Notes
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[1]
« Il semble, en effet, que celui qui interroge soit poussé à son insu par la prévision de quelque événement futur, comme un homme qui ne s’aperçoit pas clairement des sensations de son œil et qui demande à un autre des éclaircissements pour compléter sa perception », De staticis experimentis, Opera Omnia, Bd V, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1983 ; traduction française in Œuvres choisies de Nicolas de Cues, traduction de M. de Gandillac, Paris, Aubier, 1942, p. 350.
-
[2]
Voir la mise au point de J. Jalabert sur l’emploi du terme « psychologie » dans la philosophie de Leibniz, « La psychologie de Leibniz. Ses caractères principaux », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 136, 1946.
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[3]
Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, VI, 6, pp. 53-54. Cette analyse, déjà présente dans le Discours de métaphysique, rejoint une analyse voisine menée par Hobbes (Léviathan, chapitre 8, traduction F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 71). Luc Foisneau y voit un argument en faveur d’une « origine hobbesienne de la théorie des petites perceptions » (« Identité personnelle et mortalité humaine, Hobbes, Locke, Leibniz », Archives de philosophie, 2004/1, p. 29).
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[4]
« […] il faut bien que je cesse de réfléchir sur toutes ces réflexions et qu’il y ait enfin quelque pensée qu’on laisse passer sans y penser ; autrement on demeurerait toujours sur la même chose », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 118.
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[5]
Éd. cit., p. 143.
-
[6]
Éd. cit., p. 139. La question de savoir si, contrairement à l’interprétation généralement admise, les animaux sont capables d’aperceptions est traitée longuement par M. Kulstad, Leibniz on Apperception, Consciousness, and Reflection, München, Hamden, Wien, Philosophia Verlag, 1991, pp. 30-39.
-
[7]
Éd. cit., p. 239.
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[8]
Éd. cit., p. 55. La même idée est reformulée plusieurs fois dans la suite de l’ouvrage : « […] l’avenir dans chaque substance a une parfaite liaison avec le passé, c’est ce qui fait l’identité de l’individu » (éd. cit., p. 114). Voir également : « Un être immatériel ou un esprit ne peut être dépouillé de toute perception de son existence passée. Il lui reste des impressions de tout ce qui lui est autrefois arrivé et il a même des pressentiments de tout ce qui lui arrivera ; mais ces sentiments sont le plus souvent trop petits pour pouvoir être distingués et pour qu’on s’en aperçoive, quoiqu’ils puissent peut-être se développer un jour » (éd. cit., p. 239). Elle est également formulée à l’article 22 de la Monadologie : « Et comme tout présent état d’une substance simple est naturellement une suite de son état précédent, tellement que le présent y est gros de l’avenir » (Principes de la nature et de la grâce, Monadologie, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 1996, p. 247) ainsi que dans les Essais de théodicée : « C’est une des règles de mon système de l’harmonie générale que le présent est gros de l’avenir, et que celui qui voit tout, voit dans ce qui est ce qui sera », article 360, éd. Brunschwicg, Paris, Flammarion, 1969, p. 329. A. Nita propose de classer les idées relatives au futur dans la classe des idées existant à titre de possibilités, par opposition aux idées actualisées (La Métaphysique du temps chez Leibniz et Kant, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 138).
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[9]
« L’état passager qui enveloppe et représente une multitude dans l’unité ou dans la substance simple n’est autre chose que ce qu’on appelle la Perception qu’on doit distinguer de l’aperception ou de la conscience […] », Monadologie, article 14, éd. cit., p. 245. Les Principes de la nature et de la grâce définissent la perception comme « état intérieur de la monade représentant les choses externes » (Principes de la nature et de la grâce, Monadologie, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 1996, p. 225).
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[10]
Article 56 de la Monadologie, éd. cit., p. 254.
-
[11]
Correspondance avec Arnauld, éd. G. Le Roy, Paris, Vrin, 1988, p. 181. Une définition analogue est proposée dans l’opuscule intitulé Quid sit idea : « Est dit exprimer une chose ce en quoi il y a des rapports qui répondent aux rapports de la chose à exprimer » (trad. F. de Buzon, in Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités, Paris, PUF, 1998, p. 445).
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[12]
L’impossibilité d’une mathématisation des petites perceptions est mise en évidence par Y. Belaval : « Ainsi, la perception est et ne peut être qu’existentielle. C’est pourquoi Leibniz semble s’égarer lorsqu’il la mathématise et que, conformément à son principe de continuité, il traite les petites perceptions en différentielles », « La perception », in Études leibniziennes, Paris, Gallimard, 1976, p. 157. À l’inverse, R. McRae voit dans les perceptions distinctes des « intégrales » de petites perceptions, Leibniz, Perception, Apperception, and Thought, University of Toronto Press, 1976, p. 60.
-
[13]
« […] les perceptions qui se trouvent ensemble dans une même âme en même temps, enveloppant une multitude véritablement infinie de petits sentiments indistinguables, que la suite doit développer, il ne faut point s’étonner de la variété de ce qui doit en résulter avec le temps », « Éclaircissement des difficultés que Mr Bayle a trouvées », in Système nouveau de la nature et de la communication des substances et autres textes, éd. Frémont, Paris, Flammarion, 1994, p. 143.
-
[14]
Monadologie, éd. cit., p. 245.
-
[15]
« Après cela j’ajouterais peu de chose, si je disais que ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense, et qui trompent le vulgaire par l’apparence d’une indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents entièrement de tourner (par exemple) à droite ou à gauche », Nouveaux Essais, éd. cit., pp. 55-56.
-
[16]
« J’avoue cependant qu’il y a cette différence entre les instants et les points qu’un point de l’univers n’a point l’avantage de priorité de nature sur l’autre, au lieu que l’instant précédent a toujours l’avantage de priorité non seulement de temps, mais encore de nature sur l’instant suivant », Lettre à Bourguet, 5 août 1715, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, III, éd. Gerhardt, Berlin, 1887, pp. 581-582.
-
[17]
« Sleidan (dit-on) avant que de mourir oublia tout ce qu’il savait : et il y a quantité d’autres exemples de ce triste événement. Supposons qu’un tel homme rajeunisse et apprenne tout de nouveau, sera-ce un autre homme pour cela ? » (Nouveaux Essais, éd. cit., p. 114).
-
[18]
« Car tout est réglé dans les choses une fois pour toutes avec autant d’ordre et de correspondance qu’il est possible : la suprême sagesse et bonté ne pouvant agir qu’avec une parfaite harmonie. Le présent est gros de l’avenir : le futur se pourrait lire dans le passé ; l’éloigné est exprimé dans le prochain », Principes de la nature et de la grâce, éd. cit., p. 230.
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[19]
« […] le temps et le lieu (c’est-à-dire le rapport au dehors) nous servent à distinguer les choses, que nous ne distinguons pas bien par elles-mêmes », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 230.
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[20]
« On entend ici par traces des marques qui peuvent être immatérielles comme sont les rapports, les expressions, les représentations, les effets par lesquels on peut connaître quelque cause passée, ou les causes par lesquelles on peut connaître quelque effet futur. Et puisqu’il y a une grandissime quantité de variétés dans le présent état de l’âme qui connaît beaucoup de choses à la fois et en sent encore infiniment davantage, et que ces présentes variétés sont un effet de celles d’un état précédent et une cause de celles d’un état futur, on a cru les pouvoir appeler des traces du passé et du futur, dans lesquelles un esprit assez pénétrant pourrait reconnaître l’un et l’autre ; mais notre pénétration ne saurait aller si loin » (Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. Gerhardt, Berlin, 1880, pp. 551-552). Le caractère idéal des traces est également souligné dans la correspondance avec Clarke : « Je remarque enfin, que les traces des mobiles, qu’ils laissent quelques fois dans les immobiles sur lesquels ils exercent leur mouvement, ont donné à l’imagination des hommes l’occasion de se former cette idée, comme s’il restait encore quelque trace lors même qu’il n’y a aucune chose immobile, mais cela n’est qu’idéal, et porte seulement que, s’il y avait là quelque immobile, on l’y pourrait désigner. Et c’est cette Analogie qui fait qu’on s’imagine des places, des traces, des espaces, quoique ces choses ne consistent que dans la vérité des rapports, et nullement dans quelque réalité absolue », Cinquième écrit à Clarke, Correspondance Leibniz-Clarke, éd. Robinet, Paris, PUF, 1957, p. 145. Le concept de trace (vestigium), désignant la position abandonnée par un mobile au cours de son mouvement, est utilisé par Leibniz dans ses projets de caractéristique géométrique pour définir certaines courbes (voir La Caractéristique géométrique, Paris, Vrin, 1995, p. 105).
-
[21]
Correspondance avec Arnauld, éd. cit., p. 112.
-
[22]
Ibid., p. 154.
-
[23]
Ibid., p. 160.
-
[24]
« […] il est plus dans l’ordre que ce qui causerait un mal, s’il était trop proche, cause quelque pressentiment du mal, lorsqu’il l’est un peu moins. Cependant j’avoue que ce pressentiment pourra être quelque chose de moins que la douleur, et ordinairement il en est ainsi », article 342, éd. cit., p. 318.
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[25]
« Ainsi les causes qui font agir le bâton (c’est-à-dire l’homme posté derrière le chien, qui se prépare à le frapper pendant qu’il mange, et tout ce qui dans le cours des corps contribue à y disposer cet homme) sont aussi représentées d’abord dans l’âme du chien exactement à la vérité, mais faiblement par des perceptions petites et confuses et sans aperception, c’est-à-dire sans que le chien le remarque, parce qu’aussi le corps du chien n’en est affecté qu’imperceptiblement », Extrait du dictionnaire de M. Bayle… avec mes remarques, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 532.
-
[26]
Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 546.
-
[27]
« Mais (dit M. Bayle) ne faudrait-il pas qu’elle connût (distinctement) la suite des notes, et y pensât (ainsi) actuellement ? Je réponds que non : il lui suffit de les avoir enveloppées dans ses pensées confuses, de la même manière que l’âme a mille choses dans la mémoire, sans y penser distinctement, autrement toute Entéléchie serait Dieu, si elle connaissait distinctement tout cet infini qu’elle enveloppe », « Réponse aux réflexions de Bayle », in Système nouveau de la nature et de la communication des substances et autres textes, éd. Frémont, Paris, Flammarion, 1994, p. 202.
-
[28]
Initia et specimina scientiae generalis (Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, VII, éd. Gerhardt, Berlin, 1890, p. 113), trad. A. L. Rey, in Aux sources de l’esthétique, sous la direction de J.-F. Goubet, G. Raulet, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 42.
-
[29]
« De remarquables compositeurs mêlent très souvent des dissonances aux consonances, afin d’exciter et pour ainsi dire d’aiguillonner l’auditeur ; et pour qu’il se réjouisse d’autant plus, une fois tout rentré dans l’ordre, qu’il s’était trouvé comme dans une attente anxieuse […] », De l’origine radicale des choses, Œuvres de Leibniz, trad. L. Prenant, Paris, Aubier Montaigne, 1972, p. 343.
-
[30]
« Cependant il arrive, quoique rarement, qu’on voit une personne en songe, avant que de la voir en chair et en os. Et on m’a assuré qu’une demoiselle d’une cour connue vit en songeant et dépeignit à ses amies celui qu’elle épousa depuis et la salle où les fiançailles se célébrèrent, ce qu’elle fit avant que d’avoir vu et connu ni l’homme ni le lieu. On l’attribuait à je ne sais quel pressentiment secret ; mais le hasard peut produire cet effet, puisqu’il est assez rare que cela arrive, outre que les images des songes étant un peu obscures, on a plus de liberté de les rapporter par après à quelques autres » (Nouveaux Essais, éd. cit., p. 445). Leibniz mentionne également le songe célèbre d’Alexandre ayant vu en rêve la plante capable de le guérir (op. cit., p. 256).
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[31]
Discours de métaphysique, article 33, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 2001, p. 211. Voir également la condamnation de la divination dans la préface des Essais de théodicée : « Je ne parle pas ici de ceux qui s’abandonnent à la fortune, parce qu’ils ont été heureux auparavant, comme s’il y avait là-dedans quelque chose de fixe. Leur raisonnement du passé à l’avenir est aussi peu fondé que les principes de l’astrologie et des autres divinations » (éd. cit., p. 32).
-
[32]
Scientia media, 1677, Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, VI, 4, B, p. 1373, je traduis. Voir J. Bouveresse, « Leibniz et le problème de la science moyenne », in Essais V, Descartes, Leibniz, Kant, Marseille, Agone, 2006, p. 225.
-
[33]
Correspondance avec Arnauld, éd. cit., p. 112.
-
[34]
« Éclaircissement des difficultés que Mr Bayle a trouvées », éd. cit., pp. 141-142. Voir également : « C’est donc proprement dans l’Entéléchie (dont ce point est le point de vue) que la spontanéité se trouve : et au lieu que le point ne peut avoir de soi que la tendance dans la droite qui touche cette Ligne, parce qu’il n’a point de mémoire, pour ainsi dire, ni de pressentiment, l’Entéléchie exprime la courbe préétablie même » (Réponse aux réflexions de Bayle, éd. cit., p. 196).
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[35]
« Nous avons une infinité de petites perceptions et que nous ne saurions distinguer : un grand bruit étourdissant, comme par exemple le murmure de tout un peuple assemblé est composé de tous les petits murmures de personnes particulières, qu’on ne remarquerait pas à part, mais dont on a pourtant un sentiment, autrement on ne sentirait point le tout », « Considérations sur la doctrine d’un esprit universel unique », in Système nouveau de la nature et autres textes, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 1994, p. 225.
-
[36]
« Car nous n’avons pas seulement une réminiscence de toutes nos pensées passées, mais encore un pressentiment de toutes nos pensées futures. Il est vrai que c’est confusément et sans les distinguer, à peu près comme lorsque j’entends le bruit de la mer, j’entends le bruit de toutes les vagues en particulier qui composent le bruit total ; quoique ce soit sans discerner une vague de l’autre », « Quelques remarques sur le livre de M. Lock intitulé Essay of understanding », Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, VI, 6, p. 6.
-
[37]
« Je crois cependant que ce qui est une fois arrivé à une âme lui est éternellement imprimé, quoique cela ne nous revienne pas toutes les fois à la mémoire, de même que nous savons plusieurs choses, dont nous ne nous ressouvenons pas toujours, à moins que quelque chose n’y donne occasion et nous y fasse penser », Lettre à Sophie de Hanovre, 1696, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, VII, éd. cit., p. 540.
-
[38]
« Car les sentiments présents sont une suite des sentiments précédents », Addition à l’explication du système nouveau touchant l’union de l’âme et du corps, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 573.
-
[39]
« Dans la perception distincte, il y a sous forme de pressentiment une anticipation des perceptions futures, qui se développeront dans la suite », J. Jalabert, art. cit., p. 462.
-
[40]
Cf. supra, note 4.
-
[41]
Voir par exemple : « […] appetitions and perceptions are not, for Leibniz, two kinds of modifications or passing states of the soul, but are the same modifications viewed differently », McRae, op. cit., p. 60.
-
[42]
« Vis autem derivativa est ipse status praesens dum tendit ad sequentem seu sequentem prae-involvi, uti praesens gravidum est futuro » (Lettre à De Volder, du 21 janvier 1704, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, II, éd. Gerhardt, Berlin, 1879, p. 262).
-
[43]
« Et quant aux mouvements, ce qu’il y a de réel, est la force ou la puissance, c’est-à-dire ce qu’il y a de l’état présent qui porte avec soi un changement pour l’avenir » (« Éclaircissements des difficultés que Mr Bayle a trouvées », éd. cit., p. 144).
-
[44]
« Une perception ne saurait venir naturellement que d’une autre perception, comme un mouvement ne peut venir naturellement que d’un mouvement », Monadologie, art. 23, éd. cit., pp. 247-248. Voir également : « Dans l’âme, les représentations des causes sont les causes des représentations des effets », Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 533 ; « Car chaque perception précédente a de l’influence sur les suivantes, conformément à une loi d’ordre qui est dans les perceptions comme dans les mouvements », « Éclaircissements des difficultés que Mr Bayle a trouvées », éd. cit., p. 143.
-
[45]
« La notion complète d’Adam comprend tout ce qu’il percevra – “tout ce qui lui arrivera, c’est-à-dire toutes les apparences ou expressions qu’il aura” –, mais il n’y a que l’Adam réel qui perçoive. Il perçoit en coexistence avec les autres monades créées. Entre l’Adam possible et l’Adam réel intervient, inintelligible pour nous, l’acte de création. Mais cette création n’ajoute pas la perception à quelque substance préexistante, comme le Dieu de Malebranche ajoute le mouvement à la matière qu’il vient de créer. Avec sa qualité sensible de confus existentiel, la perception et l’appétit sont analytiquement nécessaires à toute monade créée, de cela seul qu’elle est créée et concréée avec les autres. Par conséquent, on ne doit pas imaginer derrière la perception sensible une perception monadique qui la fonde. Même après la mort, même dans l’autre monde, la perception reste aussi inséparable de la monade créée que l’âme l’est du corps, selon Leibniz fidèle sur ce point à la dogmatique chrétienne inspirée d’Aristote. Il n’y a qu’une perception » (Y. Belaval, art. cit., p. 156).
-
[46]
« Nous avons dans l’esprit toutes ces formes, et même de tout temps, parce que l’esprit exprime toujours toutes ses pensées futures, et pense déjà confusément à tout ce qu’il pensera jamais distinctement. Et rien ne nous saurait être appris, dont nous n’ayons déjà dans l’esprit l’idée qui est comme la matière dont cette pensée se forme […] Ce qui fait voir que notre âme sait tout cela virtuellement, et n’a besoin que d’animadversion pour connaître les vérités, et, par conséquent, qu’elle a au moins ses idées dont ces vérités dépendent. On peut même dire qu’elle possède déjà ces vérités, quand on les prend pour les rapports des idées » (Discours de métaphysique, éd. cit., p. 241).
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[47]
« L’état de l’âme, comme de l’atome, est un état de changement, une tendance : l’atome tend à changer de lieu, l’âme à changer de pensée ; l’un et l’autre de soi change de la manière la plus simple et la plus uniforme, que son état permet » (« Réponse aux réflexions de Bayle », éd. cit., p. 200).
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[48]
« Dans ce sens on doit dire que toute l’arithmétique et toute la géométrie sont innées et sont en nous d’une manière virtuelle […] », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 77.
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[49]
« Et c’est ainsi que les idées et les vérités nous sont innées, comme des inclinations, des dispositions, des habitudes ou des virtualités naturelles, et non pas comme des actions, quoique ces virtualités soient toujours accompagnées de quelques actions souvent insensibles qui y répondent », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 52.
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[50]
Leibniz observe qu’à la différence de la sphère, le cube comporte des « points distingués » (ses coins et ses arêtes). Il s’agit d’une propriété de nature topologique, qui doit se conserver et s’exprimer dans la perception du cube, quelle qu’en soit la nature (tactile ou visuelle). D’un point de vue mathématique, les points singuliers du cube sont compris dans son équation, et il y a donc parfaite continuité entre eux et tous les points voisins. Dans la perception du cube, les points distingués correspondront à des perceptions distinctes se détachant sur un fond de perceptions confuses. Voir Nouveaux Essais, éd. cit., p. 137.
1Comme F. Vengeon l’a montré dans sa thèse, Nicolas de Cues voit dans « l’art pondéral » la possibilité d’une explication rationnelle de l’art de la divination. Le succès de certaines prophéties repose en effet sur la capacité du devin à distinguer, chez celui qui l’interroge, une prévision du futur qu’il réalise à son insu [1]. La perception du futur fait également, dans le cadre de la théorie des petites perceptions, l’objet d’une rationalisation de la part de Leibniz. Cette théorie est d’abord une théorie métaphysique. Son intérêt tient cependant à son utilisation dans l’analyse d’expériences « psychologiques » [2]. L’objectif de cet article est de montrer que, parmi ces expériences, l’anticipation de perceptions futures porte à son point extrême la tension entre les déterminations métaphysique et psychologique du concept de petite perception.
I – Les expériences perceptives
2La « théorie des petites perceptions » renvoie à une série d’expériences perceptives. Les plus connues sont trois expériences auditives rassemblées dans la préface des Nouveaux Essais sur l’entendement humain. La première est celle d’une prise de conscience différée. Un bruit auquel on est accoutumé n’est pas assez puissant pour attirer notre attention mais, si quelqu’un nous en avertit, se produit une aperception a posteriori. La deuxième expérience, présentée comme supérieure à la première, est celle de la perception du bruit de la mer à partir du rivage, perception paradoxale puisque constituée d’un agrégat de bruits trop faibles pour être distingués [3]. Une troisième expérience est celle du réveil provoqué par une perception sonore.
3Dans les trois cas, la démarche de Leibniz consiste à invoquer une expérience perceptive ordinaire afin de prouver l’existence de ses réquisits, de ses « ingrédients », qui sont également ses conditions de possibilité et qui sont, précisément, des petites perceptions. Dans le cours du dialogue entre Théophile et Philalèthe, d’autres preuves de leur existence se succèdent : l’impossibilité d’une pensée intégralement distincte [4], la perception des couleurs [5], la perception animale [6], le souvenir des impressions passées [7].
4L’expérience psychologique symétrique inverse de la prise de conscience retardée est celle de l’anticipation d’une perception future, éventualité présentée par Leibniz comme une des « conséquences » des petites perceptions :
On peut même dire qu’en conséquence de ces petites perceptions, le présent est gros de l’avenir et chargé du passé, que tout est conspirant (« sumpnoia panta », comme disait Hippocrate) et que dans la moindre des substances, des yeux aussi perçants que ceux de Dieu pourraient lire toute la suite des choses de l’univers [8].
6L’argumentation est ici très curieuse puisque Leibniz semble déduire la liaison entre le futur et le présent de l’existence des petites perceptions, alors qu’au contraire elle résulte, comme les petites perceptions elles-mêmes, des relations entre-expressives entre les monades.
II – La détermination métaphysique du concept
7Métaphysiquement parlant, l’existence de traces de l’avenir dans une substance est une conséquence de la définition de celle-ci comme « miroir vivant perpétuel de l’univers », pour employer une formule de la Monadologie. La perception, dont sont capables toutes les substances, doit dès lors être définie comme enveloppement d’une multitude dans l’unité [9] ou encore comme une expression :
Or cette liaison ou cet accommodement de toutes les choses créées à chacune et de chacune à toutes les autres, fait que chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et qu’elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de l’univers [10].
9Le terme « expression » reçoit ici un sens très technique, rigoureusement défini dans une lettre à Arnauld. Il désigne une correspondance entre deux séries, correspondance « aveugle » en tant qu’elle ne suppose aucune ressemblance entre les termes mais seulement une analogie entre les lois de progression immanentes à chacune des deux séries :
Une chose exprime une autre (dans mon langage) lorsqu’il y a un rapport constant et réglé entre ce qui peut se dire de l’une et de l’autre. C’est ainsi qu’une projection de perspective exprime son géométral. L’expression est commune à toutes les formes, et c’est un genre dont la perception naturelle, le sentiment animal et la connaissance intellectuelle sont les espèces [11].
11Les termes à exprimer étant infinis et infiniment complexes, la relation expressive doit se prolonger continûment dans l’infiniment petit, ce que permettent les petites perceptions. En particulier, celles-ci garantissent qu’à toute modification infiniment petite du corps réponde une modification, elle-même infiniment petite, de l’âme. Dans la mesure où cette correspondance doit demeurer exacte jusque dans le détail, elle ne fait pas intervenir (comme les différentielles dans le calcul leibnizien [12]) un infiniment petit indéterminé, mais un infiniment petit actuel parfaitement déterminé [13].
12Par ailleurs la détermination métaphysique de la perception comporte un volet affectif, l’appétition, selon la Monadologie, n’étant rien d’autre que la tendance conduisant d’une perception à une autre :
L’action du principe interne qui fait le changement ou le passage d’une perception à une autre peut être appelé appétition : il est vrai que l’appétit ne saurait toujours parvenir entièrement à toute la perception où il tend, mais il en obtient toujours quelque chose, et parvient à des perceptions nouvelles [14].
14La théorie des petites perceptions est donc adossée à une théorie des « petites inclinations » interdisant à l’âme de demeurer dans une indifférence d’équilibre [15].
III – La perception du futur
15Si une substance exprime « perpétuellement » le monde, elle en exprime la totalité historique, le temps n’étant rien d’autre qu’un ordre entre les choses successives ou encore entre les changements successifs des créatures. Cet ordre, à la différence de celui de l’espace, comporte une orientation univoque [16] ; néanmoins, à la faveur d’une fiction (contraire à l’ordre des choses), Leibniz suggère que l’inversion de son orientation ne changerait rien à l’identité des substances [17]. Les traces du futur ne sont donc pas plus irrationnelles que la perception de phénomènes éloignés dans l’espace. Le parallélisme des formules concernant le temps et l’espace dans le paragraphe 13 des Principes de la nature et de la grâce [18] met bien en évidence leur parenté. Le temps et l’espace apparaissent tous deux comme des conditions de possibilité du développement des apparences confuses [19]. L’emploi d’un même terme, « trace », pour le passé et l’avenir souligne, quant à lui, la symétrie métaphysique des catégories temporelles. En réponse à Bayle qui n’admet pas qu’une âme puisse renfermer des traces, Leibniz précise que celles-ci ne sont pas matérielles [20].
16Néanmoins, l’éventualité d’une lecture de ces traces et d’une perception du futur, à nos yeux totalement irrationnelles, constitue le point de tension majeure entre les déterminations métaphysiques et psychologiques de la théorie de la perception. Alors que les phénomènes d’aperception différée prouvent l’existence de petites perceptions relatives au passé, aucune donnée psychologique ne semble pouvoir corroborer l’existence de traces du futur dans la substance. Bien au contraire, l’expérience ordinaire incite à nier leur existence :
[…] quand on consulte l’expérience confuse qu’on a de sa notion individuelle en particulier, on n’a garde de s’apercevoir de cette liaison des événements ; mais quand on considère les notions générales et distinctes qui y entrent, on la trouve [21].
18En plusieurs circonstances Leibniz établit pourtant l’existence de « pressentiments » du futur. Arnauld pense pouvoir réfuter la relation expressive entre l’âme et le corps en montrant qu’avant de souffrir d’une piqûre l’âme ne peut pas connaître celle-ci [22]. Leibniz relève le défi de son interlocuteur et soutient que, précisément, l’âme en a le pressentiment :
Je ne dis pas que l’âme connaît la piqûre avant qu’elle ait le sentiment de douleur, si ce n’est comme elle connaît ou exprime confusément toutes choses suivant les principes déjà établis ; mais cette expression, bien qu’obscure et confuse, que l’âme a de l’avenir par avance est la cause véritable de ce qui lui arrivera et de la perception plus claire qu’elle aura par après, quand l’obscurité sera développée, l’état futur étant une suite du précédent [23].
20C’est à un pressentiment de ce type que fait référence l’analyse de la douleur dans les Essais de théodicée [24]. De même, en réponse à Bayle qui croit relever un paradoxe du système de l’harmonie préétablie, Leibniz explique qu’avant de recevoir un coup de bâton un chien en a une représentation confuse et la « prédisposition » [25], ou encore que la représentation d’une guêpe affecte l’âme d’un homme avant qu’il soit piqué mais que cette représentation reste insensible si une distraction l’empêche de prêter attention au bruit qu’elle fait en s’approchant [26]. Leibniz explique également à Bayle qu’une mélodie peut être présente virtuellement dans l’âme [27]. Pour rester dans le domaine musical, la musique fournit un « avant-goût » de l’harmonie [28] mais les dissonances provoquent un malaise qui est une attente de l’avenir [29]. Enfin, Leibniz évoque, sans prendre parti sur leur véracité, l’éventualité de songes prémonitoires [30].
21La difficulté ne tient donc pas à l’existence de phénomènes de perception du futur mais à leurs modalités en regard de celles des petites perceptions relatives au passé. La théorie des petites perceptions est-elle symétrique par rapport aux catégories temporelles ?
22Dans tous les cas évoqués plus haut Leibniz précise que les petites perceptions du futur ne sont que des « pressentiments confus » ou encore des « dispositions insensibles » et rejette d’un revers de main toute prétention humaine à une connaissance distincte du futur telle que la promet « l’art ridicule de la géomancie » [31]. Le déchiffrement des traces n’appartient qu’à Dieu. Or, comme l’indiquent les développements épistémologiques sur la « science moyenne », il ne faut pas se représenter la prescience divine comme une connaissance a posteriori du futur, en d’autres termes comme une « perception » des événements qui vont arriver. Dieu ne perçoit pas, il ne connaît pas les événements futurs comme une voyante qui contemplerait sa boule de cristal, il les connaît par leurs raisons, a priori :
En effet cette science divine ne consiste pas en une vision, ce qui constitue une connaissance imparfaite et a posteriori ; mais en une connaissance des causes et a priori [32].
24Ce type de connaissance est inaccessible à un esprit fini, de sorte que nul ne peut « lire » dans sa propre notion :
[…] quoiqu’il soit aisé de juger que le nombre des pieds du diamètre n’est pas enfermé dans la notion de la sphère en général, il n’est pas si aisé de juger si le voyage que j’ai dessein de faire est enfermé dans ma notion, autrement il nous serait aussi aisé d’être prophètes que d’être géomètres […]. Ces choses ne nous paraissent indéterminées que parce que les avances ou marques qui s’en trouvent dans notre substance ne sont pas reconnaissables à nous [33].
26Dans ce texte, il est remarquable que la confusion concerne indifféremment les perceptions relatives au futur et au passé. À Bayle qui refuse l’idée qu’une force connaisse la suite de ses actions, Leibniz rétorque :
Je réponds, que cette vertu, ou plutôt cette âme ou forme même, ne les connaît pas distinctement, mais qu’elle les sent confusément. Il y a en chaque substance des traces de tout ce qui lui est arrivé et de tout ce qui lui arrivera. Mais cette multitude infinie de perceptions nous empêche de les distinguer, comme lorsque j’entends un grand bruit confus de tout un peuple, je ne distingue point une voix de l’autre [34].
28Il est également remarquable que la perception confuse, du passé comme du futur, soit ici présentée comme analogue à la perception d’une clameur, bruit structurellement identique à celui de la mer [35]. Cette analogie tout comme le parallèle entre réminiscence et pressentiment [36] plaident en faveur d’une théorie des petites perceptions unifiée et symétrique par rapport aux déterminations temporelles.
29La dissymétrie apparente entre perception du passé et perception du futur tient au fait qu’en nous appuyant sur la mémoire (qui est, d’une certaine manière, une mémoire intégrale [37]), nous sommes portés à accorder aux perceptions relatives au passé un support psychologique constitué par nos perceptions antérieures, indépendant des « traces du passé » inscrites dans la substance. Un souvenir est interprété comme le résultat d’un ordre causal autonome dans lequel seule une perception est capable de produire une perception [38]. Mais, s’agissant des pressentiments du futur, pareil support psychologique semble faire défaut dans la mesure où il supposerait une causalité rétroactive des perceptions à venir sur les perceptions présentes. Nous sommes donc tentés de lier directement pressentiments et avant-goûts aux traces du futur présentes dans les substances de toute éternité. Mais il s’agit d’une fausse solution et il faut renoncer à cette liaison trop simple entre psychologie et métaphysique. Leibniz précise bien que les traces du futur sont idéales et illisibles en tant que telles, ce qui signifie que si l’esprit humain pouvait en prendre connaissance, ce ne serait pas par lecture directe mais précisément à travers une perception confuse, donc encore un faisceau de petites perceptions. Le concept métaphysique de « traces du futur » n’introduit donc pas de discontinuité dans l’ordre causal des perceptions.
30Une autre voie est envisageable pour conférer vraisemblance et pertinence psychologiques aux petites perceptions relatives au futur. Celles-ci peuvent s’inscrire, sans irrationalité, dans la logique immanente à la succession des perceptions, à condition de saisir celle-ci dans sa dynamique. L’application du principe de continuité à l’ordre des perceptions fait apparaître les pressentiments et les avant-goûts moins comme une anticipation du futur que comme le commencement d’une perception appelée à se développer ultérieurement sous l’effet d’une loi déjà bien présente et parfaitement déterminée. Ainsi le bruit qui nous réveille est-il perçu avant d’atteindre sa pleine intensité. Selon la manière de placer notre point de repère temporel, nous pouvons indifféremment interpréter une aperception comme résultat des petites perceptions antérieures, ou celles-ci comme une anticipation d’une aperception à venir [39]. Il s’agit de deux interprétations non contradictoires d’une seule et même dynamique. Une perception en effet n’est jamais isolée ni « arrêtée ». L’esprit ne peut jamais s’immobiliser sur une seule pensée, sauf à s’y immobiliser définitivement [40]. En vertu du principe de continuité, une perception est donc toujours enserrée dans une série comportant une phase initiale infiniment petite. Les commentateurs soulignent que la théorie des petites perceptions est aussi une théorie des petites inclinations [41], et c’est dans ce cadre que nous devons situer les expériences de perception du futur. Dans une lettre à De Volder où il applique la formule : « le présent est gros de l’avenir » aux forces dérivatives, Leibniz donne pour équivalentes les formules : « l’état présent en tant qu’il tend vers le suivant » et « l’état présent préenveloppe le suivant » [42]. Mais c’est dans la discussion avec Bayle que la dynamique de la perception s’exprime le plus clairement. Certaines formules laissent entendre que la notion même de force signifie, pour Leibniz, présence du futur dans le présent [43]. Une petite inclination n’est autre qu’une connaissance anticipée d’une perception à venir car c’est dans le mouvement vers le futur qu’on connaît le futur. Cette anticipation peut, selon les cas, coïncider ou non avec les traces du futur inscrites dans la substance, de la même manière qu’un souvenir peut ou non coïncider avec les traces du passé. Ces correspondances ponctuelles entre les deux séries ne supposent aucune interaction causale et préservent l’autonomie de la série des perceptions, dans laquelle la cause d’une perception est toujours une perception [44]. En d’autres termes, selon une formule d’Y. Belaval, il n’existe pas de « perception monadique » [45].
31Mais il existe également dans les esprits des petites perceptions sans indice temporel. C’est le cas des connaissances innées, présentes dans l’âme de toute éternité. Dans le Discours de métaphysique, l’innéité des principes est décrite comme une présence de pensées futures [46]. Une nouvelle fois, si les principes innés font naître des petites perceptions, ce n’est pas en tant que tels, mais en tant que petites inclinations conduisant d’une pensée à l’autre. Ces principes comportent une force d’entraînement capable de conduire d’une pensée A à la pensée B, selon une « trajectoire » bien déterminée [47]. Dans les Nouveaux Essais, Leibniz qualifie de virtuel leur mode de présence dans l’âme [48], mais Leibniz attache à toute virtualité un commencement d’actualisation et s’oppose ainsi aux puissances nues de la scolastique [49].
32Ce schéma de rationalisation s’applique aux pressentiments relatifs au futur proche. De la même manière qu’une substance exprime plus clairement la portion de l’univers qui lui est voisine, elle exprime moins confusément son avenir immédiat. Il ne s’accorde pas avec l’éventualité de rêves prémonitoires faisant intervenir un écart temporel anormalement long entre le début d’une perception et son développement. Cette éventualité supposerait que le commencement infiniment petit d’une perception future ne se développe pas immédiatement, soit en quelque sorte suspendu, pour donner lieu après coup à une reprise. Mais, comme nous l’avons noté, Leibniz ne se prononce pas nettement sur ce cas. À cette réserve près et en dépit de certaines évidences psychologiques trompeuses, le lien entre le présent et le futur est bien de même nature que celui entre le présent et le passé, et il est loisible de passer de l’un à l’autre par simple translation temporelle dans la série des perceptions. Les perceptions du futur sont indépendantes du futur, tout comme les souvenirs sont indépendants des traces du passé.
IV – Conclusion
33Toutes les expériences psychologiques mentionnées par Leibniz reposent sur un même fondement métaphysique, l’inhérence des prédicats dans des substances s’entre-exprimant les unes les autres. Toutefois, d’un point de vue psychologique, elles ne sont pas équivalentes. Les pressentiments du futur ne peuvent donner lieu à aucune forme de perception distincte parce qu’ils se réduisent aux petits commencements requis par l’application du principe de continuité à la série des perceptions. Ils ne se manifestent qu’à travers des perceptions trop petites pour être distinguées. Ils peuvent être indifféremment interprétés comme les anticipations de perceptions futures ou comme les causes de leur développement dans le temps.
34La principale difficulté soulevée par l’articulation entre la détermination métaphysique et la détermination psychologique de la théorie est dès lors la suivante. Comment une seule et même série de prédicats inhérents à une substance peut-elle correspondre à plusieurs séries de perceptions simultanées dotées chacune de sa logique et sa signification propres ? Il semble, en effet, qu’un bruit très faible puisse être la cause d’un bruit plus intense qui lui succède, mais non des autres bruits confus perçus simultanément. De même une pensée rationnelle A semble pouvoir être la cause d’une conclusion rationnelle B, mais non des autres perceptions confuses contemporaines de B. En d’autres termes, comment plusieurs séries de perceptions peuvent-elles cohabiter, se superposer, se répondre, tout en étant contenues dans une seule et même série de prédicats métaphysiques ?
35En réalité, cette pluralité de séries perceptives n’est qu’apparente. À chaque instant, une âme est parcourue par une infinité de perceptions, par une sorte de bruit de fond sur lequel l’attention isole des « points distingués », structurellement identiques aux points distingués qui permettent à l’aveugle-né recouvrant la vue de reconnaître le cube de Molyneux [50]. Mais cela ne suffit pas à faire de la succession de ces points une série cohérente et autonome. Entre deux points distingués, Leibniz montre que doivent s’intercaler une infinité d’intermédiaires confus dont aucun n’est distinguable. La confusion réside précisément dans l’impossibilité de singulariser des points. Une aperception consciente ne peut pas avoir pour seule cause une autre aperception consciente antérieure. Même entre les étapes d’un raisonnement parfaitement rationnel doivent s’intercaler des perceptions sensibles confuses.
36Il n’existe donc qu’une seule série de pensées comportant quelques « points distingués » (les aperceptions), compris sous la même loi de développement que les perceptions confuses. Dès lors l’esprit, par réflexion, peut reconstituer des séquences partielles, des « suites extraites », ne comportant que ces points distingués, mais il s’agit d’une reconstitution abstraite, tronquée, ne correspondant que très approximativement à la véritable loi de succession, à la véritable « raison » des pensées. De plus, plusieurs regroupements, plusieurs « séquençages », tant synchroniques que diachroniques, sont possibles, conférant des interprétations différentes à la même série.
Notes
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[1]
« Il semble, en effet, que celui qui interroge soit poussé à son insu par la prévision de quelque événement futur, comme un homme qui ne s’aperçoit pas clairement des sensations de son œil et qui demande à un autre des éclaircissements pour compléter sa perception », De staticis experimentis, Opera Omnia, Bd V, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1983 ; traduction française in Œuvres choisies de Nicolas de Cues, traduction de M. de Gandillac, Paris, Aubier, 1942, p. 350.
-
[2]
Voir la mise au point de J. Jalabert sur l’emploi du terme « psychologie » dans la philosophie de Leibniz, « La psychologie de Leibniz. Ses caractères principaux », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 136, 1946.
-
[3]
Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, VI, 6, pp. 53-54. Cette analyse, déjà présente dans le Discours de métaphysique, rejoint une analyse voisine menée par Hobbes (Léviathan, chapitre 8, traduction F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 71). Luc Foisneau y voit un argument en faveur d’une « origine hobbesienne de la théorie des petites perceptions » (« Identité personnelle et mortalité humaine, Hobbes, Locke, Leibniz », Archives de philosophie, 2004/1, p. 29).
-
[4]
« […] il faut bien que je cesse de réfléchir sur toutes ces réflexions et qu’il y ait enfin quelque pensée qu’on laisse passer sans y penser ; autrement on demeurerait toujours sur la même chose », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 118.
-
[5]
Éd. cit., p. 143.
-
[6]
Éd. cit., p. 139. La question de savoir si, contrairement à l’interprétation généralement admise, les animaux sont capables d’aperceptions est traitée longuement par M. Kulstad, Leibniz on Apperception, Consciousness, and Reflection, München, Hamden, Wien, Philosophia Verlag, 1991, pp. 30-39.
-
[7]
Éd. cit., p. 239.
-
[8]
Éd. cit., p. 55. La même idée est reformulée plusieurs fois dans la suite de l’ouvrage : « […] l’avenir dans chaque substance a une parfaite liaison avec le passé, c’est ce qui fait l’identité de l’individu » (éd. cit., p. 114). Voir également : « Un être immatériel ou un esprit ne peut être dépouillé de toute perception de son existence passée. Il lui reste des impressions de tout ce qui lui est autrefois arrivé et il a même des pressentiments de tout ce qui lui arrivera ; mais ces sentiments sont le plus souvent trop petits pour pouvoir être distingués et pour qu’on s’en aperçoive, quoiqu’ils puissent peut-être se développer un jour » (éd. cit., p. 239). Elle est également formulée à l’article 22 de la Monadologie : « Et comme tout présent état d’une substance simple est naturellement une suite de son état précédent, tellement que le présent y est gros de l’avenir » (Principes de la nature et de la grâce, Monadologie, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 1996, p. 247) ainsi que dans les Essais de théodicée : « C’est une des règles de mon système de l’harmonie générale que le présent est gros de l’avenir, et que celui qui voit tout, voit dans ce qui est ce qui sera », article 360, éd. Brunschwicg, Paris, Flammarion, 1969, p. 329. A. Nita propose de classer les idées relatives au futur dans la classe des idées existant à titre de possibilités, par opposition aux idées actualisées (La Métaphysique du temps chez Leibniz et Kant, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 138).
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[9]
« L’état passager qui enveloppe et représente une multitude dans l’unité ou dans la substance simple n’est autre chose que ce qu’on appelle la Perception qu’on doit distinguer de l’aperception ou de la conscience […] », Monadologie, article 14, éd. cit., p. 245. Les Principes de la nature et de la grâce définissent la perception comme « état intérieur de la monade représentant les choses externes » (Principes de la nature et de la grâce, Monadologie, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 1996, p. 225).
-
[10]
Article 56 de la Monadologie, éd. cit., p. 254.
-
[11]
Correspondance avec Arnauld, éd. G. Le Roy, Paris, Vrin, 1988, p. 181. Une définition analogue est proposée dans l’opuscule intitulé Quid sit idea : « Est dit exprimer une chose ce en quoi il y a des rapports qui répondent aux rapports de la chose à exprimer » (trad. F. de Buzon, in Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités, Paris, PUF, 1998, p. 445).
-
[12]
L’impossibilité d’une mathématisation des petites perceptions est mise en évidence par Y. Belaval : « Ainsi, la perception est et ne peut être qu’existentielle. C’est pourquoi Leibniz semble s’égarer lorsqu’il la mathématise et que, conformément à son principe de continuité, il traite les petites perceptions en différentielles », « La perception », in Études leibniziennes, Paris, Gallimard, 1976, p. 157. À l’inverse, R. McRae voit dans les perceptions distinctes des « intégrales » de petites perceptions, Leibniz, Perception, Apperception, and Thought, University of Toronto Press, 1976, p. 60.
-
[13]
« […] les perceptions qui se trouvent ensemble dans une même âme en même temps, enveloppant une multitude véritablement infinie de petits sentiments indistinguables, que la suite doit développer, il ne faut point s’étonner de la variété de ce qui doit en résulter avec le temps », « Éclaircissement des difficultés que Mr Bayle a trouvées », in Système nouveau de la nature et de la communication des substances et autres textes, éd. Frémont, Paris, Flammarion, 1994, p. 143.
-
[14]
Monadologie, éd. cit., p. 245.
-
[15]
« Après cela j’ajouterais peu de chose, si je disais que ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense, et qui trompent le vulgaire par l’apparence d’une indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents entièrement de tourner (par exemple) à droite ou à gauche », Nouveaux Essais, éd. cit., pp. 55-56.
-
[16]
« J’avoue cependant qu’il y a cette différence entre les instants et les points qu’un point de l’univers n’a point l’avantage de priorité de nature sur l’autre, au lieu que l’instant précédent a toujours l’avantage de priorité non seulement de temps, mais encore de nature sur l’instant suivant », Lettre à Bourguet, 5 août 1715, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, III, éd. Gerhardt, Berlin, 1887, pp. 581-582.
-
[17]
« Sleidan (dit-on) avant que de mourir oublia tout ce qu’il savait : et il y a quantité d’autres exemples de ce triste événement. Supposons qu’un tel homme rajeunisse et apprenne tout de nouveau, sera-ce un autre homme pour cela ? » (Nouveaux Essais, éd. cit., p. 114).
-
[18]
« Car tout est réglé dans les choses une fois pour toutes avec autant d’ordre et de correspondance qu’il est possible : la suprême sagesse et bonté ne pouvant agir qu’avec une parfaite harmonie. Le présent est gros de l’avenir : le futur se pourrait lire dans le passé ; l’éloigné est exprimé dans le prochain », Principes de la nature et de la grâce, éd. cit., p. 230.
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[19]
« […] le temps et le lieu (c’est-à-dire le rapport au dehors) nous servent à distinguer les choses, que nous ne distinguons pas bien par elles-mêmes », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 230.
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[20]
« On entend ici par traces des marques qui peuvent être immatérielles comme sont les rapports, les expressions, les représentations, les effets par lesquels on peut connaître quelque cause passée, ou les causes par lesquelles on peut connaître quelque effet futur. Et puisqu’il y a une grandissime quantité de variétés dans le présent état de l’âme qui connaît beaucoup de choses à la fois et en sent encore infiniment davantage, et que ces présentes variétés sont un effet de celles d’un état précédent et une cause de celles d’un état futur, on a cru les pouvoir appeler des traces du passé et du futur, dans lesquelles un esprit assez pénétrant pourrait reconnaître l’un et l’autre ; mais notre pénétration ne saurait aller si loin » (Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. Gerhardt, Berlin, 1880, pp. 551-552). Le caractère idéal des traces est également souligné dans la correspondance avec Clarke : « Je remarque enfin, que les traces des mobiles, qu’ils laissent quelques fois dans les immobiles sur lesquels ils exercent leur mouvement, ont donné à l’imagination des hommes l’occasion de se former cette idée, comme s’il restait encore quelque trace lors même qu’il n’y a aucune chose immobile, mais cela n’est qu’idéal, et porte seulement que, s’il y avait là quelque immobile, on l’y pourrait désigner. Et c’est cette Analogie qui fait qu’on s’imagine des places, des traces, des espaces, quoique ces choses ne consistent que dans la vérité des rapports, et nullement dans quelque réalité absolue », Cinquième écrit à Clarke, Correspondance Leibniz-Clarke, éd. Robinet, Paris, PUF, 1957, p. 145. Le concept de trace (vestigium), désignant la position abandonnée par un mobile au cours de son mouvement, est utilisé par Leibniz dans ses projets de caractéristique géométrique pour définir certaines courbes (voir La Caractéristique géométrique, Paris, Vrin, 1995, p. 105).
-
[21]
Correspondance avec Arnauld, éd. cit., p. 112.
-
[22]
Ibid., p. 154.
-
[23]
Ibid., p. 160.
-
[24]
« […] il est plus dans l’ordre que ce qui causerait un mal, s’il était trop proche, cause quelque pressentiment du mal, lorsqu’il l’est un peu moins. Cependant j’avoue que ce pressentiment pourra être quelque chose de moins que la douleur, et ordinairement il en est ainsi », article 342, éd. cit., p. 318.
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[25]
« Ainsi les causes qui font agir le bâton (c’est-à-dire l’homme posté derrière le chien, qui se prépare à le frapper pendant qu’il mange, et tout ce qui dans le cours des corps contribue à y disposer cet homme) sont aussi représentées d’abord dans l’âme du chien exactement à la vérité, mais faiblement par des perceptions petites et confuses et sans aperception, c’est-à-dire sans que le chien le remarque, parce qu’aussi le corps du chien n’en est affecté qu’imperceptiblement », Extrait du dictionnaire de M. Bayle… avec mes remarques, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 532.
-
[26]
Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 546.
-
[27]
« Mais (dit M. Bayle) ne faudrait-il pas qu’elle connût (distinctement) la suite des notes, et y pensât (ainsi) actuellement ? Je réponds que non : il lui suffit de les avoir enveloppées dans ses pensées confuses, de la même manière que l’âme a mille choses dans la mémoire, sans y penser distinctement, autrement toute Entéléchie serait Dieu, si elle connaissait distinctement tout cet infini qu’elle enveloppe », « Réponse aux réflexions de Bayle », in Système nouveau de la nature et de la communication des substances et autres textes, éd. Frémont, Paris, Flammarion, 1994, p. 202.
-
[28]
Initia et specimina scientiae generalis (Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, VII, éd. Gerhardt, Berlin, 1890, p. 113), trad. A. L. Rey, in Aux sources de l’esthétique, sous la direction de J.-F. Goubet, G. Raulet, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 42.
-
[29]
« De remarquables compositeurs mêlent très souvent des dissonances aux consonances, afin d’exciter et pour ainsi dire d’aiguillonner l’auditeur ; et pour qu’il se réjouisse d’autant plus, une fois tout rentré dans l’ordre, qu’il s’était trouvé comme dans une attente anxieuse […] », De l’origine radicale des choses, Œuvres de Leibniz, trad. L. Prenant, Paris, Aubier Montaigne, 1972, p. 343.
-
[30]
« Cependant il arrive, quoique rarement, qu’on voit une personne en songe, avant que de la voir en chair et en os. Et on m’a assuré qu’une demoiselle d’une cour connue vit en songeant et dépeignit à ses amies celui qu’elle épousa depuis et la salle où les fiançailles se célébrèrent, ce qu’elle fit avant que d’avoir vu et connu ni l’homme ni le lieu. On l’attribuait à je ne sais quel pressentiment secret ; mais le hasard peut produire cet effet, puisqu’il est assez rare que cela arrive, outre que les images des songes étant un peu obscures, on a plus de liberté de les rapporter par après à quelques autres » (Nouveaux Essais, éd. cit., p. 445). Leibniz mentionne également le songe célèbre d’Alexandre ayant vu en rêve la plante capable de le guérir (op. cit., p. 256).
-
[31]
Discours de métaphysique, article 33, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 2001, p. 211. Voir également la condamnation de la divination dans la préface des Essais de théodicée : « Je ne parle pas ici de ceux qui s’abandonnent à la fortune, parce qu’ils ont été heureux auparavant, comme s’il y avait là-dedans quelque chose de fixe. Leur raisonnement du passé à l’avenir est aussi peu fondé que les principes de l’astrologie et des autres divinations » (éd. cit., p. 32).
-
[32]
Scientia media, 1677, Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, VI, 4, B, p. 1373, je traduis. Voir J. Bouveresse, « Leibniz et le problème de la science moyenne », in Essais V, Descartes, Leibniz, Kant, Marseille, Agone, 2006, p. 225.
-
[33]
Correspondance avec Arnauld, éd. cit., p. 112.
-
[34]
« Éclaircissement des difficultés que Mr Bayle a trouvées », éd. cit., pp. 141-142. Voir également : « C’est donc proprement dans l’Entéléchie (dont ce point est le point de vue) que la spontanéité se trouve : et au lieu que le point ne peut avoir de soi que la tendance dans la droite qui touche cette Ligne, parce qu’il n’a point de mémoire, pour ainsi dire, ni de pressentiment, l’Entéléchie exprime la courbe préétablie même » (Réponse aux réflexions de Bayle, éd. cit., p. 196).
-
[35]
« Nous avons une infinité de petites perceptions et que nous ne saurions distinguer : un grand bruit étourdissant, comme par exemple le murmure de tout un peuple assemblé est composé de tous les petits murmures de personnes particulières, qu’on ne remarquerait pas à part, mais dont on a pourtant un sentiment, autrement on ne sentirait point le tout », « Considérations sur la doctrine d’un esprit universel unique », in Système nouveau de la nature et autres textes, éd. C. Frémont, Paris, Flammarion, 1994, p. 225.
-
[36]
« Car nous n’avons pas seulement une réminiscence de toutes nos pensées passées, mais encore un pressentiment de toutes nos pensées futures. Il est vrai que c’est confusément et sans les distinguer, à peu près comme lorsque j’entends le bruit de la mer, j’entends le bruit de toutes les vagues en particulier qui composent le bruit total ; quoique ce soit sans discerner une vague de l’autre », « Quelques remarques sur le livre de M. Lock intitulé Essay of understanding », Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, VI, 6, p. 6.
-
[37]
« Je crois cependant que ce qui est une fois arrivé à une âme lui est éternellement imprimé, quoique cela ne nous revienne pas toutes les fois à la mémoire, de même que nous savons plusieurs choses, dont nous ne nous ressouvenons pas toujours, à moins que quelque chose n’y donne occasion et nous y fasse penser », Lettre à Sophie de Hanovre, 1696, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, VII, éd. cit., p. 540.
-
[38]
« Car les sentiments présents sont une suite des sentiments précédents », Addition à l’explication du système nouveau touchant l’union de l’âme et du corps, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 573.
-
[39]
« Dans la perception distincte, il y a sous forme de pressentiment une anticipation des perceptions futures, qui se développeront dans la suite », J. Jalabert, art. cit., p. 462.
-
[40]
Cf. supra, note 4.
-
[41]
Voir par exemple : « […] appetitions and perceptions are not, for Leibniz, two kinds of modifications or passing states of the soul, but are the same modifications viewed differently », McRae, op. cit., p. 60.
-
[42]
« Vis autem derivativa est ipse status praesens dum tendit ad sequentem seu sequentem prae-involvi, uti praesens gravidum est futuro » (Lettre à De Volder, du 21 janvier 1704, Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, II, éd. Gerhardt, Berlin, 1879, p. 262).
-
[43]
« Et quant aux mouvements, ce qu’il y a de réel, est la force ou la puissance, c’est-à-dire ce qu’il y a de l’état présent qui porte avec soi un changement pour l’avenir » (« Éclaircissements des difficultés que Mr Bayle a trouvées », éd. cit., p. 144).
-
[44]
« Une perception ne saurait venir naturellement que d’une autre perception, comme un mouvement ne peut venir naturellement que d’un mouvement », Monadologie, art. 23, éd. cit., pp. 247-248. Voir également : « Dans l’âme, les représentations des causes sont les causes des représentations des effets », Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, IV, éd. cit., p. 533 ; « Car chaque perception précédente a de l’influence sur les suivantes, conformément à une loi d’ordre qui est dans les perceptions comme dans les mouvements », « Éclaircissements des difficultés que Mr Bayle a trouvées », éd. cit., p. 143.
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[45]
« La notion complète d’Adam comprend tout ce qu’il percevra – “tout ce qui lui arrivera, c’est-à-dire toutes les apparences ou expressions qu’il aura” –, mais il n’y a que l’Adam réel qui perçoive. Il perçoit en coexistence avec les autres monades créées. Entre l’Adam possible et l’Adam réel intervient, inintelligible pour nous, l’acte de création. Mais cette création n’ajoute pas la perception à quelque substance préexistante, comme le Dieu de Malebranche ajoute le mouvement à la matière qu’il vient de créer. Avec sa qualité sensible de confus existentiel, la perception et l’appétit sont analytiquement nécessaires à toute monade créée, de cela seul qu’elle est créée et concréée avec les autres. Par conséquent, on ne doit pas imaginer derrière la perception sensible une perception monadique qui la fonde. Même après la mort, même dans l’autre monde, la perception reste aussi inséparable de la monade créée que l’âme l’est du corps, selon Leibniz fidèle sur ce point à la dogmatique chrétienne inspirée d’Aristote. Il n’y a qu’une perception » (Y. Belaval, art. cit., p. 156).
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[46]
« Nous avons dans l’esprit toutes ces formes, et même de tout temps, parce que l’esprit exprime toujours toutes ses pensées futures, et pense déjà confusément à tout ce qu’il pensera jamais distinctement. Et rien ne nous saurait être appris, dont nous n’ayons déjà dans l’esprit l’idée qui est comme la matière dont cette pensée se forme […] Ce qui fait voir que notre âme sait tout cela virtuellement, et n’a besoin que d’animadversion pour connaître les vérités, et, par conséquent, qu’elle a au moins ses idées dont ces vérités dépendent. On peut même dire qu’elle possède déjà ces vérités, quand on les prend pour les rapports des idées » (Discours de métaphysique, éd. cit., p. 241).
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[47]
« L’état de l’âme, comme de l’atome, est un état de changement, une tendance : l’atome tend à changer de lieu, l’âme à changer de pensée ; l’un et l’autre de soi change de la manière la plus simple et la plus uniforme, que son état permet » (« Réponse aux réflexions de Bayle », éd. cit., p. 200).
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[48]
« Dans ce sens on doit dire que toute l’arithmétique et toute la géométrie sont innées et sont en nous d’une manière virtuelle […] », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 77.
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[49]
« Et c’est ainsi que les idées et les vérités nous sont innées, comme des inclinations, des dispositions, des habitudes ou des virtualités naturelles, et non pas comme des actions, quoique ces virtualités soient toujours accompagnées de quelques actions souvent insensibles qui y répondent », Nouveaux Essais, éd. cit., p. 52.
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[50]
Leibniz observe qu’à la différence de la sphère, le cube comporte des « points distingués » (ses coins et ses arêtes). Il s’agit d’une propriété de nature topologique, qui doit se conserver et s’exprimer dans la perception du cube, quelle qu’en soit la nature (tactile ou visuelle). D’un point de vue mathématique, les points singuliers du cube sont compris dans son équation, et il y a donc parfaite continuité entre eux et tous les points voisins. Dans la perception du cube, les points distingués correspondront à des perceptions distinctes se détachant sur un fond de perceptions confuses. Voir Nouveaux Essais, éd. cit., p. 137.