Couverture de REOF_102

Article de revue

Questions sans réponse sur l'augmentation des inégalités aux États-Unis

Pages 417 à 465

Notes

  • [*]
    Article présenté au « Brookings Panel on Economic Activity », Washington, DC, 7 septembre 2007.
  • [**]
    Nous sommes très reconnaissants de l’assistance remarquable que nous ont apportée deux étudiants de Northwestern, Bobby Krenn et Neil Sarkar, et des très utiles commentaires de David Autor, Polly Cleveland, James Heckman et Larry Katz.
  • [1]
    Le saut de la part des revenus du travail et la baisse de celle du revenu du capital au troisième trimestre 2005 reflètent l’ajustement à la baisse de l’estimation du revenu intérieur par la comptabilité nationale, due aux effets des ouragans Katrina et Rita.
  • [2]
    L’estimation de la part du revenu des propriétaires imputable au travail est reprise de Mishel et al. (2005, tableau 1.25 page 95). La part de revenu imputable au travail que nous avons utilisée a été interpolée linéairement entre les années étudiées et celles du tableau de Mishel et al..
  • [3]
    Les ratios sont présentés en log avec 1979 = 0. Les données utilisées proviennent de la banque de données sur l’Amérique au travail (Working America Database) publiée sur le site web de l’Institut de politique de l’emploi (Employment Policy Institute).
  • [4]
    Statistiques historiques des États-Unis, série U2 divisée par série F1.
  • [5]
    Mishel et al., graphique 3W, p. 180.
  • [6]
    Immigration and Naturalization Service.
  • [7]
    Mishel et al. (tableau 3.4, p. 119) mettent en évidence une hausse du salaire réel de l’ensemble des travailleurs (hommes et femmes) de 9 % au 50e percentile, à comparer à la hausse de 12,5 % au 10e percentile.
  • [8]
    Skill-biased technical change.
  • [9]
    Cette présentation s’appuie sur l’ensemble des hypothèses précédentes résumées par Kaplan et Rauh (2006, pp. 4-5) du fait qu’ils renforcent notre article sur les aspects les plus proches du leur.
  • [10]
    Adjusted Gross Income.
  • [11]
    Dans le tableau 8a de Kaplan et Rauh, le nombre de dirigeants du secteur non financier d’ExecuComp est de 594 et « l’estimation du nombre de cadre dirigeants financiers » (dont quelques uns mais pas tous sont recensés par ExecuComp) étaient de 137, soit un total de 731. Le décompte par Kaplan et Rauh du total des individus appartenant au 0,01 % supérieur, qui inclut les banquiers d’investissement et autres hauts salaires de Wall Street, le top 100 des juristes associés, les sportifs professionnels et les grandes célébrités atteint 2 339 ; ils identifient donc 3,2 fois plus de personnes que celles qui sont incluses dans la base ExecuComp.
  • [12]
    Price earning ratio = prix de l’action/profits.
  • [13]
    La croissance du PER est l’inverse de la baisse du ratio dividende/prix de l’action des entreprises du S&P500 retracée dans le Rapport économique au Président, 2006, tableau B-95.
  • [14]
    En tenant compte des points hors graphique 1, les observations 1970 et 2000 de l’indice JMW valent respectivement 0,5 et 11, tandis que les valeurs de la capitalisation boursière sont de 0,8 et 6,7.
  • [15]
    Cette conclusion ne nécessite même pas de supposer une fusion. Même si les entreprises ne peuvent pas fusionner, le dollar marginal investi en bourse aura un rendement d’autant plus élevé que la firme dans laquelle il est investi sera grande.
  • [16]
    Cette section est entièrement basée sur la revue de Weisbach de 2007 sur le travail de Bebchuk et Fried.
  • [17]
    CEX = Consumer Expenditure Survey.
  • [18]
    Bureau of Labor Statistics.
  • [19]
    Panel Study on Income Dynamics.
  • [20]
    SSA, i.e. Social Security Administration.
  • [21]
    Voir par exemple le New York Times, rubrique « vie économique » : « L’inégalité de consommation… ne présenta pas de tendance significative à la hausse » (Cowen, 25/1/2007). « Il est difficile d’observer les effets de l’augmentation des inégalités de revenus sur la manière dont vivent les gens » (Postrel, 7/11/2002).
  • [22]
    Bureau of Economic Analysis (Département du commerce des États-Unis).
  • [23]
    Personal consumption expenditures.
  • [24]
    On peut noter que Attanasio et al. (2006) et Battistin (2003) utilisent une technique identique à celle du FES pour combiner les données du CEX issues des interviews avec celles des carnets de consommation
  • [25]
    La consommation de biens non-durables est une référence courante dans les études sur la consommation, car elle élimine les problèmes associés au fait de traiter ou pas les biens durables comme des investissements en capital.
  • [26]
    D’autres aspects sont, par exemple, une fertilité américaine plus élevée et une place relativement mauvaise dans les tableaux d’espérance de vie et de résultats aux tests de maths et de science.
  • [27]
    Chong et Gradstein présentent une revue concise de la courte littérature relative aux institutions et à l’inégalité.
  • [28]
    Enquête sur la consommation.

1 – Mesurer et interpréter l’augmentation des inégalités aux États-Unis

1 La croissance des inégalités aux États-Unis et particulièrement le rétrécissement de la distribution des revenus à son sommet, ont été l’objet d’une grande attention au cours des dernières années. De nombreux débats sont apparus concernant les faits eux-mêmes, les différences liées aux sources ou les causes de la chute relative des revenus dans les percentiles du milieu et du bas de la distribution. Des désaccords très importants sont apparus, en particulier sur la manière d’interpréter la forte hausse relative des revenus du haut de l’échelle, hausse qui a concerné non seulement les revenus du capital mais aussi les revenus du travail.

2 Cet article propose un survey complet de six aspects de la croissance des inégalités : la modification de la part des revenus du travail, les inégalités à la base de l’échelle des revenus, les inégalités au sommet, la mobilité du travail, les inégalités de consommation comparées aux inégalités de revenus et les différences internationales, particulièrement au sommet de l’échelle des revenus. Les modifications du rendement de l’éducation supérieure, l’évolution de la prime salariale associée aux études supérieures et les mécanismes de transmission du capital humain des parents aux enfants sont hors du champ de l’article.

3 Notre travail initial sur les inégalités (Dew-Becker et Gordon, 2005) tentait d’expliquer le différentiel entre les croissances de la moyenne et de la médiane du revenu du travail, ce que nous avions réalisé en comparant les micro-données sur les revenus provenant de l’administration fiscale avec les données de la comptabilité nationale sur le revenu et la productivité. Notre travail pointait un fait majeur : sur la période 1996-2001, seuls les revenus des 10 % les plus riches avaient augmenté au même rythme ou plus rapidement que la productivité. Nos résultats permettaient de comprendre comment la croissance de la moyenne des rémunérations était en ligne avec la productivité, laissant la part des revenus du travail dans le revenu national pratiquement constante, alors que le revenu médian avait pris beaucoup de retard.

4 Dans la partie 2 de cet article, nous actualisons les observations relatives à l’évolution de la part des revenus du travail et nous nous interrogeons sur le sens de la baisse de cette part observée depuis 2001 : s’agit-il d’une évolution normale en réaction aux fluctuations cycliques de l’économie, ou s’agit-il d’un changement durable conduisant à une modification structurelle du schéma de répartition à long terme ? Nous examinons aussi les changements de la part dans le revenu des différentes composantes du revenu du capital.

5 La troisième partie tente de répondre aux critiques de la méthode utilisée dans notre article de 2005 pour comparer les taux de croissance des revenus salariaux observés à partir des données fiscales (IRS) avec ceux des taux de salaires réels de la comptabilité nationale (NIPA). Les critiques portaient sur le fait que nous avions supposé que la croissance des avantages annexes, exclus des données fiscales, était répartie proportionnellement entre les quantiles de salaires, et que le taux de croissance du nombre d’heures de travail était également identique par quantiles. On présente ici une analyse de ces questions en tenant compte de données supplémentaires et de résultats d’autres recherches sur la répartition des avantages salariaux annexes.

6 Les sections suivantes de l’article approfondissent les questions soulevées par les débats relatifs à la répartition des revenus. La partie 4 traite la question la moins discutée qui concerne le bas de la répartition des revenus, qui est en pratique constituée des 90 % pour lesquels la croissance des revenus a été inférieure à celle de la productivité. Quels facteurs expliquent cette érosion des revenus relatifs du milieu et du bas de l’échelle ? Le cœur de l’analyse développée dans notre article de 2005 se fondait sur l’interprétation dite de la « grande compression » développée par Goldin et Margo (1992). Trois facteurs auraient joué simultanément dans le milieu du XXe siècle pour égaliser les revenus : la montée des syndicats de salariés, le déclin du commerce international et la quasi-disparition de l’immigration. Dans notre analyse de 2005, l’inversion de ces trois facteurs expliquait la compression relative des revenus du bas de l’échelle, mais nous ne nous étions pas penchés sur la littérature la plus récente sur ces questions. On présente donc ici quelques uns des débats les plus récents sur l’impact quantitatif des syndicats, du libre échange, de l’immigration, et on ajoute un quatrième facteur, le déclin du salaire minimum réel.

7 La partie 5 discute brièvement l’hypothèse selon laquelle la cause primaire de la croissance des inégalités est constituée par le biais de qualification associé aux changements techniques. Nous avons isolé cette discussion dans une section séparée car elle concerne à la fois les 90 % du bas de l’échelle des revenus et les 10 % du haut.

8 Puis la partie 6 s’attaque à la question la plus controversée : pourquoi, aux États-Unis, les très hauts revenus ont-ils connu une hausse, relativement aux revenus inférieurs au seuil du 90e percentile et relativement aux revenus les plus élevés en Europe et au Japon ? Dans notre article de 2005, nous avions attiré l’attention sur deux causes essentielles. La première est le développement du secteur économique des « superstars ». La croissance mondiale de la demande de services du sport et du spectacle, due pour une large part aux innovations techniques comme la télévision par câble, le CD et le téléchargement de musique ou de film, a entraîné une augmentation d’un ordre de grandeur des revenus relatifs des superstars. Nous avons analysé cette évolution comme résultant d’un changement de l’équilibre du secteur. La seule question qui pose problème à propos des superstars est celle du champ à retenir : faut-il inclure parmi les superstars ceux qui sont au sommet de la banque, les avocats et les autres professionnels de très haut niveau ? Quelle fraction du 1 % des plus hauts revenus peut-elle être attribuée aux superstars au sens large ? Kaplan et Rauh (2006) nous avaient critiqués pour avoir retenu une définition trop restrictive des superstars et nous admettons aujourd’hui qu’il convient de retenir une définition plus large du type de celle qu’ils retiennent.

9 Dans le champ des analyses de la répartition des revenus, rien n’est plus controversé que la justification économique du revenu des cadres dirigeants américains. Dans notre article de 2005, nous avions abordé la question en partant des recherches de Bebchuck et Grinstein (2005) et nous nous étions interrogés pour savoir si l’augmentation des revenus des cadres dirigeants américains relativement aux dirigeants européens, pouvait être justifiée par des caractéristiques marchandes observables comme les valeurs des capitalisations boursières, les chiffres d’affaire ou les profits.

10 Alors que notre réponse était négative, sur la base des travaux de Bebchuck et Grinstein, nous tenons compte dans notre revue de littérature actuelle d’un grand nombre de travaux que nous avions ignorés en 2005. L’analyse de Kaplan et Rauh (2006), selon laquelle il convient de classer les super-banquiers d’investissement comme des superstars en plus des cadres dirigeants, soulève une question sémantique certes intéressante mais peut-être sans solution. Un élément nouveau du débat sur le revenu des dirigeants américains est constitué par l’augmentation très importante, depuis 1990, de la part des stock options dans leur rémunération. L’utilisation frauduleuse des stock options au cours de la période récente suggère aussi que la rémunération des dirigeants comporte une part d’arbitraire.

11 Toute analyse de la montée des inégalités aux États-Unis se doit de prêter attention aux comparaisons internationales. Nous avons examiné ici les résultats de base, qui mettent en évidence le contraste permanent entre la croissance des inégalités aux États-Unis à une extrémité et la stabilité de l’Europe continentale à l’autre, le Canada et le Royaume-Uni se situant entre les deux. L’examen des facteurs explicatifs de ces différences nous a permis de distinguer trois groupes de facteurs. Le premier groupe est constitué d’un ensemble assez large de différences institutionnelles, comprenant, du côté américain l’adoption précoce des stock options comme mode de rémunération le plus important des dirigeants d’entreprises, du côté européen des institutions centrées sur des négociations coopératives limitant les prérogatives des dirigeants en matière salariale, et du côté japonais un système rigide de règles d’ancienneté, de carrières salariales plates et l’interdiction des stock options jusqu’en 1997.

2 – La part du travail dans le revenu national

12 Une des confusions qui apparaît fréquemment dans les débats sur la répartition des revenus consiste à mélanger l’évolution de la part du travail dans le revenu national, retracée dans le graphique 1, avec la répartition des salaires par centile. Il n’y a aucun lien automatique entre la part des salaires retracée graphique 1 et la situation de l’Américain médian dont le bien-être dépend presque intégralement du revenu du travail (et pas du revenu du capital). Ainsi, il est possible, au moins en théorie, que les plus hauts revenus augmentent du fait des stock options, des primes et autres avantages (qui sont traités comme des revenus du travail), ce qui entraîne une hausse de la part du travail, pendant que le revenu relatif du salarié médian diminue.

13 En ayant cette remarque présente à l’esprit, on peut analyser l’évolution des parts du travail et du capital retracées par le graphique 1, mises à jour jusqu’au 3e trimestre de 2006. Les deux courbes du premier graphique fournissent un résultat clé, en montrant que l’on peut arriver à n’importe quelle conclusion à propos de la part du travail selon la période étudiée. La courbe du bas est celle du ratio de la rémunération des salariés (incluant les primes et avantages) de l’ensemble de l’économie et du revenu total net des facteurs, c’est-à-dire le PNB diminué de la consommation de capital fixe et des impôts indirects. On peut voir que la part des revenus du travail a augmenté de 1997 à 2001 avant de décliner jusqu’en 2007. Mais sur l’ensemble de la période 1997-2007, on n’observe aucun changement [1]. La courbe supérieure tient compte d’une estimation du ratio travail/capital dans le revenu total des propriétaires, qui est une part importante du revenu évalué par la comptabilité nationale [2].

1a

Part du travail dans le revenu national incluant ou pas les revenus de la propriété, 1950-2007

1a

Part du travail dans le revenu national incluant ou pas les revenus de la propriété, 1950-2007

1b

Décomposition des revenus autres que ceux du travail, 1950-2007

1b

Décomposition des revenus autres que ceux du travail, 1950-2007

14 En étudiant à nouveau la courbe du bas de la part du travail, on est frappé par le fait que les dates des retournements cycliques sont les mêmes que celles où le taux de chômage était proche de son taux naturel (NAIRU), c’est-à-dire 1987, 1997 et 2006. La hausse de la part du travail de 1987 à 1990 et la baisse de 1990 à 1995 ont suivi un calendrier très voisin de celui du dernier cycle économique, hausse de 1997 à 2001 puis baisse jusqu’en 2006.

15 Sur une longue période, la courbe du bas montre qu’en partant de 1950, la part des salaires a augmenté de façon significative, passant de 65 à 70 %, et que la mesure alternative des revenus du travail incluant les revenus des entrepreneurs a augmenté de manière négligeable, passant de 72 à 73 % entre 1950 et 2006. En conséquence, on peu conclure en première approximation, comme on l’avait fait en 2005, que l’augmentation des inégalités aux États-Unis à partir du milieu des années 1960 n’a pas grand-chose à voir avec la part du travail dans le revenu national. Ce qui s’est passé est une forte déformation de la distribution interne des revenus du travail.

16 Le graphique 1b nous présente l’évolution historique de la part du capital. Alors que globalement la part des revenus du capital reflète celle du travail (graphique 1a), on observe des évolutions différentes de chaque composante du revenu du capital. Au cours de la dernière décennie, la part du profit des sociétés a bondi, tandis que la part des intérêts diminuait. Le niveau de 12,5 % de la part des profits des sociétés au troisième trimestre de 2006 était le plus élevé depuis les 12,6 % du deuxième trimestre de 1967. La part du total des revenus hors travail atteignait 29,7 % au deuxième trimestre de 2007, soit pratiquement le même niveau qu’à la mi-1997. Ce niveau est plus faible que tous ceux qui ont été atteints à n’importe lequel des trimestres de la période 1950-1967.

3 – Les 90 % inférieurs : les faits

17 D’après nos résultats de 2005, seuls les 10 % supérieurs de la distribution des revenus avaient bénéficié de gains de salaires réels égaux ou supérieurs au taux de croissance de la productivité du travail. En conséquence, nous avions qualifié les 90 % inférieurs de la distribution des revenus de « base » et les seuls 10 % supérieurs de « sommet ». La limite du percentile 90 est pratique car les données de l’enquête annuelle sur la population (CPS) les plus couramment utilisées sont relatives aux groupes de revenus au niveau ou en dessous de cette frontière, depuis que les contraintes de codage de la partie supérieure des revenus limitent la possibilité pour le CPS de fournir des informations sur les changements des revenus au sein des 10 % les plus élevés.

3.1 – Les changements dans les 90 % inférieurs

18 L’essentiel de la littérature sur les changements qui ont affecté les revenus sous le percentile 90 met l’accent sur la chronologie exacte de ces changements. Conformément à cette tradition, nous commencerons par étudier les changements de 1973 à 2005 des ratios 90-50, 50-10 et 90-10 concernant les revenus du travail de tous les salariés et, séparément, des hommes et des femmes [3]. Le graphique 2a montre une chronologie confuse, avec une croissance régulière pour le ratio 90-50 après 1979, qui contraste avec le saut important du ratio 50-10 durant la période 1980-1986, suivi d’un lent et partiel renversement après 1986. Le ratio 90-10 qui combine les tendances précédentes, présente un saut brusque de 1980 à 1988 suivi d’un plateau de 20 à 25 % supérieur. Notre article de 2005 comparait les données de l’IRS et du CPS pour l’ensemble des travailleurs (et non pour les hommes et les femmes séparément) et montrait des évolutions similaires, avec une augmentation brutale des ratios 90-50 et 90-10 dans les années 1980 mais relativement peu de changement du ratio 50-10 dans la période 1970-2001.

19 À la lecture d’une partie de la littérature sur les changements des ratios de percentile de revenus, nous avons été surpris par les différences très marquées des évolutions concernant les hommes et les femmes. Pour les hommes, comme le montre le graphique 2b, le ratio 50-10 est revenu à son niveau de 1979 après un saut temporaire de 1979 à 1986. Le ratio 90-50 a augmenté à taux pratiquement constant, de 12 points de pourcentage entre 1970 et 1990 et encore de 11 points entre 1990 et 2005. Le ratio global 90-10 pour les hommes évolue comme pour l’ensemble des travailleurs avec un saut brutal en 1980-87 suivi d’un plateau relativement stable.

20 La grande surprise, du moins pour nous, concerne les données pour les femmes (graphique 2c). Alors que le ratio 90-50 a suivi le même chemin que pour les hommes, le ratio 50-10 augmente beaucoup plus pour les femmes que pour les hommes et cette hausse est durable. Ceci est cohérent avec le fait que les femmes ont environ deux fois plus de chances que les hommes d’être payées au salaire minimum (voir Bureau of Labor Statistics, 2006). Un fait, peut être encore plus surprenant, est que l’augmentation du ratio 90-10 est presque deux fois supérieure pour les femmes que pour les hommes : 44 points comparés à 23 points. Les chiffres cités dans cette section sous-estiment l’augmentation globale des inégalités car une grande partie de cette augmentation s’est produite au sein du 10e décile. Du fait de la censure statistique appliquée aux plus hauts revenus, les changements concernant les 10 % les plus riches ne peuvent pas être étudiés à partir des données issues du CPS, mais impliquent le recours aux données de l’IRS qui ne sont pas censurées et suréchantillonnent naturellement les plus hauts revenus. Comme nous l’avions montré (2005, p. 113), les données de l’IRS permettent de faire l’importante distinction entre le revenu du percentile 90 et la moyenne des revenus du décile du haut. À cause de la déformation de la distribution des revenus au sein du décile le plus élevé, la moyenne des revenus de ce décile augmente plus vite que le revenu de ceux qui se trouvent juste au 90e percentile. Nous avions montré que la part des revenus du décile le plus élevé est passée de 27 % en 1966 à 45 % en 2001, et que la moitié de cette hausse s’explique par l’accélération de la hausse du ratio 90-10 discutée plus haut, l’autre moitié s’expliquant par la déformation de la distribution au sein du décile du haut, c’est-à-dire la hausse relative des revenus aux percentiles 95, 99,9 et 99,99 relativement au 90e percentile. Piketty et Saez (2003) proposent aussi une analyse détaillée du quantile supérieur.

2

Ratios de revenus par percentiles selon l’enquête sur la population et l’emploi (CPS)

2

Ratios de revenus par percentiles selon l’enquête sur la population et l’emploi (CPS)

3.2 – La mobilité à travers les décennies et les générations

21 Tandis que les inégalités augmentaient, la mobilité des revenus diminuait. Il existe une importante et active littérature sur la mobilité du revenu. Fields et Ok (1999) fournissent une revue extensive des méthodes de mesure de la mobilité et de leurs fondements théoriques. Atkinson et al. (1992), Gottschalk et Danziger (1997) fournissent une revue de la littérature sur les rémunérations et la mobilité du revenu familial. Si les inégalités s’accroissent mais que la mobilité augmente, alors les effets conjugués de ces deux évolutions peuvent s’équilibrer et le bien-être peut rester à peu près constant. Cette littérature examine cette hypothèse et la rejette pour ce qui est de l’histoire récente des États-Unis.

22 Bradbury et Katz (2002) étudient les transitions entre les quintiles de revenus au cours d’intervalles de dix ans, et ils trouvent qu’un travailleur, faisant partie des 20 % du sommet ou de la base de la distribution des revenus, a 50 % de chances d’être encore dans le même quintile dix ans plus tard. D’un autre côté, il y a seulement 3 % de chance que quelqu’un passe de la base au sommet. Ce résultat contraste avec le grand nombre de mouvements entre les 3 quintiles centraux, supposé être à l’origine de la volatilité annuelle des revenus. Gottshack et Danziger (1997) trouvent des résultats identiques à partir d’analyses sur 20 ans. Ils ne trouvent pas non plus d’augmentation de la mobilité, ce qui aurait pu limiter les effets de la hausse des inégalités. Au contraire, ils trouvent que la mobilité a décru au cours des 20 dernières années.

23 Kopczuk, Saez et Song (2007) fournissent une autre image utile à partir des données de l’administration de la Sécurité sociale (SSA). Les données de la SSA ont l’avantage d’éliminer les erreurs liées aux défauts de mémoire des interviewés, inhérents aux enquêtes par interview, et de constituer un très large panel permettant de suivre les individus au cours de l’intégralité de leur carrière. Ils établissent ainsi un grand nombre de faits. En premier lieu, ils confirment que les changements des inégalités mis en évidence par les données de l’IRS au niveau des familles, y compris pour les 1 % du sommet, se retrouvent au niveau individuel. Ils interprètent ce résultat comme une preuve de ce que les mécanismes d’endogamie n’ont pas exacerbé les inégalités mesurées au niveau familial. En deuxième lieu, ils confirment que la mobilité n’a pas augmenté pour le travailleur moyen. En troisième lieu, ils sont capables de mesurer la mobilité à l’entrée et à la sortie pour les 1 et 0,01 % du sommet. Les individus appartenant au 0,1 % du sommet ont approximativement 65 % de chances d’être au même endroit un an plus tard, 55 % trois ans plus tard et 45 % cinq ans plus tard. S’agissant de l’origine de ceux qui appartiennent au 1 % supérieur, ils observent que dix ans auparavant, 35 % faisaient déjà partie du 1 % supérieur et qu’un autre 35 % faisaient partie des percentiles 95 à 99. Seuls 10 % venaient des quatre cinquièmes inférieurs. Ces probabilités de transition sont toutes relativement fixes au cours du temps. Globalement, l’observation de la mobilité par tranche de revenu sur une base décennale ou multi-décennale ne montre pas que la mobilité augmente, mais plutôt qu’elle baisse faiblement.

24 Une autre question intéressante est relative à la mobilité intergénérationnelle. Dans un monde réellement égalitaire, on pourrait s’attendre à ce que le lien entre le niveau de revenu d’une personne et celui de ses enfants soit faible. D’un autre côté, si la transmission du capital humain est forte des parents vers les enfants, alors le niveau des revenus pourrait être conservé d’une génération à l’autre. La littérature sur la mobilité des revenus ne permet pas en général de distinguer ces deux effets ; elle ne permet en fait que de quantifier la mobilité entre générations. Solon (1999) et Bowles et Gintis (2002) présentent des revues très extensives de la littérature sur la mobilité intergénérationnelle. Hertz (2005) étudie la mobilité entre générations par quintiles de revenus. Il confirme les résultats de Solon et de Bowles et Gintis selon lesquels la corrélation des revenus d’une génération à l’autre est de l’ordre de 0,4. En outre, il trouve que ce résultat est très largement la conséquence de la situation des familles noires. Une personne noire née dans une famille appartenant au quintile de revenu inférieur à 42 % de chances d’appartenir au même quintile à l’âge adulte, alors que la probabilité pour une personne blanche est de 17 %. Globalement, les résultats concernant la mobilité intergénérationnelle sont pratiquement identiques à ceux qui concernent les individus : les personnes qui commencent leur vie avec un faible revenu ont toutes les chances de conserver un faible revenu, et ceci a très peu changé au cours du temps.

4 – Les institutions et les 90 % du bas

25 On se tourne maintenant du côté des questions relatives à l’évolution de la répartition du revenu sous le 90e percentile. Notre travail est organisé en partant des trois facteurs présentés comme la cause de la « grande compression » de Goldin et Margo (1992), l’augmentation de la syndicalisation, le déclin du commerce international et de l’immigration auraient contribué à la compression de la distribution des salaires au milieu du 20e siècle, grossièrement entre 1940 et 1970. Le renversement de ces facteurs, déclin de la syndicalisation et pression à la baisse sur les salaires des non qualifiés exercée à la fois par la hausse des importations et l’arrivée de migrants sans qualification, auraient contribué à l’augmentation des inégalités depuis 1970.

4.1 – Le renversement de « la grande compression »

26 Williamson (2006) a élargi le champ historique de la théorie de la grande compression en développant une analogie entre la croissance du commerce international et de l’immigration dans l’économie des années post-1970 qui nous intéresse ici, et la période fin du XIXe-début du XXe siècle. Au cours de la période 1870-1914, les croissances du commerce et de l’immigration non qualifiée ont conduit à une baisse du ratio terre-travail dans le nouveau monde et à une réduction des salaires des travailleurs non qualifiés relativement à ceux des « propriétaires et des travailleurs qualifiés ». L’impact du commerce, mis en avant par Heckscher et Ohlin, fut renforcé par l’immigration.

27 En fait, il semble que l’immigration ait joué un rôle plus important que les importations au cours de la première période. L’immigration atteignait en moyenne 0,9 % de la population des États-Unis entre 1900 et 1913, soit plus du double du 0,4 % atteint par l’immigration légale et illégale au cours de l’année 2002 (Gordon, 2003, graphique 5, p. 268). Par contre, de manière surprenante, les importations n’étaient qu’au faible niveau de 4,8 % du PIB entre 1907 et 1911, contre 16,2 % en 2005 [4].

28 Williamson (2006, graphique 1) présente une forte corrélation négative entre le salaire réel initial de 1870 et la variation annuelle d’un indicateur d’inégalité, le ratio du salaire du travail non qualifié et du salaire moyen. Sur 1870-1913, cet indice diminue de 1,45 % par an aux États-Unis, pays d’immigration, alors qu’il augmente d’environ 1 % par an en Suède et au Danemark, pays pourvoyeurs de migrants. Par une autre analyse de régression, Williamson montre que l’immigration est un facteur de variation de l’inégalité beaucoup plus important que le commerce, et que les pays européens qui perdaient de la population par émigration connurent une réduction de l’inégalité.

4.2 – Le rôle des syndicats

29 Nous nous tournons maintenant vers la période de renversement de la grande compression, après 1970. Le pourcentage de salariés américains syndiqués diminua rapidement, de 27 % en 1979 à 19 % en 1986, puis baissa doucement jusqu’à 14 % en 2005 [5]. Une analyse complète de la relation entre syndicalisation et inégalité est présentée par Card et al. (2004). Ils présentent une riche analyse comparative des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada, mais nous nous limitons ici au résumé de leurs résultats relatifs aux États-Unis. Ces auteurs confortent très largement l’article fondateur de Freeman (1980), en montrant que les syndicats tendent à réduire les inégalités salariales parmi les hommes (mais pas parmi les femmes), l’effet d’augmentation des inégalités « intersectorielles » étant plus faible que l’effet de réduction de la dispersion « intra-sectorielle ». Ces deux effets ont une importance plus faible quand on tient compte de la qualification de la main-d’œuvre.

30 Les salaires des entreprises syndiquées tendent à être moins dispersés que ceux des entreprises non syndiquées. En conséquence, les syndicats ont un effet égalisateur sur la dispersion des salaires parmi les qualifiés. Selon les résultats centraux de ces auteurs, qui incluent les correctifs permettant de tenir compte de la distribution des qualifications, le déclin de la syndicalisation aux États-Unis explique une augmentation relativement faible de 14 % de la variance des salaires masculins entre 1973 et 2001, et aucune hausse de la variance des salaires féminins. La moyenne de ces résultats pour les hommes et pour les femmes conduit à estimer que le déclin de la syndicalisation pourrait expliquer 10 % de l’augmentation du ratio 90-10.

31 Mishel et al. (2006, tableau 3.32, p. 180) estiment que le surplus de salaire lié à la syndicalisation représentait en 2005, 28 % des salaires et 43 % du total des rémunérations incluant les avantages annexes, ce qui reflète le rôle des syndicats dans l’extension des avantages annexes plus importants dans les entreprises syndiquées que pour l’ensemble des salariés. Ces auteurs concluent, avec Card et al. et la littérature antérieure, que l’effet le plus important des syndicats est d’augmenter les salaires et les avantages salariaux pour le milieu de la distribution relativement au sommet et à la base, et que l’impact principal concerne les diplômés du secondaire. Ils suggèrent que la chute brutale de la syndicalisation au cours de la période 1979-1986 pourrait expliquer une part substantielle de l’augmentation du ratio 90-50 observée au cours de cette période et de celle du ratio des salaires des diplômés de l’université relativement aux diplômés du secondaire. De fait, sur le graphique 2b, on voit que l’augmentation du ratio 90-50 pour les hommes est plus rapide entre 1980 et 1985 que depuis 1985.

32 Ces auteurs ne proposent pas d’estimation directe de l’impact de la désyndicalisation sur la répartition du revenu par quantiles, mais ils calculent qu’elle explique environ 20 % du différentiel de salaire, en hausse, entre les diplômés du supérieur et ceux du secondaire pour les hommes, et probablement 12 à 14 % du total de l’avantage salarial global des diplômés de l’université. Les données présentées par les auteurs (tableau 3.39, p. 187) permettent de calculer qu’une baisse de la syndicalisation de 40 à 20 % parmi les diplômés du secondaire entraînerait une réduction de 3 % de leur salaire réel. Par conséquent, le déclin des syndicats constitue seulement une petite partie de l’explication de la montée des ratios 90-50 et 90-10 pour les hommes.

4.3 – Importations et globalisation

33 La part des importations (en valeur courante) dans le PIB américain est passée de 5,4 % en 1970 à 16,2 en 2005. Des sources variées, incluant Heshmati (2006) et Miller (2001), mettent en avant le fait que le travail non qualifié incorporé aux importations est hautement substituable avec le travail non qualifié intérieur, et que l’augmentation de la part des importations dans le PIB observée au cours des dernières décennies a contribué à la baisse des salaires relatifs des travailleurs non qualifiés observée depuis 1979. Ceci est identique au théorème d’Heckscher-Ohlin développé antérieurement au XXe siècle. Jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé d’article qui fournisse une estimation quantitative de l’effet des importations.

34 Mishel et al. (p. 171) retracent les multiples canaux par lesquels l’augmentation du commerce est susceptible d’accroître les inégalités. En premier lieu, même si elle est équilibrée, la croissance du commerce international peut réduire l’emploi industriel car les secteurs concurrencés par les importations sont plus intensifs en travail que les secteurs exportateurs. L’érosion de l’emploi industriel est exacerbée par le fait que les États-Unis ont présenté un déficit commercial important et croissant au cours des trois dernières décennies. En deuxième lieu, la part des importations de produits intermédiaires par l’industrie américaine a augmenté, passant de 8 à 20 % depuis 1979, et cet approvisionnement extérieur en biens intermédiaires a été concentré sur les processus les plus intensifs en travail. En troisième lieu, la baisse des prix permise par le commerce international a réduit la valeur de la production marginale de nombreux travailleurs nationaux. En quatrième lieu, la globalisation a détourné l’investissement des installations internes vers l’investissement direct à l’étranger.

35 Il est possible que la croissance des importations ait joué un rôle dans le déclin des revenus des 50e et 10e percentiles, mais on ne dispose d’aucun élément de preuve à ce propos.

4.4 – Immigration et inégalités

36 La part de l’immigration annuelle (légale et illégale) dans la population des États-Unis a augmenté régulièrement, de 0,13 % en 1960 à 0,41 % en 2002 (Gordon, 2003, p. 268). Une mesure complémentaire du phénomène est l’augmentation de la part des travailleurs nés à l’étranger dans la population active, de 5,3 % en 1970 à 14,7 en 2005 (Ottaviano et Perri, 2006, p. 1). Plus spectaculairement encore, l’immigration a contribué pour plus de la moitié à la croissance de la population active aux États-Unis au cours de la dernière décennie (Orrenius et Zavodny, 2006). Comme on l’a vu, Williamson impute à la vague d’immigration de la période 1870-1913 la baisse importante du salaire des travailleurs non qualifiés relativement au travailleur moyen. Les observations contemporaines conduisent-elles à la conclusion similaire d’un impact négatif important au cours des dernières décennies, qui s’apparenterait à celle de la fin du XIXe siècle ?

37 Il existe une importante littérature sur l’impact de l’immigration sur les salaires des travailleurs nationaux. Dans cette section, on n’examinera qu’une faible partie de cette littérature, en commençant par un ensemble d’articles complémentaires de Borjas (2003), Borjas et Katz (2005) et Borjas (2006). Ces auteurs concluent que les travailleurs nationaux américains ont perdu environ 3 % de salaire réel du fait de l’immigration de 1980 à 2000, et que cette perte a atteint pratiquement 9 % pour les travailleurs nationaux sans diplôme du secondaire (Borjas, 2003, tableau IX, p. 1369). Leur méthode repose sur l’estimation d’une forme réduite dans laquelle le salaire des travailleurs indigènes est régressé en fonction de mesures de la part des arrivées de nouveaux immigrants ou de celle des travailleurs nés à l’étranger et d’autres variables de contrôle.

38 Un article récent intéressant de Orrenius et Zavodny (2006) s’appuie sur les données d’immigration légale du service de l’immigration et des naturalisations (INS [6]) pour étudier la réponse des salaires au sein de trois groupes professionnels, en contrôlant pour les effets fixes de zone géographique et pour le interactions entre zones et périodes. Pour les ouvriers à faible qualification, ils trouvent un impact significatif mais très faible, de – 0,1 %, des salaires des natifs pour chaque augmentation de 10 % de la part des travailleurs immigrants nouveaux. Cependant, pour les professions qualifiées, ils trouvent un effet positif significatif. Aussi, bien que leur résultat pour les travailleurs à basse qualification soit très faible, sa combinaison avec celui des qualifiés suggère-t-elle une contribution significative de l’immigration à l’augmentation de l’inégalité entre les salaires des qualifiés et ceux des ouvriers non qualifiés. Les auteurs considèrent leur travail comme valide, mais comme il ne porte que sur l’immigration légale, ils admettent que l’introduction de l’immigration illégale pourrait augmenter l’impact de l’immigration sur les travailleurs natifs non qualifiés.

39 Un travail très complet d’Ottaviano et Perri (2006) conteste les preuves apportées par les articles de Borjas et des autres auteurs. Ils argumentent le fait que l’approche par la forme réduite utilisée précédemment dans la littérature doit être remplacée par une approche d’équilibre général totalement bouclée, qui tienne compte non seulement de l’ajustement du capital dans l’économie à l’arrivée de nouveaux immigrants mais aussi du degré d’imperfection de la substituabilité entre immigrants et travailleurs nationaux compte tenu des niveaux d’éducation et d’expérience des différents groupes.

40 Leur innovation clé consiste à considérer que l’immigration stimule l’investissement en capital, qui à la fois répond aux flux d’immigration et les anticipe. À la place de l’hypothèse implicite précédente selon laquelle l’immigration conduit l’économie le long de la pente négative d’une courbe de demande de travail fixe, ils supposent que la réponse du capital le long d’un sentier de croissance équilibrée (avec un ratio capital-production fixe) déplace continûment vers le haut la courbe de demande de travail en réponse à l’immigration. Un test de leur approche consiste à voir si les chocs sur la part des immigrants dans la population active entraînent des modifications compensatoires du ratio capital-travail, ce qui n’est pas vérifié.

41 Outre l’accent mis sur l’ajustement rapide du capital à l’immigration, les auteurs apportent un nouvel élément à l’analyse de l’immigration. De nombreux immigrants à faible qualification occupent des emplois et entrent dans des professions déjà occupées par des travailleurs nés à l’étranger, comme dans la restauration ou les services d’entretien des jardins ; en conséquence, ils sont à l’origine d’une baisse des salaires des travailleurs nés à l’étranger et non des travailleurs nationaux, même de ceux qui ont quitté l’école secondaire prématurément.

42 La littérature antérieure avait noté le fait que parmi ceux qui ont abandonné les études secondaires en cours de scolarité, les salaires des travailleurs indigènes et ceux des travailleurs nés à l’étranger étaient les mêmes jusqu’en 1980, mais en 2004 les salaires des travailleurs nés à l’étranger étaient 15 à 20 % inférieurs. Ceci avait été interprété comme une indication de la baisse du niveau de qualification des immigrés, mais Ottaviano et Peri affirment que ce déplacement est cohérent avec leur interprétation fondée sur l’augmentation de la concurrence entre immigrants pour l’accès aux emplois dans lesquels ils sont spécialisés.

43 Les auteurs résument leurs résultats en s’interrogeant sur la contribution de l’immigration à l’augmentation du différentiel de salaires entre les diplômés du supérieur et les sortants prématurés du secondaire au cours de la période 1990-2004. Ils concluent que l’immigration explique seulement 5 % de l’augmentation du différentiel de salaires entre les diplômés du supérieur et ceux qui ont abandonné la scolarité avant la fin du secondaire, et qu’elle a entraînée au contraire une réduction du différentiel entre les diplômés du supérieur et les diplômés du secondaire. Une limite de cette analyse est toutefois qu’elle s’intéresse uniquement aux effets de l’immigration sur les travailleurs indigènes et pas à ses effets sur l’ensemble de la distribution des revenus. Si les immigrants se font concurrence entre eux pour les emplois dans lesquels ils sont spécialisés, alors il en résulte une pression à la baisse sur la moyenne des salaires des travailleurs non qualifiés, qu’ils soient natifs ou immigrés. En outre, dans la mesure où ils trouvent un effet positif sur les salaires des très qualifiés indigènes et un effet négligeable sur les travailleurs faiblement qualifiés, alors l’immigration contribue à l’augmentation des inégalités de revenus.

44 Un commentaire similaire peut être fait à propos des résultats de Borjas-Katz sur l’immigration mexicaine. Ils montrent que l’impact le plus important de l’immigration ne consiste pas nécessairement en une dégradation du sort des natifs à faible qualification, mais plutôt en une modification de la composition de la population active dans son ensemble, avec plus de basses qualifications et plus de sortants précoces de l’enseignement secondaire. En conséquence, comme l’étude des inégalités aux États-Unis inclut les immigrés mexicains répertoriés dans les données de l’enquête sur la population (CPS) et l’administration fiscale (IRS), le changement de structure qu’ils entraînent contribue à la croissance du ratio 90-10 au cours du temps. Beaucoup des sortants précoces de l’école secondaire touchés par l’immigration sont en fait les immigrants mexicains eux-mêmes !

45 Mishel et al. (2006) n’apportent pas de preuves supplémentaires à propos des effets de l’immigration, mais ils présentent deux commentaires intéressants qui vont dans le sens du point de vue résumé ci-dessus, selon lequel les effets de l’immigration, s’ils existent, sont de faible ampleur. En premier lieu, ils notent que les non qualifiés font mieux dans les années 1990 que dans les années 1980, alors même que le pourcentage de travailleurs nés à l’étranger a doublé dans les années 1990. En second lieu, ils notent que le ratio 50-10 issu du CPS a diminué de manière significative entre 1989 et 2004, alors que l’augmentation de la pression de l’immigration sur les déciles inférieurs aurait dû conduire à une hausse du ratio [7]. Comme le montrent les graphiques 2b et 2c, alors que le ratio 50-10 pour les hommes a décliné après 1989 pour revenir à son niveau de 1979, celui des femmes s’est comporté différemment, et la hausse apparemment permanente du ratio 50-10 pour les femmes pourrait refléter partiellement l’impact de l’immigration peu qualifiée.

4.5 – L’érosion du salaire minimum réel

46 La controverse sur l’effet du salaire minimum sur l’emploi est bien documentée dans la littérature, mais son impact sur les inégalités salariales l’est beaucoup moins. Mishel et al. (2006, pp. 188-93) présentent l’évolution du salaire minimum : déclin important (en dollars de 2005) de 7,25 dollars à 5,00 dollars entre 1979 et 1989, suivi d’une augmentation en deux temps jusqu’à environ 6,00 dollars en 1999, puis d’une nouvelle baisse avec un retour à 5,15 dollars en 2005. La baisse du salaire minimum relativement au taux de salaire horaire moyen, sur la même période, est plus graduelle, passant de 45 % en 1979 à 31 % en 2005.

47 Card et DiNardo (2002) se font les avocats de l’hypothèse selon laquelle l’érosion du salaire minimum contribue pour beaucoup à la hausse de l’inégalité mesurée par le ratio 90-10. Ils mettent en évidence une corrélation négative presque parfaite entre la baisse du salaire minimum et la hausse du ratio de revenu 90-10, l’essentiel des variations conjointes de ces deux variables étant concentré dans la période 1980-1986.

48 Mishel et al. s’appuient sur l’argument selon lequel l’effet principal du salaire minimum ne porte pas sur les teenagers, mais sur les femmes à faible qualification. Ils prétendent que l’essentiel des 25 points de hausse du ratio 50-10 entre 1979 et 1989 (graphique 2c) peuvent être imputés à la baisse du salaire minimum réel. Tout comme l’impact de la désyndicalisation concerne principalement les hommes, les effets du salaire minimum concernent principalement les femmes. Le point de vue selon lequel le salaire minimum compte de manière importante surtout pour les femmes est conforté par l’observation que le salaire minimum réel est identique entre 1989 et 2005, et qu’il en est de même pour le ratio 50-10 pour les femmes.

5 – Le biais de qualification du progrès technique

49 Jusqu’ici, il apparaît possible de dire qu’entre 1979 et 1986 la hausse importante du ratio 50-10 s’explique par deux faits majeurs : pour les hommes l’évolution de la syndicalisation et pour les femmes la forte baisse du salaire minimum réel. Mais nous ne disposons pas encore d’une explication incontestable de la hausse graduelle et régulière du ratio 90-50 à la fois pour les hommes et pour les femmes depuis 1979.

50 Une hypothèse centrale de la littérature en économie du travail relative aux inégalités est celle d’un biais de qualification du progrès technique (SBTC [8]). Cette hypothèse repose sur un modèle simple dans lequel deux catégories de qualifications sont imparfaitement substituables. Parce que, à la fois, les salaires relatifs et la part des diplômés du supérieur ont augmenté depuis 1970, l’hypothèse SBTC conclut qu’il y a dû avoir une modification de la demande de travail des employeurs en faveur des travailleurs qualifiés.

51 Un ensemble d’articles que nous avions brièvement analysés (2005, pp. 116-17) critique l’hypothèse SBTC sur la base de l’analyse chronologique. Si par technologie on entend innovations informatiques, celles-ci furent plus rapides à la fin des années 1990, mais elles avaient aussi été plus rapides au début des années 1980. Une critique complémentaire s’appuie sur l’irrégularité de la croissance des inégalités, concentrée au début des années 1980, ce qui n’est pas cohérent avec le caractère régulier du progrès technique au cours des dernières décennies. En réalité, la contribution du progrès technique à la croissance économique n’a pas été régulière, mais a culminé au cours de la période 1996-2000, alors que la croissance des inégalités a ralenti, pour devenir rampante, après 1989. Mishel et al. (2006) renforcent cette analyse basée sur la chronologie en montrant qu’au cours de la période 1995-2000 de changements techniques très rapides, les inégalités de salaires intra-groupe diminuèrent parmi les femmes et restèrent constantes parmi les hommes.

52 Nous sommes très septiques à propos de ces critiques de l’hypothèse SBTC fondées sur la chronologie. La croissance lente et régulière du ratio 90-50, à la fois pour les hommes et pour les femmes, apparaît cohérente avec une cause lente et permanente comme peut l’être l’augmentation graduelle des qualifications requises par un progrès technique continu. Ce n’est pas parce que l’influence de l’informatique sur la productivité globale culmina au cours de la période 1995-2000 que son impact et celui des autres formes de progrès technique, ne furent pas très dispersés depuis 1979.

53 Un des thèmes dominants de la littérature porte sur le fait que le ratio 90-50 a augmenté depuis les années 1970 mais que le ratio 50-10 n’a crû que légèrement, voire pas du tout. Nous avons déjà vu que cette observation est exacte pour les hommes, mais qu’elle ne l’est pas pour les femmes. Au moins pour les hommes, les qualifications favorisées par l’hypothèse SBTC se situent nettement au-dessus du 50e percentile. Aussi allons-nous rechercher, la littérature SBTC étant restée vague à ce propos, la nature des qualifications qui favorisent ceux du 90e percentile et au-dessus, et qui manquent à ceux du 70e percentile et en dessous.

54 Autor, Katz et Kearney (2005) proposent une version plus nuancée du SBTC, fondée sur une division des qualifications en cinq catégories au lieu de deux, et ils essaient de découvrir une croissance de la demande de qualification typique du 90e percentile comparativement au 50e. Leurs professions de haut niveau regroupent les activités « analytiques non routinières » et « interactives non routinières », qui contrastent avec le groupe du bas qui regroupe les activités « manuelles routinières ». À l’aide de données sur les professions, ils montrent que la croissance de la demande s’est déplacée fortement vers les tâches que l’on trouve plus communément au sein des trois déciles de revenus supérieurs. Nous pensons que leur version de l’hypothèse SBTC est très convaincante pour expliquer une part des augmentations du ratio 90-50, mais nous renvoyons à une section suivante l’application de leur analyse au décile supérieur.

55 David Card, dans des écrits antérieurs et au cours d’une interview récente (Clement, 2006), présente plusieurs motifs de scepticisme à propos de l’hypothèse SBTC. En premier lieu, il fait remarquer qu’au cours des années 1980, quand les inégalités augmentaient rapidement, les salaires des femmes (qui disposent d’une qualification et d’un degré d’expérience inférieurs) augmentaient relativement aux salaires des hommes. La chose est également vraie en ce qui concerne le différentiel des salaires Noirs/Blancs. Nous pourrions tenter de contrer ces arguments en faisant remarquer qu’ils ignorent le pouvoir des forces du changement social qui poussaient les salaires relatifs des femmes et, dans une moindre mesure, celui des Noirs. Il se peut qu’il ait simplement masqué l’effet du SBTC au cours de ces années.

56 Plus intéressante est la remarque de Card à propos des salaires des débutants ingénieurs ou diplômés en sciences, qui n’ont pas augmenté dans les années 1980 relativement à ceux des débutants diplômés des autres disciplines. En fait, c’est le contraire qui est vrai. Dans notre article de 2005 (p. 117), nous avions lourdement insisté sur l’absence d’augmentations de salaires supérieures à la moyenne dans les professions directement concernées par le développement et l’usage des ordinateurs, « ingénieurs » et « informaticiens ». Nous avions apporté comme preuve le fait qu’au cours de la période 1979-1987 la moitié de la hausse du différentiel de salaire entre diplômés du supérieur et non-diplômés du supérieur pouvait être attribuée au groupe professionnel des « managers », et seulement 17 % aux groupes professionnels concernés par l’ordinateur.

6 – La croissance de l’inégalité au sommet de l’échelle

57 Nous nous intéresserons maintenant à la déformation de la distribution des revenus au sein du décile le plus élevé, liée, par exemple, à la très forte hausse des salaires et des rémunérations du travail (sans parler des revenus du capital) du 99,99e percentile comparé au 90e. Initialement (en 2005), nous avions distingué le cas des superstars et celui des dirigeants d’entreprises, et nous fûmes les premiers à faire cette distinction. Nous élargissons ici notre analyse en distinguant les superstars du sport et du spectacle, les juristes et les banquiers d’investissement à très hauts revenus, et la catégorie controversée des PDG et autres hauts dirigeants d’entreprise.

6.1 – Les différents mécanismes à l’œuvre au sommet de la distribution des revenus

58 Une importante distinction peut être faite entre les groupes d’individus qui bénéficient de hauts revenus selon que le niveau de leur rémunération est « choisi par le marché » ou « choisi par les pairs ». Ici, nous introduisons en outre une subdivision des groupes à hauts revenus déterminés par le marché, entre les superstars du spectacle et du sport qui bénéficient de l’élargissement de leur audience, et les juristes et les banquiers d’affaire qui travaillent souvent en groupe alors que le total du gâteau est déterminé par le marché. Nous distinguons ces deux groupes professionnels à hauts revenus déterminés par le marché, des PDG pour lesquels il existe une substantielle ambiguïté quant au lien entre leur rémunération et le marché.

6.2 – Le modèle économique des superstars

59 Le modèle économique des superstars est dû à Rosen (1981). Brièvement, on peut dire que Rosen explique la distribution très inégalitaire des revenus dans les professions dominées par les superstars par des caractéristiques particulières de la demande et de l’offre. Du côté de la demande, le public veut voir les vedettes et pas les seconds rôles ; en conséquence, le revenu est très inégalement réparti, parce que les superstars ont la capacité de remplir les salles de spectacles et de vendre un nombre d’enregistrements d’un ordre de grandeur plus élevé que celui des vedettes de second rang. Du côté de l’offre, les vedettes doivent faire le même effort, que les spectateurs soient 10 ou 10 000.

60 Notre analyse du phénomène superstars repose sur l’idée que la croissance de la prime de superstar reflète un type particulier de biais du progrès technique. Rosen avait déjà émis l’hypothèse qu’une succession d’innovations remontant au phonographe avait augmenté la diffusion et l’audience d’une œuvre donnée, ce qui avait conduit à multiplier par un nombre élevé les revenus des superstars. Nous supposons que la forte hausse des revenus des superstars intervenue depuis l’article de Rosen (1981) reflète la poursuite du développement technique, qui inclut la télévision par câble, les vidéocassettes et les DVD, et le téléchargement de musique.

61 Un deuxième groupe d’individus à hauts revenus dépend, comme les superstars, de mécanismes marchands, c’est-à-dire de la confrontation de l’offre et de la demande. Des professions importantes, particulièrement les juristes de premier rang et les banquiers d’affaire ont des revenus déterminés par la demande pour les services rendus par les firmes auxquelles ils appartiennent, qu’il s’agisse d’une énorme entreprise juridique comme Chicago’s Sidley et Austen, ou d’une banque d’affaire comme Goldman Sachs. Ces « professions dépendantes du marché » diffèrent des superstars car leur production n’est pas démultipliée par l’intermédiaire des médias électroniques. Ils sont encore contraints de rencontrer personnellement leurs clients ou leurs adversaires dans le cadre des procédures légales.

62 Le troisième groupe est composé des PDG et autres cadres dirigeants. Nous distinguons les PDG à cause de la très abondante littérature qui rapporte le fait que les rémunérations des PDG ne sont pas fixées par le marché, mais sont davantage des cadeaux des pairs qui siègent dans les comités de rémunération, et parce que le gros des rémunérations des PDG et des cadres dirigeants consiste, depuis la fin des années 1990, en stock options qui, dans un nombre significatif de cas, ont fait l’objet de manipulations frauduleuses.

63 Bebchuk et Fried (2004) présentent un ensemble complet d’arguments en faveur de l’hypothèse d’une fixation des rémunérations des dirigeants d’entreprise par le pouvoir managérial, qui conduit à un niveau très supérieur à celui qui serait fixé par le marché. Cette conclusion est confirmée par le travail empirique de Bebchuck et Grinstein (2005) qui trouvèrent que la rémunération des cinq premiers dirigeants de 1 500 entreprises avait augmenté au moins deux fois plus entre 1993 et 2003 que ce que leurs variables explicatives pouvaient expliquer. Ces variables incluaient les ventes, les profits de l’entreprise et les plus-values des actions. Ces deux auteurs rapportaient le fait très frappant que le ratio des rémunérations des cinq plus hauts dirigeants au total des profits de leurs 1 500 entreprises augmenta de 5 % en 1993-1995 à 12,8 % en 2000-2002.

6.3 – Dans quelle mesure les revenus du sommet de l’échelle sont-ils associés à des professions particulières ?

64 Les recherches antérieures à notre article de 2005 n’avaient pas fait de distinction entre les modèles superstars et PDG de détermination des plus hauts revenus [9]. Une question préalable consiste à déterminer les parts des hauts revenus imputables aux superstars et aux PDG et autres cadres d’entreprises, et la part qui reste susceptible d’être expliquée par le revenu des juristes, des banquiers d’affaire et des autres professions à hauts revenus.

65 S’agissant des PDG et des quatre autres dirigeants des entreprises dont le montant des rémunérations est transmis à la SEC, Kaplan et Rauh (2006) montrent que parmi les 6 750 dirigeants des 1 500 entreprises pour lesquelles ils disposent d’information sur le revenu brut ajusté en 2004, environ 1 925 ont un revenu supérieur à 3 millions de dollars, qui est le plancher de revenu de la catégorie des 0,01 % les plus riches. La somme des revenus des dirigeants d’entreprise de cette catégorie des 0,01 % atteint 18,5 milliards de dollars, soit 22 % des 82 milliards de revenus du travail (au sens du formulaire W-2 de la déclaration de revenus) perçus par les 0,01 % les plus riches dans les données fiscales de 2001. Ce pourcentage est plus élevé que celui qui est mis en avant par Kaplan et Rauh, car ils posent une question différente de la nôtre. Notre article avait pour objectif explicite de comparer la rémunération horaire du travail et la productivité, et il s’appuyait en conséquence sur une analyse de la distribution des revenus fondée entièrement sur les micro-données fiscales de l’IRS couvertes par le formulaire W-2 relatif aux revenus des salariés, et non sur la catégorie plus large de revenu brut ajusté (AGI [10]) qui comprend les revenus du capital, des activités libérales et indépendantes et les plus-values.

66 Comme le revenu AGI est supérieur au revenu W-2, le revenu W-2 des dirigeants d’entreprise représente une part plus faible du revenu total AGI (résultat de Kaplan et Rauh) que du revenu total W-2 (notre résultat). Retenir le revenu AGI au dénominateur réduit le poids des revenus du travail des dirigeants d’entreprise d’un facteur 4 ; ce dénominateur inclut en effet les coupons des rentiers, des stars de cinéma à la retraite, et d’une grande variété de non salariés qui bénéficient de montants importants de revenus du capital sans occuper aucun emploi.

67 Il est difficile d’extraire des données de Kaplan et Rauh le montant additionnel de revenus W-2 qu’ils ont retenus au titre de catégories non prises en compte dans la catégorie « ExecuComp » des cadres dirigeants des entreprises financières et non financières, banquiers d’investissement, investisseurs de hedge fund, juristes associés, sportifs professionnels et célébrités. Les revenus d’associés des avocats en particulier sont inclus dans les revenus AGI et exclus des revenus W-2. Néanmoins, il apparaît que le nombre de titulaires de hauts revenus qu’ils ont retenu dans le 0,01 % supérieur triple le nombre de dirigeants « ExecuComp » que nous avions relevé du décompte de Bebchuk et Grinstein [11]. Si tout ceci avait été comptabilisé en revenu W-2, ils auraient compté pour 66 % du revenu des 0,01 % les plus riches (soit 3 fois les 22 % qui correspondent à la part des dirigeants d’entreprises). Compte tenu des avocats et des autres catégories qui ne perçoivent pas de revenus W-2, on peut estimer à 50 % la part des revenus additionnels recherchés.

6.4 – Le débat à propos des hypothèses

68 Comme nous l’avons vu ci-dessus, Bebchuk et Grinstein ont réalisé des estimations économétriques qui n’expliquent qu’environ la moitié de la croissance des rémunérations des cadres faisant partie du top 5 entre 1993 et 2003. Ils s’étonnent du fait que la part de la rémunération des dirigeants dans le total des profits des sociétés a doublé au cours de cet intervalle. Une critique importante de leur travail réside dans le fait que les dirigeants d’entreprises se préoccupent de la valeur boursière de l’entreprise, pas des profits. Si la hausse des actions est plus rapide que celle des profits, i.e. le PER [12] augmente au cours de la période, alors le ratio des rémunérations des dirigeants et de la valeur de la capitalisation boursière peut avoir augmenté moins que le ratio des rémunérations et des profits.

69 Cependant, la croissance du PER des entreprises du S&P500 n’a atteint qu’un modeste 16 % au cours de l’intervalle 1993-2003 étudié par Bebchuk et Grinstein [13]. Il faut remonter davantage pour trouver une hausse importante du PER, par exemple en 1990-1999 quand il avait connu un doublement. Depuis que les PER ont augmenté fortement au cours de la période de hausse importante des rémunérations des dirigeants dans les années 1980 et 1990, il vaut mieux retenir l’explication simple de Gabaix et Landier (2006) selon laquelle, à l’équilibre, la rémunération des dirigeants évolue comme la capitalisation boursière.

70 Le modèle de Gabaix et Landier est basé sur un ensemble de distributions théoriques, et sur l’hypothèse que le meilleur PDG est à la tête de la plus grande entreprise. Leur résultat étonnant est que l’élasticité de la rémunération du PDG et de la valeur de la capitalisation boursière est exactement unitaire. « Le sextuplement de la rémunération des dirigeants entre 1980 et 2003 peut être intégralement imputé au sextuplement de la capitalisation boursière des grandes entreprises des États-Unis au cours de cette période ». Ils font également jouer un rôle à l’effet superstars en ceci qu’une « toute petite dispersion des talents des dirigeants… justifie de grandes différences de rémunérations ».

71 Le premier motif de scepticisme résulte de ce que les propres données des auteurs ne justifient pas leur élasticité unitaire. Leur graphique 1 montre que sur la période 1970-2000, leur indice préféré de rémunération des dirigeants d’entreprises « JMW » a été multiplié par 22 pendant que la capitalisation boursière était multipliée par un facteur d’environ 8 [14]. Cela pourrait être à peu près cohérent avec le résultat de Bebchuk et Grinstein selon lequel, pour la période très différente de 1993 à 2003, les facteurs comme les ventes, les profits et le cours des actions permettent d’expliquer seulement la moitié de la hausse des rémunérations des dirigeants.

72 De manière plus troublante, les résultats qui soutiennent l’hypothèse de Gabaix-Landier ne tiennent pas avant 1970. Frydman et Saks (2007) étudient la rémunération des dirigeants d’entreprise en remontant à 1936. Ils estiment des régressions identiques à celles de Gabaix-Landier pour évaluer l’élasticité de la rémunération des dirigeants à la fois à la taille de leur entreprise et à celle de la moyenne des entreprises. Ils confirment le résultat de Gabaix, Landier et Rosen (1992) selon lequel l’élasticité du salaire du PDG à la taille de l’entreprise, estimée en coupe instantanée, est de 0,3. Mais ils rejettent l’existence d’une élasticité unitaire entre la rémunération des dirigeants et la taille moyenne des entreprises. Ils trouvent en fait une élasticité proche de 0,1 pour la plus grande part de leur échantillon incluant ou excluant la période de la Grande Dépression et celle de la Deuxième Guerre mondiale. Ils montrent également que les résultats de Gabaix et Landier ne sont pas robustes au changement de variable mesurant la taille des entreprises quand on passe des ventes à la capitalisation boursière. Quand on retient les ventes comme proxy de la taille de l’entreprise, le coefficient pour 1976-2005 augmente de 0,94 à 2,65, mais le coefficient pour 1946-1975 ne s’élève que de 0,16.

73 Nous avons aussi tenté de répliquer les résultats de Gabaix et Landier pour la période 1970-2005. Plutôt que d’effectuer une estimation unique sur l’ensemble de la période, nous avons estimé des régressions glissantes sur 20 ans. La régression glissante est une technique qui permet de visualiser l’évolution au cours du temps de l’estimation de l’élasticité rémunération — taille de l’entreprise. Le graphique 3 permet de visualiser les estimations obtenues à l’aide des régressions glissantes. Les écart-types sont élevés du fait de la petite taille de l’échantillon et de l’utilisation d’estimations robustes des écart-types. Toutefois, il est clair qu’il existe une importante variation de l’estimation au cours du temps. L’estimation de l’élasticité augmente approximativement de 0,5 à 1,5. Ainsi, le caractère unitaire de l’élasticité fournit une description très imprécise de la formation des revenus des dirigeants, y compris entre 1980 et 2005.

3

Régressions glissantes sur 20 ans de la rémunération des PDG en fonction de la taille de leurs entreprises (comme dans le tableau II de Gabaix et Landier)

3

Régressions glissantes sur 20 ans de la rémunération des PDG en fonction de la taille de leurs entreprises (comme dans le tableau II de Gabaix et Landier)

Note : les années en abscisses sont celles de l’année terminale de la régression ; les écart-types sont robustes.

74 Une pièce importante du puzzle de la rémunération des PDG est la différence très importante entre les fortes augmentations enregistrées aux États-Unis et les hausses plus faibles en Europe et au Japon. Le travail empirique à partir de coupes instantanées par pays, réalisé par Gabaix et Landier, est très rudimentaire. Faute de données sur la capitalisation boursière, ils régressent la rémunération médiane des dirigeants sur le revenu net médian des firmes, et ils trouvent une élasticité d’environ 0,33 (voir leur graphique 2). En outre, il apparaît que les observations relatives aux États-Unis se situent au-dessus de la ligne de régression à un niveau supérieur d’environ 50 points de pourcentage. Il est intéressant de noter que ce résultat est similaire à celui de la régression de Frydman et Saks citée plus haut, dans laquelle l’estimation du coefficient relative à la taille des entreprises est de 2,65.

75 Hall et Liebman (1998) ont également obtenu des résultats détaillés relatifs à l’élasticité des revenus des dirigeants à la capitalisation boursière ou à d’autres mesures de la taille des entreprises. Malheureusement, la date de leurs travaux limite leur échantillon à la période 1980-94, ce qui exclut la fin des années 1990, période de boom des actions et de diffusion de la part des revenus des dirigeants distribués sous forme de stock options. Leur étude diffère de plusieurs autres en incluant dans les revenus des dirigeants les plus-values sur les actions déjà détenues et pas seulement les stock options attribuées une année donnée. Ils écartent les études antérieures qui se contentaient de retenir les seuls salaires et primes, même s’ils précisent que la faible élasticité revenu-capitalisation boursière double, en passant de 0,12 à 0,23 entre la première et la seconde moitié de leur échantillon. Une fois prises en compte les plus-values sur les actions détenues et les stock options, l’élasticité augmente régulièrement de 1,2 en 1980 à 3,9 en 1994 (Hall et Liebman, 1998, tableau VIII). Ceci n’est néanmoins pas relié directement aux résultats de Gabaix et Landier. Les régressions de Hall et Liebman sont surtout utiles pour mesurer la structure des incitations auxquelles les dirigeants sont confrontés. Elles ne sont pas conçues pour aider à comprendre pourquoi l’augmentation de la taille moyenne des entreprises dans le long terme devrait entraîner une augmentation identique de la rémunération des dirigeants.

76 Néanmoins, il est clair que l’on est sûr que la relation entre la taille des entreprises et le revenu de leurs dirigeants n’a pas été stable au cours du temps. En partant de ce résultat, on peut énoncer une ou deux conclusions. Premièrement, il est possible qu’il n’y ait pas de rapport entre la taille des entreprises et les revenus des dirigeants, et que toutes les tentatives pour théoriser une justification de cette relation soient mal orientées. Si la distribution des entreprises par taille est sans lien avec des facteurs structurels comme le stock de capital agrégé, on ne doit pas s’attendre à observer un lien entre la taille des firmes et le revenu des dirigeants. D’un autre côté, si l’entreprise moyenne croît précisément au même rythme que la quantité moyenne de capital par travailleur — par exemple si le nombre de travailleurs par firme tend à être constant — alors on doit s’attendre à observer une forte corrélation entre la taille moyenne des entreprises et les salaires de chaque employé.

77 En sens contraire, on peut prendre au sérieux l’idée d’une relation causale entre la taille moyenne des firmes et les rémunérations des dirigeants. Dans ce cas, la question qu’il faut poser est de savoir si le caractère unitaire de l’élasticité peut découler d’un modèle théorique, ou si une élasticité plus faible est plus plausible. Gabaix et Landier supposent une fonction de production de l’entreprise de la forme :

78

equation im5

79S est la taille de la firme, C est une constante et T mesure le talent du PDG. Le paramètre ? contrôle le rendement d’échelle pour un PDG donné. Si ? = 1 et si la taille de l’entreprise double, et si elle conserve le même PDG, alors sa production double également. Gabaix et Landier font donc remarquer que ? = 1 implique des rendements d’échelle constants et ils l’utilisent comme repère. Ceci conduit à l’idée qu’il pourrait y avoir une élasticité unitaire entre la taille de l’entreprise et la rémunération du PDG.

80 Le problème est que quand une entreprise voit sa taille doubler, elle est aussi en mesure d’embaucher un PDG plus talentueux. Ceci implique qu’en fait les rendements d’échelle sont croissants. Dans ce modèle, l’équilibre le plus efficace consisterait à fusionner toutes les entreprises dans une gigantesque firme unique ! On pourrait certes supposer que les entreprises ne peuvent pas fusionner, par exemple parce qu’elles produisent des biens différents, mais cette hypothèse est inacceptable car il semble bien que les entreprises sont tout à fait prêtes à fusionner avec d’autres entreprises produisant des biens différents [15]. En conclusion, ? doit être plus petit que un. Ceci implique que l’élasticité supérieure à l’unité observée dans les années 1990 ne peut pas être expliquée par le modèle de Gabaix et Landier, alors que les données antérieures à 1975 correspondent mieux au modèle.

81 La littérature met clairement en évidence le rôle déterminant des stock options dans la croissance de la rémunération relative des dirigeants d’entreprise, à la fois du fait de l’augmentation de la distribution des stock options et des plus-values réalisées sur les stock options existantes. Hall et Liebman (1998) proposent deux explications alternatives. Comme de coutume dans les analyses présentées ci-dessus, ils juxtaposent une explication à base de mécanismes marchands et une explication fondée sur l’existence du pouvoir managérial. La première explication tient à ce que la hausse très importante de l’usage des stock options résulte de la volonté des conseils d’administration de lier plus fortement les rémunérations et les performances. La faiblesse de cette explication tient au fait que les stock options ne récompensent pas la performance de la firme relativement à celle de la moyenne du marché, mais conduisent plutôt à faire que les PDG bénéficient d’une importante récompense liée aux performances du marché dans son ensemble, aux hausses de la Bourse et aux conditions macroéconomiques. Leur seconde explication, complémentaire de la précédente, repose sur l’idée que l’objectif des conseils d’administrations est d’augmenter la rémunération des dirigeants et qu’ils choisissent les stock options parce qu’elles constituent un moyen « moins visible » moins à même de susciter l’aigreur des actionnaires.

6.5 – Les modèles explicatifs de la rémunération des PDG

82 Le modèle de Gabaix et Landier peut être considéré comme un modèle d’équilibre général. Il met en jeu des entreprises qui ne se distinguent que par la taille, et ne tient pas compte d’un quelconque mécanisme de négociation. Or il existe une littérature importante qui étudie précisément les mécanismes de formation des rémunérations des PDG, en particulier les interactions entre les PDG, les conseils de direction et les actionnaires (voir Murphy, 1999, pour un survey de cette littérature). Le modèle traditionnel principal-agent suppose que les directeurs sont choisis par les actionnaires et il étudie le type de contrat optimal mis en place pour les PDG. Ce schéma implique que les conseils d’administration n’ont en tête que les seuls intérêts des actionnaires. Comme nous l’avons dit plus haut, cette hypothèse apparaît peu vraisemblable.

83 Bebchuk et Fried (2004) présentent un ensemble substantiel d’arguments montrant que le modèle principal-agent ne peut pas être l’explication centrale de la rémunération des PDG [16]. Ils proposent un modèle alternatif dans lequel les PDG contrôlent le conseil d’administration et ne sont limités que par une « contrainte d’outrage » qui, une fois atteinte, pourrait conduire les actionnaires à engager des représailles s’ils perçoivent les rémunérations des dirigeants comme excessives. La revue de Weisbach (2007) pointe un nombre particulièrement important d’éléments montrant que le modèle de Bebchuk et Fried est bien supérieur au modèle principal-agent. En particulier ils montrent que les contrats des PDG sont très loin d’être optimaux, que les PDG contrôlent les administrateurs et que les administrateurs déploient des efforts substantiels pour masquer la taille des packages de rémunération dont bénéficient les PDG. Évidement, leur propos a pu rencontrer quelques critiques, présentées notamment dans la Chicago Law Review avec des articles de Bebchuk, Fried et Walker (2002) et Murphy (2002).

84 L’hypothèse clé selon laquelle les administrateurs sont indépendants s’avère très discutable. Pour commencer, leur rémunération est loin d’être négligeable : elle atteint une moyenne de 152 000 dollars par an dans les 200 plus grandes entreprises. Alors que les administrateurs détiennent communément des actions de la société qu’ils supervisent, il est vraisemblable que ce qu’ils pourraient retirer d’une bonne gouvernance est inférieur aux rémunérations qu’ils perdraient en n’étant pas renommés. En outre, les administrateurs reçoivent de substantiels paiements complémentaires, sous forme d’avantages ou de commandes pour leur propre entreprise. Comme on l’a vu ci-dessus, il faut aussi tenir compte du fait que si un PDG fait également partie du conseil d’une entreprise d’un de ses administrateurs, il y a de fortes chances pour que se mettent en place des relations donnant-donnant.

85 Bebchuk et Fried fournissent également des preuves très fortes de ce que les contrats des PDG ne sont en aucun sens optimaux. Ils commencent par les stock options. En premier lieu, les PDG exercent souvent leurs droits d’option et vendent leurs actions longtemps avant d’avoir quitté l’entreprise, ce qui en supprime l’effet incitatif. En second lieu, l’utilisation de versements dérivés, connus sous l’appellation de « collars », permet aux PDG de se débarrasser des effets incitatifs de leurs options et de verrouiller la valeur de leurs placements. En troisième lieu, les options ne sont pas indexées sur le marché. Ceci implique que quand le marché monte, les PDG gagnent plus, même si leur compagnie présente des performances inférieures à la moyenne. D’un autre côté, quand le marché baisse, les conseils d’administration révisent le prix d’exercice des options pour leur conserver un effet incitatif. Bebchuk et Fried arguent que cette asymétrie n’est que le moyen de proclamer qu’une rémunération élevée est une rémunération incitative. Si les contrats des PDG étaient optimaux, les stock options seraient indexées sur la valeur du marché, au lieu de distribuer des récompenses sur la base de facteurs complètement hors du contrôle des bénéficiaires.

86 Finalement, Bebchuk et Fried fournissent de larges preuves de ce que les firmes travaillent à masquer l’ampleur de la rémunération de leurs dirigeants. Si les contrats étaient optimaux, il n’y aurait aucune raison de chercher à cacher le montant des rémunérations des PDG. D’un autre côté, s’il existe un risque d’outrage, alors les firmes ont de nombreuses raisons pour cacher le montant de la paye de leur PDG. Ce type de camouflage est possible pace que la presse financière ne rapporte en général que le montant annuel de la rémunération de base, en ignorant les rémunérations différées et les avantages annexes. Les dirigeants bénéficient souvent à vie de soins de santé, de voitures de fonctions, de bureaux ou de contrats de consultants. Les entreprises prêtent aussi à leur PDG à des taux très inférieurs à ceux du marché. En sens inverse, elles paient des intérêts supérieurs aux taux du marché quand le PDG diffère la perception de ses rémunérations. Il est difficile d’imaginer que ce type de rémunération soit plus efficace qu’un paiement en cash. Ce qui est clair par contre, c’est que c’est un moyen très efficace pour réduire la visibilité de la rémunération.

87 Les questions posées par Weisbach (2007) visaient à savoir s’il est possible d’améliorer la rémunération des PDG. Il note que la corporation a constitué une organisation étonnement efficace, et que, même en remontant à Adam Smith, on trouve peu de récriminations similaires à celles de Babchuk et Fried. Nous pensons quant à nous que la lumière est le meilleur désinfectant. Le simple fait de diffuser l’information sur ce type de problèmes peut les rendre plus présents à l’esprit des actionnaires, comme on a pu en juger à la lecture de la presse populaire au cours des dernières années. Le fait que l’on ait pu se plaindre il y a 230 ans du niveau de rémunération des dirigeants ne signifie pas que les actionnaires d’aujourd’hui doivent ignorer le montant des rémunérations des PDG. Les recherches du type de celles de Gabaix et Landier, de Hall et Liebman ou de Bebchuk et Fried sont importantes, car elles informent les actionnaires sur ce qu’ils doivent anticiper et sur le niveau auquel fixer leur « contrainte d’outrage ». Si on avait une grande confiance dans l’hypothèse d’efficience des marchés, on pourrait considérer que les actionnaires prennent déjà en compte l’ensemble des informations existantes sur les rémunérations des PDG. Mais, compte tenu qu’à l’évidence, dans les faits, les actionnaires ne tiennent pas compte de l’ensemble de l’information disponible, nous pensons que le simple fait de rendre saillantes certaines irrégularités et disparités peut améliorer la situation.

6.6 – Questions pendantes à propos des hautes rémunérations

88 Alors que nous avons examiné de nombreuses objections à l’utilité de l’hypothèse de biais de qualification du progrès technique pour expliquer l’évolution des ratios de percentiles 90-50 et 50-10, il semble qu’il y ait peu de doute que la technique aura joué un rôle important dans l’histoire des hauts revenus. Le développement des médias électroniques a dû contribuer pour beaucoup, si ce n’est pour l’essentiel, à la hausse des revenus relatifs des superstars du sport et du spectacle. La capacité de la technique à permettre le traitement par Wall Street de milliards de transactions par jour depuis la fin des années 1990, au lieu de millions dans les années 1970, doit aussi avoir contribué au changement d’ordre de grandeur du revenu réel des banquiers d’investissement et des courtiers en actions.

89 Pourquoi est-il utile ici de distinguer entre dirigeants d’entreprises et notre groupe de superstars au sens large ? La première différence réside dans le fait que les dirigeants ne sont pas rémunérés comme les superstars en multipliant le prix d’un ticket par le nombre de tickets vendus (ou pour un banquier d’investissement par le prix par affaire multiplié par le nombre d’affaires réalisées). Différemment, les dirigeants, au moyen des comités de rémunération et du fait de l’endogamie des conseils d’administration, détiennent le pouvoir unique de contrôler leur propre rémunération. En outre, quand un administrateur accorde un package salarial plus important, ceci peut lui valoir une augmentation de revenu de la part de sa propre entreprise. Même si le marché joue un certain rôle dans la fixation des rémunérations des PDG, il existe cependant une composante clairement arbitraire, ce qui a été largement documenté dans un grand nombre de livres et d’innombrables articles de presse au cours des dix dernières années. Le changement frauduleux des prix des stock options qui explique plus de la moitié de la rémunération des PDG au cours des années 1990 (Bebchuk et Grinstein, tableau 4) a particulièrement attiré l’attention. Récemment, le Wall Street Journal (Maremont et Forelle, 2006) s’est senti obligé de développer un vocabulaire nouveau incluant des mots comme « postdatage », « révision de prix », « rechargement » La vieille formule « parachute doré » pour les PDG retraités a été complétée par la « poignée de mains dorée » pour les nouveaux arrivants.

7 – Les inégalités de consommation

90 Alors que l’inégalité des revenus peut nous informer sur l’évolution annuelle de la répartition de la richesse économique, le revenu n’est pas nécessairement la bonne mesure pour comprendre la répartition du bien-être. Selon de nombreux auteurs, l’hypothèse de revenu permanent sur le cycle de vie implique que la consommation peut être une meilleure mesure de la répartition du bien-être que le revenu. Si les individus peuvent s’assurer contre les chocs transitoires de revenus, alors, si la variance de ces chocs augmente, les inégalités de revenus augmentent, mais pas les inégalités de consommation et de bien être qui resteront fixes.

91 S’il existe un grand nombre de données sur les revenus, on dispose de très peu de bonnes informations quantitatives sur la consommation. La source la plus couramment utilisée est l’enquête sur les dépenses de consommation (CEX [17]) du BLS [18] qui fournit des informations annuelles depuis 1980 et un petit nombre de résultats résultant d’enquêtes sporadiques au cours des années antérieures. L’enquête CEX est constituée de deux sous-enquêtes : une par interview et une utilisant un carnet d’achat. L’enquête par interview suit les ménages à partir de quatre questions sur les dépenses réalisées au cours des trois mois précédents. Elle est structurée de manière à mesurer les dépenses importantes ou régulières, comme les remboursements d’emprunts ou les achats de biens durables et d’automobiles. L’enquête par carnet de consommation demande aux ménages l’enregistrement intégral de leurs dépenses au cours de périodes de deux semaines. Elle a pour objectif de mesurer les achats de biens non durables et de services. Une source alternative à l’enquête CEX est constituée par le panel sur la dynamique des revenus (PSID [19]). Ce panel suit un échantillon de 8 000 ménages depuis 1968 et apporte une information très détaillée sur les revenus, l’emploi et la santé. Mais le PSID ne mesure que la consommation alimentaire, ce qui constitue une limite très importante.

92 La première étude ayant utilisé l’enquête CEX pour mesurer la répartition du bien-être est celle de Cutler et Katz (1991). Leur travail couvrait plusieurs domaines incluant les taux de pauvreté, l’inégalité des revenus et les inégalités de consommation. Comme dans la plupart des travaux que nous avons discutés, le CPS sert à mesurer le revenu. Pour l’essentiel, leurs analyses reposent sur des calculs de coefficients de Gini. Ils trouvent que le coefficient de Gini relatif aux revenus baisse de 0,379 à 0,366 entre 1963 et 1980, mais remonte ensuite à 0,397 en 1984. Ce résultat est contradictoire avec celui de Kopczuk, Saez et Song (2007), selon lesquels le coefficient de Gini augmente régulièrement depuis 1953 dans les données de la Sécurité sociale [20]. En ce qui concerne la consommation, Cutler et Katz trouvent que le coefficient de Gini diminue de 0.298 à 0.285 entre 1960 et 1972, mais augmente ensuite à 0,314 en 1980 et 0,347 en 1984. Entre 1984 et 1988, ils estiment que les inégalités restent grosso modo constantes.

93 Cutler et Katz (1991) observent que l’inégalité des revenus est plus importante que celle de la consommation, ce qui est cohérent avec l’hypothèse de revenu permanent. Toutefois, ils déterminent également une corrélation presque parfaite entre les inégalités de revenus et de consommation, ce qui implique, au moins pour les années 1980, que l’augmentation des inégalités de revenus ne résultait pas de chocs transitoires ; ou bien, si c’était le cas, que les individus furent incapables de s’assurer contre les effets de ces chocs. Entre 1980 et 1984, ils trouvent que les coefficients de Gini relatifs aux revenus et à la consommation augmentent exactement de la même quantité 0,033. La chronologie de la hausse du coefficient de Gini est également identique à celle du ratio 90-10 présenté dans les graphiques 2a, 2b et 2c présentés ci-dessus. La seule différence qu’ils observent entre les deux séries est que le coefficient de Gini du revenu diminue de 0,05 entre 1972 et 1980 alors que celui de la consommation augmente de 0,29.

94 À la suite des travaux de Cutler et Katz (1991), davantage de recherches sur l’inégalité de consommation furent conduites dans les années 1990. Blundell et Preston (1998) fournissent une bonne revue de la littérature concernant la structure des données longitudinales sur les revenus, en citant principalement Moffitt et Gottschalk (1995), Buchinsky et Hunt (1999) et Gittleman et Joyce (1996). Ces trois articles étudient les chocs de revenus permanents et transitoires, et ils concluent tous à l’accroissement de la variance de ces deux types de choc. Ils confirment également que les inégalités de revenus se sont significativement accrues au cours des années 1980. Attanasio et Davis (1996) retrouvent les résultats de Cutler et Katz à partir des données du PSID en montrant que les inégalités de revenus et de consommation ont suivi le même chemin au cours du temps. Ils montrent aussi que ces résultats sont confirmés lorsque l’on observe les cohortes par niveau d’éducation et année de naissance.

95 Slesnick (2001) apporta une contribution à la littérature en estimant qu’au cours des années 1990, les inégalités de consommation n’ont pas augmenté du tout, ce qui contraste avec l’évolution de l’inégalité des revenus que nous avons examinée. Krueger et Perri (2003) ont confirmé ce résultat et proposé un modèle de marché du crédit endogène selon lequel, au cours des années 1990, les chocs transitoires de revenu ont augmenté, le marché du crédit s’est développé et la consommation s’est lissée au cours du cycle de vie.

96 L’essentiel de la littérature et la grande presse considèrent aujourd’hui les résultats de Krueger et Perri comme des faits avérés [21]. Mais Attanasio et al. (2006) montrent que l’on ne devrait pas encore refermer le livre sur les inégalités de consommation dans les années 1990. Ils soulèvent d’abord des questions très sérieuses à propos de l’exactitude de l’enquête CEX au cours des années 1990. Ils retrouvent les résultats de Battistin (2003) en montrant que le CEX a mesuré une baisse de la consommation au cours des années 1990. McCarthy et al. (2002) montrent, quant à eux, que les données du CEX concordent mal avec les données du BEA [22] relatives aux dépenses de consommation personnelles (PCE [23]) tant en ce qui concerne les niveaux que la tendance. Garner et al. (2003) ont creusé l’analyse des causes de ces différences entre les données CEX et PCE.

97 L’incohérence entre les données CEX et PCE est inquiétante car, comme le font remarquer Attanasio et al., Banks et Johnson (1998) avaient montré que l’enquête sur les dépenses des familles britanniques (FES) était parfaitement compatible avec les données des comptes nationaux [24]. En outre, Garner et al. (2003) trouvent que la catégorie de consommation la plus sous-évaluée relativement aux données PCE est celle des biens non durables, qui sont la composante la plus largement utilisée dans les études sur la consommation. La consommation de services est sous-évaluée de la même manière.

98 Le résultat le plus important d’Attanasio et al. est que les deux enquêtes CEX fournissent des évaluations très différentes des inégalités. Quand on s’intéresse à la consommation de biens non-durables, on observe que l’enquête par interview, comme l’avaient déjà souligné Slesnick (2001) et Krueger et Perri (2003), ne fait pas apparaître de changement dans les inégalités au cours des années 1990 [25]. À l’inverse les carnets de consommation montrent une augmentation des inégalités plus rapide que celle des revenus.

99 Attanasio et al. utilisent les résultats de McCarthy et al. (2002) pour déterminer l’enquête qui mesure le mieux chaque catégorie de consommation. En combinant les données des deux enquêtes dans un indice mixte, ils trouvent, comme on pouvait s’y attendre, une modification de l’inégalité grosso modo égale à la moyenne des évolutions retracée isolément par chacune des enquêtes. Entre 1990 et 2000, ils montrent que l’écart-type du logarithme de la consommation augmente de 5,4 points de pourcentage, contrairement au 1,0 point de pourcentage calculé par Krueger et Perri (2003). D’après les données du CPS, l’écart-type du logarithme des salaires augmente de 4 points de pourcentage sur la même période. Attanasio et al. trouvent donc une hausse de l’inégalité de la consommation légèrement supérieure à celle des revenus.

8 – Comparaisons internationales

8.1 – Les différences internationales en matière d’inégalité

100 Les faits sans doute les plus stimulants pour la recherche d’hypothèses alternatives, résident dans les données brutes sur les inégalités au sommet présentées par Piketty et Saez (2006) et analysées par Atkinson (2007). Le graphique 4 résume la remarquable compilation de données rassemblée par Piketty et Saez sur les parts de revenus qui reviennent aux 0,1 % les plus riches depuis les années 1920 au Canada, en France, au Japon, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les revenus pris en compte comprennent ceux du travail, des affaires et du capital, mais excluent les plus-values.

4

Part du revenu total des 0,1 % les plus riches (revenus du travail, des indépendants, du capital hors plus-values), aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en France et au Japon, 1920-2000

4

Part du revenu total des 0,1 % les plus riches (revenus du travail, des indépendants, du capital hors plus-values), aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en France et au Japon, 1920-2000

101 Le contraste entre les États-Unis et les autres pays ne pourrait pas être plus spectaculaire. La série temporelle américaine met en évidence une évolution en forme de U avec un point haut de 8,2 % pour la part du revenu revenant aux 0,1 % les plus riches en 1928, puis une glissade jusqu’à un minimum de 1,9 % en 1979, suivie d’une remontée régulière à 7,3 % en 2000.

102 Le pays qui contraste le plus avec les États-Unis est le Japon qui présente un pic de 9,2 % en 1938 suivi d’une chute brutale durant la Seconde Guerre mondiale, puis d’une stabilisation après 1947 autour de 2 % ou un peu moins, et s’achève à 1,7 % en 1998. Dans les autres pays, les parts revenant aux plus riches furent très différentes, mais toutes supérieures à 5 %, entre 1920 et 1938, puis elles baissèrent brutalement pour converger de manière étonnante, de telle manière qu’entre 1960 et 1980, la part du revenu des 0,1 % les plus riches est voisine de 2 % dans tous les pays. À la fin des années 1970, cette part fléchit autour de 1 % au Royaume-Uni. Dans les autres pays, elle se situa entre 1,5 et 2,3 % entre 1960 et 1980. La croissance des revenus des plus riches après 1980 fut entraînée par la remarquable hausse du ratio américain, suivi du Canada et du Royaume-Uni qui imitèrent la performance des États-Unis avec une élasticité comprise entre 0,3 et 0,5. Mais la part des plus riches en France et au Japon a à peine varié. Les comportements en matière d’inégalité de part et d’autre de l’Atlantique restent une énigme.

103 D’autres données concernant l’ensemble de la distribution des revenus, et pas seulement les 0,1 % du sommet, confirment le fait que l’inégalité aux États-Unis est élevée et en augmentation. Smeeding (2006) rapporte que le coefficient de Gini en 2000 était de 0,368, comparé à une moyenne de 0,281 au sein de 17 pays de l’OCDE excluant les États-Unis. La croissance du coefficient de Gini entre 1989 et 2000 fut de 0,030 point aux États-Unis et de 0,017 point dans les autres pays. Harjes (2007) note toutefois que d’après ses calculs, le coefficient de Gini a plus augmenté au Royaume-Uni qu’aux États-Unis entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990, et que sa croissance a été substantielle dans de grands pays européens comme l’Allemagne et l’Espagne, nulle en Italie et légèrement négative en France. En conséquence, le tableau qu’il dépeint met moins en évidence un fort contraste entre les États-Unis et les autres pays, qu‘un haut degré d’hétérogénéité entre les pays. Il met aussi en lumière le fait que la taille du gâteau a diminué en Europe, avec une baisse de 6 à 10 % de la part des salaires dans la plupart des pays européens, qui contraste avec la stabilité de la part des salaires mise en évidence dans le graphique 1.

8.2 – Les explications

104 Quelles sont les hypothèses avancées pour expliquer le haut niveau et la croissance des inégalités aux États-Unis, comparés à ce que l’on observe dans les autres pays de l’OCDE ? Une approche, suivie par Mishel et al. (2006, p. 357) et d’autres, consiste à pointer la différence de « système » socio-politico-économique qui distingue les États-Unis des autres pays développés, la prétendue « exception américaine » dont l’origine date du XIXe siècle. Selon le point de vue de Mishel et al. (2006), le « modèle américain » orienté par le marché conduit à plus d’inégalités, des taux de pauvreté plus élevés, un « coûteux-inefficace » système de santé, des emplois imposant plus d’heures de travail annuelles et beaucoup moins de jours de congés payés. Ce point de vue est cohérent avec l’idée que la culture et les normes sociales comptent pour expliquer de nombreuses dimensions de l’exception américaine, dont l’inégalité des revenus n’est qu’un aspect [26].

105 Pourtant, comme le montre Harjes (2007), la thèse de l’exception américaine ne permet pas de comprendre l’hétérogénéité du niveau et de la variation des inégalités en dehors des États-Unis. Ceci conduit à envisager la possibilité de nombreux modèles fondés sur différentes combinaisons de politiques et d’institutions. Par exemple, la désyndicalisation au Royaume-Uni, encouragée par la politique du gouvernement, et les privatisations dans les années 1980, aident à comprendre le niveau relativement élevé et la hausse des inégalités. A contrario le « modèle du consensus » adopté aux Pays-Bas et dans une moindre mesure en Suède, en Irlande et en Allemagne permit de modérer les revendications salariales en échange dans certains cas d’une baisse des impôts sur le revenu et dans d’autres cas de la perspective du renoncement par les dirigeants à des augmentations de revenus excessives pour eux-mêmes. En Allemagne, l’excès de revenus des dirigeants est contrôlé par des mécanismes institutionnels comme le système de répartition des sièges dans les conseils d’administrations qui réservent une place importante à la représentation des travailleurs, les « lois sur le droit de la cogestion » et un niveau élevé de prélèvement fiscaux sur les plus-values résultant des stock options (Ponssard, 2001).

106 Il existe un large corpus de recherches sur les effets des institutions sur les inégalités. L’un des articles le plus intéressant et le plus influent de la littérature est celui d’Alesina et Angeletos (2005), qui défend la thèse qu’il peut exister une rétroaction de la répartition courante du revenu sur les préférences en matière de politique futures de redistribution. Quand les gens vivent dans un pays qui connaît un haut degré de redistribution, ils peuvent croire que ceux qui sont riches n’ont pu le devenir qu’en utilisant des moyens injustes. Ceci renforce la préférence pour la redistribution. Le contraire peut se produire dans les pays de faible redistribution. Ils en déduisent que les équilibres multiples engendrés par ce modèle peuvent expliquer les différences institutionnelles entre les États-Unis et l’Europe. Alesina et Ferrara (2005) apportent des soutiens empiriques au modèle Alesina-Angeletos.

107 Le travail empirique le plus récent est celui de Chong et Gradstein (2007) qui trouvent qu’il existe une relation entre inégalité et qualité générale des institutions. À l’aide d’un large panel de pays sur 20 ans, ils trouvent que l’inégalité oriente la qualité future des institutions et que les institutions orientent l’inégalité future. Cette relation existe pour une grande variété de mesure des institutions incluant un indice de libertés civiles, les droits politiques, la stabilité gouvernementale, la corruption, l’application de la loi. Chong et Gradstein confirment le résultat selon lequel l’inégalité peut affecter les institutions, mis en évidence par exemple par Alesina et Angeletos (2005), Hoff et Stiglitz (2004) et Sonin (2003), et leur apport est de montrer que la causalité de sens inverse existe également [27].

108 Au plus haut niveau de la distribution des revenus, représenté sur le graphique 4 par le 0,1 % supérieur, Piketty et Saez (2006) montrent que la différence entre les pays anglophones et les autres pays concerne les revenus du travail, et non ceux du capital, alors que les « travailleurs riches » ont remplacé les « rentiers ». Ils proposent trois grandes catégories d’explications. La premières est celle d’un biais du progrès technique qui favoriserait les salariés du haut de l’échelle, mais ils font remarquer que les changements techniques ont été partout les mêmes alors que l’évolution de la part des plus riches a évolué très différemment. Une seconde catégorie comprend les explications qui mettent en jeu la réglementation, la syndicalisation, les normes sociales, qui impliquent que l’explosion des rémunérations des dirigeants est bien reliée à une amélioration effective de l’efficacité. La troisième catégorie d’explication s’appuie sur le pouvoir managérial, que nous avons associé ci-dessus, avec Bebchuk et ses co-auteurs, à « l’augmentation de la capacité des dirigeants à fixer eux-mêmes le niveau de leur rémunération et à extraire de la rente au détriment des actionnaires ».

109 Notre opinion penche en faveur d’une combinaison des trois explications. Le marché a son rôle car la croissance de la capitalisation boursière aux États-Unis s’est plus diffusée aux rémunérations des dirigeants du fait d’un usage plus important des stock options que dans les autres pays. Nous avons apporté notre soutien à la thèse du pouvoir managérial dans notre résumé du travail de Bebchuk au paragraphe 6.4 ci-dessus, et nous avons résumé plus haut dans cette section, le rôle de plusieurs différences institutionnelles.

110 L’usage, plus courant aux États-Unis que dans les autres pays, des stock options pour gratifier les dirigeants reflète lui-même des différences institutionnelles. Pfanner (2003) rapporte qu’en Allemagne seules la moitié des entreprises du DAX ont un programme de stock options. Il cite un expert européen des rémunérations qui dit « qu’il existe une différence culturelle évidente » entre les États-Unis et l’Europe en ce qui concerne les stock options. D’autres facteurs que les différences culturelles sont aussi à l’œuvre. D’après Buerkle (2000), la Belgique impose les stock options quand elles sont accordées alors, que la France et le Royaume-Uni reportent l’impôt au moment de la vente des options. Les différences de réglementation entre pays européens sont telles qu’un même gain « peut être imposé deux ou trois fois pour la même opération » si un travailleur déménage d’un pays à l’autre.

111 Il existe une explication simple à la plus grande égalité au sommet au Japon : jusqu’en 1997, les stock options y étaient illégales, sauf dans les petites start-up. En 2001, le Japon a supprimé cette interdiction et introduit en même temps des plans d’épargne retraite à cotisations définies. Mais le délai est très long avant l’adoption des stock options au sein des principales entreprises, après des décennies de tradition dans lesquelles les rémunérations relatives des dirigeants furent inférieures de plusieurs ordres de grandeur à celles des États-Unis (Bremner, 1999).

112 Globalement, nous ne voyons pas de résultat probant à la recherche d’une explication mono-causale à la croissance des revenus des dirigeants d’entreprises aux États-Unis relativement aux autre pays. Les PER ont plus augmenté aux États-Unis qu’ailleurs, au moins jusqu’en 2000, ce qui a entraîné une diffusion de la hausse des cours de la Bourse aux rémunérations des dirigeants au travers de l’usage de plus en plus large des stock options. Dans une certaine mesure, la moindre extension des stock options n’est que le reflet du retard des entreprises européennes qui adoptent les pratiques américaines avec une ou deux décennies de retard.

113 Mais il reste un espace pour des explications institutionnelles complémentaires basées sur les différences de politiques et de réglementation. Les différences légales (par exemple, l’illégalité des stock options au Japon avant 1997), les différences juridiques (le rôle des travailleurs dans les conseils des entreprises allemandes) et les différences institutionnelles (les consensus négociés aux Pays Bas et dans d’autres pays), jouent toutes un rôle dans l’explication de la contrainte qui a empêché les entreprises en dehors des États-Unis d’offrir à leurs cadres dirigeants le modèle de paquet salarial typique des États-Unis.

9 – Conclusion

114 Notre article propose un survey complet des facteurs de la croissance des inégalités aux États-Unis depuis 1970. Notre analyse traite de l’évolution de la part du travail, des changements des ratios de revenus relatifs des déciles 90-50-10 « par la base », des hypothèses relatives à l’évolution des ratios 90-50-10, des nuances de l’hypothèse de biais de qualification associé au progrès technique, des causes de l’inégalité croissante au sein des 10, 1, 0,1 et 0,01 % de revenus les plus élevés, de la distinction entre inégalité de consommation et inégalité de revenu, et des différences internationales d’évolution des inégalités particulièrement au sommet de l’échelle.

115 Nous avons vu à la section 2 qu’il n’y avait pas eu d’évolution significative de la part du travail dans le revenu national au cours des deux dernières décennies, une fois prise en compte, de manière cohérente, la chronologie conjoncturelle. Sur l’ensemble de la période 1950-2006, la part du travail a augmenté, et non diminué, mais une fois prise en compte la part du revenu de la propriété imputable au travail, la part du travail a été totalement plate pendant plus de cinquante ans. En outre, nous avons montré que la part du travail dans le revenu national est une question indépendante du débat relatif à la croissance des inégalités. Si le revenu du travail des travailleurs à plus haute rémunération augmente suffisamment, on peut observer simultanément une augmentation de la part du travail et une baisse du revenu réel du travailleur médian.

116 La section 3 présente l’évolution des ratios de revenu 90-50-10, issus des données du CPS, pour les hommes, les femmes et l’ensemble de la population, depuis la fin des années 1970. Notre trouvaille la plus importante est que toute discussion de la répartition des revenus par percentile en dessous du 90e doit être très attentive à distinguer les hommes des femmes. Nous avons été surpris d’observer que le ratio de revenu 90-10 calculé pour les hommes a augmenté de plus du double de celui des femmes. Alors que le ratio 90-50 pour l’ensemble de la population a augmenté doucement et régulièrement de 1979 à 2005, le ratio 50-10 a connu un saut abrupt sur la période 1979-1786, qui a été deux fois plus important pour les femmes que pour les hommes. Par la suite, pour les femmes, le ratio 50-10 est resté stable à un niveau élevé supérieur de 20 % à celui de 1979, tandis que pour les hommes le même ratio revenait graduellement à sa valeur de 1979.

117 Pour l’examen des causes de ces évolutions, nous nous sommes concentrés sur quatre éléments : le déclin de la syndicalisation, l’ouverture du commerce international, la croissance de l’immigration et la baisse du salaire minimum réel. La concentration marquée de l’augmentation du ratio 50-10, à la fois pour les hommes et pour les femmes, au cours de la période 1979-1786, fournit une preuve forte de l’influence de circonstances particulières : baisse de la syndicalisation pour les hommes et déclin du salaire réel minimal pour les femmes. La chronologie de l’évolution ultérieure, post-1986, du salaire réel minimum est également cohérente avec la stabilisation du ratio 50-10 pour les femmes. Notre recherche des preuves quantitatives de l’influence de la syndicalisation dans la littérature universitaire conduit à un petit rôle de la désyndicalisation, mais seulement pour les hommes. Il y a très peu de preuves solides de l’influence de l’ouverture du commerce international. La littérature sur l’immigration est contestable, mais nous avons été convaincus par un article récent montrant un impact négligeable de la croissance de l’immigration sur les travailleurs indigènes, et, a contrario, une dégradation de la situation des travailleurs nés à l’étranger et spécialisés dans certaines activités.

118 La section 5 passe en revue l’hypothèse de biais de qualification du progrès technique (SBTC) et les nombreuses objections à celle-ci, en particulier celle qui s’appuie sur l’observation de la faible croissance des salaires afférents à des professions a priori qualifiées comme les techniciens et les programmeurs informatiques. Nous soutenons l’effort de Autor et al. pour élargir la nomenclature de qualification à trois catégories ou plus ; leur hypothèse sur la polarisation est très utile pour expliquer la montée des inégalités et discerner les professions les plus exposées à la sous-traitance. La distinction clef qui doit être faite est celle qui sépare les activités interactives du sommet de l’échelle (l’avocat au tribunal et le banquier d’investissement lors de la conclusion d’une affaire interviennent à titre personnel), les activités interactives de la base (salariés des maisons de repos, travailleurs migrants qui tondent la pelouse des gens à l’aise) avec les activités routinières, du milieu de l’échelle des qualifications, dans lesquelles les substitutions de travailleurs sont faciles, permettant aisément le recours à la sous-traitance (du type agent de réservation aérienne ou salarié de centre d’appel technique).

119 La section 6 présente des arguments forts en faveur de l’hypothèse SBTC pour expliquer le rétrécissement de la distribution de l’échelle des revenus dans sa partie la plus haute. Nous distinguions trois grandes catégories de hauts revenus. Les superstars incluent les professionnels au sommet des activités pour lesquels la rémunération des premiers est sans commune mesure avec celle de leurs suivants immédiats. L’effet superstar pur résulte de l’élargissement des audiences, c’est-à-dire du fait qu’un spectacle peut être vu par une personne ou dix millions, en fonction de l’attractivité et du talent perçu par le public. Une deuxième catégorie de hauts revenus générés par le marché est constituée des associés des cabinets juridiques, des banquiers d’investissement et des gestionnaires de fond de placement (hedge funds) pour lesquels l’analogie avec les métiers d’audience large n’est pas évidente.

120 La question la plus controversée est relative à la troisième catégorie et à l’explication de l’énorme augmentation des rémunérations des dirigeants d’entreprise relativement à celle du travailleur moyen. La distinction centrale que nous faisons est que pour les superstars et les autres professions soumises aux lois du marché, la rémunération est choisie par le marché alors que celle des PDG est choisie par leurs pairs dans un système qui donne aux PDG et à leurs comités de directeurs largement cooptés, le pouvoir de contrôle sur les hauts revenus. Cette idée selon laquelle les managers disposent d’un pouvoir qui dépasse celui des actionnaires est très ancienne. Berle et Means (1932) et R. A. Gordon (1945) avaient déjà dit que les managers contrôlaient les actionnaires et non l’inverse. L’idée que le modèle principal-agent de contrôle par les actionnaires pouvait s’inverser a été fructueusement développée par des auteurs comme Bebchuk et Fried. Nous soutenons leur idée que le pouvoir managérial est la source d’une partie des énormes gains de rémunération des dirigeants d’entreprise, bien que nous reconnaissions aussi que les stock options ont conduit à une diffusion automatique des hausses de la Bourse dans les salaires des dirigeants.

121 L’inégalité de consommation a-t-elle augmenté comme l’inégalité de revenus ? Si l’augmentation des inégalités de revenus résulte seulement de chocs de revenus importants mais transitoires, et si les marchés financiers sont suffisamment développés (en supposant, fautes de preuves du contraire, que les contraintes de liquidités ne constituent pas un empêchement majeur), alors les inégalités de consommation et de bien-être ont pu rester constantes. Lorsque l’on examine les faits, il est clair que les données relatives à la consommation aux États-Unis ne mesurent pas exactement ce que l’on pourrait souhaiter. Alors que certains auteurs ont pu trouver que certains éléments du CEX [28] montrent que l’inégalité de consommation était restée stable, d’autres éléments du CEX, plus crédibles, montrent au contraire que l’inégalité de consommation a augmenté grosso modo au même rythme que l’inégalité de revenus. Cette observation est cohérente avec le résultat de Kopczuck, Saez et Song (2007) selon lequel il n’y a pas eu d’augmentation de la mobilité du revenu associée à la croissance des inégalités.

122 Quelques problèmes en suspens parmi les plus intéressants dans le champ des questions relatives à la croissance des inégalités, sont ceux qui sont relatifs aux différences internationales. Il est établi de manière consensuelle que la forte montée des inégalités aux États-Unis après les années 1970, fut nettement plus importante qu’en Europe continentale et qu’au Japon, le Royaume-Uni et le Canada se plaçant en position intermédiaire. Nous proposons un mélange d’explications fondées sur des facteurs institutionnels et des facteurs liés au fonctionnement des marchés. Parmi les différences institutionnelles entre les États-Unis et l’Europe figurent l’introduction plus précoce et plus systématique des stock options aux États-Unis, la tradition corporatiste et le rôle de la coopération entre les agents en Europe (qui limitent les excès de rémunération des managers), la place plus importante des syndicats et un salaire minimum plus élevé dans certains pays européens. Mais le marché a également joué un rôle ; l’augmentation des profits et des PER sur les Bourses américaines dans les années 1990 s’est diffusée aux rémunérations des dirigeants d’entreprises, interagissant avec la forte hausse de la part des revenus des dirigeants prenant la forme de stock options.

123 L’étude des inégalités de revenus est d’une importance fondamentale en économie. La raison la plus évidente est que la science économique est avant tout concernée par la compréhension de l’évolution des économies au cours du temps, et qu’il est nécessaire de comprendre non seulement l’évolution des moyennes mais aussi celle des distributions. En deuxième lieu, les changements des inégalités peuvent être des indicateurs de changements structurels du fonctionnement de l’économie qui peuvent favoriser un groupe plutôt qu’un autre, comme par exemple l’existence d’un biais de qualification du progrès technique. Troisièmement, la variation des inégalités peut nous instruire sur l’adéquation de nos théories relatives au partage des risques et au lissage de la consommation, aux situations réelles rencontrées par les individus. Quatrièmement, nous pouvons augmenter nos connaissances relatives aux effets d’institutions différentes sur les inégalités par la comparaison des expériences de pays différents. Ceci devrait permettre des choix politiques mieux informés à l’avenir. Ce que devraient être ces choix, s’il faut en faire, est une question qui va au-delà des limites de notre article. Nous avons tenté de relier les faits et les hypothèses, et certains de ces liens sont clairement robustes. Ceci devrait être pris en compte dans les débats politiques, et certains résultats, simplement parce qu’ils ont été diffusés, pourraient améliorer l’efficacité économique.

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Mots-clés éditeurs : revenus, inégalités

Date de mise en ligne : 20/11/2007.

https://doi.org/10.3917/reof.102.0417

Notes

  • [*]
    Article présenté au « Brookings Panel on Economic Activity », Washington, DC, 7 septembre 2007.
  • [**]
    Nous sommes très reconnaissants de l’assistance remarquable que nous ont apportée deux étudiants de Northwestern, Bobby Krenn et Neil Sarkar, et des très utiles commentaires de David Autor, Polly Cleveland, James Heckman et Larry Katz.
  • [1]
    Le saut de la part des revenus du travail et la baisse de celle du revenu du capital au troisième trimestre 2005 reflètent l’ajustement à la baisse de l’estimation du revenu intérieur par la comptabilité nationale, due aux effets des ouragans Katrina et Rita.
  • [2]
    L’estimation de la part du revenu des propriétaires imputable au travail est reprise de Mishel et al. (2005, tableau 1.25 page 95). La part de revenu imputable au travail que nous avons utilisée a été interpolée linéairement entre les années étudiées et celles du tableau de Mishel et al..
  • [3]
    Les ratios sont présentés en log avec 1979 = 0. Les données utilisées proviennent de la banque de données sur l’Amérique au travail (Working America Database) publiée sur le site web de l’Institut de politique de l’emploi (Employment Policy Institute).
  • [4]
    Statistiques historiques des États-Unis, série U2 divisée par série F1.
  • [5]
    Mishel et al., graphique 3W, p. 180.
  • [6]
    Immigration and Naturalization Service.
  • [7]
    Mishel et al. (tableau 3.4, p. 119) mettent en évidence une hausse du salaire réel de l’ensemble des travailleurs (hommes et femmes) de 9 % au 50e percentile, à comparer à la hausse de 12,5 % au 10e percentile.
  • [8]
    Skill-biased technical change.
  • [9]
    Cette présentation s’appuie sur l’ensemble des hypothèses précédentes résumées par Kaplan et Rauh (2006, pp. 4-5) du fait qu’ils renforcent notre article sur les aspects les plus proches du leur.
  • [10]
    Adjusted Gross Income.
  • [11]
    Dans le tableau 8a de Kaplan et Rauh, le nombre de dirigeants du secteur non financier d’ExecuComp est de 594 et « l’estimation du nombre de cadre dirigeants financiers » (dont quelques uns mais pas tous sont recensés par ExecuComp) étaient de 137, soit un total de 731. Le décompte par Kaplan et Rauh du total des individus appartenant au 0,01 % supérieur, qui inclut les banquiers d’investissement et autres hauts salaires de Wall Street, le top 100 des juristes associés, les sportifs professionnels et les grandes célébrités atteint 2 339 ; ils identifient donc 3,2 fois plus de personnes que celles qui sont incluses dans la base ExecuComp.
  • [12]
    Price earning ratio = prix de l’action/profits.
  • [13]
    La croissance du PER est l’inverse de la baisse du ratio dividende/prix de l’action des entreprises du S&P500 retracée dans le Rapport économique au Président, 2006, tableau B-95.
  • [14]
    En tenant compte des points hors graphique 1, les observations 1970 et 2000 de l’indice JMW valent respectivement 0,5 et 11, tandis que les valeurs de la capitalisation boursière sont de 0,8 et 6,7.
  • [15]
    Cette conclusion ne nécessite même pas de supposer une fusion. Même si les entreprises ne peuvent pas fusionner, le dollar marginal investi en bourse aura un rendement d’autant plus élevé que la firme dans laquelle il est investi sera grande.
  • [16]
    Cette section est entièrement basée sur la revue de Weisbach de 2007 sur le travail de Bebchuk et Fried.
  • [17]
    CEX = Consumer Expenditure Survey.
  • [18]
    Bureau of Labor Statistics.
  • [19]
    Panel Study on Income Dynamics.
  • [20]
    SSA, i.e. Social Security Administration.
  • [21]
    Voir par exemple le New York Times, rubrique « vie économique » : « L’inégalité de consommation… ne présenta pas de tendance significative à la hausse » (Cowen, 25/1/2007). « Il est difficile d’observer les effets de l’augmentation des inégalités de revenus sur la manière dont vivent les gens » (Postrel, 7/11/2002).
  • [22]
    Bureau of Economic Analysis (Département du commerce des États-Unis).
  • [23]
    Personal consumption expenditures.
  • [24]
    On peut noter que Attanasio et al. (2006) et Battistin (2003) utilisent une technique identique à celle du FES pour combiner les données du CEX issues des interviews avec celles des carnets de consommation
  • [25]
    La consommation de biens non-durables est une référence courante dans les études sur la consommation, car elle élimine les problèmes associés au fait de traiter ou pas les biens durables comme des investissements en capital.
  • [26]
    D’autres aspects sont, par exemple, une fertilité américaine plus élevée et une place relativement mauvaise dans les tableaux d’espérance de vie et de résultats aux tests de maths et de science.
  • [27]
    Chong et Gradstein présentent une revue concise de la courte littérature relative aux institutions et à l’inégalité.
  • [28]
    Enquête sur la consommation.
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