Introduction : le trouble de stress post-traumatique
1Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) correspond à la survenue de symptômes caractéristiques à la suite de l’exposition à un événement traumatique. Un événement traumatique est défini comme un événement au cours duquel le sujet ou d’autres personnes ont pu être menacé(e)s de mort, trouver la mort, subir des blessures graves ou des violences sexuelles. L’exposition peut se faire de différentes façons : en étant directement victime, en étant témoin direct, en apprenant que cela est arrivé à un membre de la famille ou une personne proche ou dans un cadre professionnel avec une exposition répétée (pompiers, personnels soignants, policiers) [1].
2La survenue d’un événement potentiellement traumatisant est extrêmement fréquente, estimée à 69 % vie entière en population générale, mais la prévalence du TSPT est d’environ 20 % tous événements confondus [2]. La prévalence vie entière varie entre les pays mais se situe entre 7 et 11 % en population générale. Le TSPT comprend des symptômes de répétition, d’évitement, d’hyperactivation neurovégétative et des altérations négatives des cognitions et de l’humeur [1].
3Depuis plus de 20 ans, les chercheurs ayant utilisé la TEP ou l’IRMf ont montré des altérations dans l’activité de l’hippocampe, de l’amygdale, du cortex préfrontal et de l’insula [3]. L’hippocampe, situé au cœur du lobe temporal médian, joue un rôle essentiel dans l’encodage et le rappel des souvenirs épisodiques et la mémorisation des aspects contextuels spatiaux et temporels des souvenirs [4]. L’amygdale joue un rôle crucial dans la détection de la menace, la réponse à la peur, permet de renforcer la mémoire des événements émotionnels et intervient dans le conditionnement, l’extinction et le rappel d’une peur conditionnée [5]. Les études ont montré une activation plus importante de l’amygdale dans la réponse à des stimuli reliés au traumatisme dans le TSPT en comparaison à des sujets sains [3]. Cette hyperactivation a même été observée à l’état de repos [6]. En revanche, l’activité du cortex préfrontal ventromédian (CPFvm) est diminuée chez les patients TSPT durant des tâches utilisant des stimuli reliés ou non au traumatisme [7]. Ce CPFvm ne serait donc plus capable de réguler l’activité amygdalienne dans le TSPT [6].
4Le conditionnement et l’extinction d’une peur conditionnée sont sans doute les tâches les plus utilisées dans l’étude des mécanismes cérébraux du TSPT. Le conditionnement consiste en l’apprentissage d’une association entre un stimulus conditionné (nommé CS+), non aversif au départ et d’un stimulus aversif comme un choc électrique. Une seconde catégorie de stimulus est présentée au sujet, c’est le stimulus neutre (nommé CS-), qui ne sera jamais suivi d’une stimulation électrique pendant le protocole [8]. Cet apprentissage conduit le sujet à montrer une réaction de peur conditionnée quand le CS+ est présenté seul, sans le choc électrique. Cette peur apprise peut être modifiée par un protocole d’extinction au cours duquel le CS+ est présenté sans stimulus aversif, ce qui permet au sujet de ne plus réagir par la peur au CS+ seul [9]. Les patients TSPT ont une activation amygdalienne plus importante lors de la phase d’acquisition d’une peur conditionnée et un déficit d’activité du CPFvm lors de l’extinction de la peur conditionnée [10].
5Au-delà de ce modèle largement admis dans la littérature, des études de plus en plus nombreuses mettent en évidence l’implication d’autres structures dans la physiopathologie du trouble comme l’insula, le gyrus frontal inférieur, le précuneus et le cortex cingulaire postérieur (CCP).
6L’insula est impliquée dans la conscience de soi, dans la régulation de l’activité des systèmes sympathique et parasympathique ainsi que dans la sensation de douleur [11], et semble plus activée chez les patients souffrant de TSPT [12]. En revanche, une diminution de l’activité du gyrus frontal inférieur a été observée chez ces patients lors de l’encodage et le rappel de stimuli relatifs ou non au traumatisme [13]. Cette structure est recrutée lors de tâches impliquant la réévaluation cognitive de pensées négatives et permet la récupération et l’accès contrôlés des souvenirs [14].
7Le précuneus et le CCP ont pour fonction le rappel en mémoire épisodique, l’imagerie mentale, l’intégration multisensorielle et le processus de référence à soi [15]. Le traitement et le rappel des émotions négatives dans le TSPT sont associés à un engagement plus important de ces deux structures [16]. Au contraire, l’encodage et le rappel d’informations neutres (non relatives au traumatisme) ont été associés à une activité moins importante du précuneus chez les patients [17].
La thérapie EMDR
8Cette thérapie a été découverte en 1987 par le Dr Francine Shapiro. Elle est recommandée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la Haute Autorité de santé (HAS) et l’American Psychological Association (APA) pour le traitement du TSPT. L’efficacité de l’EMDR dans le traitement du TSPT est maintenant largement démontrée avec un taux de rémission entre 60 et 90 % en trois à huit séances de 90 minutes avec un maintien de l’effet de la thérapie montré jusqu’à 35 mois. L’EMDR associe rappel du traumatisme vécu dans ses aspects cognitifs, émotionnels ou physiques avec des stimulations bilatérales alternées (SBA) qui peuvent être visuelles, auditives ou somesthésiques (stimulations tactiles). C’est une psychothérapie structurée en huit étapes qui aboutit à un changement dans le traitement de la mémoire de l’événement, une absence de détresse liée au traumatisme, l’élimination de l’inconfort physique associé à la mémoire initiale et à l’établissement d’une croyance positive sur soi [18].
9Sur le plan du fonctionnement cérébral, plusieurs équipes ont pu montrer la capacité de l’EMDR à restaurer un fonctionnement normal des structures impliquées dans le traitement émotionnel ou de la mémoire avec notamment des modifications au niveau du cortex préfrontal, de l’amygdale, de l’hippocampe, du précuneus… [19, 20]. Notre équipe a pu mettre en évidence, après thérapie EMDR de patients présentant un TSPT, une augmentation de la densité de matière grise [21] dans le CPFm, le cortex cingulaire antérieur, le gyrus frontal médian, mais également des modifications d’activité dans le cortex préfrontal, dans l’amygdale, l’insula et, de manière reproductible avec plusieurs protocoles, dans le précuneus [22-24](figure 1). Chez des militaires atteints de TSPT, plus le précuneus est activé avant thérapie, plus les symptômes de TSPT vont diminuer après thérapie (r= -0,67 ; p < 0,01).
Figure 1
Figure 1
Modifications d’activité cérébrale à l’IRM fonctionnelle après thérapie EMDR de patients présentant un trouble de stress post-traumatique (TSPT), lors d’une tâche d’extinction de la peur. Les structures dont l’activité est modifiée sont l’amygdale bilatérale (Am DG), l’hippocampe gauche (Hipp G), l’insula droite, le gyrus de Heschl gauche (GHg), le précuneus, les aires de Broadmann 8 (droite), 31 (gauche), 47 (droite).Mode d’action de la thérapie EMDR
10Il y a donc bien modification d’un réseau de neurones impliqués dans la mémoire, les émotions, la perception de soi… après thérapie EMDR du TSPT, mais les mécanismes et substrats neurobiologiques qui sous-tendent l’efficacité de l’EMDR restent inconnus. Pour tenter de répondre à cette interrogation fondamentale, nous avons concentré nos recherches sur un des éléments qui semble être au cœur de l’action de l’EMDR, les SBA. Les premières recherches sur la thérapie EMDR chez les animaux ont en effet montré la pertinence de se focaliser sur les SBA car celles-ci semblent bien avoir une action biologique sur le réseau de la peur en dehors de toute action psychologique. En effet, les souris, qui subissent un conditionnement à la peur et sur lesquelles sont effectuées des SBA lors de la phase d’extinction de la peur, ont beaucoup moins de réponses de peur lors du rappel de l’extinction (dix jours et même 60 jours après) que les souris sans SBA lors de la phase d’extinction de la peur [25]. Nous avons reproduit ces mêmes résultats chez le sujet sain dont l’apprentissage de l’extinction de la peur est facilité par les SBA [26].
11Une étude en IRMf sur ce même protocole nous a permis de mettre en évidence que l’ajout des SBA (de la modalité auditive) lors de l’apprentissage de l’extinction de la peur par rapport à une extinction sans SBA, non seulement active le cortex auditif, mais également le gyrus frontal médian impliqué dans la planification motrice, et le précuneus. Ces SBA provoquent également une augmentation de connectivité fonctionnelle entre ces trois structures et le cortex cingulaire antérieur, le gyrus frontal inférieur, l’insula, le cervelet, le thalamus et le cortex occipital (figure 2). C’est donc un vaste réseau neuronal que de simples stimulations auditives de « bruits large bande » (les SBA) vont modifier dès les premières minutes de l’apprentissage de l’extinction de la peur. Le lendemain, lorsque l’on fait un rappel de cette extinction, ce même réseau reste modifié alors qu’il n’y a plus de SBA. Il apparaît donc que les SBA changent la connectivité et le fonctionnement de structures cérébrales impliquées dans la mémoire, les émotions, la motricité, la conscience de soi, et l’intégration multisensorielle. Le réseau classique impliqué dans l’extinction de la peur se voit élargi par les SBA, et ce dès les premières présentations de SBA. Si l’on transpose ces résultats à la thérapie EMDR, on peut comprendre qu’en activant ces réseaux neuronaux, les SBA modifient la mémoire traumatique et permettent une désensibilisation émotionnelle.
Figure 2
Figure 2
Augmentation d’activité et de connectivité fonctionnelle à l’IRM fonctionnelle de structures cérébrales lors d’une tâche d’extinction de la peur avec-sans stimulations bilatérales alternées (SBA). L’ajout des SBA acoustiques active le gyrus temporal supérieur (GTS), le gyrus frontal médian (GFM) et le précuneus, et augmente la connectivité fonctionnelle entre cortex cingulaire antérieur (CCA), GFM, GTS, gyrus frontal inférieur (GFI), insula, précuneus, thalamus (Thal), cervelet et cortex occipital (CO).12Pour approfondir la compréhension des mécanismes de l’EMDR, nous avons mené une étude chez des patients atteints d’une épilepsie résistante au traitement pharmacologique. Ces patients, dans le contexte d’une implantation intracérébrale préopératoire, avaient pour certains des électrodes dans l’amygdale, le CPFvm, le CPF dorsolatéral et l’hippocampe. Une séance d’EMDR sur un traumatisme de ces patients vient de mettre en évidence que l’efficacité de l’EMDR repose sur des changements significatifs de synchronisation de ces quatre structures. Sans ces modifications de synchronisation de groupes de neurones impliqués dans la mémorisation et le traitement des émotions, la thérapie EMDR ne peut être efficace rapidement.
Thérapie EMDR et prédictibilité
13Cela nous conduit à la notion de variabilité individuelle. Comme nous l’avons dit, toutes les personnes exposées à un événement traumatique ne développent pas fort heureusement de TSPT. Lors de la thérapie EMDR, le nombre de séances nécessaires à la disparition des symptômes est variable d’un patient à l’autre pour une même sévérité symptomatique. Nous avons découvert que ce nombre de séances peut être prédit par la qualité de sommeil des patients présentant un TSPT, et plus particulièrement selon le temps de sommeil REM (rapid eye movement, phase pendant laquelle les sujets rêvent). Il faut savoir que, d’une manière générale, le sommeil des patients TSPT est très altéré avec des différences selon les études. Nous avons ainsi montré que le temps total de sommeil de militaires TSPT, ainsi que le nombre et la durée des phases REM étaient diminués par rapport à des sujets témoins. Après thérapie EMDR, le sommeil revenait à la normale. Plus la durée de sommeil REM était réduite avant thérapie, moins il fallait de séances d’EMDR pour obtenir une rémission symptomatique. Pour les patients qui avaient un sommeil REM normal, la durée du traitement était plus longue (r = 0,79 ; p < 0,005). Cela pourrait s’expliquer par le fait que lorsque le temps de sommeil REM est abaissé, il suffit de peu de séances d’EMDR pour compenser ce déficit et rétablir aussitôt un traitement adaptatif de l’information des événements traumatiques selon la notion développée par Francine Shapiro. En revanche, lorsque le temps de sommeil REM est comparable à celui de personnes non traumatisées, les mouvements oculaires échoueraient à permettre l’intégration adaptée de la mémoire traumatique en mémoire déchargée de son émotion. Ainsi, il faudrait beaucoup plus de séances d’EMDR pour favoriser cette modification émotionnelle du souvenir traumatique avec peut-être plus d’interventions du psychothérapeute sous la forme d’une aide par tissage cognitif (où des suggestions et des questions peuvent aider à diriger l’attention vers des solutions). Même si cette hypothèse reste à vérifier, il n’en demeure pas moins que la mesure des phases REM est le seul prédicteur jamais mis en évidence de la durée de la thérapie EMDR dans le TSPT.
Théorie de fonctionnement de la thérapie EMDR
14La mémoire traumatique est représentée dans le cerveau dans différentes structures corticales sous forme d’activation de colonnes neuronales dans des cartes corticales selon la théorie neuronale de la cognition [27, 28]. Chaque dimension du souvenir est représentée au niveau d’une carte corticale pour coder le lieu, l’émotion, l’odeur, les personnes…
15Ainsi, avec la thérapie EMDR, on ajoute des SBA à la mémoire traumatique réactivée. Or, il a été montré que l’application d’un signal stochastique (bruit) à un dispositif présentant des non-linéarités comme un neurone améliore ses performances [29]. Ce phénomène est appelé résonance stochastique et permet l’augmentation de synchronisation neuronale [30]. On a vu précédemment que, pour que la thérapie EMDR soit efficace, il fallait que la synchronisation neuronale change au sein d’un réseau cognitivo-émotionnel. Les SBA pourraient jouer ce rôle de bruit qui permettrait l’activation de nouveaux neurones en même temps que ceux activés par la mémoire traumatique. Comme l’a démontré notre expérience où des SBA étaient ajoutées lors de l’extinction de la peur, il y a en effet un large réseau neuronal qui est activé par l’ajout des SBA, bien au-delà de la simple réponse perceptive attendue. Cette co-activation de colonnes corticales associées au souvenir traumatique et de colonnes activées par les SBA (réseau d’intégration multisensorielle, de mémoire, de contrôle exécutif, des émotions) permet, selon la loi de Hebb, une synchronisation neuronale. Les SBA ajoutent ainsi de nouveaux éléments à la situation traumatique, ce qui modifie sa représentation corticale. Au bout d’un certain nombre de sessions avec des SBA, la représentation de l’événement est devenue si différente de la représentation initiale (stressante) que l’amygdale ne la reconnaît plus et ne s’active donc plus. La mise à jour du souvenir traumatisant l’a rendu « neutre ». Ce phénomène se renforce par le mécanisme de dépression à long terme. Il n’y a donc plus de retour possible en arrière, la mémoire est reconsolidée sans sa charge émotionnelle.
16Pour les patients, cela se traduit concrètement par une vision complètement différente de la mémoire traumatique. L’événement traumatique après traitement EMDR perd sa charge émotionnelle, des éléments du souvenir qui étaient jusqu’alors occultés réapparaissent et le souvenir semble s’éloigner, ou perdre sa couleur…
17Cette théorie qui s’appuie sur nos résultats expérimentaux et sur les données de la littérature reste encore à démontrer, mais elle a l’avantage de parfaitement rendre compte de ce qui a été observé avec la thérapie EMDR. En effet, elle explique pourquoi cette thérapie est efficace, rapide, sans retour en arrière, n’est pas dépendante de la durée ni de l’intensité du TSPT, peut s’effectuer dans différentes modalités sensorielles, est plus efficace avec des SBA qu’avec des stimulations unilatérales ou non alternées. Cette théorie montre également pourquoi l’intervention du thérapeute (par « tissage cognitif ») peut être importante, car elle favorise l’activation de nouvelles colonnes corticales.
Conclusion
18La théorie neuronale de la cognition, le phénomène de résonance stochastique, les mécanismes de potentialisation et dépression à long terme sont à même d’expliquer l’action des SBA lors de la thérapie EMDR. Pour être efficaces, les SBA doivent augmenter la synchronisation neuronale du réseau cognitivo-émotionnel et majoritairement solliciter une structure clé, le précuneus, ce qui pourrait favoriser la reconsolidation de la mémoire traumatique en une mémoire déchargée de son émotion.
19De futures études notamment avec un suivi en temps réel de l’activation cérébrale au cours de la thérapie EMDR pourraient permettre de confirmer ces résultats et hypothèses.
Liens d’intérêt
20l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : EMDR, précuneus, TSPT
Date de mise en ligne : 19/12/2019.
https://doi.org/10.1684/nrp.2019.0522