1La pandémie à SARS-CoV-2 a imposé des mesures de confinement et notamment des personnes les plus âgées et les plus vulnérables résidant en établissement d’hébergement. Le quotidien de ces personnes est souvent limité à cet espace, qui devient de fait le lieu des rencontres avec les proches. Pour protéger les malades, la réponse apportée a généralement été de restreindre cet espace à celui de la chambre, ce qui peut engendrer des répercussions psychologiques et apparaître complexe à mettre en œuvre avec des patients souffrant de troubles cognitifs et comportementaux. Aussi, une réflexion s’impose sur l’environnement qui est offert à ces personnes en milieu hospitalier ou médicosocial. Ce témoignage s’inscrit dans cette réflexion et vise à partager une expérience de l’accompagnement proposé en Unité cognitive comportementale (UCC) en période de confinement, en mettant l’accent sur la médiation apportée par le jardin thérapeutique.
2Une hospitalisation transitoire en UCC peut s’avérer nécessaire lorsque l’état clinique de personnes souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée au stade des troubles cognitifs sévères associés à des symptômes psycho-comportementaux nécessite d’être équilibré. Le plan Alzheimer 2008-2012, qui a créé ces nouvelles structures, leur recommandait d’y aménager des jardins thérapeutiques. Il s’agissait là de la première recommandation d’un plan de santé publique d’aménagement des espaces hospitaliers extérieurs pour les transformer en espaces au service du soin [1].
3Les principes de design sous-tendant la conception de tels jardins reposent sur une analyse détaillée des effets recherchés : (i) sollicitation des capacités cognitives le plus longtemps préservées ; (ii) étayage des capacités les plus altérées ; (iii) atténuation des troubles psycho-comportementaux ; (iv) médiation des interactions sociales entre résidents/patients, proches visiteurs et professionnels. Sur le plan des symptômes psycho-comportementaux, des bénéfices de l’utilisation de jardins thérapeutiques ont été observés sur l’appétit, l’anxiété, les symptômes dépressifs, l’agitation, l’agressivité et les tentatives de sorties inadaptées de l’unité [2].
Le jardin « art, mémoire et vie » cadre de soin et plateforme de recherche
4Le jardin « art, mémoire et vie » inauguré en 2010 au Centre Paul Spillmann du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy, destiné aux personnes atteintes de maladies neurocognitives évolutives, allie sur 4000 m2 nature, art et culture régionale dans un concept intégrant le jardin comme médiateur de soin [3, 4] (figure 1). Ce jardin, environnement sensoriellement riche, illustre des invariants culturels et des références socio-culturelles régionales par l’intégration d’œuvres d’art spécifiquement conçues et adaptées au cadre architectural environnant. Ce jardin prototype est le cadre et la plateforme de recherche du programme de recherche, JAZ « Jardin Alzheimer » qui vise à évaluer ses impacts sur les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées, leurs proches et les soignants qui y exercent. Il se développe en plusieurs volets :
- (i) la validation du design du jardin au niveau :
- du « contenant » à savoir sa structuration-spatiale,
- du « contenu » : plantes, références culturelles et œuvres d’art ;
- son impact sur les capacités cognitives et émotionnelles en pratique quotidienne à l’UCC :
- pour les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer et maladies apparentées,
- pour les professionnels de santé du Centre Paul Spillmann,
- pour les proches visiteurs [5].
Le jardin « art, mémoire et vie » du Centre Paul Spillmann CHRU de Nancy
Le jardin « art, mémoire et vie » du Centre Paul Spillmann CHRU de Nancy
Un jardin support de communication et vecteur de socialisation hors période épidémique
6Lorsque les difficultés cognitives restreignent les possibilités de projection dans le passé et le futur, l’interaction s’ancre dans l’ici et maintenant. L’environnement peut être un véritable support de communication et ainsi étayer cette interaction. Contrairement à la chambre d’hôpital, aseptisée et dépersonnalisée, dans le jardin, les végétaux diversifiés, les œuvres d’art conçues pour être observées mais aussi touchées, le mobilier au design familier, sont autant de supports qui illustrent la mémoire collective culturelle et sociale, sollicitent les sens, suscitent l’intérêt et sont vecteurs d’émotions, parfois de souvenirs. Les promenades dans le jardin offrent cette possibilité d’expérience partagée, sans nécessité de faire appel aux souvenirs en décrivant, commentant ce qui nous entoure. Ce cadre étayant libère aussi de la nécessité de la parole. Chacun se promène, ressent, contemple et les émotions se lisent sur les visages, se révèlent dans le langage corporel. Ce lieu de vie, ouvert sur le monde extérieur, contraste avec le monde hospitalier et favorise ainsi les visites de l’entourage et en particulier celles des jeunes enfants. C’est aussi l’ensemble des professionnels du soin et de l’accompagnement qui s’approprient ce cadre comme support de médiations.
7L’aménagement du jardin vise aussi à maintenir la socialisation : entre les malades, avec leurs proches et avec les soignants. Telle une poupée gigogne, l’espace du jardin se décline en une diversité de sous-espaces. Le parvis, à la fois lieu de passage mais disposant aussi de tables et de chaises, invite aux échanges et aux rencontres. D’autres espaces plus restreints, à l’abri des regards derrière une haie ou à l’ombre des claustras, permettent l’intimité. Le mobilier, amovible, invite les utilisateurs à créer leur propre espace à leur gré : ils déplacent les tables pour manger au soleil ou à l’ombre, ils placent des chaises en rond pour les activités de gym douce, ils investissent toute l’allée centrale du jardin pour les jours de bals ou concerts, etc. L’équipe voit aussi des familles qui s’aménagent un endroit en déplaçant le mobilier et répètent ce rituel à chaque visite, comme une manière de s’approprier une partie du jardin pour y disposer d’un cadre intime et familier. Au fil des années s’est d’ailleurs créée au sein de l’équipe soignante, une mémoire collective de la vie du jardin. Et c’est souvent que l’équipe associe tel endroit à telle famille ou tel malade, signe qu’ils y ont laissé leur empreinte.
8Depuis plus de dix ans, nous avons ainsi observé au quotidien le rôle de ce jardin en tant que médiateur d’interactions. Or, le bouleversement engendré par la survenue de l’épidémie à SARS-CoV-2 a perturbé tous les repères, les pratiques. Dans ce contexte si particulier, qu’est-il advenu de ce rôle alors que toutes les recommandations et injonctions nous ordonnaient la distanciation, le confinement ? D’autres potentialités de ce jardin se sont-elles fait jour ?
Un jardin support d’une distanciation apaisée en période épidémique de strict confinement
9Du 17 mars au 11 mai, 14 patients ont séjourné en période de confinement à l’UCC du CHRU de Nancy au Centre Paul Spillmann. Tous présentaient des troubles cognitifs et psycho-comportementaux évolués avec des difficultés de compréhension des consignes des gestes barrières et une impossibilité de réaliser un confinement en chambre sans recourir à une contention physique et/ou chimique. Depuis le début des mesures de confinement, et selon les consignes institutionnelles et politiques, les visites des proches ont été totalement suspendues, la distanciation sociale et les gestes barrières systématisés.
10Auprès d’une population n’ayant plus la capacité à se conformer à de telles règles, et où la tolérance et la modification de l’environnement sont souvent la réponse aux troubles du comportement, comment protéger en appliquant un confinement ou un isolement strict et quelles en sont les répercussions ? Comment limiter la souffrance psychique chez les personnes atteintes de troubles cognitifs ? Le jardin « art, mémoire et vie » du Centre Paul Spillmann a joué un rôle clef dans cette recherche.
11Le jardin a permis de limiter les effets négatifs du confinement (i.e. sentiment d’enfermement et d’isolement) chez les sujets hospitalisés et a permis de continuer à répondre à la mission première de l’équipe : apaiser les symptômes psycho-comportementaux. De plus, contrairement au confinement en chambre qui conduit les malades à être exposés aux médias, souvent vecteurs d’une grande angoisse et particulièrement chez celui qui ne dispose plus de la possibilité de s’en distancier, le jardin a offert la possibilité de poursuivre un programme de soin dans le respect des règles imposées par la pandémie. En effet, la vie du service est habituellement très ritualisée, rythmée par les soins, les activités thérapeutiques et rééducatives quotidiennes, les visites des proches, des bénévoles, etc. Or, dès le début du confinement, seuls les professionnels essentiels à la prise en soin des malades ont été autorisés à poursuivre leur activité afin de limiter le risque de contamination. Outre l’absence de visites des proches, ce sont aussi les bénévoles et nombre de personnels paramédicaux qui n’ont plus été présents. La restriction de ces temps de soins et temps relationnels qui ponctuaient la vie quotidienne des patients a ainsi modifié considérablement les rythmes et les repères déjà fragilisés par les troubles cognitifs.
12L’apport majeur du jardin a été d’offrir la possibilité d’activités quotidiennes, aux bénéfices psychologiques, relationnels et physiques. Elles pouvaient être réalisées simultanément, sans restrictions liées à l’espace et dans le respect des distances sociales (par exemple, repas en extérieur, jardinage, promenades, jeux d’extérieur, etc.). Le jardin, utilisé par l’équipe soignante comme parcours de marche, a aussi permis l’entretien des capacités physiques et motrices. Toutes ces activités, et la possibilité de sortir, ont restauré un rapport à l’espace qui soit rassurant et favorisé la possibilité d’aller et venir, droit fondamental.
Vécu de l’isolement : de la chambre au jardin
13Lorsque le difficile passage du confinement à l’isolement doit avoir lieu, c’est toute la vie du sujet ainsi que de l’équipe qui l’entoure qui est bouleversée et les ressources pour l’équipe soignante sont vite limitées par les mesures d’hygiène à mettre en place. Durant cette période, Monsieur F. âgé de 94 ans a été testé positif au Covid-19 le 27 mars. Il présente des troubles cognitifs sévères qui le privent de communication verbale, favorisant une expression par l’agir. La séparation d’avec ses proches génère une grande souffrance qu’il exprime au travers d’épisodes de pleurs, souvent accompagnés d’agitation. Alors que les liens créés avec les autres personnes hospitalisées lui apportaient un certain apaisement, l’isolement le prive de cette principale ressource et le place dans une grande vulnérabilité. La compréhension de la situation d’isolement est limitée par les troubles cognitifs, et il ne peut s’appuyer sur son vécu de la maladie, puisqu’il présente une forme paucisymptomatique. Ainsi, Monsieur F. ouvre perpétuellement la porte de sa chambre, souhaitant rejoindre les autres patients et sortir en extérieur, refuse les repas et exprime rapidement une grande souffrance. Au vu du risque de contamination s’est rapidement posée la question d’une contention d’abord mécanique, que le patient n’aurait pas tolérée, puis ponctuellement sur prescription médicale, de fermer à clef la porte de sa chambre pour de brefs moments. Cette situation a rapidement été insupportable pour Monsieur F. qui tapait à la porte et pour l’équipe, ayant le sentiment de ne plus répondre à son engagement habituel pour le bien-être du patient.
14Après discussion et validation avec l’équipe d’hygiène, décision a rapidement été prise de remplacer ces moments de privation de liberté par des moments dans le jardin, où Monsieur F. passait beaucoup de temps avant l’isolement. Ainsi, dans le respect des mesures décidées, (lavage des mains, port de surblouse et masque), Monsieur F. se rendait quotidiennement dans le jardin, où il pouvait être en compagnie des autres patients, tout en étant à une distance suffisante. Ces moments ont permis à Monsieur F. de recommencer à manger, de communiquer de manière plus sereine, et enfin de retrouver un apaisement. Tout en préservant les autres personnes hospitalisées d’un risque de contamination, Monsieur F. a pu ainsi traverser la période d’isolement en évitant une trop grande perte d’autonomie, de poids, l’administration de sédatifs aux effets délétères, et des répercussions négatives trop intenses sur son bien-être. L’isolement a été levé au vu d’une évolution favorable le 10 avril.
Le jardin, soutien au travail collectif porteur de sens
15Enfin, il semble important d’évoquer brièvement les bénéfices du jardin auprès de l’équipe soignante, plongée dans nombre de paradoxes. Le confinement et l’isolement mettent rapidement chacun face à des questions éthiques et humaines, forcent à trouver comment continuer à prendre soin et accompagner d’une nouvelle manière. Le jardin a permis que se poursuivent les temps de réflexion en équipe, devenus impossibles en intérieur au vu de l’espace disponible et du nombre de participants. Il s’est aussi fait lieu de création d’un programme d’activités adaptées pour continuer à répondre aux missions de soins, et éviter ainsi une perte massive de satisfaction au travail, qui fait le lit de la souffrance et de l’épuisement professionnel.
Conclusion
16Au 11 mai, aucun des patients de l’UCC n’a présenté d’aggravation significative sur le plan psycho-comportemental et il n’a pas été nécessaire d’augmenter leurs traitements sédatifs. Aucun nouveau cas d’infection à Covid-19 ne s’est déclaré, aucun soignant n’a été contaminé.
17Les apports du jardin « art, mémoire et vie » ont donc été multiples durant la période de confinement. Il a permis au service de maintenir ses activités et objectifs, été facteur protecteur en se faisant espace de rencontre, de liberté en période d’isolement, plus particulièrement pour certains patients mais aussi pour les professionnels, tout en offrant l’opportunité pour des activités, de l’apaisement, se faisant tour à tour lieu d’expression, de stimulation ou de repos.
18Notre expérience nous incite à la partager et à promouvoir une réflexion à la lumière de la pandémie actuelle sur l’architecture des établissements de soins et médicosociaux et l’aménagement de jardins thérapeutiques. Pour peu qu’ils répondent à des évaluations de faisabilité, des critères de conception validés et une évaluation rigoureuse ils peuvent s’intégrer au projet de soin et de vie d’une équipe pluridisciplinaire. De tels jardins, s’ils favorisent les interactions sociales offrent aussi une opportunité de distanciation sociale apaisée, source de qualité de vie, de prévention…
Liens d’intérêt
les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.Références
- 1. Berge D., Jacob C., Mouchotte S., Pop A., Rivasseau-Jonveaux T. Un jardin comme outils de soins en unité cognitivo comportementale. Soins Gerontol 2014 ; 108 : 38-40.
- 2. Rivasseau Jonveaux T., Fescharek R. Jardins thérapeutiques destinés aux sujets atteints de maladies d’Alzheimer et apparentées : vers des lieux de vie aimants ?. Lettre Espace Réflexion Éthique Poitou Charentes 2015 ; 8.
- 3. Rivasseau Jonveaux T., Pop A., Fescharek R., et al. Les jardins thérapeutiques : recommandations et critères de conception. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 : 245-253.
- 4. Rivasseau Jonveaux T., Batt M., Fescharek R., et al. Healing gardens and cognitive behavioral units in the management of Alzheimer's disease patients : The Nancy experience. J Alzheimer Disease 2013 ; 34 : 325-338.
- 5. Jonveaux T., Fescharek R. When Art Meets Gardens : Does It Enhance the Benefits? The Nancy Hypothesis of Care for Persons with Alzheimer's Disease. J Alzheimer Disease 2018 ; 61 : 885-898.