Couverture de REOF_082

Article de revue

Taux de change fixes et migrations internationales

L'Étalon-or à l'aune de la théorie des zones monétaires optimales

Pages 83 à 116

Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier Jean-Paul Fitoussi et Jacques Le Cacheux pour l’opportunité qu’ils m’ont donnée de mener à bien ce travail de recherche au sein du Département des études de l’OFCE, ainsi que Marc Flandreau, mon directeur de thèse, pour le temps qu’il a bien voulu consacrer à la lecture et au commentaire critique des versions antérieures de ce texte.
  • [1]
    Selon Sánchez-Alonso, la dépréciation de la peseta surenchérissait le prix des titres de transports (libellés en monnaies convertibles en or), tandis que l’épargne potentielle des futurs émigrants en monnaie étrangère se voyait affectée par la perte de valeur de la peseta. Ceci signifiait, toutes choses égales par ailleurs, que le coût de l’émigration (dépenses durant le voyage et frais d’installation dans le pays d’accueil) augmentait avec la dépréciation de la monnaie.
  • [2]
    L’analyse repose sur l’argument selon lequel les migrations internationales se traduisent par une hausse relative des salaires réels dans les pays d’émigration : le départ d’une quantité importante de personnes entraîne une concurrence moindre sur le marché du travail de ces pays ; l’arrivée massive de main-d’œuvre dans les pays d’accueil tend au contraire à y faire baisser les salaires réels (Williamson, 1996).
  • [3]
    Si les chocs sont symétriques, leur impact sur les économies est identique et le coût de renonciation à l’instrument de changes devient nul.
  • [4]
    « L’effet de cliquet, par le biais duquel les variations des salaires nominaux sont flexibles à la hausse mais contraintes à la baisse, est connu depuis longtemps, même là où le travail n’est pas organisé » (Phelps et Browne, 1968).
  • [5]
    L’inflation faciliterait l’ajustement dans la mesure où une baisse de salaires réels n’implique pas forcément une diminution des salaires nominaux (Akerlof, Dickens et Perry, 1996 ; Groshen et Schweitzer, 1996).
  • [6]
    « Quand le commerce va bien, la forte concurrence entre les employeurs, qui veulent faire fructifier leurs affaires et profiter au maximum des rendements élevés, les conduit à accepter de mieux payer leurs employés afin d’obtenir leurs services » (Marshall, 1920).
  • [7]
    Cette analyse s’inscrit dans le cadre de la théorie des « contrats implicites » proposée par Azariadis et Stiglitz (1983).
  • [8]
    Quand la mobilité des capitaux est limitée, le déséquilibre ex ante qu’il peut exister entre épargne et investissement est résolu via une modification du taux d’intérêt qui permet de rétablir l’équilibre ex post (d’où une forte corrélation entre épargne et investissement). En revanche, lorsque les capitaux circulent librement d’un pays à l’autre, le déséquilibre initial est compensé par des flux nets de capitaux et la corrélation entre épargne et investissement domestiques devient faible (Feldstein et Horioka, 1980).
  • [9]
    Ce manque de maturité se caractérise notamment par ce que Haussman (2000) appelle le « péché originel » : « Une monnaie souffre du péché originel lorsqu’il est impossible de s’en servir pour emprunter à l’étranger, et même pour emprunter à long terme sur son marché national ».
  • [10]
    Williamson (1996) fait remarquer que les déplacements de main-d’œuvre s’accompagnent généralement de mouvements de capitaux des pays d’émigration vers les pays d’immigration, liés aux différentiels de rentabilité qui en découlent. L’immigration est en effet à l’origine d’une diminution du rapport capital/travail dans le pays d’accueil qui se traduit par une augmentation de la productivité marginale du capital. À l’inverse, les pays d’émigration voient leur intensité capitalistique croître du fait du départ d’une partie de la force de travail. La baisse de productivité marginale du capital qui s’en suit a pour conséquence une fuite des capitaux vers les pays récepteurs de main-d’œuvre, qui compense partiellement les transferts de fonds des migrants vers leur pays d’origine. Les États-Unis, le Canada, l’Australie et, à une moins grande échelle, les pays latino-américains absorbaient ainsi une grande proportion de l’investissement international durant la période de l’étalon-or (Bairoch, 1997), ce qui a permis à leur économie d’atteindre un rythme de croissance à la fois élevé et soutenu.
  • [11]
    Selon Adolphe Thiers (1850), « Nul ne doit faire peser sur la société le fardeau de sa paresse ou de son imprévoyance » (cité par Lévy ;1987, p.56).
  • [12]
    À ce titre, il est possible de parler, comme le suggère Tapinos (1974), d’émigration « sélective », étant donné que « la population migrante ne constitue pas un échantillon significatif de l’ensemble de la population du pays émetteur ».
  • [13]
    Dans le cas d’une émigration temporaire, l’analyse doit aussi tenir compte du niveau d’épargne qu’il est possible d’accumuler pendant la période d’expatriation (lui-même fonction non seulement du salaire mais aussi du coût de la vie sur place). La capacité d’épargner détermine en effet le revenu réel anticipé dans le pays d’origine une fois le migrant revenu chez lui (Tapinos, 1974).
  • [14]
    Le problème du transport explique en partie, comme l’ont souligné Thomas (1954) ou Kelley (1965), le plus grand degré d’attractivité de l’Amérique du Nord par rapport à l’Océanie.
  • [15]
    « Le Diable Malthusien traversait le continent européen de l’Irlande vers l’Allemagne, puis se dirigeait vers l’Europe du Sud et de l’Est où son emprise était la plus forte de toutes » (Thomas, 1954).
  • [16]
    Durant la période 1908-1914, 32,1 % des immigrants aux États-Unis auraient voyagé avec des billets prépayés (Jerome, 1926).
  • [17]
    Au XIXe siècle, il arrivait qu’en période de récession les communes suisses versent des subventions (en général 400 francs suisses ou six mois de salaire pour un ouvrier) afin d’inciter les plus démunis à partir. Les émigrants devaient alors s’engager à ne plus revenir sur le territoire national, sous peine de devoir rembourser la somme reçue au taux annuel de 4 % (von Allmen, 2001).
  • [18]
    « Des variations de l’activité économique ou de l’emploi étaient largement responsables des fluctuations autour de la tendance à long terme, mais elles ne représentaient qu’une part très faible de la variation totale des taux d’émigration » (Hatton et Williamson, 1998).
  • [19]
    L’existence d’un léger décalage entre les fluctuations de l’activité et les mouvements de population permet de conclure à l’élasticité de l’immigration aux cycles économiques et non pas l’inverse.
  • [20]
    « Les nouvelles sur la prospérité américaine peuvent-elles avoir traversé l’Atlantique, avoir touché des milliers de paysans en Allemagne, en Irlande ou en Scandinavie, les avoir amenés à décider qu’il était temps de partir, de trouver les moyens de réaliser le voyage, de faire le long déplacement jusqu’au port d’embarquement, puis le périple en bateau jusqu’en Amérique — tout cela en moins de six mois ? C’est très improbable qu’un tel lien de cause à effet puisse se produire en aussi peu de temps. » (Carter, 1955).
  • [21]
    « Dans les années fastes, l’industrie suédoise pouvait faire oublier l’attrait de l’Amérique ; et les pressions à l’émigration dans l’agriculture ne s’exerçaient que quand une dépression de l’industrie suédoise s’accompagnait d’une amélioration des conditions économiques dans le Nouveau Monde » (Thomas, 1941).
  • [22]
    Sur la période 1870-1913, le taux d’émigration moyen était de 0,2 ‰ en France et de 1,4 ‰ en Allemagne, contre 4,3 ‰ aux Pays-Bas, 6,6 ‰ en Norvège ou encore 10,1 ‰ en Italie.
  • [23]
    En 1901, le secteur agricole représentait 43,4 % de la population active totale française, contre 35,7 % en Allemagne (1895), 32,1 % en Belgique (1900) et 12 % au Royaume-Uni (1901).
  • [24]
    L’Espagne a renoncé à assurer la convertibilité de sa monnaie en or en 1883 ; le Portugal en 1891.
  • [25]
    « Sur les 370 millions d’habitants que compte l’Union européenne, le nombre de citoyens résidant dans un autre État membre n’est que de 5,5 millions », c’est-à-dire 1,5 % de la population européenne (Veil, 1997).

1 Dans une étude portant sur les raisons de la faiblesse de l’émigration en Espagne à la fin du XIXe siècle, Blanca Sánchez Alonso (2000) met l’accent sur le rôle de la dépréciation de la peseta. Selon elle, si la monnaie espagnole s’était maintenue stable entre 1892 et 1905, les départs auraient pu être supérieurs de 40 % à ce qu’ils ont été, soit environ 400 000 personnes supplémentaires [1]. En revanche, après 1906 et le redressement de la peseta, l’émigration des travailleurs espagnols augmenta sensiblement, tout comme l’investissement étranger. Il existerait donc un lien étroit entre taux de change flexible et faible émigration, comme semble le confirmer l’exemple de l’Italie qui, avec une lire beaucoup plus stable que la peseta, a enregistré des taux d’émigration nettement plus élevés que l’Espagne (entre 1882 et 1913, le taux moyen d’émigration en Espagne était de 2,01 ‰ contre 12,2 ‰ en Italie). Sánchez-Alonso considère que cette situation représentait un handicap pour l’économie espagnole, étant donné que le faible niveau de l’émigration ne lui aurait pas permis de converger rapidement vers les niveaux de vie des autres pays industrialisés et serait donc en partie à l’origine du retard de développement de ce pays [2]. Hatton et Williamson (1998) abondent d’ailleurs dans ce sens puisqu’ils affirment que le rattrapage économique de l’Espagne — ou du Portugal — n’avait rien à voir avec celui, « impressionnant », de l’Italie, plus grande exportatrice de main-d’œuvre.

2 L’étude de Sánchez-Alonso permet de souligner l’impact du régime de changes sur les mouvements migratoires. Elle s’inscrit dans le cadre plus large de la discussion sur les avantages comparés des taux de change fixes ou flexibles (Friedman, 1953) et surtout dans celui de la théorie des zones monétaires optimales. Le modèle développé par Mundell (1961) montre en effet que la participation à un régime de changes fixes suppose l’existence de mécanismes d’ajustement permettant de contrebalancer, en cas de chocs asymétriques, la rigidité des changes. Les mouvements de main-d’œuvre, notamment, contribuent à résoudre les problèmes de chômage, dans la mesure où les travailleurs des régions en récession ont l’opportunité de trouver un emploi dans celles en expansion. Cette offre de travail supplémentaire dans les pays d’accueil constitue par ailleurs un antidote aux éventuelles tensions inflationnistes générées par les pressions sur les salaires exercées par un excès de demande de travail.

3 Dans la continuité des travaux de Mundell, de nombreuses études empiriques ont été effectuées pour témoigner de l’importance de la mobilité inter-régionale aux États-Unis et pour insister a contrario sur sa faiblesse en Europe. Eichengreen (1997), notamment, estime que les déplacements de main-d’œuvre entre États américains seraient deux à trois fois plus nombreux qu’entre nations européennes. En revanche, les recherches portant sur la mobilité du travail comme mécanisme d’ajustement durant l’étalon-or sont, semble-t-il, assez rares. De fait, la plupart des études réalisées jusqu’à présent ont mis l’accent sur les déterminants structurels d’un phénomène envisagé dans une perspective à long terme. Et si le caractère cyclique des migrations a conduit quelques économistes, à la suite des travaux de Jerome (1926), à se pencher sur les causes plus conjoncturelles des mouvements migratoires, rares sont ceux qui ont analysé la relation entre étalon-or et cycles migratoires. L’objet de cet article est donc de développer cette problématique en évaluant dans quelle mesure les migrations massives qui ont marqué la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du vingtième répondaient, du moins en partie, à une logique d’ajustement, conformément à la théorie des zones monétaires optimales.

4 Dans cette perspective, il sera tout d’abord montré que les migrations internationales constituaient un mode d’ajustement essentiel pour les pays qui participaient aux mécanismes de l’étalon-or. L’existence de rigidités à la baisse des salaires en période de faible inflation, les difficultés qu’affrontaient certains pays « périphériques » pour attirer des capitaux extérieurs et l’absence d’intervention publique en matière de régulation de la conjoncture et d’indemnisation du chômage constituaient en effet autant d’obstacles à un ajustement optimal des économies soumises à des chocs asymétriques. Le retour à l’équilibre passait donc dans bien des cas par la mobilité du facteur travail, ce qui permettait de ne pas renoncer à l’objectif de stabilité du taux de change. Puis, après une brève description des mouvements de population d’avant la Première Guerre mondiale, les résultats des principales recherches portant sur les déterminants structurels des migrations internationales seront analysés. Celles-ci s’inscrivent en effet avant tout dans un processus à long terme qui seul permet de comprendre pourquoi des millions de personnes se sont déplacées non seulement d’un pays à un autre, mais aussi bien souvent d’un continent à un autre. Enfin, c’est au caractère cyclique des mouvements migratoires que cette étude s’attachera. De fait, les migrations ne représentaient pas un courant continu et régulier, mais plutôt une succession de flux et de reflux qui ne semblent pouvoir s’expliquer que dans le cadre d’un examen minutieux de la conjoncture économique. C’est d’ailleurs le lien établi entre les cycles migratoires et les fluctuations de l’activité qui permet de conclure à une relation entre l’existence de l’étalon-or et les migrations massives constatées jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

Contraintes d’ajustement et migrations internationales durant l’étalon-or

5 Le bon fonctionnement de l’étalon-or « classique » (1870-1914) supposait que les autorités monétaires se fixent comme objectif central de politique économique la stabilité externe de leur monnaie. Toutefois, la perte d’autonomie de la politique monétaire qui en découlait constituait un sujet de préoccupation pour les pouvoirs publics de l’époque. Dans le but de regagner des marges de manœuvre, ceux-ci ne se pliaient alors pas toujours aux « règles du jeu » qui auraient permis, conformément au mécanisme de Hume, de réaliser un ajustement automatique des balances des paiements courants (Bloomfield, 1959). La stabilité de l’étalon-or ne pouvait alors provenir que de la capacité et de la vitesse d’ajustement des économies des pays-membres (Bayoumi et Eichengren, 1994).

Chocs asymétriques ou synchronisation des cycles ?

6 Le processus de libéralisation commerciale du XIXe siècle a donné lieu, conformément aux enseignements du modèle Heckscher-Ohlin, à une forte spécialisation des économies nationales : la « division internationale du travail ». Pourtant, cette polarisation des activités n’a apparemment pas entraîné une multiplication de chocs asymétriques parmi les différents pays membres de l’étalon-or, contrairement aux prévisions de Krugman (1991). Il semblerait en effet que la coordination monétaire ait permis de compenser en partie l’impact de la spécialisation et se serait ainsi traduite par une moindre asymétrie entre les cycles (Flandreau et Maurel, 2001). À ce sujet, Morgenstern (1959) note que les cycles économiques entre pays européens étaient fortement synchronisés avant la Première Guerre mondiale. De même, Huffman et Lothian (1984) ont montré que l’une des implications de l’appartenance des États-Unis et du Royaume-Uni à l’étalon-or était une plus grande transmission des cycles entre leurs économies. García-Iglesias (2001) souligne ainsi la différence entre les pays scandinaves, membres de l’étalon-or, et les pays du Sud de l’Europe, dont le rattachement à l’étalon-or était soit erratique (Italie et Portugal), soit nul (Espagne). Dans le premier cas, il existait une corrélation significative entre les niveaux de PIB réel et surtout d’inflation de ces pays et ceux des États-Unis et du Royaume-Uni ; dans le deuxième cas, l’activité économique était relativement isolée des cycles américains et britanniques.

7 Il est donc probable que le plus grand degré de symétrie découlant de l’appartenance à l’étalon-or constituait un facteur essentiel de la stabilité du système. Cela ne signifie pas pour autant que des chocs spécifiques n’aient pas continué à se manifester. Blanchard et Quah (1989) ont ainsi noté l’existence de perturbations propres à chaque pays liées, non pas à la conduite de politiques économiques différenciées, mais plutôt à la diversité des productions nationales. En outre, il apparaît que le produit national réel fluctuait de manière beaucoup plus significative durant l’étalon-or classique qu’après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, selon les estimations de Bayoumi et Eichengreen (1994), les chocs d’offre étaient deux fois et demi plus fréquents avant la Première Guerre mondiale qu’après 1945 ; les chocs de demande, deux fois plus. Dès lors, comment expliquer l’étonnante capacité d’adaptation des économies de l’époque face à de telles fluctuations de l’activité ?

Des rigidités sur le marché du travail

8 La théorie des zones monétaires optimales insiste sur la nécessité de renforcer la flexibilité des salaires, et donc des prix, au sein des unions monétaires. La perte de l’autonomie de la politique monétaire d’une part, celle du taux de change comme mécanisme d’ajustement d’autre part, constituent en effet autant de contraintes face aux chocs asymétriques [3]. Or il semblerait que l’existence de rigidités dans la formation des salaires réels n’ait pas permis aux pays membres de l’étalon-or de réaliser un ajustement optimal. Bien que ce point soit largement controversé, de nombreuses études paraissent confirmer l’existence d’un « effet de cliquet » dans la détermination des salaires [4]. Allen (1992), par exemple, affirme que les salaires étaient moins flexibles au cours du XIXe siècle qu’à la fin du XXe, ce qui semble validé par les études menées par Hatton (1988) sur l’économie britannique ou Gordon (1990) et Hanes (1993) sur l’économie américaine. Ce dernier souligne ainsi qu’après la forte vague de grèves qui a eu lieu durant les années 1880 aux États-Unis, les entreprises hésitaient avant de réduire les salaires nominaux de leurs employés. En outre, la cristallisation des critiques envers le système libéral, accusé de paupériser une classe ouvrière soumise à la faiblesse des salaires et à la précarité de l’emploi, s’est traduite par une montée en puissance des luttes ouvrières qui a contraint les Etats, notamment en Europe, à intervenir dans l’environnement économique en mettant en place divers instruments de protection des salariés.

9 La question de la rigidité salariale avant la Première Guerre mondiale n’est cependant pas tranchée et plusieurs études récentes tendent à montrer que les salaires étaient peut-être plus flexibles à cette époque qu’aujourd’hui. Ainsi, Hanes et James (2001) remettent en question l’idée selon laquelle il aurait existé des rigidités à la baisse au XIXe siècle, du moins aux États-Unis. Au contraire, selon eux, les diminutions de salaires étaient aussi fréquentes que les augmentations, et ce malgré les faibles niveaux d’inflation, voire la déflation, qui caractérisaient les économies rattachées à l’or [5]. Mais en réalité, comme le soulignent Phelps et Browne (1968), si les périodes de crise économique pouvaient effectivement se traduire par des réductions de salaires, celles-ci n’étaient jamais aussi significatives que les augmentations qui avaient lieu en phase haute du cycle. En effet, alors que la croissance économique s’accompagnait d’une forte concurrence entre les firmes pour attirer de nouveaux travailleurs, concurrence qui impliquait de fortes hausses de salaires [6], les pressions à la baisse devaient faire face à la résistance des travailleurs et de leurs représentants. En outre, il est possible que les employeurs eux-mêmes ne considéraient pas qu’il était « moralement » souhaitable de réduire les salaires, comme l’a suggéré Bewley (1999). Par ailleurs, Gould (1979) note qu’au-delà de la crainte d’éviter les conflits sociaux, les entreprises américaines étaient à cette époque déjà sensibles aux avantages de maintenir en leur sein les travailleurs expérimentés grâce à une certaine stabilité des salaires réels et ce, même lorsqu’elles devaient faire face à un retournement de conjoncture [7]. Dès lors, les fluctuations de l’activité économique avaient tendance à pousser à la hausse le niveau des salaires, comme le montre le graphique 1, et les possibilités d’ajustement s’en trouvaient limitées.

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Salaire nominal

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Salaire nominal

Source : Phelps et Browne (1968).

Des mouvements de capitaux limités aux pays du « centre »

10 À l’époque de l’étalon-or, le processus dit de « mondialisation financière » était à son apogée et il existait très peu de restrictions à la mobilité des capitaux. Bayoumi (1990) a ainsi constaté que la corrélation entre épargne et investissement domestiques était, de manière générale, plus faible avant la Première Guerre mondiale qu’après la Seconde, ce qui semble confirmer le degré avancé d’ouverture des marchés financiers [8]. Les mouvements de capitaux qui en résultaient permettaient de résorber les déséquilibres des balances des paiements et constituaient donc un mécanisme d’ajustement d’autant plus important que les taux de change étaient stables. Bloomfield (1968) a d’ailleurs montré que les flux de capitaux à court terme augmentaient sensiblement au fur et à mesure du développement et de la consolidation de l’étalon-or. Une plus grande volatilité de ces flux faisait aussi partie du processus. En ce sens, Triffin (1964) et Kindleberger (1985) remarquent que le volume annuel des investissements internationaux avant 1914 était étroitement lié aux cycles économiques, aussi bien dans les pays exportateurs de capitaux que chez les importateurs. En période de croissance, donc, les sorties de capitaux augmentaient, tandis que les récessions s’accompagnaient d’une entrée plus importante de capitaux, conformément à la thèse exprimée par Beach (1935). En outre, il n’était pas rare qu’une nation passe rapidement d’une position créditrice nette à une position débitrice et vice-versa, ce qui semble confirmer le rôle de la mobilité des capitaux dans l’ajustement à court-terme.

11 Cependant, tous les États n’avaient pas accès de la même manière au financement international. Les pays du « centre » et, en premier lieu, ceux qui en constituaient le « noyau dur », c’est-à-dire le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et les États-Unis, bénéficiaient d’un avantage comparatif en termes d’attraction du capital à court-terme, ce qui leur permettait de réduire sensiblement le coût de l’ajustement (Gallarotti, 1995). En revanche, les pays de la « périphérie », qui se caractérisaient souvent par un niveau élevé de dette extérieure et dont les marchés financiers n’étaient pas considérés par les investisseurs comme assez mûrs [9] (Bordo et Flandreau, 2001), ne disposaient pas de la même capacité de financement. Les migrations de main-d’œuvre revêtaient alors une importance toute particulière dans le processus d’ajustement. Il est d’ailleurs probable qu’un certain degré de substitution existait entre la mobilité du capital et celle du travail : les pays qui bénéficiaient de la confiance des marchés financiers pouvaient financer les déficits de leur balance des paiements courants à un moindre coût et le recours à l’émigration se voyait limité ; à l’inverse, dans le cas des économies jugées peu sûres par les investisseurs internationaux, l’émigration d’une partie de la population active permettait de faire face aux problèmes de chômage (Panic, 1992).

Le rôle contracyclique des migrations internationales

12 Mundell (1961) a développé l’idée selon laquelle les travailleurs, en se déplaçant d’une région à l’autre, contribuent à résoudre les problèmes d’ajustement liés à la stabilité des changes. Dans le cas d’un pays situé en phase haute du cycle, par exemple, l’accroissement de l’activité économique, s’il n’est pas accompagné de gains de productivité, ou si l’offre de travail est inférieure aux besoins de production, peut générer des tensions suite auxquelles la croissance effective du produit intérieur risque d’être inférieure à sa croissance potentielle. L’immigration permet alors de remédier à cette situation puisqu’elle signifie une augmentation de la main-d’œuvre disponible : les pressions inflationnistes diminuent et les entreprises peuvent accroître leur production. En période de récession, au contraire, le ralentissement de l’activité économique incite les employeurs à réduire leur demande de travail et ce sont, dans ce cas-là, les travailleurs immigrés qui sont souvent les premiers touchés, ce d’autant plus qu’ils sont souvent aussi les moins qualifiés (Bloch et Praderie, 1966). En outre, dans les régions soumises à des chocs négatifs, l’émigration se traduit par une diminution de l’offre de travail qui favorise la réduction du chômage, soit parce que les expatriés n’avaient pas de travail dans leur pays d’origine, soit parce que, étant sous-employés, leur départ permet une meilleure utilisation des ressources productives. L’argent que les émigrés envoient à leur famille restée au pays contribue par ailleurs à rétablir l’équilibre des balances des paiements et participe donc de l’ajustement [10].

13 Cette action contracyclique de la mobilité du facteur travail a été remise en cause par la théorie du « désajustement » qui considère au contraire que les migrations internationales jouent un rôle procyclique. Cassel (1923), par exemple, note que les mouvements migratoires ne correspondent jamais vraiment aux changements de conditions économiques : quand les nouveaux immigrants, attirés par l’expansion de l’activité agricole ou industrielle, arrivent dans leur pays d’accueil, un retournement de conjoncture peut s’être produit et ils ne font alors que rejoindre les rangs des chômeurs déjà touchés par la crise. De fait, le rôle de « soupape de sécurité » joué par les migrations internationales durant l’étalon-or se heurtait probablement à certaines imperfections liées aux délais de réaction des agents, ainsi qu’aux problèmes de transport et de communication de l’époque, mais cela ne remet pas pour autant en question un tel rôle, ce d’autant plus qu’il a fallu attendre les années 1930 pour que l’Etat commence à développer une fonction de régulation de la conjoncture. Avant cela, la politique budgétaire se contentait de rechercher l’équilibre des comptes et ne jouait par conséquent pas un rôle actif de stabilisation macroéconomique. En outre, dans une société où les chômeurs étaient soumis à la réprobation publique [11], les mécanismes d’assurance contre le chômage étaient limités à quelques rares caisses de secours gérées par les syndicats. Dans un tel contexte, le départ pour le « Nouveau Monde » représentait souvent beaucoup plus qu’un simple rêve : une condition de survie.

Les migrations internationales avant la Première Guerre mondiale

14 Entre 1870 et 1914, environ quarante millions d’Européens ont quitté leur pays. Si certains sont partis travailler dans les nations voisines, la majorité d’entre eux a pris le bateau pour rejoindre des contrées aussi lointaines que les Amériques ou l’Océanie. Ces migrations de masse, uniques par leur intensité et leur envergure, ont modifié profondément la répartition mondiale de la population. De ce fait, elles ont suscité la curiosité de nombreux chercheurs soucieux d’en comprendre la dynamique. L’analyse qui suit s’attache à montrer l’ampleur des mouvements migratoires jusqu’en 1913 ainsi que les explications « structurelles » de ce phénomène.

Des migrations massives

15 C’est la famine qui toucha l’Irlande dans les années 1845-1849 qui marque le début de l’émigration de masse en Europe. Ainsi, entre 1846 et 1913, environ cinq millions d’Irlandais ont-ils été contraints d’abandonner leur terre natale (Bairoch, 1997). Les progrès techniques en matière de transport et de communication ont largement favorisé ce processus, puisqu’ils ont permis à la fois de réduire les coûts de déplacement, notamment les voyages transcontinentaux, et d’améliorer l’information relative aux différents pays d’accueil. Dans ces conditions, il était plus facile pour les travailleurs affectés par les effets néfastes des crises économiques de prendre la décision de migrer. C’est d’ailleurs une population jeune, essentiellement masculine et dont le niveau d’éducation était généralement inférieur à la moyenne qui composait la majorité des candidats au départ [12].

1

Les principaux pays d’émigration

En milliers
Nombre d’émigrants 1870-1879 1880-1889 1890-1899 1900-1913 Total
Allemagne 631 1 362,5 604,6 369 2 967,1
Autriche-Hongrie 92,3 379,3 682,6 3 190,5 4 344,7
Belgique, Pays-Bas 208 344,6 433,5 861 1 847,1
Espagne 137,4 72,9 1 032,2 1 242,5
France 56,4 103,4 66,8 75,8 302,4
Irlande 603,3 804,8 449,4 482,3 2 339,8
Italie 1 163,3 1 783,2 2 699,2 8 497,3 14 143,0
Portugal 128,8 172,8 277 573,6 1 152,2
Royaume-Uni 2 011,8 2 568,1 1792 4 402,1 10 774,0
Russie 151 171,5 343,5 1 074,1 1 740,1
Suède, Norvège, Danemark 242,5 657,5 414,2 672,8 1 987,0
Total 5 288,4 8 485,1 7 835,7 21230,7 42839,9

Les principaux pays d’émigration

Sources : Ferenczi et Willcox (1929) ; Mitchell (1998b).

16 Le statut impérial du Royaume-Uni a contribué à faire de ce pays, avec l’Italie, l’un des principaux exportateurs de main-d’œuvre en Europe. Ensemble, ces deux pays représentaient près de 60 % des migrations européennes totales. Venaient ensuite l’Autriche-Hongrie, les pays scandinaves, la péninsule ibérique, l’Allemagne et l’Irlande. La France, pour sa part, se démarque de la plupart de ses voisins par un très faible niveau d’émigration.

17 L’immense majorité des émigrés du Vieux Continent adoptait les États-Unis comme foyer d’accueil : entre 1830 et 1914, plus de 33 millions d’Européens sont venus peupler les terres américaines, dont environ un tiers entre 1905 et 1914 (Bairoch, 1997). Après une première vague de migrations en provenance des îles britanniques, et en particulier d’Irlande, les arrivées se sont diversifiées : Allemagne et Scandinavie dans les années 1850-1880 ; puis, après 1880, Europe occidentale et méridionale. L’Amérique latine, pour sa part, a accueilli quelque dix millions de migrants entre 1870 et 1914 (Brasseul, 1998), le Brésil et l’Argentine constituant les deux principaux pays récepteurs (7,5 millions). Cet apport extérieur a permis à cette dernière de voir sa population doubler tous les vingt ans jusqu’en 1914 (Rouquié, 1998). Le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud arrivaient ensuite dans l’ordre de préférence des candidats à l’émigration, et principalement des Britanniques. Il convient de remarquer que certains pays pouvaient présenter des taux d’émigration nette positifs à certaines périodes et négatifs à d’autres, à l’image du Canada qui, après avoir été durant longtemps une terre d’immigration, a commencé à exporter ses travailleurs au cours des années 1890, avant de redevenir attractif pour la main-d’œuvre étrangère au tournant du siècle, grâce aux progrès réalisés par son industrie.

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Les principaux pays d’immigration

En milliers
Nombre d’émigrants 1870-1879 1880-1889 1890-1899 1900-1913 Total
Argentine 266 791 641 2 701 4 399,0
Australie 183 384 58,9 261 886,9
Brésil 193,2 453 1 211 1 237 3 094,2
Canada 329 851 374 2 794 4 348,0
États-Unis 2 741 5 247 3 695 12 160 23 843,0
Nouvelle-Zélande 191,1 149,7 194 496 1 030,8
Total 3 903,3 7 875,7 6 173,9 19 649 37 601,9

Les principaux pays d’immigration

Sources : Ferenczi et Willcox (1929) ; Mitchell (1998a, 1998c).

18 Si la majorité des migrants choisissaient de s’installer définitivement dans leur pays d’accueil, leurs aspirations et leur nouveau mode de vie ne correspondant souvent plus aux conditions de développement de leur nation d’origine, la proportion des retours était loin d’être négligeable : environ 30 %, selon les autorités américaines, durant la période 1890-1914 ; 47 % en ce qui concerne l’Argentine, entre 1857 et 1924 (Hatton et Williamson, 1994a). Les Italiens, les Grecs et les Espagnols, qui partaient souvent dans le but d’accumuler suffisamment d’argent pour pouvoir acheter de la terre une fois rentrés chez eux, représentaient la plus grande partie de ces expatriés temporaires. Mais, bien entendu, les migrations temporaires étaient encore plus fréquentes à l’échelle intra-européenne. En effet, avec le développement industriel du XIXe siècle, les manufactures et les sociétés de construction, et non plus seulement les exploitations agricoles, faisaient de plus en plus souvent appel à de la main-d’œuvre étrangère. Il y avait ainsi environ un million de migrants temporaires en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, dont la moitié d’Italiens. De tels mouvements se réalisaient sous l’impulsion des employeurs qui, grâce à cet apport supplémentaire de main-d’œuvre, pouvaient maintenir les salaires à un niveau plus bas que ce qu’il aurait été autrement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les salariés nationaux cherchaient parfois à s’opposer à l’afflux de travailleurs immigrés et que les mécanismes de la solidarité ouvrière mettaient parfois du temps à se mettre en place (Zolberg, 1993).

Les déterminants structurels

19 Le développement agricole et industriel du Nouveau Monde explique en grande partie les déplacements massifs de population durant le XIXe siècle et au début du XXe. La mise en valeur des terres en friche des Amériques ou de l’Océanie n’aurait, en effet, pu avoir lieu sans la contribution des immigrants ; et les villes, les usines ou les voies ferrées n’auraient pu être construites sans une main-d’œuvre étrangère attirée par le « rêve américain ». À cet égard, les écarts de revenus entre régions constituent un déterminant essentiel des mouvements migratoires : lorsque le revenu réel anticipé dans la région d’immigration est supérieur au revenu réel effectif dans la région d’origine, les taux d’émigration augmentent [13]. Plus les salaires réels sont bas, donc, et plus la propension à émigrer est élevée (Hatton et Williamson, 1998). En ce sens, comme le signale Bairoch (1997), la première phase de la révolution industrielle s’est accompagnée d’une dégradation des conditions de vie en Europe (accroissement de la pauvreté et aggravation des inégalités sociales) qui a favorisé les départs.

20 Malgré tout, « la fièvre américaine n’est pas une décision prise à la dernière minute et en désespoir de cause, mais en général une réponse réfléchie à des conditions de vie difficiles » (Green, 1994). Il faut en effet tenir compte du coût d’opportunité associé au déplacement : montant, durée et désagréments du transport [14], salaire non perçu durant le voyage, frais d’installation, probabilité de trouver un emploi dans le pays d’accueil, situation familiale du candidat à l’émigration, etc. Il existe notamment un seuil de revenu au-dessous duquel les départs sont très improbables, à moins que la cellule familiale ne se mobilise pour envoyer un de ses membres à l’extérieur. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le niveau d’émigration en Espagne à la fin du XIXe siècle était plus faible que dans les autres pays européens, relativement plus riches qu’elle (Sánchez-Alonso, 2000). En ce sens, le degré d’industrialisation, et par suite d’urbanisation, de l’économie influait de manière significative sur les flux migratoires, les travailleurs urbains paraissant plus sensibles aux écarts de salaires que les ouvriers agricoles. Habitués aux conditions de travail dans les villes, les ouvriers de l’industrie s’inséraient plus aisément dans les marchés du travail des pays récepteurs, ce qui explique sans doute leur plus grande mobilité. De fait, comme le signale Nancy Green (1994) : « L’émigration est souvent la seconde étape d’un long processus qui mène dans un premier temps de la campagne à la ville voisine avant de mener outre-Atlantique ».

21 La croissance démographique, qui s’est traduite par un excédent de population en Europe, a aussi largement favorisé l’accroissement des mouvements migratoires, les jeunes cherchant à l’étranger les opportunités qu’ils n’avaient pas chez eux. Easterlin (1961) a ainsi pu montrer qu’il existait un décalage d’environ vingt ans entre un boom démographique et l’expansion des flux migratoires, ce que les études empiriques postérieures paraissent confirmer (Hatton et Williamson, 1994b). À l’inverse, la baisse de la fertilité en Europe du Nord expliquerait en partie le ralentissement de l’émigration de cette région dès la fin du XIXe siècle [15]. Par ailleurs, les amis, les membres de la famille ou encore les voisins qui avaient déjà franchi le pas participaient du « mythe de l’ascension sociale » (Brun, 1980). Le fait de connaître des personnes proches qui ont réussi à l’étranger, de savoir qu’il y a des gens parlant leur langue, d’avoir quelqu’un pour les recevoir et faciliter leur intégration… contribuait certainement à encourager les candidats à l’émigration. En outre, beaucoup de nouveaux migrants partaient grâce à l’aide financière de leurs prédécesseurs. Ainsi, avant la Première Guerre mondiale, entre 30 et 40 % en moyenne des Européens du Sud et de l’Est voyageaient avec des billets prépayés [16]. Ce processus de « migrations en série » (migration chain) explique d’ailleurs la constitution de communautés régionales dans les pays d’accueil. En ce sens, il est possible de penser que les préférences culturelles, linguistiques ou raciales pouvaient, dans certains cas, primer sur les choix en termes de rémunérations ou de conditions du travail. Bien que difficilement quantifiable, ce type de préférences pourrait expliquer, entre autres, l’ampleur des mouvements de travailleurs entre l’Europe du Sud et l’Amérique latine (Taylor et Williamson, 1997).

22 Malgré l’importance des flux migratoires, les restrictions à l’entrée dans certains pays (Australie, États-Unis…), généralement sous la forme de quotas, ne permettaient pas une allocation optimale de la force de travail à l’échelle planétaire. D’autres obstacles à la libre circulation des personnes provenaient des barrières à la sortie que certains pays avaient décidé d’établir. En Russie, par exemple, afin d’éviter que les jeunes hommes n’échappent à la conscription, l’émigration était, la plupart du temps, considérée comme illégale (Foreman-Peck, 1992), même si cela n’a pas empêché quelque deux millions de Juifs de fuir la législation antisémite mise en place après l’assassinat d’Alexandre II en 1881 et les pogroms qui s’en suivirent. Il est à noter, toutefois, que la majorité des gouvernements européens encourageaient l’émigration, allant même parfois, comme dans le cas de la Suisse [17], jusqu’à subventionner les départs. La plus grande fluidité du marché du travail qui en résultait permettait en effet à l’industrie locale d’absorber la population active disponible, contribuant de ce fait à atténuer les tensions sociales générées par le surpeuplement et à renforcer ainsi la « cohésion nationale » (Brasseul, 1998).

Cycles migratoires et fluctuations économiques

23 Hatton et Williamson (1998) soulignent que les migrations de masse d’avant la Première Guerre mondiale s’inscrivaient essentiellement dans un mouvement à long terme [18]. De fait, la décision de migrer répondait à une volonté clairement définie d’améliorer des conditions de vie souvent pénibles. Quoi qu’il en soit, les fluctuations de l’activité économique constituaient certainement une incitation supplémentaire à se déplacer, surtout pour les ouvriers confrontés au problème du chômage. La majorité des études réalisées en ce sens observent d’ailleurs, à la suite des travaux de Jerome (1926), le caractère cyclique des migrations internationales : une expansion dans le pays d’accueil, conjuguée à une période de dépression dans les pays d’émigration, se traduisait par un accroissement du rythme des départs ; inversement, un ralentissement de l’activité économique dans les nations d’immigration pouvait contribuer à freiner les arrivées, et ce d’autant plus que les conditions du marché du travail s’amélioraient dans le pays d’origine.

Le caractère cyclique des migrations internationales

24 L’examen des mouvements internationaux de travailleurs avant la Première Guerre mondiale (graphique 2) permet de constater un comportement cyclique et, fort logiquement, un très grand parallélisme entre l’émigration dans les principaux pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Hongrie, Irlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Russie et Suède) et l’immigration dans les pays du Nouveau Monde (Argentine, Australie, Brésil, Canada, États-Unis et Nouvelle-Zélande). Les principales tendances de ces cycles migratoires sont résumées dans le tableau 3.

2

Migrations internationales entre 1870-1913

2

Migrations internationales entre 1870-1913

Source : Mitchell, 1998abc.
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Les principales phases des cycles migratoires entre 1871 et 1913

Comportement du cycle Emigration en Europe Immigration dans le Nouveau Monde
Accroissement 1871-1873 1871-1873
Diminution 1873-1877 1873-1878
Accroissement 1877-1883 1878-1882
Diminution 1883-1885 1882-1886
Accroissement 1885-1888 1886-1888
Diminution 1888-1890 1888-1890
Accroissement 1890-1891 1890-1891
Diminution 1891-1894 1891-1894
Accroissement 1894-1896 1894-1896
Diminution 1896-1898 1896-1898
Accroissement 1898-1903 1898-1907
Diminution 1903-1904
Accroissement 1904-1907
Diminution 1907-1908 1907-1909
Accroissement 1908-1910 1909-1910
Diminution 1910-1911 1910-1911
Accroissement 1911-1913 1911-1913

Les principales phases des cycles migratoires entre 1871 et 1913

Sources : Mitchell, 1998abc.

25 Outre la fréquence des retournements de cycle, c’est l’ampleur des variations qui est frappante. Ainsi, après avoir chuté de 60 % entre 1873 et 1877, l’émigration européenne a enregistré une hausse de quasiment 200 % entre 1877 et 1883. De même, dans le Nouveau Monde, une augmentation de l’immigration de 71 % entre 1886 et 1888 a succédé à une contraction de 45 % entre 1882 et 1886.

26 Ces cycles migratoires se retrouvent bien évidemment à l’échelle nationale. L’émigration anglaise, par exemple, était soumise à d’importantes variations : après une diminution de 69 % entre 1873 et 1877, le nombre d’émigrants augmentait, seulement entre 1878 et 1880, de 102 % ; pareillement, suite à une baisse de 33 % entre 1907 et 1908, l’émigration enregistrait une hausse de 38 % entre 1909 et 1910. Le flux des émigrants italiens était lui aussi sujet à de nombreux soubresauts : les années 1874, 1889 ou encore 1908, ont ainsi été marquées par des diminutions du nombre de migrants de, respectivement, 29 %, 25 % et 31 % par rapport à l’année antérieure, tandis que les années 1879, 1888 et 1905 voyaient croître l’émigration de 24 %, 35 % et 54 %.

3

Émigration : Italie et Royaume-Uni

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Émigration : Italie et Royaume-Uni

Source : Mitchell, 1998b.

27 Les pays scandinaves se sont, eux aussi, caractérisés par une forte volatilité des flux de migration. Ainsi, la Suède a enregistré, au cours de l’année 1880, une hausse du nombre de sorties de 139 %, alors qu’en 1894, l’émigration baissait de 67 %. La Norvège, quant à elle, a vu la quantité de ses émigrants croître de 166 % en 1880 et, au contraire, chuter de 70 % en 1894. Il est à cet égard intéressant de noter la symétrie des cycles migratoires entre le Danemark, la Suède et la Norvège (graphique 4), les coefficients de corrélation entre les taux de variation des émigrants de ces pays étant de 0,9 pour la Suède et la Norvège, de 0,6 pour la Suède et le Danemark et de 0,7 pour le Danemark et la Norvège.

4

Émigration : pays scandinaves

4

Émigration : pays scandinaves

Source : Mitchell, 1998b.

28 Les fluctuations migratoires peuvent aussi être constatées dans la plupart des pays d’accueil. Ainsi, le nombre des immigrants aux États-Unis augmentait, en 1880, de 157 % par rapport à 1879 mais diminuait de 51 % entre 1892 et 1894. De manière générale, les périodes les plus longues d’accroissement (1898-1903) ou de diminution (1873-1878) n’ont duré que cinq ans. Quant aux pays latino-américains, comme le Brésil ou l’Argentine, ils alternaient des périodes de très fortes hausses (Argentine : + 232 % entre 1886 et 1889, + 336 % entre 1902 et 1906 ; Brésil : + 303 % entre 1886 et 1888, + 175 % entre 1894 et 1895) et des périodes d’importantes baisses (Argentine : – 87 % entre 1889 et 1891, – 22 % entre 1910 et 1911 ; Brésil : – 60 % entre 1891 et 1892, – 76 % entre 1895 et 1900). A la différence des pays européens, et en particulier des pays scandinaves, les cycles migratoires entre le Brésil et l’Argentine n’étaient que très faiblement synchronisés.

5

Immigration : États-Unis (1870-1913)

5

Immigration : États-Unis (1870-1913)

Source : Mitchell, 1998c.
6

Immigration : Argentine et Brésil

6

Immigration : Argentine et Brésil

Source : Mitchell, 1998c.

Les migrations comme mécanisme d’ajustement

29 Il semblerait que les cycles migratoires durant la période de l’étalon-or aient été étroitement liés aux variations de l’activité économique (Jerome, 1926 ; Thomas, 1954 ; Gould 1979) : les phases d’expansion dans les pays d’immigration, et notamment aux États-Unis, généraient des vagues d’émigration importantes en Europe, et en particulier dans les pays scandinaves (Hatton et Williamson, 1998), tandis que les périodes de crise se traduisaient par une diminution sensible des flux de sorties [19]. Ainsi, la prospérité économique des années 1877-1882 (+ 7,6 % de croissance annuelle) a-t-elle contribué à attirer un nombre important de migrants sur le sol américain (789 000 en 1882 contre 142 000 en 1877). De même, l’année 1907, qui constitue le record en termes d’immigration aux États-Unis (1,3 millions de nouveaux arrivants), a fait suite à une année de forte croissance du PIB (+ 11,5 %). Au contraire, la dépression des années 1893 et 1894 (– 4,8 % et – 2,9 %, respectivement) s’est accompagnée d’un recul massif du nombre d’immigrants : – 55,3 % entre 1892 (580 000) et 1895 (259 000).

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États-Unis : relation entre cycles migratoires et cycles économiques (1871-1913)

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États-Unis : relation entre cycles migratoires et cycles économiques (1871-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998c.
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Hongrie : relation entre cycles migratoires et cycles économiques américains (1872-1913)

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Hongrie : relation entre cycles migratoires et cycles économiques américains (1872-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998bc.
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Suisse : relation entre cycles migratoires et cycles économiques américains (1871-1913)

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Suisse : relation entre cycles migratoires et cycles économiques américains (1871-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998bc.

30 Au-delà des fluctuations de l’activité économique, la plupart des études empiriques portant sur les cycles migratoires ont montré que la situation du marché du travail dans le pays récepteur influait de manière significative sur les déplacements de main-d’œuvre (Kelley, 1965 ; Galleway et Vedder, 1971 ; Richardson, 1972 ; Hatton et Williamson, 1998).

4

Taux de corrélation entre le taux d’émigration national et le taux de chômage aux États-Unis (1890-1913)

Pays Coefficient de corrélation
Allemagne – 0,15
Autriche – 0,62
Belgique – 0,48
Danemark – 0,68
Espagne – 0,20
France – 0,28
Hongrie – 0,66
Irlande – 0,17
Italie – 0,56
Norvège – 0,70
Pays-Bas – 0,14
Portugal – 0,16
Royaume-Uni – 0,53
Russie – 0,45
Suède – 0,45
Suisse – 0,54

Taux de corrélation entre le taux d’émigration national et le taux de chômage aux États-Unis (1890-1913)

Source : Calculs de l’auteur.

31 La possibilité de trouver un emploi rapidement constituait en effet une variable explicative essentielle dans la décision de migrer. Jerome (1926) a ainsi montré qu’en l’absence de restrictions à l’entrée des travailleurs étrangers, les fluctuations migratoires suivaient de près les variations du taux de chômage aux États-Unis, ce que l’examen du graphique 10 semble confirmer.

10

États-Unis : relation entre taux d’immigration et taux de chômage (1890-1913)

10

États-Unis : relation entre taux d’immigration et taux de chômage (1890-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998c et Romer, 1986.

32 Le graphique 11 suggère que l’immigration en Australie était, elle aussi, étroitement liée à l’évolution du marché du travail de ce pays. De fait, dans une étude portant sur l’émigration du Royaume-Uni entre 1879 et 1913, Hatton (1993) estime qu’une hausse de l’emploi de 10 % dans les pays d’Outre-Mer avait pour conséquence un accroissement du taux annuel d’émigration d’environ 4 ‰. En ce sens, les migrations étaient particulièrement sensibles aux conditions de l’emploi dans les secteurs qui absorbaient le plus de main-d’œuvre étrangère, comme l’agriculture ou la construction.

11

Australie : relation entre taux d’immigration et taux de chômage (1901-1913)

11

Australie : relation entre taux d’immigration et taux de chômage (1901-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998a.

33 Il convient toutefois de remarquer qu’il existait un léger décalage entre le moment où les modifications sur le marché du travail s’opéraient et celui où les travailleurs prenaient la décision de migrer. Le délai de réaction était généralement compris entre un et cinq mois, mais pouvait aller jusqu’à un an dans certains cas (Jerome, 1926). L’incertitude quant aux possibilités de trouver un emploi à l’étranger contribuait à l’existence de ce décalage. Même si les conditions propices au départ étaient réunies, il fallait en effet un certain temps avant que les migrants potentiels ne se décident à franchir le cap. Cette attitude permettait à des agents adverses au risque de se prémunir contre un retournement de tendance.

34 À ce sujet, certaines objections ont été apportées quant à la capacité des futurs migrants, souvent des personnes d’origine modeste, à connaître avec précision les taux de chômage et les opportunités d’emploi dans les autres pays, notamment ceux d’Outre-Mer. La distance et le manque de moyens de communication n’auraient en effet pas permis aux candidats à l’émigration d’avoir accès à une telle information [20]. Pourtant, comme le fait remarquer Gould (1979), il existait un canal d’information assez répandu et relativement fiable : le courrier de personnes de la famille ou d’amis déjà sur place. Ceux-ci étaient les témoins directs des conditions d’embauche, des salaires en vigueur et bien entendu des licenciements. De ce fait, il est possible de supposer que les nouvelles sur le marché du travail circulaient assez bien, et encore plus à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, quand le nombre des émigrés était déjà très élevé et que les progrès en matière de communication ont permis de réduire les délais de transmission de l’information. À cet égard, la chute de l’immigration en Argentine après la crise de la banque Baring en 1890 semble témoigner de la qualité de l’information de l’époque (voir graphique 6).

35 Si les conditions économiques dans le pays d’accueil (pull factors ou « facteurs d’attraction ») sont déterminantes, elles n’expliquent pas à elles seules les forts courants migratoires d’avant la Première Guerre mondiale. L’amplitude des migrations dépendait également en partie de la conjoncture nationale (push factors ou « facteurs de répulsion »). De fait, les cycles économiques domestiques jouaient un rôle majeur dans les déplacements de main-d’œuvre. Ainsi, les années 1877-1879, qui ont été marquées par une dépression en Suède, se sont-elles accompagnées d’une hausse importante du taux d’émigration (9,2 % en 1880 contre 1,7 % en 1877, soit une augmentation moyenne d’environ 75 % par an).

12

Suède : relation entre cycles migratoires et cycles économiques (1871-1913)

12

Suède : relation entre cycles migratoires et cycles économiques (1871-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998b.

36 L’émigration italienne était elle-aussi sensible aux fluctuations de l’activité nationale : après une chute du PIB de 6,7 % en 1881, le nombre de migrants a augmenté de 13,3 % en 1881 et de 19 % en 1882 ; au contraire, la forte croissance du PIB en 1907 (+11,3 %) s’est traduite par une diminution significative des départs (– 10,6 % en 1907 et – 30,9 % en 1908). Dans la même optique, Fenoaltea (1988) montre qu’un déséquilibre de la balance des paiements italienne se traduisait par un accroissement du volume d’émigration qui permettait à la fois de compenser la dégradation de l’emploi et de financer les déficits commerciaux grâce aux transferts de fonds des immigrés. Ce phénomène se serait d’ailleurs amplifié à partir de 1887 quand l’investissement international, notamment britannique, a commencé à diminuer, contraignant l’Italie à faire supporter l’ajustement au facteur travail. Il est à noter que cette relation étroite entre émigration et balance commerciale s’inscrit dans la logique des zones monétaires optimales où un déséquilibre de la balance des paiements courants se voit compensé, entre autres, par la mobilité du facteur travail.

37 Il semblerait enfin que les retours vers le pays d’origine étaient, eux aussi, étroitement liés aux cycles économiques : une dégradation de l’emploi dans le pays récepteur favorisait le retour des migrants vers leur pays d’origine, et ce d’autant plus que les derniers arrivés dans l’entreprise — donc les immigrants les plus récents — étaient très souvent les premiers à être licenciés en cas de ralentissement de la demande, selon le principe du « last in, first out » (Gould, 1979). Ainsi, en 1907-1908, années marquées par une récession aux États-Unis, les retours vers la Hongrie dépassèrent les départs (Green, 1994). Par ailleurs, il arrivait que des ouvriers, généralement les plus qualifiés, traversent, au cours de leur vie, plusieurs fois l’Atlantique en fonction des fluctuations de l’activité. Tel était notamment le cas des mineurs ou de certains corps de métiers du bâtiment. Les différents marchés de l’emploi auxquels ces travailleurs se trouvaient confrontés n’en formaient alors plus qu’un.

13

Italie : relation entre taux d’émigration et balance commerciale (1870-1913)

13

Italie : relation entre taux d’émigration et balance commerciale (1870-1913)

Source : Élaboré à partir des données de Mitchell, 1998b.

38 De fait, la conjonction des cycles économiques nationaux et internationaux et leur influence sur les mouvements migratoires permet de souligner l’existence d’une « économie atlantique », c’est-à-dire un système économique dont les échanges commerciaux et les mouvements de facteurs se voyaient déterminés par les fluctuations de l’activité des deux côtés de l’océan (Brinley Thomas, 1954). Dans un tel système, les migrations internationales pouvaient alors s’entendre comme des déplacements inter-régionaux. Ainsi, dans son étude sur l’émigration suédoise, Dorothy Thomas (1941) considère que la bonne santé économique aux États-Unis ne constituait un facteur de départ des Suédois que dans la mesure où l’industrie nationale se trouvait déprimée [21], ce qui a été confirmé par la suite par les études empiriques effectuées par Wilkinson (1967) et Quigley (1972). Dans la même perspective, Kelley (1965) souligne l’interaction entre les différents marchés du travail de l’ancien Empire britannique et les migrations au sein de cet Empire : les phases de prospérité aux États-Unis, au Canada ou en Afrique du Sud se traduisaient par une diminution de l’immigration en Australie, tandis que le ralentissement de l’activité dans l’un ou l’autre de ces pays, et particulièrement aux États-Unis, contribuait à l’accroissement des flux migratoires vers l’Océanie (du moins quand les cycles économiques de ces différentes zones n’étaient pas synchronisés).

39 Mais, au-delà des relations commerciales et de la forte mobilité des facteurs de production, c’est l’adhésion à un système monétaire commun qui caractérise les années 1870-1913. Or, il est troublant de constater que la période de l’étalon-or « classique » a été marquée par des flux migratoires d’une ampleur inégalée et surtout que les cycles migratoires ont ainsi pu être liés aux fluctuations de l’activité économique et de l’emploi dans les différents pays membres. L’Allemagne et la France, dont les marchés financiers étaient probablement suffisamment développés pour leur permettre de réaliser les ajustements nécessaires sans avoir à expatrier une partie de leur main-d’œuvre, constituaient à ce titre une exception notable [22]. Il existait par ailleurs en France une connexion étroite entre les mondes ouvrier et agricole : la parcellisation des terres qui a suivi la Révolution a contribué à maintenir une proportion élevée de population rurale [23] et les ouvriers étaient souvent aussi des paysans. Par suite, « en cas de crise industrielle, l’activité agricole sert de tampon et limite la montée du chômage urbain […]. Au travers de la petite propriété paysanne, les relations familiales servent d’amortisseur à la crise » (Vidal, 2001). Cette spécificité française explique peut-être le rôle mineur dévolu à l’émigration comme mécanisme d’ajustement. Dans le même sens, il semblerait que l’abandon de l’objectif de stabilité des changes [24] ait aidé l’Espagne et le Portugal à atténuer l’impact des chocs asymétriques sur leur économie respective. Le rôle de stabilisateurs automatiques des taux de change flexibles expliquerait alors en partie le niveau relativement bas de leur taux d’immigration par rapport aux autres pays européens.

Conclusion

40 Si le lien entre cycles migratoires et fluctuations de l’activité économique semble avéré, en revanche, l’influence de l’étalon-or dans ce processus reste à établir. Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de prétendre que le système monétaire international en place était à l’origine des déplacements massifs de population qui ont eu lieu avant la Première Guerre mondiale. Le poids des déterminants structurels, en particulier les différences de niveau de vie, était bien trop important pour arriver à une telle conclusion. Quoi qu’il en soit, les indices d’un lien entre régime de changes et mouvements migratoires abondent. C’est d’ailleurs ce qui permet à Panic (1992) d’affirmer que l’un des « secrets de la durabilité et du succès de l’étalon-or » résidait dans la mobilité de la force de travail.

41 Mais, après la Première Guerre mondiale, les restrictions à l’immigration se sont généralisées. Ainsi, un rapport officiel présenté au Sénat par la Commission sur l’Immigration aux États-Unis (1911) considérait que les immigrants constituaient des concurrents pour les travailleurs nationaux, notamment les moins qualifiés, et contribuaient à maintenir les salaires réels à un bas niveau. Ce constat, bien que discutable, s’est traduit par la mise en place de mesures visant à contrôler l’immigration. L’instauration, en 1921, d’un système de quota, en fonction du pays de naissance, a alors entraîné une réduction massive du nombre des immigrés sur le sol américain. Le Canada, pour sa part, a cherché à limiter, dès 1923, les flux d’entrées des migrants en provenance d’Asie, puis, à partir de 1933, ceux originaires de l’Europe du Sud et de l’Est. De même, en 1925, l’Australie promulguait une loi qui restreignait, à travers l’adoption de critères de nationalité et d’occupation, l’admission des non-Britanniques sur son territoire. Après les pays développés d’Outre-Mer, les nations européennes d’accueil, en particulier la France et la Belgique, commencèrent à durcir leur politique en ce domaine, tout comme les pays d’Amérique latine, eux aussi touchés par l’onde de choc de la Grande dépression. Dès lors, les migrations cessèrent de jouer leur rôle d’amortisseur face aux chocs économiques et l’ajustement dut changer de registre : les taux de changes fixes furent abandonnés et l’intervention de l’État en matière de régulation de la conjoncture commença à se généraliser.

42 Conséquence du système monétaire en vigueur ou simple coïncidence ? Toujours est-il que la période de l’étalon-or classique correspond à une phase de l’histoire économique exceptionnelle en termes de flux migratoires internationaux alors que la contraction des flux migratoires à partir des années 1920 s’est accompagnée d’un retour au flottement des monnaies. La fin de la libre mobilité des travailleurs aurait-elle précipité la chute de l’étalon-or ? Si tel était le cas d’importantes conclusions en matière de politiques migratoires devraient en être tirées. En effet, si la mondialisation d’aujourd’hui est marquée par des flux très importants de biens, de services et de capitaux, en revanche les flux migratoires internationaux demeurent limités, y compris au sein de l’Union européenne où les travailleurs peuvent pourtant circuler librement [25]. L’existence de barrières à la fois culturelles et linguistiques participe de ce compartimentage des marchés du travail nationaux, même si l’expérience des migrations au XIXe siècle montre qu’il ne s’agissait pas à l’époque d’un obstacle véritable. Le monde actuel n’est donc pas une zone monétaire optimale et ceci peut expliquer en partie la nécessité de recourir à des taux de change flexibles. La flexibilité des changes, dans cette perspective, ne devrait alors plus être considérée comme un instrument d’ajustement optimal face à des chocs asymétriques, mais plutôt envisagée comme une solution de second rang.

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Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier Jean-Paul Fitoussi et Jacques Le Cacheux pour l’opportunité qu’ils m’ont donnée de mener à bien ce travail de recherche au sein du Département des études de l’OFCE, ainsi que Marc Flandreau, mon directeur de thèse, pour le temps qu’il a bien voulu consacrer à la lecture et au commentaire critique des versions antérieures de ce texte.
  • [1]
    Selon Sánchez-Alonso, la dépréciation de la peseta surenchérissait le prix des titres de transports (libellés en monnaies convertibles en or), tandis que l’épargne potentielle des futurs émigrants en monnaie étrangère se voyait affectée par la perte de valeur de la peseta. Ceci signifiait, toutes choses égales par ailleurs, que le coût de l’émigration (dépenses durant le voyage et frais d’installation dans le pays d’accueil) augmentait avec la dépréciation de la monnaie.
  • [2]
    L’analyse repose sur l’argument selon lequel les migrations internationales se traduisent par une hausse relative des salaires réels dans les pays d’émigration : le départ d’une quantité importante de personnes entraîne une concurrence moindre sur le marché du travail de ces pays ; l’arrivée massive de main-d’œuvre dans les pays d’accueil tend au contraire à y faire baisser les salaires réels (Williamson, 1996).
  • [3]
    Si les chocs sont symétriques, leur impact sur les économies est identique et le coût de renonciation à l’instrument de changes devient nul.
  • [4]
    « L’effet de cliquet, par le biais duquel les variations des salaires nominaux sont flexibles à la hausse mais contraintes à la baisse, est connu depuis longtemps, même là où le travail n’est pas organisé » (Phelps et Browne, 1968).
  • [5]
    L’inflation faciliterait l’ajustement dans la mesure où une baisse de salaires réels n’implique pas forcément une diminution des salaires nominaux (Akerlof, Dickens et Perry, 1996 ; Groshen et Schweitzer, 1996).
  • [6]
    « Quand le commerce va bien, la forte concurrence entre les employeurs, qui veulent faire fructifier leurs affaires et profiter au maximum des rendements élevés, les conduit à accepter de mieux payer leurs employés afin d’obtenir leurs services » (Marshall, 1920).
  • [7]
    Cette analyse s’inscrit dans le cadre de la théorie des « contrats implicites » proposée par Azariadis et Stiglitz (1983).
  • [8]
    Quand la mobilité des capitaux est limitée, le déséquilibre ex ante qu’il peut exister entre épargne et investissement est résolu via une modification du taux d’intérêt qui permet de rétablir l’équilibre ex post (d’où une forte corrélation entre épargne et investissement). En revanche, lorsque les capitaux circulent librement d’un pays à l’autre, le déséquilibre initial est compensé par des flux nets de capitaux et la corrélation entre épargne et investissement domestiques devient faible (Feldstein et Horioka, 1980).
  • [9]
    Ce manque de maturité se caractérise notamment par ce que Haussman (2000) appelle le « péché originel » : « Une monnaie souffre du péché originel lorsqu’il est impossible de s’en servir pour emprunter à l’étranger, et même pour emprunter à long terme sur son marché national ».
  • [10]
    Williamson (1996) fait remarquer que les déplacements de main-d’œuvre s’accompagnent généralement de mouvements de capitaux des pays d’émigration vers les pays d’immigration, liés aux différentiels de rentabilité qui en découlent. L’immigration est en effet à l’origine d’une diminution du rapport capital/travail dans le pays d’accueil qui se traduit par une augmentation de la productivité marginale du capital. À l’inverse, les pays d’émigration voient leur intensité capitalistique croître du fait du départ d’une partie de la force de travail. La baisse de productivité marginale du capital qui s’en suit a pour conséquence une fuite des capitaux vers les pays récepteurs de main-d’œuvre, qui compense partiellement les transferts de fonds des migrants vers leur pays d’origine. Les États-Unis, le Canada, l’Australie et, à une moins grande échelle, les pays latino-américains absorbaient ainsi une grande proportion de l’investissement international durant la période de l’étalon-or (Bairoch, 1997), ce qui a permis à leur économie d’atteindre un rythme de croissance à la fois élevé et soutenu.
  • [11]
    Selon Adolphe Thiers (1850), « Nul ne doit faire peser sur la société le fardeau de sa paresse ou de son imprévoyance » (cité par Lévy ;1987, p.56).
  • [12]
    À ce titre, il est possible de parler, comme le suggère Tapinos (1974), d’émigration « sélective », étant donné que « la population migrante ne constitue pas un échantillon significatif de l’ensemble de la population du pays émetteur ».
  • [13]
    Dans le cas d’une émigration temporaire, l’analyse doit aussi tenir compte du niveau d’épargne qu’il est possible d’accumuler pendant la période d’expatriation (lui-même fonction non seulement du salaire mais aussi du coût de la vie sur place). La capacité d’épargner détermine en effet le revenu réel anticipé dans le pays d’origine une fois le migrant revenu chez lui (Tapinos, 1974).
  • [14]
    Le problème du transport explique en partie, comme l’ont souligné Thomas (1954) ou Kelley (1965), le plus grand degré d’attractivité de l’Amérique du Nord par rapport à l’Océanie.
  • [15]
    « Le Diable Malthusien traversait le continent européen de l’Irlande vers l’Allemagne, puis se dirigeait vers l’Europe du Sud et de l’Est où son emprise était la plus forte de toutes » (Thomas, 1954).
  • [16]
    Durant la période 1908-1914, 32,1 % des immigrants aux États-Unis auraient voyagé avec des billets prépayés (Jerome, 1926).
  • [17]
    Au XIXe siècle, il arrivait qu’en période de récession les communes suisses versent des subventions (en général 400 francs suisses ou six mois de salaire pour un ouvrier) afin d’inciter les plus démunis à partir. Les émigrants devaient alors s’engager à ne plus revenir sur le territoire national, sous peine de devoir rembourser la somme reçue au taux annuel de 4 % (von Allmen, 2001).
  • [18]
    « Des variations de l’activité économique ou de l’emploi étaient largement responsables des fluctuations autour de la tendance à long terme, mais elles ne représentaient qu’une part très faible de la variation totale des taux d’émigration » (Hatton et Williamson, 1998).
  • [19]
    L’existence d’un léger décalage entre les fluctuations de l’activité et les mouvements de population permet de conclure à l’élasticité de l’immigration aux cycles économiques et non pas l’inverse.
  • [20]
    « Les nouvelles sur la prospérité américaine peuvent-elles avoir traversé l’Atlantique, avoir touché des milliers de paysans en Allemagne, en Irlande ou en Scandinavie, les avoir amenés à décider qu’il était temps de partir, de trouver les moyens de réaliser le voyage, de faire le long déplacement jusqu’au port d’embarquement, puis le périple en bateau jusqu’en Amérique — tout cela en moins de six mois ? C’est très improbable qu’un tel lien de cause à effet puisse se produire en aussi peu de temps. » (Carter, 1955).
  • [21]
    « Dans les années fastes, l’industrie suédoise pouvait faire oublier l’attrait de l’Amérique ; et les pressions à l’émigration dans l’agriculture ne s’exerçaient que quand une dépression de l’industrie suédoise s’accompagnait d’une amélioration des conditions économiques dans le Nouveau Monde » (Thomas, 1941).
  • [22]
    Sur la période 1870-1913, le taux d’émigration moyen était de 0,2 ‰ en France et de 1,4 ‰ en Allemagne, contre 4,3 ‰ aux Pays-Bas, 6,6 ‰ en Norvège ou encore 10,1 ‰ en Italie.
  • [23]
    En 1901, le secteur agricole représentait 43,4 % de la population active totale française, contre 35,7 % en Allemagne (1895), 32,1 % en Belgique (1900) et 12 % au Royaume-Uni (1901).
  • [24]
    L’Espagne a renoncé à assurer la convertibilité de sa monnaie en or en 1883 ; le Portugal en 1891.
  • [25]
    « Sur les 370 millions d’habitants que compte l’Union européenne, le nombre de citoyens résidant dans un autre État membre n’est que de 5,5 millions », c’est-à-dire 1,5 % de la population européenne (Veil, 1997).

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