Notes
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[1]
Sous-tendant l’idée de dématérialisation se trouve la notion de découplage, qui renvoie à la possibilité – réelle ou illusoire – de pouvoir rendre « compatibles » une croissance économique ininterrompue, d’une part, et d’autre part la réduction de ses impacts environnementaux délétères, et notamment des flux nets de matière et d’énergie qu’elle implique. La littérature sur le sujet est extrêmement vaste ; on y distingue habituellement entre une modalité « relative » du découplage et une modalité « absolue ». Dans le découplage relatif, on réduit l’intensité ressourcielle de chaque unité produite mais l’impact total de la croissance, certes atténué, n’en reste pas moins croissant. Un découplage absolu, quant à lui, signifierait que l’on serait parvenu à réduire l’impact global de la production alors même qu’elle continuerait globalement d’augmenter. Pour une introduction à ces notions centrales, voir par exemple Jackson T. (2009) ou Caminel Th., Frémeaux Ph., Giraud G., Lalucq A., Roman Ph. (2014).
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[2]
Rockström J. et al. (2009), Rockström J. et al. (2009). Analyse remise à jour par Steffen W. et al. (2015), doi : 10.1126/science.1259855.
-
[3]
Voir Wijkman A., Rockström J. (2012).
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[4]
Carson R. (1962).
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[5]
Lovelock J. (2001).
-
[6]
Voir par exemple le Journal of Cleaner Production, publié depuis 1993 chez Elsevier.
-
[7]
Wijkman A. et Rockström J., Bankrupting the Earth, op. cit.
-
[8]
Ibid., p. 164-166.
-
[9]
Ellen MacArthur Foundation (2015).
-
[10]
Voir notamment Hawken P., Lovins A., Lovins L. H. (1999).
-
[11]
Barles S. (2005) ; voir également l’excellent dossier consacré à l’écologie industrielle par La Revue Durable, n° 25, juin-juillet 2007.
-
[12]
de Jouvenel B. (2002).
-
[13]
Kneese A. V., Ayres R. U., D’Arge R. C. (1970) ; Georgescu-Roegen N. (1971) ; Georgescu-Roegen N. (2006).
-
[14]
Arcadie, op. cit., p. 246.
-
[15]
Tillman Lyle J. (1996).
-
[16]
Bellamy Foster J., York R., Clark B. (2010).
-
[17]
Ce qui, aux xviie-xviiie siècles, avait permis à la population urbaine de franchir la barre des 20 % pour monter jusqu’à 50 %.
-
[18]
Voir plus bas les nuances à apporter.
-
[19]
Voir notamment Lietaer B., Arnsperger Ch., Goerner S., Brunnhuber S. (2012).
-
[20]
Frosch R., Gallopoulos N. (1989).
-
[21]
Voir Fan X., Bourg D., Erkman S. (2006).
-
[22]
Voir la série Circularity Indicators de la Fondation Ellen MacArthur, mai 2015.
-
[23]
Voir notamment Mollison B. (1988) et Holmgren D. (2002).
-
[24]
Boltanski L., Chiapello E. (1999).
-
[25]
B. R. Allenby oppose l’objectivité technologique de l’écologie industrielle à la nature normative et politique du développement durable : le seul moteur de l’écologie industrielle est, selon lui, le marché (Allenby B. R., 1999). Pour une analyse plus approfondie, voir Opoku H., Keitsch M. (2006).
-
[26]
Bardi H. (2015).
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[27]
Voir Prigogine I., Stengers I. (1979).
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[28]
« À notre grand étonnement, écrit Peter Westbroek, de ces débris épars un nouveau monde renaît spontanément, un monde qui sera la copie à peu près exacte de celui qui vient de disparaître. On pourrait appeler ce phénomène de transformation continue une « reconstruction planétaire » permanente. L’exemple du granite est à cet effet éclairant. À la surface des continents, ce type de roche se désagrège sous l’effet de l’altération, pour se transformer en un mélange d’argile, de quartz et de constituants hydrosolubles. Ces éléments transformés sont ensuite transportés jusqu’au fond de l’océan, d’où ils glissent jusqu’aux profondeurs de la Terre puis fondent. Par des phénomènes conjoints de refroidissement, de solidification et de soulèvement, un nouveau granite est créé et ramené à la surface, permettant au cycle de se reproduire. » (Westbroek P., « Système Terre », in Bourg D., Papaux A. (dirs.), 2015).
-
[29]
Energy and Economic Myths, op. cit.
-
[30]
Voir Grosse F. in Futuribles, juillet-août 2010 ; Grosse F. in SAPIENS, 2010 ; Grosse F. in SAPIENS, 2011.
-
[31]
Il est à noter que Grosse utilise ici l’expression de « découplage relatif » dans un sens différent de celui qui est usuel dans la littérature. Par ailleurs, ce qu’il nomme « découplage fondamental » ne coïncide pas pleinement avec le traditionnel « découplage absolu » (voir note 1 au début de cet article). Il nous semble toutefois nécessaire de conserver ici les expressions telles qu’il s’en sert dans son approche.
-
[32]
« Le découplage croissance/matières premières », art. cit., p. 110 (nos italiques).
-
[33]
Grosse F., « Économie circulaire », in Dictionnaire de la pensée écologique, op. cit., p. 349-352.
-
[34]
Voir Szuba M., « Quotas individuels », in Dictionnaire de la pensée écologique, op. cit., p. 843-845.
-
[35]
Pour une présentation du concept, voir notamment Bourg D., Buclet N. (2005) ; Bourg D., « Économie de fonctionnalité et intelligence économique dans un contexte de finitude des ressources », in Paris Th., Veltz P. (dir.) (2010) ; Stahel W. (2010).
-
[36]
« Économie circulaire », art. cit., p. 350.
-
[37]
Pour la question du EROI en général, voir notamment Hall C. A. S., Klitgaard K. (2011).
-
[38]
Voir Hotte N. (2015).
-
[39]
Outre les références déjà mentionnées de Mollison et Holmgren, voir notamment Hemenway T. (2009), ainsi que Bane P. (2012).
-
[40]
Voir notamment Hemenway T. (2015).
-
[41]
Regenerative Development for Sustainable Development, op. cit. Pour une discussion récente de la pertinence urgente des low tech dans le contexte ressourciel actuel (et notamment l’érosion séculière des EROI), voir Bihouix Ph. (2012).
-
[42]
Macnamara L. (2012).
-
[43]
Arnsperger Ch., Bourg D. (2014).
-
[44]
Nous rejoignons ainsi les intuitions de François Grosse, qui parle de « croissance quasi circulaire » pour désigner la fenêtre très étroite à l’intérieur de laquelle circularité et croissance (faible) sont éventuellement compatibles. L’expression de « perma-circularité » nous semble plus apte à nous décentrer de la croissance, ne la faisant désormais même plus apparaître, au plan grammatical, comme un sujet à qualifier par des épithètes.
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[45]
A contrario, voir François Grosse concernant l’influence du temps de séjour dans l’économie, d’une part dans « Le découplage croissance/matières premières », art. cit., graphique n° 6 et commentaire p. 109 et 110 (en particulier, deuxième alinéa en page 110) ; d’autre part dans « La croissance quasi circulaire », Futuribles, novembre-décembre 2014, n° 403, figure n° 2 et commentaire p. 64 et 65.
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[46]
Jackson T., Prosperity Without Growth, op. cit., p. 87-102.
-
[47]
Voir notamment Arnsperger Ch. (2015) ; voir également Bourg D., Arnsperger Ch., « Modes de vie et liberté », in Bourg D., Dartiguepeyrou C., Gervais C., Perrin O. (dir.) (2016).
1Dématérialiser l’activité économique : voilà une idée qui a clairement le vent en poupe – raison pour laquelle la notion d’économie circulaire est désormais très en vogue [1]. Dans son acception la plus pleine, que nous adopterons dans cet article et que nous opposerons à des versions plus étroites et incomplètes, l’économie circulaire prétend englober et dépasser des stratégies de dématérialisation plus parcellaires ou partielles telles que la production propre, l’éco-conception, l’écologie industrielle et l’économie de fonctionnalité. Elle est donc, à ce titre, non seulement une méthode technique mais aussi et surtout un paradigme – une manière de voir le monde, de lui donner un sens, et de prendre du recul critique envers les pratiques conventionnelles. Cela lui prescrit des exigences plus radicales que celles que même ses promoteurs les plus visionnaires ont tendance à lui imposer. Nous voudrions, dans ces pages, tenter de comprendre quelles sont ces exigences radicales et comment elles devraient façonner le cadre à l’intérieur duquel le degré de circularité de nos économies pourrait être quantifié et mesuré.
2Minimiser d’une façon compréhensive et exhaustive nos flux de matière nets, en fermant autant que possible les circuits intrants → extrants engendrés par nos modes de production et de consommation, serait une – voire même la – solution pour sauver l’humanité de l’abîme écologique où elle a commencé à se perdre à la faveur de deux siècles d’industrialisation de la production, de croissance des consommations et des flux de matière et de globalisation des échanges économiques et des flux financiers. Telle est notamment la thèse que défend le célèbre écologue suédois Johan Rockström, inventeur des neuf « limites planétaires » – dont le franchissement nous fait basculer dans l’anthropocène [2] – et promoteur, avec son compatriote Anders Wijkman, de l’idée selon laquelle une remise en cause fondamentale de la croissance économique doit amener à un essor de la circular economy [3].
3À quelle aune mesurer les progrès d’une économie, voire de l’humanité tout entière, en direction d’une économie plus circulaire ? À quels aspects, quels enjeux, quelles problématiques nos indicateurs devraient-ils être sensibles afin de saisir les tendances de circularisation à l’œuvre dans nos économies et également afin de pouvoir critiquer d’éventuelles incomplétudes, voire certaines hypocrisies, dans la façon qu’ont certains de vouloir mesurer la circularité au seul niveau micro d’entreprises ou de secteurs ? À quelle « altitude » systémique doit-on se situer si l’on veut pouvoir mesurer le degré de circularité authentique – plutôt que simplement fictif – d’une économie ? Ces questions méthodologiques sont cruciales, tant le déficit d’information chiffrée, le manque de méthodes établies et l’absence de consensus sur ce que signifie réellement la circularité permettent actuellement aux uns et aux autres de s’opposer sur un terrain purement idéologique, où risquent fort de proliférer aussi bien les fausses promesses que les alarmismes excessifs.
4L’objectif du présent article n’est pas de construire un indicateur ou un « tableau de bord » d’indicateurs. Vu les enjeux conceptuels et méthodologiques qui viennent d’être mentionnés, nous entendons nous situer à un plus grand niveau d’abstraction et de généralité afin de mettre en évidence certains des principaux aspects, enjeux et questionnements que les concepteurs d’un tel indicateur, s’il devait un jour être bâti au plan formel et technique, devraient selon nous prendre en compte.
5À cette fin nous commencerons, dans la section 1, par essayer de circonscrire les objectifs de l’économie circulaire. Nous insisterons en particulier sur un fait crucial : nos difficultés environnementales actuelles ne relèvent que minimalement des phénomènes de pollution et trouvent leur source bien davantage dans la disproportion des flux de matière liés à nos activités humaines au regard de limites biosphériques désormais incapables de les soutenir. Ceci implique, à nos yeux, que vouloir mesurer la circularité d’une économie sans se préoccuper du rythme auquel cette économie continue de croître est un grave contresens. Armés de cette perspective nous pourrons, dans la section 2, montrer qu’une économie authentiquement circulaire est toute différente de ce que veulent encore et toujours nous « vendre » les chantres d’une « croissance verte ». Cette confusion, savamment entretenue, permet à certains acteurs de focaliser le gros de leurs mesures quantitatives de circularité sur les niveaux les plus micro (entreprises, secteurs), tout en évitant de regarder de trop près les multiples effets rebond et reports de consommation de ressources qui se propagent au sein du système dans son ensemble, à la faveur même d’innovations technologiques éventuellement porteuses d’une meilleure circularité ponctuelle ou locale. La croissance verte, par son absence de prise en compte sérieuse des limites à la dématérialisation et à l’efficience, prolonge le rêve récent d’un accroissement indéfini de la consommation humaine par ponction sur une nature rendue illimitée par le progrès technique. Au contraire, l’idée d’économie circulaire dispose d’une véritable profondeur historique, qu’il s’agit de recouvrer afin de la sauver de certaines simplifications contemporaines ; c’est ce que nous tenterons de faire dans la section 3. Nous y suggérons que les enjeux modernes de la circularité remontent jusqu’aux xviie-xviiie siècles, où un semblant d’économie circulaire semble encore avoir prévalu, battu en brèche vers le dernier tiers du xixe par une accélération de l’urbanisation et de l’industrialisation. Nous démarquons dès lors de façon nette l’idée d’économie circulaire de celle d’écologie industrielle, avec laquelle elle a été trop souvent confondue sous prétexte d’une inévitabilité de la croissance et d’une plus grande « scientificité » permettant, entre autres choses, une meilleure quantification.
6Forts de ces fondements permettant d’adopter l’économie circulaire comme un cadre méthodologique solide et englobant, nous consacrons ensuite le reste de l’article aux enjeux et problèmes sous-jacents à une mesure de la circularité authentique de nos économies. La section 4 attirera l’attention sur la trop fréquente confusion des niveaux entre le micro et le macro, qui a souvent fait de la circular economy mainstream l’outil d’une consolidation technophile du capitalisme croissanciste. Or nous montrons que la focalisation microéconomique de ce mainstream a souvent permis de négliger des effets rebond importants et, par conséquent, de ne pas voir que des performances accrues de circularité au niveau micro et/ou méso peuvent aller de pair avec une détérioration des performances macro en termes de flux nets de matière. Dès lors, l’approche de la mesure de la circularité doit, à nos yeux, être de nature beaucoup plus systémique. Il s’agit d’articuler de façon optimale le micro, le méso et le macro.
7Dans la section 5, nous mettrons à profit cette perspective systémique pour montrer à quel point un indicateur d’économie circulaire doit tenir compte des effets pervers liés à la croissance économique quand celle-ci tient lieu – comme dans nos sociétés actuelles – de moteur de toute l’économie. Cette section, la plus longue et aussi la plus technique, a en son centre une vérité incontournable, dont toute quantification de la circularité doit tenir compte sous peine de ne pas mesurer ce qui importe le plus : dans une économie dotée d’un taux de croissance même modéré, le recyclage ainsi que la réutilisation et la re-fabrication (les fameux « 3 R » de la dématérialisation conventionnelle) sont impuissants à limiter et stabiliser les flux de matière entrant dans le système. L’économie ne sera donc authentiquement circulaire que si on la réorganise radicalement selon un « 4eR»: celui de la réduction des flux entrants et des consommations nettes de ressources. Exit, par conséquent, l’économie circulaire mainstream et ses espoirs d’une croissance verte – et introït, au contraire, une économie de modération et de sobriété volontaires, non seulement au niveau micro des individus mais aussi au niveau macro des flux de matière.
8La dernière section tirera de cette hypothèse certaines implications importantes, en arguant de la nécessité d’inscrire la réflexion sur l’économie circulaire et sa mesure quantifiée à l’intérieur d’une approche dite « permaculturelle » La permaculture, en effet, offre aujourd’hui le cadre le mieux étayé permettant de penser et de concevoir cette économie de modération et de sobriété volontaires qui, seule, sera authentiquement circulaire. Les trois dimensions centrales d’un indicateur authentique d’économie circulaire sont énumérées, allant de (i) la mesure quantitative des progrès micro, méso et macro en termes de recyclage et de réutilisation jusqu’à (iii) la mesure qualitative des progrès collectifs (locaux aussi bien que globaux) en direction d’une culture de la sobriété volontaire, en passant par (ii) la mesure quantitative des réductions effectives des flux nets de matière entrants dans le système global. Nous essayerons également de montrer quelles précautions – notamment en termes de sauvegarde à long terme des compétences, des savoir-faire et des activités – devraient prendre les concepteurs d’un tel indicateur afin qu’il ne devienne pas un outil encourageant l’avènement d’une société inégalitaire, voire humainement dégradante.
1 – Définition et objectifs de l’économie circulaire
9L’objectif de l’économie circulaire – dans son acception pleine – est la préservation de la biosphère afin d’en maintenir la viabilité, pour l’espèce humaine au premier chef. Il convient dès lors, au préalable, d’identifier les mécanismes qui fragilisent les conditions propices à l’épanouissement du genre humain sur Terre.
10Le langage courant attribue l’origine de nos difficultés à nos pollutions. Dans les années qui ont suivi le sommet de Stockholm de juin 1972, les politiques publiques environnementales initiées avaient essentiellement, et avec un certain succès, ciblé les pollutions. Or, même si nous continuons bien entendu aujourd’hui d’être témoins de bon nombre de pollutions, avec des effets principalement sanitaires, elles n’occupent cependant qu’une place limitée à l’aune de l’ensemble de nos difficultés environnementales. Par pollution ou nuisance, on entend une molécule ou substance induisant par elle-même ou dans certaines circonstances particulières des gênes ou des destructions, et selon des modalités diverses. L’urine dans les toilettes n’est ni une pollution ni une nuisance, mais elle le devient sur les murs des immeubles ou dans des lieux publics. Des abats sur l’étal d’un boucher ne constituent pas une nuisance, mais le deviennent lorsqu’ils sont abandonnés sur un passage public. Ici la nuisance provient d’une situation inappropriée pour une substance donnée, et relève essentiellement de la gêne. Le rouissage du lin dans les rivières – technique qui fut pratiquée pendant des siècles – libérait dans le milieu une substance toxique, détruisant la faune piscicole avant sa dilution dans le milieu. Dans le cas du DDT [4], c’est aussi la macromolécule elle-même qui engendre des effets destructeurs : ne pouvant être métabolisée par les organismes vivants, elle s’accumule dans leurs graisses et perturbe leur système hormonal. Dans tous ces cas, le problème est lié soit aux modalités de l’action, soit à la nature de la substance incriminée, et parfois aux deux. Bien sûr, la concentration ou l’augmentation de la substance en question accroît la difficulté – mais elle ne la fait pas naître.
11Or, la majeure partie des grandes perturbations environnementales actuelles ne procède pas de pollutions, mais de flux et des proportions ou quantités de ces flux. La source du problème est alors essentiellement quantitative. Ce n’est plus la modalité de nos actions qui importe, ni la substance en cause, mais la quantité qui les affecte. Les problèmes découlent de la taille des flux associés. Ni le dioxyde de carbone, ni l’azote ne constituent en eux-mêmes des polluants : ce sont, au contraire, des constituants-clé des grands cycles biogéochimiques. En revanche, nos activités ont puissamment modifié les flux de dioxyde de carbone et d’azote et ont, par là même, perturbé fortement la biosphère. Il est possible d’interdire le DDT, de ne plus rouir le lin, mais il serait à la fois impossible et absurde de supprimer le dioxyde de carbone de l’atmosphère ; il convient bien plutôt d’en perturber le moins possible le cycle naturel. De même, c’est en saturant le milieu d’azote du fait de notre usage trop intensif d’engrais que nous outrepassons les capacités de dénitrification du milieu et perturbons, plus encore que le cycle du carbone, celui de l’azote.
12Les questions systémiques et d’échelle sont ici décisives. Les polluants ont des effets locaux et affectent les éléments d’un système sans en changer l’état. En revanche, les changements de proportion en matière de flux, en l’occurrence de carbone et probablement d’azote, devraient conduire à un basculement, à un nouvel état du système Terre. Dans certains cas certes, un polluant, parce que présent à une échelle globale, peut occasionner un changement systémique. Tel fut le cas de l’oxygène à la fin de l’Archéen. Bien que constituant un toxique mutagène, son apparition progressive au sein de l’atmosphère, n’en a pas moins suscité une transformation du système. Comme l’a fait remarquer James Lovelock, en modifiant la chimie au sein de la zone critique, l’oxygène a engendré « un accroissement de la quantité de nitrates produits par l’oxydation de l’azote atmosphérique et une accélération de l’érosion, surtout sur les surfaces émergées, ce qui aurait rendu disponibles des éléments nutritifs auparavant rares et donc permis une prolifération des organismes [5].» L’abondance atmosphérique d’oxygène a ainsi fait disparaître les formes de vie antérieures et créé des conditions propices à de nouvelles formes de vie, changeant l’état du système Terre.
13Pollutions et flux n’appellent pas les mêmes réponses. Face à telle ou telle pollution, il convient de produire autrement, ce qu’ont naguère saisi les promoteurs de la « cleaner production » [6]. En revanche, quand il s’agit de réduire les flux associés à nos activités, il n’est d’autre solution que de réduire nos activités, et donc de produire et de consommer moins. Mais attention : le « moins » en question peut lui-même résulter de types d’action très différents. Il n’empêche qu’en termes globaux, seule compte in fine finalis la réduction des flux et en conséquence celle des perturbations qu’ils induisent. Ce sont précisément ces réductions nettes de flux de matières que des indicateurs d’économie circulaire devraient nous aider à mesurer.
14Le mode de production d’un bien n’est de loin pas le seul facteur qui contribue à l’augmentation des flux de matière. Y contribuent également le nombre de consommateurs, les quantités consommées par chacun et les usages des objets. Dès lors, l’objectif d’indicateurs de circularité – si l’on veut saisir ce que vise réellement l’idée d’économie circulaire – devrait être double : en premier lieu, mesurer ce qui entre et ce qui sort du système économique, à des échelles territoriales différentes, avec pour idéal la minimisation de ces entrées et sorties ; en second lieu, mesurer l’impact de ces entrées et sorties sur les neuf « limites planétaires » selon Rockström et Steffen. C’est bien pour cette raison que Wijkman et Rockström en appellent, dans leur ouvrage Bankrupting the Earth [7], à une remise en cause fondamentale de la croissance comme principe d’organisation de l’économie et de la société. L’une des lignes de force de notre article sera qu’en effet, vouloir mesurer la circularité d’une économie sans se préoccuper du degré auquel cette économie continue de croître est un contresens grave.
2 – L’économie circulaire n’est pas la croissance verte
15Il est alors d’autant plus étonnant de constater que dans le même ouvrage, Wijkman et Rockstöm renvoient explicitement [8] aux travaux de la Fondation Ellen MacArthur sur la circular economy. Au sein des travaux de cette fondation britannique, abondamment financés et soutenus par de grandes multinationales comme Nestlé, Apple, Unilever ou Renault, on rencontre notamment un document récent à destination des entreprises où il est affirmé sans ambages qu’« un schéma de déploiement de ressources qui est circulaire dans sa conception rend possible une poursuite de la croissance sans avoir besoin de davantage de ressources. Il crée nettement plus de valeur par unité de ressource [9] ».
16En cadrant de la sorte la circularité de l’économie – au niveau « micro » de chaque entreprise isolée – à l’intérieur de la problématique d’une poursuite de la croissance, la Fondation MacArthur, dans le sillage de grands pontes de la circularité industrielle comme les consultants d’entreprises Amory Lovins, William McDonough et Michael Braungart, téléscope l’économie circulaire avec une autre idée économique, tout aussi conforme à l’air du temps : celle de croissance verte. Les utopies technophiles d’un « capitalisme naturel » ou d’un « capitalisme vert » [10] se nourrissent abondamment de l’idée selon laquelle, grâce à des progrès technologiques constants, les flux nets d’énergie et de matière liés à nos productions et consommations finales croissantes seront en décroissance – ce que reflète l’insistance, dans les documents de la Fondation MacArthur, sur un « découplage absolu » entre besoins en ressources et croissance de la production. Continuer à accroître le PIB par tête d’un nombre croissant d’habitants de la planète, tout en prétendant utiliser moins de ressources (ou, ce qui revient au même, produire davantage de biens avec une même quantité de ressources) – telle semble être la promesse de la croissance verte, qui coopte l’idée d’économie circulaire dans le sens opposé de celui apparemment prôné par Wijkman et Rockström.
17Il règne donc, à tout le moins, une bonne dose de confusion dans les discours et, pour la clarté de l’analyse, il convient en premier lieu de distinguer nettement l’économie circulaire de la « croissance verte ». Elle en est une manière de contraire. Alors qu’elle affiche officiellement un objectif de préservation de la nature, la croissance verte vise en réalité plutôt à la marchandiser, à en faire le nouvel eldorado du profit, en transformant la biosphère en un sous-système du système des échanges économiques. L’économie circulaire quant à elle, cherche en revanche à boucler les activités humaines sur elles-mêmes, afin d’épargner au maximum la biosphère qui les accueille. L’objectif de l’économie circulaire est en effet la réduction des flux d’énergie et de matière qui mettent à mal les grands mécanismes régulateurs du système Terre. L’idée clé est de s’éloigner au maximum du modèle linéaire d’extraction massive et continue de ressources débouchant sur une accumulation de rejets et de déchets et, en conséquence, de perturbations des cycles de la biosphère. L’économie circulaire vise même à démarchandiser la nature, à soustraire du marché le maximum de ressources naturelles non renouvelables. L’invitation du GIEC à laisser dans le sous-sol 80 % des réserves fossiles accessibles relève de l’économie circulaire – mais il est difficilement compatible avec la croissance verte. En effet, comme nous le verrons, il est impossible de ne fût-ce qu’approcher l’idéal de circularité sans tourner le dos à un modèle productiviste et croissanciste qui table sur une « dématérialisation » indéfinie de la seule production, sans se préoccuper outre mesure des volumes de consommation finale et de la croissance de la population mondiale.
18À la différence de la croissance verte qui, par son absence de prise en compte sérieuse des limites à la dématérialisation et à l’efficience, ne fait au fond que prolonger le rêve récent d’un accroissement indéfini de la consommation et du « bien-être » humains par ponction sur une nature rendue illimitée par le progrès technique, l’économie circulaire dispose quant à elle d’une véritable profondeur historique, tant sur le plan des idées que sur celui du fonctionnement des sociétés.
3 – Les racines historiques de l’idée de circularité
19Comme l’a montré Sabine Barles, la société industrielle du xixe siècle, tout du moins en ce qui concerne certains pans de ses activités, connaît une certaine forme de circularité [11]. Les déchets urbains ne s’accumulent guère, mais donnent lieu à un usage agricole ou industriel. Par exemple, la cellulose nécessaire pour la fabrication du papier est extraite des chiffons et autres textiles collectés par les chiffonniers. Les déchets de boucherie servent à fabriquer du suif, du savon ou de la colle. Des os est tiré le « charbon animal » utilisé pour l’extraction du sucre des betteraves ; on produit aussi de la colle ou de l’huile à partir des phalanges animales, sans compter des usages plus classiques et plus directs sous forme de parties d’objets divers. Le recyclage des métaux est développé. Les excréments humains urbains servent d’engrais pour les cultures, et ainsi de suite. Vers la fin du siècle, l’extension des villes et l’avènement de techniques nouvelles condamneront ces pratiques et déboucheront sur l’invention de l’abandon à grande échelle des déchets urbains dans des « poubelles » (à l’initiative du préfet du même nom) et sur la nécessité de leur « dépôt » et de leur « traitement » industriel.
20Dans les années soixante du xxe siècle, des auteurs mettent en lumière l’impensé de l’économie néoclassique, à savoir le métabolisme on ne peut plus matériel qui sous-tend nos économies modernes, de même que leur dépendance aux énergies fossiles. Il s’agira, en France, de Bertrand de Jouvenel [12] et, aux États-Unis, notamment de Robert U. Ayres ou de Nicholas Georgescu-Roegen [13]. Conscient tant de la production croissante de déchets que de la pression sans cesse accrue sur les ressources et les écosystèmes, Jouvenel écrivait dans Arcadie : « Voilà de quoi nous rendre soucieux de fermer les circuits, soit en substituant à nos matériaux d’autres digérables par les agents naturels, soit en suppléant l’action de ceux-ci par des agents artificiels » [14]. L’approche du cradle-to-cradle, repopularisée récemment par Michael Braungart et William McDonough, se caractérise notamment par cette même idée de « digestibilité », consistant à voir non seulement les déchets organiques mais également les déchets industriels comme des « nutriments » pour la production de nouveaux biens.
21Il est même loisible de remonter plus haut dans le temps. La notion de circularité a initialement été ancrée dans l’ambition de concevoir un système de pratiques économiques régénératives, appuyé sur des techniques d’un nouveau genre, selon les principes du regenerative design avancés par le pionnier que fut Patrick Geddes au début du xxe siècle (et plus récemment son disciple John Tillman Lyle [15]). À en croire John Bellamy Foster, Karl Marx avait saisi dès le milieu du xixe siècle le caractère sur-exploiteur du capitalisme en arguant du caractère non circulaire de l’agriculture industrielle : les nutriments se voient extraits des sols sous forme de fibres alimentaires qui sont exportées vers les centres urbains et n’y retournent jamais [16]. Telle était la thèse marxienne de la « rupture métabolique » même si, comme nous venons de le voir, il conviendrait de nuancer puisque les excréments humains urbains repartaient tout de même aux champs durant toute une partie du xixe siècle [17]. Disons plutôt que Marx, avec une certaine préscience, avait aperçu assez clairement ce qui adviendrait à des stades plus tardifs du système dont il voyait l’avènement.
22La linéarité des processus de production, de transformation et de consommation se trouve en réalité au cœur de la critique écologique du capitalisme industriel et de sa compulsion de croissance perpétuelle. Niant en apparence le fait éco-biologique de l’entropie, cherchant donc – semble-t-il – à ignorer les lois de la thermodynamique [18] par une sorte de « magie » industrielle et par la substitution de moyens technologiques et humains (eux-mêmes surexploités) aux patrimoines naturels, le capitalisme organise une double linéarité qui viole les circularités régénératives de la biosphère : linéarité de l’accumulation de capitaux financiers censés s’accroître indéfiniment dans leur « pouvoir d’achat », linéarité des processus de transformation d’intrants en extrants et des flux de consommation censés augmenter perpétuellement le « bien-être ». La structure et le mode de fonctionnement de la sphère monétaire – qui organisent l’accélération des linéarités matérielles par une circularité spécifique de création/ destruction de monnaie et une linéarité spécifique d’accumulation de dettes financières – renforcent ces dynamiques néfastes [19]. L’absence de flux retournants qui en résulte se traduit, on le sait maintenant, tant par l’épuisement rapide et systématique des sources et ressources que par le remplissage incontrôlé des puits. La non-soutenabilité de notre système économique et des valeurs culturelles et politiques qui le sous-tendent est à l’image directe de la non-circularité des processus matériels qu’il organise. D’où l’intérêt croissant pour une « circularisation » de l’économie.
23Pour désigner les tentatives d’utiliser les déchets des uns comme ressources pour les autres, celles de mutualisation de certains flux, et plus généralement le dessein de boucler autant que possible le cycle des ressources matérielles, s’est imposée dans les années 1990 l’expression d’« écologie industrielle ». La focalisation de l’écologie industrielle sur le seul secteur industriel de la société, l’attention quasi exclusivement portée aux symbioses industrielles ou éco-parcs du type Kalundborg (comme en témoigne notamment le célèbre article publié en 1989 par deux industriels, Robert A. Frosch et Nicholas Gallopoulos [20]) va finir par imposer le recours à une autre expression, cherchant à recouvrer l’ambition sociétale et globale originelle que l’écologie industrielle tendait à escamoter : celle d’économie circulaire, qui émerge en Allemagne puis en Chine [21] et s’est désormais imposée.
4 – La ténacité du déni et la confusion « micro-macro »
24Toutefois, le déni des vraies limites de la nature et de la matière a la vie dure et dans la version « cooptée » défendue aujourd’hui notamment par la Fondation Ellen MacArthur, l’économie circulaire à peine sauvée de la confusion avec l’écologie industrielle se remet à souffrir des mêmes défauts. Elle reste en effet – au grand dam de celles et ceux qui aimeraient la voir embrasser une perspective macroéconomique et macro-sociétale plus large – une approche centrée sur la seule production, ses sites et ses techniques, voire sur les seuls gains de ressources à l’unité produite (efficience énergétique), perdant ainsi de vue les conditions plus globales de ce qui pourrait s’approcher d’une authentique circularité.
25Dès lors, la tendance actuelle va dans le sens de construire des indicateurs de circularité restreints, souvent au niveau « micro » d’une entreprise ou d’un secteur [22], ce qui – aussi louable que soit l’idée – risque de brouiller fortement les pistes. Une entreprise ou un secteur peut parfaitement faire d’immenses progrès en termes de circularité (par exemple en rendant ses produits davantage recyclables par unité d’input et/ou d’output) sans que l’économie dans son ensemble devienne plus circulaire. Au contraire, des effets pervers bien connus, dits « effets rebond », peuvent transformer une meilleure circularité « micro » en une moins bonne circularité « méso » et « macro ». En particulier – et nous aurons à y revenir plus en détail plus bas – dans une économie qui croît fortement ou dont on désire qu’elle croisse, un meilleur recyclage observé au niveau micro peut servir d’excuse ou d’œillère pour ne pas voir que les flux de consommation de matière continuent d’augmenter inexorablement au plan macro, poussés vers le haut par les nécessités de la concurrence inter-secteurs et de la rentabilité financière généralisée. Par ailleurs, des performances accrues de circularité au niveau micro peuvent aller de pair avec une détérioration des performances macro en termes d’énergie nette – notamment si les technologies de circularisation sectorielles requièrent une plus forte consommation de ressources dans d’autres secteurs pourvoyeurs de ces technologies ou de certaines composantes de ces dernières.
26Idéalement, la « régénérativité » de l’économie devrait au contraire être un principe englobant, à la manière dont le conçoit l’approche de la permaculture (voir section 6 ci-dessous) qui voit la circularité des processus matériels dans la nature comme le modèle à suivre dans l’ensemble des étapes du design [23]. Notre objectif dans cet article est de dégager certaines des lignes de force de ce que devrait être un indicateur – ou un ensemble d’indicateurs – de circularité de l’économie qui soit à la hauteur de ce défi tant gigantesque que crucial. Il conviendrait de mesurer le degré de circularité de nos processus matériels afin d’évaluer la distance restant à parcourir pour atteindre une économie quasi auto-entretenue – « self-sustaining » en anglais – c’est-à-dire néguentropique, inversant autant que faire se peut l’entropie porteuse de décomposition, de dégradation et de perturbations systémiques.
27Si l’on ne prend pas en compte de tels effets systémiques induits – qui sont d’autant plus multiples qu’on se confine à un niveau plus micro, et dont la mesure est parfois extrêmement difficile – on risque de se payer de mots et de faire de l’économie circulaire un nouveau business, un nouvel outil de « récupération » de la critique écologique par le capitalisme industriel et financier, selon le schéma de subversion de la critique dégagé il y a plus d’une quinzaine d’années par Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le Nouvel esprit du capitalisme [24]. Si l’on désire – ce que ne semblent notamment pas souhaiter bon nombre de tenants de l’écologie industrielle [25] – que le principe de l’économie circulaire devienne au moins potentiellement un outil efficace de critique et de réforme du système en place, il est nécessaire de déjouer ces pièges conceptuels qui prospèrent à l’ombre de la confusion des niveaux d’observation et d’analyse. Un indicateur de circularité devrait être suffisamment systémique pour qu’aucun effet de déplacement et aucun effet rebond majeur ne soit négligé.
5 – Dématérialisation, recyclage et croissance économique
28Toute mesure de circularité à un instant donné se fait nécessairement à intensité donnée de la croissance économique. Or, dans une économie en croissance, les bénéfices à long terme du recyclage et de l’allongement des durées de vie (par substitution des fonctionnalités aux biens) sont en partie voire totalement contrecarrés par l’accroissement des volumes totaux extraits et consommés. En effet, si la consommation finale de biens incorporant certains matériaux s’accroît au fil du temps, au moment t+n où le stock net St extrait et utilisé en t devient libre pour recyclage, il ne représentera plus qu’une assez faible fraction du volume total de ressources St+n utilisé n périodes plus tard. Ainsi, une bonne performance momentanée en termes de circularité qui laisserait intactes les forces inhérentes poussant à la croissance – ou, pire, se servant de l’efficience énergétique et du recyclage comme moyens de dégager de nouvelles marges de croissance dans un système qui en a besoin – serait trompeuse quant au caractère structurellement et durablement circulaire d’une économie. Un bon indice de circularité systémique devrait donc offrir une perspective dynamique mesurant le potentiel de déstabilisation de la circularité au temps t par la croissance des volumes en t+1, t+2, etc.
29Ceci signale que « circulaire » ne saurait signifier uniquement la capacité d’une économie à produire avec des matériaux entièrement recyclables et à créer et perpétuer les technologies permettant effectivement ce recyclage. Le but fondamental de la circularité est double : d’une part, une production sans déchets (donc entièrement recyclable) à niveau donné de consommation finale ; d’autre part, une consommation finale évoluant de telle sorte que la somme à travers le temps – ou, mathématiquement, l’intégrale – des augmentations ou diminutions nettes de flux de ressources (à chaque fois, par hypothèse, recyclés entièrement) soit inférieure ou égale au stock total disponible. Dans un indicateur réellement systémique de circularité, il est nécessaire de capturer cette idée, par exemple en incluant l’évolution temporelle de la taille des flux de matière mobilisés dans la production. Sur le (très) long terme, bien entendu, aucune économie ne peut fonctionner avec des ressources non renouvelables, à moins de générer une chaîne ininterrompue de nouveaux substituts. Dès lors, presque par définition, une économie durablement régénérative sera une économie de plus en plus intensive en ressources (énergétiques et autres) renouvelables. Deux données seront donc des éléments centraux d’un authentique indicateur de circularité : (1) le taux de substitution de ressources renouvelables à des ressources non renouvelables (2) la vitesse d’augmentation de ce taux.
30Fondamentalement, ces considérations systémiques nous renvoient à la question, cruciale entre toutes, de la possibilité de bâtir une économie circulaire sur le seul principe du recyclage. Nous allons voir que sur ce point, l’optimisme de certains tenants mainstream de l’économie circulaire devrait, à tout le moins, être puissamment mitigé – voire, hélas, transmué en sain pessimisme quant aux possibilités de circulariser l’économie grâce aux seules merveilles technologiques. Les « 3 R » de la réutilisation, du recyclage et de la re-fabrication doivent, nous le verrons, impérativement être accompagnés d’un quatrième « R », moins grisant et moins propice aux utopies technophiles et croissancistes – celui de « réduire ».
31La question du recyclage est évidemment décisive pour une économie circulaire puisqu’il s’agit de réduire au minimum nécessaire les pratiques extractives. Or, il existe au moins deux types de limite à l’efficacité du recyclage des matières entrées dans le circuit économique. L’une de ces limites peut en partie être surmontée, l’autre est résolument insurmontable.
32(a) En premier lieu, nous ne saurions recycler la totalité des métaux que nous injectons bon an, mal an dans l’économie. L’usage dispersif de certains métaux – par exemple l’usure des plaquettes de frein ou le recours à des nanoparticules d’argent dans la fabrication des chaussettes – l’interdit. Ces deux exemples suffisent à mettre en lumière la pluralité des cas et des situations possibles, et donc des éventuelles stratégies de correction envisageables. Le recours à des alliages, quant à lui, rend plus difficile le réemploi des métaux originels. On ne saurait tout collecter et recycler, et atteindre un taux de recyclage de 90 % s’approcherait déjà d’une forme de record. Les opérations de recyclage engendrent elles-mêmes des « fuites » et des pertes. En outre, les matières issues du recyclage (non nécessairement métalliques), dites « matières premières secondaires », n’autorisent pas toujours des usages identiques à ceux d’une matière première. C’est par exemple le cas pour les plastiques PET, qui – contrairement au verre vert qui peut être indéfiniment recyclé – donnent lieu à des usages spécifiques, différents des produits originaux, permettant notamment de fabriquer des textiles plutôt que de nouvelles bouteilles.
33Certes, contrairement à ce qu’on pourrait tirer d’une interprétation trop simpliste du principe de l’entropie, les regroupements de matières dispersées, dissipées ou mélangées ne sont pas impossibles au sein d’un système ouvert comme la biosphère terrestre. C’est même le propre de la Vie que de procéder à de tels regroupements. D’ailleurs, les minerais à forte concentration desquels nous extrayons nos métaux sont eux-mêmes le fruit de tels regroupements, soit du fait de bactéries, soit pour des raisons telluriques [26]. Comme l’ont montré les travaux de Prigogine [27] et des chercheurs de sa génération, ces regroupements ne sont pas uniquement les conséquences de la Vie ; ils relèvent aussi de la physique des systèmes ouverts. Pour les civilisations humaines, toutefois, un obstacle majeur est constitué par les rythmes de la biosphère, qui sont sans proportion avec le rythme et le volume de nos propres activités. Au très long cours, le système Terre apparaît même comme une restructuration, une reconstruction permanente [28]. Dans des millions d’années, les bactéries auront reformé des gisements métalliques et métabolisé nos déchets. D’ici là, le mieux que nous puissions faire est de regrouper certains des matériaux que nous avons dissipés, à un coût énergétique non négligeable, voire (mieux encore) détourner peut-être à notre profit certains processus bactériens, comme le suggérait plus haut Jouvenel avec sa métaphore de la digestibilité. Pour ces raisons, la critique qu’adressait Nicholas Georgescu-Roegen au concept de steady-state economy et donc à son ancien élève Herman Daly, rejetant toute idée d’économie stationnaire au bénéfice d’une décroissance aussi continue qu’inexorable, était trop simpliste quant à ses fondements matériels et ressourciels [29]. Contrairement à la conviction de Georgescu-Roegen, une économie stationnaire – parce que partiellement néguentropique – est bel et bien envisageable ; elle incarne même, nous allons le voir, l’essence même d’une économie authentiquement circulaire parce que non arrimée à l’obligation de croître. En même temps, l’analyse des conditions auxquelles une telle économie authentiquement circulaire pourrait être bâtie va nous montrer combien le chemin à parcourir est escarpé et tortueux.
34(b) En effet, il nous faut à présent nous attarder sur le second type de limite à l’efficacité du recyclage. Ce second type de limite est totalement contre-intuitif. Nous avons tendance à penser que recycler une matière quelconque à 80 % permettrait – cela semble tomber sous le sens – d’en diviser l’extraction par cinq. Seconde idée très répandue : il suffirait d’augmenter le taux de recyclage des matières pour déboucher sur une économie authentiquement circulaire – c’est très précisément ce que suggère la méthodologie des indicateurs « micro » de la Fondation Ellen MacArthur, au niveau d’entreprises individuelles. Or, comme l’a montré François Grosse, ces deux idées largement répandues sont fausses [30].
35En réalité, l’efficacité du recyclage lui-même – ce qu’il permet de gagner en termes de réduction des besoins en matières premières et que Grosse taxe de « découplage relatif » – est totalement conditionnée par un premier découplage, qu’il appelle « découplage fondamental » [31]. Là, il s’agit de gains découlant d’une réduction significative du taux de croissance de l’extraction des matières premières. Plus exactement, dès que l’on dépasse un taux de croissance annuelle de 1 % pour la consommation mondiale d’une matière première, les effets du recyclage s’évanouissent. En revanche, plus le taux de croissance est bas et plus le taux de recyclage est élevé, plus on s’approche de la circularité et plus on met à distance l’échéance d’un épuisement de la ressource concernée.
36Considérons un premier exemple, celui du cuivre. Attribuons-lui un « temps de résidence » dans l’économie fictif, et probablement exagéré. Le temps de résidence varie fortement d’une matière donnée à l’autre, et pour une matière donnée il sera différent selon les différents usages. Pour le fer, le temps de résidence dans l’économie se situe en moyenne autour de 17 ans. Il est de 7 ans pour le plomb ou le lithium. De façon fictive et arbitraire, donnons-lui une valeur de 40 ans pour le cuivre. Un matériau entre à un instant t dans l’économie et en sort à un instant t’. Entre t et t’, la consommation de ce même matériau ne cesse de croître. Ce qui est alors décisif, c’est le taux de croissance de la consommation du matériau en question. Plus le taux de croissance est élevé, plus s’accroît l’écart entre la quantité d’un matériau entrant dans l’économie à un moment t du passé et la quantité entrant x années plus tard dans une économie ayant crû durant tout ce temps. Concernant le cuivre, avec un taux de recyclage de 60 %, nous injectons en 2015 dans le système 4 millions de tonnes de cuivre recyclé, soit grosso modo 60 % des 6 millions de tonnes que l’on produisait il y a quarante ans, en 1975. Or, à cause de la croissance continue de notre demande, nous en consommons aujourd’hui 16 millions de tonnes, et non plus 6 ; il nous faut donc extraire à nouveau 12 millions de tonnes de cuivre, malgré le recyclage qui nous a permis de gagner un tout petit peu de temps, mais pas de modifier la logique extractive fondamentale de notre économie.
37Considérons maintenant l’acier, avec un temps de résidence plus court. « L’acier, écrit Grosse, est le matériau majeur le plus recyclé au monde. Pourtant, au rythme actuel du développement de sa production-consommation de 3,5 % par an au cours du xxe siècle, le taux de recyclage actuel au niveau mondial, de l’ordre de 62 %, ne fait gagner à l’humanité qu’environ 12 années contre la raréfaction de la ressource en fer. C’est-à-dire que la consommation de minerai cumulée au cours du temps sera, en 2012, celle qu’on aurait connue en 2000 sans aucun recyclage. Et, en 2062, celle de 2050, si l’on cessait désormais entièrement de recycler. Amener, à l’échelle mondiale, le taux de recyclage à un niveau de 90 % ne ferait gagner à l’humanité que huit années supplémentaires (soit 20 ans de décalage), en l’absence de ralentissement de la progression de la consommation d’acier. Ce n’est qu’au-dessous de 1 % de croissance annuelle de la consommation mondiale d’une matière première que l’effet positif du recyclage sur la ressource devient important [32]. »
38L’efficacité réelle du recyclage dans une économie à forte croissance – et même à croissance relativement modérée – est donc minime, pour ne pas dire infime. Tel est le premier résultat de cette analyse. Le second est un repositionnement fondamental de l’économie circulaire telle qu’on l’entend généralement. Et Grosse de citer la loi chinoise de décembre 2008 sur l’économie circulaire, qui attendait de la mise en place de stratégies de recyclage la circularisation de son économie – ce qui, compte tenu de l’analyse précédente, avec un taux de croissance du PIB chinois ayant oscillé entre 7 et 14 %, était complètement dépourvu de sens. Ce constat sans appel n’invalide certes pas la règle des « 3 R » : réutiliser, refabriquer et recycler (reusing, remanufacturing and recycling), mais il conditionne absolument l’efficacité de ces « 3 R » à un quatrième – et, d’une certaine façon, premier – R : réduire (reducing). « Aborder, écrit Grosse dans un autre article, l’élaboration d’une économie circulaire uniquement par d’ambitieuses politiques pilotées par la valorisation maximale des déchets (du type cradle to cradle) serait voué à l’échec : valoriser 100 % des flux en fin de vie d’une matière première dont la consommation croît de plusieurs pour cents par an ne produit qu’un effet dérisoire à l’échelle de quelques décennies. Il n’est donc point d’économie circulaire qui n’inclue un ralentissement de la croissance matérielle et de l’accumulation [33] ».
39Le recyclage et les autres opérations, répétons-le, ne débouchent donc nullement par eux-mêmes sur une économie circulaire. Leur efficience est conditionnée par une décrue des flux entrant dans le système économique, et cette réduction n’est pas d’ordre techno-économique. Seule une stratégie de contrôle à l’entrée du système, en amont du jeu purement microéconomique d’acteurs en quête de profits et d’efficacité locale, peut orienter une société vers une authentique circularité ayant les propriétés systémiques que nous avons mentionnées plus haut. Il est dès lors difficile d’envisager autre chose qu’une forme de rationnement, soit à travers des quotas que l’on vendrait via un marché public aux industriels d’un secteur donné, soit à travers le rationnement des acheteurs finaux, à l’instar de la carte carbone individuelle, défalquée à chaque achat d’énergie, à laquelle les autorités britanniques avaient pensé avant 2008 [34].
40Ces analyses permettent également d’éclairer l’intérêt et les limites d’une stratégie de dématérialisation comme l’économie de fonctionnalité, c’est-à-dire la substitution de la vente de l’usage d’un bien à la vente du bien lui-même [35]. En premier lieu, l’un des avantages constamment mis en avant, celui de la longévité plus grande des objets servant de supports aux services vendus, n’en est pas un. Dans une économie même modérément croissante, il a simplement pour conséquence, là encore, de décaler les courbes d’ascension de l’extraction mais nullement de réduire in fine la pression sur la ressource. Le décalage n’a d’intérêt que si, comme pour le recyclage, il s’inscrit au sein d’une économie à taux de croissance éventuellement non nul, mais faible. Le vrai intérêt de cette stratégie est de permettre, potentiellement, un changement de paradigme et de lier la rentabilité économique de la vente du service à la réduction de la consommation de ressources, qu’il s’agisse du B-to-B ou du B-to-C. S’y ajoute, dans le cas du B-to-C, la mutualisation du support au bénéfice d’un plus grand nombre d’utilisateurs.
41Une économie sera d’autant plus authentiquement circulaire que la croissance y sera faible, avec un plafond de 1 %, et que le taux de recyclage des matières in fine, avant leur retour au sein du système, sera élevé. Autrement dit, plus on se rapproche d’une croissance zéro et de taux de recyclage de 100 % pour toutes les matières utilisées, plus on s’approchera de la circularité. Ce sont là des caractéristiques systémiques, largement indépendantes des stratégies « micro » des acteurs industriels ou autres, et donc non mesurables par des indicateurs trop désagrégés du type Fondation Ellen MacArthur, discuté plus haut. Entre ces deux butées, peuvent jouer d’autres stratégies de dématérialisation qui augmenteront encore la performance écologique de l’économie, allant de l’éco-conception, de l’optimisation et de la mutualisation des flux sur un même site, jusqu’à l’économie de fonctionnalité dans ses différentes modalités. Pourtant, aucune de ces stratégies ne permettra de stabiliser une économie authentiquement circulaire, c’est-à-dire stationnaire. Pour cela, c’est – en amont de la seule mesure quantitative des flux entrants et sortants – toute une civilisation de la croissance économique qui doit muter en profondeur, une civilisation qui veut encore se persuader qu’elle pourra se dématérialiser indéfiniment sans plafonner les taux annuels de croissance nette de tous ses flux de matière entrants à moins de 1 % ou même de 0,5 %.
42Revenons un moment sur la querelle qui opposa naguère Daly à Georgescu-Roegen. Nous ne sommes plus aujourd’hui comme au seuil des années 1970, dans un monde disposant encore (quoique déjà avec une bonne dose d’aveuglement) d’une grande latitude et de temps pour arrêter quelques orientations fondamentales. Nous n’avons à présent d’autre choix que de viser la réduction de l’ensemble des flux mondiaux tout en considérant la nécessité pour les pays en développement et les moins avancés de parvenir à une amélioration substantielle de leur standard matériel. Citons une fois encore François Grosse : « La consommation mondiale d’acier pendant l’année 2011 – environ 1,5 milliards de tonnes – est supérieure à la production cumulée de fer de toute l’espèce humaine jusqu’à 1900, depuis les origines préhistoriques de la sidérurgie. Un paramètre déterminant de ce bouleversement est « l’invention » de la croissance économique : pendant les millénaires précédents, le PIB mondial a augmenté à un rythme inférieur à 0,1 % par an (…), soit une augmentation cumulée de moins (voire beaucoup moins) de 10 % par siècle. À l’échelle de l’évolution des sociétés, la transformation de l’économie humaine depuis un ou deux siècles constitue donc un choc, auquel rien n’a préparé notre espèce [36]. » Si l’on poursuivait pendant 270 ans le taux de croissance de la consommation de matières que nous avons connu ces dernières décennies, soit 3,5 % l’an, nous finirions par devoir extraire 10 000 fois plus d’acier qu’aujourd’hui ! … À l’évidence donc, à moins de souscrire à l’imaginaire technologique des économistes néoclassiques, férus de durabilité faible et qui imaginent la production (mais à partir de quels matériaux magiques ?) d’équivalents-acier contenant de moins en moins de tout, nous n’aurons donc, à l’évidence, d’autre choix que celui de décroître avant de tenter de bâtir une économie authentiquement circulaire.
6 – La « perma-circularité » et ses trois niveaux d’indicateurs
43Une des difficultés majeures à laquelle sera confrontée la construction de cette économie authentiquement circulaire est la relation énergie/métaux. Nos économies industrielles ont pratiqué une razzia sur tous les gisements terrestres de métaux et ont épuisé toutes les réserves jusqu’à une profondeur de 100 mètres environ. Nous pouvons bien sûr creuser beaucoup plus profondément, mais à un coût énergétique sensiblement plus élevé. Or les activités extractives consomment d’ores et déjà 8 à 10 % de l’énergie mondiale. En outre, les gisements les plus concentrés se localisent plutôt vers la surface de l’écorce terrestre. D’où une lente érosion du taux de concentration des minerais en général. Considérons le cas du cuivre. La concentration moyenne du minerai de cuivre était de 1,8 % en 1930, elle est descendue aujourd’hui à 0,5 %. Et s’il fallait produire la quantité de cuivre annuelle à partir de son état de dispersion naturelle, il y faudrait la totalité de l’énergie primaire annuellement produite dans le monde. Nous aurons donc besoin de plus en plus d’énergie pour extraire de nouveaux métaux.
44Qu’importe cependant, diront certains, puisque conformément au dessein même de l’économie circulaire il conviendra alors d’extraire moins de métaux. Cependant, la même économie circulaire exige, nous l’avons souligné plus haut, que l’on substitue par ailleurs aux énergies fossiles, qui représentent encore 80 % de la production mondiale d’énergie primaire, des énergies renouvelables, notamment solaires et éoliennes. Or ces énergies sont en général celles qui exigent le plus de métaux par kWh produit. Il faut en moyenne 10 fois plus de métaux par kWh renouvelable que par kWh thermique. Certes, nous sommes d’ores et déjà capables de fabriquer des éoliennes sans néodyme (Enercon) et des PV sans argent et sans terres rares ni argent (Silevo). Il n’empêche que nous sommes tout de même pris en tenaille : pour basculer vers les renouvelables, il faut de plus en plus de métaux, et pour extraire ces métaux, il faut de plus en plus d’énergie.
45À quoi s’ajoute que la qualité de l’énergie fournie par les sources renouvelables n’est pas la même que celle issue des carburants fossiles, et plus exactement des fossiles d’autrefois. Rappelons que, contrairement aux expressions auxquelles nous recourons couramment, nous ne savons pas « produire » d’énergie. L’énergie est constante dans le monde (selon le premier principe de la thermodynamique) et nous sommes seulement capables de la capter, de la transformer et de la transporter. Chacune de ces opérations consomme à son tour de l’énergie. En d’autres termes, la formule clé de la « production » humaine d’énergie est le ratio entre l’énergie disponible (captée, transformée et transportée) et l’énergie consommée pour ce faire. Lorsqu’on se limite à l’extraction, on parle d’EROI (Energy Return On (Energy) Investment) ; lorsqu’on considère l’ensemble des opérations, on parle d’« EROI étendu ». Aux débuts de la saga pétrolière, l’EROI était très élevé : il suffisait d’investir un baril pour en extraire 100 [37]. Désormais avec les sables bitumineux de l’Alberta, un baril n’en rapporte que de 3 à 5 ; et si l’on considère les autres opérations, il convient d’ajouter grosso modo la consommation de deux barils supplémentaires. Si l’on se tourne vers les actuels panneaux photovoltaïques, l’EROI moyen se situe à la hauteur de 1 pour 7 ou 8 ; on attend encore des progrès technologiques permettant de remonter à un EROI moyen de plus de 15 d’ici deux à trois décennies [38]. Cependant, ces EROI intéressants restent encore modestes en comparaison des moyennes historiques ayant présidé à l’essor du « progrès » industriel, et ils constituent donc un défi pour la construction d’une économie circulaire – défi qui vient encore accentuer la tenaille évoquée plus haut.
46Les mutations qui sont requises par cette situation inédite à l’échelle de l’histoire de l’humanité vont profondément conditionner la façon dont nous mesurerons notre progrès vers une économie authentiquement circulaire. Nous l’avons évoqué plus haut dans cet article : un (ou des) indicateur(s) d’économie circulaire ne doit pas être simplement statique mais aussi évolutif – il doit pouvoir saisir des macro-contextes cruciaux pour l’évolution de l’ensemble du système vers une authentique circularité. Ainsi, les concepteurs d’indicateurs de circularité ne pourront échapper à la tâche de repérer dans la société les germes de mutations encore peu visibles mais porteuses de nouvelles « technologies » – qui, en l’occurrence, auront toutes les chances d’être plutôt low tech – de stationnarisation macroéconomique. À ce titre, il conviendra notamment de créer des outils permettant de mesurer l’extension de deux préconditions majeures à la circularité de l’ensemble de la société des énergies renouvelables, ni carbonées, ni nucléaires, et une production alimentaire relevant de l’agroécologie. Nous l’avons vu dans la section 3, une perspective régénérative fait partie intégrante de l’économie circulaire, et les énergies non fossiles et non nucléaires ainsi qu’un rapport nouveau aux sols sont essentiels à la réalisation de cette perspective.
47Plus largement, il faudra pouvoir repérer la trajectoire de la société – ou, en tout cas, de sous-ensembles significatifs au sein d’elle – vers une constellation de pratiques authentiquement circulaires et régénératives que nous nommerons « permaculturelles ». En effet, la permaculture offre actuellement le paradigme le plus abouti d’une société authentiquement circulaire – non seulement dans le domaine horticole et agricole où cette approche a ses origines [39], mais dans des domaines aussi variés que la conception de « villes permaculturelles » [40] ou de processus de production low tech associant matériaux biodégradables, absence totale de pollution chimique, structures éphémères et circularité des usages de matière [41], jusqu’à des méthodes des gouvernance collective et politique intégrant une perspective régénérative [42].
48Qui plus est, la permaculture s’inscrit délibérément dans la perspective longue d’une sobriété volontaire à construire sur la base du premier « R », celui de « réduire ». Au cœur de l’ethos permaculturel se loge la conviction qu’il est impossible de se limiter à la seule production : dans un système productiviste, consumériste et croissanciste comme celui dans lequel nous vivons actuellement, et que la permaculture rejette avec force, l’augmentation des quantités produites absorbe constamment les gains d’efficience à l’échelle des unités produites. La « croissance verte », que l’on confond encore trop souvent avec l’économie circulaire (voir section 2 ci-dessus), repose fondamentalement sur une vision positive des effets rebond : être plus efficient par unité produite – et donc améliorer son « score de circularité » selon l’indicateur hyper-micro de la fondation Ellen MacArthur – permet à une entreprise individuelle de faire davantage de profit en vendant davantage, d’une part parce que ses produits coûtent moins cher en matériaux énergétiques (sans que l’on ait demandé à quel « prix » ces gains ont été « achetés » pour ce qui est de l’augmentation de la consommation de ressources dans le système dans son ensemble), d’autre part parce qu’afficher un meilleur circularity rating (calculé par un logiciel vendu contre rétribution commerciale par la Fondation Ellen MacArthur elle-même ou par d’autres bureaux de consultance) permet d’attirer des clients friands de greenwashing.
49C’est contre une telle valorisation positive d’effets rebond au niveau systémique que s’élève l’approche permaculturelle, en arrimant les « 3 R » de la réutilisation, du recyclage et de la refabrication au quatrième « R » de la réduction. Cette refonte culturelle – qu’il faut pouvoir repérer avec soin en amont des indicateurs de réduction des flux entrants dans le système et des indicateurs mesurant l’intensité de la réutilisation, du recyclage et de la refabrication – se trouve au cœur de ce que, ailleurs, nous avons appelé la sobriété volontaire [43] en la différenciant de sa sœur jumelle que le système actuel engendrera quand il butera contre les « limites planétaires », à savoir la sobriété involontaire et subie. Au fond, le véritable objectif d’indicateurs d’économie circulaire devra être de servir de gouvernails pour le pilotage d’une transition vers une sobriété choisie à grande échelle. Quelle que soit leur facture technique exacte, ces indicateurs devront pouvoir traduire un idéal de durabilité forte qui privilégie la régénération stationnaire des écosystèmes et des grands cycles de la biosphère par rapport à leur technicisation et à leur artificialisation. L’érosion structurelle des EROI ne permettra de toute façon pas le maintien, à long ou même moyen terme, de dynamiques high tech de « circularisation » énergivores et consommatrices de ressources – dynamiques qui, dans la perspective permaculturelle, ne peuvent être vues que comme des tentatives incomplètes, donc largement fictives, de rendre circulaires de certaines parties de l’économie, tout en mettant des œillères quand il s’agit d’évaluer les effets dégénératifs et irréversibles de cette circularisation partielle dans les autres parties de l’économie. Sans la vision systémique – et par conséquent, dans notre situation écologique actuelle, orientée vers la réduction, le rationnement et la stationnarité – propre à l’approche permaculturelle, l’idée d’économie circulaire restera constamment vulnérable à une récupération peut-être bien intentionnée, mais finalement de mauvais aloi.
50Au lieu d’une économie circulaire de croissance, ou physocirculaire, il est urgent de construire une économie perma-circulaire où la circularité ne s’inscrit pas dans des trajectoires de croissance des consommations qui en annulent les effets potentiellement bénéfiques [44]. Les indicateurs de perma-circularité devront donc être de trois types :
- Au « bas » de la chaîne de la mesure, des indicateurs quantitatifs mesurant de façon traditionnelle les progrès en efficience, en recyclage, en fonctionnalité, etc., au niveau des entités individuelles et des secteurs de production. À ce niveau, les apports des travaux de la circular economy mainstream – y compris l’écologie industrielle et la cleaner production – peuvent être pris en compte et valorisés.
- Au « milieu », des indicateurs quantitatifs mesurant le degré de stationnarité de l’économie dans son ensemble, c’est-à-dire le ralentissement vers le seuil maximal de 1 % ou 0,5 % des accroissements de demande de ressources non renouvelables, ainsi que la vitesse de convergence vers des taux élevés d’utilisation de renouvelables, le tout dans un contexte de ralentissement de la croissance macroéconomique.
- En « haut » de la chaîne d’analyse, des indicateurs qualitatifs mesurant le degré d’évolution des mentalités vers une sobriété volontaire – même en l’absence de progrès visibles aux deux niveaux précédents. En effet, la mutation collective en direction de la sobriété comme modèle culturel – éventuellement, bien entendu, avec une pluralité d’interprétations possibles selon les options philosophiques, spirituelles, religieuses, psychologiques, etc., des personnes – est une pré-condition nécessaire à la stationnarité macroéconomique.
51Il est clair que ces trois niveaux de mesure ne sont pas indépendants les uns des autres, et notamment que des décisions politiques démocratiques qui encourageraient des évolutions au niveau (iii) ou des choix managériaux qui induiraient des progrès au niveau (i) pourraient, dans certaines circonstances, faciliter des changements positifs au niveau (ii), et réciproquement. Toutefois, distinguer ces trois niveaux permet de ne pas perdre de vue les complexités systémiques d’une authentique perma-circularité. Il ne suffit pas, dans ce cadre, de se focaliser – comme le fait le gros de la littérature conventionnelle sur l’économie circulaire – sur les niveaux les plus opérationnels et entrepreneuriaux du niveau (i). Il ne suffit pas non plus – comme les travaux si riches de François Grosse risqueraient de nous y induire – de constater au niveau (ii) l’inanité du recyclage et des autres mesures de dématérialisation dans un contexte de croissance ; encore faut-il comprendre, au niveau (iii), quelles évolutions socioculturelles seraient à impulser afin de rendre la circularité authentique.
52Toutefois, même ces trois niveaux d’analyse n’épuisent pas la problématique, surtout quand on se souvient que l’économie perma-circulaire doit avant tout faire partie d’un modèle de société humaine soutenable – ce qui pose immédiatement des questions sur l’équité dans la distribution des revenus et des emplois, et sur la capacité de la société à donner un sens à l’existence de ses membres. Il est certain qu’au plan écologique, la croissance doit être minimisée et le recyclage, donc également la durée théorique de séjour des matériaux dans l’économie, doit être maximisé [45]. Au plan humain cependant, il importe de ne pas faire de l’économie circulaire un laboratoire de disqualification anthropologique – car si la perma-circularité servait de moyen à employer de moins en moins de personnes en faisant durer les biens de plus en plus longtemps et en utilisant de moins en moins de matériaux pour produire le moins possible d’objets, le sort des femmes et des hommes pourrait ne pas être beaucoup plus enviable que dans l’actuel capitalisme industriel économiseur d’êtres humains et maximisateur de rendements financiers. Dans le Japon traditionnel on reconstruisait à chaque génération les grands temples, non pour les soustraire à la ruine, mais pour conserver un savoir-faire socialement précieux.
53Dès lors, comme le souligne d’ailleurs également François Grosse, il faut placer au cœur de la réflexion sur une économie perma-circulaire la question de la durée optimale des objets ainsi que de la qualité du travail et des emplois. Dans la mesure où la vie humaine en société est une existence d’homo faber, de fabricants et de « faiseurs », la stationnarité de l’économie ne saurait exclure la restauration des biens existants et le développement de nouveaux biens. Certes, les fortes limites imposées à la croissance excluent dorénavant que les individus trouvent le sens de leur existence dans la double spirale innovation-consommation mise en exergue par Tim Jackson dans son analyse des causes de la croissance moderne [46]. Dans une économie perma-circulaire, il importe à la fois (1) de maintenir et conserver des socles de compétences et de savoir-faire afin de perpétuer d’une génération à l’autre la reproduction des biens existants et (2) permettre la créativité par le remplacement quasiment « un contre un » de biens anciens par des biens nouveaux, qui seront à leur tour conservés et restaurés un certain temps durant grâce à des compétences maintenues sur plusieurs générations, etc.
54Il ne s’agit pas simplement de maintenir un taux d’activité mais bien de conserver ce qui, dans l’acte de produire et de reproduire, donne son sens à l’existence humaine, avec des différences entre cultures mais un objectif partagé : celui de concilier la restauration et l’innovation avec la stationnarité. Il semble relativement évident que ceci doive, le cas échéant, s’accompagner d’un partage du temps de travail si la productivité s’accroît (ce qui est peu probable) ou si la population augmente (ce qui est plausible).
55Bref, une économie stationnaire – c’est-à-dire authentiquement circulaire – n’est en aucune manière une économie de stagnation. Simplement, encadrée par des indicateurs de circularité combinant les dimensions (i), (ii) et (iii) ci-dessus et innervée par la volonté culturelle de concilier sobriété et innovation, une telle économie pratiquera nécessairement une certaine « heureuse prudence » dans sa façon d’allouer les compétences et les durées et intensités de travail, afin de conserver son stock de biens et son stock de savoir-faire. Un bon indicateur de circularité devrait donc inclure – avec un poids à déterminer – une mesure de la qualité du stock de savoir-faire et du degré de « sens au travail » vécu par les personnes afin de s’assurer que la perma-circularité n’est pas vécue comme une frustration ou une limitation abusive. Toutefois, cela aurait moins de chances d’être le cas si la sobriété et la circularité deviennent volontaires et formalisées dans un appareil politique démocratique, avec éventuellement des mesures de soutien inconditionnel de revenu et des mécanismes de création monétaire [47] qui « épongeront » certains effets de la stationnarité et permettront aux individus de trouver un sens à leur vie ailleurs que dans la production et la course à l’innovation telles que les organise le capitalisme actuel, vert ou non.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : économie circulaire, indicateur, découplage
Mise en ligne 08/03/2016
https://doi.org/10.3917/reof.145.0091Notes
-
[1]
Sous-tendant l’idée de dématérialisation se trouve la notion de découplage, qui renvoie à la possibilité – réelle ou illusoire – de pouvoir rendre « compatibles » une croissance économique ininterrompue, d’une part, et d’autre part la réduction de ses impacts environnementaux délétères, et notamment des flux nets de matière et d’énergie qu’elle implique. La littérature sur le sujet est extrêmement vaste ; on y distingue habituellement entre une modalité « relative » du découplage et une modalité « absolue ». Dans le découplage relatif, on réduit l’intensité ressourcielle de chaque unité produite mais l’impact total de la croissance, certes atténué, n’en reste pas moins croissant. Un découplage absolu, quant à lui, signifierait que l’on serait parvenu à réduire l’impact global de la production alors même qu’elle continuerait globalement d’augmenter. Pour une introduction à ces notions centrales, voir par exemple Jackson T. (2009) ou Caminel Th., Frémeaux Ph., Giraud G., Lalucq A., Roman Ph. (2014).
-
[2]
Rockström J. et al. (2009), Rockström J. et al. (2009). Analyse remise à jour par Steffen W. et al. (2015), doi : 10.1126/science.1259855.
-
[3]
Voir Wijkman A., Rockström J. (2012).
-
[4]
Carson R. (1962).
-
[5]
Lovelock J. (2001).
-
[6]
Voir par exemple le Journal of Cleaner Production, publié depuis 1993 chez Elsevier.
-
[7]
Wijkman A. et Rockström J., Bankrupting the Earth, op. cit.
-
[8]
Ibid., p. 164-166.
-
[9]
Ellen MacArthur Foundation (2015).
-
[10]
Voir notamment Hawken P., Lovins A., Lovins L. H. (1999).
-
[11]
Barles S. (2005) ; voir également l’excellent dossier consacré à l’écologie industrielle par La Revue Durable, n° 25, juin-juillet 2007.
-
[12]
de Jouvenel B. (2002).
-
[13]
Kneese A. V., Ayres R. U., D’Arge R. C. (1970) ; Georgescu-Roegen N. (1971) ; Georgescu-Roegen N. (2006).
-
[14]
Arcadie, op. cit., p. 246.
-
[15]
Tillman Lyle J. (1996).
-
[16]
Bellamy Foster J., York R., Clark B. (2010).
-
[17]
Ce qui, aux xviie-xviiie siècles, avait permis à la population urbaine de franchir la barre des 20 % pour monter jusqu’à 50 %.
-
[18]
Voir plus bas les nuances à apporter.
-
[19]
Voir notamment Lietaer B., Arnsperger Ch., Goerner S., Brunnhuber S. (2012).
-
[20]
Frosch R., Gallopoulos N. (1989).
-
[21]
Voir Fan X., Bourg D., Erkman S. (2006).
-
[22]
Voir la série Circularity Indicators de la Fondation Ellen MacArthur, mai 2015.
-
[23]
Voir notamment Mollison B. (1988) et Holmgren D. (2002).
-
[24]
Boltanski L., Chiapello E. (1999).
-
[25]
B. R. Allenby oppose l’objectivité technologique de l’écologie industrielle à la nature normative et politique du développement durable : le seul moteur de l’écologie industrielle est, selon lui, le marché (Allenby B. R., 1999). Pour une analyse plus approfondie, voir Opoku H., Keitsch M. (2006).
-
[26]
Bardi H. (2015).
-
[27]
Voir Prigogine I., Stengers I. (1979).
-
[28]
« À notre grand étonnement, écrit Peter Westbroek, de ces débris épars un nouveau monde renaît spontanément, un monde qui sera la copie à peu près exacte de celui qui vient de disparaître. On pourrait appeler ce phénomène de transformation continue une « reconstruction planétaire » permanente. L’exemple du granite est à cet effet éclairant. À la surface des continents, ce type de roche se désagrège sous l’effet de l’altération, pour se transformer en un mélange d’argile, de quartz et de constituants hydrosolubles. Ces éléments transformés sont ensuite transportés jusqu’au fond de l’océan, d’où ils glissent jusqu’aux profondeurs de la Terre puis fondent. Par des phénomènes conjoints de refroidissement, de solidification et de soulèvement, un nouveau granite est créé et ramené à la surface, permettant au cycle de se reproduire. » (Westbroek P., « Système Terre », in Bourg D., Papaux A. (dirs.), 2015).
-
[29]
Energy and Economic Myths, op. cit.
-
[30]
Voir Grosse F. in Futuribles, juillet-août 2010 ; Grosse F. in SAPIENS, 2010 ; Grosse F. in SAPIENS, 2011.
-
[31]
Il est à noter que Grosse utilise ici l’expression de « découplage relatif » dans un sens différent de celui qui est usuel dans la littérature. Par ailleurs, ce qu’il nomme « découplage fondamental » ne coïncide pas pleinement avec le traditionnel « découplage absolu » (voir note 1 au début de cet article). Il nous semble toutefois nécessaire de conserver ici les expressions telles qu’il s’en sert dans son approche.
-
[32]
« Le découplage croissance/matières premières », art. cit., p. 110 (nos italiques).
-
[33]
Grosse F., « Économie circulaire », in Dictionnaire de la pensée écologique, op. cit., p. 349-352.
-
[34]
Voir Szuba M., « Quotas individuels », in Dictionnaire de la pensée écologique, op. cit., p. 843-845.
-
[35]
Pour une présentation du concept, voir notamment Bourg D., Buclet N. (2005) ; Bourg D., « Économie de fonctionnalité et intelligence économique dans un contexte de finitude des ressources », in Paris Th., Veltz P. (dir.) (2010) ; Stahel W. (2010).
-
[36]
« Économie circulaire », art. cit., p. 350.
-
[37]
Pour la question du EROI en général, voir notamment Hall C. A. S., Klitgaard K. (2011).
-
[38]
Voir Hotte N. (2015).
-
[39]
Outre les références déjà mentionnées de Mollison et Holmgren, voir notamment Hemenway T. (2009), ainsi que Bane P. (2012).
-
[40]
Voir notamment Hemenway T. (2015).
-
[41]
Regenerative Development for Sustainable Development, op. cit. Pour une discussion récente de la pertinence urgente des low tech dans le contexte ressourciel actuel (et notamment l’érosion séculière des EROI), voir Bihouix Ph. (2012).
-
[42]
Macnamara L. (2012).
-
[43]
Arnsperger Ch., Bourg D. (2014).
-
[44]
Nous rejoignons ainsi les intuitions de François Grosse, qui parle de « croissance quasi circulaire » pour désigner la fenêtre très étroite à l’intérieur de laquelle circularité et croissance (faible) sont éventuellement compatibles. L’expression de « perma-circularité » nous semble plus apte à nous décentrer de la croissance, ne la faisant désormais même plus apparaître, au plan grammatical, comme un sujet à qualifier par des épithètes.
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[45]
A contrario, voir François Grosse concernant l’influence du temps de séjour dans l’économie, d’une part dans « Le découplage croissance/matières premières », art. cit., graphique n° 6 et commentaire p. 109 et 110 (en particulier, deuxième alinéa en page 110) ; d’autre part dans « La croissance quasi circulaire », Futuribles, novembre-décembre 2014, n° 403, figure n° 2 et commentaire p. 64 et 65.
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[46]
Jackson T., Prosperity Without Growth, op. cit., p. 87-102.
-
[47]
Voir notamment Arnsperger Ch. (2015) ; voir également Bourg D., Arnsperger Ch., « Modes de vie et liberté », in Bourg D., Dartiguepeyrou C., Gervais C., Perrin O. (dir.) (2016).