Couverture de RDLI_109

Article de revue

Les intérimaires, des travailleurs surexposés aux accidents du travail

Pages 61 à 88

Notes

  • [1]
    Dares, exploitation des déclarations sociales nominatives (DSN) et des fichiers Pôle emploi des déclarations mensuelles des agences d’intérim (voir annexe 2 sur les sources de données sur l’intérim). Pour les données sur l’intérim, voir Biotteau (2022).
  • [2]
    Données annuelles sur l’intérim en équivalent temps plein, source : Dares, Ministère du Travail du Plein Emploi et de l’Insertion. Les données mobilisées dans cette étude proviennent de cette source d’information (encadré 2).
  • [3]
    En effet, la législation prévoit qu’en cas d’accidents du travail, les responsabilités sont partagées entre les entreprises utilisatrices et les agences d’intérim (Belkacem, 1997).
  • [4]
    Étude PRISME-BVA Enquête auprès des entreprises sur les contrats de travail dont la durée est limitée, mai 2012.
  • [5]
    Dares, « L’emploi intérimaire », données au 6 avril 2022, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/lemploi-interimaire
  • [6]
    Sur la notion légale de la maladie, l’art. 3 al. 1 LPGA dispose que : « est réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité à travailler ».
  • [7]
    « Prévention des risques liés aux positions de travail statiques », Fiche pratique de sécurité, ED 131, INRS, 1re édition 2008 réimprimée en mars 2012 disponible en ligne : https://fr.pokerlistings.com/assets/pdf/ed131.pdf.
  • [8]
    Comité social et économique.

1 En France, l’essor rapide de formes d’emploi temporaires traduit de nouvelles pratiques de mobilisation et d’usage de la main-d’œuvre qui se consolident dans un contexte de mutations technologiques et organisationnelles des entreprises. Parmi ces formes d’emploi, le travail intérimaire (ou intérim) occupe une place prépondérante. Pour rappel, cette forme d’activité met en relation un travailleur, une agence d’intérim, aussi appelée entreprise de travail temporaire (ETT), et une entreprise utilisatrice (EU). Le travailleur intérimaire est délégué auprès d’une EU par une agence d’intérim. Il en résulte deux types différents de contrats : d’abord, un contrat commercial entre l’ETT et l’EU, et puis, un contrat de mission entre l’ETT et le travailleur. Le cadre réglementaire de cette forme d’activité a connu différentes évolutions au gré des alternances politiques et des évolutions de la conjoncture économique (encadré 1). Aujourd’hui, selon les données de la Dares [1], l’intérim est solidement installé dans les pratiques de gestion de la main-d’œuvre des entreprises. Il concerne de plus en plus d’individus sur le marché du travail. Ils étaient 123 585 en 1985 et représentent, en 2018, 783 533 emplois en équivalent temps plein, soit le niveau le plus élevé jamais atteint. Cet effectif est retombé à 635 772 en 2020 dans un contexte de crise sanitaire sans précédent. Sur cette période, le nombre d’intérimaires a ainsi plus que quadruplé, faisant de l’intérim un instrument de gestion des ressources humaines de plus en plus prisé par les entreprises, non seulement de l’industrie mais aussi du BTP ainsi que de certains secteurs de la distribution comme la logistique (Tranchant, 2018 ; Barbier et al., 2020). Mais si, pour les individus, l’intérim permet d’occuper rapidement un poste de travail, il constitue aussi pour les entreprises utilisatrices un instrument de flexibilisation du travail. Il permet en effet l’ajustement rapide entre besoins de production, besoins en personnel et parfois besoins en qualification. Cet ajustement rapide n’est pas sans conséquences sur les conditions de travail des intérimaires : les études nationales montrent en effet leur surexposition aux accidents du travail (voir infra, encadré 3). Comment expliquer cette vulnérabilité des intérimaires aux accidents du travail ? Comment ces travailleurs gèrent-ils au quotidien ces conditions du travail changeantes au gré des missions ? Et quelles peuvent être les conséquences sur leur santé ?

2 Centrées sur des entretiens d’intérimaires ouvriers dans l’industrie et la construction, nos deux enquêtes de terrain (voir infra, encadré 4) avancent des premiers éléments de réponse. Cette vulnérabilité des intérimaires s’explique en grande partie par les pratiques des entreprises de travail temporaire (ETT) et des entreprises utilisatrices (EU) en termes de mobilisation de ces travailleurs, associées à des facteurs environnementaux très changeants d’une mission à l’autre (I). Ces situations de travail génèrent des problèmes de santé bien réels pour ces travailleurs intérimaires (II). Les contraintes liées au statut de travailleur intérimaire font que ces travailleurs disposent difficilement de marges de manœuvre pour contourner les risques d’accidents du travail (III).

Encadré 1 - Le cadre réglementaire français de l’intérim et ses principales transformations

En France, le premier cadre réglementaire du travail temporaire (travail intérimaire) date du 3 janvier 1972. Cette première loi s’inspire très largement de l’accord CGT-Manpower du 9 octobre 1969, point de départ de la reconnaissance sociale du tra­vail intérimaire en France. Elle constitue encore aujourd’hui la pierre angulaire de la réglementation de l’intérim en France.
1. La loi du 3 janvier 1972 fixe le cadre réglementaire de l’intérim.
Ce premier texte (loi n° 72-1 du 3 janvier 1972 sur le travail temporaire) a deux objec­tifs : 1) donner une existence légale à la profession d’entreprise de travail temporaire (ETT) tout en posant des limites à cette activité et 2) définir les droits individuels et collectifs des intérimaires, ainsi que les droits et les devoirs des employeurs d’intéri­maires. La relation de travail intérimaire est alors définie comme la combinaison de deux contrats : 1) un contrat commercial entre l’EU et l’ETT ; et 2) un contrat de mis­sion de travail temporaire (CTT) entre l’ETT et le travailleur temporaire conclu dans un second temps. Surtout, la loi définit une liste de six cas de recours possible à ces travailleurs : 1) absence temporaire d’un salarié permanent, pendant la durée de cette absence ; 2) suspension d’un contrat de travail, pendant la durée de cette suspension, sauf en cas de conflit collectif de travail ; 3) survenance de la fin d’un contrat de tra­vail dans l’attente de l’entrée en service effective du travailleur permanent appelé à remplacer celui dont le contrat a pris fin ; 4) existence d’un surcroît occasionnel d’ac­tivité ; 5) création d’activités nouvelles ; et 6) travaux urgents dont l’exécution immé­diate est nécessaire pour prévenir des accidents imminents, organiser des mesures de sauvetage ou réparer des insuffisances du matériel, des installations ou des bâti­ments de l’entreprise présentant un danger pour les travailleurs.
Les interventions du législateur seront nombreuses par la suite. Elles seront influen­cées par les alternances politiques, l’évolution de la conjoncture économique et de la situation sur le marché du travail et enfin par les accords collectifs, soit au niveau interprofessionnel soit à celui de la branche.
2. Avec l’arrivée d’une nouvelle majorité de gauche au pouvoir en 1981, l’ordonnance du 5 février 1982 cherche à contrôler la profession et en limiter les abus.
3. À l’approche du retour de la droite en responsabilité et dans un contexte de forte progression du chômage, la loi du 25 juillet 1985 instaure un assouplissement de l’intérim confirmé par l’ordonnance du 11 août 1986, qui supprime la liste des cas de recours à l’intérim et allonge la durée maximale des missions.
4. Avec la réélection d’un Président de gauche, une nouvelle loi du 12 juillet 1990 limite de nouveau l’intérim avec le rétablissement d’une liste de trois cas de recours : remplace­ment d’un salarié absent, accroissement temporaire d’activité, exécution de travaux tem­poraires par nature. Elle fixe également à 12 mois maximum la durée des missions.
5. La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 sur le travail temporaire introduit de nouvelles dispositions plus restrictives en augmentant le délai de carence entre deux emplois intérimaires et en renforçant les sanctions pénales à l’égard des EU pour non-respect des rémunérations de référence, le rôle des représentants du personnel et de l’ins­pecteur du travail lorsqu’est constaté dans l’EU un recours abusif à l’intérim.
6. Le début des années 2000 se caractérise par un nouveau contexte politique avec la réélection d’un Président de droite en 2002 après une cohabitation avec la gauche, mais surtout l’élimination au second tour de l’élection présidentielle du candidat de la gauche au bénéfice d’un candidat de l’extrême droite. Plus que des assouplisse­ments de la réglementation de l’intérim, c’est une véritable transformation de l’ac­tivité des ETT qui est entreprise. En effet, la loi de programmation pour la cohésion sociale du 27 janvier 2005 traduit ces évolutions et marque un tournant décisif de la législation sur l’intérim. Deux novations importantes sont introduites dans l’ac­tivité des ETT en donnant d’une part à ces dernières la possibilité de réaliser des recrutements en CDI ou CDD pour le compte d’une entreprise tierce, et d’autre part en créant deux nouveaux cas de recours à l’intérim afin de favoriser l’embauche de personnes sans emploi ayant des difficultés sociales et professionnelles particulières et afin d’assurer un complément de formation. Ce faisant, cette loi va élargir le champ d’action des ETT sur le marché du travail.
7. La loi d’août 2009 ouvre aux agences d’intérim le marché de la fonction publique.
8. Au niveau de la branche du travail temporaire, l’accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires instaure le CDI inté­rimaire (CDII). Ce dispositif institutionnel permet aux agences d’intérim de fidéliser les intérimaires disposant de qualifications rares ou recherchées sur le marché du travail local. En novembre 2021, ce sont en tout 133 859 CDII qui ont été signés (Prism’emploi, 2021). Cette forme de contrat est encore aujourd’hui très décriée par les syndicats de travailleurs, qui la considèrent comme un sous-contrat de travail à durée indéterminée risquant de remettre en question le modèle canonique du CDI dans le droit français. En pratique, le CDII permet de stabiliser dans l’emploi intérimaire le travailleur et de lui garantir une rémunération mensuelle minimale au moins équivalente au Smic même en dehors des périodes de mission. Mais surtout, il permet à l’agence d’intérim de dis­poser d’une main-d’oeuvre détachable sur des missions en principe plus nombreuses et surtout différentes suivant les besoins des entreprises utilisatrices clientes de l’agence d’intérim.

I. Les fonctions socioéconomiques de l’intérim en question

3 Pour les entreprises, l’intérim permet d’externaliser les incertitudes liées à leur activité économique (retards dans les plannings de production, accroissement imprévu de l’activité, fin d’un chantier dans l’urgence sous peine de pénalités de retard, développement de nouvelles activités…). Ces aléas sont reportés sur cette population de travailleurs externalisés.

I.1. L’intérim : un instrument d’externalisation des aléas de l’activité des entreprises

4 Si l’intérim en France occupe environ 2,2 % des actifs en 2020, ce taux passe à 7,6 % pour le secteur du BTP et 6,5 % pour celui de l’industrie contre 2,6 % pour le secteur des services, selon la Dares (encadré 2) [2]. En 2020, 46,7 % des intérimaires travaillent dans l’industrie, 34,1 % dans le secteur des services et 18,6 % dans le BTP (tableau 1).

Encadré 2 - Principales sources de données sur l’intérim

Les données sur l’intérim dans cet article proviennent des exploitations mensuelles des relevés de contrats d’intérim. Les entreprises de travail temporaire sont en effet tenues de rendre compte mensuellement de leur activité auprès de l’Administration du travail, comme les y oblige la loi de 1972. Depuis janvier 1995, ces relevés mensuels de contrats sont centralisés à l’Unédic, aujourd’hui fusionnée avec l’Anpe au sein de Pôle emploi. Les données statistiques sont publiées régulièrement par la Direction des Enquêtes et des Statistiques de Pôle emploi (accessibles en ligne). Elles le sont également dans les publications de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares – ministère du Travail). Les rapports économiques annuels (publiés généralement en juillet) du principal syndicat patronal de l’intérim (le SETT devenu aujourd’hui Prism’emploi) reprennent ces mêmes données.

Tableau 1 - Répartition de l’emploi intérimaire par secteur d’activité économique (2000-2020)

Tableau 1 - Répartition de l’emploi intérimaire par secteur d’activité économique (2000-2020)

En %
Lecture : en 2020, 46,7 % des emplois intérimaires étaient situés dans le secteur de l’industrie, 18,6 % dans le secteur du BTP et 34,1 % dans le secteur tertiaire.
Source : Dares à partir des déclarations sociales nominatives (DSN) des entreprises de travail temporaire.

5 Les données du tableau 1 nous montrent que l’intérim est devenu un outil de gestion permanent de la main-d’œuvre pour les entreprises quel que soit leur secteur d’activité économique. Alors qu’environ un emploi intérimaire sur trois était situé dans le secteur de l’industrie au début de la décennie 2000, ce sont 20 ans plus tard, un peu moins d’un emploi sur deux. Le secteur du BTP caractérise quant à lui un peu moins d’un cinquième des emplois intérimaires, une proportion relativement stable dans le temps. Le recours à l’intérim est fonction de plusieurs variables qui tiennent à l’évolution de la conjoncture économique, à l’évolution de la législation sur l’intérim, également à l’activité économique de l’entreprise, aux aléas économiques et sociaux qu’elle rencontre comme les variations saisonnières ou cycliques de la production. Des travaux mettent en avant un phénomène de massification de l’intérim dans certains secteurs conduisant à des processus de disqualification sociale de ces travailleurs en raison d’une faible protection statutaire, de faibles perspectives d’évolutions professionnelles. Ce sont des travailleurs affectés généralement aux tâches les plus pénibles (Tranchant, 2018:115). Ils font alors office de variable d’ajustement, comme le notent Barbier et alii (2000:24), en permettant d’externaliser également en partie la gestion des problèmes de santé au travail voire celle des accidents du travail [3] dans les secteurs d’activité économique de l’industrie et du BTP. Important utilisateur d’intérim, ce dernier secteur est aussi davantage concerné par les accidents du travail en raison de la nature même de ses différentes activités (encadré 3).

6 Les intérimaires sont occupés dans pratiquement toutes les branches de l’activité du BTP : les travaux d’installation électrique, les travaux de maçonnerie générale et gros œuvre de bâtiment, le domaine d’activité le plus exposé aux accidents du travail et surtout aux plus graves (tableau 2 et encadré 3). C’est ce dernier point qui explique l’intérêt porté ici au secteur du BTP.

7 Le graphique 1 montre une progression dans le temps du recours à l’intérim dans le secteur du BTP.

Tableau 2 - Part des 6 principaux sous-secteurs du BTP (détail NAF 700)

Travaux d’installation électrique dans tous locaux15,9
Travaux de maçonnerie générale et gros œuvre de bâtiment11,3
Construction d’autres bâtiments8,7
Constructions de routes et autoroutes8,2
Construction de réseaux électriques et de télécommunication6,7
Travaux d’installation d’équipements thermiques6,1

Tableau 2 - Part des 6 principaux sous-secteurs du BTP (détail NAF 700)

En %
Source : Dares à partir des DSN des entreprises de travail temporaire.
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Graphique 1 - Évolution des effectifs de travailleurs intérimaires dans le secteur du BTP de 2008 à 2021 : une tendance à la hausse

Graphique 1 - Évolution des effectifs de travailleurs intérimaires dans le secteur du BTP de 2008 à 2021 : une tendance à la hausse

Source : Dares à partir des DSN des entreprises de travail temporaire.

9 La place importante de l’intérim dans certains secteurs comme le BTP mène à ce que l’organisation de la production intègre directement la centralité du recours aux intérimaires. Le travail intérimaire est ainsi devenu un instrument structurel des politiques de gestion de la main-d’œuvre, ce qu’avaient déjà montré Freyssinet (Freyssinet, 1979) ainsi que Germe et Michon (1979) à la fin des années 1970. En somme, il permet la constitution de ces volants permanents de travailleurs malléables dans le temps et la durée en fonction des besoins de production. Ces volants sont organisés au niveau local, au niveau d’un bassin d’emploi, comme l’observent Barbier et alii pour le secteur de la logistique (2000:31-32). Des processus similaires s’opèrent pour les entreprises du secteur du BTP, voire de l’industrie où des pratiques de captation de la main-d’œuvre intérimaire sont mises en œuvre. Par exemple, des promesses de nouvelles missions voire d’embauche ou encore de formation trouvent un écho positif chez les intérimaires étrangers qui doivent renouveler leur carte de séjour. À travers ces techniques de captation, les intérimaires se trouvent ainsi enfermés dans ces espaces de circulation au niveau local entre les entreprises utilisatrices et les agences d’intérim.

10 Ces logiques de recours à l’intérim comme variable d’ajustement et d’externalisation des risques, des incertitudes liées à l’activité des entreprises utilisatrices sont démontrées dans les enquêtes de l’organisation professionnelle du secteur de l’intérim. Une étude réalisée par Prism’emploi en mai 2012 [4] indiquait par exemple que les motifs d’appel aux intérimaires pour tous les secteurs économiques sont souvent liés à la survenue d’aléas sur l’activité de l’entreprise tels que les surcroîts périodiques d’activité (83 % des employeurs enquêtés), le remplacement d’un salarié absent (80 %) ou bien encore aux difficultés à prévoir les évolutions de l’activité (31 %). Pour 35 % des entreprises enquêtées, le recours à l’intérim s’inscrit directement dans une démarche réfléchie de gestion de ressources humaines pour tester notamment un salarié avant de le recruter (31 %). Enfin, selon cette étude, l’intérim permet de faire face à d’autres problématiques de ressources humaines telles que l’accès ponctuel à un savoir-faire spécifique (14 %). Les dernières enquêtes sur le sujet vont dans le même sens. Selon les entrepreneurs du BTP (Prism’emploi, 2021), le recours à l’intérim leur permet :

11 ■ d’être réactifs face aux contraintes économiques et conventionnelles comme par exemple finir les chantiers dans les délais sous peine de pénalités ;

12 ■ de gérer la saisonnalité inhérente à cette activité économique ;

13 ■ de préparer la reprise de l’activité sur les chantiers ou un accroissement de celle-ci en faisant appel à une main-d’œuvre additionnelle ;

14 ■ enfin de gérer toutes les autres problématiques de ressources humaines comme l’absence de salariés, des actions de formation, des actions d’insertion professionnelle en dehors de l’entreprise lorsque cette dernière veut se séparer d’un salarié (outplacement), ou de recherche de salariés disposant de qualifications spécifiques (sourcing), etc.

15 Dans ce secteur d’activité économique, 89 % des entreprises utilisatrices considèrent l’intérim comme un instrument de gestion des variations de cycles économiques, des fluctuations d’activité permettant d’améliorer leur compétitivité. Dans l’industrie, cette forme d’emploi est aussi particulièrement adaptée aux modèles organisationnels en flux tendus dont les contraintes temporelles (finir dans l’urgence des travaux ou simplement tenir les calendriers de production) et l’intensité du travail (le travail à la chaîne par exemple) en constituent les principaux attraits. Ces contraintes temporelles sont particulièrement visibles dans l’usage que font les entreprises de l’intérim parfois à la limite de la légalité. Censés être des travailleurs temporaires au sens de la réglementation (encadré 1), ces intérimaires deviennent en fin de compte des travailleurs avec des contrats à durée incertaine et aux périodes d’essai à durée indéterminée (Tranchant, 2018). De plus, la baisse tendancielle de la durée moyenne des missions témoigne de la volonté des entreprises d’ajuster au plus près le coût que représente le recours aux agences d’intérim. Cette durée moyenne des missions d’intérim est en effet passée de plus de 4 semaines dans les années 1970 (Belkacem, 1997) à moins de 10 jours aujourd’hui selon la Dares [5]. Ces conditions de travail sous contrainte de temps, de durée et de rythme ne sont pas sans effets sur la santé de ces travailleurs. Aussi, le recours aux intérimaires est-il dicté par des impératifs d’urgence, de réactivité et de performance : les fluctuations de l’activité sont reportées sur cette main-d’œuvre fragilisée, instable et le plus souvent passagère.

Encadré 3 - Le BTP : un secteur exposé aux accidents du travail (AT)

Les statistiques sur le sujet des AT sont régulières. Elles concernent particulière­ment les ouvriers dans leur ensemble. Elles ne sont pas aussi détaillées pour les inté-rimaires. Mais nous savons que les intérimaires sont très majoritairement détachés sur des missions d’ouvriers, particulièrement dans le BTP. Ce secteur d’activité éco­nomique comprend deux branches : le bâtiment et les travaux publics. Avec l’inté­rim, ce sont les deux domaines d’activité les plus concernés par les accidents du travail au plan national. Parmi l’ensemble des salariés, tous statuts confondus, les ouvriers constituent la catégorie socioprofessionnelle la plus concernée par les acci­dents du travail au plan national [1]. C’est dans cette catégorie que nous trouvons la majorité des intérimaires. Le taux d’accidents est particulièrement élevé pour ces travailleurs : environ 11 points de plus comparativement à l’ensemble des salariés en moyenne nationale (Euzenat, 2009). Au sein du secteur du BTP, ce sont les travaux de construction qui affichent le nombre d’accidents du travail le plus important. Pour les activités de construction spécialisées par exemple, en 2019, on dénombre 71 295 AT dont plus de 9 AT sur 10 avec arrêts de 4 jours et plus, et 130 décès. La construction de bâtiment totalise cette même année 5 701 AT dont la quasi-totalité avec arrêts de 4 jours et plus, et 15 décès. Le génie civil a concerné 5 427 AT dont l’essentiel avec arrêts de 4 jours et plus, et 19 décès (Cnam-TS, 2020). Pour l’Organisme profession­nel de prévention du BTP, ce sont 88 531 accidents du travail nécessitant un arrêt de travail qui ont été recensés dans le secteur du BTP en 2018 (OPPBTP, 2019), soit l’effectif le plus élevé d’accidents du travail cette année-là. Concernant les causes, près d’un AT sur deux (48 %) est le fait de manutentions manuelles, 17 % de chutes de hauteur, 15 % de l’outillage à main et 14 % de chutes de plain-pied. Ces quatre causes expliquent 94 % des AT cette année-là (ibid.)
Selon Ravallec et alii (2009), le taux de fréquence des accidents du travail [2] mesuré par le nombre d’accidents avec au moins 1 jour d’arrêt de travail pour 1 million d’heures d’activité s’établit à 54,3 pour l’intérim contre 25,7 pour la moyenne des salariés en 2007. Les intérimaires connaissent donc une fréquence d’accidents de travail deux fois plus importante que l’ensemble des salariés (Kornig et al., 2007). Ce résultat est confirmé par d’autres études comme l’enquête menée par la Dares en 2003 (Hamon-Cholet, Sandret, 2007). Le taux de fréquence des accidents du tra­vail des ouvriers dans le BTP s’accroît même dans la dernière décennie, et atteint 61,9 accidents du travail pour 1 000 salariés en 2015 (+14 % en 8 ans). En 2016, il se fixe une nouvelle fois au niveau le plus élevé avec 40,3 contre 29,6 pour l’alimenta­tion, 19,8 pour la métallurgie, 15 pour le commerce non alimentaire… (Cnam-TS, 2016)
Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS, 2022), les accidents du tra­vail dans l’intérim sont aussi plus graves. Cette importance du taux de gravité [3] était déjà observée en 2006 par cet institut : il était environ de 2,5 pour les intérimaires, contre 1,27 pour l’ensemble des salariés.
Bien que le nombre d’accidents du travail ait tendance à diminuer ces dernières années dans le BTP grâce notamment aux efforts de prévention, ce secteur reste l’un des plus sinistrés avec un indice de fréquence presque deux fois supérieur à la moyenne des autres secteurs (Cnam-TS, 2015). Le BTP est également concerné par un nombre important de maladies professionnelles : 6 546 en 2013. Il se situe en troisième position derrière le secteur du travail temporaire, de l’action sociale et de la santé (7 393) ainsi que des services, commerces et industrie de l’alimenta­tion (10 347) (Cnam-TS, 2014). La quasi-totalité de ces maladies (92,3 %) concerne des troubles musculosquelettiques (Cnam-TS, 2015) [4].
  • [1]
    Selon la Dares, en 2007, au plan national, pour l’ensemble des salariés, les ouvriers connaissent en moyenne 48 accidents du travail (AT) pour 1 million d’heures de travail contre 3 seulement pour les cadres et chefs d’entreprise (Euzenat, 2009).
  • [2]
    Définition de la Caisse d’assurance retraite santé au travail (Carsat).
  • [3]
    Jours d’incapacité temporaire x 1 000 / nombre total d’heures travaillées (définition de la Carsat).
  • [4]
    Il s’agit de troubles de l’appareil locomoteur pour lesquels l’activité professionnelle peut jouer un rôle dans la genèse, le maintien ou l’aggravation. Les TMS affectent principalement les muscles, les tendons et les nerfs, c’est-à-dire les tissus mous. Voir « Prévention des risques liés aux positions de travail statiques », Fiche pratique de sécurité, ED 131, INRS, 1re édition 2008 réimprimée en mars 2012, https://fr.pokerlistings.com/assets/pdf/ed131.pdf.

I.2. Les intérimaires : une population d’ouvriers très segmentée

16 Selon les données publiées par la Dares et reprises dans les rapports annuels économiques et sociaux de Prism’emploi, comparativement aux employés permanents, les intérimaires sont relativement plus jeunes (âge moyen : 37 ans pour les intérimaires contre environ 41,8 ans pour l’ensemble des salariés) (Prism’Emploi, 2021). Si pour tous les intérimaires en France, plus des trois quarts sont des ouvriers parmi lesquels moins de la moitié (40 %) est qualifiée, ces caractéristiques sont encore plus prononcées pour le secteur du BTP, là où les accidents du travail sont plus nombreux et plus graves. En effet, il s’agit très majoritairement, pour ne pas dire exclusivement, d’ouvriers, relativement jeunes, disposant de surcroît d’une faible expérience et surtout, de passagers ou d’occasionnels dans l’intérim. Parmi ces travailleurs, nous trouvons également beaucoup d’étrangers. Une étude récente de la Dares (Desjonquères et al., 2021) montre en effet qu’environ 10 % des emplois en France, tous secteurs économiques confondus, sont occupés par des immigrés. Nous les trouvons très majoritairement sur des postes de travail exposés « à des conditions de travail contraignantes et/ou à des tensions sur le marché du travail ». Derrière le secteur des services aux particuliers et aux collectivités territoriales, le secteur du bâtiment et des travaux publics constitue d’ailleurs le deuxième plus important employeur de travailleurs étrangers ou d’origine étrangère. Ces derniers sont surreprésentés dans les postes de travail de faible niveau de qualification et les emplois les plus précaires comme l’intérim. Pour occuper rapidement un emploi, cette main-d’œuvre étrangère utilise les services des agences d’intérim et est prête à accepter des conditions de travail difficiles (Jounin, 2009a). Dans le domaine de la sécurité au travail se pose alors une question cruciale qui est celle de la compréhension rapide des consignes de sécurité sur le lieu de travail. Ce sujet a été éclairé par le débat autour de la fameuse « clause de Molière » dans les appels d’offres des marchés publics du secteur de la construction, qui impose l’usage et la compréhension du français sur les chantiers publics depuis 2017. Il est de la responsabilité des agences d’intérim de s’assurer que les intérimaires qu’elles détachent maîtrisent correctement le français pour au moins comprendre les consignes de sécurité et ainsi se préserver de potentiels risques d’accidents du travail.

17 Une autre dimension de l’intérim qui explique cette vulnérabilité des intérimaires aux accidents du travail concerne la forte volatilité et segmentation de cette population de travailleurs (Belkacem, 1997 ; Domens, 2011). C’est une caractéristique que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays (Belkacem et al., 2011).

18 L’analyse des parcours de vie des intérimaires que propose par exemple Faure-Guichard (1999) distingue trois logiques différentes de passage par l’intérim :

19 ■ une première logique caractérisait un intérim dit d’insertion et rendait compte d’un phénomène structurel correspondant à l’entrée sur le marché du travail, en début de cycle professionnel, à la sortie de l’école par exemple pour les jeunes ;

20 ■ une deuxième logique concernait un intérim de transition, le plus répandu selon Faure-Guichard. Ici l’intérim n’était qu’un passage, perçu et conçu comme transitoire dans un itinéraire professionnel. Il recouvrait cependant des situations relativement variées en termes d’âge, de type d’expérience professionnelle et de nature des missions ;

21 ■ une troisième logique se rapportait à un intérim dit de profession, résultant d’un choix délibéré de passage par les services des agences de travail temporaire.

22 Domens (2011) distinguait quant à lui cinq situations spécifiques d’intérimaires à la fois du point de vue des profils socioprofessionnels et des motivations à l’égard de l’intérim : les intérimaires permanents qui se caractérisent par des durées de mission moyennes élevées ; les intérimaires occasionnels affichant à l’inverse des durées de mission moyennes très faibles ; les intérimaires irréguliers qui montrent une relative ancienneté dans l’intérim, mais un temps de travail très variable ; les intérimaires en insertion progressive et enfin, les intérimaires intensifs récents dont leur principale caractéristique est une présence récente dans l’intérim mais avec un volume de travail en croissance rapide.

23 Glaymann (2008) insistait également sur cette forte diversité de la population intérimaire. Il distinguait les intérimaires qu’il qualifiait d’utilitaristes (acquérir une qualification monnayable sur le marché du travail), de contingents (faciliter une transition professionnelle par exemple), d’autonomes (choix de liberté à l’égard du travail), ou encore de faute de mieux. Il soulignait cependant que le choix d’opter pour l’intérim reste dans la plupart des cas un choix sous contrainte, ce que confirment nos propres observations de terrain.

24 C’est ce que notent également d’autres auteurs comme Mashkova (2008) ainsi que Barbier et alii (2000) pour le secteur de la logistique. Ces derniers observent une population composée d’intérimaires ponctuels plutôt de passage, d’intérimaires permanents (permatemp) qui ont fait leur preuve et d’intérimaires nouvellement embauchés qui seront alors testés et sélectionnés.

25 Au-delà de ces différentes classifications, il faut retenir qu’une majorité d’intérimaires cherche à quitter l’intérim au plus vite. Ils sont nombreux à déclarer recourir à ce statut d’emploi « faute de mieux ». Ils investissent peu cette période d’intérim, et acceptent souvent ces conditions de travail difficiles parce qu’ils espèrent que cela ne durera pas. On comprend mieux pourquoi les accidents du travail sont nombreux dans ce secteur d’activité économique en dépit des efforts de prévention réalisés par les organisations professionnelles, à commencer par les actions de sensibilisation aux accidents du travail menées par les ETT elles-mêmes (Belkacem, Lhotel, 2012).

II. Quel état de santé des travailleurs intérimaires ?

26 Les entreprises font de plus en plus souvent appel à l’intérim pour des missions de durées tendanciellement plus courtes. Comme les intérimaires sont souvent appelés dans l’urgence, on peut se poser la question suivante : comment ces salariés s’adaptent-ils à des conditions de travail et à des environnements de travail évolutifs ? Quels problèmes rencontrent-ils le plus souvent dans l’exercice de leur activité ? Et comment ces problèmes affectent-ils leur santé ? Nous avons effectué deux enquêtes de terrain auprès d’intérimaires et responsables d’organismes de prévention pour avancer des premiers éléments de réponse (encadré 4 ; II.1). Avant de répondre à ces questions, il convient de définir ce concept de santé en lien avec le travail aux contours très flous (II.2).

II.1. La santé des travailleurs : un concept protéiforme

27 Comment définir la santé en lien avec le travail ? C’est un objet difficile à cerner. Dans une optique sociologique et économique, les travaux sur le sujet montrent que la santé est avant tout un état dynamique, liée au bien-être physique, social et psychologique : elle ne se résume donc pas à l’absence de maladies [6]. Elle se réfère également à l’adaptation à un environnement mais aussi à une ressource qui peut prendre la forme d’un capital (capital santé). Par problèmes de santé, il faut comprendre les situations où les capacités physiques et intellectuelles des travailleurs sont, temporairement ou définitivement, affectées ou affaiblies. Les problèmes de santé produisent ce que Canguilhem (1948) qualifiait de changement « d’allure de vie », celle-ci pouvant être saisie, selon Célérier (2008), suivant trois dimensions : la vitesse, le rythme et l’apparence. En affectant la vitesse de vie, son rythme et son apparence, les problèmes de santé liés au travail contribuent à modifier l’allure de vie. Ceci montre le caractère complexe et multidimensionnel des impacts du travail intérimaire sur les conditions de travail et la santé de ces travailleurs. Selon cet auteur, en droit, les catégories juridiques relatives aux problèmes de santé, liés ou non au travail, sont insuffisantes pour rendre compte de cette relation travail-santé. Le droit prévoit en effet l’incapacité temporaire (la maladie) ou durable (invalidité dont la gravité est mesurée à l’aide d’une échelle à trois niveaux justifiant des indemnités différenciées). Il existe une troisième catégorie : l’inaptitude, dont les contours sont eux aussi relativement flous. Le traitement juridique de la maladie apparaît donc, selon nous, très réductrice. Comment prendre en compte par exemple les souffrances au travail ? Ou le cas des travailleurs qui, par crainte de perdre leur emploi, ne déclarent pas leur maladie, situation pourtant très fréquente dans l’intérim (Belkacem, Montcharmont, 2009 ; Jounin, 2009b) ? Dans la suite de cet article, nous retiendrons cette définition extensive de la santé, plus appropriée selon nous pour analyser les conditions de travail et ses impacts sur la santé.

Encadré 4 - Deux enquêtes auprès d’intérimaires en 2008, de responsables d’organismes de prévention et de travailleurs en 2017

La première enquête concerne une étude sur l’intérim, les conditions de travail et la santé des intérimaires réalisée en 2008 (Belkacem, Montcharmont, 2009). Finan­cée par la Direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle de la Région Lorraine, cette recherche a été organisée autour de deux investigations de terrain :
■ une enquête par questionnaires auprès de 110 intérimaires (taux de réponse 54 %). L’échantillon d’intérimaires a été constitué sur une base aléatoire en nous appuyant sur le réseau d’agences et d’entreprises de travail temporaire de trois principales zones d’emploi (Nancy, Longwy et Thionville) ;
■ douze entretiens semi-directifs approfondis ont constitué le second volet de cette recherche. L’objectif de ces entretiens était de compléter l’analyse quantitative sur des points précis mis en évidence par l’exploitation des questionnaires.
Plus récente, la seconde enquête (2017), financée par le CNRS, avait pour objet de questionner la notion de marge de manoeuvre des intérimaires. Cette investigation a été menée à partir d’entretiens exploratoires entre février et juin 2017 auprès de responsables d’organismes de prévention de Lorraine :
■ l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) [1] de Metz (Monsieur C., chargé de mission) ;
■ l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) [2] (Monsieur P., adjoint du directeur d’agence du Grand-Est) ;
■ la Caisse d’assurance retraite et santé au travail (Carsat) Nord-Est [3] (Madame Z., ergonome ; Madame C. F., ingénieur conseil ; Monsieur B., ingénieur conseil).
Cette enquête a été également complétée par des entretiens exploratoires auprès d’une dizaine de salariés, intérimaires et anciens intérimaires d’entreprises indus­trielles et du BTP de la région nancéenne.
  • [1]
    Ses principales missions consistent à améliorer les conditions de travail et de management au travail ; elles ont aussi pour but de prévenir l’usure professionnelle.
  • [2]
    Son rôle consiste à présenter les différents métiers et les équipements de protection individuelle. Cet organisme propose aussi des formations.
  • [3]
    Cette structure propose également des formations pour réduire les risques. Elle a enfin une mission de prévention des risques professionnels auprès des entreprises.

II.2. Des conditions de travail difficiles

28 Dans le tableau 3, nous présentons une synthèse des résultats concernant les principales caractéristiques des conditions de travail issues de notre enquête des intérimaires en mission dans les secteurs de l’industrie et du BTP.

29 Pour une grande majorité des intérimaires que nous avons questionnés, les conditions de travail sont perçues comme le plus souvent difficiles. La moitié de ces travailleurs reconnaît adopter des postures inconfortables ou inadéquates durant leur travail : le fait de rester dans la même position pendant une longue période est une source de problèmes et de gêne [7]. Cette situation se complique lorsque les mouvements sont répétitifs, ce qui est le cas dans les situations de chaînes de travail et concerne plus d’une personne interrogée sur deux. Les postures inconfortables sont quotidiennes pour les trois quarts des travailleurs en intérim qui exercent des activités nécessitant une manutention importante et le port de charges lourdes, comme par exemple de sacs de ciment de 25 kg. Un peu plus de quatre intérimaires sur dix signalent également les effets négatifs de machines ou d’outils (meuleuses, boulonneuses, perceuses, marteaux piqueurs, cisailles). Les intérimaires occupent souvent des postes de faible niveau de qualification et sont cantonnés à des tâches périphériques ou subalternes : ils sont donc considérés comme interchangeables et facilement remplacés (Everaere, 2008). Ils travaillent sur des chaînes de production par exemple dans l’industrie automobile. Du fait de la répétitivité des tâches qui ne demandent qu’un temps d’apprentissage très court du point de vue des employeurs, ces salariés doivent affronter des cadences élevées : plus de la moitié des intérimaires enquêtés déclarent y être soumis.

Tableau 3 - Les principales caractéristiques des conditions de travail des intérimaires enquêtés

Caractéristiques des conditions de travailEffectifs concernés (N=60)%
Postures inadéquates (positions longues accroupie, debout, penchée, assise, etc.)3558,3
Répétitivité des gestes3355,0
Manutention et port de charges lourdes4372,9
Vibration d’outils ou de machines2542,4
Rythmes et cadences de travail très élevés3355,0
Contrôle fréquent du travail4270,0
Manque d’autonomie dans le travail5896,7

Tableau 3 - Les principales caractéristiques des conditions de travail des intérimaires enquêtés

Lecture : 58 intérimaires sur 60, soit 96,7 % des intérimaires interrogés déclarent manquer d’auto- nomie dans le travail.
Source : Enquête – DRTEFP (Belkacem, Montcharmont, 2009).

30 Nos résultats vont dans le même sens que de nombreuses conclusions d’études menées sur le sujet. En s’appuyant sur une exploitation de l’enquête « Conditions de travail », Rouxel (2009) montre, en effet, que ces salariés intérimaires sont souvent soumis à des contraintes de rythme, une faible autonomie et diverses pénibilités physiques. D’autres études, comme celle menée par Loriot (2001), vont dans ce sens. Parmi les enquêtés qu’il a rencontrés, Sylvaine, ouvrière intérimaire dans l’industrie alimentaire, exprimait cette réalité des contraintes liées au temps et à la répétitivité dans l’intérim : « On nous demandait de plus en plus de vitesse parce qu’on avait plus de commandes. On avait un couteau et pas de gants en mailles… Vu la rapidité, à la place de couper la viande, j’ai coupé mon doigt. J’étais dans la boîte depuis plus de 3 mois, j’étais intérimaire. Je n’avais eu aucune formation, on apprenait sur le tas (…). »

31 Le contrôle permanent est également une caractéristique courante des conditions de travail des intérimaires qui accroît les pressions psychologiques. En effet, un peu plus des deux tiers des intérimaires ayant répondu à notre enquête par questionnaire signalent une pression hiérarchique fréquente. La spécificité de la relation d’intérim, une relation triangulaire, génère plusieurs formes de contrôle : celle qu’exerce l’entreprise utilisatrice (EU) sur le travail, son résultat et son déroulement, mais aussi celle qu’exerce l’entreprise de travail temporaire (ETT) à l’issue de la mission. Ce double contrôle traduit une double soumission de l’intérimaire à l’ETT qui peut lui proposer d’autres missions s’il donne satisfaction, mais aussi à l’EU, qui peut lui proposer tout simplement une embauche ferme et le soustraire ainsi à la précarité et au chômage récurrent. Les intérimaires sont également soumis à des contraintes organisationnelles importantes, notamment du fait de leurs horaires évolutifs et changeants. Cet aspect est confirmé par Gorgeu et Mathieu (2011), selon lesquels un intérimaire peut successivement connaître le travail en deux équipes alternantes, le travail de nuit, mais aussi le travail du week-end en fonction des besoins de l’entreprise utilisatrice. Ces conditions de travail difficiles augmentent la vulnérabilité de ces travailleurs aux accidents du travail, comme le reconnaît l’organisation syndicale professionnelle du secteur de l’intérim (De la Tour, 2008). Ces conditions de travail difficiles conduisent également à des problèmes de santé récurrents chez les intérimaires.

II.3. Quels sont les problèmes de santé le plus souvent déclarés par les intérimaires ?

32 Dans les discours des travailleurs intérimaires, deux types de problèmes de santé sont soulignés le plus fréquemment : des douleurs dorsales (60 %) et des problèmes de stress et d’anxiété (52 %).

33 Lors de manutentions de charges, des tâches sont récurrentes, répétitives dans l’intérim : le dos est particulièrement sollicité. Les douleurs dorsales peuvent prendre des formes variées : arthrose vertébrale, douleurs aiguës, scolioses, lumbagos, sciatiques, hernies discales… Ces douleurs sont provoquées par différents facteurs tels que la raideur (suite à une même posture ou l’exécution de mêmes gestes sur une longue durée), le port ou la manutention de charges ou le surmenage musculaire. Elles peuvent survenir après une chute, notamment en ce qui concerne les douleurs aiguës, fréquentes lorsque le travail doit être réalisé dans l’urgence comme souvent dans l’intérim. Déviation de la courbure vertébrale, la scoliose fait suite à des mauvaises postures prolongées. Ces douleurs sont difficilement reconnues comme des maladies professionnelles : ce sont pourtant des problèmes de santé fréquents, comme l’indique Tranchant (2018:118) dans son étude sur les intérimaires du secteur de la logistique. L’auteur y souligne en effet que dans la manutention manuelle des colis, les préparateurs de commandes sont particulièrement concernés par des maux de dos (lombalgies, hernies) causés par des chocs et des accidents corporels. Les maladies professionnelles et les risques d’accident du travail sont fréquents également pour les intérimaires qui occupent des fonctions de caristes. Ils sont exposés à des conditions de travail extrêmes avec des risques de collision ou de chute de palettes, chacune pouvant peser plusieurs tonnes. Ils connaissent régulièrement des douleurs dans le haut du dos en raison des mouvements répétés du cou. Dans notre enquête, Pascal, 28 ans, marié, 2 enfants, manutentionnaire en intérim illustre parfaitement ce point : « Je bosse sur une plateforme logistique près de Metz. Et, toute la journée, je décharge les camions qui arrivent en continu. Ce sont des colis plus ou moins lourds. Pour gagner du temps, je les porte à la main. À la fin de la journée, je ne sens plus mon dos. Il faut que je m’allonge… »

34 Parallèlement à ces troubles de santé, une majorité d’intérimaires que nous avons enquêtés (52 %) reconnaît avoir des problèmes de stress et d’anxiété. Selon nos entretiens, ces troubles sont causés par différents facteurs : des exigences très élevées sur le plan de la productivité, du rendement ; des délais très brefs à respecter dans l’enchaînement des gestes ou des mouvements pour ne pas casser une chaîne. Ces problèmes de stress et d’anxiété peuvent également avoir pour origine des problèmes relationnels ou des difficultés d’adaptation à des tâches très diverses en un temps contraint. Ce dernier point constitue une caractéristique du travail intérimaire, selon Pierre, un étudiant de 22 ans qui travaillait en intérim pendant les vacances universitaires. À l’occasion de sa première mission, il avait été détaché comme aide-couvreur, pour réparer le toit d’une école située dans la banlieue nancéenne. Le chantier avait pris du retard et devait se terminer avant la rentrée scolaire. Sa mission consistait à mettre à disposition du couvreur des tuiles pour recouvrir une partie du toit abîmé : debout à côté du couvreur, prenant appui sur deux poutres horizontales à une hauteur d’environ 10 mètres du sol, il réceptionnait les tuiles qui suivaient une chaîne humaine composée des ouvriers du chantier afin de les acheminer sur le toit et les exposait auprès du couvreur. Ce jeune intérimaire a été marqué par cette mission. Il devait en effet gérer à la fois la peur de tomber et la nécessité de bien faire en suivant le rythme rapide qu’imposait la chaîne humaine d’acheminement des tuiles. Cette pression psychologique, souvent caractérisée par des exigences de résultats, est à l’origine de pressions de nature physique pouvant se traduire par des maladies. Elle peut prendre aussi une autre forme, comme nous l’explique Yvon, célibataire, manutentionnaire intérimaire, 26 ans : « C’est souvent pareil dans ce taf. On ne sait jamais si on doit venir travailler la semaine d’après. En général, le chef attend le vendredi soir pour te le dire. » C’est une pratique courante dans l’intérim d’attendre le dernier jour de la mission pour annoncer au travailleur que sa mission se poursuit. Cela maintient une certaine pression sur lui en lui rappelant qu’il n’occupe qu’une position périphérique dans l’organisation du travail. Cette pression est aussi une garantie de productivité. Mais elle alimente le stress et l’anxiété, ceux-ci pouvant, selon Tamiozzo (2002), également affecter les autres dimensions de la vie sociale du travailleur. Ces difficultés fragilisent notamment les relations familiales et alimentent une souffrance individuelle qui provoque des risques de dépression, dont un des premiers symptômes visibles est le renfermement sur soi. C’est ce que nous a expliqué Isabelle, intérimaire (26 ans, ouvrière), qui a travaillé sur les chaînes de production dans une grande entreprise qui fabriquait des fours à micro-ondes : « Le soir, quand tu rentres à la maison, tu n’as envie de parler à personne. Tu veux en même temps que cette mission se termine vite. D’un autre côté, tu te dis : “mais qu’est-ce que je vais faire après ?”, et tu veux que ça continue. »

III. Quelles marges de liberté dans le travail en intérim pour contourner, éviter ou limiter les accidents du travail ?

35 Pris indépendamment, le BTP et l’intérim sont les deux domaines d’activité économique recensés au niveau national ayant non seulement le plus grand nombre d’accidents du travail mais aussi les plus graves (encadré 3). Selon nos enquêtes et entretiens (encadré 4), les travailleurs disposant d’une stabilité dans l’emploi peuvent acquérir des ressources constitutives de marges de manœuvre (des espaces de liberté) leur permettant de faire face, de détecter et d’anticiper des situations dangereuses, et ainsi de préserver leur santé. Mais qu’entend-on précisément par marges de liberté dans le travail (III.1) ? Sont-elles possibles pour les travailleurs intérimaires (III.2) ? Si oui, pour lesquels ?

III.1. Le concept de marges de liberté dans le travail

36 Étant donné la nature des travaux réalisés dans les secteurs du BTP et de l’industrie, les risques professionnels sont permanents. Leur gestion nécessite d’importants moyens de prévention dont des protections individuelles et collectives, mais aussi de disposer d’informations complètes sur les dangers potentiels. En outre, les entreprises mettent en place des procédures détaillées ou des prescriptions afin que les ouvriers puissent travailler dans les délais prévus et sans se blesser. Mais dans certains secteurs, toutes les tâches ne peuvent pas être prescrites, ou l’employeur peut limiter les moyens mis à la prescription de celles dévolues aux intérimaires, ou les déléguer aux autres salariés. Dans le secteur du BTP, lors de la réalisation de chantiers, le conducteur de travaux peut rencontrer des aléas (retard des fournisseurs, intempéries, pannes de machines ou d’engins…) face auxquels il est contraint d’ajuster la planification des tâches (Forrierre et al., 2011). C’est entre ce travail prescrit et le travail réel qu’apparaissent alors des espaces de liberté gérés de façon individuelle… et c’est là que nous pouvons repérer une importante limite de l’intérim. Nos enquêtes montrent en effet que l’acquisition de ces marges de manœuvre est très variable d’un individu à un autre. Elles dépendent en effet de plusieurs facteurs, personnels mais aussi environnementaux, dont les plus importants sont l’ancienneté et l’expérience permise par les actions de prévention, de formation, d’entraînement, mais aussi d’organisation du travail… En ergonomie, ces espaces de liberté sont définis comme la possibilité dont dispose un travailleur pour élaborer différentes façons de travailler afin d’atteindre les objectifs de production tout en préservant sa santé (Durand et al., 2008). Il peut s’agir de marges spatiales, temporelles et organisationnelles. Ce sont des espaces de liberté qui permettent aux ouvriers de contourner certaines difficultés en répartissant leurs tâches de manière différente (Gollac, Volkoff, 1996), et en choisissant leurs gestes. Cette liberté peut contribuer à réduire les problèmes de santé pouvant résulter d’accidents ou de maladies professionnelles. Nos entretiens avec les professionnels du domaine confirment ces points d’analyse : selon Madame Z., une des responsables de Carsat Nord-Est, qui est ergonome, avec l’ancienneté, il y a des stratégies pour se faire moins mal ou pour gagner du temps, ce que souligne aussi Monsieur C., chargé de mission à l’Aract de Metz. L’expérience professionnelle permet d’acquérir des savoir-faire dont certains permettent de préserver sa santé, de travailler plus efficacement, de se coordonner ou d’anticiper le travail des autres : il peut en résulter un gain important en termes de résultat et d’économie de soi. C’est ce que confirme Paul, ancien intérimaire ayant obtenu un CDI. Il a 17 ans d’ancienneté dans la même entreprise et déclare qu’il « peut décider d’enchaîner sur d’autres travaux » quand il a terminé une tâche. Il a donc une certaine liberté pour organiser ses tâches comme il l’entend. C’est aussi la situation de Philippe, chef de chantier désamiantage, également ancien intérimaire ayant été embauché en CDI, et qui a 16 ans d’ancienneté. Il déclare connaître parfaitement la méthodologie du travail et peut ainsi la changer suivant les contraintes pour travailler plus facilement ou bien en cas de danger : « J’ai déjà changé moi-même la méthodologie. Plusieurs fois ! (…) Le plan de retrait du classeur qu’on me donne, on me donne le plan de l’installation. Ils font ça sur plan. Mais sur le terrain, dans la réalité, on s’aperçoit que ce n’est pas faisable. On a le droit de le modifier. On modifie, mais on le met sur le papier (…). Il peut s’agir de changements pratiques : mettre une machine ailleurs, parce qu’on est plus près du courant, changer une issue de secours pour que les pompiers aient un accès plus facile. » Philippe a une marge de manœuvre liée à son expérience permise notamment par son changement de statut d’emploi et l’accès à un emploi stable. À côté de l’ancienneté, il y a également l’âge des salariés, ce que confirme Philippe, plombier chauffagiste longtemps en intérim et désormais en CDI : « L’avancée en âge incite plus souvent à se servir des protections et à faire attention (…). Un jeune ? Il faut savoir réfléchir, anticiper un peu. Beaucoup ne savent pas anticiper ! » Des travaux sur le vieillissement au travail montrent en effet le rôle de l’expérience dans la protection de la santé, la prévention de la fatigue et de l’usure (Gaudart, 2000 ; Pueyo, 1999). C’est avec l’expérience que les opérateurs construisent des stratégies gestuelles qui leur permettent d’être efficaces tout en préservant leur santé selon les exigences de l’organisation (Chassaing, 2010).

III.2. Des marges de manœuvre difficiles à acquérir pour les intérimaires

37 Ces espaces de liberté sont difficilement acquis par des travailleurs passagers. Nous l’avons vu, les contraintes liées à l’intérim sont nombreuses : faible durée des missions, environnements de travail changeants et évolutifs, mobilisations le plus souvent dans l’urgence… Comme indiqué précédemment (voir supra, I.2.), les intérimaires forment une population de travailleurs très segmentée du point de vue des motivations à opter pour ce statut d’emploi, ainsi que des missions qui leurs sont confiées. Selon l’étude de la Dares, on rencontre cinq profils types d’intérimaires différents (Domens, 2011:4) : les intérimaires occasionnels (avec 42 % des intérimaires en moyenne, ce sont les plus nombreux), les intérimaires en insertion progressive (16 %), les intensifs récents (16 %), les intérimaires permanents (13 % des intérimaires en moyenne) et les intérimaires irréguliers (12 %). Les intérimaires qualifiés de permanents affichaient non seulement la durée moyenne de mission la plus élevée (3,2 semaines), mais aussi une durabilité dans l’intérim plus importante, autorisant l’accumulation d’expériences. Sur la période observée par la Dares (six trimestres entre 2003 et 2009), la quasi-totalité de ces travailleurs (94 %) était régulièrement en mission. Pour les intérimaires qualifiés d’occasionnels et d’irréguliers (plus de la moitié des intérimaires), les durées des missions sont toutefois très faibles, dépassant à peine une semaine pour le premier type (1,1 semaine) et atteignant à peine 2 semaines pour le second (1,8 semaine).

38 Pour les intérimaires qualifiés de permanents, appelés d’ailleurs également par la profession de l’intérim des professionnels, l’intérim est un choix délibéré. Ce sont eux que les agences d’intérim cherchent à fidéliser. Ils disposent généralement d’une qualification reconnue, voire recherchée sur le marché du travail local, et comme nous l’avons vu, d’une ancienneté plus importante dans l’intérim. Nos enquêtes montrent qu’ils sont souvent détachés dans les mêmes entreprises, ce qui leur permet l’acquisition de telles marges de liberté. Mais à l’inverse, pour les autres profils d’intérimaires, les intérimaires passagers, occasionnels (voir supra, I.2), qui représentent la majorité de ces travailleurs, l’intérim n’est qu’un moment dans leur trajectoire professionnelle, une situation souvent faute de mieux, et la constitution de marges de liberté pour se prémunir des accidents du travail et des maladies professionnelles apparaît très difficile voire impossible. En effet, comme les missions des intérimaires sont de courte durée, ces travailleurs appelés souvent dans l’urgence pour pallier à des imprévus doivent s’adapter sans cesse à des nouveaux environnements de travail. En outre, ils sont interrompus régulièrement par les salariés permanents qui les sollicitent pour réaliser d’autres tâches. Mathieu, intérimaire de 26 ans, précise ainsi : « On dirait que dès qu’ils font un truc qu’ils n’aiment pas, ils regardent vite autour d’eux pour voir s’il n’y a pas un intérimaire pas loin qui pourrait le faire à leur place » (citation tirée de Rosini, 2012). De plus, ces travailleurs de passage n’ont pas accès à toutes les informations dont disposent les salariés stables mieux insérés dans les collectifs (Gollac, Volkoff, 2006). Méconnaissant l’environnement de travail, ils doivent travailler sous la pression de contraintes de rythme et de temps : ils ne sont d’ailleurs appelés que lorsqu’apparaît une problématique de ressources humaines ou organisationnelle à traiter rapidement. C’est ce que souligne Monsieur C., chargé de mission à l’Aract, pour qui les salariés intérimaires sont généralement plus vulnérables : « Il est plus facile de mettre la pression sur un intérimaire pour lui demander d’assumer une prise de risques car il est dans une situation précaire. Le salarié permanent peut refuser de prendre un risque notamment du fait de la connaissance de ses droits et du recours possible aux instances telles que le CSE [8] de son entreprise pour le renseigner ». Les intérimaires qui ont des missions courtes ne sont pas forcément bien intégrés dans l’entreprise : ils n’ont pas le pouvoir de négociation nécessaire pour faire évoluer leurs conditions de travail. De plus, « les intérimaires ont généralement moins de droits que les permanents et moins la possibilité de les faire valoir » (Jounin, 2009b:196). Cela peut contribuer à expliquer que selon les résultats de nos enquêtes, la majorité des travailleurs indique ne pas toujours être bien ou être trop rapidement formés aux règles de sécurité. Ils peuvent donc être moins sensibilisés aux dangers par leur employeur, ce qui accroît leur vulnérabilité aux accidents du travail. De plus, de mission en mission, ces travailleurs sont amenés à changer de poste de travail mais également à s’adapter à de nouveaux environnements de travail. Ainsi que le souligne Monsieur P, adjoint du directeur à l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) du Grand-Est, « le chantier change sans cesse. Il faut s’adapter au quotidien ». Connaissant mal les milieux dans lesquels ils sont amenés à travailler, les intérimaires manquent d’expérience et ne maîtrisent pas tous les risques, or, selon Monsieur P., « il faut des années pour se rendre compte de tous les risques ». L’exposition aux dangers des intérimaires est accrue par le manque de formation adéquate. Ce cumul de facteurs favorise les accidents dans cette population fragilisée de travailleurs sur qui pèse la gestion des incertitudes, des aléas que rencontrent les entreprises.

39 Enfin, en espérant bénéficier d’un renouvellement de leur mission voire accéder à un contrat de travail permanent (Ravallec et al., 2009), les intérimaires peuvent délibérément prendre des risques en cherchant à donner le meilleur d’eux-mêmes afin de montrer ce dont ils sont capables et qu’ils sont performants. Ils acceptent alors plus facilement des travaux difficiles ou dangereux. En effet, selon Cru (1985), la prise de risque est un élément qui contribue à la reconnaissance par les collègues et supérieurs hiérarchiques des qualités professionnelles du travailleur, qui sera d’autant plus apprécié et reconnu qu’il saura prendre des risques dans son activité. C’est également ce que souligne Madame CF, du Carsat Nord-Est : « L’intérimaire va accepter des travaux plus difficiles ou dangereux car il veut être embauché. », ou encore Monsieur P., de l’OPPBTP : « Les salariés en CDD et les intérimaires veulent faire vite et bien afin d’obtenir leur chance d’être recrutés malgré les risques. » Les intérimaires sont alors incités à fournir des efforts plus importants pour accéder à un CDI ou à un renouvellement de leur contrat. Mais ces comportements peuvent entraîner des accidents dont des blessures corporelles parce qu’en mission, ils n’ont pas toujours le temps de s’approprier les gestes susceptibles de préserver leur santé et doivent être rapidement opérationnels. Dans notre enquête, un peu plus de la moitié des intérimaires rencontrés fournit des efforts plus importants pour accéder à un CDI ou à un renouvellement de leur contrat.

Conclusion

40 Cet article s’est intéressé à l’impact de l’intérim sur les conditions de travail et sur la santé de ces travailleurs dans les secteurs de l’industrie et du BTP à partir de deux enquêtes. Il montre que les raisons de la surexposition des intérimaires aux accidents du travail sont à mettre en relation avec la nature même de cette activité. Pour être efficace, l’intérim doit être en effet un bon instrument de gestion des aléas et de l’incertitude inhérente à la gestion des ressources humaines et à l’organisation du travail dans les entreprises. Mais ces aléas sont reportés sur des travailleurs qui doivent être rapidement opérationnels : les temps d’adaptation aux postes de travail sont courts voire inexistants dans un contexte de baisse tendancielle de la durée des missions d’intérim. L’analyse des caractéristiques sociodémographiques des intérimaires montre en effet que ceux-ci forment une population de travailleurs plutôt ouvrière, relativement jeune, souvent étrangère, bénéficiant d’une faible expérience, et qu’on appelle le plus souvent dans l’urgence pour travailler dans des environnements de travail très changeants avec des conditions de travail difficiles : postures inadéquates, répétitivité des gestes, port de charges lourdes, cadences de travail élevées, etc. Ces conditions de travail difficiles ne sont pas sans conséquences sur leur santé.

41 Nous avons insisté sur deux types de problème de santé récurrents : les troubles musculosquelettiques dont les douleurs dorsales et les problèmes de stress et d’anxiété. Cette étude montre que seuls les travailleurs disposant d’une ancienneté génératrice d’expérience, ayant des profils d’intérimaires dits « permanents » ou « professionnels », peuvent acquérir des ressources permettant de limiter les accidents du travail. Accumulant des missions plus régulières et longues que la majorité des intérimaires détachés par les ETT (les occasionnels de l’intérim et des irréguliers), qui ne disposent pas de suffisamment d’expérience pour se protéger des accidents du travail, ces intérimaires peuvent en effet mieux gérer ces difficultés inhérentes aux conditions de travail. Cela explique sans doute pourquoi les secteurs de l’intérim et du BTP sont davantage concernés par les accidents du travail que les autres secteurs économiques au plan national.

42 Quelles sont alors les pistes d’action pouvant être envisagées pour améliorer les conditions de travail des intérimaires ? Deux orientations peuvent être proposées. La première consiste à responsabiliser davantage les entreprises utilisatrices, à commencer par faire respecter les règles de sécurité : les entreprises de travail temporaire font certes office d’employeur légal des travailleurs intérimaires, mais elles ne contrôlent ni le processus de production, ni la définition de l’organisation du travail et des conditions de travail qui en découlent. De plus, elles ne sont pas toujours informées des affectations de l’intérimaire sur les postes de travail au sein de l’entreprise utilisatrice. La seconde piste serait de stabiliser davantage les intérimaires sur la base de contrats de travail plus pérennes, de manière à ce qu’ils bénéficient au mieux des apprentissages du travail, ou encore de mieux adapter les missions à leurs profils socioprofessionnels. Une stabilisation des intérimaires sur des contrats de travail plus stables autoriserait le développement d’actions de formation plus longues. La mise en place en 2014 d’un contrat de travail à durée indéterminée pour les intérimaires va dans le bon sens, mais il doit être accessible à davantage d’intérimaires et autoriser des périodes de formation de plus longue durée et systématiques.

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Notes

  • [1]
    Dares, exploitation des déclarations sociales nominatives (DSN) et des fichiers Pôle emploi des déclarations mensuelles des agences d’intérim (voir annexe 2 sur les sources de données sur l’intérim). Pour les données sur l’intérim, voir Biotteau (2022).
  • [2]
    Données annuelles sur l’intérim en équivalent temps plein, source : Dares, Ministère du Travail du Plein Emploi et de l’Insertion. Les données mobilisées dans cette étude proviennent de cette source d’information (encadré 2).
  • [3]
    En effet, la législation prévoit qu’en cas d’accidents du travail, les responsabilités sont partagées entre les entreprises utilisatrices et les agences d’intérim (Belkacem, 1997).
  • [4]
    Étude PRISME-BVA Enquête auprès des entreprises sur les contrats de travail dont la durée est limitée, mai 2012.
  • [5]
    Dares, « L’emploi intérimaire », données au 6 avril 2022, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/lemploi-interimaire
  • [6]
    Sur la notion légale de la maladie, l’art. 3 al. 1 LPGA dispose que : « est réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité à travailler ».
  • [7]
    « Prévention des risques liés aux positions de travail statiques », Fiche pratique de sécurité, ED 131, INRS, 1re édition 2008 réimprimée en mars 2012 disponible en ligne : https://fr.pokerlistings.com/assets/pdf/ed131.pdf.
  • [8]
    Comité social et économique.
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