Notes
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[1]
Patrick Chamoiseau, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997, p. 23.
-
[2]
Cf. parmi d’autres Le Discours antillais, Paris : Gallimard, 1981, Poétique de la Relation, Paris : Gallimard, 1990.
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[3]
Homi K. Bhabha, The Location of Culture, London : Routledge, 1994. Pour une introduction dans le champ des études francophones, voir Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théories postcoloniales, Paris : PUF, 1999.
-
[4]
Cf. aussi l’article « Que faire de la parole ? » par Chamoiseau sur l’importance du conteur et la résistance énonciative de ses paroles in Écrire « la parole de nuit », Ralph Ludwig éd., Paris : Gallimard, 1994, p. 151-158. Pour le pouvoir général de la parole, voir aussi, dans la même œuvre, les articles d’Ernest Pépin et Sylvaine Telchid.
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[5]
C. Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, Paris : Seuil, 1975, p. 7.
-
[6]
Pour une analyse du rôle du « marqueur de la parole » cf. Dominique Chancé, L’Auteur en souffrance, Paris : PUF, 2000.
-
[7]
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris : Seuil, 1975, (1952), p. 93.
-
[8]
Ibid., p. 187.
-
[9]
Quant à l’héritage de la Cité grecque en ce qui concerne l’ostracisme, voir éventuellement J. Kristéva, Étrangers à nous-mêmes, Paris : Fayard, 1988, ainsi que Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté ? Paris : Gallimard, 2000.
-
[10]
Castoriadis, op. cit., p. 480.
-
[11]
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris : Présence Africaine, 1955, p. 13-14.
-
[12]
Benedict Anderson, Imagined Communities, London : Verso, 1991, (1983). Voir surtout chapitre 2, p. 9-36.
-
[13]
Cf. entre autres Texaco (1992) et L’Esclave vieil homme et le molosse (1997) de Chamoiseau.
-
[14]
La notion de relation est relative à celle de la racine rhizome évoquée par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Le rhizome est caractérisé par le fait qu’il ne sort pas d’une seule racine ou de l’Un, philosophiquement, mais « de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes ». Deleuze & Guattari, Mille plateaux, Paris : Minuit, 1980, p. 31. Le rhizome se fait l’objet d’un processus, alors que « l’arbre-racine » se veut un modèle, un calque transcendant. (Deleuze & Guattari, Rhizome, Paris : éd. de Minuit, 1976, p. 59). Cette conception permet au Sujet de garder un enracinement, tout en formulant une liaison dynamique, changeante et ouverte sur l’imprévisible avec l’Autre. (Glissant, 1990, op. cit., p. 23). Pourtant, Deleuze et Guattari ne se font aucune illusion sur l’innocence du rhizome : il possède ses propres « hiérarchies » et « formations despotiques », (Deleuze & Guattari, 1976, op. cit., p. 59), alors que Chamoiseau et Glissant espèrent en une « mise-en-rela-tions », impliquant des rapports d’égalité pour remplacer la « mise-sous-relations ». (Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 272).
-
[15]
Prononcé par le vieux Guerrier. Ibid., p. 22.
-
[16]
Nous faisons ici référence à l’œuvre de Michel Foucault. (L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 68).
-
[17]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 272-276.
-
[18]
Ibid., p. 277.
-
[19]
Bhabha emploie le mot knowledges afin de faire une distinction par rapport au concept philosophique de knowledge (savoir). Nous trouvons donc que le mot français de connaissances correspond le mieux au sens évoqué par Bhabha.
-
[20]
« … sign of colonial difference ». Bhabha, op. cit., p. 114.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
Voir Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris : éd. de Minuit, 1967. Tout en jouant sur les mots différer et déferer, la notion de la différance désigne le mouvement, la dynamique et la relativité, nés du signe et du rapport entre signifiant et signifié.
-
[23]
Par « jeu » nous entendons la dynamique de la signification, dynamique qui comporte les facteurs de la narrativité, l’énonciation et les mécanismes de l’interprétation ainsi que la différance.
-
[24]
Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris : Seuil, 1973.
-
[25]
Derrida, op. cit., p. 208-214. Ici Derrida souligne le fait que le supplément n’ajoute pas seulement, il supplée aussi. Le supplément rend donc souvent visible un manque de ce qu’il supplée et a ainsi un effet subversif sur la hiérarchie apparente entre ce qui est et ce qui est suppléé.
-
[26]
Bhabha, op. cit., p. 182. L’exemple concret de Bhabha est la turbulence créée par Tangier dans le signe de Casablanca en ce qui concerne le film du même nom. (Ibid., p. 180-185). Un autre exemple érudit d’une telle analyse est à trouver chez Benítez-Rojo et sa lecture des chroniques de Bartolomé de Las Casas, (Historia de las Indias escrita por Fray Bartolomé de las Casas Obispo de Chiapa, 1875-76), où le sucre et ses liaisons avec des sujets raciaux (l’esclavage étant une nécessité dans la plantation) sont présents et signifiants par leurs absences dans plusieurs parties de l’œuvre. (Antonio Benítez-Rojo, The Repeating Island : the Caribbean and the Postmodern Perspective, London : Duke University Press, 1996 (1989), (trad., de l’espagnol), p. 85-111).
-
[27]
Un exemple peut être le discours colonialiste vis-à-vis « d’autres savoirs refoulés », (cf. Bhabha, op. cit., p. 114 ainsi que Glissant, 1981, op. cit., p. 219-279).
-
[28]
Bhabha, op. cit., p. 184.
-
[29]
Si nous n’avons pas à développer la généalogie philosophique du concept de la notion de « liberté », nous pouvons quand même signaler l’œuvre d’Alexis de Tocqueville (La Démocratie en Amérique, 1835-1840). La crainte, exprimée par Tocqueville, de l’asservissement de l’individu par la majorité, même dans un cadre démocratique, semble pertinente pour les préoccupations de Chamoiseau et de Glissant.
-
[30]
Chamoiseau, Texaco, Paris : Gallimard (Folio) 1992, p. 157.
-
[31]
Ibid., p. 157.
-
[32]
Ibid., p. 158.
-
[33]
« Effilochage » (« unpicking » en anglais) est utilisé par Bhabha, pour désigner comment le processus de l’hybridation entraîne un ébranlement du sens établi de certains signes et concepts.
-
[34]
Quant à son prénom, il peut sans doute viser à plusieurs sens, dont le plus traditionnel serait peut-être l’unité des signifiances associées aux Marie dans le mythe biblique (la vierge Marie et Marie Madeleine) et celles liées à la (philo)sophie. Le nom Marie-Sophie serait ainsi interprété comme une combinaison du religieux, du sacré, voire de l’obscur, et de la pensée rationnelle qui cherche à élucider.
-
[35]
Chamoiseau, 1992, op. cit., p. 157.
-
[36]
Nous dirons nous quand nous ferons référence au mot même et Nous quand nous ferons référence au mot en tant que concept de l’identité collective. De même, je désigne l’énoncé propre alors que Moi désigne le concept de l’identité individuelle.
-
[37]
Ibid., p. 161-173.
-
[38]
Ibid., p. 488.
-
[39]
Ibid., p. 498.
-
[40]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 84.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Cf. Bhabha, op. cit., p. 36.
-
[43]
Cf. l’introduction par Joël Roman in Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? Paris : Presses Pocket, 1992 (1882), p. 24-25,28.
-
[44]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 284.
-
[45]
La roche joue un rôle décisif dans L’Esclave vieil homme et le molosse, op. cit. Une traduction d’une partie des récits a été publiée in Chamoiseau & Confiant, Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature 1635-1975, Paris : Hatier, 1991, p. 15-19.
-
[46]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 285.
-
[47]
Castoriadis, op. cit., p. 492.
1Dans Écrire en pays dominé (1997) Patrick Chamoiseau met en scène la confrontation apparente entre ce qu’il aperçoit comme des faits de domination et des expressions de résistances dans l’espace martiniquais. Historiquement, la domination s’est effectuée par la traite et par l’esclavage, ensuite par la départementalisation en 1948 et enfin, par l’influence de la globalisation [1]. La gamme des tactiques de la résistance couvre une diversité allant de la violence physique des révoltes sporadiques jusqu’au questionnement intellectuel et critique sur les prémisses de la colonisation, de la départementalisation et, actuellement, sur les rapports de pouvoir agissant dans la globalisation.
2Nous nous appuierons sur la résistance discursive de Chamoiseau qui, de même que son ami et précurseur martiniquais, Édouard Glissant [2], se focalise sur la narration dynamique et polyphonique de l’identité martiniquaise au lieu de vouloir la fixer dans un cadre national à l’européenne. Dans un premier temps, nous décrirons l’importance de l’imaginaire qui, selon Chamoiseau, constitue le champ de bataille en ce qui concerne l’expression de l’identité dans le monde globalisé. Dans un deuxième temps, nous rendrons compte de la notion d’hybridation, telle qu’elle est définie par le chercheur indien Homi K. Bhabha dans la théorie postcoloniale anglophone [3]. Finalement, nous montrerons dans quelle mesure Chamoiseau s’est approprié le processus narratif de l’hybridation.
3Chamoiseau nous offre une narration de résistance contre l’esclavage jusqu’alors méconnue : la résistance de la parole et donc de la narration [4]. À titre d’exemple, nous verrons comment Chamoiseau réussit, par sa technique narrative, à problématiser des concepts tels que « la liberté » et « la science » d’une manière qui met l’accent sur l’imaginaire dans lequel ces notions s’inscrivent. La résistance par la narration est, en fait, une tentative de se formuler une identité indépendante afin d’éviter d’être décrit, raconté et imaginé par l’Autre uniquement. Nous verrons comment ce désir d’acquérir, par soi-même, une identité, de s’instituer en tant que je narratif dans un texte et en tant que Sujet dans le monde, se traduit dans des jeux narratifs de l’hybridation et aboutit à une autre manière « d’imaginer le monde ».
Le pouvoir de l’imaginaire
4Tout d’abord, nous devons expliciter notre usage du mot imaginaire en faisant référence au philosophe Cornelius Castoriadis chez qui l’imaginaire n’est ni fictif, ni « image de quelque chose ». L’imaginaire est, par contre, « création incessante et essentiellement indéterminée (socialhistorique) de figures/formes/images » et de cette création naissent des questions, non pas des images [5].
5Quand Chamoiseau, dans Écrire en pays dominé, transforme la voix narratrice ainsi que son propre statut d’auteur de « Marqueur de parole » en « Guerrier de l’imaginaire », c’est parce qu’il a décelé, à travers ses réflexions et ses narrations sur des problématiques relatives à l’esclavage, à la départementalisation et à la globalisation, une trame puissante : l’imaginaire qui dirige nos manières de concevoir l’Autre et nous-mêmes [6].
6Le psychanalyste antillais Frantz Fanon pose précisément une question sur la liaison étroite entre l’image et l’imaginaire par son analyse de l’homme noir qui se trouve « sur-déterminé de l’extérieur », par son « apparence » [7]. Fanon, tout en critiquant la démarche de la Négritude aussi bien que Jean-Paul Sartre lorsque ce dernier place la condition des populations noires dans une dialectique binaire, ce qui aide à sauvegarder la notion de race, se révolte contre l’imaginaire occidental, contre l’invention même de l’homme noir : « Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc. » [8]
7L’imaginaire raciste, ainsi remis en question par Fanon, fait partie de l’ostracisme de l’Autre, de celui qui est différent du Soi, phénomène qui n’est pas un fait du passé mais qui continue à régner dans les sociétés modernes, ses manifestations étant visibles en Europe aussi bien que sur d’autres continents [9]. Si le besoin de toute communauté d’imaginer et de formuler son identité particulière par rapport au monde, d’instituer le monde comme un monde de significations comme le dirait Castoriadis [10], est en soi innocent, les effets concrets de cet imaginaire et ces significations peuvent être désastreux. La traite, l’esclavage, le colonialisme et l’holocauste de la population juive en Europe sont les conséquences horrifiantes et extrêmes d’une logique de catégorisation d’abord et ensuite de hiérarchisation des peuples, comme le disait Aimé Césaire déjà en 1955 [11]. Aujourd’hui encore, la violence, la guerre et le terrorisme, à New York ou ailleurs, s’inscrivent dans une narration médiatique, politique et littéraire du monde dans laquelle la vie des uns est précieuse alors que celle des autres vaut à peine d’être mentionnée.
8Benedict Anderson nous présente dans Imagined Communities (1983) une analyse lucide de la communauté moderne et de l’Étatnation. En donnant des exemples de l’interdépendance de l’idée de la nation et de l’imaginaire de sa population, Anderson souligne le fait que cet imaginaire entraîne des événements bien concrets, tels que la guerre où des soldats, au péril de leurs vies, sont amenés à tuer des inconnus en protégeant d’autres inconnus. Un phénomène qui serait aberrant en dehors de l’imaginaire collectif de la nation [12].
9Dans ce contexte, l’œuvre de Chamoiseau constitue un défi à nos imaginaires dont la « création » se prête certainement le plus souvent à des idées eurocentristes sur la culture et sur l’identité nationale. Les récits de Chamoiseau sur l’esclavage dévoilent, par exemple, un rapport complexe entre le bourreau et la victime, entre le Sujet dominant et le Sujet dominé : d’un côté le Sujet dominé n’a pas le statut de victime passive et de l’autre, le bourreau est victime, lui aussi, d’un imaginaire déshumanisant qui le tourmente sinon à un niveau physique, du moins à un niveau existentiel [13]. L’absurdité de la hiérarchisation des êtres humains devient encore plus évidente par la description des personnages qui, pour une raison ou pour une autre, ne correspondent pas aux catégories stéréotypées de la population selon des critères de races ou de langues.
10Cette obstination à éviter les polarités réapparaît dans la narration de la départementalisation. Si une certaine assimilation a eu lieu dans la société martiniquaise à partir de 1948, la résistance de Chamoiseau ne s’exprime nullement comme un désir de retourner vers une identité essentialiste et « authentique », ancrée dans une racine unitaire. En empruntant le concept de « relation » à Édouard Glissant, Chamoiseau s’interroge non pas sur ce qu’est telle ou telle culture, mais sur le rapport d’une culture quelconque à son altérité interne aussi bien qu’externe, sur ses négociations de valeurs collectives, enfin, sur sa narration [14]. Dans Écrire en pays dominé, la « mise-sous-relations » fait donc référence à l’absence de l’égalité sociale dans les structures qui dirigent la négociation des rapports de pouvoir. Premier exemple : la primauté de la langue française au détriment de la langue créole. D’autres exemples traités par Chamoiseau sont la hiérarchisation épidermique, à moitié tabouisée, de la population et l’embarras des habitants, possédant un autre savoir souvent dit « folklorique » du pays, qui essaient de se faire écouter et respecter par les autorités.
11Dans le roman Texaco de Chamoiseau, le récit du narrateur est mis en dialogue, en « relation » avec les récits venant d’autres personnages. Texaco fonctionne comme une sorte de laboratoire pour une écriture expérimentale qui s’oriente, naturellement, vers les préoccupations formulées plus tard dans Écrire en pays dominé :
Tente, au plus loin de toi-même, de déceler ce qui agite ta voix. Tu ne sauras rien du mystère de l’Écrire mais tu auras pensé ce qui chez toi le mobilise. Et ton art, qui doit résister à toute domination, trouvera une liberté réelle dans cette pensée marronne. [15]
13Déceler ce qui agite et étudier les conditions d’une écriture, c’est bien cette investigation sur les fonds de la narration de l’identité qui place Chamoiseau comme un écrivain intéressant dans le contexte postcolonial. Ce genre d’« archéologie », non seulement « du savoir », et des « formations régulatrices du discours » [16], mais surtout de la narration et de l’énonciation ainsi que des conditions dans lesquelles elles travaillent, constitue une partie importante du projet de l’écrivain martiniquais. Ces conditions impliquent la rencontre des imaginaires différents qui se présentent aussi bien par les faits historiques que par les effets de l’intertextualité, c’est-à-dire tous les livres lus et les discours, les conversations, les comptes rendus, etc.
14Et, dans cette quête, le narrateur mis en scène par Chamoiseau découvre le pouvoir de « l’Écrire » dans sa propre lutte contre ce qu’il ressent comme des dominations. Par « l’Écrire », il peut en même temps influencer l’imaginaire de l’Autre et d’autrui et renforcer la légitimité du sien. « L’Écrire » devient donc un moyen de résistance contre la domination invisible, c’est-à-dire les valeurs prônées par les massmédia. En réfléchissant sur ce « filtre » de domination, le narrateur se lève tout d’un coup en « guerrier de l’imaginaire » [17]. La tâche du guerrier est de lutter pour l’imprévisible, de se battre contre un filtre de « l’uniformicité » sans jamais pouvoir dire avoir vaincu : « tu mourras en position » [18] dit le narrateur du rôle du guerrier. Son travail d’écriture est un processus sans fin, sans but fixé puisque cela entraînerait un dogme, une unicité, une clôture. Et le guerrier recherche la liberté, pas la certitude, pas l’achèvement.
Introduction à l’hybridation selon Homi Bhabha
15Le concept d’« hybridation » (« hybridity » en anglais) est utilisé par le chercheur indien Homi K. Bhabha d’une manière qui, dans le domaine des recherches des cultures, tente de rompre, définitivement, avec l’approche épistémologique qui entraîne des termes tels que « melting pot », « métissage » ou « multiculturalisme ».
16Travaillant sur la différence culturelle, le chercheur ne se trouve plus, Bhabha nous le dit, dans le domaine épistémologique. Il doit s’orienter vers une analyse du processus de l’énonciation de la culture et, à partir de là, ce qui est défini comme « différence culturelle », en tant que phénomène autoritaire et adéquat à la construction des systèmes d’identifications culturelles. Puisque la culture d’un pays, d’une nation ou d’une région évolue constamment, est remise en question, négociée plus ou moins ouvertement, il importe d’analyser comment fonctionne cette évolution, comment le discours sur les cultures et les identités culturelles sont mises en signification.
17L’hybridation, selon Bhabha, est le nom du processus du retour des connaissances [19] refoulées par la représentation coloniale. Bhabha souligne le fait que ce n’est pas seulement le contenu de ces connaissances qui ressurgit mais aussi leurs stratégies narratives. Ces connaissances s’insèrent dans le discours dominant, en perturbant le fondement autoritaire du dernier. L’autorité nationale est réévaluée et reformulée, devenant un « signe de différence coloniale » [20]. Au lieu de parler des cultures différentes, il faut donc parler de la production d’une différenciation culturelle en tant que signes autoritaires [21].
18Inspiré par la différance textuelle, telle qu’elle a été formulée par Jacques Derrida [22], l’analyse faite par Bhabha des processus d’hybridation est basée sur la prémisse de la production du sens non contenue au-dedans de certains signes. Or, cette production apparaît par le moyen du « jeu » [23] de la signification, c’est-à-dire que l’hybridation, selon Bhabha, est soit un instant, soit un processus de transformation du sens dans un discours quelconque, un processus réalisé à travers la négociation entre les éléments mis en jeu. Puisqu’il s’agit de relations de pouvoir et d’identité dans le contexte postcolonial, l’interrogation déclenchée par l’hybridation est souvent très douloureuse : elle entraîne de la complexité et des questions subversives là où le discours des potentats, qui formulent l’identité collective d’une société, cherche traditionnellement à simplifier et à éclairer. C’est exactement cette quête interrogative qui fait vaciller les idées reçues et ce respect pour la complexité qui rendent sa théorie intéressante pour une analyse du travail de Chamoiseau.
19En faisant référence à la discussion sur la non-phrase de Roland Barthes [24] et au concept de la supplémentarité de Derrida [25], Bhabha explique comment certains signes, malgré leur absence physique dans le texte, peuvent être présents de manière indirecte par la suite d’associations, de connotations, d’attentes contextuelles, etc. Ainsi s’ouvre, dans le processus de la signification, une relation disjonctive et incommensurable de l’espace et du temps dans le signe [26]. Une relation similaire est à trouver entre des discours dominants et ceux qui sont marginalisés ou refoulés [27]. Le discours marginalisé, étant présent par son absence dans une situation quelconque, ouvre donc un espace qui évite des polarisations binaires : il n’est ni l’un, ni l’autre, ce qui permet au « sujet agissant » d’entreprendre son interrogation dans une position de catachrèse [28]. Catachrèse, parce que la liaison entre le discours présent et le discours refoulé n’est pas nécessairement fondée sur une logique régissante dans les manifestations du discours, catachrèse parce qu’en plus, l’interpellation entraînée par ce discours refoulé dérange et bouscule la logique apparente du discours régnant.
La résistance par hybridation
La liberté
20La notion de liberté, l’un des trois mots-clefs célèbres de la devise de la République française, rendrait, avec l’abolition de l’esclavage, sa dignité humaine à la population noire. Pourtant, dans Texaco, le sens de la liberté est relativisé par la narration du personnage Esternome [29] : sous le règne de Napoléon III, une fontaine est construite à FortdeFrance. Esternome la baptise « Fontaine la liberté » [30] avec une ironie qui vient du fait que la liberté n’était pas suivie par l’égalité : « Liberté s’est faite un travail à contrat, avec livret, avec passeport. » [31] Par cette nomination de la fontaine, Esternome se trouve sur ce point de catachrèse dont parle Bhabha, point d’où un changement ou une création de sens, de quelque chose de neuf, peuvent se réaliser. Si la liberté réelle, dans le contexte colonial, est remise en question, elle n’est pas tout à fait exclue. En effet, la fontaine fait aussi l’épreuve de ce qui peut réellement mener à une liberté pour les travailleurs : le savoirfaire de leur artisanat qu’ils ont utilisé pour la construction de la fontaine ainsi que les rêves qui les ont accompagnés tout au long du travail. Comme un phénomène d’hybridation, le monument de la fontaine, portant officiellement le nom, « Gueydon », du nouveau commandant du pays, est rebaptisé et reçoit d’autres histoires, d’autres significations que celles envisagées par les autorités. Le nom « Liberté » illustre le pouvoir de la parole et porte, à la manière créole, plusieurs sens : la distance ironique vis-à-vis de la liberté proclamée officiellement, la fierté du savoir-faire de leur artisanat, l’obstination de nommer son œuvre soi-même. La liberté présuppose donc qu’on est actif. Une liberté offerte sur les prémisses formulées par les colonialistes uniquement n’aurait pas suffi à réparer les rapports d’inégalité : « Ô douce, il faut quitter la liberté pour s’ébattre dans la vie… » [32], dit Esternome à sa fille, Marie-Sophie. En disant ceci, le concept de « liberté » est démasqué comme n’ayant plus, dans le contexte martiniquais, aucune garantie d’une liberté réelle. Ainsi, les travailleurs, par la nomination de la fontaine, font un acte « d’effilochage » du sens établi de la liberté en créant ce que Bhabha appellerait un site hybride de signification [33]. La signification du mot liberté est désormais mise en mouvement par le sens adjonctif, le supplément, conçu par les travailleurs.
Le savoir et la science
21Dans Chronique des sept misères (1986) le personnage Pipi a inventé un éco-système sophistiqué dans son jardin. Pourtant, au fur et à mesure que l’histoire de l’épanouissement de son jardin devient une histoire publique et médiatisée, son propre savoir-faire ainsi que son langage technique sont dévalués. On le contraint à exprimer son savoir dans un langage technique français, à se soumettre aux lois scientifiques prétendument universelles de la tradition française ou occidentale. Il s’agit, évidemment, d’une « mise-sous-Relation », et piégé dans un langage qu’il ne comprend pas, Pipi n’arrive plus à faire croître ses plantes qui finissent toutes par mourir.
22L’existence possible d’un langage technique ainsi que d’un savoir scientifique en dehors du cadre scientifique occidental n’est pas concevable pour les journalistes et les fonctionnaires qui viennent voir l’œuvre de Pipi. Pipi se trouve de plus en plus aliéné de son projet, de son œuvre par le langage et la méthodologie qu’on lui impose. Ce récit particulier de Chamoiseau n’est pas un récit sur la culture et le savoirfaire créoles « authentiques » qu’il faut laisser intouchés pour ne pas les « infecter » avec les connaissances de la modernité. Une telle interprétation serait, malgré ses « bonnes intentions », aussi arrogante que l’intervention des fonctionnaires mentionnée ci-dessus. Le savoir, l’œuvre et le langage de Pipi font partie de la modernité : ils sont des expressions modernes créoles, ce qui ne veut pas dire qu’ils valent plus ou moins que ceux qui viennent d’ailleurs.
23Le récit de Chamoiseau dévoile une prétention dictant qu’un savoir scientifique équivaut à un savoir formulé dans un certain langage, faisant référence à une certaine tradition épistémologique. Ainsi, le texte de Chamoiseau rend visible le fait que les concepts de science et d’épistémologie sont employés dans un discours de hiérarchisation. La science, ce sont bien les connaissances étudiées et exprimées dans le langage et la tradition occidentale. Les connaissances exprimées autrement sont « des savoirs locaux » ou « folkloriques » qui ne peuvent obtenir le statut de science avant d’être insérés dans le discours occidental faisant référence à son épistémologie à lui. L’universalité ainsi que l’objectivité des concepts tels que « épistémologie » et « science » sont donc ébranlées. Pourtant, ce ne sont pas les concepts en eux-mêmes qui posent problème, c’est leur emploi dans un discours et dans un imaginaire qui, a priori, en excluent certains signifiants, en en acceptant d’autres sans s’interroger sur les prémisses de ces choix. Le mode de la narration du savoir reste primordial.
24Cette remise en question de l’emploi des concepts tels que science et épistémologie constitue un exemple de ce que nous appellerons résistance par hybridation. La crédibilité et l’autorité du discours dominant sont affrontées et sa structure de mise-sous-Relation est dévoilée. Or, au lieu de déconstruire les signes science, épistémologie, expertise, etc., en les rendant impossibles à employer, le récit de Chamoiseau nous suggère que, mis en signification par la mise-en-relation, ils seraient dotés de plus de signifiés, désignant plus de références que ne permettrait une lecture eurocentrique traditionnelle.
Le privilège de dire je
25Nulle part ailleurs, peut-être, n’apparaît la force de la parole en ce qui concerne l’identité avec plus d’évidence que dans les cas de la nomination. Les esclaves n’avaient même pas le droit de garder leurs propres noms. Les pays des colonies et leurs villes furent tous nommés par les colons, souvent d’après des pays et des villes du pays colonisateur. Donc, la nomination est un « endroit » évident pour exercer une résistance, pour se créer un espace imaginé par soi-même et non uniquement par les autres. Esternome ne reçoit son propre prénom qu’au moment où il sauve la vie de son maître. Ce nom, jouant peut-être sur les mots latins istud nomen, ne lui prédit pas de destin fixé. Il a reçu son nom, à lui de lui donner un sens, à lui d’y puiser un contenu, un signifié. Aucun nom n’est d’ailleurs donné par hasard dans Texaco : Le nom de famille de Marie-Sophie est Laborieux, ce qui correspond à son travail énorme pour la survie de la banlieue de Texaco [34]. Le pouvoir de la nomination ne se restreint pourtant pas à la formulation de l’identité individuelle :
… Il s’amusait à tout rebaptiser, recréant le pays au gré de sa mémoire, et de ce qu’il savait (ou imaginait) des histoires que nous eûmes dessous l’Histoire des gouverneurs, des impératrices, des békés, et finalement des mulâtres qui parvinrent plus d’une fois à en dévier le cours. Ne pas le faire c’était flotter au vent. Et lui ne voulait plus de cela. [35]
27Rebaptiser revient à re-narrer, à influencer l’identité de son pays et donc l’identité du Sujet. En donnant des noms à son entourage, Esternome se crée des points d’ancrage et se fait une racine rhizome. En même temps, un effilochage du monopole du sens des noms donnés par le pouvoir colonial s’est effectué.
28Esternome et Marie-Sophie disent tantôt je, tantôt nous quand ils relatent leurs histoires [36]. L’équilibre ou le mouvement dynamique entre l’individu et le collectif est ainsi illustré, mis en jeu par l’énonciation de leurs narrations. Une première péripétie de cette problématique se produit pendant la montée dans les montagnes d’Esternome où le « noutéka » mystique lui vient à l’esprit et ce mot, cette parole, fonctionne comme un pivot qui fait tourner le processus de la construction du village dans les montagnes [37]. Chez Esternome, tout comme plus tard chez Marie-Sophie, un mot porte ainsi la force qui sert à créer un lieu d’appartenance pour la collectivité et à renforcer l’identité individuelle. Le nom secret de Marie-Sophie la porte et la soutient pendant ses périodes de détresse et ce nom n’est révélé qu’à la dernière page, voire dans la dernière phrase de son « sermon » [38]. Ce n’est rien d’autre que le nom de Texaco, ce qui constitue la deuxième péripétie de cette problématique du livre [39].
29Dans les deux cas, l’identité individuelle, manifestée à travers le je, est trouvée par le nous collectif. Esternome explique plus tard le vertige que la prononciation du mot je lui a procuré :
Tu te rends compte, So-Marie ? Pouvoir à un moment donné de sa vie, dire :
Je… Qu’est-ce que tu dis de ça, tonnant du sort ?
31Dire je n’est pas un droit acquis. Il faut se battre, contribuer et être actif pour en obtenir le privilège. Le triomphe exprimé par Esternome est le même que doit vivre Marie-Sophie quand elle relate l’histoire de sa lutte pour Texaco. En cela, elle inscrit son propre je dans l’identité collective de Texaco.
32Si nous nous tournons vers l’œuvre théorisante de Chamoiseau, Écrire en pays dominé, le narrateur, tout en signalant l’influence de Malemort (1975) d’Édouard Glissant et de Dézafi (1975) de Frankétienne, se distancie de l’approche universalisante du « Monde noir » [40]. Rejetant une conceptualisation essentialiste de l’identité d’après des critères de race ou de langue, il cherche à vivre « la question du « nous » à découvrir » et cela avec une avidité aux « profondeurs de mon pays » [41].
33Le Nous collectif, désigné par le nous énonciatif, est raconté à travers sa narration d’une grande variété d’histoires issues des Caraïbes, des Taïnos, des Syriens, des Indiens, des Vietnamiens et des Chinois, des esclaves et de leurs descendants et puis des békés. Le je narratif assume ces Moi différents, tantôt un Moi caraïbe, tantôt un Moi syrien, etc. Cela revient à changer le statut du sujet de l’énonciation. La prise en charge de ces Moi divers touche directement à la problématique sémiotique du décalage entre le je narratif et le sujet de l’énonciation qui, selon Bhabha, ouvrirait un Troisième espace, mobilisant la signification et donnant ainsi l’occasion au processus d’hybridation de se présenter [42]. Au lieu de considérer ces circonstances, dans le texte de Chamoiseau, comme des problèmes qui déconstruiraient une identité ou une cohérence supposée nécessaire, le jeu entre le sujet de l’énonciation et le je narratif est utilisé ouvertement, non pour déconstruire, mais pour construire : construire une narration itérative et infinie des histoires martiniquaises et des identités.
34Quand Chamoiseau insère des voix jusqu’alors marginalisées telles que les voix des Taïnos, des Caraïbes, des Vietnamiens, des Indiens, etc., les messages de ces Moi sortent d’une position énonciative catachrétique en dérangeant la logique régissante du genre de l’essai théorique ainsi que de l’historique traditionnel : le résultat en devient qu’aucun des Moi n’apparaît plus marginalisé que l’autre. L’esclave a échappé à la passivité de la victime, les actes et les motifs du Maître ne font plus le centre de l’Histoire, et le Caraïbe, le Chinois, l’Indien, etc. sont délivrés de leur place dans le non-dit. Ainsi, Chamoiseau exerce une résistance contre une conception fondée sur une épistémologie hiérarchisante occidentale en inaugurant la narrativité et l’énonciation comme la matrice qui nourrira notre imaginaire. L’identité collective est une question qui se vit et se narre continuellement. Les profondeurs recherchées de son pays sont précisément constituées par une multiplicité abondante d’histoires, – contemporaines et appartenant au passé –, à raconter sur les vies (et justement pas la vie) des habitants martiniquais.
35De même, l’approche de Chamoiseau est à la fois une invitation au lecteur à utiliser, de manière consciente et créative, l’imaginaire et une démonstration de ce que nous expliquent l’historien Benedict Anderson ainsi que Homi Bhabha : la cohésion et l’identité unie d’une nation ou d’une communauté sont, en une grande partie, engendrées par l’imaginaire de leurs populations. Il y a alors plus d’urgence à déceler ce qui dirige nos imaginaires.
Imaginer la communauté autrement
36Si Chamoiseau, dans Éloge de la Créolité (1991), exprime le souhait que la Martinique soit indépendante de la France, il montre, dans Écrire en pays dominé (1997), qu’il n’a pas recours à une résistance nationaliste qui se fonderait sur la culture créole « authentique ». Sa protestation contre le statut de DOM de la Martinique est tout d’abord une protestation contre l’État-nation en tant que cadre de la société en dehors de toute négociation.
37Dans son introduction aux discours d’Ernest Renan, le philosophe Joël Roman évoque ce statut souverain de la nation en soulignant que le fameux « plébiscite de tous les jours » de Renan n’inclurait pas un débat démocratique et pluraliste de ce qu’est la nation [43].
38Au lieu d’insérer un autre modèle remplaçant la nation, Chamoiseau travaille sur la mise-en-Relation en aboutissant à la notion de « Pierre-monde » [44]. L’image de la pierre a elle-même une racine rhizome ayant plusieurs références : d’une part, elle est une allégorie de l’alchimie en ce que le bouillonnement de plusieurs cultures donne un résultat à la fois merveilleux et imprévisible, d’autre part, elle se veut certainement aussi une référence à « la roche écrite », située en Martinique et qui porte les inscriptions des récits sur les premières rencontres entre les Caraïbes, les Européens et les esclaves importés [45]. Cependant, dans les réflexions de Chamoiseau, l’image de la pierre vise tout d’abord à démontrer la possibilité d’une concentration dense et intense des manifestations culturelles sans aucune hiérarchie interne, ni structure figée a priori. De cette intensité naissent l’expression et la formulation de l’imaginaire antillais dans un langage et dans une narrativité qui se soustraient à la domination du discours officiel et établi, et qui remettent l’universalité de l’imaginaire occidental en question. Cette résistance narrative emploie la tactique de l’hybridation parce qu’elle garde les concepts et les notions du discours établi tout en leur donnant d’autres significations.
39L’image de la Pierre-Monde n’est pas seulement une manière d’envisager la Martinique ou les Antilles comme une totalité qui comporte la diversité spécifique de cette région, elle entraîne aussi une certaine vision sur le rapport avec le reste du monde. Au lieu de comparer et de catégoriser les cultures, l’œuvre de Chamoiseau se fait l’avocat d’une mise-en-relations horizontale des peuples comme alternative à la misesous-relations verticale habituelle [46]. Vision utopique peut-être dont le premier pas consisterait à concevoir l’identité et la culture non comme des substantifs mais comme des verbes itératifs. Castoriadis invite son lecteur à penser un mode d’être quelconque dans sa spécificité sans le « substantialiser » [47]. De même que, selon Bhabha, la différence culturelle est une question d’énonciation, de narration et de discours. Chamoiseau, en Martinique, introduit dans nos imaginaires la Pierre-Monde dont l’objectif n’est pas de diluer toute identité spécifique. Au contraire, son projet est, si l’on peut dire, encore plus ambitieux : il vise à la (re)construire, (re)narrer et (re)imaginer à l’infini.
Notes
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[1]
Patrick Chamoiseau, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997, p. 23.
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[2]
Cf. parmi d’autres Le Discours antillais, Paris : Gallimard, 1981, Poétique de la Relation, Paris : Gallimard, 1990.
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[3]
Homi K. Bhabha, The Location of Culture, London : Routledge, 1994. Pour une introduction dans le champ des études francophones, voir Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théories postcoloniales, Paris : PUF, 1999.
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[4]
Cf. aussi l’article « Que faire de la parole ? » par Chamoiseau sur l’importance du conteur et la résistance énonciative de ses paroles in Écrire « la parole de nuit », Ralph Ludwig éd., Paris : Gallimard, 1994, p. 151-158. Pour le pouvoir général de la parole, voir aussi, dans la même œuvre, les articles d’Ernest Pépin et Sylvaine Telchid.
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[5]
C. Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, Paris : Seuil, 1975, p. 7.
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[6]
Pour une analyse du rôle du « marqueur de la parole » cf. Dominique Chancé, L’Auteur en souffrance, Paris : PUF, 2000.
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[7]
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris : Seuil, 1975, (1952), p. 93.
-
[8]
Ibid., p. 187.
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[9]
Quant à l’héritage de la Cité grecque en ce qui concerne l’ostracisme, voir éventuellement J. Kristéva, Étrangers à nous-mêmes, Paris : Fayard, 1988, ainsi que Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté ? Paris : Gallimard, 2000.
-
[10]
Castoriadis, op. cit., p. 480.
-
[11]
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris : Présence Africaine, 1955, p. 13-14.
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[12]
Benedict Anderson, Imagined Communities, London : Verso, 1991, (1983). Voir surtout chapitre 2, p. 9-36.
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[13]
Cf. entre autres Texaco (1992) et L’Esclave vieil homme et le molosse (1997) de Chamoiseau.
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[14]
La notion de relation est relative à celle de la racine rhizome évoquée par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Le rhizome est caractérisé par le fait qu’il ne sort pas d’une seule racine ou de l’Un, philosophiquement, mais « de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes ». Deleuze & Guattari, Mille plateaux, Paris : Minuit, 1980, p. 31. Le rhizome se fait l’objet d’un processus, alors que « l’arbre-racine » se veut un modèle, un calque transcendant. (Deleuze & Guattari, Rhizome, Paris : éd. de Minuit, 1976, p. 59). Cette conception permet au Sujet de garder un enracinement, tout en formulant une liaison dynamique, changeante et ouverte sur l’imprévisible avec l’Autre. (Glissant, 1990, op. cit., p. 23). Pourtant, Deleuze et Guattari ne se font aucune illusion sur l’innocence du rhizome : il possède ses propres « hiérarchies » et « formations despotiques », (Deleuze & Guattari, 1976, op. cit., p. 59), alors que Chamoiseau et Glissant espèrent en une « mise-en-rela-tions », impliquant des rapports d’égalité pour remplacer la « mise-sous-relations ». (Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 272).
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[15]
Prononcé par le vieux Guerrier. Ibid., p. 22.
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[16]
Nous faisons ici référence à l’œuvre de Michel Foucault. (L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 68).
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[17]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 272-276.
-
[18]
Ibid., p. 277.
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[19]
Bhabha emploie le mot knowledges afin de faire une distinction par rapport au concept philosophique de knowledge (savoir). Nous trouvons donc que le mot français de connaissances correspond le mieux au sens évoqué par Bhabha.
-
[20]
« … sign of colonial difference ». Bhabha, op. cit., p. 114.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
Voir Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris : éd. de Minuit, 1967. Tout en jouant sur les mots différer et déferer, la notion de la différance désigne le mouvement, la dynamique et la relativité, nés du signe et du rapport entre signifiant et signifié.
-
[23]
Par « jeu » nous entendons la dynamique de la signification, dynamique qui comporte les facteurs de la narrativité, l’énonciation et les mécanismes de l’interprétation ainsi que la différance.
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[24]
Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris : Seuil, 1973.
-
[25]
Derrida, op. cit., p. 208-214. Ici Derrida souligne le fait que le supplément n’ajoute pas seulement, il supplée aussi. Le supplément rend donc souvent visible un manque de ce qu’il supplée et a ainsi un effet subversif sur la hiérarchie apparente entre ce qui est et ce qui est suppléé.
-
[26]
Bhabha, op. cit., p. 182. L’exemple concret de Bhabha est la turbulence créée par Tangier dans le signe de Casablanca en ce qui concerne le film du même nom. (Ibid., p. 180-185). Un autre exemple érudit d’une telle analyse est à trouver chez Benítez-Rojo et sa lecture des chroniques de Bartolomé de Las Casas, (Historia de las Indias escrita por Fray Bartolomé de las Casas Obispo de Chiapa, 1875-76), où le sucre et ses liaisons avec des sujets raciaux (l’esclavage étant une nécessité dans la plantation) sont présents et signifiants par leurs absences dans plusieurs parties de l’œuvre. (Antonio Benítez-Rojo, The Repeating Island : the Caribbean and the Postmodern Perspective, London : Duke University Press, 1996 (1989), (trad., de l’espagnol), p. 85-111).
-
[27]
Un exemple peut être le discours colonialiste vis-à-vis « d’autres savoirs refoulés », (cf. Bhabha, op. cit., p. 114 ainsi que Glissant, 1981, op. cit., p. 219-279).
-
[28]
Bhabha, op. cit., p. 184.
-
[29]
Si nous n’avons pas à développer la généalogie philosophique du concept de la notion de « liberté », nous pouvons quand même signaler l’œuvre d’Alexis de Tocqueville (La Démocratie en Amérique, 1835-1840). La crainte, exprimée par Tocqueville, de l’asservissement de l’individu par la majorité, même dans un cadre démocratique, semble pertinente pour les préoccupations de Chamoiseau et de Glissant.
-
[30]
Chamoiseau, Texaco, Paris : Gallimard (Folio) 1992, p. 157.
-
[31]
Ibid., p. 157.
-
[32]
Ibid., p. 158.
-
[33]
« Effilochage » (« unpicking » en anglais) est utilisé par Bhabha, pour désigner comment le processus de l’hybridation entraîne un ébranlement du sens établi de certains signes et concepts.
-
[34]
Quant à son prénom, il peut sans doute viser à plusieurs sens, dont le plus traditionnel serait peut-être l’unité des signifiances associées aux Marie dans le mythe biblique (la vierge Marie et Marie Madeleine) et celles liées à la (philo)sophie. Le nom Marie-Sophie serait ainsi interprété comme une combinaison du religieux, du sacré, voire de l’obscur, et de la pensée rationnelle qui cherche à élucider.
-
[35]
Chamoiseau, 1992, op. cit., p. 157.
-
[36]
Nous dirons nous quand nous ferons référence au mot même et Nous quand nous ferons référence au mot en tant que concept de l’identité collective. De même, je désigne l’énoncé propre alors que Moi désigne le concept de l’identité individuelle.
-
[37]
Ibid., p. 161-173.
-
[38]
Ibid., p. 488.
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[39]
Ibid., p. 498.
-
[40]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 84.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Cf. Bhabha, op. cit., p. 36.
-
[43]
Cf. l’introduction par Joël Roman in Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? Paris : Presses Pocket, 1992 (1882), p. 24-25,28.
-
[44]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 284.
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[45]
La roche joue un rôle décisif dans L’Esclave vieil homme et le molosse, op. cit. Une traduction d’une partie des récits a été publiée in Chamoiseau & Confiant, Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature 1635-1975, Paris : Hatier, 1991, p. 15-19.
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[46]
Chamoiseau, 1997, op. cit., p. 285.
-
[47]
Castoriadis, op. cit., p. 492.