Notes
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Pour suivre l’évolution du programme 13-Novembre, consulter le site www.memoire13novembre.fr.
1 Au cours de l’année qui a suivi les attentats de Paris, près de 1000 participants et 150 personnels de la recherche se sont mobilisés autour d’un programme de recherche sans précédent. Retour sur une aventure humaine.
2 Novembre 2016. Les commémorations des attentats du 13 novembre 2015 sont l’occasion pour l’ensemble des citoyens de se rassembler à nouveau et de se souvenir. Un an, une durée bien insuffisante pour refermer toutes les plaies, mais un premier temps pour se reconstruire. Le programme de recherche transdisciplinaire 13-Novembre, lancé en mai 2016, est l’une des initiatives portées par la communauté scientifique. Son but : étudier les mécanismes de la mémoire individuelle et collective afin de prendre la mesure de l’impact des événements, comprendre les empreintes traumatiques qu’ils laissent dans nos esprits, et contribuer à la mise en place de dispositifs permettant d’y remédier.
3 L’engagement des associations de victimes, le soutien actif de tous les partenaires et des autorités ainsi que l’écho médiatique massif et de grande qualité – alors même qu’aucun résultat n’était encore disponible –, ont donné à ce programme « hors norme » une dimension singulière. Quelque 1000 personnes se sont portées « volontaires » pour raconter leur 13 novembre 2015. À cette « Étude 1000 » est associée l’étude biomédicale Remember, étude longitudinale ancillaire se déroulant à Caen et concernant 180 de ces 1000 personnes. À l’aide d’une approche neuroscientifique (imagerie cérébrale, tests informatisés et questionnaires), cette étude a pour objectif d’analyser les mécanismes cérébraux de l’attention et de la mémoire. Par ailleurs, Santé publique France a engagé, en lien avec le programme, une étude épidémiologique de santé publique par web questionnaire auprès des personnes exposées. L’objectif est de mesurer l’impact psychotraumatique des attentats et d’étudier les dispositifs de soins qui ont été proposés. Près de 1400 personnes y ont répondu.
4 Ce point de vue qui fait suite à l’éditorial paru dans cette même revue en été 2016 [1] relate quelques moments de l’année qui s’est écoulée, au travers du prisme de personnels de la recherche impliqués dans sa réalisation.
Aux origines du programme
5Après les attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France à Saint-Denis, et à Paris sur les terrasses du Carillon, de la Bonne Bière, de la Belle Équipe, du Petit Cambodge, du Comptoir Voltaire, et au Bataclan, la sidération submerge la population et nous empêche de donner sens aux événements. Il semble pourtant impossible de rester sans ne rien faire…
6La communauté scientifique se mobilise le 18 novembre 2015 lors de l’appel d’Alain Fuchs, président du CNRS : « […] Cinq jours après le drame qui a frappé la France et passé le temps des déclarations solennelles, la communauté scientifique se voit une fois de plus renvoyée à l’essentiel : comprendre dans le détail et avec toute la profondeur nécessaire les phénomènes qui sont à l’œuvre aujourd’hui. Pour mieux les combattre, sans verser dans l’aveuglement qui est justement la marque de la terreur et de ses acteurs, et en utilisant ce que nous avons de meilleur : l’intelligence et les connaissances, acquises par l’étude, le recul et le regard de la recherche. […] C’est pourquoi je lance à l’ensemble de notre communauté académique un appel à propositions sur tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales, techniques, numériques. »
7Cet appel est notamment entendu par une équipe de chercheurs qui étudie les questions mémorielles des épisodes traumatiques de l’histoire, tels la Seconde Guerre mondiale et les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Sociologues, psychologues, informaticiens, mathématiciens, historiens et neuroscientifiques venant de toute la France travaillent ensemble pour comprendre les rapports entre mémoire individuelle et mémoire collective. Dans le cadre des Investissements d’avenir, il s’est agi alors, sous la responsabilité scientifique de l’historien Denis Peschanski, de mettre au point une plateforme technologique appelée Matrice (Memory analysis tools for research through international cooperation and experimentations).
8Cette plateforme leur permet de confronter les grands récits nationaux aux paroles de témoins et aux comportements des publics dans les mémoriaux. Ces chercheurs sont partis d’un postulat : pour appréhender pleinement la mémoire sociale, il faut comprendre comment fonctionne le cerveau humain, de même que pour analyser les dynamiques cérébrales de la mémoire, il faut prendre en compte l’apport des déterminants sociaux.
9 Le projet Matrice est devenu un programme lorsqu’il a été retenu dans la première vague des équipements d’excellence en 2011. La sélection par un jury international et la richesse des résultats déjà engrangés sont pour beaucoup dans la décision du Commissariat général à l’investissement de soutenir le programme 13-Novembre. Les questionnements étaient comparables, les responsables scientifiques, les mêmes et plusieurs partenaires clés avaient déjà l’expérience de ce travail en commun.
Le défi de la transdisciplinarité : construire un objet de recherche commun
10Dès janvier 2016, Francis Eustache et Denis Peschanski obtiennent des présidents respectifs le portage scientifique du CNRS et de l’Inserm. Plusieurs institutions répondent immédiatement. L’EPHE attribue le 1er février un poste de post-doctorante à l’U1077 (Inserm/EPHE/Unicaen). Carine Malle vient ainsi renforcer la branche caennaise de l’Equipex Matrice sous la direction de Francis Eustache et Pierre Gagnepain et elle travaille au côté de Florence Fraisse à l’élaboration du protocole de recherche Remember. Elles forment avec Carine Klein-Peschanski, à Paris, le noyau administratif initial de « montage de projet ».
11 Dans le même temps, un groupe restreint s’organise entre Paris et Caen pour élaborer une première version du projet, prendre contact avec les tutelles ministérielles et commencer à mettre au point le guide d’entretiens. Ils réunissent des chercheurs, organisent des groupes de travail – dans l’ordre de priorité des questions et thématiques à approfondir – et dessinent les grands axes de ce qui deviendra rapidement le Programme de recherche transdisciplinaire et longitudinal 13-Novembre. L’enjeu est de capter la dynamique d’une mémoire qui se construit, et son influence sur les individus comme sur la société dans son ensemble. Mais l’ambition des chercheurs est encore plus grande : au-delà du processus de construction de la mémoire, ils veulent étudier son évolution au fil du temps, pendant 12 ans, de 2016 à 2028.
12 La période de janvier à avril relève d’une suite intense et ininterrompue de réunions, de réflexions, de rédactions de documents – de concertations et de confrontations sur les hypothèses et les méthodologies respectives, une attention particulière est accordée à toutes les formulations – d’autres spécialistes rejoignent l’équipe, jusqu’à rassembler dix disciplines différentes. Ensemble, ils mettent au point une méthodologie de recherche commune, pour que chacun puisse trouver des réponses à ses questions, mais aussi et surtout pour croiser les interrogations. Tout est à inventer, ou presque. Le défi est de taille, car chaque discipline a ses propres méthodes de travail, ses objets de recherche, ses questions, ses contraintes… Des historiens, des sociologues, des anthropologues, un spécialiste des études quantitatives et qualitatives, et des médecins de santé publique relèvent le défi et posent les bases d’un programme qui regroupera cinq études complémentaires : cinq sources de données aussi riches que différentes.
Un programme, cinq études complémentaires
13L’étude centrale est nommée « Étude 1000 » : elle consiste à recueillir la parole de 1000 personnes volontaires touchées de près comme de loin par les attentats. La méthodologie particulière et novatrice repose sur trois questionnaires soumis aux volontaires et dont une majeure partie est filmée. En outre, cette étude se déroulera à quatre reprises, en 2016, 2018, 2021 et 2026.
14 Remember est une étude longitudinale en imagerie cérébrale, en neuropsychologie et en psychopathologie, des conséquences d’un événement traumatique. Le protocole de recherche biomédicale dont le promoteur est l’Inserm a reçu un avis favorable définitif du Comité de protection des personnes (CPP) Nord-Ouest III le 31 mai 2016 et a été autorisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) le 27 mai 2016. Cette étude inclura 180 personnes (120 sujets ayant été exposés aux attentats et ayant ou non développé un état de stress post-traumatique [ESPT] ; 60 sujets témoins non exposés). Les participants, tous issues de l’étude 1000, suivent un protocole en imagerie par résonance magnétique (IRM) anatomique et fonctionnelle au centre Cyceron, plateforme d’imagerie médicale dédiée à la recherche, ainsi que de diverses évaluations cognitives et psychopathologiques complémentaires ( figure 1 ). Ce projet capitalisera sur des données récentes montrant que les sujets sains sont capables d’empêcher la résurgence d’images non désirées à leur esprit en utilisant des mécanismes de contrôle inhibiteur et des techniques de suppression mnésique, altérant ainsi les traces mnésiques dans les régions perceptives du cerveau, leur vivacité et leur reviviscence ultérieure. Ces mécanismes de contrôle mnésique seraient particulièrement défaillants chez les patients présentant un ESPT.
Figure 1
Figure 1
Design expérimental de l’étude Remember. A. Un suivi longitudinal sur 5 ans. Le protocole de Remember comprend trois visites de suivi. La première visite (T1) a lieu au plus proche des attentats du 13 novembre 2015. La première inclusion a eu lieu en juin 2016, soit 7 mois après les attentats. B. Deux groupes d’étude. Deux groupes sont étudiés : i) un groupe de sujets dits « exposés » qui font partie du cercle 1 de l’étude 1000 qui sera ensuite divisé en deux sous-groupes, l’un comportant les sujets présentant un état de stress post-traumatique (ESPT + ) et l’autre ne présentant pas cet état (ESPT-), et ii) un groupe de sujets non exposés ou groupe témoin composé de sujets du cercle 4 Caennais de l’étude 1000. C. Planning-type de chaque visite de suivi (T1, T2 et T3). Chaque visite de suivi est composée de deux journées de tests. À l’exception de la visite médicale d’inclusion, qui vise à informer le sujet, vérifier les critères d’inclusion et de non-inclusion et recueillir le consentement éclairé, l’ordre des tests peut être modulé. L’évaluation psychopathologique comprend principalement un entretien et des questionnaires visant notamment à diagnostiquer la présence d’un état de stress post-traumatique. L’évaluation neuropsychologique consiste principalement en des tâches cognitives réalisées sur ordinateur et tablette. La session IRM comprend trois parties : i) avant l’IRM, une phase d’apprentissage de la tâche Think/No-Think (TNT), que le sujet devra accomplir dans l’IRM, ii) ensuite les acquisitions IRM (anatomiques et fonctionnelles) et iii) un débriefing post-IRM visant à recueillir le ressenti du participant.15 Ce protocole de recherche biomédicale permettra de comprendre pourquoi certains individus ayant vécu l’attaque du 13 novembre peuvent surmonter ce traumatisme et d’autres pas, ou tout du moins plus difficilement, en identifiant les marqueurs neurobiologiques structuraux et fonctionnels au sein du réseau de contrôle, prédictifs d’une telle résilience et leur évolution temporelle. Outre les répercussions mnésiques et psychopathologiques de ces déficits de contrôle, cette défaillance pourrait également s’accompagner de difficultés attentionnelles dont les effets, notamment sur le traitement des informations sociales et émotionnelles, sont mal connus. Pour mieux comprendre la nature de ces troubles associés, une batterie de tests neuropsychologiques est proposée afin d’évaluer l’identification des émotions faciales, l’inférence d’émotions chez autrui ou théorie de l’esprit, l’empathie, la mémoire épisodique et ses liens avec l’émotion et les fonctions exécutives et l’attention. Les données permettront non seulement de mieux connaître les troubles cognitifs des participants, notamment dans le domaine de la cognition sociale et du traitement des émotions, mais aussi, grâce à la dimension longitudinale de l’étude, de faire la part entre les conséquences de l’ESPT et les éventuels facteurs de risque de ce syndrome. De plus, cette cohorte singulière permettra, de façon particulièrement originale, de faire le lien entre des variables neuroscientifiques (cognitives et en imagerie cérébrale), psychopathologiques et sociohistoriques, qui plus est dans une perspective longitudinale.
16 Les volontaires de l’étude 1000 du cercle 1 (c’est-à-dire les personnes ayant été directement exposées aux attentats) sont informés de l’existence de l’étude Remember à la fin de la captation vidéo. Il ne s’agit pas de leur demander un accord pour prolonger leur participation, mais bien d’un accord pour être contactés par l’équipe de Caen afin que le protocole Remember leur soit expliqué par des neuropsychologues et si les critères d’inclusion et de non-inclusion sont vérifiés. Si le volontaire accepte de participer à l’étude Remember et les critères d’inclusion et de non-inclusion vérifiés, l’équipe organise avec lui sa venue et son séjour à Caen. La réalisation du protocole nécessite deux journées complètes.
17 Une troisième étude « ESPA 13 novembre : Étude de santé épidémiologique post-attentats du 13 novembre » est lancée par Santé publique France. Cette étude est pilotée par Philippe Pirard (Santé publique France), Yvon Motreff (Santé publique France) et Thierry Baubet (Paris XIII et hôpital Avicenne – CUMP 93). Avec le soutien des acteurs de terrain, institutionnels et associatifs, elle vise à estimer l’impact psychotraumatique de ces événements, à mieux connaître l’utilisation des dispositifs de soins proposés et à sensibiliser les personnes impliquées. Cette étude est mise en œuvre grâce à un questionnaire disponible par internet du 7 juillet au 10 novembre 2016. Les personnes concernées par l’enquête sont les personnes menacées ou visées par les terroristes, les témoins directs, les personnes endeuillées et proches des menacés, les professionnels et associatifs intervenus sur les lieux des attentats ou ayant porté secours aux victimes dans les suites immédiates. Cela recoupe exactement le cercle 1 de l’étude 1000, même si les modalités de recrutement des volontaires sont indépendantes. Au 10 novembre, près de 1400 de ces personnes ont rempli ce questionnaire.
18 Le quatrième axe de recherche se focalise sur l’étude de l’ensemble des marqueurs médiatiques de la mémoire collective telle qu’elle se construit au fil des années, grâce aux documents conservés par l’Institut national de l’audiovisuel (INA) : les journaux télévisés et radiodiffusés, les articles de presse, les réactions sur les réseaux sociaux, les textes et les images des commémorations, etc.
19 Enfin, une ultime source de données proviendra de l’enquête réalisée régulièrement par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) et aspirations des Français, en juin 2016 en face à face avec un panel représentatif de 2010 personnes participantes et en décembre 2016, par web questionnaire auprès d’un panel représentatif de 3000 personnes. Les équipes du programme 13-Novembre ont travaillé en partenariat avec le Credoc depuis janvier pour que soient insérées dans ce protocole d’enquête en place depuis 40 ans, 11 questions spécifiques à la mémorisation des attentats du 13-Novembre. Ces questions seront posées au moment de chaque captation.
Financer la recherche
20En parallèle du travail méthodologique, les responsables scientifiques du programme s’attèlent à trouver des financements dans les délais les plus courts possibles. L’Inserm, le CNRS et hautes écoles, Sorbonne, Arts et Métiers (héSam) Université deviennent les porteurs du programme. Au fur et à mesure, de nouveaux partenaires désirent contribuer à cet édifice, en fonction de leurs moyens. Parmi eux, l’INA et l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (Ecpad) pour les captations audiovisuelles, ou encore Le Parisien et France Culture côté médias.
21 Un programme scientifique et un dossier détaillant les besoins en financement et les apports de chacun des partenaires sur la période 2016-2028 sont déposés au Commissariat général à l’investissement le 10 mars 2016. Le 8 avril, le Premier ministre Manuel Valls, tutelle du CGI, accorde « une dotation complémentaire au projet “Matrice” d’un montant de deux millions d’euros de crédits consommables. Cette dotation vise à permettre le financement d’une phase initiale de déploiement d’un nouveau volet du projet Matrice, intitulé “13-Novembre” ». Le terme de cette phase initiale est fixé au 31 octobre 2017.
22 Le portage scientifique au plan institutionnel du volet « 13-Novembre » est assuré par le CNRS et l’Inserm. Ces établissements et héSam Université, partenaire coordinateur, mettront en place un comité scientifique de suivi qui s’assurera de la qualité scientifique du projet, notamment par un suivi régulier des réalisations.
23 L’Agence nationale de la recherche est opérateur pour ce programme et en informe Denis Peschanski et Francis Eustache le 15 avril : le programme est lancé. Le défi qui se présente alors à l’équipe restreinte et aux chercheurs consiste désormais à transformer le programme rédigé en une phase de réalisation et de mise en œuvre opérationnelle tant sur le plan scientifique que sur le plan organisationnel !
Du projet à la réalité
24 La mise en œuvre concrète du programme commence sans attendre. L’équipe projet, composée d’un chef de projet, d’une assistante chargée de la coordination des plannings et d’une chargée de communication et des médias, est recrutée le 2 mai, et placée sous la direction des responsables scientifiques et de la secrétaire générale des programmes Matrice et 13-Novembre. Dans la foulée, une soixantaine de candidatures sont examinées et aboutissent à la mise en place sur plusieurs sites géographiques :
- d’une équipe de cinq médiateurs qui aura pour rôle clé le premier contact direct avec les potentiels participants et l’explication du programme dans toutes ses dimensions afin qu’aucun doute sur les modalités, les objectifs et le déroulement du programme ne subsiste du côté du public ;
- d’une équipe de 16 enquêteurs qui conduiront avec six titulaires (ingénieurs, maîtres de conférences et chercheurs) les entretiens avec les volontaires.
25En parallèle et en concertation, l’INA et l’ECPAD recrutent et forment les équipes techniques « images et sons » qui assureront en appui aux permanents des structures, toute la réalisation audiovisuelle, le montage, la sécurité, le stockage et l’archivage des entretiens. L’équipe projet travaille également à la modélisation et au développement de la plateforme collaborative de travail CoRe afin d’enregistrer de manière sécurisée toutes les coordonnées et données du programme et d’offrir à toutes les équipes un espace de travail commun en temps réel.
26 Au mois de mai, une médiation de terrain s’organise auprès des populations des quartiers visés par les attentats terroristes en coopération avec les mairies des Xe et XIe arrondissements de Paris. L’objectif est de faire connaître et d’expliquer, dans un premier temps sans médiatisation, le programme aux habitants, aux victimes directement exposées, aux associations de victimes et aux familles.
27 Du 10 au 20 mai, les premières captations audiovisuelles commencent à Caen avec des volontaires caennais issus pour certains de la base des volontaires sains de l’UMR 1077. Au total, 116 témoignages seront enregistrés par l’Ecpad. Parmi ces 116 témoins seront recrutés les sujets témoins de l’étude Remember.
28 Une conférence de presse est organisée le 13 juin 2016 : le CNRS, l’Inserm et Le Parisien annoncent le lancement officiel du programme 13-Novembre. L’objectif des 1000 entretiens semble alors bien difficile à atteindre. Cinq mois plus tard, la petite équipe de cinq personnes aura reçu plus de deux milliers d’appels et autant d’emails de toute la France et même de l’étranger ! Les médiateurs maintiennent leur présence sur le terrain au contact des habitants des quartiers touchés, grâce au soutien des mairies de Saint-Denis, des Xe et XIe arrondissements de Paris et des associations de victimes (Inavem, Life for Paris, 13ONZE15, PAV en particulier). Ils informent, fixent les rendez-vous pour les captations et assurent le suivi des volontaires. Le planning d’inscription et de tournage se remplit peu à peu et, les jours passant, une incroyable dynamique se met en place, qui mènera le programme au bout des objectifs fixés.
29 Entre le 20 juin et le 2 juillet, 79 habitants de Metz et ses alentours apportent leur témoignage. Le 7 juillet, le chiffre symbolique des 500 entretiens audiovisuels réalisés est atteint. L’équipe projet ouvre un studio à Saint-Denis avec l’Ecpad pour les deux dernières semaines du mois d’août. En septembre, l’unité de recherche Inserm 1061 prend à sa charge et met en œuvre à Montpellier une médiation et l’organisation de deux semaines d’enregistrements audiovisuels : du 4 au 14 octobre, les récits de 85 personnes viennent enrichir la cartographie des témoignages recueillis. L’objectif des 1000 entretiens devient réaliste !
30 Initialement, la durée moyenne d’un entretien était estimée entre 1 h 30 et 2 h. Force a été de constater que la moyenne de durée pour les participants du cercle 1 était plus proche de 2h30 à 3h. Jamais il n’est question de restreindre ce temps de parole qui est offert. La richesse même des entretiens met à l’épreuve toute l’organisation, mais grâce aux efforts de tous, tous les entretiens sont menés avec succès.
31 Ceux qui ont participé et se sont sentis en confiance diffusent l’information autour d’eux, et le nombre de personnes volontaires augmente. Le programme, qui devait prendre fin en septembre, se prolonge tout le mois d’octobre et jusqu’à mi-novembre. En tout, une dizaine de médiateurs, une trentaine d’enquêteurs, 50 permanents des institutions partenaires et plus de 50 techniciens se sont mobilisés pour mener des entretiens dans 14 studios répartis sur six villes, et produire plus de 1800 heures de tournage… Les chiffres du recrutement au sein de l’étude 1000 en date du 21 novembre 2016 sont détaillés dans la figure 2 .
Figure 2
Figure 2
L’étude 1000 en quelques chiffres. A. Nombre de participants par ville ou région. Au 21 novembre 2016, 915 participants ont été inclus dans l’étude 1000. Parmi eux, 635 ont témoigné en Île-de-France (IdF), 116 à Caen, 79 à Metz et 85 à Montpellier. B. Nombre de participants par cercle. Les 915 participants sont répartis dans les quatre cercles de la façon suivante : 356 participants du cercle 1, 137 participants du cercle 2, 148 participants du cercle 3 et 264 participants du cercle 4. C. Répartition globale hommes/femmes. Parmi les 915 participants, 369 sont des hommes et 536 sont des femmes.Préserver la confidentialité
32Parce que ces événements ont touché tout le monde, il s’agit d’une mobilisation sans précédent. Pour les volontaires, parce que cette démarche de prise de parole est difficile. Pour tous les professionnels impliqués dans la réalisation du programme, parce qu’il n’est jamais évident d’être confronté directement à des émotions aussi fortes. Les volontaires qui témoignent ne confient pas seulement un récit ou des données scientifiques, mais tout un pan de leur vie. Pour tous ceux qui contribuent à ce programme de recherche, il y a donc dès le début une exigence absolue : la confidentialité des données récoltées.
33 Ainsi, tous les personnels du programme ont signé des engagements de confidentialité. Un comité d’éthique a validé, un par un, chacun des processus de travail mis en application : de la manière dont les volontaires sont contactés au mode de traitement des données. Aucune information concernant les volontaires n’a jamais été communiquée aux médias. Et seuls les collaborateurs associés au programme 13-Novembre ont accès à l’ensemble des données recueillies.
34Ce travail de fond a été récompensé. Grâce à la confiance des volontaires, les entretiens sont d’une richesse incomparable. Mais au-delà de l’apport pour la recherche scientifique, ce que collectivement nous n’avions osé espérer est peu à peu arrivé alors même que notre protocole scientifique n’intègre pas, a priori, de visée thérapeutique : les nombreux retours positifs de volontaires attestent de ce que le programme leur apporte ; quelque chose qui relève notamment de la valeur cathartique du témoignage dans les conditions créées par le programme et les personnels engagés : un temps de parole libre, dans un environnement à part, et qui sera utilisé pour donner du sens. Sans doute cela est-il dû, d’abord, au changement de statut parmi les participants du cercle 1 : parce que devenant volontaire, il n’est plus simplement victime, il devient acteur d’un protocole de recherche qui vise à mieux comprendre, à mieux analyser et, de la sorte, à mettre à distance. Le 6 décembre 2016 le prix Pierre-Simon Éthique et société a été attribué au programme et à ses équipes.
Et ensuite ? Le traitement des données
35Aujourd’hui commence une nouvelle phase du programme. Une source exceptionnelle de données sur tous les aspects de la mémoire du 13 novembre 2015 a été rassemblée. Il s’agit désormais de la structurer, de l’analyser, et d’en tirer des conclusions ouvertes.
36 La première étape du traitement des données consistera à transcrire le son des entretiens audiovisuels pour que les spécialistes de la textométrie puissent les analyser, mais aussi tout simplement pour faciliter l’exploitation des 1000 entretiens. La totalité des entretiens audiovisuels est archivée sur des serveurs sécurisés selon les protocoles propres à l’INA, l’ensemble des données des questionnaires et les fichiers vidéo seront placés en base de données sans accès par réseau internet, pour que les scientifiques accrédités par le programme les consultent en toute sécurité et que la parole des volontaires soit maintenue dans sa confidentialité.
37 Et ensuite ? L’équipe de chercheurs responsable du programme poursuivra l’orchestration du travail scientifique : configurer de nouvelles équipes, redéfinir les moyens, répondre aux questions et permettre ainsi le retour vers les citoyens et la communauté scientifique. Parmi les questions scientifiques : comment les grands récits collectifs nourrissent-ils la mémoire individuelle ? Comment l’événement traumatique modifie-t-il les structures et le fonctionnement cérébraux ? Ou encore, quelle est l’influence des médias modernes sur la construction de la mémoire individuelle et de la mémoire collective ? Il s’agit maintenant, à la lumière des données collectées, de formuler des sujets de recherche précis, qui seront étudiés au sein des laboratoires et constitueront autant de projets de thèse et de post-doctorat. Mais à ce stade encore, avant même la prochaine série de captations, l’accompagnement de la recherche par les personnels dédiés sera indispensable à la mise en œuvre du programme [1].
Liens d’intérêts
38 Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Référence
- 1. Peschanski D., Eustache F.. « 13-Novembre », un programme de recherche inédit sur les mémoires traumatiques. Rev Neuropsychol 2016 ; 8 : 155-7.
Notes
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[1]
Pour suivre l’évolution du programme 13-Novembre, consulter le site www.memoire13novembre.fr.