Notes
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[1]
Nous ne ferons pas de différence entre « revenu de base » (de l’anglais basic income), « allocation universelle » ou « revenu d’existence », expressions considérées ici comme synonymes.
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[2]
Suivant les débats sur cette idée depuis plus de vingt ans – cf. notamment Gamel 2004 ; Gamel et al. 2005 ; Gamel 2011 –, je n’ai souvenir en France d’une attention bien moindre la concernant qu’à travers une annexe du rapport Belorgey (2000), résultat des travaux d’un atelier (Belorgey 2000, 277-304). Plus récemment, l’idée de revenu d’existence a fait l’objet d’un examen attentif dans des travaux parlementaires (Sirugue 2016 ; Vanlerenberghe et Percheron 2016).
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[3]
Le réseau BIEN (Basic Income Earth Network) a été fondé en 1986 par un collectif animé par P. Van Parijs et G. Standing. Les participants français au congrès biannuel du BIEN se sont longtemps comptés sur les doigts d’une main. Exceptions remarquables dans le personnel politique français, Michel Rocard et son ex-conseiller social Roger Godino, initiateurs du RMI en 1988, ont activement participé au 8 e congrès de Berlin (2000).
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[4]
Dans un premier temps, comme on le verra plus loin (cf. infra, 2.1), Van Parijs a cherché à fonder l’allocation universelle sur le principe de différence de Rawls, idée que nous reprenons à notre compte dans le cadre du présent article.
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[5]
Sur ce point, cf. notamment Gamel (2004, 291-2).
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[6]
Cf. notamment Vanderborght et Van Parijs (2005, 68-77) et (2017, 99-132).
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[7]
L’examen de cette posture est d’autant plus nécessaire que, à l’exception de Basquiat et Koenig 2014 et 2017 dont notre approche se veut complémentaire (cf. supra, 4.2), les publications en français la négligent (MFRB 2017) ou s’y opposent (Harribey et Marty 2017). On prendra en outre conscience de la diversité des sciences humaines et sociales mobilisées par la réflexion sur le revenu de base, à la lecture de numéros spéciaux de revues consacrées récemment à ce sujet ; cf. notamment Mouvements 2013/1, n° 73, A Contrario 2015/1, n° 21, L’Économie Politique 2015/3, n° 67, Multitudes 2016/2, n° 63.
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[8]
Arnsperger et Van Parijs (2003, 56) ; par ailleurs, ces deux auteurs sont aussi, semble-t-il, les premiers à utiliser l’expression « égalitarisme libéral » dans le sens précité.
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[9]
Pour de plus amples développements, cf. Gamel 2015 ou 2017.
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[10]
Cf. sur ce point l’analyse du Crazy-Lazy challenge proposée par Van Parijs (1995, 92-6), où Crazy recherche le plus haut revenu possible en travaillant beaucoup, tandis que Lazy valorise surtout cette autre ressource rare qu’est le temps libre en travaillant juste de quoi couvrir ses besoins élémentaires. Sous l’angle microéconomique, cette neutralité de principe peut s’analyser comme l’absence, dans l’arbitrage revenu-loisir, de tout « effet de substitution » lors de la perception du revenu de base : comme le « prix » d’une heure de loisir supplémentaire – égal au salaire horaire auquel on renonce – reste inchangé, l’allocation universelle n’introduit ni incitation, ni désincitation à travailler. Une telle analyse suppose toutefois que le financement du revenu de base « tombe du ciel » et n’ait aucun impact fiscal sur le salaire horaire net (après impôt), hypothèse qui sera levée ultérieurement (cf. infra, 2.2, n. 23 et 3.2, n. 27 et 28).
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[11]
Pour mémoire, selon la dernière reformulation proposée par Rawls (2001, 42-3), le premier principe est le « principe d’égales libertés » : « chaque personne a la même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés fondamentales, compatible avec le même ensemble de libertés pour tous ». Le « second principe de la justice » ne porte pas de nom particulier et comporte deux volets : « Les inégalités économiques et sociales doivent respecter deux conditions : elles doivent être liées à des fonctions et à des situations ouvertes à tous dans des conditions d’égalité réelle des chances [« juste égalité des chances »] ; et ensuite elles doivent être agencées pour le plus grand bénéfice des individus les moins favorisés de la société [« principe de différence »] ».
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[12]
Il fait notamment écho à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».
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[13]
Pour une présentation plus complète de cette analyse, cf. Gamel (2015, 356-8 et 366-9).
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[14]
Il s’agit donc d’éviter la concentration du risque de chômage sur les seuls travailleurs outsiders (au statut peu protecteur) du marché secondaire, concentration permettant le plus souvent d’exonérer de ce risque les travailleurs insiders du marché primaire (cf. Lindbeck et Snower 1989). Par ailleurs le libéralisme économique de Rawls (1971, 277) le conduit à affirmer que « la concurrence du marché, correctement contrôlée, garantit le libre choix de l’emploi » et que la satisfaction des besoins fondamentaux est mieux assurée par des transferts redistributifs « qu’en essayant d’intervenir sur la détermination des revenus par un salaire minimum et tout autre moyen du même genre ».
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[15]
Sur le marché du travail, la perception d’un tel revenu renforcerait néanmoins le pouvoir de négociation du chercheur d’emploi : il pourrait être plus sélectif dans les opportunités d’activité à retenir, en n’étant pas contraint d’accepter la première offre qui se présente ; sur ce point cf. infra, 2.1. Compte tenu des politiques publiques visant le plein emploi par une meilleure flexibilité du marché du travail, la mise en place de l’allocation universelle ne serait pas donc la contrepartie d’une hypothétique « fin du travail » ou pénurie d’emplois.
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[16]
Les plus défavorisés sont alors mieux lotis dans une économie riche mais inégalitaire en termes de revenus (parce qu’inégalitaire, pourrait-on même dire), qu’ils ne le seraient dans une économie trop égalitaire, mais de ce fait plus pauvre en raison d’incitations à produire insuffisantes. Le « principe de différence » est ainsi une ligne de fracture décisive entre libéraux, qui jugent ces incitations nécessaires, et non libéraux, qui les rejettent comme inutiles. Ainsi Cohen, représentant éminent du marxisme analytique, a-t-il consacré deux des premiers chapitres d’un ouvrage entièrement dédié à la critique de la théorie rawlsienne de la justice à « l’argument des incitations » et au « principe de différence » – cf. Cohen 2008, chapitres 1 et 4. L’enjeu est en effet important : loin de viser un « ruissellement » spontané, des revenus les plus élevés vers les revenus les faibles, à travers les dépenses que les plus productifs peuvent se permettre, le principe de différence préserve les incitations jugées nécessaires à l’augmentation délibérée de l’assiette fiscale sur laquelle sont financés, par la « canalisation » forcée de l’impôt, les transferts de revenus à destination des moins productifs.
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[17]
Pour bien indiquer qu’il exclut ainsi les inactifs volontaires qui ne font aucun effort pour s’intégrer à la société par leur travail, Rawls précisera ultérieurement qu’il s’agit des « gens qui ne veulent pas travailler dans des conditions où il y a assez de travail (je suppose que les postes et les emplois ne sont pas rares, ni rationnés) » (Rawls 1993, 182). Cette précision semble confirmer que l’égale liberté d’accès à l’emploi (et donc la lutte contre le chômage involontaire) relèvent bien de la prééminence dans la hiérarchie rawlsienne du « principe d’égales libertés » (cf. supra, 1.2).
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[18]
Avant de devenir ainsi publique, la controverse entre les deux philosophes est née en 1987, lors de leur rencontre à Paris, dans une conférence organisée à l’occasion de la publication en français de A Theory of Justice ; sur ce point précis, cf. Van Parijs et Vanderborght (2017, 283 n. 35) et, sur le fond de la controverse, Gamel (2004, 288-9 et 2017, 160-2).
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[19]
Pour une réflexion de fond sur la distinction délicate entre circonstances subies par l’individu dont il convient de compenser les effets sur son bien-être et facteurs sous son contrôle dont il reste seul responsable, cf. notamment Fleurbaey 2008. La prise en compte « welfariste » de ces compensations ne peut toutefois relever du champ de la « macrojustice » définie comme le produit des règles fondamentales de la vie sociale appliquées à tous (cf. Kolm 2005, 15-6 et 2007, 67), mais elle peut se faire dans des domaines d’intervention plus réduits : la « mésojustice » (répartition entre tous de biens spécifiques tels que l’accès aux services d’éducation), voire la « microjustice » (répartition d’une ressource rare entre quelques personnes, comme la sélection du bénéficiaire d’un don d’organe). A notre sens, par son fondement libéral et non welfariste, seul un revenu de base identique pour tous relève ici de la « macrojustice ».
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[20]
Pour une présentation d’ensemble de la « contradiction » entre ciblage et non-recours, cf. Warin et Mazet 2014.
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[21]
Sur l’économie du principe de différence, il existe aussi des travaux a priori bien plus fidèles à la pensée de Rawls sur le travail, en particulier la théorie de la macrojustice de Kolm (2005 et 2007) qui justifie le canevas précis des transferts ELIE (Equal-Labour Income Equalization). Pour une présentation succincte de ces transferts, cf. Gamel et Lubrano 2011 et, pour leur comparaison avec l’allocation universelle, cf. Gamel 2011.
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[22]
Pour l’analyse critique complète de ces modalités de financement, cf. Gamel 2004.
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[23]
Plus précisément, cet idéal philosophique de neutralité ne serait vérifié qu’en cas de perception du revenu de base sans prélèvement fiscal pour le financer, c’est-à-dire en tout point de la droite GA, où la seule perception du revenu de base n’introduirait aucun « effet de substitution » entre travail et loisir (cf. supra, n. 10). Si cette situation de référence (droite GA) n’était pas rendue « utopique » par l’absence de financement soutenable, on pourrait même interpréter la rotation de la droite de GA en GB comme l’illustration d’une certaine désincitation à travailler (revenu net plus faible le long de GB que le long de GA). En réalité, en passant de la philosophie à l’économie, la perspective change du tout au tout et prend comme situation de référence la situation diamétralement opposée, où le financement de la redistribution serait « confiscatoire » et n’inciterait pas du tout à travailler (trappe à inactivité où le « prix » d’une heure supplémentaire serait nul) : ce serait le cas si la droite GB était parfaitement horizontale (et se confondait avec la droite GC). Le changement de perspective induit par la prise en compte du financement sera approfondi plus loin (cf. infra, n. 27 et 28), mais d’ores et déjà, sur le graphique 1-A, la pente positive de la droite GB traduit bien le maintien d’une incitation monétaire à travailler, malgré la mise en place d’une allocation universelle au niveau G et d’un prélèvement fiscal qui lui est dédié.
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[24]
Les flèches ascendantes représentent les transferts sociaux reçus (revenu d’existence ou impôt négatif) et les flèches descendantes les transferts fiscaux versés (impôt positif).
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[25]
Les flèches descendantes représentent les transferts fiscaux avant crédit d’impôt et les flèches ascendantes les transferts sociaux sous forme de crédit d’impôt universel.
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[26]
Ces propriétés, notamment la sécurité d’un revenu minimal en toute circonstance, pourraient en outre constituer d’utiles garde-fous contre le développement du « précariat », nouvelle classe sociale en gestation dans les pays développés liée à la mondialisation et aux diverses modalités de flexibilité accrue du marché du travail qu’elle implique pour tous les actifs, salariés ou non-salariés. Sur ce point, cf. Standing 2011. Pour une présentation synthétique de l’impôt négatif friedmanien en termes de crédit d’impôt universel, cf. Basquiat et Koenig (2014, 14-7).
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[27]
Le montant de l’impôt négatif (à percevoir) ou de l’impôt positif (à acquitter) d’un individu i (Ii) est en effet fourni par la relation algébrique Ii = G − t.Ybi, où G est le crédit d’impôt garanti à chacun, t le taux d’imposition proportionnel (et constant) auquel est soumis le revenu brut imposable Ybi de l’individu i. Le revenu net Yni (après impôt) est donc la somme du revenu brut Ybi et de l’impôt Ii, soit Yni = Ybi + G − t.Ybi ou, après simplification, Yni = G + (1 − t).Ybi (équation de la droite en gras sur les graphiques 1 et 2). Par construction, le revenu net de tout individu est donc au moins égal à G et augmente constamment en proportion 1 − t du revenu Ybi qu’il parvient à gagner. L’incitation à travailler est constante d’un bout à l’autre de l’échelle des revenus, dans toutes les variantes d’impôt négatif (y compris celle du revenu d’existence financé par un impôt proportionnel sur le revenu présentée sur le graphique 1-A).
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[28]
« Pour qu’un dollar de plus signifie plus d’argent à dépenser », encore faut-il que le taux d’imposition t soit compris entre 0 et 100 %, ces deux bornes étant exclues ; si tel est bien le cas, l’impôt négatif est une allocation « dégressive » qui préserve une incitation à travailler, plus ou moins forte en fonction de 1 − t. En revanche, si le taux t est égal à 100 %, l’impôt négatif devient une allocation purement « différentielle » permettant d’atteindre, sans le dépasser, le revenu minimum G, ce qui supprime toute incitation à travailler. Enfin, si le taux t est nul, l’impôt négatif version crédit d’impôt n’a pas d’impôt positif pour le financer, ce qui nous renvoie à la situation de référence « utopique », déjà évoquée dans le cas du revenu d’existence (cf. supra note 23).
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[29]
De même qu’entre économie planifiée et socialisme où le contrôle hiérarchique des unités de production garantit l’exécution des consignes de l’organe planificateur.
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[30]
Ce dernier cas combine en effet économie de marché et propriété collective des moyens de production, laquelle n’est pas concentrée au niveau de l’État, mais reste dispersée entre les salariés des entreprises concernées. De manière générale, ce « régime socialiste libéral » pouvait peut-être correspondre à la doctrine du « socialisme autogestionnaire » de l’ex-Yougoslavie (à l’époque de Tito), mais aujourd’hui on ne pourrait le rapprocher que du secteur de l’économie sociale et solidaire, aux marges de l’économie capitaliste de marché plus classique où les salariés sont au mieux des actionnaires minoritaires.
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[31]
Cette voie capitaliste vers le communisme fut initialement présentée dès les années 1980 (cf. Van der Veen et Van Parijs 1986).
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[32]
Comme déjà indiqué (cf. supra, 2.1), celle-ci devrait être complétée par d’autres dispositifs pour les personnes ayant des besoins particuliers liés par exemple à l’âge et, plus généralement, à un manque d’autonomie.
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[33]
Pour une illustration chiffrée d’un projet libéral de revenu d’existence en France, cf. Basquiat et Koenig 2014 et 2017.
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[34]
C’est néanmoins l’intérêt du rapport Sirugue (2016) que d’explorer une évolution des minima sociaux « vers une couverture socle commune ». Toutefois, la réforme préconisée (dans le scénario 3) ne franchit pas le pas de l’inconditionnalité, puisque « l’objectif premier de ce nouveau dispositif doit être de lutter contre la pauvreté et non de doter chacun d’un revenu universel » (Sirugue 2016, 81).
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[35]
Parmi les dix minima sociaux actuels, les plus importants concernent la pauvreté des actifs (RSA), le handicap et l’invalidité (AAH), le minimum vieillesse (ASPA), la fin de droits au chômage (ASS).
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[36]
Bien entendu, les projets récurrents visant à rendre progressifs (et non plus proportionnels) les prélèvements de CSG ne relèvent pas d’une conception de la justice fiscale conforme aux fondements libéraux de l’allocation universelle qui sont ici présentés. Sur l’équité de la fiscalité proportionnelle sur le revenu, une réflexion spécifique fidèle au « principe de différence », aux incitations économiques qu’il préserve comme aux limites intergénérationnelles qu’il prend en compte, mériterait à elle seule un autre débat. En substance, il s’agirait non pas de lutter contre les inégalités (relatives) de revenu par la progressivité de l’impôt, mais bien de faire passer, au-dessus d’un seuil (absolu) de pauvreté, le plus de titulaires de faibles revenus que possible, grâce aux transferts massifs financés sur les hauts revenus, que permettrait de générer la fiscalité proportionnelle dont ces derniers seraient l’objet, tout en préservant les incitations économiques à s’enrichir. En contrepartie, afin d’éviter la concentration du capital que provoqueraient sur le long terme ces hauts revenus, une fiscalité accrue sur la transmission du patrimoine d’une génération à l’autre devrait permettre sa re-dispersion à rythmes réguliers, conformément à l’idéal rawlsien de la « démocratie de propriétaires ». Quant à la concentration du capital humain et culturel sur les jeunes éduqués dans les milieux les plus aisés, c’est tout l’enjeu de « l’égalisation des capacités-potentialités » (au second niveau de la hiérarchie rawlsienne des principes de justice) que de contribuer à la limiter, voire à l’éviter (cf. supra, 1.2).
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[37]
Le système français est en partie « bismarckien », puisque la perception de certaines prestations suppose un financement « contributif » des bénéficiaires par des cotisations sociales qui leur sont dédiées (assurance –retraite, assurance-chômage) ; il est aussi « beveridgien », lorsque des prestations « non contributives » (allocations familiales, couverture maladie…) sont perçues par des personnes qui n’ont pas forcément participé à leur financement, lequel repose essentiellement sur la fiscalité de droit commun.
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[38]
Pour leur simulation chiffrée, Basquiat et Koenig (2017, 64-65) vont dans ce sens, en distinguant, dans l’impôt proportionnel finançant le revenu de base, un taux de 23 % consacré à sa composante monétaire – appelée « Liber » – et un taux de 13 % pour la « CSG-Santé » consacrée à des soins de santé de base. L’adhésion facultative à une assurance-santé complémentaire viendrait comme aujourd’hui renforcer le dispositif.
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[39]
Dans le cas des actuels minima sociaux (avec condition de ressources, donc sans passage à un revenu de base inconditionnel – cf. supra, n. 34), Sirugue (2016, 85-90) propose déjà une « couverture socle commune » assorti, selon le cas, d’un « complément d’insertion » ou d’un « complément de soutien », pour tenir compte des montants différenciés de chaque allocation.
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[40]
En France, le rapport d’une mission sénatoriale d’information préconise de telles expérimentations – cf. Vanlerenberghe et Percheron (2016, 110-30).
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[41]
En Finlande, l’expérimentation sur deux ans (2017 et 2018), menée par le gouvernement est à cet égard emblématique pour notre propos : deux mille personnes en recherche d’emploi reçoivent, à la place de l’allocation-chômage qu’ils touchaient, une allocation inconditionnelle qu’ils continueront à percevoir intégralement s’ils reprennent une activité, quel que soit le salaire perçu. Leur comportement sur deux ans sera comparé avec celui des membres d’un groupe test continuant à percevoir des allocations-chômage conditionnelles de même montant. Le but de l’expérimentation est donc de savoir si les chômeurs bénéficiant d’un revenu de base sont ou non plus motivés à trouver un emploi ou à fonder leur propre entreprise. Malgré son coût, les enseignements de cette expérimentation risquent d’être obérés par sa durée et son ampleur limitées.
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[42]
Cependant, même en ignorant complètement le volet financement et en se concentrant sur le seul volet allocation inconditionnelle, les réponses collectées en 2000, auprès d’un panel CEREQ de jeunes peu qualifiés récemment insérés dans l’emploi, montrent que la perception d’une allocation universelle (de faible montant) ne provoquerait pas de retrait massif de l’activité. En effet, l’insertion par le travail représentant plus que la perception d’un simple revenu, la déconnexion entre travail et revenu liée à l’inconditionnalité de l’allocation ne les inciterait pas souvent à « expérimenter » d’autres formes d’insertion sociale que le travail. D’un point de vue microéconomique, l’explication pourrait être la suivante : sans prélèvement fiscal qui soit dédié à son financement, l’impact de la seule perception d’un revenu d’existence ne provoquerait pas d’« effet de substitution » (cf. supra, n. 10) et ne dépendrait alors que du sens de « l’effet de revenu » : soit les bénéficiaires considèrent le temps de loisir comme un « bien normal » qu’il cherche à consommer plus en travaillant moins grâce à la perception du revenu d’existence, soit ils le considèrent comme un « bien inférieur » et préfèrent travailler autant ou plus si la hausse du revenu reste pour eux prioritaire. Cette seconde éventualité n’est pas exclue chez les titulaires de faibles revenus, lorsque l’emporte la volonté de se réinsérer par le travail. Pour de plus amples développements sur cette étude, cf. Gamel et al. 2005.
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[43]
C’est ainsi qu’en France, Ben Jelloul et al. (2018) ont modélisé par une micro simulation originale divers scénarii d’expérimentation, dont le financement est envisagé par treize conseils départementaux. Ces scénarii sont « inspirés » par le concept de revenu de base (inconditionnalité à l’insertion professionnelle, automaticité du versement, accessibilité aux moins de 25 ans), mais l’inspiration n’est pas complète loin de là, notamment parce que l’allocation reste versée et calculée sur une base familiale et non individuelle. Les scénarii diffèrent selon les prestations sociales qu’elles remplacent (RSA, prime d’activité, aides au logement), l’âge minimal d’éligibilité (18 ou 21 ans) et le type de dégressivité de l’allocation en fonction des ressources. C’est cette dernière dimension qui nous intéresse ici, car elle est censée prendre en compte le financement et le rendre supportable. Or, faute de reposer sur une réelle réforme fiscale, le propre de toutes ces expérimentations est de simuler des prélèvements par une complication du calcul de l’aide nette reçue, ce qui n’a rien à voir avec la notion de crédit d’impôt universel (et risque de biaiser l’expérimentation par la confusion créée chez les bénéficiaires).
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[44]
Dans une perspective analogue de mise en place par étapes, Maniquet et Neumann (2016) proposent, pour le cas de la Belgique, un processus à notre avis plus aléatoire, en quatre réformes disjointes et indépendantes les unes des autres : pour le volet social, il s’agirait d’introduire séparément l’inconditionnalité de l’allocation par rapport aux ressources, l’inconditionnalité de l’allocation par rapport au travail et l’individualisation de l’allocation, le tout étant complété par une réforme fiscale pour le financement. L’avantage de cette démarche est de permettre un chiffrage de chaque étape de la réforme d’ensemble, mais l’inconvénient est de décomposer le processus politique d’adoption en autant de débats séparés : les électeurs ont en effet la possibilité de se prononcer sur les options disponibles pour chaque étape « par référendum ou en choisissant le parti dont le programme se rapproche le plus du système qu’ils préfèrent » (Maniquet et Neumann 2016, 13). Un tel processus risque donc de s’enliser à tout moment et de déboucher sur une réforme inachevée.
1Pour qui s’intéresse de longue date à la notion de revenu de base [1], le vif intérêt que cette idée suscite en France depuis 2016 est une agréable surprise [2], d’autant plus que la notion trouve désormais des partisans dans des partis politiques très différents. Cependant, la réflexion doit, pour être féconde, s’engager sur des bases précises, car un consensus aussi large peut être en grande partie factice et risque de voler en éclats, dès lors que l’on commence à entrer dans le détail des modalités d’application (niveau et financement de l’allocation, insertion dans le système de protection sociale, etc.).
2Or, si le débat politique et intellectuel en France rattrape son retard sur la question de l’allocation universelle, il convient de rappeler que la réflexion contemporaine en Europe et dans le monde depuis au moins trente ans [3], est en grande partie alimentée par l’acuité des idées libérales sur la question de la justice sociale, aussi bien en termes de philosophie politique et morale qu’en termes d’économie normative. Contrairement à la vision caricaturale prédominante en France, le libéralisme contemporain ne se réduit pas à ce qu’un tic de langage très répandu appelle le « néo-libéralisme ». La réflexion libérale abrite en effet des débats passionnants, en particulier entre auteurs « libertariens », dont les divers représentants défendent un éventail très large d’options politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche.
3Le libertarisme peut en effet être présenté comme une branche du libéralisme, dont la liberté ne serait qu’indirectement la valeur première : le débat entre libertariens porte d’abord sur la propriété comme moyen de protection de la liberté et les divergences apparaissent en particulier sur les conditions d’appropriation de biens (terres, ressources naturelles, …) que personne à l’origine ne détient. Entre l’affirmation pure et simple du droit de propriété du premier occupant (Rothbard 1982), la nécessité de respecter une clause suspensive (Nozick 1974), qui interdit seulement de s’approprier un bien si la situation d’autrui s’en trouve dégradée, et l’affirmation d’un droit égal de chacun sur des biens qui ne sont initialement la propriété de personne (Steiner 1994), on mesure déjà l’ampleur des divergences possibles.
4Tel que formulé in fine par Van Parijs (1991a, 225) [4], le fondement de l’allocation universelle en termes de « libertarisme réel » relève ainsi d’un « libertarisme de gauche » proche de la position de Steiner : alors que ce dernier taxe et redistribue également entre tous la part du revenu global correspondant aux « ressources naturelles » qui y sont incorporées et qui n’appartenaient initialement à personne, Van Parijs suggère que c’est le montant des « ressources externes » aux individus, naturelles ou produites, qui doit être redistribué de manière égalitaire [5].
5Pour ma part, je voudrais défendre l’idée que l’allocation universelle peut relever d’une optique plus classiquement libérale que j’appelle « l’économie de l’égalitarisme libéral », où l’allocation universelle n’est pas la traduction du partage égalitaire d’une rente. À la différence des synthèses produites sur le revenu de base où l’on trouve juxtaposées nombre d’options éthiques susceptibles de soutenir ce concept [6], notre propos est bien d’approfondir la cohérence de cette seule posture libérale sur l’allocation universelle, au plan philosophique comme au plan économique [7].
6À cet effet, l’expression « égalitarisme libéral » désigne ici la réflexion philosophique de Rawls comme « quatrième référence fondamentale de l’éthique économique et sociale contemporaine » [8], à côté de l’utilitarisme, du marxisme et du libertarisme. Si les principes rawlsiens de justice fournissent l’armature générale de l’égalitarisme libéral, son « économie » reste toutefois à préciser et peut faire l’objet de multiples variantes, à partir notamment de travaux plus précis comme ceux de Sen ou de Kolm : tout en se démarquant de la démarche de Rawls en termes d’« équilibre réfléchi », ces économistes ont en effet reconnu la forte influence qu’a pu exercer sur eux le résultat de cette démarche, à savoir l’énoncé des principes rawlsiens de justice. « L’approche par les capacités » du premier suggère ainsi une approche plus ambitieuse de la « juste égalité des chances », tandis que les transferts ELIE du second se veulent une traduction fidèle du « principe de différence » [9].
7Le présent texte en soutien à l’allocation universelle explore, quant à lui, une autre variante de cette « économie de l’égalitarisme libéral », qui part d’une interprétation de la théorie rawlsienne de la justice par Van Parijs et se prolonge par les travaux d’Atkinson et de Friedman. Ainsi, comme pour les variantes précédentes, le point d’ancrage de cette analyse se situe-t-il à nouveau dans l’œuvre de Rawls ; celui-ci n’est certes pas partisan de l’allocation universelle, mais la hiérarchie des principes de justice qu’il défend offre un cadre général pour situer la portée de cette proposition (1). Au troisième niveau de cette hiérarchie, se trouve en effet le « principe de différence » dont l’interprétation économique est matière à débat, notamment sur le rôle du travail comme facteur privilégié d’intégration à la société. C’est à ce niveau que se situe la controverse des « surfeurs de Malibu » qui opposa, à la fin des années 1980, Rawls à Van Parijs, ce qui permit à ce dernier de fonder en toute clarté le caractère inconditionnel de l’allocation universelle (2). Reste alors à passer de la philosophie à l’économie de l’allocation universelle, en montrant comment cette dernière peut être considérée comme une variante précise d’impôt négatif sur le revenu, comme celle suggérée par Atkinson au milieu des années 1990. À ce stade, une relecture de l’intuition de Friedman sur le concept d’impôt négatif formulée dès les années 1960 se révèle très utile, en permettant de considérer le revenu d’existence comme un « crédit d’impôt universel » (3). En conclusion, sont esquissées quelques réflexions prospectives sur les effets d’une éventuelle application de cette conception du revenu d’existence, pour les démocraties libérales en général et dans le cas de la France en particulier (4).
1 – Le cadre général : « l’égalitarisme libéral » de Rawls
8Le revenu d’existence est une idée simple mais facile à dénigrer, ce qui suppose de la situer dans une réflexion générale sur la justice sociale, afin de mieux en souligner la caractéristique certes novatrice mais aussi la portée exacte, à notre sens plus limitée qu’il n’y paraît. En effet, la hiérarchie des principes de justice de Rawls offre un canevas sans équivalent dans la philosophie libérale, canevas grâce auquel la problématique de l’allocation universelle peut être mieux évaluée.
1.1 – Le revenu d’existence, une idée simple mais facile à dénigrer
9En conformité avec la définition couramment admise de Vanderborght et Van Parijs (2005, 6), le revenu d’existence est une allocation inconditionnelle versée à chaque individu selon un critère de résidence ou de nationalité, qui donne un contenu réel à l’idée de liberté et fait confiance à sa responsabilité. En particulier, l’allocation cherche à instaurer une neutralité de principe dans « l’arbitrage revenu /loisir », puisqu’elle n’est pas réservée à ceux qui peuvent ou veulent travailler (actifs occupés ou au chômage) [10].
10Selon le montant de l’allocation, le revenu d’existence pourrait ainsi fournir le socle d’une profonde réforme de la protection sociale, voire constituer une troisième voie entre l’option « bismarckienne » (assurance des travailleurs) et l’option « beveridgienne » (assistance fonction des besoins), le système français étant, quant à lui, le résultat d’un compromis complexe entre ces deux orientations.
11Par ailleurs, l’allocation universelle serait une réponse au moins partielle à la crise de l’emploi salarié (chômage involontaire massif ou emploi à temps partiel « contraint ») et pourrait accompagner l’évolution vers de nouvelles formes de travail (économie collaborative), en sécurisant une partie du revenu des actifs non-salariés.
12Une idée aussi « révolutionnaire » par sa simplicité que l’allocation universelle reste cependant facile à dénigrer, essentiellement sous deux angles :
13– Distribuer la même allocation à tous, qu’ils travaillent ou non, peut conduire les individus à moins travailler, voire à ne plus travailler, alors que le travail reste dans les mentalités contemporaines la voie d’insertion sociale à privilégier.
14– Distribuer la même allocation à tous (y compris à ceux qui n’en ont pas besoin) gaspille les fonds publics et pose de manière aigüe la question du financement de tout le dispositif.
15Dès lors, afin de mieux souligner le caractère novateur mais aussi la portée exacte des projets d’allocation universelle, il n’est pas inutile de tenter de les insérer dans une réflexion générale sur la question sociale, dont les principes de justice de Rawls offrent par leur hiérarchie une grille de lecture inégalée.
1.2 – L’insertion dans la hiérarchie rawlsienne des principes de justice
16Les deux principes de justice de Rawls étant de nos jours assez bien connus [11], nous nous contenterons ici de commenter l’aspect le moins souvent perçu mais tout aussi fondamental, à savoir la hiérarchie entre le premier principe (« égales libertés ») et chacun des deux volets du second (« juste égalité des chances » et « principe de différence ») :
« égales libertés » (A)> « juste égalité des chances » (B-a)> « principe de différence » (B-b).
18Si le premier principe n’a rien de très original sur le fond [12], il joue néanmoins un rôle fondamental, car sa place au sommet de la hiérarchie implique qu’il n’est jamais légitime de réduire les inégalités économiques et sociales, si c’est au prix du rétrécissement de la sphère des libertés de base, ce qui fait sans nul doute de Rawls un auteur politiquement libéral.
19Par ailleurs, Rawls est indubitablement un philosophe de l’égalité, compte tenu de l’affirmation de cette valeur aux deux premiers niveaux de la hiérarchie rawlsienne (A et B-a). Il ne déroge à cette règle qu’au troisième niveau (B-b), par tolérances d’inégalités « acceptables lorsqu’elles sont efficaces » pour améliorer le sort des plus défavorisés ; les revenus devant être générés avant d’être redistribués, il a confiance dans la vertu du marché à inciter les plus productifs à entreprendre, ce qui en fait donc aussi un auteur économiquement libéral.
20Où insérer l’idée de revenu d’existence dans ce canevas relativement précis ? La réponse dépend de la déclinaison des trois principes successifs en matière économique et sociale [13].
21Le « principe d’égales libertés » (A) permet d’envisager, comme première priorité des politiques publiques, « l’égale liberté d’accès à l’emploi ». Il s’agirait de l’extension possible au marché du travail des « libertés fondamentales » (type « liberté d’expression ») protégées par la constitution dans une démocratie libérale. De ce fait, ce n’est pas une « liberté-résultat » (garantir en toutes circonstances un emploi à chacun) mais une « liberté-processus », comparable aux autres droits civils et politiques. En d’autres termes, il s’agit de garantir uniquement à ceux qui le veulent la possibilité de travailler, sans aucune incitation ou obligation en la matière. Dans cette perspective, la lutte contre le chômage involontaire durable passerait par la réduction excessive des rigidités du marché du travail qui freinent la création d’emplois et par la dispersion du risque de chômage de manière aussi uniforme que possible sur toute la population active [14]. Si l’axe prioritaire des politiques publiques vise ainsi un égal accès à l’emploi de tous ceux qui veulent travailler, l’instauration d’un revenu d’existence ne relève manifestement pas du premier niveau de la hiérarchie rawlsienne [15].
22Le premier volet du second principe (B-a) conduit à préciser la deuxième priorité de l’intervention publique, à savoir « l’égalisation des capacités-potentialités » des individus : il s’agit d’une version à la fois plus ambitieuse et plus pragmatique que la conception rawlsienne de la « juste égalité des chances », car elle s’appuie sur la notion de « capacité » (capability) développée par Sen (2009). Alors que la conception rawlsienne de la juste égalité des chances neutralise uniquement les seuls facteurs sociétaux (revenu, milieu social…) pouvant entraver la « liberté d’orientation vers diverses positions sociales », le fait de greffer la notion de capacité à ce second niveau de la hiérarchie rawlsienne oblige à intégrer aussi les facteurs plus personnels (familiaux, psychologiques…) pouvant conduire les individus à se contenter du statu quo (« plafond de verre » en matière d’orientation scolaire ou professionnelle, par exemple). La déclinaison de « l’égalisation des capacités-potentialités » peut être envisagée dans de multiples contextes (pauvreté, handicap, liberté culturelle…) et passe sans doute par la sélection des mesures et des publics prioritairement concernés. Même remarque cependant que pour le premier axe des politiques publiques, l’instauration d’un revenu d’existence améliorerait sans nul doute la « liberté d’orientation » de tous les individus, mais ne pourrait jouer qu’un rôle marginal, compte tenu de la nécessité de traiter au cas par cas les freins possibles à l’élargissement de la « capacité-potentialité » de chacun, définie comme l’éventail des modes de vie entre lesquels il peut choisir.
23C’est donc bien, par élimination, au troisième et dernier niveau de la hiérarchie rawlsienne des principes de justice que pourrait être insérée la notion d’allocation universelle. Il s’agit alors de montrer en quoi le « principe de différence » (B-b) pourrait se traduire en pratique par le versement inconditionnel d’un revenu. Or, à la différence de la déclinaison en matière économique et sociale des deux premiers principes que l’on vient d’évoquer, Rawls formule explicitement une objection de fond quant à une telle interprétation, ce qui fait tout l’intérêt du débat qu’il a eu avec Van Parijs sur l’inconditionnalité de la redistribution.
2 – Le débat Rawls/Van Parijs sur l’inconditionnalité de la redistribution
24Rappelons d’abord que, si le « principe de différence » a pour finalité d’inciter les plus productifs à exploiter leurs aptitudes personnelles, les inégalités qui en résultent ne sont acceptables que si elles profitent à tous et d’abord aux plus démunis. La répartition des revenus issus de ces différences d’aptitudes personnelles doit donc être gérée comme un bien collectif, dont les moins productifs peuvent aussi tirer avantage sous forme de transferts redistributifs [16]. La question est alors de savoir qui doit bénéficier de ces transferts et sous quelle forme. Le premier point a suscité le débat de fond entre Rawls et Van Parijs, connu sous le nom de controverse des « surfeurs de Malibu », tandis que le second conduit à s’interroger sur l’économie du « principe de différence ».
2.1 – La controverse des « surfeurs de Malibu »
25Dans la version initiale de A Theory of Justice (1971), Rawls considère que les individus sont à la recherche de cinq « biens premiers » essentiels, dont la répartition dépend de l’application des principes de justice : droits et libertés fondamentales (relevant du « principe d’égales libertés »), liberté d’orientation vers diverses positions sociales (fonction de la « juste égalité des chances »), pouvoirs attachés aux fonctions sociales, revenu et richesse, bases sociales du respect de soi-même (dépendant tous trois du « principe de différence »).
26À cette liste initiale, Rawls ajoute dès 1974 un sixième bien premier (le « loisir ») et en précise sans ambiguïté l’enjeu en 1988 :
Une durée de vingt-quatre heures, déduction faite d’une journée-type de travail, pourrait être incluse dans l’index [de biens premiers]. Les gens qui ne veulent pas travailler auraient ainsi une journée standard de loisir supplémentaire supposée équivalente à l’index des biens premiers des moins avantagés. Ainsi ceux qui font du surf toute la journée à Malibu doivent trouver de quoi subvenir à leurs besoins et ne pourraient bénéficier de fonds publics.
28Par cette phrase, Rawls juge nécessaire d’exclure du bénéfice de la redistribution (induite par le principe de différence) « les gens qui ne veulent pas travailler » (those who are unwilling to work) pour ne le réserver qu’à ceux qui ne le peuvent pas, c’est à dire aux « chômeurs involontaires » [17].
29Confirmant quelques années plus tard que les plus défavorisés ne sont pas « ceux qui vivent des prestations sociales et qui surfent toute la journée au large de Malibu », Rawls (2001, 179) précise que « nous devons inclure le temps de loisir dans l’indice si cela s’avère praticable et si c’est le meilleur moyen d’exprimer l’idée que tous les citoyens doivent prendre leur part dans le travail coopératif de la société ». En d’autres termes, ceux qui volontairement ne travaillent pas ne peuvent bénéficier de la redistribution, puisque celle-ci se veut la contrepartie d’une forme bien précise de « coopération sociale ».
30« Pourquoi les surfeurs devraient être nourris : arguments libéraux pour un revenu de base inconditionnel », tel est le titre en français de l’article de Van Parijs (1991b) qui va lancer la controverse [18]. Celui-ci considère en effet que par sa manière d’inclure in fine le loisir parmi les biens premiers, Rawls introduit une discrimination inacceptable à ses yeux, entre ceux qui ne travaillent pas, selon qu’ils ne peuvent pas travailler ou qu’ils ne le veulent pas. En effet, une théorie libérale de la justice n’est pas a priori « perfectionniste », c’est à dire orientée vers l’obtention de l’excellence dans un champ particulier de la vie humaine : elle doit s’astreindre à traiter tous les individus libres et égaux de la même manière. Toutes les manières de vivre acceptables (conceptions of good life) doivent donc être respectées, ce que permet vis-à-vis du travail un revenu de base inconditionnel, du fait de sa neutralité de principe dans « l’arbitrage revenu/loisir » (cf. supra 1.1).
31Toutefois, même si l’égale liberté d’accès à l’emploi permet d’écarter le chômage involontaire (cf. supra 1.2), le fait de ne pas pouvoir travailler peut aussi résulter d’un manque d’autonomie des individus, victimes par exemple d’un accident ou d’un handicap dont ils ne peuvent être tenus responsables. En ce cas, Rawls et Van Parijs convergent pour admettre la compensation de ce manque d’autonomie : pour le premier, les modalités particulières de cette compensation interviennent à « l’étape législative », sachant que sa théorie concerne d’abord, au « niveau constitutionnel », le cas général de « citoyens considérés comme libres et égaux » (cf. Rawls 1993, 184) – ; pour Van Parijs (1995, 58-60), lorsque les individus ont des « ressources internes » différentes, le même principe de compensation justifie, selon le critère de « la diversité non dominée », une majoration suffisante de l’allocation universelle, laquelle n’est donc plus uniforme d’un individu à l’autre. Dans la suite de ce texte, nous adoptons le « séquençage » rawlsien : seul est considéré, au niveau constitutionnel, le cas général d’un revenu de base identique pour tous, complété le cas échéant, à l’étape législative, par d’autres transferts sociaux ciblés sur un manque d’autonomie. En d’autres termes, le revenu de base ne peut être la réponse unique et commune à toutes les dimensions de la « question sociale » [19].
32Plus fondamentalement encore, s’il s’agissait de maximiser uniquement leur revenu, une allocation ciblée sur les seuls moins favorisés serait sans doute plus efficace qu’un transfert inconditionnel, mais ce serait faire peu de cas des deux autres biens premiers rawlsiens à prendre en compte, à savoir le « pouvoir » et les « bases sociales du respect de soi-même ».
33Or, s’agissant d’abord du pouvoir, l’allocation universelle présente un avantage sans équivalent : son caractère inconditionnel (et donc permanent) confère aux individus les plus faiblement dotés en la matière un pouvoir accru de négociation dans leurs relations avec de potentiels employeurs ou avec l’État. En tout cas, la possibilité de disposer de plus grands pouvoirs et prérogatives est bien mieux assurée de cette manière que par un transfert conditionnel, qui resterait fonction de la disponibilité à travailler du bénéficiaire ou de l’examen préalable de ses moyens de subsistance. Par ailleurs, le renforcement, grâce au revenu de base, de la liberté individuelle de refuser des emplois de médiocre qualité, loin d’exclure l’action collective, pourrait aussi accroitre l’efficacité du rôle des syndicats en cas de conflits, grâce à la capacité de résistance accrue de leurs mandants. Encore faut-il que les syndicats sachent alors convaincre des salariés devenus plus autonomes de l’importance pour eux de maintenir une mobilisation collective.
34Enfin, concernant les bases sociales du respect de soi-même, il est évident que les modalités d’attribution de l’allocation universelle n’éliminent pas des personnes qui se comporteraient de manière « inadéquate » (en ne voulant pas travailler) et impliquent par ailleurs moins de contrôles administratifs à l’égard de ses bénéficiaires. De ce fait, la perception par chacun d’un tel revenu de base est moins encline à les « stigmatiser », voire à les humilier ou à saper leur dignité que les démarches complexes nécessaires à l’obtention de prestations sociales ciblées sur des publics particuliers. La préservation de ce sentiment de dignité intervient sans doute dans les taux souvent élevés de « non recours » à l’égard des prestations sociales ciblées : les personnes concernées sont quelquefois parfaitement informées de leurs droits, mais choisissent de ne pas en bénéficier [20].
35En conséquence, une allocation universelle devrait être « fixée au niveau soutenable le plus élevé possible, affirme Van Parijs (1991b, 105), car le principe de différence est un critère maximin et le niveau du revenu de base détermine le panier d’avantages socio-économiques des plus désavantagés, de ceux qui n’ont rien d’autre que cette allocation ».
36Pour que cette justification par le principe de différence de l’allocation universelle soit complète et plausible, encore faut-il se souvenir qu’à côté du volet maximin le principe de différence comporte un volet incitation à produire, en direction cette fois des plus avantagés en termes d’aptitudes et de talents. En d’autres termes, la « soutenabilité » d’une allocation la plus élevée possible suppose que soit résolue la question cruciale de son financement, dont dépend toute l’économie du principe de différence, lorsque celle-ci prend cette direction non rawlsienne [21].
2.2 – L’économie du « principe de différence »
37En dépit de la rigueur analytique dont il fait preuve, les modalités de financement avancées par Van Parijs (1995) ne sont pas en réalité convaincantes, en particulier sur deux points [22] :
38– Une taxation « incitative » des « ressources externes » (richesse non humaine) au moment de leur transmission (dons ou legs) ne pourrait financer qu’un montant réduit de revenu de base, « allant du pathétiquement bas au franchement négligeable » (Van Parijs 1995, 102).
39– La taxation en complément des « rentes d’emploi » (différence entre le salaire perçu et le salaire qui résulterait d’un fonctionnement « walrassien » du marché du travail) suppose par définition de fortes rigidités en matière d’emploi, incompatibles avec « l’égale liberté d’accès à l’emploi » (cf. supra 1.2).
40C’est pourquoi, financer un revenu de base par un impôt sur le revenu à taux unique (non progressif) semble plus conforme à ses fondements libéraux en général et au « principe de différence » en particulier. C’est tout l’intérêt de la proposition d’Atkinson (1995) que d’avoir exploré cette voie qu’il appelle (sous-titre de l’ouvrage) The Basic Income/Flat Tax Proposal.
41Cependant, un revenu d’existence ainsi financé aurait la même incidence qu’un « impôt négatif sur le revenu », aussi bien au plan microéconomique (par le maintien d’une incitation significative à travailler) qu’au plan macroéconomique (par l’instauration d’une même répartition des revenus après transferts). Le graphique 1 ci-dessous illustre cette double convergence :
- au lieu d’un revenu net constant au niveau G, on observe, sur le graphique 1-A, une pente positive pour la droite GB (en gras) traduisant un revenu net après transferts fiscaux et sociaux croissant, ce qui introduit une incitation monétaire à travailler. Simultanément, la neutralité de principe entre « travail » et « loisir » de l’allocation disparaît, lorsqu’on passe de la philosophie à l’économie, en prenant en compte un tel financement [23].
- cette même pente positive peut être obtenue aussi bien par l’instauration d’un revenu d’existence G perçu par tous les individus (graphique 1-A) que par la mise en place d’un mécanisme plus classique d’impôt négatif sur le revenu, au seul bénéfice des plus pauvres (graphique 1-B).
Comparaison du revenu d’existence (+ impôt proportionnel sur le revenu) et de l’impôt négatif sur le revenu (+ impôt proportionnel positif sur le revenu) [24]
Comparaison du revenu d’existence (+ impôt proportionnel sur le revenu) et de l’impôt négatif sur le revenu (+ impôt proportionnel positif sur le revenu) [24]
42Compte tenu de ces convergences troublantes, on peut alors se demander ce qui subsisterait de la réforme radicale de la protection sociale, dont les projets d’allocation universelle se veulent porteurs. Or, à ce stade, une relecture de l’intuition de Friedman sur la notion d’impôt négatif se révèle très utile, en permettant de considérer le revenu d’existence comme un « crédit d’impôt universel », qui conserve ainsi sa propriété essentielle d’inconditionnalité.
3 – Le revenu d’existence comme « crédit d’impôt universel »
43Même s’il n’en est pas l’inventeur, c’est bien Friedman qui contribue à la large diffusion du concept d’impôt négatif sur le revenu (negative income tax) depuis un demi-siècle, d’abord en Amérique du Nord puis en Europe. Il ne l’évoque pourtant que brièvement dans l’avant-dernier chapitre de Capitalism and Freedom (1962), ce qui explique sans doute que l’idée ait pu être l’objet de multiples interprétations. Rawls lui-même y faisant aussi allusion dans A Theory of Justice (1971), il est utile de comparer l’interprétation rawlsienne de l’idée d’impôt négatif à la définition qu’en fournit Friedman comme « exemption » d’impôt à payer, laquelle se révèle alors très proche de l’idée d’allocation universelle.
3.1 – L’allusion de Rawls (1971) à l’impôt négatif sur le revenu
44« Le gouvernement garantit un minimum social soit sous la forme d’allocations familiales et d’assurances maladie et de chômage, soit, plus systématiquement, par des dispositifs de supplément de revenu échelonné (ce qu’on appelle impôt négatif sur le revenu) » (Rawls 1971, 275). Même si l’intéressé n’est jamais allé plus loin pour expliquer comment son principe de différence pourrait se traduire sous forme d’impôt négatif, on comprend, à la lumière de ce que nous avons déjà dit (cf. supra 2.1), que deux différences majeures opposeraient une application rawlsienne de l’impôt négatif à l’idée d’allocation universelle :
45– Comme l’illustre le graphique 1-B ci-dessus, les plus désavantagés se voient attribuer une allocation maximale à hauteur de G, dès lors qu’ils ne peuvent pas trouver par eux-mêmes les moyens de vivre (handicap, chômage involontaire…). Par ailleurs, ils sont incités monétairement à travailler, puisque leur revenu Rn sera supérieur à G dès lors qu’ils prennent un emploi, ce qui correspond parfaitement à l’idée rawlsienne du travail comme facteur privilégié d’intégration à la société. Dès lors, on l’aura compris, dans cette interprétation rawlsienne de l’impôt négatif, les « surfeurs de Malibu » restent exclus du bénéfice du minimum social G, ce qui est incompatible avec l’inconditionnalité du revenu d’existence.
46– Une autre insuffisance de la variante rawlsienne apparaît dans la comparaison des graphiques 1-A et 1-B. Sur le graphique 1-A, revenu d’existence et impôt proportionnel sur le revenu sont superposés (chacun reçoit G et chacun contribue en proportion de son revenu – sauf absence de tout revenu autre que G), alors que, dans la version rawlsienne du graphique 1-B, impôt négatif et impôt positif sont juxtaposés (en dessous du seuil S, certains reçoivent – sauf les « surfeurs de Malibu » – et, au-dessus de S, tous les autres contribuent en due proportion). En ce cas, l’administration ayant pu sélectionner les bénéficiaires, ces derniers se voient officiellement reconnus comme pauvres (« effet de stigmatisation »), ce qui est non seulement incompatible avec l’inconditionnalité du revenu d’existence, mais dégrade aussi « les bases sociales du respect de soi-même », que Rawls valorise pourtant comme « bien premier » essentiel.
47En d’autres termes, Rawls semble ne percevoir, dans la technique fiscale de l’impôt négatif, qu’une interprétation du principe de différence préservant les incitations à produire nécessaires et permettant aussi d’exclure de la redistribution, du fait de leur manque de volonté à travailler, les individus jugés socialement peu « coopératifs ». Dès lors, c’est tout l’intérêt de relire Friedman (1962), car la notion d’impôt négatif que l’on y trouve semble bien différente de l’interprétation que Rawls a manifestement en tête.
3.2 – L’intérêt de relire Friedman (1962)
48En quelques phrases de l’avant-dernier chapitre consacré au « soulagement de la pauvreté » de son ouvrage Capitalism and Freedom, Friedman (1962, 158) présente l’idée d’impôt négatif et illustre son propos par des données chiffrées pour le cas des U.S.A. Or, en matière fiscale, les modalités techniques ont une grande importance car, sous la plume de Friedman, il n’est jamais question de déclaration de revenu préalable à l’octroi de l’impôt négatif, mais bien d’« exemption » d’impôt à payer, lorsque le revenu imposable tombe en dessous d’un certain seuil, comme l’illustre ci-dessous le graphique 2 :
49– L’impôt négatif est maximal (à hauteur de G), lorsque l’individu ne dispose d’aucun revenu : il s’agit de soulager la pauvreté (identifiée ici au seul manque de revenu), sans rentrer dans le détail de ses origines et donc l’aide perçue est a priori inconditionnelle.
50– Ce montant d’impôt négatif maximal peut donc être perçu comme un crédit d’impôt universel, car les contribuables les plus aisés (au-dessus de S) le perçoivent aussi, sous la forme d’une réduction de l’impôt positif sur le revenu qu’ils ont à payer.
51– Entre les plus pauvres (Rb = 0) et les plus aisés (Rb > S), les autres individus perçoivent aussi le crédit d’impôt sous la forme d’un montant d’impôt négatif réduit (inférieur à G), devenant nul si Rb atteint S.
Le revenu d’existence version crédit d’impôt universel (+ impôt proportionnel sur le revenu) [25]
Le revenu d’existence version crédit d’impôt universel (+ impôt proportionnel sur le revenu) [25]
52Dans cette interprétation sans doute plus fidèle au concept de Friedman, la technique de l’impôt négatif ne discrimine donc pas entre bénéficiaires de l’impôt négatif et permet à chacun de compter sur ce crédit d’impôt : aucune démarche particulière pour le percevoir, absence d’effet de stigmatisation, garantie de disposer d’une réserve minimale de liquidités en cas d’absence de tout autre revenu, réduction de l’incertitude du lendemain et de ce fait prise de risque plus facile, autant de propriétés reconnues au revenu de base que l’impôt négatif version « crédit d’impôt universel » reprend à son compte [26], tout en proposant une intégration complète de l’allocation universelle et de son financement.
53Une différence majeure subsiste toutefois : la neutralité de principe de l’allocation entre travail et non travail, initialement recherchée par Van Parijs (cf. supra 1.1, note 10 et 2.1), est, quant à elle, définitivement perdue, car l’incitation à travailler caractérise aussi cette version, du fait d’un taux d’imposition proportionnel et constant sur le revenu :
Si, comme toute autre mesure destinée à soulager la pauvreté, [le système d’impôt négatif] réduit les motifs que pourraient avoir ceux que l’on aide de s’aider eux-mêmes, il ne les élimine pas entièrement comme le ferait un système consistant à compléter les revenus jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain minimum. Toujours, un dollar de plus gagné signifie plus d’argent à dépenser, écrit Friedman.
55L’impôt négatif version crédit d’impôt universel semble ainsi fidèle à l’idée de base de Friedman [28], tout en restant néanmoins bien plus proche, par ses propriétés, de la notion d’allocation universelle au sens de Van Parijs que de l’interprétation restrictive de l’impôt négatif qu’implique la thèse de Rawls. Cependant, l’incitation à travailler indispensable au financement de l’allocation universelle introduit de facto un biais entre toutes les manières de vivre acceptables qu’elle était censée respecter. Il faut donc bien admettre que notre argumentation libérale, parce qu’elle cherche à relier la philosophie à l’économie, ne peut soutenir jusqu’au bout l’idéal « non perfectionniste » dont le revenu de base se veut porteur.
4 – Quel futur pour les démocraties libérales en général et la France en particulier ?
56En guise de conclusion, nous voudrions d’abord tirer quelques réflexions prospectives sur l’évolution générale des démocraties pluralistes, si le libéralisme juridique et politique qui les caractérise se prolongeait, dans le domaine économique et social, par notre approche libérale du revenu d’existence. Puis, nous essaierons d’en tirer quelques implications pratiques, à titre d’exemple, pour le cas singulier de la France.
4.1 – Quelle évolution générale des démocraties libérales ?
57Une distinction est à faire, selon nous, entre libéralisme, économie de marché et capitalisme : le premier définit une philosophie politique et sociale qui relève avant tout du monde des idées et repose sur deux volets complémentaires, l’un politique (droits de l’homme, séparation des pouvoirs et élections libres), l’autre économique (liberté des échanges, diffusion de la propriété et concurrence régulée). Pour ce qui est de l’économie de marché, il s’agit d’un mode de coordination décentralisée des activités économiques fondée sur la liberté des prix, ce qui l’oppose à l’économie planifiée, mode de coordination centralisée fondée sur la cohérence des consignes de l’organe planificateur. Quant au capitalisme, il repose avant tout sur un critère juridique – le mode de propriété des moyens de production – et la propriété privée qui le caractérise s’oppose au socialisme où domine la norme de la propriété collective du capital.
581) Bien sûr, il existe une corrélation entre économie de marché et capitalisme (la propriété privée du capital renforçant la liberté de décision des acteurs sur les marchés) [29], mais on doit bien constater que, même ainsi bien articulée, « l’économie capitaliste de marché » se décline en réalité en de multiples variantes (anglo-saxonne, rhénane, asiatique…), plus ou moins fidèles à l’idéal philosophique du libéralisme économique. Il en est de même pour le volet politique du libéralisme que seules s’efforcent vraiment de respecter les « démocraties libérales », à l’inverse des démocraties « illibérales », voire des « démocratures », qui ne font que sauvegarder plus ou moins bien les apparences mais concentrent en fait pouvoir politique et pouvoir économique entre les mêmes mains.
59Sur ce point, notre constat factuel fait en partie écho à la réflexion plus analytique de Rawls (2001, § 41 et 42), lequel ne fait pas de distinction marquée entre libéralisme politique et libéralisme économique, mais observe d’abord la capacité différenciée des institutions sociales à respecter les deux principes de sa théorie de la justice, qui fondent selon lui la société libérale. Le « capitalisme du laissez faire », le « capitalisme de l’État-Providence » et, bien sûr, le « socialisme d’État avec économie dirigée » n’y parviennent pas. Le premier ne reconnait qu’une égalité formelle, le second permet certes de satisfaire certains besoins essentiels mais ne lutte pas vraiment contre la concentration du capital et donc du pouvoir ; quant au troisième, il ne respecte même pas le principe d’égales libertés de base et « fait peu usage des procédures démocratiques et marchandes ». Seules trouvent grâce à ses yeux la « démocratie de propriétaires » (par la dispersion maximale du pouvoir politique et économique qu’elle permet), mais aussi, de manière plus anecdotique à notre avis, le « régime socialiste libéral (démocratique) » [30].
602) Si nous concentrons notre attention sur les seules démocraties libérales, la question est alors de savoir si l’introduction d’un revenu de base contribue à les renforcer. C’est a priori ce que Van Parijs avait en tête lorsqu’il suggéra dès les années 1980 d’appeler en français « allocation universelle » l’idée d’un revenu inconditionnel, « pour suggérer une analogie avec le suffrage universel » (Van Parijs 2013, 157).
61Cependant, force est de constater que son ambition était en fait d’une autre nature : « ce revenu inconditionnel, poursuit Van Paris (2013, 157), n’est-il pas interprétable comme un chemin capitaliste vers le communisme entendu comme une société qui peut écrire sur ses bannières : “de chacun (volontairement) selon ses capacités, à chacun (inconditionnellement) selon ses besoins” ? » [31]. Or, pour parvenir à ce stade de l’évolution du capitalisme, il reconnait que le revenu de base devrait atteindre un niveau très élevé : c’est en effet à ce prix que les « besoins » de chacun pourraient être satisfaits, même si une allocation universelle uniforme ne saurait à elle seule y suffire [32]. Mais surtout, il faudrait un revenu de base élevé pour que la contribution de chacun par son travail devienne « une contribution volontaire, motivée par l’intérêt intrinsèque du travail plutôt que par la contrainte de gagner sa vie » (Van Parijs 2013, 157).
623) Pour notre part, nous ne savons pas si le revenu de base peut être le vecteur non marxiste permettant, à long terme, d’atteindre le stade ultime de l’évolution marxiste du capitalisme vers le communisme. En revanche l’intérêt premier du revenu de base, même d’un niveau réduit, est d’abord de renforcer à court terme la « liberté réelle » de l’individu, sans pour autant permettre évidemment ni la satisfaction de tous ses besoins, ni la suppression complète de la contrainte de gagner sa vie. Deux arguments militent en faveur de notre conjecture :
63– D’une part, l’instauration d’un revenu de base renforcerait, même à court terme, les démocraties libérales, en étendant significativement la dispersion du pouvoir, au-delà du champ politique, dans le domaine de l’économie capitaliste de marché. L’équilibre des pouvoirs y serait ainsi renforcé, bien au-delà du jeu normal d’une concurrence régulée. En d’autres termes, par un vecteur non rawlsien, les démocraties libérales se rapprocheraient de l’idéal rawlsien de la « démocratie de propriétaires ».
64– D’autre part, notre argumentation libérale en faveur de l’allocation universelle s’efforçant de combiner philosophie et économie, celle-ci prendrait la forme d’un crédit d’impôt universel inspiré de l’intuition de Friedman. Or la mise en place d’un tel dispositif doit évidemment tenir compte, dans les pays développés, de structures socio-économiques existantes complexes, relevant soit d’un « capitalisme du laissez-faire », soit d’un « capitalisme de l’État providence ».
65Dans les deux situations, l’instauration d’un crédit d’impôt universel, ne peut donc être que graduelle et progressive. C’est en tout cas la principale conclusion que nous tirons des implications, dans le cas singulier de la France, de la réforme structurelle ambitieuse que constituerait la mise en place d’un revenu de base.
4.2 – Quelles implications dans le cas singulier de la France ?
66Le modèle social français est particulièrement intéressant pour notre propos, car le « capitalisme de l’État providence » dont il relève, se caractérise par l’existence de multiples mécanismes de redistribution, dont il est impossible de ne pas tenir compte. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de développer tous les détails (notamment chiffrés) d’une éventuelle application en France du revenu d’existence comme crédit d’impôt universel [33], mais bien de préciser quelques orientations fondamentales qu’il conviendrait a priori de respecter :
671) La mise en place d’un tel projet suppose d’abord, on l’aura compris, une réforme de la protection sociale et de la fiscalité, réforme si ce n’est simultanée de ces deux volets (la complexité de la tâche rend à l’évidence cette simultanéité irréaliste), mais au moins coordonnée (chaque étape préparant la suivante), en commençant sans doute par la protection sociale :
68– S’agissant de la réforme de la protection sociale, la fusion des minima sociaux en une seule allocation ne serait qu’un préalable, certes nécessaire mais en fait secondaire : le point décisif serait évidemment d’assurer l’inconditionnalité de ce minimum social unique, seule à même de supprimer effets de seuil et effets de trappe qui entravent les transferts conditionnels [34]. Bien entendu, le passage de quelques quatre millions de bénéficiaires actuels de minima sociaux à plus de soixante millions de résidents ou de nationaux ayant droit à une allocation universelle est un tel changement d’échelle que, sauf cas de dérive budgétaire complète, un tel revenu de base, par principe universel, est forcément de montant plus faible que les divers minima sociaux ciblés sur quelques publics spécifiques [35]. Ce constat n’est pourtant pas rédhibitoire : un revenu de base génère, par son inconditionnalité, des « avantages en nature » qui lui sont propres – pouvoir de négociation accrue et préservation de la dignité –, car les « biens premiers » objet du principe de différence ne se réduisent pas au seul revenu (cf. supra 2.1). Sans qu’il soit possible de chiffrer la valeur monétaire de ces autres biens premiers, leur prise en compte compense, au moins en partie, le montant réduit du revenu de base.
69– S’agissant ensuite de la réforme fiscale, le projet de revenu d’existence comme crédit d’impôt universel suppose de s’appuyer sur un prélèvement fiscal lui aussi universel, qui touche le plus grand nombre d’individus et tous les revenus, du travail comme du capital. Sous cet angle, l’actuel impôt sur le revenu des personnes physiques est évidemment disqualifié, non seulement par son extraordinaire complexité (principe du quotient familial, enchevêtrement de charges déductibles du revenu imposable et de réductions ou de crédits d’impôt…), mais aussi par la proportion désormais nettement minoritaire de personnes imposées (45 % environ) parmi les contribuables déclarant leur revenu. Dès lors le financement le plus adapté reposerait sans doute sur l’actuelle « contribution sociale généralisée » (CSG), qu’il conviendrait évidemment d’adapter en conséquence, mais qui possède déjà nombre de propriétés intéressantes : son universalité de principe puisqu’elle touche pratiquement tous les revenus, la proportionnalité de son montant (les multiples taux de CSG devraient cependant être fusionnés en un seul), son calcul sur une base individuelle et non pas familiale [36].
702) L’allusion ci-dessus aux minima sociaux souligne, s’il en était besoin, que la mise en place d’un revenu de base en France doit tenir compte de ce qui existe déjà en matière de protection sociale, à savoir la redistribution « bismarckienne » fondée sur l’assurance des travailleurs et de leurs ayants droit et la redistribution « beveridgienne » permettant à tous de couvrir des besoins jugées prioritaires [37]. Dans ces conditions, il s’agit moins d’ajouter ou de substituer un troisième volet visant le renforcement de la « liberté réelle » de chacun aux deux préexistants, que de faire du revenu de base le socle de la protection sociale, complété et renforcé par les deux premiers qu’il convient d’ajuster en conséquence :
71– Pour ce qui est du volet « bismarckien », l’assurance chômage, par exemple, aurait à tenir compte, pour les cotisations (moindres) à prélever comme pour les indemnités (plus faibles) à verser, de la perception d’une allocation universelle que l’indemnité-chômage viendrait compléter, le revenu total des chômeurs concernés se composant ainsi de ces deux éléments. Même principe à appliquer, à une échelle bien plus large, pour les retraités pensionnés, même si en ce cas, le redéploiement du système de retraite actuel, qui comporte déjà deux volets (régime général et retraites complémentaires), serait sans doute plus compliqué.
72– En ce qui concerne le volet « beveridgien », l’instauration d’un revenu de base aurait un impact encore plus fort : l’assurance maladie étant déjà inconditionnelle depuis la création de la « couverture maladie universelle » (CMU), le revenu de base, lui aussi universel, pourrait intégrer des droits à prise en charge de soins de santé, l’allocation universelle comportant alors, à côté de sa composante monétaire une composante non monétaire [38]. S’agissant du cas des allocations familiales ou des minima sociaux, l’ajustement serait sans doute plus facile : le montant total des transferts se composerait d’un socle commun – le revenu de base – et d’un versement complémentaire permettant d’atteindre les niveaux antérieurs de prestations [39].
733) Quoi qu’il en soit, on l’aura compris, la restructuration de l’actuel État-Providence avec pour socle le revenu de base serait un processus de très longue haleine, qui supposerait un consensus minimal sur la renégociation collective d’un nouveau « contrat social ». La complexité d’un tel processus suppose une réflexion préalable sur les moyens de dégager un tel consensus, réflexion qui dépasse largement le seul cas français :
74– L’ampleur de la restructuration en germe pousse le plus souvent les pouvoirs publics à la prudence et à proposer d’abord des expérimentations partielles, avant d’envisager éventuellement une généralisation de la réforme [40]. Or, avant même le financement de la mesure, la première réticence à lever concerne la critique récurrente, que suscitent les projets d’allocation universelle, sur l’incitation à l’oisiveté qu’ils engendreraient. Dans cette optique, il s’agit avant tout de savoir comment se comporteraient les individus s’ils percevaient chaque mois une somme forfaitaire et inconditionnelle [41]. Le propre de toutes ces expérimentations est donc de déconnecter complètement la perception du revenu de base de son financement, lequel, obtenu « par ailleurs », n’est pas conçu pour préserver une certaine incitation monétaire à travailler [42]. Or cette incitation est bien présente dans les trois mécanismes que nous avons examinés (cf. supra graphiques 1 et 2) et elle est particulièrement explicite dans la variante « crédit d’impôt universel », où les individus continuent à participer à son financement par un impôt proportionnel à leurs revenus. En d’autres termes, la piste de telles expérimentations n’est pas adaptée à cette variante, puisque l’application du revenu de base y est conçue comme une réforme fiscalo-sociale, où le volet financement est indissociable du volet perception du crédit d’impôt [43].
75– C’est pourquoi, en l’espèce, une autre piste pourrait être explorée, fondée non pas sur des expérimentations partielles, mais sur la mise en place et l’augmentation très progressive d’un revenu de base concernant toute la population. Initialement le montant du revenu d’existence serait très faible, voire négligeable, tout comme le taux d’imposition proportionnel destiné à le financer. Cette montée en puissance graduelle permettrait aussi la restructuration par étapes, au-dessus du socle du revenu d’existence, des deux autres volets (assurance et assistance) de la protection sociale, ainsi que la réaffectation partielle des moyens financiers qui leur sont consacrés. Le consensus recherché résulterait d’abord de la possibilité d’observer à chaque étape l’incidence sur la propension à travailler d’un montant donné de revenu de base. Parallèlement pourrait s’engager un débat sur l’opportunité de dégager les ressources financières pour passer à l’étape suivante, en augmentant à la fois crédit d’impôt et taux d’imposition [44].
76En fin de compte, une approche libérale du revenu d’existence devrait non seulement s’intéresser, comme nous avons ici tenté de le faire, aux fondements philosophiques et économiques du concept, mais aussi à la « procédure » sociale de sa mise en place. Même si l’analogie peut paraître audacieuse, cette question pourrait être comparée à la procédure technique de la mise en eau d’un barrage : même de très faible montant (et donc plus facile à financer), l’allocation universelle touche en premier lieu les exclus du système actuel (qui sont au fond de la vallée, lorsque l’eau monte), tandis que tous ceux qui bénéficient déjà d’un transfert (sur une colline plus ou moins élevée) ne touche dans un premier temps rien de plus (le montant de la nouvelle allocation inconditionnelle remplaçant en principe une partie de l’allocation ciblée qu’ils perçoivent déjà).
77Au fur et à mesure que l’eau continue de monter (le niveau du revenu de base), il faut évidemment choisir de supprimer ou non le montant des prestations préexistantes, ce qui fait progressivement apparaître en douceur le socle de la protection sociale, au-dessus duquel émergent des revenus assurantiels contributifs (maintenus, mais le plus souvent réduits) et des revenus d’assistance non contributifs (le plus souvent réduits, voire supprimés). En fonction de la solidité de l’ouvrage et de la structure géologique sur lequel il s’appuie, à quelle vitesse faire monter l’eau derrière le barrage et surtout jusqu’à quel niveau ?
78Ainsi, pour la mise en place d’un revenu de base, les citoyens d’une démocratie libérale et leurs élus auraient des questions tout aussi complexes à se poser car, si l’adhésion à l’objectif est indispensable, l’est tout autant le soutien au processus pour y parvenir…
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Mots-clés éditeurs : revenu de base, inconditionnalité, crédit d’impôt universel, libéralisme
Mise en ligne 22/03/2019
https://doi.org/10.3917/rpec.192.0061Notes
-
[1]
Nous ne ferons pas de différence entre « revenu de base » (de l’anglais basic income), « allocation universelle » ou « revenu d’existence », expressions considérées ici comme synonymes.
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[2]
Suivant les débats sur cette idée depuis plus de vingt ans – cf. notamment Gamel 2004 ; Gamel et al. 2005 ; Gamel 2011 –, je n’ai souvenir en France d’une attention bien moindre la concernant qu’à travers une annexe du rapport Belorgey (2000), résultat des travaux d’un atelier (Belorgey 2000, 277-304). Plus récemment, l’idée de revenu d’existence a fait l’objet d’un examen attentif dans des travaux parlementaires (Sirugue 2016 ; Vanlerenberghe et Percheron 2016).
-
[3]
Le réseau BIEN (Basic Income Earth Network) a été fondé en 1986 par un collectif animé par P. Van Parijs et G. Standing. Les participants français au congrès biannuel du BIEN se sont longtemps comptés sur les doigts d’une main. Exceptions remarquables dans le personnel politique français, Michel Rocard et son ex-conseiller social Roger Godino, initiateurs du RMI en 1988, ont activement participé au 8 e congrès de Berlin (2000).
-
[4]
Dans un premier temps, comme on le verra plus loin (cf. infra, 2.1), Van Parijs a cherché à fonder l’allocation universelle sur le principe de différence de Rawls, idée que nous reprenons à notre compte dans le cadre du présent article.
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[5]
Sur ce point, cf. notamment Gamel (2004, 291-2).
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[6]
Cf. notamment Vanderborght et Van Parijs (2005, 68-77) et (2017, 99-132).
-
[7]
L’examen de cette posture est d’autant plus nécessaire que, à l’exception de Basquiat et Koenig 2014 et 2017 dont notre approche se veut complémentaire (cf. supra, 4.2), les publications en français la négligent (MFRB 2017) ou s’y opposent (Harribey et Marty 2017). On prendra en outre conscience de la diversité des sciences humaines et sociales mobilisées par la réflexion sur le revenu de base, à la lecture de numéros spéciaux de revues consacrées récemment à ce sujet ; cf. notamment Mouvements 2013/1, n° 73, A Contrario 2015/1, n° 21, L’Économie Politique 2015/3, n° 67, Multitudes 2016/2, n° 63.
-
[8]
Arnsperger et Van Parijs (2003, 56) ; par ailleurs, ces deux auteurs sont aussi, semble-t-il, les premiers à utiliser l’expression « égalitarisme libéral » dans le sens précité.
-
[9]
Pour de plus amples développements, cf. Gamel 2015 ou 2017.
-
[10]
Cf. sur ce point l’analyse du Crazy-Lazy challenge proposée par Van Parijs (1995, 92-6), où Crazy recherche le plus haut revenu possible en travaillant beaucoup, tandis que Lazy valorise surtout cette autre ressource rare qu’est le temps libre en travaillant juste de quoi couvrir ses besoins élémentaires. Sous l’angle microéconomique, cette neutralité de principe peut s’analyser comme l’absence, dans l’arbitrage revenu-loisir, de tout « effet de substitution » lors de la perception du revenu de base : comme le « prix » d’une heure de loisir supplémentaire – égal au salaire horaire auquel on renonce – reste inchangé, l’allocation universelle n’introduit ni incitation, ni désincitation à travailler. Une telle analyse suppose toutefois que le financement du revenu de base « tombe du ciel » et n’ait aucun impact fiscal sur le salaire horaire net (après impôt), hypothèse qui sera levée ultérieurement (cf. infra, 2.2, n. 23 et 3.2, n. 27 et 28).
-
[11]
Pour mémoire, selon la dernière reformulation proposée par Rawls (2001, 42-3), le premier principe est le « principe d’égales libertés » : « chaque personne a la même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés fondamentales, compatible avec le même ensemble de libertés pour tous ». Le « second principe de la justice » ne porte pas de nom particulier et comporte deux volets : « Les inégalités économiques et sociales doivent respecter deux conditions : elles doivent être liées à des fonctions et à des situations ouvertes à tous dans des conditions d’égalité réelle des chances [« juste égalité des chances »] ; et ensuite elles doivent être agencées pour le plus grand bénéfice des individus les moins favorisés de la société [« principe de différence »] ».
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[12]
Il fait notamment écho à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».
-
[13]
Pour une présentation plus complète de cette analyse, cf. Gamel (2015, 356-8 et 366-9).
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[14]
Il s’agit donc d’éviter la concentration du risque de chômage sur les seuls travailleurs outsiders (au statut peu protecteur) du marché secondaire, concentration permettant le plus souvent d’exonérer de ce risque les travailleurs insiders du marché primaire (cf. Lindbeck et Snower 1989). Par ailleurs le libéralisme économique de Rawls (1971, 277) le conduit à affirmer que « la concurrence du marché, correctement contrôlée, garantit le libre choix de l’emploi » et que la satisfaction des besoins fondamentaux est mieux assurée par des transferts redistributifs « qu’en essayant d’intervenir sur la détermination des revenus par un salaire minimum et tout autre moyen du même genre ».
-
[15]
Sur le marché du travail, la perception d’un tel revenu renforcerait néanmoins le pouvoir de négociation du chercheur d’emploi : il pourrait être plus sélectif dans les opportunités d’activité à retenir, en n’étant pas contraint d’accepter la première offre qui se présente ; sur ce point cf. infra, 2.1. Compte tenu des politiques publiques visant le plein emploi par une meilleure flexibilité du marché du travail, la mise en place de l’allocation universelle ne serait pas donc la contrepartie d’une hypothétique « fin du travail » ou pénurie d’emplois.
-
[16]
Les plus défavorisés sont alors mieux lotis dans une économie riche mais inégalitaire en termes de revenus (parce qu’inégalitaire, pourrait-on même dire), qu’ils ne le seraient dans une économie trop égalitaire, mais de ce fait plus pauvre en raison d’incitations à produire insuffisantes. Le « principe de différence » est ainsi une ligne de fracture décisive entre libéraux, qui jugent ces incitations nécessaires, et non libéraux, qui les rejettent comme inutiles. Ainsi Cohen, représentant éminent du marxisme analytique, a-t-il consacré deux des premiers chapitres d’un ouvrage entièrement dédié à la critique de la théorie rawlsienne de la justice à « l’argument des incitations » et au « principe de différence » – cf. Cohen 2008, chapitres 1 et 4. L’enjeu est en effet important : loin de viser un « ruissellement » spontané, des revenus les plus élevés vers les revenus les faibles, à travers les dépenses que les plus productifs peuvent se permettre, le principe de différence préserve les incitations jugées nécessaires à l’augmentation délibérée de l’assiette fiscale sur laquelle sont financés, par la « canalisation » forcée de l’impôt, les transferts de revenus à destination des moins productifs.
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[17]
Pour bien indiquer qu’il exclut ainsi les inactifs volontaires qui ne font aucun effort pour s’intégrer à la société par leur travail, Rawls précisera ultérieurement qu’il s’agit des « gens qui ne veulent pas travailler dans des conditions où il y a assez de travail (je suppose que les postes et les emplois ne sont pas rares, ni rationnés) » (Rawls 1993, 182). Cette précision semble confirmer que l’égale liberté d’accès à l’emploi (et donc la lutte contre le chômage involontaire) relèvent bien de la prééminence dans la hiérarchie rawlsienne du « principe d’égales libertés » (cf. supra, 1.2).
-
[18]
Avant de devenir ainsi publique, la controverse entre les deux philosophes est née en 1987, lors de leur rencontre à Paris, dans une conférence organisée à l’occasion de la publication en français de A Theory of Justice ; sur ce point précis, cf. Van Parijs et Vanderborght (2017, 283 n. 35) et, sur le fond de la controverse, Gamel (2004, 288-9 et 2017, 160-2).
-
[19]
Pour une réflexion de fond sur la distinction délicate entre circonstances subies par l’individu dont il convient de compenser les effets sur son bien-être et facteurs sous son contrôle dont il reste seul responsable, cf. notamment Fleurbaey 2008. La prise en compte « welfariste » de ces compensations ne peut toutefois relever du champ de la « macrojustice » définie comme le produit des règles fondamentales de la vie sociale appliquées à tous (cf. Kolm 2005, 15-6 et 2007, 67), mais elle peut se faire dans des domaines d’intervention plus réduits : la « mésojustice » (répartition entre tous de biens spécifiques tels que l’accès aux services d’éducation), voire la « microjustice » (répartition d’une ressource rare entre quelques personnes, comme la sélection du bénéficiaire d’un don d’organe). A notre sens, par son fondement libéral et non welfariste, seul un revenu de base identique pour tous relève ici de la « macrojustice ».
-
[20]
Pour une présentation d’ensemble de la « contradiction » entre ciblage et non-recours, cf. Warin et Mazet 2014.
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[21]
Sur l’économie du principe de différence, il existe aussi des travaux a priori bien plus fidèles à la pensée de Rawls sur le travail, en particulier la théorie de la macrojustice de Kolm (2005 et 2007) qui justifie le canevas précis des transferts ELIE (Equal-Labour Income Equalization). Pour une présentation succincte de ces transferts, cf. Gamel et Lubrano 2011 et, pour leur comparaison avec l’allocation universelle, cf. Gamel 2011.
-
[22]
Pour l’analyse critique complète de ces modalités de financement, cf. Gamel 2004.
-
[23]
Plus précisément, cet idéal philosophique de neutralité ne serait vérifié qu’en cas de perception du revenu de base sans prélèvement fiscal pour le financer, c’est-à-dire en tout point de la droite GA, où la seule perception du revenu de base n’introduirait aucun « effet de substitution » entre travail et loisir (cf. supra, n. 10). Si cette situation de référence (droite GA) n’était pas rendue « utopique » par l’absence de financement soutenable, on pourrait même interpréter la rotation de la droite de GA en GB comme l’illustration d’une certaine désincitation à travailler (revenu net plus faible le long de GB que le long de GA). En réalité, en passant de la philosophie à l’économie, la perspective change du tout au tout et prend comme situation de référence la situation diamétralement opposée, où le financement de la redistribution serait « confiscatoire » et n’inciterait pas du tout à travailler (trappe à inactivité où le « prix » d’une heure supplémentaire serait nul) : ce serait le cas si la droite GB était parfaitement horizontale (et se confondait avec la droite GC). Le changement de perspective induit par la prise en compte du financement sera approfondi plus loin (cf. infra, n. 27 et 28), mais d’ores et déjà, sur le graphique 1-A, la pente positive de la droite GB traduit bien le maintien d’une incitation monétaire à travailler, malgré la mise en place d’une allocation universelle au niveau G et d’un prélèvement fiscal qui lui est dédié.
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[24]
Les flèches ascendantes représentent les transferts sociaux reçus (revenu d’existence ou impôt négatif) et les flèches descendantes les transferts fiscaux versés (impôt positif).
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[25]
Les flèches descendantes représentent les transferts fiscaux avant crédit d’impôt et les flèches ascendantes les transferts sociaux sous forme de crédit d’impôt universel.
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[26]
Ces propriétés, notamment la sécurité d’un revenu minimal en toute circonstance, pourraient en outre constituer d’utiles garde-fous contre le développement du « précariat », nouvelle classe sociale en gestation dans les pays développés liée à la mondialisation et aux diverses modalités de flexibilité accrue du marché du travail qu’elle implique pour tous les actifs, salariés ou non-salariés. Sur ce point, cf. Standing 2011. Pour une présentation synthétique de l’impôt négatif friedmanien en termes de crédit d’impôt universel, cf. Basquiat et Koenig (2014, 14-7).
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[27]
Le montant de l’impôt négatif (à percevoir) ou de l’impôt positif (à acquitter) d’un individu i (Ii) est en effet fourni par la relation algébrique Ii = G − t.Ybi, où G est le crédit d’impôt garanti à chacun, t le taux d’imposition proportionnel (et constant) auquel est soumis le revenu brut imposable Ybi de l’individu i. Le revenu net Yni (après impôt) est donc la somme du revenu brut Ybi et de l’impôt Ii, soit Yni = Ybi + G − t.Ybi ou, après simplification, Yni = G + (1 − t).Ybi (équation de la droite en gras sur les graphiques 1 et 2). Par construction, le revenu net de tout individu est donc au moins égal à G et augmente constamment en proportion 1 − t du revenu Ybi qu’il parvient à gagner. L’incitation à travailler est constante d’un bout à l’autre de l’échelle des revenus, dans toutes les variantes d’impôt négatif (y compris celle du revenu d’existence financé par un impôt proportionnel sur le revenu présentée sur le graphique 1-A).
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[28]
« Pour qu’un dollar de plus signifie plus d’argent à dépenser », encore faut-il que le taux d’imposition t soit compris entre 0 et 100 %, ces deux bornes étant exclues ; si tel est bien le cas, l’impôt négatif est une allocation « dégressive » qui préserve une incitation à travailler, plus ou moins forte en fonction de 1 − t. En revanche, si le taux t est égal à 100 %, l’impôt négatif devient une allocation purement « différentielle » permettant d’atteindre, sans le dépasser, le revenu minimum G, ce qui supprime toute incitation à travailler. Enfin, si le taux t est nul, l’impôt négatif version crédit d’impôt n’a pas d’impôt positif pour le financer, ce qui nous renvoie à la situation de référence « utopique », déjà évoquée dans le cas du revenu d’existence (cf. supra note 23).
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[29]
De même qu’entre économie planifiée et socialisme où le contrôle hiérarchique des unités de production garantit l’exécution des consignes de l’organe planificateur.
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[30]
Ce dernier cas combine en effet économie de marché et propriété collective des moyens de production, laquelle n’est pas concentrée au niveau de l’État, mais reste dispersée entre les salariés des entreprises concernées. De manière générale, ce « régime socialiste libéral » pouvait peut-être correspondre à la doctrine du « socialisme autogestionnaire » de l’ex-Yougoslavie (à l’époque de Tito), mais aujourd’hui on ne pourrait le rapprocher que du secteur de l’économie sociale et solidaire, aux marges de l’économie capitaliste de marché plus classique où les salariés sont au mieux des actionnaires minoritaires.
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[31]
Cette voie capitaliste vers le communisme fut initialement présentée dès les années 1980 (cf. Van der Veen et Van Parijs 1986).
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[32]
Comme déjà indiqué (cf. supra, 2.1), celle-ci devrait être complétée par d’autres dispositifs pour les personnes ayant des besoins particuliers liés par exemple à l’âge et, plus généralement, à un manque d’autonomie.
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[33]
Pour une illustration chiffrée d’un projet libéral de revenu d’existence en France, cf. Basquiat et Koenig 2014 et 2017.
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[34]
C’est néanmoins l’intérêt du rapport Sirugue (2016) que d’explorer une évolution des minima sociaux « vers une couverture socle commune ». Toutefois, la réforme préconisée (dans le scénario 3) ne franchit pas le pas de l’inconditionnalité, puisque « l’objectif premier de ce nouveau dispositif doit être de lutter contre la pauvreté et non de doter chacun d’un revenu universel » (Sirugue 2016, 81).
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[35]
Parmi les dix minima sociaux actuels, les plus importants concernent la pauvreté des actifs (RSA), le handicap et l’invalidité (AAH), le minimum vieillesse (ASPA), la fin de droits au chômage (ASS).
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[36]
Bien entendu, les projets récurrents visant à rendre progressifs (et non plus proportionnels) les prélèvements de CSG ne relèvent pas d’une conception de la justice fiscale conforme aux fondements libéraux de l’allocation universelle qui sont ici présentés. Sur l’équité de la fiscalité proportionnelle sur le revenu, une réflexion spécifique fidèle au « principe de différence », aux incitations économiques qu’il préserve comme aux limites intergénérationnelles qu’il prend en compte, mériterait à elle seule un autre débat. En substance, il s’agirait non pas de lutter contre les inégalités (relatives) de revenu par la progressivité de l’impôt, mais bien de faire passer, au-dessus d’un seuil (absolu) de pauvreté, le plus de titulaires de faibles revenus que possible, grâce aux transferts massifs financés sur les hauts revenus, que permettrait de générer la fiscalité proportionnelle dont ces derniers seraient l’objet, tout en préservant les incitations économiques à s’enrichir. En contrepartie, afin d’éviter la concentration du capital que provoqueraient sur le long terme ces hauts revenus, une fiscalité accrue sur la transmission du patrimoine d’une génération à l’autre devrait permettre sa re-dispersion à rythmes réguliers, conformément à l’idéal rawlsien de la « démocratie de propriétaires ». Quant à la concentration du capital humain et culturel sur les jeunes éduqués dans les milieux les plus aisés, c’est tout l’enjeu de « l’égalisation des capacités-potentialités » (au second niveau de la hiérarchie rawlsienne des principes de justice) que de contribuer à la limiter, voire à l’éviter (cf. supra, 1.2).
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[37]
Le système français est en partie « bismarckien », puisque la perception de certaines prestations suppose un financement « contributif » des bénéficiaires par des cotisations sociales qui leur sont dédiées (assurance –retraite, assurance-chômage) ; il est aussi « beveridgien », lorsque des prestations « non contributives » (allocations familiales, couverture maladie…) sont perçues par des personnes qui n’ont pas forcément participé à leur financement, lequel repose essentiellement sur la fiscalité de droit commun.
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[38]
Pour leur simulation chiffrée, Basquiat et Koenig (2017, 64-65) vont dans ce sens, en distinguant, dans l’impôt proportionnel finançant le revenu de base, un taux de 23 % consacré à sa composante monétaire – appelée « Liber » – et un taux de 13 % pour la « CSG-Santé » consacrée à des soins de santé de base. L’adhésion facultative à une assurance-santé complémentaire viendrait comme aujourd’hui renforcer le dispositif.
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[39]
Dans le cas des actuels minima sociaux (avec condition de ressources, donc sans passage à un revenu de base inconditionnel – cf. supra, n. 34), Sirugue (2016, 85-90) propose déjà une « couverture socle commune » assorti, selon le cas, d’un « complément d’insertion » ou d’un « complément de soutien », pour tenir compte des montants différenciés de chaque allocation.
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[40]
En France, le rapport d’une mission sénatoriale d’information préconise de telles expérimentations – cf. Vanlerenberghe et Percheron (2016, 110-30).
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[41]
En Finlande, l’expérimentation sur deux ans (2017 et 2018), menée par le gouvernement est à cet égard emblématique pour notre propos : deux mille personnes en recherche d’emploi reçoivent, à la place de l’allocation-chômage qu’ils touchaient, une allocation inconditionnelle qu’ils continueront à percevoir intégralement s’ils reprennent une activité, quel que soit le salaire perçu. Leur comportement sur deux ans sera comparé avec celui des membres d’un groupe test continuant à percevoir des allocations-chômage conditionnelles de même montant. Le but de l’expérimentation est donc de savoir si les chômeurs bénéficiant d’un revenu de base sont ou non plus motivés à trouver un emploi ou à fonder leur propre entreprise. Malgré son coût, les enseignements de cette expérimentation risquent d’être obérés par sa durée et son ampleur limitées.
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[42]
Cependant, même en ignorant complètement le volet financement et en se concentrant sur le seul volet allocation inconditionnelle, les réponses collectées en 2000, auprès d’un panel CEREQ de jeunes peu qualifiés récemment insérés dans l’emploi, montrent que la perception d’une allocation universelle (de faible montant) ne provoquerait pas de retrait massif de l’activité. En effet, l’insertion par le travail représentant plus que la perception d’un simple revenu, la déconnexion entre travail et revenu liée à l’inconditionnalité de l’allocation ne les inciterait pas souvent à « expérimenter » d’autres formes d’insertion sociale que le travail. D’un point de vue microéconomique, l’explication pourrait être la suivante : sans prélèvement fiscal qui soit dédié à son financement, l’impact de la seule perception d’un revenu d’existence ne provoquerait pas d’« effet de substitution » (cf. supra, n. 10) et ne dépendrait alors que du sens de « l’effet de revenu » : soit les bénéficiaires considèrent le temps de loisir comme un « bien normal » qu’il cherche à consommer plus en travaillant moins grâce à la perception du revenu d’existence, soit ils le considèrent comme un « bien inférieur » et préfèrent travailler autant ou plus si la hausse du revenu reste pour eux prioritaire. Cette seconde éventualité n’est pas exclue chez les titulaires de faibles revenus, lorsque l’emporte la volonté de se réinsérer par le travail. Pour de plus amples développements sur cette étude, cf. Gamel et al. 2005.
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[43]
C’est ainsi qu’en France, Ben Jelloul et al. (2018) ont modélisé par une micro simulation originale divers scénarii d’expérimentation, dont le financement est envisagé par treize conseils départementaux. Ces scénarii sont « inspirés » par le concept de revenu de base (inconditionnalité à l’insertion professionnelle, automaticité du versement, accessibilité aux moins de 25 ans), mais l’inspiration n’est pas complète loin de là, notamment parce que l’allocation reste versée et calculée sur une base familiale et non individuelle. Les scénarii diffèrent selon les prestations sociales qu’elles remplacent (RSA, prime d’activité, aides au logement), l’âge minimal d’éligibilité (18 ou 21 ans) et le type de dégressivité de l’allocation en fonction des ressources. C’est cette dernière dimension qui nous intéresse ici, car elle est censée prendre en compte le financement et le rendre supportable. Or, faute de reposer sur une réelle réforme fiscale, le propre de toutes ces expérimentations est de simuler des prélèvements par une complication du calcul de l’aide nette reçue, ce qui n’a rien à voir avec la notion de crédit d’impôt universel (et risque de biaiser l’expérimentation par la confusion créée chez les bénéficiaires).
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[44]
Dans une perspective analogue de mise en place par étapes, Maniquet et Neumann (2016) proposent, pour le cas de la Belgique, un processus à notre avis plus aléatoire, en quatre réformes disjointes et indépendantes les unes des autres : pour le volet social, il s’agirait d’introduire séparément l’inconditionnalité de l’allocation par rapport aux ressources, l’inconditionnalité de l’allocation par rapport au travail et l’individualisation de l’allocation, le tout étant complété par une réforme fiscale pour le financement. L’avantage de cette démarche est de permettre un chiffrage de chaque étape de la réforme d’ensemble, mais l’inconvénient est de décomposer le processus politique d’adoption en autant de débats séparés : les électeurs ont en effet la possibilité de se prononcer sur les options disponibles pour chaque étape « par référendum ou en choisissant le parti dont le programme se rapproche le plus du système qu’ils préfèrent » (Maniquet et Neumann 2016, 13). Un tel processus risque donc de s’enliser à tout moment et de déboucher sur une réforme inachevée.