour Jung, le processus d’individuation est un processus de transformation intérieure, qui correspond à la transformation des substances alchimiques dans la cornue. « Dans l’alchimie, un des symboles féminins les plus importants était l’alambic, la cornue dans laquelle devait s’exécuter la transformation des substances. Or au centre de mes découvertes psychologiques se trouve à nouveau un processus de transformation intérieure : l’individuation » (Jung, 1962[1973] p. 235).

5Le vase, l’alambic, la cornue, sont des représentations de la matrice.

6Mon cheminement est fait d’une addition de rencontres, avec des textes d’abord, avec des évènements ensuite, qui m’ont conduite à m’intéresser à cette notion et à m’interroger à son propos, dans un rapport à notre monde actuel. En premier, depuis quelques années, mon intérêt pour la conception jungienne du féminin, tant du point de vue théorique que du point de vue clinique. Puis, sur un laps de temps concentré, en une sorte de conjonction, un ensemble d’évènements dans le collectif et dans ma clinique.

7- Des événements extérieurs, sur lesquels je ne m’appesantirai pas. À suivre quelques réflexions lues et entendues, on pourrait dire « l’utérus est sur la place publique ». Françoise Héritier (2002) par exemple écrit que c’est parce que le corps féminin est capable d’enfanter qu’il a été dominé ; des scientifiques, biologistes comme Henri Atlan (2005), ou juristes comme Marcella Iacub, présentent la réalisation de l’utérus artificiel comme l’avènement ultime de l’égalité entre les sexes. De son côté, Sylviane Agacinski (2007) dénonce la pratique des mères porteuses comme un déplacement de la domination, les femmes riches traitant les femmes pauvres comme des outils à travers la location de leur organe procréateur. La candidate à la présidentielle en 2007, Mme Royal se voit reprocher, aussi bien par des hommes que par des féministes, de mettre son utérus en avant. Enfin, Michela Marzano, dans son Dictionnaire du corps, paru aux PUF en 2007, avec plus de 300 entrées pour mettre le corps en dictionnaire, n’y a pas inscrit le mot « utérus » (Marzano 2007). Je n’irai pas sur ces terrains aujourd’hui : toutes ces manifestations dans le collectif, et les confusions autour de l’utérus artificiel, ne seraient-elles pas les signes d’un manque d’élaboration de la fonction utérine, et ne correspondraient-elles pas à un manque de discours psychanalytique à ce sujet ?

8- Les évènements dans ma clinique m’ont poussée à lire et à regarder ce que dit Jung du vase bien clos d’une part, et de l’utérus d’autre part : des rêves d’hommes interprétés par ceux-ci comme des questionnements de leur désir d’utérus (images de sac en bandoulière ou de poche plastique contenant des formes) ; chez des femmes, des images de coquillages concaves à fond strié ; pour une petite fille de 9 ans, l’idée d’un ventre dans lequel il n’y avait pas de limites entre les organes, ceux-ci étaient mélangés dans un embrouillamini devant lequel elle était saisie d’effroi. On entend déjà, dans la clinique, deux aspects à la question : d’une part la représentation de l’organe, d’autre part, la fonction que j’ai appelée « fonction utérine ».

9Et que dire de la confrontation avec la mort, quand celle-ci se profile pour un patient ou une patiente, dans le cadre de l’analyse ? En effet, quelle figure du cadre transférentiel peut soutenir l’analyste dans certaines négociations difficiles ? Le cadre, constitué des accords en termes d’heure, de jour, de modalité de paiement, tous aspects matériels concrets, ne se soutient pas toujours de la loi en termes de surmoi paternel, la poursuite souhaitée de l’analyse réclamant un aménagement.

10Pour parler du cadre, nous avons adopté dans notre jargon l’expression que Jung a lui-même prise chez les alchimistes : vas bene clausum, ou « vase bien clos », ainsi que le terme temenos. Mais nous n’avons pas pris l’habitude de référer ces expressions à ce qu’elles symbolisent, suivant le travail même de Jung, comme un autre nom de la fontaine mercurielle – qui ouvre la première image de Psychologie du transfert, quand la dernière figure s’appelle « La nouvelle naissance », à savoir l’utérus. Et dans ce sens, émergeant des aspects concrets relevés plus haut, nous parlons d’un cadre psychique dont l’utérus est la figure.

11Dans le cas du Président Schreber, schizophrène selon Jung, à propos duquel Freud a écrit son étude, Daniel-Paul Schreber, président de tribunal est nommé à un poste supérieur. Il s’effondre alors psychiquement et doit être interné. Il écrit ses Mémoires et raconte comment il veut enfanter car, dit-il, il est enceint de Dieu. La construction délirante de cet homme, à propos de la question du féminin originaire, vient compenser son incapacité à se représenter le matriciel sur lequel il n’a aucun pouvoir. Il ne se différencie aucunement du féminin procréateur puisque, devenu femme « par éviration » [2] (Schreber (1893[1995], chap. V et XVIII), il serait enceint de Dieu lui-même. À travers son délire de « devenir la matrice », Schreber s’arrogeait-il la fonction matricielle déficiente chez sa femme ? Se fantasmant à la fois homme et femme, devenait-il à l’égal du Dieu créateur ?

12Lorsque nous utilisons l’expression « le féminin originaire », de quoi parlons-nous ? Sur un plan biologique, celui-ci n’est autre que la matrice. Mais au plan de l’organisation psychique, le « féminin originaire » est-il toujours la matrice ? Ce qui nous conduit à la question : la matrice peut-elle se représenter ? Le désir de devenir femme du Pt Schreber serait une indication de la difficulté de cette représentation et correspondrait, chez cet homme, à une dissociation du féminin ; en termes jungiens on parle alors d’une possession par l’anima sous tous ses aspects : de la mère, comme matrice à laquelle il veut s’assimiler, jusqu’à la femme, dans son désir des attributs féminins. L’utérus a peu de place en psychanalyse, on y aborde peu la question de l’orgasme profond qui l’investit. Pourtant on comprend de mieux en mieux que dans l’hystérie, plutôt que de sexualité insatisfaisante, c’est d’utérus qu’il est question, ce lieu où l’enfant est censé se développer (Kress-Rosen 1999).

13Dans les textes des mythes archaïques, on rencontre un féminin-grotte, d’abord caverne, inséparable, selon Jung, de l’autre qu’elle accueille, et affirmé par lui apte à la symbolisation. Grotte effrayante vécue comme habitée, si l’on en croit tous les mythes, de monstres à affronter par le héros, qu’il soit homme ou femme, un féminin archaïque duquel devra émerger un autre féminin, élaboré et intégré. L’utérus comme enveloppe et contenant, souple et ferme, est à son tour symbole de l’âme elle-même ou psyché, qui contient les images archétypiques, les émotions et affects, les désirs et les potentialités [3]. Se représenter la matrice signifie reconnaître le besoin d’une enveloppe pour vivre, et la capacité d’en distinguer le négatif et le positif.

2 – Quelques sources en anthropologie

14Que la matrice puisse se représenter, c’est une affaire que certains humains ont abordée dès la construction archaïque de leur culture. L’anthropologie nous en donne quelques exemples.

15En Nouvelle-Guinée (Breton 2006, p. 83-146) et en Nouvelle-Irlande (Derlon 1997, p.132-281) des sociétés d’hommes se construisent – pour réaliser leurs rites de passages – des huttes en forme de pénis-utérus-poisson dont l’entrée représente la gueule-orifice (la maison des Hommes). Dans ces sociétés, la capacité d’agir et la fécondité propre aux hommes et aux femmes appartiennent à un lot commun qu’ils utilisent chacun à leur manière. Les sexes ne sont pas irrémédiablement disjoints, ils entretiennent un dialogue. Là, le genre n’est pas une essence ; il est toujours relatif et comprend l’autre en soi : il y a l’homme et la femme, mais il y a du masculin parce qu’il y a du féminin et il y a du féminin parce qu’il y a du masculin. Là, père et mère ne sont pas équivalents du fait de l’utérus, mais être un contenant utérin est une capacité sociale éminente de la masculinité. Le rite initiatique s’efforce d’ouvrir le masculin, il cherche à transformer le contenu en contenant. L’homme doit revêtir les attributs d’une mère virile ; faire de l’homme un contenant, c’est permettre la parturition masculine. La fabrication du rhombe vise à créer la symbolisation du contenu en contenant : de forme phallique, cet objet représente un utérus gravide et sert de lien entre fertilité, funérailles, adolescence.

16Est-ce que nous pourrions parler ici, dans cette société, de recherche de différenciation entre l’organe et la fonction, en vue de la symbolisation de ce féminin vécu hors d’atteinte, par les hommes en particulier ? Jung quant à lui n’a pas fui la représentation de la matrice, il s’y est même intéressé.

3 – Jung et la figure utérine

17Jung écrit à Pauli :

18

« […] la psychologie est une sorte d’utérus où est suspendu le fils qui n’est pas encore né (Pauli-Jung, (1932-1958[2000], p. 228). […] Le vase et le bain sont désignés par les alchimistes du nom d’utérus : le lieu de la génération imite le vase naturel en ce qu’il est concave et clos ».
(Jung 1955-1956[1980], p. 108 et p.108 note 190)

19Dans son chapitre « Genèse de l’œuvre » de Ma vie, Jung parle de sa rencontre avec l’alchimie et la gnose. Il dit que Freud introduit la psychologie de l’inconscient grâce à deux thèmes gnostiques : la sexualité et l’« autorité paternelle nocive » qui fait resurgir à travers le « surmoi plein d’obscurité » de ce père, le Yahvé Dieu créateur. Dans la gnose également, Jung trouve un autre dieu, supérieur, en l’image originelle de l’esprit : ce dieu supérieur offre aux humains le vase de la métamorphose, ou cratère, principe féminin, qui n’aurait pas trouvé place dans « le monde patriarcal de Freud », pense Jung. Le préjudice provoqué par cette absence, nous dit Jung, par le déni de ce dieu originel, ne s’étend pas seulement aux mondes juif et protestant où le Père règne, il s’étend aussi au monde catholique où la Mère du Christ n’a été accueillie que récemment. À l’opposé de tout cela, dans la philosophie hermétique de l’alchimie, le principe féminin a joué un rôle primordial, égal en dignité à celui du masculin. Alambic et cornue sont des représentations du lieu de la transformation des substances, ou transformation intérieure : individuation.

20Nous avons avec Jung de nombreuses représentations du féminin, dont une quarantaine au titre de l’utérus. La ville de Delphes, lieu où la Pythie rendait ses oracles, a pour étymologie « dauphin » qui signifie temple, ventre, dans le sens d’utérus (Jung 1962[1973], pp. 233-235). Le vase associé à la lune (Jung 1911-1912[1927], p. 194 ; 1952[1989] p. 342), de même que le trépied (Ibid., p. 197) et les fonds baptismaux (Jung 1938-1954[1971], p. 236 ; 1952[1989] p. 417) représentent des lieux où l’engloutissement peut se jouer. La bouteille ou alambic sont des équivalents de l’anima mundi qui enveloppe l’univers (Jung 1942[1991], p. 22 ; 1942[1991] pp. 234-235, 309, 429), de même que l’ombre en tant que lieu de germination (Jung 1952[1989], p. 574). L’imitation du « vase naturel » l’est aussi en ce que ce dernier contient les matières de la création, à savoir le futur enfant et les éléments pour sa nutrition, sa construction charnelle. En 1920, Jung (1921[1991], p. 226) analyse différentes utilisations symboliques du vase comme utérus, installées sur des rites plus anciens du paganisme : comme en Égypte, le dieu Rê se fécondant lui-même, utilisant ainsi son corps propre comme utérus (Jung 1936-1939[2002], p. 23), matrice du macrocosme et du microcosme. Dans le mythe chrétien, Saint Ambroise écrit que « l’utérus de la vierge enfantait un grain de froment et un lys », les deux symboles grain et lys se référant à la mort/renaissance [4] et à la pureté. Ailleurs encore, dans le tome 2 du Séminaire sur les rêves d’enfants, l’utérus est envisagé par Jung comme centre du cercle, lieu de la conception (1939-1941[2004], p. 77-8), et la naissance concerne le nouveau moi, enrichi de sa capacité de mise en relation avec les contenus de l’inconscient et de leur intégration [5]. Dans un échange à propos du placenta comme frère jumeau mais inégal (la gémellité venant du fait que le placenta est mis au monde en même temps que l’enfant par la même mère, idée que Freud a trouvée chez un ethnologue allemand), Jung écrira à Freud :

21

« …certaines autres observations, qui m’imposent le soupçon que les prétendus « souvenirs précoces d’enfance » ne sont pas du tout des réminiscences individuelles, mais phylogénétiques. J’entends naturellement les réminiscences tout à fait précoces, comme la naissance, la succion, etc. Il y a des choses qui ne se laissent expliquer qu’intra-utérinement… ».
(Freud-Jung 1906-1914 [1992] 275J, p. 567)

22Par intra-utérinement, il veut dire : à travers l’expérience « pré-primaire » de la vie intra-utérine, et il nomme là « un bon morceau de la symbolique de l’eau, les enlacements et entrelacements, qui semblent rattachés à des sensations cutanées bien particulières (cordon ombilical et enveloppe amniotique) ». Il précise qu’on trouve, dans certains mythes africains de la naissance, l’image de l’enlacement avec quelque chose de gluant, ce qu’il retrouve dans les rêves de sa fille chez laquelle il observe le processus de sexualisation.

23Pour le suivre, il faut aller plus loin dans l’élaboration de la matrice originaire. En nous approchant de l’organe, nous n’échappons pas à la complexité de sa fonction ; c’est la fonction qui est à entendre symboliquement, et alors l’organe lui-même devient aussi un symbole. Je vais donc « tourner », si je puis dire, autour de l’organe et de sa fonction. En travaillant au plus près de cette figure, je me sens sur une ligne entre les fantasmes originaires de Freud et l’image archétypique de Jung.

4 – Une métaphore de la fermeté souple pour le cadre - Éthique et Loi

24C’est principalement à travers une réflexion sur le cadre analytique que je me suis intéressée à ce que j’ai appelé la « fonction utérine » et que j’ai établi des ponts avec « l’enfant au sein de la matrice ». Et ceci me semble valable pour toute situation d’aide ou d’éducation, ainsi que pour le travail intérieur.

25Il n’est pas si simple de parler de l’organe lui-même. Pourtant lorsqu’on en parle comme vas bene clausum, on peut voir s’en dégager la métaphore, et, de là, la fonction. Un contenant et un contenu, un contenant qui peut devenir un contenu : le cadre issu d’un transfert toujours en cours. Il faut noter que ce lieu qui doit être clos pendant le temps nécessaire, est en fait non verrouillé : le but étant la sortie, par la coupure, ce que nous dit l’étymologie. En effet, aussi bien le vas bene clausum que le temenos, le temple, se réfèrent l’un et l’autre à une idée de séparation, de coupure, d’enclos sacré. Temenos s’origine en grec dans epitome, le temple, racine indo-européenne Tem « couper » ; eptemnein veut dire : « enlever en coupant », « abréger, résumer » d’où epitomê « coupure » et « abrégé d’un ouvrage » ; d’où le latin Templum « enclos sacré », et contemplari, etc. (Picoche 1992).

26À propos de l’enclos utérin, nous trouvons deux conceptions très éloignées l’une de l’autre : la conception archaïque infantile du ventre comme contenant, dans lequel on met la graine qui germe etc., et la conception moderne, qu’on va dire scientifique, de la complexité de la participation de l’utérus lui-même à la création du petit être humain. J’ai eu l’étonnement de trouver chez Jung une avancée importante de la réflexion, car l’intuition alchimique est qu’il y a là plus qu’un simple contenant, puisqu’il y a création d’un autre, le Mercure. Conserver l’image archaïque du contenant dans lequel cuit la substance mâle qui va donner l’homonculus, autrement dit l’image d’un four seulement contenant, serait contraire à nos avancées modernes et ainsi continuer de fonctionner avec une image archaïque. Par ailleurs, nous nous sommes également distanciés du XVIIe siècle dont les discours médicaux affligeaient le corps des femmes de « suffocation de la matrice », « hystérie », « fureur utérine », etc. : le corps de la femme considéré comme malade justifiait l’inégalité des sexes. L’utérus, non seulement accueille, nidifie l’embryon – et pour cela se transforme lui-même – mais il participe à la création de ce dernier, à sa construction. Ici règne la loi du « ça va quelque part », autrement dit : vers une/l’expulsion.

27La fin de l’analyse est vécue parfois comme une nouvelle naissance ; un certain nombre de questions peuvent donc se formuler aussi bien pour l’analysant que pour l’analyste : qu’en est-il du « désir de naître » (chez l’analysant) – du désir de l’analyste de faire naître ou laisser naître, et qu’en est-il de la loi du « naître », du « faire advenir » - quel rapport ici entre le désir ou non désir et la loi ? Le négatif – qu’on peut dire aussi haine de soi – dans l’analyse correspondrait-il au refus ou à une impossibilité de « naître » à soi-même, et naître à autre chose dans sa vie ? Que devient le cadre, et la loi que « ça va quelque part », dans ces conditions ?

28Une figure du cadre qui tient fermement mais souplement, a à voir avec la fonction utérine, ou vase alchimique de la métamorphose. Cette fonction utérine correspond autant au sein du père (Baschet 2000) qu’au sein de la mère, à ce que les anthropologues de Nouvelle-Guinée appellent la matrice masculine. Aussi j’interrogerai : entre le contenant et la loi, quelles sont les dynamiques ? Avec la fonction utérine comme intermédiaire métaphorique, le cadre sert de révélateur d’un implicite qui cherche à se manifester (Galipeau 2003, p. 53-69 ; McFarland Solomon 2001, pp. 101-116) [6]. Il est ≤≤≤≤‹‹‹‹envisagé ici comme un matériau vivant issu d’une estimation personnelle plutôt que d’un cadrage fixe (Guy-Gillet 1996).

29En quoi l’organe utérin peut-il nous servir métaphoriquement à élaborer cette question d’un cadre, matériau vivant, capable de faire du sur-mesure, bien qu’éthique et agissant analytiquement [7] ? Qu’est-ce qu’on peut appeler « la fonction utérine » ? Il nous faut pour cela adopter une pensée de la matière, une pensée proche des phénomènes matériels, comme l’ont fait chacun de leur côté Lou Andreas Salomé (1984, p. 13-42) dans sa manière de décrire la féminité, dans son livre Eros, ainsi que Bachelard (1941), dans ses Essais sur l’imagination de la matière – l’eau et la terre.

30On pourrait dire qu’il faut une fonction utérine pour que le négatif puisse s’exprimer sans dommage. Les attaques du cadre, et de la personne de l’analyste – en positif comme en négatif –, comment les reçoit-on ?

31Si nous examinons la fonction de l’utérus, nous verrons qu’elle est autre chose que ce que l’on entend par la fonction maternelle : une fonction « contenante », certes, mais pas seulement, c’est pourquoi je dis qu’elle intègre le sein du père (Baschet, 2000) comme le sein de la mère. C’est la capacité – ferme – d’accueillir la création, accueillir un être, inconnu et inconnaissable tant qu’il est dans ce lieu clos, un être en création à partir de soi et à partir d’un autre – mais en dehors du vouloir qu’il soit ceci ou cela, comme ceci ou comme cela. Lieu d’accueil de l’émergence, de la vie (d’où certainement toutes les images de contenant de l’univers repérées par Jung), jusqu’à un terme de viabilité. Dans l’écoute du silence qui accompagne cette création de l’autre, par l’autre, dans l’enceinte du corps. En ce sens il est un cadre – non pas le cadre du tableau, cerclage dur en bois ou en fer qui met en valeur le tableau et l’isole de son environnement. La fonction utérine est un cadre dans le sens d’un milieu aux limites souples mais fermes. Pas le visqueux de Sartre, le gluant visqueux assez dégouttant il faut bien le dire, tel que décrit par cet auteur, avec lequel il se débat à propos du féminin dans L’Être et le Néant – dans un lien probablement bien gluant à sa propre mère. L’on sent ici la différence à faire entre Ethos et Loi. Dans l’utérus, Ethos et Loi semblent se conjoindre.

32Mais qu’est-ce que la loi, en terme de fonction utérine ? En effet, tout ne dépend pas de la mère pendant l’enfantement ; on pourrait même dire qu’à part ne pas fumer, s’alcooliser, etc., le petit être est plutôt indépendant de son vouloir/de son agir à elle : entre l’utérus et l’enfant existe un rapport partenaire. Au moment précédant l’accouchement, lorsqu’il se présente sans problème, on sait que celui-ci est déclenché par une subtile interaction entre le système hormonal de la mère en rapport avec le système pulmonaire du fœtus et l’appui de son pied sur la paroi utérine. D’une part, la mère n’est pas seule, il y a eu un autre, le père, d’autre part, la loi du « faire naître » est une loi au-dessus d’elle et qu’elle doit accepter (elle ne décide pas). La loi de la fonction utérine, est un déjà là, un existant. La philosophie apporte une nuance entre la loi et l’éthique. La loi, étymologiquement lex, légis qui s’origine dans la loi religieuse, serait construite entre humains, de l’extérieur. Tandis que l’éthique ou Ethos (Godin 2004), appartenant à un groupe et à ses mœurs, serait une construction humaine du dedans de l’ethnie en partie inconsciente – et, alors, s’apparenterait au Soi.

33Ainsi, il y a une différence entre éthique et loi : les deux parlent de la présence de l’autre, d’un autre, mais tandis que la loi est la position d’interdits et d’obligations, l’éthique vient de l’intérieur ; une loi devient éthique lorsque le sentiment peut se l’approprier. Pour le sujet qui nous occupe, je dirais qu’Ethos et loi se rejoignent dans l’idée intégrée que « Mon père est à l’origine avec ma mère » ; se rejoindraient-ils aussi dans la fonction utérine, dans un sens plus interne, plus proche de l’inconscient ?

5 – L’amour de transfert, le modèle de Diotime

34Dans Le Banquet de Platon, la question est double : « qu’est-ce qu’aimer l’autre ? » et « qui est l’autre ? ». La discussion est engagée sur la beauté, sur ce que l’autre a de beau qui attire, le bel objet (partiel). Mais Diotime demande à Socrate : une fois que tu auras le plus beau, tu voudras le posséder, et inévitablement tu vas rencontrer un autre plus beau encore. Diotime alors propose à Socrate la figure de la gestation, de la procréation et de l’accouchement comme figure de la création intime de soi-même, en l’opposant à la recherche du Beau et du Bon à travers le beau corps. Platon, par le truchement de Socrate, propose cette figure à d’autres hommes : au fond, Diotime, une femme, dit que le paradigme de la puissance créatrice est la fonction utérine et, vice-versa, la fonction utérine est la figure de la puissance créatrice de soi-même. En ce sens, le délire du Pt Schreber s’entend, en termes jungiens, comme le désir d’advenir à soi-même, de se redonner vie.

35L’importance de la question de l’amour de transfert mérite que je m’attarde sur les questions qui sont posées là.

36Lacan dans son Séminaire sur le transfert en 1960-61 (1991[2001]) choisit comme modèle du transfert le discours sur l’amour entre hommes, l’amant-l’aimé, contre Diotime, que lui, Lacan, traite même de sorcière. Je me propose de retrouver Diotime et son discours à elle sur l’amour. Jusqu’alors, je l’ai travaillé « classiquement » en traduisant Poros par « expédient », ce qui est son sens figuré. Mais Jung dans les Métamorphoses et symboles de la libido (p. 159) parlant de Diotima, reprend le sens étymologique, ce qui m’a incitée à aller consulter le Bailly (Bailly 1901). C’est Jung qui est au plus près du sens. En effet Eros, l’amour, est fils de Pénia (Pauvreté) et de Poros. Si Pénia est bien en grec la pauvreté, la misère, le manque, l’indigne et rejetée du temple, Poros signifie l’ouverture dans le sens de passage, détroit, trou comme on dit une trouée, mais aussi les pores de la peau. Poros est le passage, le moyen d’avoir (plutôt que celui qui a, le possédant), il est lui-même l’expédient, c’est-à-dire celui qui s’offre comme étant le moyen rapide d’arriver à ses fins ; en latin, il est le pied, l’expédition, le moyen d’envoyer, expédier un message et de terminer rapidement une affaire – a-poria signifie sans ouverture, propos qui tourne en rond (en philo), on dirait : ouroborique. Aporia, sans poros, signifie sans ouverture, sans vide, sans ressources, dans l’embarras.

37On conclut du sens étymologique des mots que ce qui est donc désirable n’est pas, comme l’a dit Lacan, le masculin, plus précisément chez lui le phallus, mais l’ouverture. C’est seulement l’ouverture de Poros à Pénia qui fait que les deux peuvent donner naissance à Eros. On sait que Poros n’a pas donné son ouverture de son plein gré puisque Pénia est allée chercher cette ouverture grâce au fait qu’il était ivre ! L’ouverture désirable peut être considérée comme l’ouverture du masculin de l’homme, ou l’ouverture au masculin pour la femme, et là je pourrais rejoindre Lacan – mais pas le masculin seul sans l’ouverture que bien sûr il est amené à faire au féminin par l’accueil de Pénia. Poros est alors son ouverture à elle.

38Jung, quant à lui, conclut de cette rencontre que Diotime nous parle ici de la renaissance par le feu du désir érotique, qu’Eros est le fils d’indigence (Pauvreté) et des organes génitaux féminins. Autrement dit : Renaissance – procréation et accouchement de l’œuvre que chaque humain porte, ou Soi en terme jungien. Diotime dit : « dans une présence assidue […] il enfante et il procrée ce qu’il portait en lui depuis longtemps ». Dans ce mythe, Diotime nous donne les deux côtés de la fonction utérine capable de porter Eros, autrement dit l’amour de transfert : l’ouverture et la conscience du manque – que l’on soit femme ou homme – et qui fait désirer l’autre.

39La recherche de l’objet en tant que bel objet n’est pas, selon Diotime, l’amour de l’autre ; cette recherche du bel objet est l’amour de l’amour. Cette manière d’aimer conduit à une recherche sans fin du plus bel objet que celui que l’on a. L’amour de l’autre, c’est l’amour de la procréation par la rencontre. La rencontre est procréatrice pour les deux ; et pour qu’un couple crée une œuvre, la rencontre doit se renouveler. Nous avons là l’éloge de l’anti objet-partiel, si je puis m’exprimer ainsi. Eros comme messager et intermédiaire (ou fonction transcendante) de ce grand jeu du désir de la connaissance de soi à travers l’autre, Eros est fils d’ouverture (le père) et d’espace matriciel (la mère).

40Car l’utérus, encore une fois, n’est pas un viscère. C’est un muscle – aux capacités de contraction et de relâchement, comme tout muscle, lieu de création qui a ses lois propres, y compris dans ses limites. Il a aussi – cet utérus – son négatif, bien entendu : il y a prématurité, « post-maturité », mort-né, intoxication, malformation, etc., autant de métaphores qui nous parlent des aspects de certaines cures analytiques. Enfin, l’utérus est un lieu d’échange par excellence et dans les deux sens – aucun vase ne possède de paroi vivante qui se recrée régulièrement, ni de capacité d’échanger sa propre substance, de la donner à son contenu ; en effet, on trouve des cellules fœtales dans le corps de la mère, et des cellules maternelles chez le fœtus : ces cellules persistent tout au long de la vie. Chacun de nous, comme tendent à le prouver de récentes découvertes, a des cellules de sa mère, de ses grands-mères, arrière-grands-mères, qui s’infiltrent par les parois digestives du fœtus et ne provoquent aucun rejet. Et le père, ici, n’encadre pas la mère de sa loi, mais de son amour.

41À partir de cette image concrète mise ainsi en mouvement, nous pouvons faire un lien entre l’organe et la fonction et voir que, comme pour l’utérus, la loi symbolique est partie intégrante de la fonction utérine. Si je dis « faire » – « faire de l’utérus », que ce soit dans le transfert ou dans la relation parentale –, ce n’est pas en termes de volontariat, c’est en terme de conscience, c’est-à-dire une attitude intérieure active et non pas une attitude intérieure passive. En ce sens je relie la fonction utérine à la spiritualité lorsque Jung dit que la spiritualité « conçoit » et « saisit » (dans ses Sept Sermons aux Morts) ; concevoir et saisir se réfèrent à un réceptacle, à une matrice capable d’accueillir activement, d’opérer une réception.

42Et l’homme d’ailleurs, comme la femme en bonne relation avec la fonction utérine, est une personne réconciliée avec ses origines charnelles et qui intègre que la fonction utérine est une fonction de l’esprit, et ainsi dépasse largement la fonction de l’utérus en tant qu’organe. Il y a là deux temps de la différenciation : dans un premier temps, différencier l’organe – ou le désir de l’organe et de ses prérogatives. Dans un deuxième temps, la fonction à différencier de l’organe. Et les paroles de Diotime qui s’adressent à Socrate sont rapportées par lui, selon Platon, à un parterre d’hommes, je le rappelle, puisque les femmes sont exclues du Banquet.

43En mettant en écho l’interprétation de Lacan et celle de Jung, je veux mettre en évidence la place que ce dernier donne au féminin dans le transfert. Du côté de Lacan, le modèle du transfert est l’amour entre hommes, pris dans Le Banquet de Platon ; pour Jung, c’est le travail transformateur d’un Soi à l’œuvre, modèle pris chez les alchimistes avec toutes les figures qui vont avec : la materia prima en devenir, le vase bien clos qui abrite l’œuvre, les passages par la nigredo, la rubedo, etc. La transformation alors concerne les deux protagonistes du transfert et le couple soror-adepte est une figure du féminin et du masculin pris dans cette dialectique. Cette conception jungienne d’envisager le cadre et qui y introduit l’espace du féminin trouve toute sa place dans la pratique.

6 – Deux expériences transférentielles

6.1 – À propos de contenu

44Certains hommes aussi éprouvent la nécessité de cette différenciation. Dans leurs rêves, ceci se représente en particulier par deux images : le sac en bandoulière, parfois très bas sur le ventre, et la poche, interprétés par les analysants comme des images de l’utérus (il arrive par exemple qu’un rêve représente l’analysant déambulant dans une ville ou un village, une poche transparente à la main contenant des masses visibles mais informes). La première interprétation est la plupart du temps une question : seraient-ils encore désireux d’avoir un utérus ? À l’approche d’être pères, quand leur femme était enceinte, ils se souviennent l’avoir enviée et vouloir porter l’enfant. La deuxième réaction, souvent après deux ou trois séances sur le désir d’utérus, porte sur une situation actuelle par rapport aux créations personnelles, soit sur le plan professionnel (en tant que plasticien par exemple) ou concernant leur créativité en-dehors du travail. En général, ces hommes se trouvent dans un moment de vide alors qu’habituellement, lorsqu’ils ont une idée, ils se lancent et travaillent, quitte à refaire. Ils expérimentent le sentiment de porter une œuvre sans pouvoir lui donner aucune forme, de la sentir sans pouvoir la démarrer… Ils apprennent à porter – à l’écoute de ce qui se passe en eux : est-ce que ça bouge ? Est-ce que ça enfle ? Est-ce que ça donne des coups de pieds pour sortir ?

45On entend bien ici la différenciation organe/fonction. Au cours d’un échange vif à propos du féminin, Jung constate en 1928 (1928-1930[2005], p. 48) la terreur de l’homme devant l’enfant produit (parle-t-il seulement de lui), ainsi que la terreur de la femme devant le sein créateur qu’est le cerveau de l’homme : « L’homme craint chez la femme le formidable secret de ses hanches, sa forme de puissance créatrice. Et la femme craint chez l’homme le formidable secret de son cerveau ». Nous ne sommes plus en 1928, mais on peut se demander si les craintes d’alors ont véritablement muté en élaborations concernant les créativités réciproques ?

6.2 – Pour illustrer le cadre

46Je prendrai mon expérience d’une dernière confrontation avec le négatif paradoxal par excellence, à savoir la mort : on ne sait pas où ça va, ni le jour ni l’heure pour chacun d’entre nous. Et lorsqu’il arrive qu’un analysant ou une analysante s’y trouve confronté(e) au cours de l’analyse, quelle réponse, quel aménagement du cadre cela suppose-t-il ? Situation extrême donc exceptionnelle, mais qui nous apprend beaucoup pour l’ordinaire. À chacun sa réponse. Pour ma part j’ai appris – à l’aide de cette fonction utérine – qu’il est possible d’accompagner une personne jusqu’à la fin de sa vie, et ceci en terme d’individuation.

47À sa demande, une analysante poursuit son analyse à son domicile, jusqu’à son passage en soins palliatifs – recréant elle-même le cadre, m’ayant placé à son chevet un siège en position d’analyste. Elle m’a ainsi montré que le cadre pouvait me suivre – qu’il n’était pas « attaché » à mon cabinet, mais attaché plutôt à nos deux personnes quand nous nous réunissions avec pour objet commun son individuation à elle, ce qui faisait retour sur mon individuation à moi.

48Cette fonction utérine bien comprise, comme lieu de création et de renaissance, s’adresse aux hommes et aux femmes, psychanalystes ou non, vis-à-vis de la vie à protéger, à accompagner, à faire naître dès que l’être peut s’expulser – aussi bien dans l’individu que dans le collectif.

49Pour finir, je dirai que la question de l’utérus se pose comme représentation et comme fonction. Dans l’analyse, la fonction utérine se présente aussi bien comme figure du lieu de la création intérieure que comme représentant du cadre. Pour parler de la matrice, les hommes de certains groupes humains ont eu recours à des objets métaphoriques qui dialectisent contenu et contenant. Les femmes, de par leur expérience corporelle, se sont peut-être contentées d’images de prolongement comme le berceau, les langes, leurs propres bras. Mais pour les deux, se représenter la matrice ne se fait pas directement par l’image utérine. Pourtant, cette représentation, devenue consciente comme contenant vivant participant de la création, enrichit l’aptitude à offrir un cadre pour grandir, qu’il soit parental ou psychanalytique ; la matrice devient alors symbolique.

50Vous pouvez commenter cet article, interroger son auteur, poursuivre la réflexion sur le forum : www.revue-pa.forumactif.org. Ce forum est modéré et accessible sur inscription.

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Mots-clés éditeurs : utérus, mère, féminin/masculin, père, cadre, matriciel, Platon, diotime, fonction utérine, éthique, Lacan

Date de mise en ligne : 12/07/2016

https://doi.org/10.3917/rpa.003.0007

Notes

  • [1]
    Note d’Agnela Jaffé : Dans les écrits de Poimandrès, qui appartenait à une secte gnostique païenne, le Cratère est un vaisseau empli d’esprit… Ce vaisseau – ou vase – était une sorte d’utérus du renouvellement spirituel et de la renaissance.
  • [2]
    Ou castration – du latin Vir ; terme utilisé dans le texte de Schreber.
  • [3]
    À ce titre, je le rapproche symboliquement de ce que Spinoza (1660 [1965] p. 21) entend par l’essence comme enveloppe, le moyen par lequel est aussi conçu ce qui est dans cette autre chose. En pensant à l’eczéma géant dont a souffert Jung dans son enfance (1962[1973], p. 27), je rapproche également ses nombreuses références à l’utérus au travail de Didier Anzieu (1985, pp. 4, 214-215 et 233) sur l’enveloppe, peau pour les pensées, structure intermédiaire psychique.
  • [4]
    Comme dans le mythe de Déméter.
  • [5]
    Ce qui signifie que, pour s’exercer, la fonction transcendante a besoin d’une matrice qui se représente.
  • [6]
    En psychanalyse, la notion ‘d’espace délimité du cadre de l’analyse’, le vas bene clausum selon l’expression jungienne, permet un travail dans une certaine sécurité. Dans cet espace, empathie, et identification projective oscillent de part et d’autre. S’y joue aussi « une capacité éthique universelle innée » qui correspondrait à l’expérience de la disponibilité mentale ou émotionnelle d’un autre à son égard. Cette capacité éthique universelle innée est entée sur les expériences éthiques du nourrisson avec l’adulte qui le contient, expériences vécues à un niveau profondément inconscient – celui d’un pré-moi perdu au sein d’un autre qui lui est dévoué.
  • [7]
    Les recherches d’aménagement du cadre – recherches qui peuvent prendre parfois beaucoup de temps – peuvent être regroupées autour de notre capacité à percevoir où, et comment, fonctionnent les valeurs de l’enjeu. Ces valeurs, à certains moments, prennent appui sur la notion d’éthique, et cette dernière devient alors le centre de référence de ce qui fait du sens ou du non-sens, c’est-à-dire, par exemple, ce qui fait « repérer où et comment joue la tendance première, celle qui cherche à maintenir dans la Mère ». Dans ce cas, où est le cadre, sinon dans ce « sur-mesure » qui tient lieu de loi pendant longtemps, résultat d’une intuition commune entre l’analysant et son analyste, intuition qui peut se manifester dès la première séance.

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