Couverture de RLC_338

Article de revue

Chroniques animales et problématiques postcoloniales

Pages 197 à 211

Notes

  • [1]
    Graham Huggan, The Post-Colonial Exotic : Marketing the Margins, Londres-New York, Routledge, 2001.
  • [2]
    « Nasci nesta casa », José Agualusa, O Vendedor de passados [2004], Lisbonne, Publicacões Dom Quixote, 2009, p. 13 ; Le Marchand de passés, traduction Cécile Lombard, Paris, Métailié, 2010, p. 11 [abrégés VP et MP]. Je tiens à remercier Rosa Maria Fréjaville pour son aide dans la lecture du texte portugais et pour toutes les vérifications qu’elle a bien voulu effectuer.
  • [3]
    Voir notamment Novela del coloquio de los perros (1613) de Miguel de Cervantès ou Die neusten Schicksale des Hundes Berganza (1814) d’E.T.A. Hoffmann.
  • [4]
    Philip Armstrong, « The Postcolonial Animal » www.animalsandsociety.org/assets/library/481_s10413.pdf consulté le 19 juillet 2010. Il s’appuie notamment sur l’ouvrage de M. Spiegel, The Dreaded Comparison : Human and Animal Slavery. New York, Mirror Books, 1996.
  • [5]
    Formule de Rachel Ertel, « La littérature de la Shoah », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007.
  • [6]
    Homi K Bhabha, The Location of Culture, Londres, Routledge, 1994. ; Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, traduction François Bouillot, Paris, Payot, 2007, p. 76-81.
  • [7]
    Voir l’ouvrage de Graham Huggan & Helen Tiffin, Postcolonial Ecocritcism. Literature, Animals, Environment, Londres-New York, Routledge, 2010, notamment p. 82-120 « Some versions of the postcolonial pastoral ».
  • [8]
    On pense au roman de Tristan Garcia, Mémoires de la jungle, Paris, Gallimard, 2010, où « je » est précisément un singe
  • [9]
    Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire, Paris, Armand Colin, 2004.
  • [10]
    Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, Paris, Seuil, 2006, p. 23 [Désormais abrégé MPE].
  • [11]
    Franz Kafka, Das Bau (1931) ; Le Terrier, traduction A. Vialatte, in La Muraille de Chine et autres récits, Paris, Gallimard, « Folio », 1975. Voir les analyses de Florence Godeau, Récits en souffrance, Paris, Kimé, 2001.
  • [12]
    « Ces animaux, comme enfantés par la pierre ou le mur, offrent l’évidence d’une altérité primordiale et fragile, que leur regard aveugle (au sens d’une fenêtre aveugle) concentre de manière emblématique et fascinante », Caroline Andriot-Saillant, « Le défi de la poésie du XX: Déchiffrer le regard du lézard », in Lucie Desblache (dir.), Écrire l’animal aujourd’hui, PU Blaise Pascal, 2006, p. 162
  • [13]
    Jacques Derrida, L’Animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006, p. 18. Derrida évoque la gêne que procure en lui la conscience de sa nudité face au regard de son chat. Contrairement au serpent biblique, simple instrument de la déchéance humaine, le chat apparaît comme un sujet doté d’une conscience morale.
  • [14]
    « Como um pequeno deus nocturno », « Eu vejo tudo », (VP 16, MP 14).
  • [15]
    « Pendurato do tecto, de cabeça para baixo », (VP 175, MP 98).
  • [16]
    « Colado às vidraças » ; « Deslizo ao longo delas como um ácaro na pele do hospedeiro » (VP 19, MP 15).
  • [17]
    « Trata-se de uma osga-tigre, ou osga tigrada, um animal tímmido, ainda pouco etudado » (VP 32, MP 23).
  • [18]
    « Náo tenho nome […] sou a osga » ; « Vou chamá-lo Eulálio, porque tem o verbo fácil » (VP 104 & 109, MP 61-62).
  • [19]
    David Bradshaw y voit une réincarnation de J.L. Borges, conteur et bibliophile comme F. Ventura, l’alter ego du gecko. Voir « Migration and Memory — From Forgetting to Storytelling », in Paulo de Medeiros (dir.), Postcolonial Theory and Lusophone Literatures, Utrecht Portuguese Studies Series, 2007, p. 14.
  • [20]
    « Mas perdoem-me a deriva ; é nisto que dá quando uma osga se põe a filosofar » (VP 75, MP 47).
  • [21]
    « Por imposição genética » (VP 137, MP 77) ; « espreitei o mundo » (VP 209, MP 121). « Espreitar » a le sens d’observer attentivement.
  • [22]
    « Decidi começar a escrever este diário, hoje mesmo, para persistir na ilusão de que alguém me escuta » (VP 229, MP 132).
  • [23]
    Patrice Nganang, Temps de chien, Paris, Le Serpent à plumes, 2001, p. 44 [abrégé TC].
  • [24]
    Günter Grass, Die Blechtrommel (1960), Le Tambour, traduction Jean Amsler, Paris, Seuil, « Points », 1980.
  • [25]
    « Je fouillais jusqu’aux profondeurs de ma propre nausée » (TC 83).
  • [26]
    Voir Florence Paravy, « Étranges narrateurs : stratégies énonciatives dans le roman d’Afrique francophone », in Béatrice Bijon et Yves Clavaron (dir.), La Production de l’étrangeté dans les littératures postcoloniales, Paris, Champion, 2009, p. 225-237.
  • [27]
    Voir M.-L. Mallet (dir.), L’Animal autobiographique, Paris, Galilée, 1999.
  • [28]
    J. Derrida, op. cit., p. 72.
  • [29]
    Le langage du chien Mboudjak est hybride : il aboie « de rire » (TC 33), son « indignation », son « amusement », sa « stupeur » (TC 60). Un de ses congénères lui aboie « un rire plein d’ironie » (TC 14).
  • [30]
    Voir les analyses de Homi K. Bhabha, « Le tiers-espace », entretien avec Jonathan Rutherford, in Multitudes, n° 26, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, p. 99.
  • [31]
    « Leurs gestes [des singes] me rappelaient ceux des humains, surtout lorsque ces anthropoïdes se distrayaient avec leurs crottes de nez, se grattaient les parties génitales, reniflaient par la suite leurs doigts avant d’exprimer aussitôt leur dégoût […] » (MPE 20).
  • [32]
    Voir l’article suivant http://www.afrik.com/article10564.html, consulté le 4 juin 2010.
  • [33]
    Les travaux de Val Plumwood sont cités par Graham Huggan & Helen Tiffin, Postcolonial Ecocritcism, op. cit., p. 5.
  • [34]
    Voir Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 298. Jean Baudrillard note cependant qu’il est paradoxal de faire de l’animal un modèle de déterritorialisation alors qu’il est par excellence l’être du territoire. Voir « Les bêtes, territoire et métamorphose », in Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1969, p. 203.
  • [35]
    « Também eu não sou o mesmo de ontem » (VP 75, MP 47).
  • [36]
    « Vivi quase um século vestindo a pele de um homem e também nunca me senti inteiramente humano » (VP 57-58, MP 35).
  • [37]
    « Troco com prazer a companhia das osgas e lagartos pelos longos solilóquios de Félix Ventura » (VP 58, MP 37).
  • [38]
    « Ele fala, e eu escuto » (VP 15, MP 13).
  • [39]
    Gilles Deleuze, Félix Guattari, op. cit., p. 299.
  • [40]
    « Seca e áspera, cor-de-rosa » (VP 16, MP 14).
  • [41]
    Par exemple, « Les hommes aiment cacher leur lâcheté derrière de brumeuses théories » (TC 148).
  • [42]
    Michel Surya, Humanimalités, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, p. 11-12.
  • [43]
    Voir Peter Hulme et Margaret Iversen (dir.), Cannibalism and the Colonial World, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [44]
    Voir Nick Fiddes, Meat : A Natural Symbol, Londres-New York, Routledge, 1992.
  • [45]
    G. Deleuze et F. Guattari évoquent des « animaux œdipiens », avec qui on peut « faire Œdipe », faire famille, mon petit chien, mon petit chat », op. cit., p. 285.
  • [46]
    « Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! », Baudelaire, Les Fleurs du mal, « L’Albatros » [1857].
  • [47]
    Voir Priyamvada Gopa, « Lire l’histoire subalterne », in Neil Lazarus (ed.), The Cambridge Companion to Literary Postcolonial Studies, 2004 ; traduction M. Groulez, Ch. Jacquet, H. Quiniou, Penser le postcolonial. Une introduction critique, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, p. 231.
  • [48]
    Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture, op. cit., p. 111.
  • [49]
    Ils sont les héros du roman No Longer at ease [1960], Londres, Heinemann, 1987.
  • [50]
    Edward Said, Orientalism. Western Conceptions of the Orient, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1978 ; L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, traduction Catherine Malamoud, [1980], Paris, Seuil, 2005.
  • [51]
    Elleke Boehmer, Colonial and Post-colonial Literature, Oxford, OUP, 1995, p. 103-104.
  • [52]
    Patrick Chamoiseau, L’Esclave vieil homme et le molosse, Paris, Gallimard, « Folio », 1997. Voir l’article de Lucie Desblache, « Signes du temps : animaux et visions du passé dans la fiction contemporaine », in L. Desblache (dir.), op. cit., p. 269-279.
  • [53]
    Graham Huggan, « “Greening” Postcolonialism : Ecocritical Perspectives », Modern Fiction Studies, 50 (3), 2004, p. 701-733. Selon Cheryl Glotfelty, l’« écocritique » ou l’« écologie littéraire » met l’accent sur l’urgence de la crise environnementale globale. Pour elle, l’écocritique est une approche centrée sur la terre qui étudie la relation entre la littérature et son environnement physique. Des liens plus forts restent à établir entre l’environnement et la question de la justice sociale. Cheryll Glotfelty, « Introduction : Literary Studies in an Age of Environmental Crisis », in Cheryll Glotfelty et Harold Fromm (dir.), The Ecocriticism Reader : Landmarks in Literary Ecology, Athens, University of Georgia Press, 1996, p. xv-xxxvii.
  • [54]
    Voir l’historien haïtien, Michel-Roph Trouillot, Silencing the Past. Power and Production of History, Boston, Beacon Press, 1995.
  • [55]
    « Com o futuro assegurado » ; « um bom passado, ancestrais ilustres » (VP 29, MP 21).
  • [56]
    « Assegure aos seus filhos um passado melhor » (VP 28, MP 20).
  • [57]
    « […] secretamente, como outros contrabandeiam cocaína » (id.).
  • [58]
    « Dói-me na alma um excesso de passado e de vazio » (VP 54, MP 34).
  • [59]
    « Fabrico sonhos, não sou um falsário » (VP 31) ; « Je fabrique des rêves. Je ne suis pas un faussaire » (MP 22).
  • [60]
    Le personnage, qui s’appelle en réalité Gouveia, est un Portugais qui a passé toute sa jeunesse en Angola avant d’en être chassé à l’indépendance. Dans le roman, court l’idée d’une mémoire « Atlantique » par la circulation des personnages entre Portugal, Afrique et Brésil.
  • [61]
    « A Vida Verdadeira de Um Combatente » (VP 165, MP 92). La démarche du ministre est l’inverse de celle de l’homme masqué qui demande un « passé humble » (« um passado humilde » VP 215, MP 125).
  • [62]
    Paul Ricœur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2000 p. 97 sq. Voir aussi Tzvetan Todorov, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995.
  • [63]
    « Tive muitos nomes, mas quero esquecê-los a todos » (VP 30, MP 22). La traduction de C. Lombard omet « todos », que l’on restitue donc.
  • [64]
    Cette analyse se retrouve dans le chapitre « Development » de l’ouvrage de Graham Huggan et Helen Tiffin, Postcolonial Ecocriticism, op. cit., p. 27 sq.

1 Comment sortir de l’horizon d’attente des littératures postcoloniales — souvent élaboré au prix d’un marketing efficace par les grands éditeurs européens — et de l’« exotisme anthropologique » promu comme canon des littératures africaines selon Graham Huggan [1] ? Trois écrivains ressortissants de pays de l’Afrique équatoriale, le Camerounais Patrice Nganang, l’Angolais José Agualusa et le Congolais Alain Mabanckou apportent une réponse, au moins sur la forme, à ce besoin de renouvellement, en mettant en scène des animaux dans leurs romans respectifs, Temps de chien, Le Marchand de passés (O Vendedor de passados) et Mémoires de porc-épic. Mieux, les animaux sont narrateurs autodiégétiques et revendiquent leur animalité à l’ouverture du roman — « Je suis un chien », dit Mboudjak ; « donc je ne suis qu’un animal, un animal de rien » concède le porc-épic anonyme — tandis que le gecko se contente d’affirmer : « Je suis né dans cette maison. » [2] Faire parler un chien dans une forme d’autobiographie canine n’est pas original, d’autres l’ont fait bien avant [3], mais choisir un gecko ou un porc-épic comme porte-parole est plus rare et participe à l’évidence d’une volonté d’africaniser le cadre et de recentrer le point de vue sur un autre continent. De même, donner la parole aux animaux se fait depuis Ésope et dans toutes les traditions orales, notamment les contes, mais cette pratique s’inscrit dans une stratégie familière à la littérature postcoloniale, qui vise à réinvestir une tradition orale longtemps bâillonnée par la colonisation tout en s’appropriant les genres littéraires occidentaux.

2 Une des marques de fabrique des études postcoloniales réside dans les interrogations sur le langage et la construction des discours, notamment l’idée que le langage ne représente pas seulement le monde, mais qu’il le constitue ; or, dans nos textes, les animaux sont dotés de la souveraineté du sujet parlant et s’expriment comme les hommes ou, du moins, présentent une pensée rationnelle qui s’énonce par un langage humain. En outre, les études postcoloniales dénoncent une hiérarchisation des sujets et des savoirs qui s’exprime à travers des oppositions binaires, colonisateur-colonisé, civilisé-primitif, nord-sud ; or, les textes étudiés en ajoutent une autre, inattendue dans ce contexte, humain-animal.

3 Mettre en scène un animal en lieu et place d’un humain pourrait poser un problème éthique, comme le suggère Philip Armstrong [4] : ne risque-t-on pas, en effet, de minimiser et de banaliser les souffrances infligées à l’homme par l’esclavage et la colonisation en les transférant dans le monde animal ? Toutefois, outre que les conflits postcoloniaux ont perdu — un peu — de leur virulence, il faut admettre que le monde animal est bien mieux intégré à la sphère humaine dans les cultures africaines, aborigènes ou amérindiennes, dont la cosmologie ne sépare pas l’homme de son environnement naturel, qu’en Occident. Dans l’histoire de la pensée européenne, en effet, la civilisation s’est constamment construite sur le rejet et la répression du sauvage et de l’animalité, avec le point d’orgue que constituent le rationalisme des Lumières et sa propension à la polarisation binaire du monde, cibles constantes des théoriciens postcoloniaux.

4 Représenter un animal en tant que sujet doté de parole constitue un moyen de se dégager de certaines apories du discours postcolonial, qui a tendance à opérer « une captation de la parole muette des victimes » [5] ou à la fétichiser, et d’offrir ainsi un point de vue alternatif, un « tiers espace de l’énonciation » où se renégocient le sens et la représentation, pour reprendre le concept de Homi Bhabha [6]. Dans un contexte où les études postcoloniales tendent à croiser les approches environnementales et les « animal studies », y compris dans la littérature qui renouvelle les genres de la pastorale et de la fable [7], on pourra se demander dans quelle mesure ces autobiographies animales participent d’un projet philosophico-politique qui vise, à la fois, à dé-penser l’eurocentrisme, à déconstruire le logocentrisme et à redéfinir le sujet postcolonial et son humanité à travers une forme littéraire originale.

Scénographies énonciatives : Je est un animal [8]

5 On connaît les travaux de Dominique Maingueneau sur la scénographie de l’énonciation qui ont pu servir à caractériser les écritures postcoloniales, attachées à définir d’où elles parlaient, c’est-à-dire en lien avec des pratiques coloniales, un enracinement socio-culturel souvent hybride, en d’autres termes, la topographie et la chronographie [9].

6 Les narrateurs-animaux sont donc tous autodiégétiques et font leur récit à la première personne dans des romans à vocation autobiographique. Le protagoniste de Mabanckou entreprend ses « confessions » [10] dans un récit rétrospectif et, pour le lézard qui l’observe, il apparaît comme un « bavard sans interlocuteur » (MPE 42). Ce soliloque se fait au pied d’un baobab (interpellé affectueusement, « mon cher Baobab »), qui sert à la fois de cadre et d’interlocuteur muet. Il arrive au protagoniste de « méditer dans un terrier » (MPE 25), mais pas de manière exclusive, à la façon de l’animal fouisseur de Kafka dans la nouvelle « Le Terrier » [11]. Chez Mabanckou, la condition animale ne conduit pas au repli narcissique, à l’autisme ou à une forme de solitude radicale, dont le principal corollaire serait la rupture de toute communication avec le monde extérieur. Alors que chez Kafka, l’animal manifeste une crainte paranoïaque de l’extérieur, chez Mabanckou, c’est le maître du porc-épic qui souffre de cette peur. L’animal est un observateur du monde, qui sait « lire couramment » ; il découvre notamment la Bible qu’il interprète d’un point de vue animal, en soulignant « des passages à l’aide de [s]es piquants » (MPE 22). C’est là qu’il a la révélation que Dieu est venu pour les animaux puisque, lors du Déluge, une paire de chaque espèce a été sauvée. Ce faisant, il sous-estime manifestement le passage de la Genèse (2,15), où Dieu donne autorité aux hommes sur les animaux en leur conférant le pouvoir de les nommer et il n’envisage pas que l’opération de sauvetage de Noé puisse signifier la toute-puissance de l’homme et consacrer l’anthropocentrisme judéo-chrétien. Le discours du narrateur est continu et l’absence de point (et donc de majuscules) pourrait évoquer les logorrhées beckettiennes de personnages tels que L’Innommable, voix nue que la privation de nom propre empêche d’accéder au statut de personnage. Il n’en est rien chez Mabanckou car la cohérence subsiste malgré les lacunes de la ponctuation et le porc-épic se construit en véritable personnage, même s’il n’a pas de nom. Le narrateur a conscience de ses limites, lui qui, parfois, ne voit « pas plus loin que le bout de [s]on museau » (MPE 133). Il s’excuse, à l’occasion, de ses digressions (pratique qu’il aurait apprise des hommes), dont le baobab est d’ailleurs le principal destinataire : « peut-être me suis-je éloigné de mes propres confessions en parlant de toi » (MPE 151).

7 Tandis que le pied du baobab est le point nodal du récit du porc-épic, le narrateur d’Agualusa, le gecko, est le plus souvent fixé au plafond, du haut duquel il regarde le monde. Si le porc-épic est un bavard actif, le lézard est plutôt un contemplateur rêveur. Tout passe par son regard, qu’il s’agit de déchiffrer, comme le suggère Caroline Andriot-Saillant à propos de la signification poétique de cet animal [12]. L’on songe également au « regard de voyant, de visionnaire ou d’aveugle extra-lucide » [13] que Jacques Derrida attribue à l’animal, même si le regard du lézard est suffisamment aérien pour ne pas causer de gêne à l’homme qu’il observe.

8 Le gecko n’est pas le narrateur exclusif et d’autres personnages prennent en charge le récit à la première personne comme Félix Ventura, l’albinos chez lequel il vit, ou encore José Buchmann, un personnage en quête de passé. La narration est entrecoupée de passages oniriques, où le gecko rêve sur la vie de son maître et ses aventures amoureuses. Le lézard se présente lui-même « comme un petit dieu nocturne », sinon omniscient, du moins invisible observateur qui « voit tout » [14]. Il aime assumer une position surplombante, en haut des étagères, où il peut voir avec l’assurance de ne pas être vu, « pendu au plafond, la tête en bas » [15]. Le petit dragon se fond dans le décor : « collé aux vitres » ou « ramp[ant] le long des murs comme un acarien sur la peau de son hôte » [16]. Son mimétisme fait qu’il semble être né des murs qui le portent. D’une race rare, « il s’agit d’un gecko tigre, ou gecko tigré, un animal timide, encore peu étudié » [17], le narrateur sort de ses rêveries pour des activités cynégétiques contre les moustiques, mais sans aucune voracité. Sans nom propre (« je n’ai pas de nom […] je suis le gecko »), il est baptisé par antiphrase Eulálio (celui qui a la parole facile), lui qui ne peut parler mais seulement rire [18]. Produit d’une longue histoire — il a connu de nombreuses incarnations, notamment humaines [19] —, le lézard regrette parfois sa condition actuelle : il aurait aimé pouvoir s’asseoir à table avec les hommes. Comme le porc-épic, il a le goût de la digression, tendance humaine dont il s’excuse : « voilà ce que ça donne quand un gecko se met à philosopher » [20]. Cet animal nocturne « par obligation génétique » transgresse l’ordre de la nature en sortant pour la première fois dans le verger en plein jour : « J’ai regardé le monde » [21]. Peu après, comme si cette transgression avait été fatale, le gecko est retrouvé sans vie, avec un scorpion entre les dents. À la disparition d’Eulálio, Félix prend le relais de la narration et se lance aussitôt dans la rédaction d’un journal « pour conserver cette illusion que quelqu’un [l’]écoute » [22].

9 Si le narrateur d’Agualusa est un être fragile, furtif, dont le regard énigmatique surplombe et effleure le monde, celui de Nganang, se situe aux antipodes. En effet, Mboudjak, le chien, vit au ras du sol : « J’observe le monde par le bas. Ainsi, je saisis les hommes au moment même de leur séparation de la boue. » [23] C’est ainsi qu’il assiste au spectacle de la vie depuis des lieux cachés, d’où il peut discerner les dessous les moins reluisants de l’humanité. Il n’est pas à l’écart du monde, à la façon du gecko, mais en prise directe avec ses manifestations les plus prosaïques et les plus sordides. Le protagoniste-narrateur de Nganang, digne héritier du chien Berganza de Cervantès, s’apparente au héros picaresque remis au goût du jour par Günter Grass avec Oscar dans Le Tambour[24] et le « regard d’en bas » de quelqu’un qui occupe une position inférieure dans la hiérarchie sociale. Or, ce qui dans le roman picaresque est une métaphore, devient une figure très concrète dans la cas du nain Oscar, qui vit réellement au-dessous des autres et dont le regard ne peut venir d’ailleurs que d’en bas — Grass parle de la perspective du crapaud — tout en étant au centre de l’action. Le nanisme vaut comme tenue de camouflage, si bien qu’il entend tous les mensonges, voit toutes les bassesses du monde et regarde sans pitié derrière les masques et les coulisses. Cette position et ce regard en contre-plongée sont ceux du chien Mboudjak, dont l’animalité dérobe la présence attentive aux yeux des hommes, qui se livrent sans retenue, oubliant son existence. En position de voyeurisme, le chien rapporte ce qui fait la vie du sous-quartier, « toutes ces histoires qui viennent tous les jours en mille rumeurs mourir devant le comptoir » (TC 73). Le lieu privilégié de la rumeur est le marché, que parcourt Mboudjak la truffe au ras du sol, se faufilant entre les étals, véritable « tourniquet de la vie », « centre de pulsation » du sous-quartier (TC 221). Voix du sol voire du sous-sol, Mboujak est un chien philosophe, un véritable cynique comme le picaro. Pourtant, sa découverte de l’abjection du monde, qui passe par l’exploration et la consommation d’immondices, provoque parfois en lui une nausée [25], d’abord physiologique, mais aussi existentielle, presque sartrienne. Quand il mène une vie errante, Mboudjak cesse « d’être un chien penseur », change de régime alimentaire par nécessité — il devient « herbivore et même omnivore » (TC 210), et ses aventures se transforment en épopée de la faim. Figure occasionnelle du « trickster », mû par un instinct de survie, il tente de voler de la viande, atterrit dans la cave ruisselante de sang d’un boucher avant de prendre la fuite sous la menace des coups (TC 210-212).

10 Passer par un narrateur animal est un moyen de repenser le sujet postcolonial en dehors des cadres de la raison européenne, de faire voler en éclats les structures analytiques occidentales, mais c’est aussi une manière de déplacer des questions fondamentales telle la construction de l’identité, individuelle et collective, vers une réflexion sur l’humanité en ce qu’elle diffère à la fois de l’animalité et de l’inhumanité [26]. C’est à ce titre que Jacques Derrida parle de « l’animal autobiographique » [27] en tant que forme d’« écriture de soi du vivant » [28] et donc comme modalité d’accès à la connaissance de soi.

Humain vs. animal : questions identitaires

11 L’animal est presque toujours défini de manière négative par la philosophie, dépourvu de tout ce qui est le propre de l’homme (la parole, la raison, le rire, etc.), ce qui a fini par instaurer une ligne de démarcation étanche entre « animal humain » et « animal non-humain ». Dans l’histoire coloniale, l’animal a souvent valu comme métaphore dépréciative pour désigner l’altérité et la sauvagerie de l’être colonisé, au point de former une catégorie englobant et symbolisant les victimes de l’oppression et de la discrimination européennes. Comme les hommes, les animaux et la nature ont subi la civilisation imposée par les Européens, une forme de domestication voire d’asservissement au nom de l’œuvre colonisatrice (et civilisatrice). Déléguer la narration à un animal est, à coup sûr, un moyen de sortir de l’ethnocentrisme occidental et aussi d’une forme d’anthropocentrisme, qui fait de l’homme le centre de la création. C’est également l’occasion de porter une double critique contre Descartes, promoteur du rationalisme et de la théorie mécaniste des animaux-machines. Au cœur de la narration, l’animal pose des questions à la fois identitaires et ontologiques à travers un discours sur l’humain. De fait, les textes étudiés engendrent un être hybride [29], animal humanisé qui s’identifie à un objet de différence et peut constituer une image du sujet colonisé [30].

12 La tension entre animalité et humanité se lit dans le darwinisme ironique du protagoniste de Mabanckou, qui ne cesse d’observer la proximité des hommes et des singes, y compris dans les comportements les plus triviaux [31]. Un leitmotiv, qui inverse la hiérarchie habituelle homme/animal, parcourt le roman et stigmatise continuellement les « cousins germains du singe », qui ne sauraient être assurés de leur humanité par la seule affirmation d’une différence de nature avec les animaux. Les hommes sont des animaux comme les autres : grégaires, ils sont attachés à un territoire et cet enracinement se double d’une méfiance instinctive envers l’étranger : « chez les cousins germains du singe, c’est bizarre, un vide, une ambiguïté sur le passé engendrent de la méfiance, voire le rejet » (MPE 127). Le porc-épic homicide est cependant victime d’une forme d’aliénation typiquement humaine, comme l’explique A. Mabanckou lui-même lors d’un entretien : « Il ne parvient pas à se rebeller car il est écrasé par le poids de la coutume et de la tradition qui est trop lourd pour lui. Et puis en règle générale, cela prend toujours du temps pour qu’un esclave se rebelle » [32]. Le narrateur, dont les parents ont aussi servi les hommes, ne fait qu’exécuter les ordres capricieux de son maître humain, soumis pour sa part à la volonté impérieuse de son « autre lui-même » (MPE 27). Les assassinats commis sous les injonctions de Kibandi génèrent chez le porc-épic une angoisse toute humaine, faite de mélancolie et de culpabilité. De son côté, le vieux porc-épic, patriarche conservateur de la communauté, n’a de cesse d’attaquer la suprématie humaine, qui lui apparaît comme non fondée : « ce sont tous des crétins, être des hommes est leur dernier argument » (MPE 26). Dans le discours du porc-épic contre l’hégémonie humaine et un monde anthropocentré se lit — mais contesté ici — ce que Val Plumwood appelle « speciesism » — « espécisme » — un racisme lié à l’espèce qui conduit à l’exploitation de l’« autre » animal (ou animalisé) par l’humain, au nom d’une culture rationaliste vieille de plus de deux mille ans [33].

13 Dans le plateau consacré au « devenir-animal », G. Deleuze et F. Guattari interrogent les frontières entre l’homme et l’animal pour faire état d’une « alliance préférentielle » et d’une « contagion de masse » entre des corps hétérogènes. L’animal est alors pensé comme une relation, une ouverture, un devenir pour l’homme, une possibilité de déterritorialisation de soi [34]. On pourrait à l’inverse parler de « devenir-humain » pour le gecko de J. Agualusa, lui dont l’humanité constitue une virtualité, une possibilité d’être, une potentialité de singularisation sans atteindre une assimilation complète. L’identité du gecko est mobile — « je ne suis plus le même qu’hier » [35] —, sujette aux déliaisons et prise dans un processus d’individuation rendu complexe par la chaîne des réincarnations. Le lézard est réellement un être de l’entre-deux puisqu’« [il a] vécu près d’un siècle dans la peau d’un homme [et qu’il ne s’est] jamais senti non plus entièrement humain » [36]. Il se projette hors de son statut actuel d’animal, se déterritorialise par son goût pour les relations humaines et dit « échange[r] avec plaisir la compagnie des geckos et des lézards pour les longs soliloques de Félix Ventura » [37]. En empathie avec les hommes et quasi imperceptible, le gecko est hors là, présence flottante, oreille attentive : « il parle, moi j’écoute » [38]. Élégant et d’une sobriété presque ascétique, le gecko est un être de « bordure » [39], entre animalité et humanité, tout comme son maître est un être des limites, un albinos africain abandonné enfant et adopté par un marchand de livres anciens. Par un curieux phénomène de mimétisme, ces deux êtres sont photophobes, la peau de l’albinos « rose, sèche et rugueuse » [40] étant dépourvue de mélanine. À la confrontation satirique avec les hommes observée chez Mabanckou répond chez Agualusa un regard distancié, légèrement hautain, mais exempt de tout grief et globalement bienveillant pour l’humain.

14 Nganang scrute l’espèce humaine à travers une question essentielle : « Où est l’homme ? » (TC 35, 150…), qui se heurte sans cesse au constat de l’inhumanité généralisée dans un monde où « l’homme n’est pas le frère de l’homme » (TC 146). La réflexion sur l’humain est le but avoué du chien Mboudjak, qui se présente comme « chercheur en sciences humaines » (TC 85) : « J’étudiais la longueur et la largeur de l’humain » (TC 49). Il tente d’interpeller l’humanité en son maître et bâtit un discours de moraliste à travers des aphorismes [41], traquant ce que Michel Surya appelle l’« humanimalité », le moment décrit par Kafka dans La Métamorphose, où l’homme devient son propre rebut et subsiste dans et par une « figure humiliée et malade » [42]. Mais Nganang n’est pas Kafka et l’on est sauvé du désespoir par l’humanité de la bête qui prévaut sur la « bêtise » de l’homme. La réflexion sur l’homme, qui s’articule sur le jeu de balancier que connaît l’existence de Mboudjak entre vie errante et vie domestique, pose la question de la servitude de l’animal et de la liberté en général. L’examen se fait alors à travers le prisme animal et sur un mode satirique facile, celui du discours anticolonialiste primaire : « Seuls les chiens des Blancs peuvent accepter d’être tenus en laisse, ou alors les chiens de leurs laquais noirs » (TC 21). Pour interroger les frontières entre humanité et animalité, le roman de Nganang évoque une pratique devenue un véritable fantasme chez le colonisateur, le cannibalisme [43]. Alors qu’il est un chien errant efflanqué, Mboudjak invective d’agressifs chiens de garde par ailleurs étiquetés « chiens méchants », leur reproche d’avoir renoncé à leur liberté et les traite de « chiens de cannibale », leur promettant d’être mangés par leur maîtresse (TC 156). Le conflit traditionnel entre Européen civilisé et primitif cannibale se déplace ici vers l’opposition entre humain et animal : l’homme apparaît comme un véritable prédateur, cannibale dans la mesure où il mangerait des chiens, que Mboudjak considère comme appartenant à la même espèce que les humains. Même si on considère ici que l’humain ne fait que répondre à sa tendance carnivore, l’acte d’ingestion témoigne d’une volonté de domination par la violence tout en signant une transgression car, généralement, l’homme (occidental) ne mange pas les animaux de compagnie [44]. Mais nous sommes à Yaoundé et non en Europe…

15 Mboudjak, lui-même, n’échappe pas à l’aliénation, qui s’exhibe dans une scène humoristique, où il passe entre les mains expertes d’une coiffeuse qui le couvre de bigoudis et le transforme en « chien aux poils ondulés » (TC 102) : il se trouve ravalé au rang de « caniche » (TC 99), de « toutou » (TC 100), un vrai animal œdipien [45]. Étrange être au poil multitcolore, nouvel albatros, il est « comique et laid » [46] (TC 102). C’est alors qu’interviennent les intellectuels africanistes qui, en voyant le chien ainsi frisé, se récrient devant ce « pauvre chien aliéné de sa canitude » (TC 103). Il s’agit évidemment d’une pique contre la négritude, dont s’était gaussé Wole Soyinka des années plus tôt en remarquant qu’un tigre ne revendique pas sa tigritude mais qu’il sort ses griffes et bondit sur sa proie, tandis que Mboudjak, véritable intellectuel, ne cesse d’interroger sa « canitude douteuse » (TC 195) et regrette de ne pouvoir « chanter sa canitude fière » (TC 255). Tout se passe comme si l’essentialisme ne pouvait être que paralysant et stérile…

16 Les études postcoloniales s’intéressent à la capacité d’initiative et d’action des opprimés (agency) et, mettre en scène un animal constitue une manière originale et décalée de représenter la subalternité, largement décrite par Gayatri Spivak, de donner une voix articulée à des êtres « sans-voix ». N’était leur rôle de protagoniste dans le roman, le porc-épic, le lézard et le chien pourraient passer pour des figures de l’altérité essentialisées et soumises dans un statut d’infériorité. Or, en exprimant une dénonciation de l’hégémonie des hommes et une volonté forte de s’en affranchir, leur discours prouve leur capacité à se représenter, en tant que conscience populaire pour le chien et le porc-épic ou plus élitiste pour le gecko. Ils pourraient également entrer dans le programme des subaltern studies qui cherchent à attirer l’attention sur « la petite voix de l’histoire » [47]. Le recours au narrateur-animal est une manière, comme le dit Homi Bhabha, de « localiser le sujet postcolonial au sein du jeu de l’instance subalterne de l’écriture » [48], et de le placer en disjonction par rapport aux modèles et canons européens. C’est pourquoi, en faisant entendre des voix singulières, les romans peuvent se lire comme métaphores de la situation postcoloniale et permettent d’en rejouer sur un mode ludique les enjeux politiques à travers de véritables fables.

Fables politiques

Discours sur la colonisation

17 Le discours des animaux porte un certain nombre de critiques habituellement adressées aux colonisateurs européens. Tel est le cas, dans Mémoires de porc-épic, de l’épisode où les ethnologues blancs viennent étudier un rituel africain : l’épreuve du cadavre qui désigne son malfaiteur (MPE 140). L’ironie est patente dans le décalage entre le discours de l’ethnologue, qui se définit fièrement comme « anthropologue social », et la perception des Africains qui le prennent, lui et ses collègues, pour « des sans-emploi dans leur pays » ou même des installateurs d’antennes paraboliques afin d’espionner les gens (MPE 142). Cela dit, l’étude donne lieu à un « gros livre de plus de 900 pages » (MPE 145), qui comble le village de fierté, même si Amédée, l’Africain européanisé, considère que l’ouvrage, traduit dans plusieurs langues, est « un livre honteux […] un tissu de mensonges de la part d’un groupe d’Européens en quête d’exotisme » (MPE 147). Par une captation de la parole colonisée, l’homme blanc parle et écrit pour les Africains, ce qui confirme le préjugé selon lequel les ethnologues seraient des auxiliaires zélés de la colonisation. Une autre cible du porc-épic est constituée par l’acculturation des « retour d’Europe » — que le Nigérian Chinua Achebe appelait les « London University Products » [49] —, des rationalistes oublieux de leur culture et qui « préfèrent raisonner sous la protection de la science des Blancs », affirmant dans un clin d’œil métatextuel « que les histoires de doubles n’existent que dans les romans africains » (MPE 162). Le protagoniste de Temps de chien reprend, au compte des animaux, un discours souvent tenu par les théoriciens postcoloniaux, qui dénoncent l’autorité discursive, métaphorique et épistémique du colonisateur, à travers la remise en cause de « l’arrogance qu’ont les hommes de nommer le monde, de donner une place autour d’eux et de leur intimer l’ordre de se taire » (MPE 12). La volonté démiurgique de l’Européen se trouve ici transposée dans le comportement des hommes par rapport aux animaux. La critique formulée par Mboudjak rejoint à la fois les théories d’Edward Said [50], inspirées de Foucault, qui dénoncent la violence épistémique exercée par les Européens au nom de leur science, mais aussi les analyses d’Elleke Boehmer qui évoque « the cartographic and metaphoric authority of the colonizer » [51]. À ce titre, le chien des bidonvilles de Yaoundé mis en scène par Nganang apparaît comme l’antithèse historique du molosse des plantations représenté par Patrick Chamoiseau, dogue symbolique d’une colonisation oppressive, mais finalement alter ego de l’esclave marron qu’il pourchasse car victime de la même catastrophe historique [52].

18 Le porc-épic d’A. Mabanckou rejoint également des préoccupations plus contemporaines à travers un double discours : l’évocation réaliste de la destruction de la forêt par la transformation des arbres en bois de chauffe et le récit mythique d’un temps où les baobabs pouvaient se déplacer et punir les hommes, quand « ces cousins germains du singe se liguaient contre la flore » (MPE 150). Sous couvert d’un conte de l’âge d’or, le porc-épic s’interroge sur l’impact du climat dans l’évolution des espèces végétales selon une théorie d’inspiration darwinienne, mais s’excuse vite de cette « digression » (MPE 151). Ces préoccupations écologistes pourraient s’inscrire dans une forme d’écocritique (ecocriticism) tournée vers la défense environnementale et un postcolonialisme « vert » comme le nomme Graham Huggan [53]. Ce type d’études s’intéresse à la manière dont la colonisation, au nom de la « civilisation » et d’une certaine idée du progrès et du développement, a pu provoquer la destruction d’écosystèmes complets par la mise en culture systématique des terres et l’introduction d’espèces animales exogènes devenues invasives faute de prédateurs.

Le travail de la mémoire

19 Le roman d’Agualusa pose une question essentielle des études et des littératures postcoloniales : comment réinterpréter l’Histoire pour l’intégrer, se l’approprier et en faire la base d’une identité, à la fois individuelle et collective ? Comment rendre vivant un passé qui a longtemps été réduit au silence [54] ? Agualusa illustre bien le manque d’assises des sociétés postcoloniales, composées de « gens dont l’avenir est assuré », mais auxquels il manque « un bon passé, des ancêtres illustres » [55]. Cette situation constitue la raison sociale de Félix Ventura, qui s’adonne à un vrai commerce de la mémoire, soutenu par un slogan publicitaire paradoxal : « Assurez à vos enfants un meilleur passé ! » [56] Et tout le travail du bouquiniste, fasciné par l’écrivain portugais Eça de Queirós, est de réinventer une vie pour les gens, de « trafiquer » les souvenirs, de vendre le passé, « secrètement, comme d’autres font de la contrebande de cocaïne » [57]. C’est ainsi que F. Ventura réussit à inventer une généalogie africaine à un Blanc, qui lui avoue souffrir simultanément « d’un excès de passé et de vide » [58]. Son travail s’apparente à celui du romancier qui crée une vie fictive pour le personnage qui, en retour, collabore en cherchant à donner une réalité à cette vie imaginaire. L’activité créatrice du bouquiniste se prolonge dans une délinquance de faussaire car, même s’il s’en défend [59], F. Ventura finit par fabriquer de faux papiers au nom de José Buchmann, ce qui est une manière de renégocier une place pour les Blancs dans la nation angolaise [60]. En effet, le travail de la mémoire, point de suture entre passé et présent, couture de la réalité et de la fiction, se joue aussi au niveau de la nation puisque F. Ventura réécrit la biographie du Ministre — La Vraie Vie d’un combattant — pour en faire un héros politique de la libération de l’Angola. Par sa force symbolique, cette histoire fictive prend force de loi et devra, à la fois, favoriser l’intégration communautaire et fonder l’histoire officielle de l’Angola [61]. Les détenteurs du pouvoir manipulent la mémoire — et l’oubli — de manière concertée, afin de dissimuler leurs crimes et de légitimer leur autorité, processus qui érige la mémoire en critère de l’identité personnelle et collective selon P. Ricœur [62].

20 Toutes ces vies inventées par F. Ventura soulignent les contradictions des sociétés postcoloniales, prises entre revendication d’un droit à l’oubli — « J’ai eu beaucoup de noms, mais je veux les oublier tous » [63] — et manipulations plus ou moins fortes de la mémoire afin de construire une histoire et d’édifier une nation, mythologie qui génère un certain nombre d’errements politiques. À l’Europe, qui déniait à l’Afrique la possibilité même d’être dans l’histoire, répondent le révisionnisme, les falsifications historiques et les abus de mémoire des indépendances. Ces vies imaginaires (un peu à la manière de celles de Marcel Schwob, même s’il ne s’agit pas de personnages historiques connus) se construisent sous et par le regard du gecko, dépositaire de plus d’une mémoire, dont les rêves participent à l’écriture de la biographie et à la fictionnalisation de l’histoire en élargissant la réalité. Les traces laissées par l’histoire — dans leur effacement même — sont fictionnalisées à des fins idéologiques quand elles sont instrumentalisées par le pouvoir pour imposer un récit canonique à la collectivité, mais essentiellement à des fins poétiques quand elles servent les désirs d’un individu en quête d’aventure et d’imaginaire.

Des hommes et des chiens en lutte

21 C’est une Afrique poubelle que Nganang donne à voir à travers la misère des « sous-quartiers » de Yaoundé, notamment celui de Madagascar. Significativement, le politique, symbolisé par la maison du Parti, jouxte « la plus grande poubelle de Madagascar » (TC 150). Pendant sa période d’errance, Mboudjak fréquente les décharges et aime à se vautrer dans l’immondice pour se libérer de toutes les contraintes engendrées par la domestication. Tout en devenant signe du désordre du monde et d’un renversement carnavalesque des valeurs, la décharge proliférante de Madagascar peut également s’interpréter comme l’indice d’un développement — économique et urbanistique — mal compris, produit d’un développement inadapté et d’un impérialisme occidental qui ne lâche pas prise [64].

22 La situation de l’Afrique est explosive et le roman représente la violence à l’œuvre dans les sociétés postcoloniales. Lors d’une manifestation du quartier de Madagascar, Mboudjak, qui se présente alors comme un narrateur incompétent, rapporte des mots qu’il entend et dont il prétend ne pas connaître le sens, tels « mandat d’arrêt », « état de droit », « dictature » (TC 140). Cette incompréhension supposée est d’autant plus signifiante que la protestation a été provoquée par la décision arbitraire d’un commissaire de police vis-à-vis de « l’homme en noir-noir », l’écrivain accusé d’être un opposant. Toutefois, le chien narrateur ne présente aucunement le détachement des observateurs voltairiens qui regardent le monde depuis Sirius, mais il aboie « follement » pour signifier son indignation face à l’injustice. La formule tautologique « Le Cameroun, c’est le Cameroun », véritable leitmotiv du roman, finit par résumer tous les malheurs dans lesquels est enfermé le pays. L’état d’insurrection et de folie collective débouche sur la violence meurtrière. Toute proportion gardée, Mboudjak « comme poussé par une force maniaque » (TC 274) tue une poule tandis que le commissaire qui « semblait lui aussi saisi de folie ou alors frappé de panique » (TC 282) tire sur Takou, un petit garçon qu’il blesse mortellement. La canitude, si l’on peut dire, devient alors un référent presque incontournable, par exemple dans le discours de l’homme révolté, pourvu d’une « tête de bouledogue » (TC 235). Sa diatribe virulente contre le président Biya (« Biya must go ! », TC 295) et un État kleptomane, au sein duquel les politiciens pillent les richesses du Cameroun et cherchent ensuite de fausses excuses à la misère collective comme la crise, la colonisation ou les Blancs, trouve son apothéose dans une formule peu flatteuse et inique pour Mboudjak et son espèce : « Des chiens, ils sont tous des chiens, rien que des chiens » (TC 235).

23 La fin du roman offre une résolution utopique, presque messianique, mais tempérée d’humour, qui culmine dans une grande marche de protestation contre le meurtre de l’enfant où, aux revendications humaines, se surimpose un chœur animal incluant les « sursauts de poules », les « miaulements de chats », les « hochements de tête des margouillats » et, bien sûr, les « aboiements de chiens » (TC 286). In fine, malgré la répression, l’homme et le chien se lèvent dans un même élan, décidés à marcher dans une très brechtienne « jungle des villes » et à revendiquer leur liberté face au « lion fou » qui dirige le pays : « Unis nous étions l’homme et moi, dans la précipitation saccadée du langage nôtre : dans nos aboiements » (TC 296). La révolte s’exprime dans l’aboiement collectif des manifestants, ce qui tendrait à démontrer de manière décalée — une animalisation généralisée et non un anthropomorphisme —, la capacité collective des opprimés à agir et à faire évoluer une situation, leur agency diraient les critiques postcoloniaux.

Conclusion

24 Les romans étudiés renouvellent la fable animale par le recours à un bestiaire exotique dans deux cas, mais aussi par une inflexion vers le conte philosophique (Mémoires de porc-épic), le récit poético-politique (Le Marchand de passés) et le roman picaresque (Temps de chien). Comme la fable, les textes intègrent une éthique qui s’exprime à travers des problématiques liées à la situation postcoloniale, qu’il s’agisse du rapport à la tradition pour Mabanckou, du rôle de la mémoire pour Agualusa ou du fonctionnement du pouvoir chez Nganang. Cependant les animaux ne se réduisent pas à la fonction de vecteur moral — métaphore ou allégorie des vices et des vertus —, dont la fable les investit habituellement. Au contraire, le recours à l’extériorité animale permet à la fois de destituer les prétentions à la vérité des discours humains, de défaire le conformisme des discours moraux attendus et, ainsi, de refonder le sujet postcolonial.

25 On pourrait lire dans ces textes une forme d’écocritique ou, plus précisément, de zoocritique, dans la mesure où la dénonciation de l’eurocentrisme s’infléchit assez aisément en une remise en cause de l’anthropocentrisme et des dégâts qu’il a pu causer. Toutefois, même si l’on peut trouver des thématiques écologistes, notamment à travers l’association du bidonville de Yaoundé à une pollution sévère ou les remarques du vieux porc-épic contre la dévastation des forêts, même si le discours de Mboudjak vaut parfois comme protestation contre les mauvais traitements infligés aux animaux, les préoccupations environnementales semblent annexes dans les romans étudiés — nulle sentimentalité écologique ne s’y fait jour —, pas plus qu’il n’est question de défense animale ou de protestation contre les idéologies occidentales de développement de la part d’écrivains, qui ne semblent pas des activistes, à la différence de l’Indienne Arundhati Roy ou du Nigérian Ken Saro-Wiwa.

26 Si le postcolonialisme s’est souvent affirmé contre l’humanisme en raison de son prétendu universalisme qui établit de fait des sélections et des hiérarchies entre cultures, races, genres et espèces, les romans étudiés n’excluent pas l’humanisme — paradoxalement soutenu par un discours animal — dans la mesure où il renonce à certains préjugés idéologiques et à ses présomptions hiérarchiques en incluant les autres espèces vivantes, notamment les animaux, élevés à la dignité de personnages littéraires.


Date de mise en ligne : 27/09/2011

https://doi.org/10.3917/rlc.338.0197

Notes

  • [1]
    Graham Huggan, The Post-Colonial Exotic : Marketing the Margins, Londres-New York, Routledge, 2001.
  • [2]
    « Nasci nesta casa », José Agualusa, O Vendedor de passados [2004], Lisbonne, Publicacões Dom Quixote, 2009, p. 13 ; Le Marchand de passés, traduction Cécile Lombard, Paris, Métailié, 2010, p. 11 [abrégés VP et MP]. Je tiens à remercier Rosa Maria Fréjaville pour son aide dans la lecture du texte portugais et pour toutes les vérifications qu’elle a bien voulu effectuer.
  • [3]
    Voir notamment Novela del coloquio de los perros (1613) de Miguel de Cervantès ou Die neusten Schicksale des Hundes Berganza (1814) d’E.T.A. Hoffmann.
  • [4]
    Philip Armstrong, « The Postcolonial Animal » www.animalsandsociety.org/assets/library/481_s10413.pdf consulté le 19 juillet 2010. Il s’appuie notamment sur l’ouvrage de M. Spiegel, The Dreaded Comparison : Human and Animal Slavery. New York, Mirror Books, 1996.
  • [5]
    Formule de Rachel Ertel, « La littérature de la Shoah », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007.
  • [6]
    Homi K Bhabha, The Location of Culture, Londres, Routledge, 1994. ; Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, traduction François Bouillot, Paris, Payot, 2007, p. 76-81.
  • [7]
    Voir l’ouvrage de Graham Huggan & Helen Tiffin, Postcolonial Ecocritcism. Literature, Animals, Environment, Londres-New York, Routledge, 2010, notamment p. 82-120 « Some versions of the postcolonial pastoral ».
  • [8]
    On pense au roman de Tristan Garcia, Mémoires de la jungle, Paris, Gallimard, 2010, où « je » est précisément un singe
  • [9]
    Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire, Paris, Armand Colin, 2004.
  • [10]
    Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, Paris, Seuil, 2006, p. 23 [Désormais abrégé MPE].
  • [11]
    Franz Kafka, Das Bau (1931) ; Le Terrier, traduction A. Vialatte, in La Muraille de Chine et autres récits, Paris, Gallimard, « Folio », 1975. Voir les analyses de Florence Godeau, Récits en souffrance, Paris, Kimé, 2001.
  • [12]
    « Ces animaux, comme enfantés par la pierre ou le mur, offrent l’évidence d’une altérité primordiale et fragile, que leur regard aveugle (au sens d’une fenêtre aveugle) concentre de manière emblématique et fascinante », Caroline Andriot-Saillant, « Le défi de la poésie du XX: Déchiffrer le regard du lézard », in Lucie Desblache (dir.), Écrire l’animal aujourd’hui, PU Blaise Pascal, 2006, p. 162
  • [13]
    Jacques Derrida, L’Animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006, p. 18. Derrida évoque la gêne que procure en lui la conscience de sa nudité face au regard de son chat. Contrairement au serpent biblique, simple instrument de la déchéance humaine, le chat apparaît comme un sujet doté d’une conscience morale.
  • [14]
    « Como um pequeno deus nocturno », « Eu vejo tudo », (VP 16, MP 14).
  • [15]
    « Pendurato do tecto, de cabeça para baixo », (VP 175, MP 98).
  • [16]
    « Colado às vidraças » ; « Deslizo ao longo delas como um ácaro na pele do hospedeiro » (VP 19, MP 15).
  • [17]
    « Trata-se de uma osga-tigre, ou osga tigrada, um animal tímmido, ainda pouco etudado » (VP 32, MP 23).
  • [18]
    « Náo tenho nome […] sou a osga » ; « Vou chamá-lo Eulálio, porque tem o verbo fácil » (VP 104 & 109, MP 61-62).
  • [19]
    David Bradshaw y voit une réincarnation de J.L. Borges, conteur et bibliophile comme F. Ventura, l’alter ego du gecko. Voir « Migration and Memory — From Forgetting to Storytelling », in Paulo de Medeiros (dir.), Postcolonial Theory and Lusophone Literatures, Utrecht Portuguese Studies Series, 2007, p. 14.
  • [20]
    « Mas perdoem-me a deriva ; é nisto que dá quando uma osga se põe a filosofar » (VP 75, MP 47).
  • [21]
    « Por imposição genética » (VP 137, MP 77) ; « espreitei o mundo » (VP 209, MP 121). « Espreitar » a le sens d’observer attentivement.
  • [22]
    « Decidi começar a escrever este diário, hoje mesmo, para persistir na ilusão de que alguém me escuta » (VP 229, MP 132).
  • [23]
    Patrice Nganang, Temps de chien, Paris, Le Serpent à plumes, 2001, p. 44 [abrégé TC].
  • [24]
    Günter Grass, Die Blechtrommel (1960), Le Tambour, traduction Jean Amsler, Paris, Seuil, « Points », 1980.
  • [25]
    « Je fouillais jusqu’aux profondeurs de ma propre nausée » (TC 83).
  • [26]
    Voir Florence Paravy, « Étranges narrateurs : stratégies énonciatives dans le roman d’Afrique francophone », in Béatrice Bijon et Yves Clavaron (dir.), La Production de l’étrangeté dans les littératures postcoloniales, Paris, Champion, 2009, p. 225-237.
  • [27]
    Voir M.-L. Mallet (dir.), L’Animal autobiographique, Paris, Galilée, 1999.
  • [28]
    J. Derrida, op. cit., p. 72.
  • [29]
    Le langage du chien Mboudjak est hybride : il aboie « de rire » (TC 33), son « indignation », son « amusement », sa « stupeur » (TC 60). Un de ses congénères lui aboie « un rire plein d’ironie » (TC 14).
  • [30]
    Voir les analyses de Homi K. Bhabha, « Le tiers-espace », entretien avec Jonathan Rutherford, in Multitudes, n° 26, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, p. 99.
  • [31]
    « Leurs gestes [des singes] me rappelaient ceux des humains, surtout lorsque ces anthropoïdes se distrayaient avec leurs crottes de nez, se grattaient les parties génitales, reniflaient par la suite leurs doigts avant d’exprimer aussitôt leur dégoût […] » (MPE 20).
  • [32]
    Voir l’article suivant http://www.afrik.com/article10564.html, consulté le 4 juin 2010.
  • [33]
    Les travaux de Val Plumwood sont cités par Graham Huggan & Helen Tiffin, Postcolonial Ecocritcism, op. cit., p. 5.
  • [34]
    Voir Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 298. Jean Baudrillard note cependant qu’il est paradoxal de faire de l’animal un modèle de déterritorialisation alors qu’il est par excellence l’être du territoire. Voir « Les bêtes, territoire et métamorphose », in Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1969, p. 203.
  • [35]
    « Também eu não sou o mesmo de ontem » (VP 75, MP 47).
  • [36]
    « Vivi quase um século vestindo a pele de um homem e também nunca me senti inteiramente humano » (VP 57-58, MP 35).
  • [37]
    « Troco com prazer a companhia das osgas e lagartos pelos longos solilóquios de Félix Ventura » (VP 58, MP 37).
  • [38]
    « Ele fala, e eu escuto » (VP 15, MP 13).
  • [39]
    Gilles Deleuze, Félix Guattari, op. cit., p. 299.
  • [40]
    « Seca e áspera, cor-de-rosa » (VP 16, MP 14).
  • [41]
    Par exemple, « Les hommes aiment cacher leur lâcheté derrière de brumeuses théories » (TC 148).
  • [42]
    Michel Surya, Humanimalités, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, p. 11-12.
  • [43]
    Voir Peter Hulme et Margaret Iversen (dir.), Cannibalism and the Colonial World, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [44]
    Voir Nick Fiddes, Meat : A Natural Symbol, Londres-New York, Routledge, 1992.
  • [45]
    G. Deleuze et F. Guattari évoquent des « animaux œdipiens », avec qui on peut « faire Œdipe », faire famille, mon petit chien, mon petit chat », op. cit., p. 285.
  • [46]
    « Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! », Baudelaire, Les Fleurs du mal, « L’Albatros » [1857].
  • [47]
    Voir Priyamvada Gopa, « Lire l’histoire subalterne », in Neil Lazarus (ed.), The Cambridge Companion to Literary Postcolonial Studies, 2004 ; traduction M. Groulez, Ch. Jacquet, H. Quiniou, Penser le postcolonial. Une introduction critique, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, p. 231.
  • [48]
    Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture, op. cit., p. 111.
  • [49]
    Ils sont les héros du roman No Longer at ease [1960], Londres, Heinemann, 1987.
  • [50]
    Edward Said, Orientalism. Western Conceptions of the Orient, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1978 ; L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, traduction Catherine Malamoud, [1980], Paris, Seuil, 2005.
  • [51]
    Elleke Boehmer, Colonial and Post-colonial Literature, Oxford, OUP, 1995, p. 103-104.
  • [52]
    Patrick Chamoiseau, L’Esclave vieil homme et le molosse, Paris, Gallimard, « Folio », 1997. Voir l’article de Lucie Desblache, « Signes du temps : animaux et visions du passé dans la fiction contemporaine », in L. Desblache (dir.), op. cit., p. 269-279.
  • [53]
    Graham Huggan, « “Greening” Postcolonialism : Ecocritical Perspectives », Modern Fiction Studies, 50 (3), 2004, p. 701-733. Selon Cheryl Glotfelty, l’« écocritique » ou l’« écologie littéraire » met l’accent sur l’urgence de la crise environnementale globale. Pour elle, l’écocritique est une approche centrée sur la terre qui étudie la relation entre la littérature et son environnement physique. Des liens plus forts restent à établir entre l’environnement et la question de la justice sociale. Cheryll Glotfelty, « Introduction : Literary Studies in an Age of Environmental Crisis », in Cheryll Glotfelty et Harold Fromm (dir.), The Ecocriticism Reader : Landmarks in Literary Ecology, Athens, University of Georgia Press, 1996, p. xv-xxxvii.
  • [54]
    Voir l’historien haïtien, Michel-Roph Trouillot, Silencing the Past. Power and Production of History, Boston, Beacon Press, 1995.
  • [55]
    « Com o futuro assegurado » ; « um bom passado, ancestrais ilustres » (VP 29, MP 21).
  • [56]
    « Assegure aos seus filhos um passado melhor » (VP 28, MP 20).
  • [57]
    « […] secretamente, como outros contrabandeiam cocaína » (id.).
  • [58]
    « Dói-me na alma um excesso de passado e de vazio » (VP 54, MP 34).
  • [59]
    « Fabrico sonhos, não sou um falsário » (VP 31) ; « Je fabrique des rêves. Je ne suis pas un faussaire » (MP 22).
  • [60]
    Le personnage, qui s’appelle en réalité Gouveia, est un Portugais qui a passé toute sa jeunesse en Angola avant d’en être chassé à l’indépendance. Dans le roman, court l’idée d’une mémoire « Atlantique » par la circulation des personnages entre Portugal, Afrique et Brésil.
  • [61]
    « A Vida Verdadeira de Um Combatente » (VP 165, MP 92). La démarche du ministre est l’inverse de celle de l’homme masqué qui demande un « passé humble » (« um passado humilde » VP 215, MP 125).
  • [62]
    Paul Ricœur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2000 p. 97 sq. Voir aussi Tzvetan Todorov, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995.
  • [63]
    « Tive muitos nomes, mas quero esquecê-los a todos » (VP 30, MP 22). La traduction de C. Lombard omet « todos », que l’on restitue donc.
  • [64]
    Cette analyse se retrouve dans le chapitre « Development » de l’ouvrage de Graham Huggan et Helen Tiffin, Postcolonial Ecocriticism, op. cit., p. 27 sq.

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