Les différents stades de sommeil et leurs caractéristiques
1Le sommeil n’est pas un état physiologique unitaire mais regroupe différents stades caractérisés par une activité cérébrale à la fois électrophysiologique et neurochimique différente (figure 1). Le sommeil REM (rapid eye movement) ou sommeil paradoxal est caractérisé par une atonie musculaire, des mouvements oculaires rapides et une activité cérébrale intense, désynchronisée, proche de celle observée à l’éveil. Ce stade de sommeil s’oppose au sommeil NREM (non rapid eye movement), qui regroupe trois stades de profondeur croissante (le stade 1 n’est généralement pas inclus dans le sommeil NREM car il correspond plus à une phase d’endormissement). Le stade 2, également appelé sommeil lent léger, est le plus important en quantité au cours de la nuit (50 % du temps de sommeil). Sur le plan électrophysiologique, il est caractérisé par la présence de fuseaux de sommeil (ou « spindles »; bouffées d’activité de 12 à 16 Hz n’excédant pas une demi-seconde) et par de grandes ondes biphasiques appelées complexes K. Le sujet ne présente alors pas de mouvements oculaires et son tonus musculaire est faible. Les stades 3 et 4, regroupés sous le terme de sommeil lent profond, sont caractérisés par une activité corticale synchronisée composée d’ondes lentes, de grande amplitude (au minimum 75 μV) appelées ondes delta (1-4 Hz). Durant ces stades, les mouvements oculaires sont inexistants et le tonus musculaire faible. Sur le plan neurochimique, les niveaux d’acétylcholine, élevés à l’éveil, diminuent fortement en début de nuit (c’est-à-dire au cours du sommeil lent profond) pour remonter et dépasser les niveaux d’éveil lors du sommeil paradoxal. Les concentrations de noradrénaline diminuent entre la veille et le sommeil lent profond, pour atteindre des niveaux quasi nuls au cours du sommeil paradoxal. Enfin, les niveaux de sérotonine diminuent progressivement entre les trois états de vigilance [1]. Ces stades sont organisés en cycles de 90-100 minutes, comportant la succession de sommeil lent léger, puis de sommeil lent profond, et enfin de sommeil paradoxal. Le sommeil lent profond est plus abondant en première moitié de nuit, alors qu’en seconde partie de nuit la proportion de sommeil paradoxal augmente, alternant avec des épisodes de stade 2.
Rôle du sommeil dans la consolidation mnésique chez le jeune adulte
2La majorité des études sur les liens entre sommeil et mémoire a été réalisée chez le jeune adulte et s’est focalisée sur la mémoire procédurale et la mémoire épisodique (voir [2] pour une revue concernant également les autres systèmes de mémoire à long terme).
Sommeil et mémoire procédurale
3Le rôle du sommeil dans le processus de consolidation des souvenirs a été beaucoup étudié par le biais de privations de sommeil. Celles-ci peuvent être totales, partielles (privation de la première ou de la seconde moitié de la nuit, afin d’évaluer l’impact d’une privation de sommeil lent profond ou de sommeil paradoxal, respectivement) ou encore sélectives d’un stade de sommeil donné (l’expérimentateur réveille alors le sujet chaque fois qu’il voit apparaître sur le tracé EEG les signes caractéristiques du stade de sommeil visé). La méthode de privation partielle de sommeil a ainsi permis de montrer que le sommeil paradoxal était particulièrement impliqué dans la consolidation en mémoire procédurale. Ceci a été démontré aussi bien pour des épreuves évaluant les habiletés perceptivo-motrices (tâche de dessin en miroir), perceptives (tâche de discrimination de textures visuelles) et cognitives (épreuve de la tour de Hanoï ; [3] pour revue). D’autres études suggèrent que le sommeil lent profond et le stade 2 participeraient également à la consolidation des apprentissages procéduraux [2] (figure 2). Plus récemment, une étude pharmacologique a montré que la suppression de sommeil paradoxal, par administration d’un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, ne perturbait pas la consolidation d’une habileté perceptivo-motrice [4]. L’amélioration des performances au cours de la nuit était en revanche corrélée à la densité de fuseaux de sommeil, caractéristiques du stade 2 de sommeil. Bien qu’en apparente contradiction avec les résultats des études de privation de sommeil mentionnés ci-dessus, cette étude suggère que ce n’est pas le sommeil paradoxal per se qui est bénéfique à la consolidation mnésique mais plutôt certains phénomènes qui lui sont associés, tels que l’activité cholinergique ou l’expression de certains gènes impliqués dans la plasticité synaptique [4].
SP : sommeil paradoxal ; SLP : sommeil lent profond ; S2 : stade 2 ; Ach : acétylcholine.
Sommeil et mémoire épisodique
4Plusieurs études utilisant des tâches d’apprentissages de paires de mots, sémantiquement liés ou non, ont montré que le sommeil lent profond, qui prédomine en première partie de nuit, favorisait la consolidation de ce type d’apprentissage (pour revue voir [2]). Par la suite, l’intérêt des chercheurs s’est porté sur les fuseaux de sommeil. Les études montrent que la densité de fuseaux de sommeil augmente au cours de la nuit post-apprentissage, comparativement à une condition sans apprentissage. Par ailleurs, cette augmentation de la densité de fuseaux de sommeil est positivement corrélée non seulement aux performances mnésiques obtenues avant le coucher, suggérant l’existence d’un lien avec les capacités générales d’apprentissage, mais aussi à l’amélioration des performances après une nuit de sommeil, confirmant leur rôle dans la consolidation mnésique (pour revue voir [2]). L’ensemble de ces études indique donc que le sommeil lent (englobant les stades 2, 3 et 4) favorise la consolidation en mémoire épisodique (figure 2). Cependant, d’autres études ont rapporté des résultats plus ou moins discordants [2], mettant en lumière, par exemple, un effet bénéfique du sommeil paradoxal pour la consolidation de textes à valence émotionnelle [5], vraisemblablement lié à l’activation importante de l’amygdale durant ce stade de sommeil. De la même manière, grâce à une tâche consistant à mémoriser deux listes de mots, la position de chaque mot sur une feuille de papier et la liste d’appartenance, nous avons montré que le sommeil paradoxal favorisait la consolidation des aspects spatiaux et des détails phénoménologiques des souvenirs tandis que le sommeil lent profond était bénéfique aux aspects temporels [6].
5Depuis quelques années, les études sur les liens entre sommeil et mémoire se sont enrichies d’une nouvelle méthodologie : l’imagerie cérébrale fonctionnelle. Ainsi, dans une étude en tomographie par émission de positons, Peigneux et al. [7] ont montré que l’hippocampe, activé lors d’une tâche de navigation spatiale dans une ville virtuelle, était à nouveau activé au cours des épisodes de sommeil lent profond suivant l’apprentissage. De manière intéressante, plus l’hippocampe était réactivé au cours de la nuit, plus l’amélioration des performances le lendemain était importante.
6Plus récemment, lors d’une étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), Rasch et al. [8] ont utilisé une épreuve consistant à associer une image et une localisation spatiale. Au cours de la séance d’apprentissage, une odeur de rose était vaporisée dans la pièce. Les auteurs montrent que le fait de présenter à nouveau l’odeur au cours du sommeil lent profond permet d’améliorer significativement les performances des sujets. Aucune amélioration n’est observée si une odeur différente est vaporisée ou si l’odeur de rose est présentée pendant un épisode de sommeil paradoxal. Par ailleurs, la présentation de l’odeur au cours du sommeil lent profond induit une activation de l’hippocampe, à la base du mécanisme de consolidation au cours du sommeil.
7Tous ces travaux ont contribué à affiner un modèle de consolidation des souvenirs au cours du sommeil proposé pour des souvenirs déclaratifs [9] et largement inspiré du modèle standard de la consolidation mnésique [10]. Selon ce modèle, appelé le « dialogue hippocampo-néocortical », les traces mnésiques récemment acquises seraient réactivées au sein d’ensembles neuronaux hippocampiques lors des épisodes de sommeil lent profond puis transférées progressivement vers différentes aires néocorticales, pour un stockage à long terme. Ce transfert opérerait notamment grâce aux ondes lentes et aux fuseaux de sommeil [11]. Une étude utilisant la technique de stimulation électrique transcrânienne chez des sujets jeunes a montré que l’application au cours du sommeil de stimulations électriques indolores, au niveau frontal, à une fréquence mimant celle des ondes lentes endogènes favorise la consolidation en mémoire épisodique. Ce type de stimulation augmente la quantité d’ondes lentes et de fuseaux de sommeil, confortant le rôle de ces ondes dans le processus de consolidation des souvenirs [12]. Enfin, ce transfert ne peut opérer que si les niveaux d’acétylcholine et de cortisol sont réduits en début de nuit [11].
8L’existence d’un tel transfert des traces mnésiques vers le néocortex a été démontrée, et ce de manière plus importante chez des sujets ayant dormi après l’apprentissage comparés à des sujets privés de sommeil [13]. Ces derniers travaux soulignent également l’importance du cortex préfrontal, dans sa partie ventro-médiane, dans la récupération des souvenirs anciens (c’est-à-dire consolidés).
9Il convient de mentionner qu’une autre hypothèse, appelée « théorie de l’homéostasie synaptique », a été proposée par Tononi et Cirelli [14] pour expliquer le rôle du sommeil dans les processus d’apprentissage et de mémoire. Selon ce modèle, nos synapses sont au réveil à un certain niveau d’efficacité. À mesure que la journée avance, en raison des apprentissages auxquels nous sommes confrontés, l’efficacité de certaines synapses est augmentée. Un tel état de surrégime ne peut durer éternellement car il a un coût élevé en termes d’énergie et d’espace, et sature progressivement la capacité à apprendre de nouvelles informations. Selon Tononi et Cirelli [14], il y aurait au cours du sommeil à ondes lentes (c’est-à-dire sommeil lent profond) un recalibrage de l’activité des synapses, en gardant toutefois une trace des expériences passées, c’est-à-dire en maintenant une différence entre les synapses potentialisées et celles qui ne l’ont pas été. Cette théorie, comme celle du dialogue hippocampo-néocortical, attribue un rôle majeur au sommeil lent et aux ondes lentes dans le processus de consolidation. Elle est étayée par des études comportementales chez l’Homme montrant une augmentation locale de l’activité des ondes lentes au cours du sommeil après un apprentissage moteur, corrélée à l’amélioration des performances après la nuit de sommeil, mais également par des études moléculaires chez le rongeur montrant une potentialisation synaptique à l’éveil et une dépotentialisation durant le sommeil.
Liens entre sommeil et mémoire chez l’enfant et au cours du vieillissement normal
10La plupart des recherches sur la consolidation mnésique au cours du sommeil ont été réalisées auprès de jeunes étudiants. Les données dans d’autres populations telles que les enfants ou les sujets âgés sains sont moins nombreuses mais attirent, depuis quelques années, l’intérêt des chercheurs.
Sommeil et mémoire chez l’enfant et l’adolescent
11L’enfance est une période caractérisée par une plasticité cérébrale et comportementale extraordinaire, permettant l’acquisition d’une quantité très importante d’informations. Par ailleurs, le sommeil de l’enfant contient une très grande quantité de sommeil lent profond, qui décroît ensuite rapidement à l’âge adulte. Plus précisément, à la naissance et durant le premier mois de vie, l’on distingue deux types de sommeil : le sommeil calme et le sommeil agité, se succédant en cycles d’environ une heure. Progressivement, le rythme jour-nuit de 24 heures s’instaure sous l’influence de la lumière du jour et des stimulations de l’entourage et les caractéristiques de la structure du sommeil de l’adulte se mettent en place. Vers l’âge de 8 semaines apparaissent les premières ébauches de fuseaux de sommeil. Chez l’enfant entre 6 mois et 4 ans, le temps de sommeil diurne diminue tandis que le sommeil profond devient de plus en plus important la nuit. La durée des cycles de sommeil s’allonge progressivement pour atteindre les 90 minutes de l’adulte. Vers 6 mois apparaissent les premiers complexes K. Entre 4 et 12 ans, le temps total de sommeil diminue avec la disparition de la sieste. C’est une période où l’enfant est généralement très bon dormeur la nuit, avec un sommeil très profond, et très vigilant dans la journée. Le sommeil de l’adolescent est sous l’influence des contraintes scolaires et sociales. À cette période, on assiste souvent à un déséquilibre entre les besoins physiologiques en sommeil et la quantité réelle de sommeil qui aboutit à une privation chronique de sommeil et une somnolence au cours de la journée.
12Quelques études se sont intéressées aux liens entre sommeil et apprentissage/mémoire chez l’enfant, certaines d’entre elles montrant des résultats opposés à ceux classiquement rapportés chez l’adulte.
13Dans une étude réalisée chez des enfants de 6 à 8 ans, Wilhelm et al. [15] ont étudié la consolidation en mémoire procédurale, au moyen d’une épreuve de finger tapping (consistant à reproduire des séquences avec les doigts), et en mémoire épisodique par le biais d’une tâche consistant à mémoriser des objets dessinés sur des cartes et leur localisation ainsi qu’une tâche d’apprentissage de paires de mots. Pour les épreuves de mémoire épisodique, les performances des enfants sont significativement meilleures après un intervalle de rétention dominé par du sommeil, comparé à une période équivalente de veille diurne. Il n’existe en revanche aucune corrélation entre l’amélioration des performances au cours de la nuit et les stades de sommeil. De manière surprenante, et contrairement à ce qui est classiquement observé chez l’adulte, l’amélioration des performances à l’épreuve de finger tapping est plus importante après une période de veille qu’après une période de sommeil, suggérant qu’au cours du développement des aspects majeurs de la consolidation en mémoire procédurale ont lieu à l’éveil (figure 2). Dans la même veine, Fischer et al. [16] rapportent, dans une étude réalisée chez des enfants de 7 à 11 ans, une détérioration des performances lors de l’apprentissage implicite de séquences (tâche de temps de réaction sériel) au cours du sommeil chez l’enfant. Toutefois, l’absence d’amélioration des performances après une nuit de sommeil n’exclut pas nécessairement un effet bénéfique du sommeil sur le long terme. En effet, chez de jeunes oiseaux (diamant mandarin ou zebra finch) apprenant leur chant, les performances diminuent après les premiers épisodes de sommeil. Cependant, les oiseaux qui présentent la détérioration la plus importante des performances en début d’apprentissage parviennent, à l’issue des trois mois de suivi, à la meilleure imitation de chant [17]. Selon les auteurs, la réactivation des représentations du chant au cours du sommeil va, en l’absence de feedback sensoriel, rendre ces représentations fragiles mais potentiellement plus malléables. Ainsi, lors des sessions d’entraînement suivantes, les représentations du chant ne seraient pas encore trop figées, offrant d’importantes possibilités de « remodelage », d’ajustement de ce comportement. L’ensemble de ces données [16, 17] suggère d’une part que certains aspects de la consolidation des apprentissages implicites ont préférentiellement lieu à l’éveil chez l’enfant, et d’autre part que la consolidation mnésique n’est pas achevée à l’issue de la première nuit post-apprentissage.
14Backhaus et al. [18] montrent, quant à eux, une amélioration des performances en mémoire épisodique uniquement après une période de sommeil, qu’elle survienne juste après l’apprentissage ou de manière différée. Par ailleurs, les performances mnésiques des enfants (âgés de 9 à 12 ans) sont positivement corrélées à la quantité de sommeil NREM (stades 2, 3 et 4), mais négativement à la quantité de sommeil paradoxal, soulignant, comme chez l’adulte, le rôle du sommeil lent dans la consolidation en mémoire épisodique. Un effet bénéfique comparable du sommeil a également été observé lors de la consolidation d’images à valence émotionnelle [19] et chez des adolescentes lors d’une tâche d’apprentissage de vocabulaire [20] (figure 2).
15Pour résumer, le sommeil chez l’enfant favorise la consolidation en mémoire épisodique. Cet effet semble lié à la quantité très importante de sommeil lent durant cette période. En revanche, contrairement aux adultes, les enfants ne montrent pas de gain de performances au cours du sommeil pour des tâches procédurales ou implicites. Ce résultat est tout à fait surprenant dans la mesure où les structures neuro-anatomiques sous-tendant ces types d’apprentissages sont matures bien avant celles impliquées dans la mémoire déclarative/épisodique. Ces résultats suggèrent que des aspects de la consolidation en mémoire procédurale et implicite ont lieu préférentiellement à l’éveil chez l’enfant.
Sommeil et mémoire au cours du vieillissement
16Au cours du vieillissement, plusieurs modifications physiologiques concernant le sommeil, le fonctionnement, la neurochimie et l’anatomie du cerveau peuvent avoir un impact négatif sur la consolidation des souvenirs au cours du sommeil (pour revue voir [3]).
17De manière générale, les personnes âgées se plaignent de difficultés à maintenir un sommeil nocturne, d’un sommeil non réparateur, d’un réveil matinal précoce et d’une tendance à somnoler au cours de la journée. Ces plaintes sont objectivées par des modifications de l’enregistrement polysomnographique. Ainsi, le sommeil du sujet âgé est plus fragmenté (augmentation du nombre de transitions entre les stades de sommeil, reflétant des difficultés à maintenir un stade de sommeil donné). L’enregistrement montre également une augmentation du nombre et/ou de la durée des phases d’éveil au cours de la nuit. L’efficacité de sommeil (rapport entre le temps passé à dormir et le temps passé au lit) diminue, devenant inférieure à 80 %. La quantité de sommeil lent profond diminue très nettement, dès la trentaine, au profit du stade 1. Les analyses quantifiées des tracés électro-encéphalographiques montrent que les ondes lentes delta (1-4 Hz), caractéristiques du sommeil lent profond, sont moins nombreuses et d’amplitude réduite. Par ailleurs, il existe également des modifications des fuseaux de sommeil et des complexes K, ondes typiquement observées lors du stade 2, qui sont moins nombreuses, moins bien formées et d’amplitude ou de fréquence réduite. Enfin, le sommeil paradoxal ne serait affecté qu’à partir de 50 ans et de manière moindre que le sommeil lent profond. Les modifications se traduisent surtout par le fait que la durée des épisodes reste constante alors qu’elle augmente au fil de la nuit chez le sujet jeune, une réduction de la latence d’apparition de ce stade de sommeil (50 à 60 min vs 90 minutes chez le sujet jeune) et une diminution de la densité des mouvements oculaires rapides [3].
18Plusieurs arguments suggèrent une altération du processus de consolidation mnésique au cours du sommeil. Tout d’abord, les sujets âgés se plaignent de leur mémoire et en particulier de leur mémoire épisodique qui bénéficie du sommeil lent profond dont la quantité est très fortement réduite chez ces personnes. De plus, le vieillissement s’accompagne de changements dans l’activité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien conduisant, de manière très schématique, à une augmentation des niveaux de cortisol en début de nuit susceptible d’interférer avec le processus de consolidation mnésique [21]. Par ailleurs, il a été montré que les niveaux d’acétylcholine diminuent au cours du vieillissement [22]. Ceci n’aurait pas de conséquence sur la consolidation en mémoire épisodique, à condition que l’encodage, qui lui nécessite des niveaux élevés d’acétylcholine, soit bien réalisé, mais pourrait avoir un impact négatif sur la consolidation d’apprentissages procéduraux au cours du sommeil paradoxal.
19Enfin, les études d’imagerie cérébrale chez le sujet jeune ont souligné l’importance du cortex préfrontal dans la récupération des souvenirs consolidés. Or, le cortex préfrontal est l’une des régions les plus sensibles aux effets de l’âge, tant sur le plan structural que sur le plan fonctionnel [23], et l’une des régions principales impliquée dans la génération des ondes lentes.
20Les premiers travaux réalisés auprès d’une population de sujets âgés ont mis en évidence des corrélations entre les performances mnésiques obtenues lors d’une épreuve de mémoire épisodique et la durée moyenne des cycles de sommeil, soulignant l’importance de l’architecture d’une nuit de sommeil pour le bon fonctionnement de la mémoire. Aucun lien avec la quantité de sommeil lent profond ou de sommeil paradoxal n’est rapporté [3]. Plus récemment, Hornung et al. [24] ont évalué l’effet de différentes manipulations visant à augmenter ou à supprimer la quantité de sommeil paradoxal sur la consolidation en mémoire épisodique et en mémoire procédurale. La suppression de sommeil paradoxal était réalisée grâce à une privation sélective de ce stade de sommeil. L’augmentation était soit « physiologique », liée au classique phénomène de rebond après une privation sélective de sommeil paradoxal, soit pharmacologique (administration d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase [5 mg de donépézil avant le coucher)]). Ces différentes manipulations n’ont aucun effet sur la consolidation en mémoire épisodique. En revanche, l’amélioration des performances à l’épreuve de mémoire procédurale était plus importante dans le groupe ayant bénéficié de l’augmentation pharmacologique de sommeil paradoxal. Ces résultats suggèrent que l’activation cholinergique associée au sommeil paradoxal, plus que le stade de sommeil en lui-même, serait déterminante pour la consolidation mnésique (figure 2).
21Une autre étude réalisée chez des sujets jeunes et des sujets cinquantenaires a démontré l’existence de troubles de la consolidation en mémoire épisodique au cours du sommeil chez les sujets cinquantenaires, corrélés à la quantité de sommeil lent profond [25]. Ces résultats ont été en partie répliqués par Aly et Moscovitch [26] dans une étude évaluant la mémorisation d’histoires et d’événements personnels après une période de sommeil ou d’éveil. Les auteurs mettent en évidence un effet bénéfique du sommeil sur la consolidation mnésique, et une corrélation entre l’amélioration des performances et le nombre d’heures passées à dormir au cours de la nuit (figure 2).
22Seules deux études se sont intéressées à la consolidation d’apprentissages procéduraux/implicites chez le sujet âgé. Ainsi, Spencer et al. [27] n’observent pas d’amélioration des performances lors d’une tâche d’apprentissage de séquences après une nuit de sommeil, quelle que soit la condition d’apprentissage (implicite ou explicite), suggérant une altération du processus de consolidation en mémoire procédurale au cours du vieillissement. L’étude de Peters et al. [28] utilisant la tâche du rotor test, montre une amélioration des performances après un délai d’une semaine, inférieure chez les sujets âgés comparés à des sujets jeunes. Par ailleurs, la densité de fuseaux de sommeil augmente après l’acquisition chez les sujets jeunes et est corrélée aux performances uniquement dans ce groupe de sujets, suggérant là encore une altération des liens entre sommeil et mémoire chez le sujet âgé.
23Pour résumer, les études réalisées chez le sujet âgé sain montrent une altération du processus de consolidation en mémoire épisodique, à mettre en relation avec la réduction majeure de la quantité de sommeil lent profond. Pour les apprentissages procéduraux, de plus amples investigations sont nécessaires mais le ralentissement dans la cinétique d’acquisition de ce type d’apprentissage pourrait être dû, outre les déficits de mémoire épisodique (fortement impliquée dans les premiers stades de l’apprentissage, voir par exemple [29]), à une réduction de l’activation cholinergique au cours du sommeil paradoxal.
Conclusion
24Les données de la littérature démontrent, grâce à des approches expérimentales différentes mais complémentaires, le rôle bénéfique du sommeil dans le processus de consolidation des souvenirs. Pour la mémoire épisodique, la consolidation opérerait principalement au cours du sommeil lent grâce à un dialogue transitoire entre l’hippocampe et le néocortex, permettant de transférer les traces mnésiques récemment acquises et encore fragiles vers des sites néocorticaux pour un stockage à long terme. Ce modèle semble également pertinent chez l’enfant et au cours du vieillissement. Pour la mémoire procédurale, les études n’ont pas encore permis d’aboutir à une modélisation aussi fine du processus. De plus, les liens entre sommeil et mémoire procédurale sont encore mal compris chez l’enfant. Au cours du vieillissement, la réduction de l’activation cholinergique pourrait expliquer l’atteinte du processus de consolidation. De plus amples investigations sont nécessaires pour avoir une meilleure compréhension des interactions, complexes mais aussi variables au fil de la vie, entre mémoire et sommeil. Les travaux soulignent également l’intérêt de prendre en charge les troubles du sommeil du sujet âgé, ceux-ci pouvant aggraver les déficits cognitifs déjà présents. Ceci est d’autant plus vrai qu’il existe aujourd’hui des traitements non pharmacologiques semblant avoir une certaine efficacité. Ainsi, dans une étude réalisée auprès de sujets âgés, Raymann et al. montrent qu’une élévation de la température corporelle de 0,4 ?C, sans modification de la température centrale, supprime les phases de veille nocturne, double presque la quantité de sommeil lent profond et diminue fortement la probabilité d’un réveil matinal précoce. Cette simple manipulation de la température corporelle améliore donc les troubles du sommeil typiquement associés au vieillissement [30]. Enfin, l’utilisation combinée de la lumière et de la mélatonine chez des patients en institution répondant, pour la majorité d’entre eux, aux critères diagnostiques de maladie d’Alzheimer, montre des effets bénéfiques sur les symptômes cognitifs (ralentissement du déclin évalué par le MMS), non cognitifs (diminution des symptômes dépressifs et de l’agitation, etc.) et sur la qualité du sommeil (augmentation de la durée et de l’efficacité du sommeil, réduction de la latence d’endormissement et de la fragmentation du sommeil) [31]. Ces derniers travaux ouvrent la voie pour le développement de nouvelles thérapeutiques visant à améliorer la qualité du sommeil mais également les performances mnésiques des sujets âgés.
25Conflits d’intérêts : Aucun.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : mémoire épisodique, mémoire procédurale, vieillissement, enfant, sommeil
Mise en ligne 15/11/2012
https://doi.org/10.1684/nrp.2011.0164