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Article de revue

Chapitre 4 - Droits des peuples indigènes aux Philippines

Pages 75 à 85

1 L’expérience Métagora aux Philippines s’est focalisée sur les droits de la population indigène. Le processus participatif très dynamique qui a présidé à la conception, la préparation et la réalisation de l’enquête pilote a permis de mettre sur pied l’une des structures nationales du projet Métagora les plus solides et représentatives (voir encadré ci-dessous).

Contexte

2 On estime aujourd’hui que les peuples indigènes représentent un sixième de la population nationale aux Philippines. La Loi sur les droits des peuples indigènes (Indigenous Peoples Rights Act, IPRA), entrée en vigueur en 1997, entend combattre leur marginalisation et leur impuissance. Elle vise à remédier aux injustices subies par les peuples indigènes au cours de l’histoire, peuples dont les droits, l’identité culturelle et les territoires ancestraux avaient été aliénés d’abord par la jura regalia – loi féodale imposée par la Couronne espagnole –, puis, dans les faits, par le gouvernement colonial américain et enfin par la République des Philippines. Pour la première fois, l’IPRA a établi les droits de la population indigène et jeté les bases d’une politique publique proactive prévoyant des procédures d’application et l’allocation de fonds. L’IPRA reconnaît et promeut notamment : les droits des peuples indigènes sur leurs terres et domaines ancestraux ; leur droit à l’autogestion ; des droits économiques et sociaux ; l’intégrité culturelle, notamment en termes de culture, traditions et institutions indigènes.

3 Ces différents aspects sont intimement liés et renvoient tous au principe de restituer aux autochtones la propriété de leurs domaines ancestraux, c’est-à-dire non seulement des terres agricoles mais également des ressources naturelles qui s’y trouvent. Ces domaines sont la propriété de la communauté, de génération en génération : ils ne peuvent donc pas être vendus, cédés ou détruits. Aujourd’hui, les peuples indigènes revendiquent la propriété de 5.2 millions d’hectares soit 17,5 % de la superficie totale du pays. Dans ce cadre, la Commission nationale pour les peuples indigènes (National Commission on Indigenous Peoples, NCIP), organisme gouvernemental chargé de l’application de l’IPRA, assure deux missions principales : délimiter les territoires et attribuer les titres de propriété des terres et domaines ancestraux ; encourager l’élaboration de plans de développement durable et favoriser l’instauration de mécanismes de consultation et d’instances de représentation des peuples indigènes à l’échelon provincial, régional et national.

Périmètre et objectif de l’expérience

4 L’expérience Métagora aux Philippines s’est focalisée sur la mise en œuvre de la Loi sur les droits des peuples indigènes. Une enquête pilote a été conduite dans trois régions du nord du pays, où la concentration de populations autochtones est la plus forte. Bien que relativement circonscrite, cette enquête se sera avérée particulièrement significative et riche en enseignements.

5 L’objectif de l’enquête était de mettre au point les méthodes et outils d’une évaluation basée sur les faits, associant démarches quantitative et qualitative. Elle visait à mesurer quatre aspects des droits des peuples indigènes sur leurs terres et domaines ancestraux :

6

  • la perception et la conscience de leurs droits par les communautés indigènes ;
  • l’exercice ou la violation de ces droits ;
  • les mesures prises par le gouvernement ou issues du droit coutumier pour l’exercice de ces droits ;
  • l’accessibilité des voies de recours ou de mise en œuvre de ces droits.

Processus consultatif

7 Conformément à l’approche ascendante de Métagora, le processus a commencé par des consultations et des rencontres avec des représentants des peuples indigènes et des experts de terrain, afin de sélectionner les problématiques à inclure dans l’enquête pilote et d’en définir la conception d’ensemble. La Commission nationale pour les peuples indigènes a joué un rôle capital de facilitation et d’assistance lors des consultations avec les autochtones, fournissant également des avis éclairés sur les sujets à approfondir dans l’enquête.

8 Un premier séminaire de consultation s’est tenu à Baguio en juin 2004 rassemblant une quarantaine de représentants des communautés indigènes du nord des Philippines. Cette consultation fut suivie de réunions bilatérales avec les chefs des tribus visées par l’enquête, puis un second séminaire s’est tenu en septembre 2004. Ce processus participatif a démontré :

9

  • le caractère central de la question foncière dans tout ce qui a trait à l’exercice ou à la réparation des droits des indigènes, particulièrement leurs droits sociaux, économiques et culturels ;
  • l’étroite interrelation entre les problèmes de droits de l’homme, de gouvernance et de démocratie que rencontrent les populations indigènes ;
  • la nécessité d’adapter les règles relatives aux droits de l’homme au contexte culturel particulier de ces populations ;
  • la pertinence politique de l’enquête envisagée, qui devait mesurer si les lois nationales (IPRA) et internationales de protection des droits de l’homme sont réellement appliquées, et de quelle manière.

10 Par ailleurs, les consultations ont mis en lumière un certain nombre de points institutionnels et pratiques, tels que l’obligation légale d’obtenir un « consentement libre et éclairé préalable » de la part des communautés indigènes devant participer à l’enquête. Une procédure simplifiée, dite « consultation sur les territoires ancestraux » a ainsi été mise en œuvre dans trois régions du nord du pays.

Conception de l’enquête

11 Dans chacune de ces trois régions (Régions I, II/III et Cordillère), un territoire ancestral a été choisi sur les trois critères suivants : le territoire devait être peuplé par l’une des tribus principales (ce qui garantissait la communauté de langue et de culture), accessible et situé dans des zones où l’enquête pourrait être conduite en toute sécurité (en excluant donc celles où sévit de façon endémique l’insécurité ou la violence politique). Trois tribus cibles autochtones ont ainsi pu être identifiées : les Bago, les Bugkalot/Ilongot et les Kankanaey.

12 Un projet de questionnaire (en anglais) a été examiné par le Groupe consultatif d’experts, en association avec toutes les parties prenantes et les partenaires Métagora. Puis il a été traduit dans les différents dialectes locaux : l’Ilocano (tribu Bago), le Bugkalot/Ilongot et le Kankanaey, puis a fait l’objet d’un double pré-test dans deux localités différentes pour vérifier que la traduction était conforme et appropriée.

13 Des discussions thématiques (Focus group discussions, FGD) ont été organisées en janvier 2005 avec trois groupes différents dans chaque tribu : chefs de tribu, femmes et jeunes. Leur objectif était double : avant de réaliser l’enquête, elles visaient à recueillir des informations qualitatives utiles pour enrichir et affiner le questionnaire ; et, après la réalisation, à compléter et contextualiser grâce à ces informations les données quantitatives issues des réponses au questionnaire (voir Encadré 4.1).

14 Toutes les personnes impliquées dans la réalisation de l’enquête (particulièrement les enquêteurs de terrain) ont suivi une formation sur les concepts et définitions utilisés, ainsi que sur les modalités de conduite des entretiens, la façon de remplir les questionnaires, la supervision des enquêteurs et la vérification des questionnaires remplis. Un « Manuel de l’enquêteur » a été élaboré en appui à la formation et pour faciliter le travail de terrain. Le recueil a débuté juste après la formation des enquêteurs et superviseurs, et s’est déroulé du 14 au 18 mars 2005.

15 L’enquête était menée auprès d’un échantillon de 750 foyers choisis de manière aléatoire (250 Kankanaey, 150 Bago et 350 Bugkalot/Ilongot), les personnes interrogées étant les chefs de famille. Dans ces trois tribus, environ 90 % des chefs de famille étaient des hommes, le foyer se composant en moyenne d’un peu plus de cinq personnes. Un tiers environ des membres de ces foyers étaient âgés de moins de 15 ans et un autre tiers avait entre 15 et 45 ans. Les deux tiers des membres des familles travaillent comme fermiers ou cultivateurs et un tiers n’avait pas travaillé au cours de l’année précédente.

Résultats

Perception claire des droits

16 L’enquête a montré que les peuples indigènes sont généralement conscients de leurs droits sur leurs terres et domaines ancestraux. Le degré de perception de ces droits est plus élevé chez les Bugkalot/Ilongot (71 %), suivis par les Bago (68 %) et les Kankanaey (61 %). La plus forte conscience de leurs droits parmi les membres de la tribu Bugkalot/Ilongot s’explique peut-être par le fait qu’ils ont davantage eu tendance à se tourner vers le gouvernement et le conseil de la tribu pour s’informer sur leurs droits, et moins sur leur famille ou leurs voisins. La situation était inversée chez les Kankanaey.

17 On constate en outre un degré élevé de connaissance et de compréhension des droits spécifiques relatifs aux terres et domaines ancestraux, tels qu’établis par l’IPRA. Dans les trois tribus, environ 80 à 90 % des personnes interrogées ont le sentiment que plusieurs de ces droits sont correctement protégés. C’est particulièrement le cas pour la propriété, la conservation et l’exploitation des terres et domaines ancestraux, pour le contrôle de l’entrée de migrants et d’organisations extérieures, l’accès à une eau pure et saine. Toutefois, pour la protection des droits des familles en cas de déplacement, on note de plus grandes différences. Ainsi, seuls 39 % des Bugkalot/Ilongot estiment que le gouvernement leur assurerait alors des moyens de subsistance et les services essentiels. Ce pourcentage passe à 69 % chez les Bago et à 72 % chez les Kankanaey.

18 L’enquête a également permis d’apprécier la perception de certains droits relatifs aux terres et domaines ancestraux en imaginant diverses situations hypothétiques (scénarios). Par exemple, le gouvernement respecterait-il les droits :

19

  • en renouvelant le bail d’une partie d’un domaine ancestral à une entreprise privée, bien que la tribu en réclame la possession ?
  • en accordant un permis d’exploiter une mine d’or à une entreprise plutôt qu’aux propriétaires d’un domaine ancestral ?
  • en déplaçant et réinstallant une communauté afin de créer une réserve naturelle sur un domaine ancestral ?

20 Les réponses des trois tribus ont été assez semblables, à quelques nuances près, et elles étaient presque toutes correctes. A noter que la très grande majorité des membres de chaque tribu savent que le droit coutumier s’impose pour résoudre les conflits de territoire entre les clans d’une même tribu.

21 Les discussions thématiques qualitatives (FGD) ont confirmé que le droit à la propriété et à l’exploitation des terres et ressources naturelles, et celui de rester installé sur un territoire sont bien compris ; c’était là l’un des buts de l’IPRA. Les scénarios proposés pendant l’enquête se sont avérés plus efficaces comme instrument de recherche que les questions plus abstraites posées lors des FGD pour identifier les degrés de compréhension des individus sur la différence entre le droit plus spécifique aux terres ancestrales et les droits plus larges associés aux domaines ancestraux (dont l’accès à l’eau et la propriété des ressources). Les discussions ont également mis en lumière que, parfois, les autochtones ont leur propre interprétation des droits. Les chefs de tribu et les femmes sont plus conscients de leurs droits que les jeunes (voir Encadré 4.1). Cela dit, les autres droits de l’homme établis par l’IPRA sont moins bien identifiés.

Encadré 4.1. Articulation des méthodes quantitatives et qualitatives pour l’évaluation des droits

Méthode quantitative :
RESULTATS DE L’ENQUÊTE
  • Perception et conscience élevées des droits sur les terres et domaines ancestraux (Bago 68 %, Bugkalot 71 % et Kankanaey 61 %).
  • Le gouvernement est cité en deuxième position des sources d'information sur les droits relatifs aux terres et domaines ancestraux (Bago 29 %, Bugkalot 54 % et Kankanaey 22 %), derrière la famille ou les associations ou conseils tribaux.
  • Cas de violations des droits par empiètement (Bago 9 %, Bugkalot 31 % et Kankanaey 13 %) ; par pollution (Bago 7 %, Bugkalot 18 % et Kankanaey 9 %) ; par entrée illégale (Bago 8 %, Bugkalot 46 % et Kankanaey 12 %).
  • Les victimes d’appropriation indue se sont généralement vues déposséder de leurs terres par des personnes privées (Bago 50 %, Bugkalot 56 % et Kankanaey 56 %), puis par les conseils d’anciens ou autres.
  • Bonne connaissance et utilisation des programmes et services gouvernementaux.
  • Exercice du droit de la propriété et acquisition du droit foncier des domaines ancestraux.
  • Relative satisfaction sur la mise en œuvre des programmes et services gouvernementaux (entre 68 et 78 %, selon le type de programme/service).
  • 90 % des personnes interrogées estiment que le droit coutumier est utile pour résoudre les problèmes de propriété foncière ; 52 % que ce type de problèmes est normalement traité par le biais du droit coutumier.
  • Les cinq besoins primaires à satisfaire : alimentation correcte, logement, approvisionnement en eau, moyens de subsistance et éducation.
Méthodes qualitatives :
GROUPES DE DISCUSSION THEMATIQUES
  • La perception et la conscience des droits sur les terres et domaines ancestraux sont élevées chez les chefs de tribu et les femmes, beaucoup moins chez les jeunes. Le droit à la propriété et à l’exploitation des ressources naturelles, et de rester installé sur un territoire sont bien compris. Il n’en est pas de même d’autres droits établis par l’IPRA. Apparente confusion due à une méconnaissance de la distinction ou de la différence entre les droits associés aux terres ancestrales et aux domaines ancestraux.
  • Effet positif de l’IPRA sur les droits des peuples indigènes aux terres et domaines ancestraux.
  • Violations commises par des membres de la tribu, d’autres tribus ou les sociétés exploitant des mines.
  • Reconnaissance des efforts du gouvernement pour faire respecter les droits sur les terres et domaines ancestraux.
  • Les conflits relatifs aux droits sur les terres et domaines ancestraux sont principalement réglés par le droit coutumier.
CONSULTATIONS LOCALES
  • Souhait de programmes d'information et de formation adaptés et approfondis sur les droits de l’homme et l’IPRA.
  • Besoin de moyens de subsistance et d’organisation, particulièrement parmi les femmes.
  • Progression des agressions du fait de groupes privés tolérés ou non contrôlés par le gouvernement et protégés par certains chefs de tribu.
  • Absence des services de base indispensables.
  • Politiques discriminatoires en matière de droits à l'éducation et à d'autres prestations sociales.
  • Ressources hydriques polluées ou non-adaptées.
  • Besoin de paix et d’ordre pour assurer la sécurité des personnes.
Source : Commission des droits de l’homme (CHR) des Philippines

Propriété des terres et domaines ancestraux

22 L’enquête a révélé qu’un fort pourcentage des membres des trois tribus (71 %) est bien au fait que leur communauté dispose de titres de propriétés sur leurs terres ou domaines ancestraux. Parmi les institutions ayant apporté une aide pour l’obtention de ces titres, le gouvernement est cité en premier (44 %), suivi par les chefs de tribus et les anciens (10 %). La plupart des répondants pensent que l’obtention de ces titres a été très bénéfique pour leur tribu : pour l’affirmation de leur culture, leur unité et le renforcement de leurs capacités d’action.

23 87 % des ménages ont déclaré être propriétaires de terres sur les domaines ancestraux. La plupart, par héritage. Parmi ceux qui possèdent des terres, un peu plus de la moitié a un titre ou une preuve de propriété, très généralement sous forme de certificat ou de justificatif de paiement de taxes foncières. Pour les peuples indigènes, les principaux avantages à être propriétaire sont la sécurité économique et la sécurité induite par ce statut de propriétaire.

24 Le rôle joué par le gouvernement a été déterminant : il a apporté l’aide nécessaire à l’obtention de titres de propriété à 63 % des ménages de la tribu des Bago, 34 % chez les Bugkalot/Ilongot et 51 % chez les Kankanaey. Les chefs de tribu ou les anciens sont cités en second, mais avec à peine un quart des réponses. A noter que, parmi les ménages ne disposant pas de titre de propriété mais souhaitant en obtenir un, les deux tiers n’ont entamé aucune démarche.

25 Les discussions des groupes thématiques ont confirmé l’importance attachée par les peuples indigènes à la détention d’un titre de propriété sur les terres héritées de leurs ancêtres, qui leur confère sécurité et capacité. Ils sont également conscients du rôle positif du gouvernement et de l’IPRA pour les aider dans ce processus. Ainsi, pendant les consultations, les chefs des tribus indigènes ont mentionné un protocole d’accord entre le service du cadastre des Philippines et le Conseil national des peuples indigènes, permettant d’enregistrer gratuitement les certificats de propriétés des domaines ancestraux (CADT).

26 L’enquête a montré que les personnes interrogées ont conscience des obligations attachées au droit de propriété. Dans les discussions de groupes thématiques, les femmes ont évoqué la responsabilité d’entretenir et d’améliorer les terres. Ceci est cohérent avec les résultats de l’enquête : les quatre cinquièmes au moins des ménages interrogés ont réalisé des améliorations pour l’agriculture. Pour leur part, les plus anciens ont souligné l’importance d’un contrôle efficace de l’immigration.

Violations de droits

27 L’enquête a révélé des différences significatives entre les tribus dans la fréquence des violations de leurs droits (voir Figure 4.1) : cette proportion va de 21 % chez les Bago à 36 % chez les Kankanaey, voire à 57 % chez les Bugkalot/Ilongot. Les deux principaux types de violation, toutes tribus confondues, sont l’entrée illégale (27 %) et l’empiètement (20 %). Là encore, les Bugkalot/Ilongot se déclarent davantage victimes de ces types de violation (respectivement 46 % et 31 %).

28 Environ 13 % des ménages interrogés disent avoir été dépossédés de terres, la plupart du temps à la suite de tromperie ou d’escroquerie. Dans plus de 50 % des cas, ces expropriations indues ont été le fait d’individus isolés, des anciens ou des chefs de tribu étant responsables de 10 % des cas. Environ 5 % des ménages interrogés déclarent avoir été déplacés : le plus généralement (peut-être à nuancer en raison de réponses manquantes) à la suite de catastrophes naturelles mais, souvent aussi, du fait de conflits armés, dans le cas des Bago et, dans une moindre mesure, en raison de l’implantation d’entreprises minières, chez les Bugkalot/Ilongot. Seul un faible pourcentage des ménages a reçu une indemnité pour ces déplacements. Les discussions thématiques et les consultations ont confirmé l’existence de ces principaux types de violations et apporté des détails, notamment sur le phénomène « d’appropriation indue » et d’exploitation minière sans accord des populations indigènes. Les données obtenues sur la nature et sur les auteurs de ces violations sont extrêmement utiles pour définir et mettre en œuvre des politiques appropriées, des mécanismes de recours et des mesures réparatrices.

Figure 4.1

Violation des droits fonciers sur les domaines ancestraux dans trois tribus indigènes

figure im1
? Moyenne des tribus ? Bago ? Bugkalot ? Kankanaey
50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
Empiètement Pollution Entréeillégale Déplacement/Réinstallation Autres

Violation des droits fonciers sur les domaines ancestraux dans trois tribus indigènes


NSCB en collaboration avec la CHR (Philippines).

Mécanismes d’exercice des droits

29 L’enquête pilote montre que la connaissance des divers départements et organismes publics responsables des services de base est assez uniforme entre les trois tribus, la plupart des organismes recueillant des scores de 65 à 85 %. Une proportion similaire de ménages avait déjà bénéficié de leurs services et s’estimait satisfaite, découverte agréable pour les autorités. Parmi les entités sollicitées pour leur aide en cas de problèmes fonciers, les responsables politiques sont cités par un tiers des ménages des trois tribus en moyenne, les ONG et l’Eglise chacune par un cinquième et les associations professionnelles par 10 %.

30 Presque 50 % des Bago et des Kankanaey, et 85% des Bugkalot/Ilongot, signalent l’existence de Conseils des anciens dans leurs communautés (voir Figure 4.2). Ces chiffres s’inversent s’agissant du Barangay Council, ou Lupon, établi par la législation nationale : il est cité par près de 90 % des Bago et des Kankanaey, mais par seulement un peu plus de la moitié des Bugkalot/Ilongot. Le pourcentage de communautés ayant recours à ces instances est bien supérieur chez les Bugkalot/Ilongot. La présence de ces institutions semble indiquer que les peuples indigènes préfèrent toujours s’en remettre au droit coutumier pour résoudre les conflits de droits.

Figure 4.2

Quelles organisations ou instances peuvent traiter et résoudre les problèmes fonciers ? (% de répartition des ménages)

figure im2
? Moyenne ? Bago ? Bugkalot ? Kankanaey
Pas de réponse
Ne sait pas
Autres
Barangay Council/Lupon
Entités de médiation
Conseils des anciens/Chefs de tribu
Aucun
0 20 40 60 80 100

Quelles organisations ou instances peuvent traiter et résoudre les problèmes fonciers ? (% de répartition des ménages)


NSCB en collaboration avec la CHR (Philippines).

31 Par ailleurs, l’enquête a révélé que les trois tribus souhaitaient en priorité voir satisfaits cinq besoins primaires : alimentation correcte, logement, approvisionnement en eau, moyens de subsistance et éducation. Les consultations locales ont mis en évidence de nombreux besoins et confirmé ces priorités, notamment l’accès à l’eau, mais aussi l’éducation et les moyens de subsistance.

Diffusion et impact politique des résultats

32 Trois séminaires ont été organisés pour présenter les conclusions de l’enquête aux tribus Bago, Kankanaey et Bugkalot. Ils ont également été présentés, en 2005 et en 2006, à un large groupe d’acteurs nationaux afin de susciter un débat politique. Ces acteurs ont unanimement souligné que les résultats démontraient la nécessité de poursuivre et renforcer la mise en application de l’IPRA, l’éducation relative aux droits de l’homme, le réexamen des politiques et la fourniture de services par les pouvoirs publics. Il a également été convenu que l’IPRA devrait faire l’objet d’un réexamen afin de satisfaire aux règles de droit dans la gestion des questions relatives aux populations indigènes. Par ailleurs, il a aussi été relevé que les avantages résultant de l’exercice des droits étaient amputés par les violations actuelles. Le gouvernement a donc un rôle majeur à jouer pour amener les autres parties prenantes de la gouvernance au respect, à la protection et à l’application des droits des peuples indigènes aux terres et domaines ancestraux.

Encadré 4.2. Renforcement des liens et des capacités d’intervention des acteurs nationaux

« Aux Philippines, comme dans bien d’autres pays, il y a clairement un « avant » et un « après » l’enquête Métagora.
« Dès la fin de l’année 2000, les participants philippins à la Conférence internationale sur Statistique, développement et droits de l’homme ont mis sur pied un « Groupe Montreux-Manille » rassemblant des défenseurs des droits de l’homme, des responsables de diverses organisations de la société civile, des chercheurs du monde universitaire et des spécialistes de la statistique publique. Leur objectif commun était de mettre en application dans notre pays les Conclusions opérationnelles de la Conférence de Montreux. A cette époque, mon organisation ne voyait pas l’intérêt de participer de près ni de loin à la mesure des droits de l’homme ou de la gouvernance démocratique. Pourtant, cette position a commencé à se modifier à mesure que le projet Montreux-Manille évoluait, devenant plus institutionnel, sous l’égide de notre Commission nationale des droits de l’homme (CHR).
« Dans ce contexte, nous avons engagé des discussions avec des institutions et des personnes que nous n’avions encore jamais rencontrées : la CHR elle-même, la Commission nationale pour les peuples indigènes et plusieurs universitaires spécialisés dans les domaines des droits de l’homme, de la démocratie et de la gouvernance. Nous avons ainsi découvert l’existence de partenaires potentiels hautement qualifiés et commencé à examiner ensemble les modalités d’une collaboration. Bien que les débats sur la possibilité de mesurer les droits de l’homme et la gouvernance démocratique n’aient pas été faciles – chaque partenaire ayant ses propres références conceptuelles, méthodes et programmes de travail – nous avons réalisé que notre organisation avait beaucoup à gagner et à offrir dans ce processus de dialogue et de collaboration naissante. Finalement, nous avons décidé d’apporter un soutien technique très actif pour la conception et la réalisation de l’enquête pilote Métagora qui visait à mesurer dans notre pays le respect des droits de la population indigène.
« L’enquête pilote Métagora aura été un succès non seulement par la production de résultats pertinents et utiles, mais aussi – et sans doute surtout – en transformant les relations entre les nombreux “acteurs du changement” impliqués dans cette expérience, ainsi qu’en renforçant leur capacité d’action. L’une des conséquences directes de notre participation à l’enquête Métagora a été de réexaminer la conception du recensement national de la population, afin de connaître à l’avenir la structure démographique et sociale des peuples indigènes, qui représentent une part non négligeable de la population de notre pays. Finalement, nous avons plus que surmonté notre réticence initiale envers une mesure des problématiques de droits de l’homme et de gouvernance démocratique. A présent, ce type de travaux est souvent intégré à nos programmes et nous produisons régulièrement des indicateurs sur la gouvernance locale, qui constituent un outil précieux d’évaluation entre les mains des acteurs du changement. »
Dr Romulo A. Virola
Secrétaire général du Conseil national de coordination statistique des Philippines
figure im3

33 Cette expérience pilote aura eu un impact majeur : la transformation et le renforcement des relations entre divers acteurs clés du changement aux Philippines (voir Encadré 4.2). Le Conseil Consultatif National Métagora a réussi à attirer l’attention du gouvernement et de la société civile sur les droits des peuples indigènes. A la suite de l’enquête pilote, un budget a été prévu, dans le programme statistique national, pour financer des travaux ultérieurs sur les peuples indigènes ; aussi, le recensement national a été adapté afin de mieux connaître leur structure sociale et démographique.

34 Dans la foulée de l’expérience Métagora, la Commission nationale des droits de l’homme s’est faite l’avocat, auprès des institutions nationales des droits de l’homme à l’échelon asiatique, d’un travail pour évaluer la situation des peuples indigènes. Un projet conjoint prometteur a été lancé par les Philippines et la Nouvelle Zélande qui, espère-t-on, s’inspirera des réalisations et enseignements de l’expérience Métagora.

Encadré 4.3. Implications de l’expérience menée aux Philippines

Principales implications politiques
  • L’expérience pilote d’une mesure des droits des peuples indigènes montre qu’une combinaison de méthodes statistiques et qualitatives éprouvées est déterminante pour mettre en lumière les attentes et les difficultés des populations particulières ou de groupes vulnérables.
  • Même si l’enquête a montré que les peuples indigènes ont largement conscience de leurs droits sur les terres et domaines ancestraux, cette conscience est inégale selon les tribus, de même que la connaissance de la législation en vigueur et d’autres droits de l’homme. Ce sont autant de bonnes raisons pour renforcer l’application de la Loi sur les droits des peuples indigènes et développer des compétences pour promouvoir et défendre les droits de l’homme.
  • La possession de preuves ou titres de propriété des terres (facteur de responsabilisation favorisant les investissements et les améliorations) est également inégale d’une tribu à l’autre. En outre, les deux tiers de ceux qui n’en détiennent pas n’ont entrepris aucune démarche pour les obtenir. Dans ce domaine, les politiques sont largement perfectibles.
  • Les instances, coutumières ou publiques, de recours en cas de violation sont connues et utilisées, mais la confiance dans leur capacité à lutter contre les expropriations est limitée. La moitié des cas de violations sont d’ordre privé, mais les sociétés d’exploitation minière sont également source de problèmes. Enfin, les instances coutumières sont plus souvent sollicitées que les organismes publics.
  • Il serait utile de mener une enquête similaire auprès d’autres tribus et sur d’autres domaines afin de définir clairement, grâce à des résultats factuels plus nombreux, des concepts opératoires pour caractériser la population indigène dans les futurs recensements. Cela permettrait de faire progresser leur reconnaissance en tant que catégorie spécifique dans la société philippine.
  • La collaboration entre la Commission des droits de l’homme, la Commission nationale pour les peuples indigènes et les institutions nationales de statistique publique (en partenariat étroit avec des ONG et des universitaires) s’est avérée particulièrement efficace et a été maintenue pour assurer un suivi politique durable de l’enquête ainsi que la réalisation de nouvelles études.
Principales implications méthodologiques
  • Même si l’enquête pilote n’a porté que sur un échantillon restreint (750 ménages) et un périmètre géographique et démographique limité (trois tribus dans trois provinces seulement), elle démontre clairement la faisabilité et la pertinence d’une collecte et d’une analyse de données sur les peuples indigènes, grâce à des méthodes tant statistiques que qualitatives bien établies.
  • La collaboration multipartenariale dans la conduite du projet – associant les organismes nationaux en charge des droits de l’homme, des intérêts des peuples indigènes et des statistiques officielles – aura garanti la légitimité de l’enquête et sa validité technique. L’implication de la Commission nationale pour les peuples indigènes a ainsi grandement contribué à faciliter l’accès aux ménages enquêtés, leur collaboration et leur sincérité pendant les entretiens. Autre facteur très positif : le recrutement et la formation de membres de la communauté indigène comme animateurs de groupes, enquêteurs et superviseurs.
  • De nombreuses méthodes qualitatives ont été mises en œuvre, non seulement pour la conception et l’élaboration du questionnaire, mais également lors de l’interprétation et de la validation des résultats (par exemple pour éclairer des écarts notables entre les réponses des trois tribus sur des points particuliers). Auparavant, elles avaient permis d’assurer que l’enquête soit adaptée, conforme aux modes de conceptualisation indigène, et axée sur les questions significatives et primordiales.
  • La comparaison des réponses des trois tribus à différentes questions souligne l’importance de prendre en compte les spécificités infranationales (comme celles de groupes ou régions particulières) pour suivre de manière factuelle l’exercice des droits.

Mise en ligne 06/07/2010

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