Notes
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[1]
Cette définition correspond également pour certains auteurs à celle de la théorie de l’esprit affective qui peut être vue comme l’ensemble de processus qui nous permettent de nous représenter les états affectifs, les émotions ou le ressenti d’autrui [5].
Introduction
1Les humains sont-ils naturellement aidants envers leur prochain ou sont-ils naturellement égoïstes, et l’éducation permet-elle de modifier la prédisposition initiale ? Cette question illustre un débat vieux comme le monde auquel des travaux récents en psychologie cognitive et en neurosciences pourraient venir suggérer des réponses. En effet, malgré l’intérêt capital que représente cette question, il a fallu attendre ces dernières années pour que des études expérimentales abordent les origines de l’altruisme en s’intéressant plus particulièrement aux mécanismes psychologiques qui les sous-tendent. Depuis une dizaine d’années, on assiste ainsi à une explosion de recherches sur l’empathie et l’altruisme, dans des domaines aussi divers que les neurosciences, la psychologie, la médecine ou encore l’économie et la sociologie.
2Contrairement à une vision économique traditionnelle qui considérerait que l’être humain est fondamentalement motivé par son intérêt personnel [1], on constate au contraire, dans toutes les cultures et dans tous les milieux socio-culturels, un engagement notable d’un grand nombre de personnes dans les actes coopératifs, de solidarité, de charité, voire de partage de son propre corps, au travers du don de sang ou même d’un organe, actions qui représentent un coût personnel parfois important pour la personne qui donne au bénéfice d’autrui [1]. Mais que sait-on du développement de l’altruisme chez l’enfant ? Nait-on naturellement généreux et empathique ou apprend-on à devenir bon ?
3De la petite enfance avec les premières ébauches de partage et jusqu’à l’âge adulte, la hiérarchisation de ses propres besoins et envies par rapport à ceux d’autrui influence les décisions et régit les actions des individus. Alors que le comportement prosocial se met en place dès les premières années de vie, il prend un tournant plus ancré dans le groupe d’appartenance à l’entrée à l’école primaire, période qui voit naître des comportements altruistes avec un bénéfice pour autrui mais sans attente en premier lieu d’une récompense personnelle. Dans cet article nous décrivons certaines des premières étapes du développement de ces comportements jusqu’au rôle éventuel d’un programme visant à encourager et augmenter le comportement altruiste chez l’enfant.
Le développement de l’empathie et des comportements prosociaux chez l’enfant
4Que l’enfant soit égoïste par nature semble anti-intuitif. Bien au contraire, les enfants, même très jeunes, s’engagent dans des comportements prosociaux et ceci même si ces actions présentent un coût pour eux-mêmes [2]. D’après Paulus et al.[3], les mécanismes qui sous-tendent le comportement prosocial pourraient être propres à l’enfant et différer ainsi de ceux qui seront observés plus tard chez l’adulte, d’où l’intérêt de s’interroger sur le caractère spécifique de ce type de comportement chez l’enfant ainsi que sur les processus qui permettent son développement.
5Le concept d’empathie est actuellement très utilisé, tant dans le domaine scientifique que dans le langage courant. L’empathie est une composante essentielle, fondamentale des compétences sociales, considérée comme la capacité à se mettre à la place de l’autre [1] et éprouver ainsi les émotions ou les pensées de cette personne [4, 5]. D’après Eisenberg et al.[6], l’empathie doit être comprise comme une réponse affective qui découle de la perception ou de la compréhension de l’état émotionnel d’autrui. Il existerait ainsi une correspondance entre cette réponse et ce que la personne observée éprouve. On considère ainsi le plus souvent que les capacités d’empathie supposent la capacité à comprendre et à éprouver les émotions qu’une autre personne ressent. Mais on oublie souvent qu’en amont de la compréhension de l’émotion, il est nécessaire de percevoir celle-ci. L’empathie nécessite donc en premier lieu de percevoir les émotions d’autrui, le plus souvent visuellement, avant de pouvoir les interpréter, les comprendre et les éprouver. Ceci explique sans doute pourquoi de nombreuses études récentes pointent l’association fréquente entre troubles de la fonction visuelle et trouble de l’interaction sociale [7, 8].
6Ces dernières décennies, des recherches de plus en plus nombreuses se sont intéressées aux origines ontogénétiques de l’empathie, c’est-à-dire à la tendance naturelle des jeunes enfants à venir en aide à ceux qui expriment un désarroi ou des signes de détresse [6, 9, 10]. Les recherches récentes en psychologie du développement laissent en effet penser que le bébé est capable dès les premières semaines de vie d’éprouver de l’empathie et de s’identifier à autrui tout comme de reconnaître que ses propres sentiments sont partagés par d’autres [11]. Certaines recherches ont ainsi montré que les nouveau-nés pouvaient percevoir et imiter les expressions faciales y compris émotionnelles [12, 13]. Ces capacités de perception et d’imitation des mimiques faciales très précoces pourraient bien constituer la base des capacités d’empathie et de la relation profonde entre le bébé et son environnement extérieur. Comme le soulignent Repacholi et Gopnik [11], dans la mesure où les nouveau-nés n’ont pas encore fait l’expérience d’une perception de leur propre visage, ces capacités d’imitation des expressions faciales laissent penser qu’ils sont capables très précocement de mettre en relation la perception visuelle du visage d’autrui et la production d’expressions faciales et émotionnelles.
7D’un point de vue développemental, Hoffman [14] a décrit le processus de maturation de l’empathie chez l’enfant dès l’âge de 1 mois en suggérant l’existence de plusieurs phases. Au cours de la première année de vie, l’enfant ferait l’expérience d’une empathie dite globale, se caractérisant par la distinction fragile entre soi et autrui, conduisant l’enfant à confondre ses propres émotions et celles d’autrui. Cette confusion est sans doute renforcée par cette tendance à l’imitation spontanée et non contrôlée des émotions de l’adulte par le bébé évoquée plus haut. Au cours de la seconde année, l’enfant ferait preuve d’une empathie dite égocentrique, se caractérisant par la capacité de concevoir la détresse de l’autre comme distincte de la sienne, néanmoins, il continuerait d’être dans une confusion des états entre l’autre et soi-même. À cet âge, il se pourrait que l’enfant pense encore que ce qui le consolerait pourrait également consoler l’autre, même si c’est un adulte, en offrant ses jouets préférés, son doudou ou sa tétine à l’adulte. De 2 à 6 ans apparaîtrait l’empathie à l’égard des émotions d’autrui, avec l’émergence de la capacité à tenir compte des préoccupations et du point de vue d’autrui (par exemple, théorie de l’esprit, à 4 ans environ), et de la différenciation des ressentis. À cet âge, l’enfant pourrait commencer à comprendre que les besoins de l’autre peuvent ainsi différer des siens. Enfin, vers 6 ans, l’enfant pourrait accéder au concept général d’empathie, en de nombreux points similaires à l’empathie déployée par les adultes [15]. À cet âge, il pourra prendre conscience que les besoins de l’autre diffèrent des siens à travers la prise de perspective et reconnaître ainsi à l’autre sa spécificité, son identité et donc ses différences, que ce soit au niveau de la nature de ses émotions, de ses réactions ou encore en termes de ce qui pourrait l’aider.
8En plus d’éprouver de l’empathie, l’enfant jeune peut également produire un comportement d’aide en réaction à un souci ou à une difficulté qu’il perçoit chez l’adulte [2]. Même si l’empathie et le comportement d’aide sont deux processus qui semblent distincts, il semblerait qu’ils soient positivement corrélés, les réponses empathiques et la sympathie étant associées de manière générale au comportement prosocial, c’est-à-dire à un comportement volontaire visant à bénéficier à autrui [16, 17]. Ceci est d’autant plus important que le comportement prosocial est crucial pour initier et entretenir des relations de bonne qualité avec son environnement.
Le développement du comportement d’aide chez l’enfant
9Le comportement d’aide se développe rapidement et naturellement chez l’enfant jeune au cours des premières années. En effet, plusieurs études ont mis en évidence la préférence pour un comportement d’aide chez l’enfant avant 2 ans. Ainsi, les travaux pionniers de Premack et Premack [18] ont montré que dès l’âge de 1 an, les enfants sont en mesure d’attribuer des buts aux personnages qui s’entraident ou au contraire qui se gênent entre eux. Plus récemment, Hamlin et al.[19] ont pu montrer que les enfants de 3 mois étaient même capables de réagir de manière spécifique au comportement d’entraide entre personnages, en regardant plus longtemps un personnage qui a un comportement considéré comme « antisocial » que le personnage qui aide, c’est-à-dire qui semble avoir un comportement « prosocial ». À 6 mois, lorsque les habiletés manuelles se sont développées, les enfants vont systématiquement essayer de saisir des agents « prosociaux » s’ils ont le choix entre un personnage qui aide et l’autre qui entrave l’action [20].
10Dès 18 mois, ces comportements semblent être influencés par le contexte social dans lequel se développe l’interaction. À cet âge, il semble en effet que les enfants commencent à accéder à la notion de jugement social, de récompense et de punition et préfèrent les agents qui se comportent de manière positive avec les agents ayant un comportement prosocial, et de manière négative avec les agents ayant un comportement antisocial [21]. Il se pourrait que la préférence des tout-petits ne soit pas conditionnée par le comportement des agents (pro- ou antisociaux) mais plutôt par l’observation des actions en elles-mêmes (positives ou négatives). Il n’en reste pas moins que les enfants de moins de 2 ans sont tout à fait disposés à apporter leur aide dans une situation où il leur semble qu’une autre personne est en difficulté. Si un adulte fait tomber un objet accidentellement sur le sol et essaie de l’attraper devant un enfant même très jeune, âgé seulement de 14 à 18 mois, la plupart du temps, celui-ci le ramassera pour l’adulte et le lui tendra, naturellement, sans qu’on ait eu besoin de lui demander [2, 22, 23]. Les jeunes enfants montrent ce comportement d’aide en l’absence totale d’encouragement, ou de demande, quelle que soit la situation d’aide à laquelle ils sont confrontés (comme ouvrir une porte car un adulte a les mains occupées) et quelle que soit l’activité dans laquelle ils sont engagés eux-mêmes à cet instant. Ainsi, certaines études ont pu montrer que même si l’enfant est engagé dans un jeu ou s’il doit surmonter des obstacles pour aider l’autre, il va tout de même tenter d’aider autrui [22, 24]. L’émergence précoce et spontanée de ce comportement d’aide chez le jeune enfant suggère qu’aider autrui à atteindre son but semble venir naturellement aux enfants, sans besoin d’une transmission culturelle ou d’un apprentissage explicite.
11On peut toutefois se demander si ce comportement d’aide est favorisé et/ou encouragé par le comportement de récompense de l’entourage. Néanmoins, dans une étude réalisée auprès de jeunes enfants et de chimpanzés, les auteurs montrent que la promesse d’une récompense matérielle (la personne tient une récompense dans sa main et la donne à l’enfant ou au chimpanzé dès qu’il l’a aidée) n’augmente pas la tendance à aider chez les enfants et les animaux [25]. De plus, une étude portant sur des enfants de 20 mois montre que proposer une aide matérielle peut même avoir l’effet inverse et diminuer le niveau d’aide proposé par l’enfant [24], de la même manière que chez l’adulte (voir pour revue [25] sur le don du sang) comme si la proposition d’une récompense venait empêcher le comportement naturel d’aide de l’enfant. Aider les autres est donc une compétence présente dès le plus jeune âge qui ne semble pas systématiquement liée à la notion d’une récompense, mais en est-il de même du fait de partager ce que l’on a, c’est-à-dire des ressources qui ont de la valeur à nos yeux, avec les autres ?
Le développement du comportement altruiste chez l’enfant
12Il semblerait que les enfants soient enclins à partager de la nourriture ou des objets auxquels ils tiennent avec les autres [26, 27]. Cette tendance à l’aide chez les jeunes enfants pourrait bien être le signe d’une étape cruciale sur le plan de l’évolution spécifique à l’humain, à savoir : passer d’une attitude personnelle, centrée sur soi, à une attitude où l’intervention altruiste prend toute sa place, dans la mesure où les individus vont coopérer, s’entraider et partager leurs ressources pour être plus efficaces en groupe [28].
13L’altruisme peut s’entendre comme un état motivationnel avec pour unique objectif final le bien-être d’autrui et non une récompense personnelle [29]. Alors que des recherches avaient déjà montré que les enfants de 2 ans font spontanément preuve d’un comportement d’aide avec ou sans demande sociale explicite [24], plus récemment, Aknin et al.[30] ont montré que des enfants de moins de 2 ans pouvaient éprouver plus de joie en offrant une récompense à autrui plutôt que d’en recevoir une eux-mêmes.
14Bien qu’on puisse imaginer qu’à l’âge de 2 ans, la socialisation peut déjà avoir poussé les enfants à privilégier les comportements prosociaux, l’ensemble de ces recherches laisse tout de même penser que les êtres humains ont évolué de manière à considérer les comportements prosociaux comme valorisants. Plusieurs recherches tendent même à montrer que moins les enfants sont récompensés matériellement de leur comportement prosocial plus ils valorisent ce comportement [24]. Enfin, tant pour les enfants que pour les adultes, un comportement prosocial semble être d’autant plus apprécié qu’il est spontané et n’obéit pas à une demande où à une contrainte, ce qui a des conséquences importantes en termes d’éducation [31, 32]. Le bénéfice moral, c’est-à-dire les émotions positives découlant du don et du bien-être qu’il procure pourraient être ce qui encourage les individus à s’engager dans un comportement prosocial, même (et peut-être surtout) s’il est coûteux.
Attitudes parentales et développement du comportement prosocial
15Parmi les nombreux facteurs pouvant influencer le développement du comportement prosocial chez l’enfant, les pratiques éducatives des parents et de l’entourage proche et la qualité des relations adulte-enfant semblent aussi être déterminantes. Selon Eisenberg et al.[31], le comportement des parents et en particulier le mode d’éducation que reçoivent les enfants ont une très grande influence sur le développement de l’empathie, particulièrement durant la petite enfance. Plusieurs études ont d’ailleurs retrouvé une corrélation positive et significative entre le niveau d’empathie des enfants et celui de leurs parents ou perçu chez leurs parents par les enfants eux-mêmes ainsi qu’un effet du sexe sur le niveau d’empathie. D’une part, les filles percevraient et exprimeraient plus d’empathie que les garçons et d’autre part, il y aurait souvent une identification de l’enfant au comportement empathique du parent du même sexe témoignant du rôle éventuel des normes culturelles mais aussi de l’apprentissage éducatif [33].
16Par ailleurs, si le respect de certaines règles semble être lié au développement du comportement empathique et prosocial, Hoffman [34] est d’avis qu’une approche éducative fondée sur le raisonnement inductif, plutôt que sur l’autorité et le pouvoir, favorise le développement de l’empathie et des comportements prosociaux chez les enfants. À l’inverse de l’imposition d’une règle arbitraire, le raisonnement inductif permet à l’enfant d’analyser le bien-fondé d’une attitude et de la généraliser. Cela permet à leur tour aux parents d’enseigner à leur enfant la prise en compte du point de vue d’autrui en portant intérêt non seulement à ses propres besoins, mais aussi à ceux de l’autre personne.
17Alors que les premières étapes du développement de la prosocialité précèdent de plusieurs années l’âge scolaire, l’ensemble de ces recherches suggère que les programmes éducatifs pourraient jouer un rôle important, ce qui soulève naturellement des questions. L’école peut-elle développer les comportements prosociaux chez l’enfant ? Peut-on « apprendre » à être plus altruiste ?
Éduquer les comportements prosociaux chez l’enfant
18À l’interaction adulte-enfant, fondamentale et représentant une part importante des relations sociales du jeune enfant, s’ajoutent les relations nouées en milieu scolaire à partir de l’entrée à l’école dès 3 ou 4 ans. L’enfant s’intègrera alors dans une dynamique de groupe et la création de liens avec d’autres enfants de son âge. L’empathie et la régulation émotionnelle, parmi les fondements du comportement prosocial [6], vont venir jouer un rôle primordial. Le contrôle de ses propres états émotionnels et la capacité à comprendre les émotions et intentions d’autrui (par exemple, théorie de l’esprit) sont indispensables pour atteindre un équilibre émotionnel permettant à l’enfant de naviguer sereinement dans l’environnement scolaire et le groupe social qu’est la classe. Avoir la faculté de mobiliser ses aptitudes émotives, cognitives et sociales pour rester à l’écoute d’autrui est un mécanisme crucial pour un développement harmonieux de la prosocialité dans l’enfance. L’école, terrain de ces interactions groupales, est donc un lieu privilégié où l’on peut tenter d’encourager et de renforcer le développement du comportement prosocial. L’acceptation et l’intégration de la notion d’égalité, c’est-à-dire que « mon camarade de classe est mon égal », ainsi que la préoccupation pour le bien-être d’autrui seraient également des valeurs pilier du comportement prosocial chez l’enfant et l’adolescent [35]. Cette notion d’égalité est très souvent ancrée dans les valeurs de l’écosystème scolaire, renforçant son rôle de terrain optimal pour un apprentissage de l’attitude et du comportement d’entraide. Le sentiment des élèves ne fait cependant pas toujours écho à ces idéaux. Benson [36] rapporte ainsi que moins de la moitié des collégiens et lycéens indique avoir des compétences sociales adéquates, et moins de 30 % d’entre eux considèrent que leur établissement scolaire est un lieu où règnent l’attention envers autrui et l’encouragement.
19L’école a une importance particulière dans le développement du comportement prosocial compte tenu de l’interdépendance chez l’enfant des aptitudes sociales, émotionnelles, et académiques. Il semble donc essentiel d’intégrer l’apprentissage à la prosocialité non seulement dans des programmes ciblés mais également dans le quotidien scolaire et l’atmosphère générale de la classe [37]. Des résultats objectivables à la suite de la mise en place d’activités à long terme incitant à l’entraide voire à l’altruisme en classe font encore défaut. De manière générale, peu d’études se sont penchées sur le fait de savoir s’il était effectivement possible d’apprendre à être altruiste ou à l’être davantage. Frydman et Ritucci [38] ont pourtant montré que de tels programmes, poursuivis ne serait-ce que sur quelques semaines, pouvaient, en pratique, augmenter de manière significative la fréquence des interventions d’adolescents de 12 ans envers une victime d’une chute par exemple. Si les recherches expérimentales de ce type sont encore rares, d’un point de vue éducatif, on observe pourtant au niveau international une multiplication de programmes scolaires visant à enseigner l’empathie aux enfants mais les évaluations formelles de leur efficacité sur le plan de la motivation à agir de manière empathique voire altruiste sont encore peu nombreuses (voir pour revue [39]). Certains programmes ont cependant fait l’objet d’investigations plus poussées, comme les programmes d’apprentissage social et émotionnel (Social and Emotional Learning, SEL). L’objectif de ce programme est d’encourager le développement des aptitudes cognitives, affectives et comportementales pour, à terme, favoriser un comportement prosocial. Ces programmes, implémentés tant à l’école primaire qu’au collège ou au lycée, permettraient une augmentation des compétences socio-émotionnelles des enfants avec un impact également positif sur le bien-être ainsi que sur les performances scolaires [voir pour revue [40]). En effet, chez l’enfant de 9 à 13 ans, la mise en place d’un programme SEL semble améliorer le comportement prosocial tel qu’il est ressenti par les pairs et par les enseignants des enfants [41]. Caprara, et al.[42] ont également montré auprès d’une population d’adolescents qu’une intervention mettant l’accent sur le développement de la régulation émotionnelle, de la prise de perspective, de la communication interpersonnelle et enfin du développement de l’engagement citoyen sur un temps relativement court (4 mois) permettait d’augmenter le niveau d’entraide entre les élèves et ressenti par les élèves eux-mêmes. Il semblerait donc que même si les bases de l’empathie et de la prosocialité se forment à un plus jeune âge, ce type d’attitude peut, par la suite, être encouragé chez l’enfant ainsi que chez l’adolescent à travers une démarche proactive en milieu scolaire. Une approche plus passive avec moins d’implication directe peut également avoir un effet positif. En effet, l’observation passive de vidéos montrant des enfants engagés dans une démarche associative améliorerait l’attitude ainsi que le comportement altruiste chez l’enfant entre 9 et 13 ans [43].
20L’encouragement et l’apprentissage du comportement prosocial peuvent également entraîner des effets bénéfiques sur un plan cognitif et ce possiblement à long terme. Battistich, et al. [44] ont montré qu’un programme d’activités d’entraide, de maintien d’une atmosphère de coopération dans la classe, et de prise de perspective d’autrui pendant les années d’école primaire améliore les capacités de prise de décision sociale et favorise la considération des besoins d’autrui par rapport à des enfants n’ayant pas suivi de programme.
21Ces interventions ont principalement pour objet l’école et les relations qui s’y tissent entre enfants : les mesures d’évaluation de ces programmes font souvent appel à une évaluation par les contacts de l’enfant dans ce cadre uniquement. Si les enfants passent effectivement une grande partie de leur semaine à l’école, la question de la généralisation du comportement prosocial observé en milieu scolaire en dehors de l’école se pose également. Les résultats de ces programmes doivent ainsi être nuancés à la lumière de l’hétérogénéité initiale du niveau de comportement prosocial et d’altruisme dans l’enfance mais aussi à la lumière des différentes conditions de vie des enfants évoluant au sein d’une même classe. Les situations exceptionnelles, qu’il s’agisse de guerres, catastrophes naturelles, ou urgences sanitaires, peuvent également faciliter ou inhiber l’attitude et le comportement prosocial selon l’âge des enfants mais aussi selon leur proximité avec et leur vécu de la situation [45].
Conclusions et perspectives
22Le développement du comportement prosocial et de l’altruisme chez l’être humain est un processus graduel et évolutif, faisant intervenir au cours de l’enfance diverses composantes dans sa construction dont les capacités d’empathie ou encore les normes sociales et familiales de l’environnement de l’individu. Au-delà du développement initial de ces capacités chez l’enfant, il apparaît que le comportement prosocial peut être encouragé par des programmes ciblés dispensés le plus souvent en milieu scolaire, là où la notion de groupe se déploie.
23Afin de mieux comprendre comment l’altruisme émerge et se développe chez l’enfant, il serait crucial d’étudier l’influence de facteurs plus proprement cognitifs comme l’attention, le fonctionnement exécutif, la théorie de l’esprit ou encore les capacités narratives. Le rôle de la cognition dans l’encouragement au comportement prosocial et altruiste, et la possibilité d’un effet retour de cet encouragement sur les aptitudes cognitives, permettrait de mieux comprendre cet aspect du comportement si complexe et la manière dont il se déploie en fonction des circonstances extérieures.
Liens d’intérêt
24les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
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Mots-clés éditeurs : éducation, altruisme, enfant, prosocialité, développement, empathie
Date de mise en ligne : 11/01/2021
https://doi.org/10.1684/nrp.2020.0600Notes
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Cette définition correspond également pour certains auteurs à celle de la théorie de l’esprit affective qui peut être vue comme l’ensemble de processus qui nous permettent de nous représenter les états affectifs, les émotions ou le ressenti d’autrui [5].