Notes
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[1]
Prospectus du Sérapéum de Memphis d’Auguste Mariette, daté du 16 septembre 1857, p. 3.
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[2]
Le concours photographique est divisé en deux prix : le premier de 2 000 francs est attribué au meilleur procédé photographique inaltérable et le second, plus important, de 8 000 francs, consacre la meilleure reproduction photomécanique.
-
[3]
Michel Dewachter et Daniel Oster, Un voyageur en Égypte vers 1850. Le Nil de Maxime Du Camp, Paris, Sand/Conti, 1987, p. 16.
-
[4]
L. A. Martin, « Société héliographique (séance du 30 mai 1851) », La Lumière, 15 juin 1851, p. 73-74.
-
[5]
Louis-Désiré Blanquart-Évrard, « Note sur l’héliographie sur papier et sur l’impression photographique. Présentée par M. Blanquart-Évrard, de Lille, dans cette même séance de l’Académie », La Lumière, 27 avril 1851, p. 45 ; Isabelle Jammes, Blanquart-Évrard et les origines de l’édition photographique française. Catalogue raisonné des albums photographiques édités. 1851-1855, Genève / Paris, Droz, 1981.
-
[6]
Les pl. 1, 9 et 52 sont d’Aimé Rochas, photographe français actif dans les années 1840-1850.
-
[7]
Histoire et critique, Paris, Hachette, 1877, p. 1, cité dans Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, Le Caire, IFAO, seconde édition, 1992, p. 125.
-
[8]
Isabelle Jammes, op. cit., p. 88.
-
[9]
Françoise Heilbrun, « Auguste Salzmann photographe malgré lui », dans F. de Saulcy (1807-1880) et la Terre sainte, catalogue d’exposition (musée d’Art et d’Essai, Palais de Tokyo, 1982), par Nicole Villa, Pierre Amiet, Michel de Bry, Sylvie Dubois, Françoise Heilbrun et Annie Caubet, Paris, Éditions de la RMN, coll. « Notes et documents des Musées de France », 1982, p. 118.
-
[10]
Voyage au Soudan oriental et dans l’Afrique septentrionale, Paris, Borrari / Londres, J. Madden / Saint-Pétersbourg, Hauer, A. Cluzel succ. / Berlin, A. Asher et Cie, 1852-1859 ; Parallèle des édifices anciens et modernes du continent africain, Paris, L. Hachette et Cie, 1852-1862 ; et l’Exploration archéologique en Asie Mineure comprenant les restes non connus de plus de quarante cités antiques, Paris, L. Hachette et Cie, 1856-1863. Deux volumes de texte correspondent à la première série.
-
[11]
BNF, Réserve des livres rares, Gr Fol-02a-33 (Asie Mineure) et Gr Fol-02a-33 (Soudan oriental).
-
[12]
Avis imprimé sur la couverture de la vingt et unième livraison.
-
[13]
Sylvie Aubenas (dir.), Des photographes pour l’empereur. Les albums de Napoléon III, catalogue d’exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004.
-
[14]
Auguste Mariette, Le Sérapéum de Memphis, Paris, Gide, 1857-1866.
-
[15]
Ernest Renan, Mission de Phénicie, Paris, Imprimerie impériale, Michel Lévy Frères, 1864.
-
[16]
Georges Perrot, Edmond Guillaume et Jules Delbet, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, d’une partie de la Mysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont exécutée en 1861, Paris, Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1862-1872.
-
[17]
Album de la mission remplie en Égypte par le Vicomte Emmanuel de Rougé accompagné de M. le Vicomte de Banville et de M. Jacques de Rougé, Paris, L. Samson, 1865.
-
[18]
Voir D’encre et de charbon : le concours photographique du duc de Luynes. 1856-1867, catalogue d’exposition, Bibliothèque nationale de France, 27 avril – 28 mai 1994, Paris, BNF, 1994.
-
[19]
BNF, Réserve des livres rares, Rés. Fol-NFG-13 : « Voyage du duc de Luynes », cent huit épreuves d’essai des héliogravures de Charles Nègre (certaines datées entre 1866-1869) ; « Voyage de M. Mauss », quatre épreuves d’essai en photolithographie Lemercier (1866) et huit en photogravure Dujardin (1867). Voir l’illustration de couverture.
-
[20]
Voyage d’exploration à la mer Morte, à Petra et sur la rive gauche du Jourdain par M. le duc de Luynes, œuvre posthume publiée par ses petits-fils, sous la direction de M. le comte de Vogüé, Paris, Arthus Bertrand, 1871-1874, trois volumes de texte et un volume d’atlas.
-
[21]
Le premier ouvrage archéologique illustré en phototypie, une amélioration du procédé de photolithographie, a paru en 1868 : Charles Yriarte, Les Frises du Parthénon par Phidias. Vingt-deux planches reproduites par le procédé de phototypie de Tessié du Motay et Maréchal par G. Aroza et Cie, Paris, A. Morel, 1868.
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[22]
Eugène Trutat, La Photographie appliquée à l’archéologie. Reproduction des monuments, œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, Paris, Gauthier-Villars, 1879, p. 58-59 ; à la fin de l’ouvrage, le procédé Rousselon d’héliogravure utilisé chez Goupil et le procédé de phototypie utilisé par Quinsac sont examinés dans le chapitre des « Tirages photomécaniques », p. 126-131.
1« La photographie a des avantages que personne ne conteste : c’est l’image de la nature fixée sur le miroir qui la reflète. La science des antiquités surtout rencontre en elle un secours tout puissant. La photographie n’a pas en effet son style à elle ; elle n’a et ne peut avoir que le style de l’objet qu’elle copie [1]. »
2La nouvelle technique arrive au bon moment, accompagnant un important bouleversement de l’organisation des sciences de l’Antiquité au xixe siècle : les pratiques individuelles se rassemblent au sein des premières sociétés savantes. En France, la recherche est rapidement placée sous la tutelle de l’État et s’organise avec la fondation des premières institutions spécialisées telles que l’Istituto di Corrispondenza archeologica, créé par les Français et les Allemands à Rome en 1829 et l’École française d’Athènes en 1846.
3Cette science en plein essor encourage la pratique photographique et nécessite la rapide publication de ses travaux ; quant à la photographie, la multiplication des images est rapidement un des enjeux de ce nouveau mode de reproduction. Les débuts de l’édition photographique témoignent de cet intérêt commun. William Henry Fox Talbot (1800-1877), qui met au point le calotype, premier procédé photographique permettant la reproduction de l’image à partir du négatif, s’illustre aussi comme membre du comité scientifique du déchiffrement des inscriptions cunéiformes assyriennes en 1857. En 1843, il avait fondé la première imprimerie photographique dont le succès avait été compromis par sa faible productivité et le manque de stabilité des épreuves. En France, le duc de Luynes (1802-1867), numismate, archéologue, est un des rares mécènes de l’archéologie et de la photographie. En 1856, il lance au sein de la Société française de photographie un concours afin de consacrer la meilleure technique « pour hâter le moment tant désiré où les procédés de l’imprimerie ou de la lithographie permettront de reproduire les merveilles de la photographie sans l’intervention de la main humaine [2] ».
4Les premières éditions photographiques apparaissent au début des années 1850. La période antique est populaire et devient rapidement un sujet de prédilection pour de telles publications. La photographie va jouer un rôle important dans le développement des sciences de l’Antiquité dans la seconde moitié du xixe siècle, se caractérisant, entre autres, par l’essor de l’activité pratique et la mise en place d’une méthodologie dans la collecte des données. Et les publications scientifiques reflètent la généralisation de cette pratique à partir des années 1860.
La première édition photographique : le voyage en Orient de Maxime Du Camp
5À la fin du xviiie siècle, la publication et le succès de nombreux récits de voyage attestent le développement des explorations et de l’intérêt pour la période antique. Les « Voyages pittoresques » se distinguent par l’importante iconographie désormais amplifiée par la lithographie. Dès l’année de l’invention de la photographie, les amateurs adoptent ce nouveau mode de reproduction et se proposent de relever les monuments antiques visités, donnant ainsi un caractère scientifique voire d’intérêt public à leurs démarches individuelles.
6Lorsqu’en 1849, Maxime Du Camp (1822-1894) prépare son voyage en Orient et y associe la photographie, il fait figure de pionnier. Il est le premier photographe amateur à obtenir une mission officielle afin d’« explorer les antiquités, recueillir les traditions, relever les inscriptions et les sculptures et étudier l’histoire des monuments [3] ». En 1851, Du Camp rapporte le premier important ensemble de calotypes d’Orient. Plus de deux cents vues reproduisent une soixantaine de lieux différents, et principalement les sites et monuments antiques de l’Égypte, de la Palestine et de la Syrie.
7Du Camp assure rapidement la promotion de son travail photographique, salué par la Société héliographique [4]. Son retour correspond aux débuts de l’imprimerie photographique. En avril 1851, Louis Désiré Blanquart-Évrard (1802-1872) innove avec les « papiers continuateurs [5] » qui permettent la production quasi instantanée d’épreuves d’une grande stabilité. L’activité de son imprimerie photographique est industrielle : une centaine de tirages de 25 × 35 cm est réalisée pour un montant de 120 francs alors que le prix unitaire était estimé entre 6 et 8 francs.
8Maxime Du Camp est contacté par les éditeurs parisiens Gide et Baudry, spécialisés dans les voyages, l’histoire naturelle, l’art et l’histoire, qui, associés avec l’imprimerie de Blanquart-Évrard, lui proposent de réaliser la première publication illustrée de tirages originaux. Ce livre somptueux comprend cent vingt-cinq épreuves [6] d’un format d’environ 16 × 22 cm (ill. 1). Présenté comme « publication archéologique et daguerrienne, pittoresque et savante », il prétend s’adresser à un large public. L’itinéraire mène le lecteur sur le cours du Nil, partant du Caire jusqu’à Abou Simbel, s’achevant par la visite de sites de Jérusalem et Baalbek. Les planches représentent principalement les monuments antiques, avec quelques reproductions d’inscriptions et de bas-reliefs, et des paysages.
Maxime Du Camp et Louis-Désiré Blanquart-Évrard, Nubie. Grand Temple d’Isis à Philoe – Second Pylône, pl. 74 d’Égypte, Nubie, Palestine et Syrie…, Paris, Gide et Baudry, 1852-1854
Maxime Du Camp et Louis-Désiré Blanquart-Évrard, Nubie. Grand Temple d’Isis à Philoe – Second Pylône, pl. 74 d’Égypte, Nubie, Palestine et Syrie…, Paris, Gide et Baudry, 1852-1854
La réalité « inflexible » de la photographie est servie par la qualité des épreuves sorties de l’imprimerie photographique de Blanquart-Évrard, réputées d’une grande stabilité.9Du Camp rédige l’introduction et bénéficie de la précieuse collaboration de l’égyptologue Émile Prisse d’Avennes (1807-1879), qui dessine les plans des sites de Karnak, Médinet-Habou et Philae et rédige les notices des planches.
10Égypte, Nubie, Palestine et Syrie, que Du Camp qualifie de « sorte d’incunable où la photographie et la typographie se côtoyaient pour la première fois [7] », est tiré à deux cents exemplaires entre 1852 et 1854 [8]. L’album est vendu sous forme de livraisons comprenant chacune cinq planches sélectionnées dans le désordre, pratique courante à l’époque afin de maintenir l’intérêt de l’amateur.
11Dès la première livraison, la critique est éloquente. L’ouvrage est le plus grand succès commercial de l’imprimerie Blanquart-Évrard et vaut à Maxime Du Camp les plus hautes décorations de sa carrière. En 1853, il est consacré officier de l’ordre impérial de la Légion d’honneur pour son « ouvrage archéologique ». Surtout, grâce à cette première publication, la photographie acquiert une reconnaissance officielle puisqu’il s’agit de la première acquisition photographique du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France en 1853 et du Victoria and Albert Museum, l’année suivante.
12Des ouvrages similaires font suite. En 1856, Gide et Baudry et Blanquart-Évrard publient Jérusalem d’Auguste Salzmann, un volume de texte accompagné de planches proposées en grand ou petit format. En 1853, les maisons Goupil et Cie, à Paris, et Ernest Gambart and Co., à Londres, s’associent à l’imprimerie concurrente de H. de Fonteny et Cie, qui tire jusqu’en 1858 les planches d’Égypte et Nubie de Félix Teynard (1817-1892), ingénieur civil proposant de corriger par la photographie les planches de la Description d’Égypte.
13Le corps scientifique perçoit rapidement les limites de cette pratique amateur. En 1853, les instructions de l’Académie des inscriptions et belles-lettres rédigées pour la mission d’Auguste Salzmann précisent :
En général, l’emploi fait jusqu’à présent de l’admirable procédé de la photographie par différents voyageurs n’a pu produire pour la science les résultats qu’on en attendait. S’attachant uniquement à des vues générales, ils ont fait ce qu’un dessinateur a toujours le temps d’exécuter et ils ont omis les détails si précieux que l’artiste n’a pas le loisir de prendre [9] […].
15Les travaux de Pierre Trémaux répondent à ces exigences. Surtout, la publication de ses recherches illustre une étape majeure dans l’édition photographique : les photographies sont reproduites par le procédé photomécanique primitif le plus prometteur, la photolithographie.
Les albums de Pierre Trémaux et la photolithographie
16Pierre Trémaux (1818-1895), architecte lauréat de l’Institut de France et second prix de Rome, bénéficie du soutien de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour la publication de ses recherches réalisées lors de sa participation à l’exploration des sables aurifères en 1847-1848 et de son exploration archéologique en Asie Mineure en 1853-1854. Trois atlas sont publiés avec l’encouragement du gouvernement français entre 1852 et 1863 [10].
17Son champ d’étude est vaste (géographie, géologie, sciences naturelles, ethnographie), mais la plus grande partie est consacrée aux monuments antiques. Étant donné sa formation, Trémaux maîtrise la technique du dessin et c’est seulement lors de sa seconde mission qu’il utilise le calotype. Dix-sept vues photographiques complètent les deux premiers albums. L’Exploration archéologique en Asie Mineure, malgré son caractère inachevé, affirme clairement la nouvelle pratique : l’atlas conservé à la Bibliothèque nationale comprend soixante-douze photolithographies et cinq tirages originaux [11].
18Associant la photographie à ses compétences d’architecte, et intégrant à son travail les sciences positives, Pierre Trémaux présente une approche résolument moderne. Il prend en compte la position géographique, voire les données géologiques afin d’aboutir aux datations des monuments. La description des sites est méthodique : partant de la vue d’ensemble pour ensuite développer les particularités ; un plan permet d’abord la localisation des différents éléments qui, ensuite, sont décrits et reproduits individuellement puis complétés par des détails. La description est augmentée par des plans de coupe voire par un croquis géométral afin de corriger l’obliquité de la reproduction photographique due au positionnement de l’appareil.
19Toutefois, Trémaux s’avère meilleur dessinateur que photographe. La qualité et la définition des images sont malheureusement souvent insuffisantes (ill. 2), et de nombreuses et importantes retouches sont visibles. Surtout, les premières épreuves photographiques réalisées pour l’édition s’altèrent rapidement, comme en témoigne la note d’excuse imprimée sur la page de titre originale :
Les photographies n’étant pas reconnues suffisamment inaltérables par la lumière et divers autres agents, pour offrir la certitude de la durée nécessaire à un corps d’ouvrage, seront à l’avenir reproduites par la lithographie. D’ailleurs, les circonstances difficiles dans lesquelles ont été faites la plupart de celles qui font partie de cet ouvrage étant nécessairement cause d’une médiocrité relative, celles déjà livrées seront successivement remplacées par des reproductions lithographiées, données en supplément dans les livraisons et sans frais pour le souscripteur. […] Ces reproductions supplémentaires faites sur papier mince, sont destinées à être contrecollées sur les planches mêmes qu’elles reproduisent, ou à leur verso, si l’on désire conserver la photographie comme authenticité de document [12].
Pierre Trémaux, Vue des restes du palais d’Alinda, planche « Alinda Pl. 2 » de l’Exploration archéologique en Asie Mineure comprenant les restes non connus de plus de quarante cités antiques, Paris, L. Hachette et Cie, 1856-1863
Pierre Trémaux, Vue des restes du palais d’Alinda, planche « Alinda Pl. 2 » de l’Exploration archéologique en Asie Mineure comprenant les restes non connus de plus de quarante cités antiques, Paris, L. Hachette et Cie, 1856-1863
Les épreuves originales sont souvent de mauvaise qualité technique et se révèlent instables. L’éditeur, qui décide de les remplacer par des lithographies, invite toutefois à les conserver comme « témoignages d’authenticité ». La photolithographie de Poitevin sauvera la publication.21À partir de la vingt et unième livraison des deux premières séries, ces quelques épreuves sont remplacées par des lithographies ou chromolithographies ; et la photolithographie est finalement utilisée à partir de 1863 pour les planches de l’Exploration archéologique en Asie Mineure. Breveté en 1855 par son inventeur, Alphonse Poitevin (1819-1882), il s’agit du premier procédé photomécanique inaltérable qui sera consacré en 1867 par le prix du duc de Luynes. En 1857, l’imprimeur Rose Joseph Lemercier (1803-1887), spécialisé dans les reproductions d’objets d’art, de sculptures et d’architecture, acquiert l’exploitation du brevet et réalise l’illustration de nombreux ouvrages archéologiques.
L’essor des ouvrages archéologiques et la photographie
22Les découvertes archéologiques participent au rayonnement de la nation. Ces succès contribuent au prestige des différents gouvernements et font l’objet de somptueuses publications financées avec le soutien de l’État. La Description de l’Égypte, ouvrage monumental publié entre 1808 et 1828, est exemplaire puisqu’il s’agit de la plus importante réalisation de l’histoire de l’imprimerie française.
23L’intérêt de Napoléon III pour les études antiques donne une véritable impulsion à la discipline, et tout particulièrement dans le domaine qui le passionne, le règne de Jules César, dont il publie l’histoire en 1865-1866. L’empereur est aussi particulièrement favorable au développement de la photographie [13], un des symboles du progrès et de ce siècle scientiste. Ce double intérêt favorise l’essor d’importants ouvrages archéologiques illustrés par la photographie.
24En 1850-1854, les fouilles du Sérapéum de Memphis dirigées par Auguste Mariette (1821-1881) enrichissent le musée du Louvre de plus de sept mille pièces. Mariette, chargé du classement de la collection, conçoit dès 1856 un projet de publication commémorant l’importance de la découverte. La collection est photographiée par Paul Berthier (1822-1912) et Charles Marville (1816-1879) pour illustrer l’ouvrage (ill. 3). Dans sa préface, Mariette fait l’éloge de la photolithographie, grâce à laquelle « les images sont enlevées, sans l’intermédiaire du crayon, aux monuments eux-mêmes ». Les souscriptions de l’État financent la réalisation de cet ouvrage dont le volume de texte devait être accompagné de cent planches [14]. L’éditeur Gide est chargé de sa production qui s’avère laborieuse et se prolonge jusqu’en 1866 pour finalement ne publier qu’une première série de trente-six planches.
Charles Marville et Alphonse Poitevin, XVIIe Dyn – Apis II, IIIe partie, pl. 2 du Sérapéum de Memphis…, sous la direction d’Auguste Mariette, Paris, Gide, 1857-1866
Charles Marville et Alphonse Poitevin, XVIIe Dyn – Apis II, IIIe partie, pl. 2 du Sérapéum de Memphis…, sous la direction d’Auguste Mariette, Paris, Gide, 1857-1866
La photolithographie permet de regrouper plusieurs photographies d’urnes funéraires. La sélection des pièces et leur agencement illustrent le catalogage méthodique de la collection et le caractère scientifique de cette publication. Cette planche a été tirée avant l’exploitation du brevet de Poitevin par l’imprimeur Lemercier.25Les missions d’exploration se développent et leurs publications illustrent la généralisation de la pratique photographique. La photolithographie semble être le mode de reproduction privilégié, notamment pour les ouvrages de la mission en Phénicie en 1860-1861 dirigée par Ernest Renan [15] (1832-1892) et la mission en Asie Mineure de l’archéologue et helléniste Georges Perrot [16] (1821-1914) en 1861.
26L’album de la mission épigraphique en Égypte dirigée par le vicomte Emmanuel de Rougé (1811-1872) constitue un bel exemple de la précision du négatif au collodion humide [17]. Financé par le photographe de la mission, Aymard de Banville (1837-1917), l’ouvrage fait alors figure d’exception : il est illustré de cent cinquante-cinq épreuves originales dont la qualité et l’état de conservation témoignent du soin apporté à sa réalisation.
27Enfin, si le concours du duc de Luynes [18] consacre en 1867 la photolithographie, ce dernier choisit l’héliogravure, procédé dérivé de la gravure en creux, pour la reproduction des photographies réalisées lors de son voyage d’exploration à la mer Morte. En 1864, il parcourt le Liban et la Palestine. Accompagné de l’officier de marine Louis Vignes (1831-1896), chargé des opérations photographiques, et du jeune géologue Louis Lartet (1840-1899), ils recherchent les témoignages des cultures préhistoriques orientales et découvrent des silex taillés dans les grottes du Nhar el-Kelb. Dès son retour, le duc de Luynes confie au photographe Charles Nègre (1820-1880) une sélection de cinquante vues réalisées par Vignes pour illustrer sa publication. Ce procédé, finaliste au concours, est pénalisé par la lenteur et la complexité de sa méthode qui oblige à faire de nombreuses retouches. C’est ce que démontrent les épreuves d’essai récemment acquises par la Réserve des livres rares [19]. L’ouvrage du duc de Luynes [20], publié à titre posthume, comprend finalement, pour la première partie de l’atlas, soixante-quatre planches et révèle la qualité supérieure de ce mode de reproduction qui retranscrit avec une riche gradation de tons les qualités du négatif au collodion humide (ill. 4).
Louis Vignes et Charles Nègre, Arak-el-Emir, pl. 31 de l’atlas du Voyage d’exploration à la mer Morte, à Petra et sur la rive gauche du Jourdain par M. le duc de Luynes, œuvre posthume publiée par ses petits-fils, sous la direction de M. le comte de Vogüé, Paris, Arthus Bertrand, 1871-1874
Louis Vignes et Charles Nègre, Arak-el-Emir, pl. 31 de l’atlas du Voyage d’exploration à la mer Morte, à Petra et sur la rive gauche du Jourdain par M. le duc de Luynes, œuvre posthume publiée par ses petits-fils, sous la direction de M. le comte de Vogüé, Paris, Arthus Bertrand, 1871-1874
Les planches de cet album sont particulièrement soignées. Une variété de ciels nuageux ponctue les vues des monuments, ajout qui fait ressortir l’architecture des édifices et procure un caractère pittoresque voire dramatique à la scène.28Ces ouvrages, d’une splendide exécution et d’un coût élevé, sont restreints à une certaine élite. S’ils ne permettent pas une large diffusion des recherches, ils annoncent une nouvelle iconographie : la photographie s’impose comme mode de reproduction et remplace le dessin, qui sera toutefois conservé pour les démonstrations et les relevés architecturaux.
Une ère nouvelle
29L’édition photographique en est encore à un stade artisanal et ce n’est qu’à la fin des années 1870 qu’elle répond plus justement aux besoins des sciences de l’Antiquité avec l’industrialisation croissante des procédés photomécaniques, héliogravure et phototypie [21]. Lors de l’Exposition universelle de 1878, Eugène Trutat (1840-1910) annonce une ère nouvelle pour la photographie, qui peut prétendre désormais à une place honorable dans la librairie :
Dans les années 1890, avec la similigravure, les reproductions photographiques ne font plus seulement l’objet de planches séparées mais peuvent être insérées dans le texte. La photographie se généralise dans l’édition et les revues spécialisées, participant ainsi pleinement et plus rapidement à la diffusion et à l’essor de la recherche. Cette nouvelle perspective, associée au développement du procédé au gélatino-bromure d’argent qui permet la production industrielle et la vente de négatifs prêts à l’emploi à la même période, garantit l’essor de la pratique photographique au sein des sciences de l’Antiquité.La photographie, dans ce cas, est d’un grand secours ; elle atteint une telle perfection, qu’elle parvient à mettre sous les yeux de l’archéologue les objets eux-mêmes, et, par les tirages photomécaniques, elle rend possible la publication de planches excellentes, qui suppriment à la fois le dessinateur et le graveur [22].
Notes
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[1]
Prospectus du Sérapéum de Memphis d’Auguste Mariette, daté du 16 septembre 1857, p. 3.
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[2]
Le concours photographique est divisé en deux prix : le premier de 2 000 francs est attribué au meilleur procédé photographique inaltérable et le second, plus important, de 8 000 francs, consacre la meilleure reproduction photomécanique.
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[3]
Michel Dewachter et Daniel Oster, Un voyageur en Égypte vers 1850. Le Nil de Maxime Du Camp, Paris, Sand/Conti, 1987, p. 16.
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[4]
L. A. Martin, « Société héliographique (séance du 30 mai 1851) », La Lumière, 15 juin 1851, p. 73-74.
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[5]
Louis-Désiré Blanquart-Évrard, « Note sur l’héliographie sur papier et sur l’impression photographique. Présentée par M. Blanquart-Évrard, de Lille, dans cette même séance de l’Académie », La Lumière, 27 avril 1851, p. 45 ; Isabelle Jammes, Blanquart-Évrard et les origines de l’édition photographique française. Catalogue raisonné des albums photographiques édités. 1851-1855, Genève / Paris, Droz, 1981.
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[6]
Les pl. 1, 9 et 52 sont d’Aimé Rochas, photographe français actif dans les années 1840-1850.
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[7]
Histoire et critique, Paris, Hachette, 1877, p. 1, cité dans Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, Le Caire, IFAO, seconde édition, 1992, p. 125.
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[8]
Isabelle Jammes, op. cit., p. 88.
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[9]
Françoise Heilbrun, « Auguste Salzmann photographe malgré lui », dans F. de Saulcy (1807-1880) et la Terre sainte, catalogue d’exposition (musée d’Art et d’Essai, Palais de Tokyo, 1982), par Nicole Villa, Pierre Amiet, Michel de Bry, Sylvie Dubois, Françoise Heilbrun et Annie Caubet, Paris, Éditions de la RMN, coll. « Notes et documents des Musées de France », 1982, p. 118.
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[10]
Voyage au Soudan oriental et dans l’Afrique septentrionale, Paris, Borrari / Londres, J. Madden / Saint-Pétersbourg, Hauer, A. Cluzel succ. / Berlin, A. Asher et Cie, 1852-1859 ; Parallèle des édifices anciens et modernes du continent africain, Paris, L. Hachette et Cie, 1852-1862 ; et l’Exploration archéologique en Asie Mineure comprenant les restes non connus de plus de quarante cités antiques, Paris, L. Hachette et Cie, 1856-1863. Deux volumes de texte correspondent à la première série.
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[11]
BNF, Réserve des livres rares, Gr Fol-02a-33 (Asie Mineure) et Gr Fol-02a-33 (Soudan oriental).
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[12]
Avis imprimé sur la couverture de la vingt et unième livraison.
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[13]
Sylvie Aubenas (dir.), Des photographes pour l’empereur. Les albums de Napoléon III, catalogue d’exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004.
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[14]
Auguste Mariette, Le Sérapéum de Memphis, Paris, Gide, 1857-1866.
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[15]
Ernest Renan, Mission de Phénicie, Paris, Imprimerie impériale, Michel Lévy Frères, 1864.
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[16]
Georges Perrot, Edmond Guillaume et Jules Delbet, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, d’une partie de la Mysie, de la Phrygie, de la Cappadoce et du Pont exécutée en 1861, Paris, Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1862-1872.
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[17]
Album de la mission remplie en Égypte par le Vicomte Emmanuel de Rougé accompagné de M. le Vicomte de Banville et de M. Jacques de Rougé, Paris, L. Samson, 1865.
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[18]
Voir D’encre et de charbon : le concours photographique du duc de Luynes. 1856-1867, catalogue d’exposition, Bibliothèque nationale de France, 27 avril – 28 mai 1994, Paris, BNF, 1994.
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[19]
BNF, Réserve des livres rares, Rés. Fol-NFG-13 : « Voyage du duc de Luynes », cent huit épreuves d’essai des héliogravures de Charles Nègre (certaines datées entre 1866-1869) ; « Voyage de M. Mauss », quatre épreuves d’essai en photolithographie Lemercier (1866) et huit en photogravure Dujardin (1867). Voir l’illustration de couverture.
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[20]
Voyage d’exploration à la mer Morte, à Petra et sur la rive gauche du Jourdain par M. le duc de Luynes, œuvre posthume publiée par ses petits-fils, sous la direction de M. le comte de Vogüé, Paris, Arthus Bertrand, 1871-1874, trois volumes de texte et un volume d’atlas.
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Le premier ouvrage archéologique illustré en phototypie, une amélioration du procédé de photolithographie, a paru en 1868 : Charles Yriarte, Les Frises du Parthénon par Phidias. Vingt-deux planches reproduites par le procédé de phototypie de Tessié du Motay et Maréchal par G. Aroza et Cie, Paris, A. Morel, 1868.
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Eugène Trutat, La Photographie appliquée à l’archéologie. Reproduction des monuments, œuvres d’art, mobilier, inscriptions, manuscrits, Paris, Gauthier-Villars, 1879, p. 58-59 ; à la fin de l’ouvrage, le procédé Rousselon d’héliogravure utilisé chez Goupil et le procédé de phototypie utilisé par Quinsac sont examinés dans le chapitre des « Tirages photomécaniques », p. 126-131.