Préambule
1Une semaine après mon retour de mission en Guyane, fin février 2020, j’ai commencé à tousser – une toux sèche –, et ai été prise de violents maux de tête. J’ai mis tout cela sur le compte de la fatigue causée par le décalage horaire, et du choc thermique qui m’avait certainement fait prendre froid. Puis sont survenus d’autres symptômes. Une dizaine de jours après mes premiers symptômes, je me suis aperçue que je ne supportais plus l’odeur du saumon fumé : je percevais une odeur infecte d’égout. Cet épisode troublant mais heureusement transitoire m’a incitée à faire des recherches sur les dysosmies liées à la Covid-19.
Introduction
2Au début de la pandémie de la Covid-19, les symptômes les plus fréquemment décrits étaient les maux de tête, les douleurs musculaires, une forte fatigue, puis la fièvre et les signes respiratoires (toux sèche, douleurs thoraciques, gêne respiratoire), souvent quelques jours après les premiers symptômes. Par la suite, d’autres signes cliniques ont été décrits, et leur liste s’allonge au fur et à mesure que les connaissances sur le SARS-CoV-2 progressent [1]. Certains de ces signes suggèrent une atteinte du système nerveux central : maux de tête, vertiges, convulsions, accidents vasculaires cérébraux (AVC), altérations de la conscience, hémiplégies dans la cohorte de Wuhan ; agitation, confusion, troubles des fonctions exécutives chez des patients admis en réanimation au CHU de Strasbourg ; méningite décrite au Japon ; encéphalites ; enfin pertes brutales de l’odorat (anosmie), du goût (agueusie), qui pourraient être des manifestations neurologiques mineures de la Covid-19.
L’olfaction
3L’olfaction – ou odorat – est le sens qui permet aux animaux de percevoir et d’analyser les odeurs, c’est-à-dire les substances chimiques volatiles présentes dans l’air. Nous possédons deux autres systèmes (ou sens dits chimiques) qui nous permettent, en plus du système olfactif, de percevoir et d’interpréter ces informations : la gustation et le nerf trijumeau (plus spécifiquement sa branche nommée nerf mandibulaire). La gustation nous permet de reconnaître le sucré, l’amer, l’acide, le salé et le glutamate (appelé également umami, terme emprunté au japonais). Le nerf trijumeau relaie une information qui contribue aux sensations gustatives telles que le menthol, qui agit sur les thermorécepteurs, ou la capsaïcine du piment, qui agit sur les récepteurs de la douleur. Toutes les autres informations chimiques sont perçues et identifiées par l’olfaction [2]. La perception olfactive débute au niveau de l’épithélium olfactif. Une odeur active une combinaison de récepteurs, ce qui génère des potentiels d’action via les axones qui traversent la lame criblée de l’os ethmoïde. Ces axones font des synapses avec le bulbe olfactif, qui projette vers le cortex olfactif primaire, situé dans le lobe temporal, puis vers le cortex olfactif secondaire, situé dans le cortex orbitofrontal [3]. La perception des odeurs est influencée par nos expériences passées : ainsi, plus une odeur est familière, plus il sera facile de la distinguer des autres.
4Lorsque l’on mange, les molécules odorantes passent de la cavité buccale à la cavité nasale par voie rétronasale, ce qui induit souvent une confusion entre gustation et olfaction. Ce que l’on décrit souvent comme la saveur d’un aliment correspond en réalité à l’information renvoyée par l’olfaction (rétronasale) et non par le goût. C’est pourquoi les patients souffrant d’anosmie sans agueusie ressentent également une perte de la perception des saveurs, et pensent avoir perdu à la fois le goût et l’odorat, alors qu’ils ont perdu uniquement l’odorat [2].
Les troubles de l’olfaction ou dysosmies
5L’olfaction joue un rôle très important dans de nombreux aspects de la vie quotidienne : c’est une source de plaisir sensoriel et alimentaire, et sa perte peut être un danger (par exemple ne pas sentir une odeur de brûlé ou de gaz), peut provoquer une diminution du plaisir à s’alimenter, générer une sensation d’insécurité par rapport à ses propres odeurs, modifier nos relations sociales, et peut amener certains patients à développer une dépression. D’un point de vue clinique, les dysosmies sont décrites en termes de troubles quantitatifs et qualitatifs. Elles toucheraient environ 15 % de la population [2].
Troubles quantitatifs
6L’anosmie correspond à la perte totale de l’odorat, alors que l’hyposmie est définie par une diminution des capacités d’olfaction. L’hyperosmie quant à elle est une exacerbation de l’odorat. La presbyosmie renvoie à la diminution progressive de l’odorat liée à l’âge [4]. Elles peuvent être mesurées à l’aide de tests psychophysiques [3].
Troubles qualitatifs
7Les parosmies sont des distorsions de stimuli olfactifs qui sont présents dans l’environnement du patient. Elles sont classiquement représentées par une odeur (e.g. saumon fumé) perçue comme une odeur différente, généralement désagréable (e.g. égout). La cacosmie est la perception d’une odeur désagréable, d’origine infectieuse dento-sinusienne ou liée à un reflux gastro-œsophagien [5]. L’euosmie, beaucoup plus rare, correspond à l’inverse à une odeur désagréable perçue comme agréable [6]. La phantosmie (ou hallucination olfactive) est la perception d’une odeur en dehors de la présence de stimulus chimique dans l’environnement du patient. Elle est observée dans les pathologies neurosensorielles (épilepsies, tumeurs cérébrales, aura migraineuse) ou psychiatriques.
8Les troubles qualitatifs de l’odorat sont plus rares que les troubles quantitatifs. Ils sont généralement explorés au moyen de questionnaires, mais depuis peu des investigations peuvent être réalisées au moyen de techniques de résonance magnétique fonctionnelle [7].
9Les dysosmies peuvent être temporaires et disparaître spontanément en quelques jours ou quelques semaines, ou bien perdurer dans le temps. Les dysosmies transitoires surviennent le plus souvent dans le contexte d’une infection des voies respiratoires supérieures (IVRS), généralement les rhinosinusites, ou d’une allergie. Les dysosmies de longue durée peuvent s’installer suite à une complication d’une rhinosinusite, le plus souvent chronique, d’origine post-infectieuse, ou bien peuvent être post-traumatiques, idiopathiques, plus rarement d’origine congénitale. D’autres sont des troubles secondaires à une maladie neurologique (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, sclérose en plaques, épilepsie, etc.), à une maladie systémique, métabolique ou à une tumeur cérébrale [2].
10Bonfils et al. ont étudié en 2005 une cohorte de 56 patients qui se plaignaient de parosmies existant depuis 3 mois à 22 ans [8]. Chez tous les patients, des troubles quantitatifs (anosmie, hyposmie) ont précédé la parosmie, associés principalement à une IVRS. Les odeurs perçues étaient le plus souvent des odeurs de pourriture, d’égout et de brûlé.
Troubles de l’olfaction et Covid-19
11C’est au mois de mars 2020 que de nouveaux signes cliniques ont commencé à être décrits par les cliniciens, surtout en Europe : signes digestifs, troubles olfactifs. Il est apparu assez rapidement que l’anosmie, accompagnée ou non d’agueusie, constituait un symptôme fréquent de la Covid-19. Des médecins, au début surtout des spécialistes ORL, largement relayés par les médias, ont rapporté l’existence de nombreux cas d’anosmie chez des patients suspects ou confirmés Covid-19. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux du Québec (INESSS) a publié le 31 mars 2020 un rapport sur l’anosmie sévère brutale et la perte de goût sans obstruction nasale [9]. Ce rapport synthétise des données et informations diffusées par des ORL et infectiologues de plusieurs pays du monde (France, Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Iran, Allemagne, Corée du Sud), avant publication. Chez les patients infectés par le SARS-CoV-2, l’anosmie apparaît brutalement sans obstruction nasale, et parfois accompagnée d’une agueusie. Elle peut survenir sans inflammation, ni fièvre, ni toux, qui sont les symptômes les plus classiques de l’infection. Ces symptômes n’avaient pas encore été décrits en Asie, mais font l’objet maintenant de publications. Les spécialistes suggèrent même que ces symptômes pourraient aider à différencier la Covid-19 d’une grippe saisonnière. Nous ne présenterons ici qu’un nombre restreint de publications représentatives des recherches en cours.
12Face aux nombreux rapports d’ORL issus de toute l’Europe, les jeunes oto-rhino-laryngologues de la Fédération internationale des sociétés oto-rhino-laryngologiques (YO-IFOS) ont lancé une étude épidémiologique internationale pour caractériser les troubles olfactifs et gustatifs chez les patients infectés. Dans une étude préliminaire portant sur 417 patients recrutés dans 18 hôpitaux européens, et présentant des symptômes légers à modérés de la Covid-19, Lechien et al. ont observé que 85,6 % des patients présentaient une dysosmie en lien avec l’affection. Parmi eux, 79,6 % avaient une anosmie, 20,4 % une hyposmie, 32,4 % une parosmie, et 12,6 % une phantosmie, et enfin 88 % présentaient une agueusie [10]. L’intérêt de cette étude est que les dysosmies qualitatives ont également été explorées, alors que dans la plupart des autres, les patients étaient interrogés et testés uniquement pour rechercher une anosmie ou une hyposmie. D’autres observations issues d’études réalisées dans d’autres pays (Italie, Iran…) vont également dans le sens d’une anosmie plus fréquente chez les patients jeunes, et de sexe féminin. Par contre, les auteurs chinois ont rapporté beaucoup moins fréquemment des cas de dysosmies [11]. Selon Lechien et al., ces dysosmies pourraient être des manifestations neurologiques mineures. L’anosmie pourrait provenir de lésions des cellules entourant les neurones olfactifs, le bulbe olfactif étant alors une porte d’entrée du virus vers le cerveau. Dans une nouvelle étude élargie à 1420 patients recrutés dans 12 hôpitaux européens, Lechien et al. ont observé que les symptômes variaient en fonction de l’âge et du sexe, les patients jeunes présentant plus souvent des troubles olfactifs que les âgés. L’anosmie, les maux de tête, l’obstruction nasale et la fatigue étaient plus fréquents chez les femmes [12]. L’anosmie était un symptôme clé chez les patients atteints de Covid-19 de gravité légère à modérée et n’était associée ni à une obstruction nasale ni à une rhinorrhée comme dans l’étude préliminaire [10]. Enfin, selon les auteurs, le fait que les dysosmies aient été peu décrites dans les études chinoises est peut-être lié au fait que la majorité des patients étaient hospitalisés avec des formes plus sévères de la maladie. Cela pourrait également être lié au polymorphisme de l’expression de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 ACE2 (le virus SARS-CoV-2 utilise ce récepteur pour s’accrocher et pénétrer dans les cellules de son hôte afin de se multiplier dans les tissus humains), des différences semblant exister dans leurs niveaux d’expression entre les populations asiatiques et européennes.
Conclusion
13Mises en évidence seulement en mars 2020, les dysosmies consécutives à l’infection par le SARS-CoV-2 sont devenues un marqueur important de la Covid-19, utile pour distinguer entre cette maladie et la grippe. Ces symptômes sont maintenant reconnus par l’OMS. De plus, ces dysosmies sont spécifiques, car elles ne sont pas associées à la rhinorrhée. Elles semblent indiquer une atteinte du système nerveux central, bien que les mécanismes physiopathologiques soient encore mal connus. Parmi différentes hypothèses, certains chercheurs suggèrent que le mécanisme menant à l’anosmie pourrait être neurologique : le virus, à partir des fosses nasales, pourrait migrer via les nerfs olfactifs vers certaines régions cérébrales impliquées dans le traitement des informations olfactives et peut-être même dans le contrôle de la respiration [12]. D’autres chercheurs s’intéressent au récepteur ACE2, exprimé par les cellules des poumons, du cœur, des reins et des intestins, mais aussi par les neurones et les cellules gliales du cerveau [13].
Liens d’intérêt
l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.Références
- 1. https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/maladie-covid-19-nouveau-coronavirus.
- 2. Landis B.N. Les troubles de l’odorat. Rev Med Suisse 2007 ; 3 : 32571.
- 3. Wen Hsieh J., Landis B.N. Tests psychophysiques de l’olfaction : Quoi de neuf ?. Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 1746-1750.
- 4. Goncalves S., Goldstein B.J. Pathophysiology of Olfactory Disorders and Potential Treatment Strategies. Curr Otorhinolaryngol Rep 2016 ; 4 : 115-121.
- 5. Magnavita N. Cacosmia in healthy workers. Br J Med Psychol 2001 ; 74 : 121-127.
- 6. Landis B.N., Frasnelli J., Hummel T. Euosmia: A rare form of parosmia. Acta Otolaryngol (Stockh.) 2006 ; 126 : 101-103.
- 7. Rombaux P, Huart C, Mouraux A. Physiologie et exploration des troubles de l’olfaction. Traité d’Oto-rhino-laryngologie 2016 ; 11.(3).
- 8. Bonfils P., Avan P., Faulcon P., Malinvaud D. Distorted Odorant Perception. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2005 ; 131 : 107-112.
- 9. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) Covid-19 et anosmie sévère brutale et perte de goût sans obstruction nasale. Québec (Qc) : INESSS, 2020.
- 10. Lechien JR, Chiesa-Estomba CM, De Siati DR, et al. Olfactory and gustatory dysfunctions as a clinical presentation of mild-to-moderate forms of the coronavirus disease (Covid-19) : A multicenter European study. Eur Arch Otorhinolaryngol 2020. doi : 10.1007/s00405-020r-r05965-1.
- 11. Mao L, Wang M, Chen S, et al. Neurological manifestations of hospitalized patients with Covid-19 in Wuhan, China: A retrospective case series study. MedRXiv 2020. doi : https://doi.org/10.1101/2020.02.22.20026500.
- 12. Lechien JR, Chiesa-Estomba CM, Place S, et al. Clinical and Epidemiological Characteristics of 1,420 European Patients with mild-to-moderate Coronavirus Disease 2019. J Intern Med 2020. doi : 10.1111/joim.13089. AOP.
- 13. Baig A.M., Khaleeq A., Ali U., Syeda H. Evidence of the Covid-19 Virus Targeting the CNS : Tissue Distribution, Host-Virus Interaction, and Proposed Neurotropic Mechanisms. ACS Chemical Neuroscience 2020 ; 11 : 995-998.