Notes
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[1]
Professeur à Reims Management School et chercheur associé au GREGOR - IAE de Paris (Chaire Mutations, Anticipations, Innovations).
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[2]
Statisticienne.
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[3]
Les auteures remercient Yves Moulin, maître de Conférences à l’EM Strasbourg pour ses apports et conseils dans ce travail.
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[4]
Dans un contexte où il n’existe pas de système d’information intégré en la matière, la récupération de ces données a nécessité l’obtention de la liste nominative des salariés licenciés, d’une autorisation de la CNIL, puis l’extraction d’un fichier spécifique par Pôle Emploi à partir de son fichier historique.
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[5]
La cellule de reclassement peut prendre le nom d’antenne emploi, d’antenne de reconversion, d’antenne de transition professionnelle.
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[6]
Cellule pour laquelle l’entreprise bénéficie d’une aide de l’Etat dans le cadre d’une convention conclue avec la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP).
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[7]
On peut s’étonner de cette référence à 12 mois, toutes les cellules de reclassement n’ayant pas la même durée. En moyenne, la durée des cellules conventionnées en 2007 est de 10 mois et demi, elle est au minimum de 3 mois. Or la source qui permet de construire cet indicateur (SI PSE) collecte l’information à l’issue de la cellule.
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[8]
Plus exactement leur situation d’inscription à Pôle emploi.
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[9]
Reconnaissance en qualité de travailleur handicapé, pension d’invalidité.
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[10]
Par exemple, dans les cas de cellules de reclassement conventionnées par l’Etat, les montants de la participation de l’Etat sont précisés en fonction des résultats obtenus : « x € dans le cas d’un accompagnement réel, mais n’ayant pas permis de formuler un projet de reclassement précis ; x € dans le cas d’un projet aboutissant à un CDD et d’un CTT de moins de six mois ; x € dans le cas d’un projet validé non encore abouti de reprise ou de création d’activité, sur productions de justificatifs (contrats de bail…) ; etc. ».
1En 2005, l’IRES publiait un numéro spécial sur les restructurations [3]. Plusieurs articles analysaient les dispositifs de reclassement en soulignant les limites de l’accompagnement social des restructurations (Tüchszirer, 2005 ; Mazade, 2005) et finalement, les limites du cadre des plans sociaux (Bruggeman, 2005). En 2010, le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur les cellules de reclassement (Ramonet, 2010), préconise, dans la continuité de nombreux rapports et études qui sont allés dans le même sens, de « développer une véritable démarche de contrôle et d’évaluation » de ces cellules. Cet article se propose d’étudier les conditions et les freins à l’instauration d’une telle démarche.
2L’analyse s’appuie sur l’étude monographique de deux PSE (plans de sauvegarde des emplois) dans deux entreprises, Chaussette et Cuir, (Beaujolin-Bellet et al., 2006) et sur l’analyse de la trajectoire des 700 personnes concernées (Beaujolin-Bellet et al., 2009). Ces deux PSE se sont déroulés dans des bassins d’emploi ruraux sur la même période et les salariés ont été suivis depuis leur inscription au chômage jusque deux ans après la clôture de la cellule de reclassement, soit une période d’étude de janvier 2002 à août 2005. Ces deux cas sont emblématiques de restructurations de crise touchant des industries traditionnelles exposées à la concurrence des pays à bas salaire, Cuir connaissant un dépôt de bilan amenant à la suppression de près de la moitié des postes (526), et Chaussette étant une entreprise en difficulté amenant le groupe à prendre une décision de cessation d’activités concernant 189 personnes. Elles impliquent des ruptures de contrat pour des salariés – en grande majorité ouvriers et employés – qui connaissaient antérieurement une forte stabilité d’emploi (encadré 1).
Encadré 1. Présentation des deux PSE et méthodologie
La réalisation de chaque étude de cas a reposé sur l’identification d’acteurs pertinents (direction, délégués syndicaux, experts auprès du comité d’entreprise, acteurs administratifs et élus locaux). Outre les quarante-cinq entretiens menés, l’ensemble des documents liés à chacun des PSE étudiés a été collecté. Pour compléter cette analyse et étudier le parcours des salariés ayant vécu la restructuration, le fichier des demandeurs d’emploi de Pôle emploi a été mobilisé.
Dans le cas Chaussette, 189 personnes sont concernées par le PSE. Les noms de 163 salariés nous ont été fournis pour l’identification dans le fichier Pôle emploi. 106 salariés ont été retrouvés dans les fichiers de l’agence, 57 personnes n’apparaissant donc pas (35 %). L’étude monographique, de son côté, fait état de 181 personnes potentiellement concernées par la cellule de reclassement et de 144 personnes adhérant à la cellule. Finalement, les résultats en fin de cellule sont fournis pour 136 d’entre eux (tableau 1).
Description des 584 demandeurs d’emploi des PSE Chaussette et Cuir (en %)
Description des 584 demandeurs d’emploi des PSE Chaussette et Cuir (en %)
Description de la population d’étude
Description de la population d’étude
Lecture : les adhérents aux cellules de reclassement ne sont pas repérés dans le fichier historique.3Ces deux cas, même s’ils datent de plus de cinq ans, ont été mobilisés car ils représentent un matériau unique dans le lien qui a été rendu possible entre une étude de terrain et une analyse quantitative longitudinale. Il est aussi unique dans la mobilisation du fichier historique de Pôle emploi qui a permis un suivi des personnes sur près de quatre ans [4].
4A l’aide de ces matériaux, en confrontant la réalité de terrain, l’article se propose donc de mettre au jour les difficultés que soulève l’enjeu d’évaluation des cellules de reclassement, à la fois en termes de définition d’un référentiel (I), de conditions de définition et d’évaluation du travail d’accompagnement (II) et de recueil des données (III). Il propose enfin une modélisation de la situation des salariés deux ans après la fin des cellules de reclassement dans les deux cas étudiés (IV).
I – Quels critères d’évaluation du reclassement ?
5La cellule de reclassement [5], structure de soutien et d’accompagnement, doit s’engager activement dans le reclassement rapide des salariés licenciés pour motif économique grâce à un suivi individualisé. Elle comprend généralement la réalisation d’un bilan de compétence, l’élaboration d’un projet professionnel, des formations aux techniques de recherche d’emploi, la proposition d’offres d’emploi. L’animation de la cellule est confiée quasi systématiquement à un opérateur privé de placement (OPP).
6Sur quels critères et à partir de quelles conventions de calcul mesurer si l’objectif est atteint ? Après avoir étudié les taux de reclassement et les taux de solutions identifiées à l’issue de la cellule (I.1) puis le taux d’adhésion (I.2), indicateurs les plus utilisés, nous montrerons la nécessité de prendre en compte l’évolution du reclassement dans le temps (I.3). Même si les données sur la qualité des emplois retrouvés, et l’impact sur la santé n’existent pas pour Cuir et Chaussette, elles nous semblent essentielles pour compléter l’évaluation (I.4).
I.1 – Taux de reclassement et taux de solutions identifiées à l’issue de la cellule
7Le taux de reclassement à l’issue des cellules de reclassement est le principal indicateur retenu depuis leur création. Toutefois, cet indicateur peut être construit de différentes manières et donc produire des résultats très différents.
8Concernant le taux de reclassement, quelles en sont les conventions de calcul ? Au numérateur, quelle définition retenir pour le reclassement ? Doit-il prendre en compte les CDD (de quelle durée ?), l’intérim (de quelle durée ?), la création d’entreprise (à quelle étape du processus de création ?), les situations de formation (avec quelle définition utilisée et de quelle durée ?) ? Au dénominateur, doit-on exclure les salariés qui ont abandonné la cellule de reclassement en cours de route après y avoir adhéré ou encore ceux qui ont finalement bénéficié d’une mesure d’âge ? Jusqu’en 2007, le taux de reclassement obtenu par les cellules conventionnées [6] portait sur les salariés ayant retrouvé un CDI, un CDD ou une mission d’intérim quelle que soit sa durée, ou ayant créé leur entreprise (Bobbio, 2009). La circulaire de la DGEFP no 2007-20 du 17 juillet 2007, en instituant pour les cellules conventionnées une rémunération aux résultats, a contribué à la construction d’un référentiel commun. L’indicateur de performance utilisé désormais est le taux de reclassement des salariés bénéficiaires d’une cellule de reclassement défini comme suit : nombre de salariés reclassés au bout de 12 mois [7] (reclassement = CDI, CDD de plus de 6 mois, CTT de plus de 6 mois, formation longue de plus de 300 heures) / nombre de salariés ayant adhéré à une cellule de reclassement conventionnée avec l’Etat ou non. L’objectif à atteindre pour 2010 est fixé à 60 %.
9Le taux de reclassement annoncé à l’issue de la cellule de reclassement est meilleur dans le cas Chaussette, 62,5 %, que dans celui de Cuir, 50,7 % (tableau 3). Dans le cas Cuir, les engagements initiaux de 80 % de reclassement qui avaient été obtenus à l’issue de négociations n’ont pas été atteints. Les justifications du cabinet de reclassement avancent trois arguments : un marché de l’emploi très faiblement porteur ; la population à reclasser particulièrement peu qualifiée, peu habituée à l’autonomie et peu encline à la mobilité ; un bassin d’emploi enclavé subissant pendant la même période d’autres fermetures. Pourtant inscrite dans un bassin d’emploi ayant des caractéristiques très proches, dans un secteur d’activités comparable, et dans une histoire similaire de pratiques de gestion des ressources humaines, les résultats de l’antenne emploi de Chaussette sont jugés comme étant bons par les acteurs rencontrés, les raisons suivantes étant avancées : des salariés mobilisés et qui ont une bonne image dans le bassin d’emploi, une équipe de consultants qui « passe bien », un marché du travail local relativement « en bon état », des moyens en formation conséquents, et une antenne emploi où « il y a de l’argent ». La qualité et le degré d’investissement des intervenants et des différents acteurs sont aussi évoqués à plusieurs reprises pour expliquer ce « bon bilan ».
Taux de solutions identifiées et taux de reclassement (en %)1,2
Taux de solutions identifiées et taux de reclassement (en %)1,2
1. Reclassement en CDI, en CDD, en intérim de plus de six mois ou créateur d’entreprise.2. Reclassement en CDI, en CDD, en intérim (quelle que soit la durée) ou créateur d’entreprise.
Champ : France métropolitaine, entreprises ayant signés une convention de cellule de reclassement en 2003.
10Dans les cas étudiés, en comparant les « taux de reclassement » et les « taux de solutions identifiées », on constate l’importance des conventions de calcul qui président à l’annonce des résultats des cellules.
11Dans le cas Chaussette, un « taux de reclassement effectif » (terme qui semble avoir été créé à l’occasion) est annoncé à l’issue du travail de l’antenne emploi. Il est de 94,4 %, encore bien supérieur au taux de reclassement « classique » lui de 62,5 %. Que recouvre cette terminologie et pourquoi une telle différence ? En fait, il s’agit de ce qui est plus communément appelé par les OPP : un « taux de solutions identifiées ». Ce taux permet pour la cellule de justifier de son activité même si l’accompagnement n’a pas débouché sur un reclassement. Sont ici comptabilisés d’une part, en plus des situations de reclassement, les « projets de vie ». Dans le cas Chaussette, cette dénomination recouvre des réalités très différentes, telles que des personnes en attente de la retraite, en maladie de longue durée ou en congé parental. Dans le cas Cuir, les représentants du personnel ont fait état de doutes concernant le décompte des « solutions identifiées » en s’étonnant de l’intégration des « choix personnels » (ne plus retravailler, déménager…). D’autre part, sont aussi comptabilisés dans les « solutions identifiées », les « refus d’offres valables d’emploi ». Les « offres valables d’emploi » (ou OVE) seront définies en II.2. Enfin peuvent également rentrer dans le calcul les solutions de court terme, CDD ou CTT de moins de six mois par exemple, si ces solutions ont été exclues du calcul du taux de reclassement.
12Après s’être interrogé sur les critères de reclassement retenus, il sera nécessaire de questionner les modes d’élaboration de ces résultats (III), et leur suivi dans le temps (I.3).
I.2 – Le taux d’adhésion à la cellule de reclassement
13En amont de l’évaluation du taux de reclassement, le taux d’adhésion à la cellule est lui aussi un indicateur primordial pour compléter l’évaluation des dispositifs de reclassement. En effet, un « bon » taux de reclassement n’a finalement que peu de sens si un faible nombre de salariés potentiellement concernés par la cellule y ont de fait adhéré.
14Les taux d’adhésion à l’antenne emploi sont dans les deux cas étudiés, très élevés au regard des données nationales en la matière, s’établissant autour de 80 % (tableau 4).
Les taux d’adhésion*
Les taux d’adhésion*
* : Données France métropolitaine, entreprises ayant signées une convention de cellule de reclassement en 2003.15Dans les cas étudiés, l’adhésion relativement importante des salariés à la démarche de reclassement s’explique par la forte mobilisation des représentants du personnel en faveur du reclassement, renforcée dans le cas Chaussette par une implication directe de la direction dans ces dispositifs et par le travail préliminaire de rencontres et d’entretiens du cabinet de reclassement avec les salariés licenciés, travail qui a sensibilisé ces derniers à l’intérêt d’une cellule de reclassement. Les bons taux d’adhésion observés sont ainsi attribués par les acteurs à la fois à la mise en place d’un dispositif d’information précoce sur la cellule de reclassement, mais aussi à la dynamique collective qui a eu lieu lors de la procédure d’information-consultation.
16Pour compléter l’évaluation des trajectoires professionnelles de salariés touchés par un PSE, il faudrait donc pouvoir établir les taux de reclassement non pas uniquement des salariés ayant adhéré aux cellules de reclassement mais à l’ensemble des salariés concernés par un licenciement pour motif économique.
I.3 – Aller plus loin qu’un taux de reclassement instantané en suivant les situations de chômage dans le temps
17Plusieurs travaux (Roupnel-Fuentes, 2007 ; Mazade, 2004) suggèrent que la photographie qui peut être offerte par un taux de reclassement instantané n’informe pas nécessairement des trajectoires effectives, dans le temps, des salariés licenciés.
18Nous avons donc tenté de compléter la mesure du taux de reclassement à l’issue des cellules de reclassement par une évaluation de leur situation de chômage [8] deux ans après. Pour les deux populations de salariés licenciés inscrits à Pôle emploi, leur situation est la suivante à la sortie de la cellule de reclassement (juillet 2003) : 54 % sont inscrits à Pôle emploi, 19 % dans une situation inconnue, 13 % sont considérés en emploi, 10 % sont inactifs, 2 % sont en formation et 2 % sont dans d’autres cas (graphique 1). Deux ans après la fin de la cellule de reclassement, la répartition de ces salariés licenciés évolue en faveur d’une diminution des situations de demande d’emploi, et réciproquement, d’une augmentation des situations d’emploi et d’inactivité : 39 % sont inscrits à Pôle emploi, 23 % sont considérés en emploi, 18 % sont inactifs. Il semble donc bien que la référence d’évaluation à 12 ou à 18 mois soit insuffisante pour rendre compte des « résultats » en matière de reclassement.
Evolution des situations de demande d’emploi et d’inactivité suite aux deux PSE
Evolution des situations de demande d’emploi et d’inactivité suite aux deux PSE
Lecture : Les situations d’inactivité recouvrent les demandeurs qui ont déclaré être en arrêt maladie, congé maternité, accident de travail, et dispense de recherche d’emploi.Champ : Les 584 individus licenciés lors des PSE Chaussette et Cuir, inscrits à Pôle emploi.
19A la clôture de la cellule de reclassement, le taux d’inscription à l’ANPE des anciens salariés de Chaussette est supérieur à celui des anciens salariés de Cuir : 62 % contre 53 % (graphique 1). Cet écart diminue pourtant en fin de période et deux ans après la fin de la cellule, les résultats se rejoignent en termes d’inscription à Pôle emploi et d’inactivité déclarée. Ainsi, l’écart entre Cuir et Chaussette concernant le taux d’inscription à Pôle emploi des salariés licenciés diminue en fin de période pour finalement concerner environ deux demandeurs d’emploi sur cinq. De même, la proportion des salariés retirés du marché du travail est plus importante pour les anciens salariés de Cuir en début de période mais elle progresse pour ceux issus de Chaussette au cours de la deuxième année, pour atteindre une proportion proche, soit près d’un demandeur d’emploi sur cinq.
20Il ressort en outre que le licenciement constitue une rupture dans le parcours professionnel des personnes concernées, qu’il est nécessaire d’évaluer. Deux ans après la fin de la cellule de reclassement, 38 % des salariés peuvent être considérés comme des demandeurs d’emploi de longue durée (inscription consécutive sur les listes de Pôle emploi de plus d’un an). Un individu sur cinq connaît une période d’inscription de plus de deux ans. Après son licenciement, un salarié sur cinq s’est inscrit à Pôle emploi au moins trois fois pendant la période d’étude (janvier 2002 – août 2005). Ces résultats rejoignent les observations faites par Roupnel-Fuentes (2007) qui met en évidence quatre carrières typiques à l’issue d’un licenciement pour motif économique dans le cas de Moulinex : les carrières fragilisées, déstabilisées, continues et fragmentées. Ces éléments invitent alors à ne pas limiter la période d’observation à la durée de la cellule de reclassement, pour l’étendre dans le temps, tel un véritable dispositif longitudinal.
I.4 – Aller plus loin qu’un taux de reclassement instantané en évaluant la qualité de l’emploi et l’impact sur la santé
21Se pose ensuite la question de l’évaluation de la qualité des emplois retrouvés pour ceux qui sont en emploi, que ce soit en termes de niveau de rémunération, de niveau de qualification des postes ou encore de conditions et de temps de travail. Aucune source ne permet de renseigner correctement ces informations. Pour les salariés de Chaussette et de Cuir inscrits à Pôle emploi, 19 % d’entre eux recherchaient un emploi à temps partiel, 8 % des contrats saisonniers. Lors du bilan de la cellule, aucune précision n’est apportée sur ces aspects. Pour autant, les entretiens menés à Chaussette laissent à penser que nombre d’anciens salariés ont plus ou moins régulièrement trouvé des emplois saisonniers dans l’agro-alimentaire. Certes, quelques cas de reconversion remarquable sont narrés, mais sans qu’il soit possible d’établir une évaluation quantitative de la qualité des emplois retrouvés. Ces observations en rejoignent d’autres, qui ont pu mettre l’accent d’une façon générale sur la situation de déclassement liée à un licenciement économique, que ce soit en termes de salaire, de temps de travail, de qualité de l’emploi, voire selon en termes de (dé)-construction identitaire (Linhart, 2003), derrière des tentatives de banalisation, tandis que cette forme de rupture « occupe une place de choix dans la crise des identités professionnelles » (Guyonvarc’h, 2008).
22En poursuivant une logique d’évaluation dans le temps, se pose aussi la question des conséquences sur la santé. Lors de l’exploration monographique, nous avons rencontré des individus, qu’ils soient responsables managériaux, délégués syndicaux, élus locaux, voire agents de l’administration, qui étaient ressortis psychologiquement et physiquement atteints de cette épreuve de restructuration. Dans les deux cas, des suicides nous ont été relatés. Pour Chaussette, un suicide est intervenu dans les locaux de l’usine transformés alors en antenne emploi. Dans les fichiers de Pôle emploi, trois décès sont indiqués pour Cuir, l’un intervenu pendant la cellule, les deux autres dans les deux mois suivant sa clôture. 6 % des demandeurs d’emploi sont en situation de handicap [9] ou en attente de reconnaissance de celle-ci au moment de leur inscription au chômage. Il n’existe pas de données spécifiques sur les maladies. La collecte des informations sur la santé et surtout leur interprétation est très difficile. Pour autant, plusieurs études européennes (Kieselbach, Jeske, 2008) ont montré la grande pluralité des effets des restructurations « de crise » sur la santé des « victimes », que ce soit en termes de stress et d’épuisement, de désordres du sommeil, d’accidents, ou encore de maladies cardio-vasculaires. Il s’agirait alors d’intégrer cette dimension de la santé des individus dans le suivi des personnes en situation de transition professionnelle subie.
II – Quel travail d’accompagnement par les cellules de reclassement ?
23Plusieurs voix se sont déjà élevées, d’une part pour constater l’hétérogénéité du travail effectivement réalisé par les opérateurs des cellules de reclassement (Bruggeman et al., 2004 ; Mazade, 2005 ; Seibel, 2009), d’autre part pour appeler à la construction d’un référentiel commun (ou d’une charte) de ces activités. Nous allons ici aborder à la fois les modalités d’intervention des cellules de reclassement (II.1) et certains critères d’évaluation de ce travail (II.2). Cela nous amènera à interroger à la fois le cadre contractuel de ces prestations et à relever l’absence d’évaluation de leurs coûts et donc, de leur efficience (II.3).
II.1 – La durée et les modalités d’intervention des cellules de reclassement
24Dans le travail d’accompagnement, la question du temps accordé aux personnes licenciées pour se reclasser voire pour construire une reconversion professionnelle est souvent soulignée, essentiellement pour estimer qu’un temps relativement long est nécessaire (Fayolle, 2005). Dans les cas étudiés, la durée des cellules de reclassement a été relativement longue (18 mois) : chez Chaussette, cette durée a été définie a priori ; chez Cuir, elle a été étendue de 12 à 18 mois en cours de processus au vu des résultats mitigés obtenus au bout d’un an et sous la pression des représentants du personnel. Dans le cas Chaussette, la durée de l’antenne de 18 mois est finalement considérée comme longue par les consultants qui estiment qu’un tel temps n’est véritablement nécessaire que dans les cas de reconversion professionnelle et/ou pour les salariés les plus âgés. La « bonne durée » d’une cellule de reclassement semble ainsi difficile à évaluer a priori, mais elle dépend aussi du contexte dans lequel s’opèrent les licenciements collectifs, en termes de caractéristiques de la population concernée ou encore de situation du marché du travail local. Cette « bonne durée » dépend aussi certainement du contenu du travail d’accompagnement mené par les cellules de reclassement.
25Concernant les modalités d’intervention des prestataires, dans le cas Chaussette, l’antenne emploi s’installe dans les locaux de l’entreprise, avec un consultant pour vingt-cinq adhérents. Les consultants font un double travail d’accompagnement dans l’élaboration du projet professionnel et de prospection d’emplois. Le travail d’accompagnement dans l’élaboration du projet professionnel est en grande partie individualisé. Les modes de fonctionnement des cellules de reclassement semblent d’une façon générale assez « classiques », comprenant la réalisation d’un bilan professionnel, l’élaboration d’un projet professionnel, lequel peut amener à des projets/dispositifs de formation et/ou à des essais en milieu professionnel, et la prospection d’emplois. Dans le cas Cuir, le cabinet mène une première analyse sur les caractéristiques des salariés à reclasser, dont il ressort que beaucoup de salariés sont faiblement mobiles parce qu’ils ne sont détenteurs ni d’un permis de conduire, ni dotés d’un moyen de locomotion privé. Cette spécificité conduit à la décision d’ouvrir trois antennes-emploi : l’une à proximité du site de l’usine, les autres dans les deux villes proches des habitations des salariés plus éloignés. L’organisation du travail de la cellule de reclassement s’adapte donc au moins en partie aux contraintes des adhérents. Le cabinet propose un programme d’accompagnement à la recherche d’emploi. Une première étape de l’accompagnement est collective (stage de préparation à la recherche d’emploi). A la suite de cette période collective, une étape individuelle est initiée afin de valider les projets professionnels. D’une façon générale, un suivi personnalisé est proposé afin d’étudier l’avancée de la démarche de reclassement.
26Pourtant, si l’on s’en tient aux propos des acteurs à l’issue de la cellule de reclassement, l’équipe de consultants de Chaussette est décrite comme « professionnelle », tandis que celle de Cuir est nettement plus critiquée. Ces critiques portent sur le fait que les interlocuteurs changent souvent, l’équipe de consultants n’étant pas stable dans le temps. De façon plus subjective, c’est aussi l’attitude des consultants qui est plus critiquée dans le cas Cuir, où ils sont décrits comme peu disponibles. Ces deux descriptions contrastées font écho à des constats déjà réalisés : Mazade (2005) ou Bruggeman et al. (2004) ont pu pointer des cas d’instabilité des équipes de consultants, parfois composées de salariés eux-mêmes en situation de précarité, voire n’ayant pas de formation spécifique.
27Ces différents éléments abondent dans le sens d’une meilleure définition du cahier des charges des OPP dans ces contextes, que ce soit en termes de moyens alloués (par exemple nombre d’adhérents suivis par consultant, emplacement et équipement des locaux, etc.) mais aussi en termes de gestion des ressources humaines des équipes de consultants (formation, nature du contrat de travail, etc.).
II.2 – L’évaluation du travail de la cellule de reclassement : les « offres valables d’emploi »
28Au-delà des modalités d’organisation de ce travail, se pose la question des critères de son évaluation. C’est alors la capacité de l’OPP à proposer des « offres valables d’emploi » (OVE) aux salariés licenciés qui entre en scène, dans le cadre d’un contrat qui lie l’employeur et l’OPP. L’OVE ou OVR (« offre valable de reclassement ») a émergé au fil de la décennie 1990 pour donner corps à l’obligation de moyens qui pèse sur l’employeur et qu’il délègue à cette occasion à un OPP. Le raisonnement est le suivant : le prestataire de reclassement (ou OPP) doit proposer X (souvent deux ou trois) OVE (ou OVR) aux adhérents de la cellule pour attester du travail d’accompagnement individuel dans le reclassement. En cas de X « refus d’OVE », il est considéré qu’une « solution identifiée » a été trouvée par le prestataire, impliquant en théorie que l’adhérent n’est plus suivi par la cellule. Reste alors à mieux identifier comment sont définies les « OVE » (de quels types d’emploi s’agit-il ?) puis la façon dont elles sont qualifiées au cas par cas (comment est-il validé que telle personne se retrouve par exemple en situation de « refus d’OVE » ?), ce dernier point relevant généralement de la commission de suivi (III.2.).
29La définition de l’OVE, qui peut donner lieu à des débats importants lors de la procédure d’information-consultation, porte généralement sur le type de contrat proposé (CDI, CDD, intérim…), sur sa durée (six mois, douze mois…), sur la rémunération offerte (par exemple, jusqu’à -20 % par rapport à la rémunération précédente), sur la distance entre le domicile et le travail ainsi que sur l’adéquation de l’offre d’emploi à la qualification ou au projet professionnel de l’adhérent accompagné. Dans les cas étudiés, on observe une hétérogénéité dans leur définition (tableau 5).
Définition des OVE dans les deux PSE
Définition des OVE dans les deux PSE
30D’une façon générale, cette absence d’uniformité, dissimulée derrière des appellations communes ou en tout cas proches (OVE, OVR, ORE), accroît la difficulté à comparer les résultats obtenus quand ils sont exprimés en termes de « taux de solutions identifiées ».
II.3 – Cadre contractuel des cellules de reclassement, biais de sélection et évaluation de leur coût
31Ces enjeux de définition sont loin d’être neutres dans la mesure où c’est finalement le « taux de solutions identifiées » qui vient mesurer la réalisation du travail de la cellule de reclassement, voire qui vient déterminer la part variable de sa rémunération [10]. Dans les cas étudiés, il ne nous a pas été possible de récupérer les contrats liant les directions d’entreprises en restructuration et les prestataires privés. Ceci étant, l’existence d’une part variable de la rémunération, calculée sur la base du taux de solutions identifiées nous a été verbalement confirmée dans les deux cas. Dans les cas étudiés, les OPP ont été avant tout incités à proposer des OVE aux adhérents, qui ne se sont pas toujours traduites par des solutions de reclassement.
32Dans une logique d’efficience de la part des OPP cherchant à optimiser l’utilisation de leurs ressources de consultants, il peut découler de ce cadre contractuel une logique de sélection dans l’accès effectif aux prestations d’accompagnement des personnes jugées trop éloignées de l’emploi. Certains des entretiens menés font état de cette sélection des adhérents quand par exemple un chargé de mission d’une cellule de reclassement affirme, « on avait beaucoup de femmes de plus de 45 ans qui avaient toujours travaillé dans cette boîte, cela n’aidait pas » ou pour un autre, « on n’a pas insisté avec les plus durs, ceux qui avaient mené le conflit ». Ainsi, le cadre contractuel de l’activité des prestataires peut les amener à concentrer leurs efforts sur les salariés les plus employables, et simultanément, à qualifier hâtivement des situations de non-reclassement en solutions identifiées.
33On peut aussi se poser la question du coût puis de l’efficience des cellules de reclassement. De ce point de vue, les informations sont rares. Aucune donnée budgétaire n’a été disponible pour les cellules de Cuir et de Chaussette. Actuellement, les seules données publiées portent sur le budget prévisionnel des cellules de reclassement conventionnées, le plafond maximal du financement par l’Etat des cellules de reclassement étant fixé à 2 000 euros par bénéficiaire. S’agissant de réaliser une estimation complète du rapport entre coûts et bénéfices, il s’agirait non seulement de prendre en compte le coût des cabinets de reclassement, mais également les économies réalisées par l’assurance chômage dès qu’une personne reprend un emploi.
III – Le recueil de données : qui produit, qui détient, qui contrôle ?
34Au-delà de la définition des critères d’évaluation et de la nature du travail d’accompagnement à prendre en compte, se pose la question des conditions de production, de contrôle et de mise en disponibilité des données portant sur les dispositifs de reclassement. L’enjeu est ici de déterminer qui construit et fournit l’information, qui la contrôle et quels sont les moyens mis à disposition pour ce contrôle. Se pose en permanence la question de la triangulation des informations et des données, traduisant un enjeu de création de conditions d’altérité par rapport à la relation bilatérale entre employeurs et prestataires.
III.1 – En amont, le choix du prestataire
35Dans les deux cas, les représentants du personnel ont été impliqués dans la sélection des prestataires de reclassement. Dans le cas Chaussette, le choix du prestataire de reclassement a constitué l’un des points cruciaux de la négociation : en premier lieu, la direction avait sollicité un cabinet venu faire une présentation de ses méthodes auprès des représentants du personnel ; à l’issue de cette présentation, ces derniers ont rejeté ce choix pour privilégier l’appel à un cabinet paritaire local spécialisé dans le reclassement des salariés du textile sur des critères de proximité géographique et sociologique ; finalement, un partenariat entre un cabinet de taille nationale et ce cabinet local, qui rassurait davantage les salariés, a été constitué. De même, les représentants du personnel de Cuir ont été associés au choix du cabinet de reclassement. Cette implication des représentants du personnel dans le choix du prestataire a dans les deux cas été considérée comme un élément explicatif du fort taux d’adhésion des salariés aux cellules, comme gage de confiance.
36L’analyse des cas atteste néanmoins de formes de méfiance de la part des salariés licenciés à l’égard des prestataires du reclassement, renvoyant ici à des observations qu’avaient réalisées Bruggeman et al. (2004) montrant qu’une telle méfiance peut aller jusqu’à les conduire à privilégier des mesures passives, vues comme un substitut à un reclassement jugé improbable. Dans les cas que nous avons étudiés, le jugement critique à l’égard des cellules de reclassement semble aussi fondé sur des réputations variables des différents cabinets prestataires (qui d’ailleurs peuvent être négatives à un endroit et positives à un autre).
III.2 – Les commissions de suivi : quels pouvoirs, quels outils de pilotage et quelle composition ?
37D’une façon générale, la « commission de suivi » a pour mission de suivre le travail de la cellule et l’évolution des situations individuelles. Les contours, la composition et les instruments de gestion des commissions de suivi peuvent s’opérer à géométrie variable.
38Dans le cas Chaussette, la commission de suivi composée de représentants de la direction et de représentants des salariés, n’a pas associé d’acteur extérieur à l’entreprise hormis les consultants de l’antenne emploi et elle a été présidée par un représentant de la direction. S’ils décrivent des réunions mensuelles qui se déroulent dans de bonnes conditions, les représentants des salariés mettent néanmoins l’accent, a posteriori, sur des doutes quant à la fiabilité des informations qui leur ont été transmises lors de celles-ci. Dans le cas Cuir, l’administration publique y a été représentée et la présidence de cette commission a été confiée à des représentants des salariés. Néanmoins, ils ont affirmé a posteriori que cette position ne leur avait pas effectivement permis de contrôler les activités du prestataire : par exemple, ils n’étaient pas en mesure d’exiger la communication des informations budgétaires. Ils avaient le sentiment que les budgets de formation étaient sous-consommés sans pouvoir en obtenir une validation formelle.
39En filigrane de cela, se pose la question de la définition du cahier des charges du prestataire, incluant ou non des précisions sur les documents à fournir aux membres de la commission de suivi. Si la circulaire de 2007 de la DGEFP précise les informations qui doivent être communiquées par le prestataire (liste des entreprises prospectées, nombre d’offres recueillies, tableau de suivi collectif, fiches individuelles de suivi, difficultés collectivement rencontrées par les bénéficiaires), dans les cas étudiés, il semble que ces documents étaient de qualité inégale. Des tableaux consolidés étaient présentés à chaque réunion faisant état de l’évolution dans le temps, mais d’une façon globale, des « solutions identifiées ». Par ailleurs, ces obligations – qui à nouveau ne concernent que les cellules conventionnées par l’Etat – ne comprennent pas l’état de dépense du budget formation initialement prévu.
40S’ajoute à cet enjeu des informations fournies, celui de la possibilité d’intervention effective des membres de la commission de suivi sur le travail des OPP, et en particulier dans la qualification des « OVE ». Dans les cas Chaussette et Cuir, les commissions de suivi se sont réunies tous les mois voire deux fois par mois, et ont débattu en premier lieu de l’évolution des reclassements, et plus particulièrement, des situations de « refus d’OVE ». Dans le cas Chaussette, a posteriori du travail de la cellule de reclassement, les représentants du personnel ont mis en doute la qualification des solutions identifiées : ils relèvent par exemple que des missions d’intérim de quelques semaines auraient été qualifiées de solutions identifiées tandis que seules des missions de plus de six mois auraient dû être prises en compte. Dans le cas Cuir, les représentants des salariés ont fait état de quelques doutes, estimant surtout que le nombre des contrats stables était insuffisant.
41En fait, la commission de suivi se situe en aval de la procédure d’information-consultation des représentants du personnel et se caractérise surtout par une dispersion des personnes, d’autant plus qu’il s’agit de fermetures ou de quasi-fermetures : les représentants du personnel ont alors moins de capacité à mobiliser salariés et acteurs territoriaux, par exemple en cas de désaccord avec le travail réalisé par la cellule de reclassement. Une fois la procédure d’information-consultation du PSE achevée, l’éventuel rapport de forces créé par les représentants du personnel s’atténue, surtout si le PSE concerne la fermeture d’un établissement, et a fortiori, la fermeture d’une entreprise.
42La capacité de la commission de suivi à influer sur le travail du prestataire de reclassement dépend alors à la fois de la composition de la commission et des pouvoirs attribués a priori à ses différents membres (Bruggeman et al., 2004). Par rapport à cela, la présence d’acteurs externes, représentant l’administration publique, semble avoir joué un rôle non négligeable dans le cas Cuir, en particulier dans la qualification des « offres valables d’emploi » et donc, dans le calcul du taux de « solutions identifiées ». Si la circulaire DGEFP de 2007 préconise systématiquement la présence d’un représentant du service public de l’emploi, il semble qu’elle rencontre dans sa mise en œuvre plusieurs freins. Ainsi, l’absence de tiers dans la commission de suivi de Chaussette semble avoir été souhaitée et demandée par la direction du groupe Textile, cette dernière ayant affirmé lors des ultimes négociations sur le volet social du plan : « c’est moi qui mets en œuvre, c’est moi qui supporte les responsabilités ». Par ailleurs, la DDTEFP est en l’occurrence peu présente dans les commissions de suivi, d’autant que dans ce cas, le financement de l’antenne emploi est entièrement assuré par la direction de l’entreprise. Ce constat rejoint la conclusion du rapport Ramonet (2010) qui estime « qu’en pratique, ce dispositif est faiblement contrôlé tant par la commission de suivi que par les services de l’Etat s’agissant des cellules conventionnées ».
43Se pose d’une façon générale la question de savoir quelles conditions permettraient de transformer ces commissions de suivi en commissions réellement décisionnaires, soit pouvant infléchir effectivement le travail de la cellule de reclassement si cela est nécessaire. Nous l’avons vu, cela renvoie à la qualité et à la précision des informations transmises, mais d’une façon plus générale, aux conditions d’exercice d’un contrepoids à la seule relation marchande entre l’employeur et le prestataire.
III.3 – Quelle interconnexion des systèmes d’information entre cellules de reclassement et Pôle emploi ?
44Le suivi dans le temps des transitions professionnelles des salariés licenciés suppose par ailleurs un minimum de traçabilité de leurs trajectoires, y inclus à l’issue des cellules de reclassement. Les données que nous avons pu recueillir concernant les salariés licenciés des entreprises Cuir et Chaussette montrent toutes les difficultés auxquelles peut se heurter cette recherche de saisie systématique des trajectoires des salariés licenciés.
45En l’occurrence, les catégories de salariés se décomposent en quatre sous-populations : les salariés adhérents à la cellule et inscrits à Pôle emploi, les salariés non adhérents à la cellule et inscrits à Pôle emploi, les salariés adhérents à la cellule et non inscrits à Pôle emploi et salariés inscrits dans aucun des dispositifs. Les données issues de Pôle emploi ne couvrent donc qu’une partie de la population (encadré 1). Par ailleurs, les salariés concernés par les PSE ont pu être repérés dans les fichiers Pôle emploi grâce à un travail d’appariement spécifique, car il n’y existe aucune information fiable permettant par exemple de savoir si le demandeur est suivi par une cellule de reclassement ou même s’il a été victime d’un plan de licenciements collectifs. Il nous a donc été impossible de réaliser notre projet initial, à savoir de confronter les taux de reclassement annoncés par les cellules à des taux construits a postériori à l’aide des fichiers Pôle emploi.
46Dans les deux cas, les premières inscriptions à Pôle emploi des personnes concernées par le PSE s’étalent sur plusieurs années (de janvier 2002 à février 2005 dans le cas Chaussette, et de février 2001 à juin 2005 dans le cas Cuir). Plus des deux tiers d’entre elles (68 % pour Chaussette, 73 % pour Cuir) sont enregistrées à Pôle emploi avec le motif d’inscription « licenciement pour motif économique ». D’autres apparaissent comme enregistrées suite à un « autre licenciement », une « fin de contrat », une « fin de mission d’intérim », une « démission », un « autre cas », ou une « première entrée sur le marché du travail ». On peut s’interroger sur les 163 anciens salariés de ces deux entreprises qui ne se sont pas inscrits pour motif de licenciement économique. En étudiant leurs dates d’inscription à Pôle emploi, il semble qu’une partie d’entre eux a pu trouver un emploi en CDD ou une mission d’intérim puis s’inscrire à Pôle emploi ensuite. Pour d’autres, il est envisageable qu’ils aient été reclassés à la sortie de la cellule puis soient retournés au chômage. Certains cas, certes minoritaires, demeurent cependant énigmatiques (par exemple « 1re entrée sur le marché du travail ») ou flous (« autres cas ») et laissent à penser que les salariés issus de ces deux PSE, pourtant très marquants pour leurs bassins d’emploi respectifs, n’ont pas été spécifiquement identifiés et suivis par Pôle emploi. Par ailleurs, les entretiens menés n’ont pas permis d’identifier un travail de connexion particulier entre les cellules de reclassement et Pôle emploi.
47Ces observations attestent donc de formes de « pertes » dans le suivi des individus et dans les cas étudiés, d’une absence de réel partenariat entre le service public de l’emploi et les prestataires de reclassement, malgré les conventions de coopération Pôle emploi, cabinet de reclassement qui sont prévus par les textes. Or, bien sûr, l’existence d’une cohérence dans le système d’information et de suivi, d’une part des opérateurs de placement privés et, d’autre part, du service public de l’emploi, constitue la base même d’une possible évaluation des résultats en matière de reclassement et des trajectoires professionnels des salariés licenciés.
IV – L’analyse du risque d’être inscrit au chômage deux ans après la fin de la cellule de reclassement
48Malgré les difficultés de mise en relation entre les deux sources recueillies, soit d’une part les résultats produits par les deux cellules de reclassement et d’autre part les fichiers historiques de Pôle emploi pour les personnes ainsi retrouvées, l’analyse par le biais d’un modèle « toutes choses égales par ailleurs » de ces fichiers permet d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : quelles sont les caractéristiques qui influent sur le risque d’être encore inscrit à Pôle emploi deux ans après la fin de la cellule de reclassement ? Il en ressort que l’âge demeure un facteur prédominant du risque d’être toujours inscrit au chômage, venant écraser nombre d’autres facteurs, y inclus la distinction entre les deux PSE, tandis que l’analyse monographique avait pu laisser penser que celui de Chaussette était de meilleure qualité. Outre l’âge, ce sont le type d’emploi recherché (en l’occurrence, éloigné de l’emploi initial dans ces cas de personnes issues de secteurs industriels en déclin), la nature de la pratique d’une activité réduite et la rapidité d’inscription à Pôle emploi qui sont déterminants.
IV.1 – Etre inscrit à Pôle emploi deux ans après la fin de la cellule de reclassement dépend fortement de l’âge…
49Les salariés en retrait du marché du travail (inactifs, en formation…) sont exclus de cette modélisation dans la mesure où même s’ils sont inscrits à Pôle emploi, ils ne sont pas directement en recherche d’emploi. Dans la modélisation, la significativité d’un grand nombre de variables a été testée. Un certain nombre d’entre elles ne sont pas significatives. Ainsi, le risque d’être inscrit sur les listes deux ans après la fin de la cellule de reclassement n’est pas ici significativement lié à la qualification. La moitié des cadres, techniciens et agents de maîtrise de l’étude ont 50 ans et plus : l’appartenance à une catégorie socio professionnelle qualifiée ne favorise pas l’emploi, l’âge ressortant comme un frein plus grand. Le fait d’avoir de l’expérience ou pas dans le métier recherché n’est également pas significatif.
50L’effet du niveau de diplôme n’est pas étudié ici, car seulement 10 % des individus ont un niveau bac ou supérieur. Le niveau de diplôme est très homogène ; deux tiers des personnes ont au maximum été en troisième. Les deux cas sont caractéristiques d’une gestion des ressources humaines centrée sur les marchés internes du travail, avec un recours à la promotion pour les « passages cadres » : seulement la moitié des techniciens, agents de maîtrise, cadres, ou ingénieurs ont un niveau d’étude égal ou supérieur au bac. Ces « cadres promus » pourraient rencontrer des difficultés sur le marché du travail car « ils ne parviennent pas à faire valoir leurs compétences sur le marché externe qui valorise certains critères formels, en particulier le diplôme », selon Rémillon (2009).
51Toutes choses égales par ailleurs, l’expérience dans le métier recherché n’influe pas de façon significative sur le risque d’être inscrit à Pôle emploi deux ans après la fin de la cellule de reclassement. Le sexe et la situation matrimoniale n’influent pas non plus significativement sur le risque d’être encore inscrit au chômage deux ans après la fin de la cellule. Enfin, l’appartenance à l’un ou l’autre des PSE n’est pas un facteur significatif, tandis que, rappelons-le, une première lecture des taux de reclassement et des taux de solutions identifiées pouvait amener à considérer le PSE de Chaussette comme ayant produit des résultats de meilleure qualité, constat qui repose la question des conditions de mesure et de contrôle des taux de reclassement ainsi que celle des conditions de validation des taux de solutions identifiées.
52Finalement, le critère qui ressort comme fortement discriminant est celui de l’âge. Le risque d’être inscrit au chômage plutôt que de ne pas l’être deux ans après la fin de la cellule de reclassement est, toutes choses égales par ailleurs, 10 fois plus importante pour les salariés âgés de 50 ans et plus que pour ceux de moins de 30 ans (tableau 6). L’étude menée auprès des salariés de Moulinex deux ans après leurs licenciements met précisément en exergue cette même variable comme explicative de la probabilité de retour à l’emploi (Roupnel-Fuentes, 2007). Cette discrimination par l’âge se retrouve de même quel que soit le type d’accompagnement dont ont pu bénéficier les salariés licenciés pour motif économique, CTP, CRP ou accompagnement classique Pôle emploi : « à autres caractéristiques connues similaires, les jeunes de moins de 25 ans ont une probabilité d’être en emploi durable de 21 points supérieure à celle des seniors de 50 ans ou plus » (Bobbio, Gratadour, 2009). Cette observation rejoint d’autres déjà réalisées, qui font état de formes de discriminations par l’âge sur le marché du travail (Guillemard, 2007 ; Minni, Topiol, 2006), se traduisant, en tout cas en France, par un niveau d’emploi des seniors particulièrement faible. La difficulté pour les salariés de plus de 50 ans à retrouver un emploi explique qu’un bon nombre d’entre eux se retirent du marché du travail. Dans les deux PSE, des solutions de préretraite ont été proposées, mais en nombre limité (92 pour Cuir, 8 pour Chaussette). Deux ans après la fin de la cellule, la part des inactifs a presque doublé. Ils représentent 18 % des salariés. Quatre de ces inactifs sur cinq sont en dispense de recherche d’emploi (DRE).
Risque d’être inscrit à Pôle emploi deux ans après la fin de la cellule « toutes choses égales par ailleurs »
Risque d’être inscrit à Pôle emploi deux ans après la fin de la cellule « toutes choses égales par ailleurs »
* Ne figurent que les odd-ratios significatifs à un seuil inférieur à 10 % : *** significativité au seuil de 1 % ; ** significativité au seuil de 5 % ; ns : non significatif ; réf. : modalité de référence.La situation de référence est celle d’une personne de moins de 30 ans, qui s’est inscrite à Pôle emploi pour la 1re fois après la fin de la cellule de reclassement, pour rechercher un emploi dans d’autres catégories. Sur la période (janvier 2002 - juillet 2005), il s’est inscrit une seule fois et n’a pratiqué aucune activité réduite.
Quand le odd-ratio est supérieur à 1, l’effet est positif par rapport à la référence, quand il est inférieur à 1, l’effet est négatif par rapport à la référence. Toutes choses égales par ailleurs, un individu âgé de 50 ans ou plus a un risque 9,8 fois plus important d’être inscrit à Pôle emploi plutôt que de ne pas l’être qu’un salarié âgé de moins de 30 ans.
Champ : 440 individus des deux PSE, inscrits à Pôle emploi en août 2005, ou sortis pour absence au contrôle, pour fin de stage, pour radiation, considérés en emploi. Sont exclus les individus en formation et les inactifs. Source : Pôle emploi (fichier historique administratif).
IV.2 – … du type d’emploi recherché…
53Lors de leur première inscription, la moitié des salariés étaient à la recherche d’un métier dans lequel ils n’avaient aucune expérience, alors qu’un quart d’entre eux recherchaient un métier du type qu’ils avaient perdu et dans lequel ils avaient plus de dix ans d’expérience. Dans les deux plans, les nouvelles catégories professionnelles les plus recherchées sont « personnel des services aux personnes et à la collectivité » et « personnel de la distribution et de la vente ». Quant aux demandeurs ayant de l’expérience dans leur métier, ce sont principalement des personnes issues des industries des matériaux souples (textile, habillement et chaussure), et du personnel du transport et de la logistique. Toutefois, le salarié qui a recherché un métier strictement dans les industries des matériaux souples a eu sept fois plus de risques d’être inscrit à Pôle emploi que les autres. Le secteur « matériaux souples » correspond au textile, à l’habillement et au cuir et donc aux métiers occupés précédemment par les demandeurs, pour lesquels ils avaient une longue expérience, mais qui sont en forte décroissance. Par contre, si le salarié a recherché dans le transport et la logistique, ce risque diminue de moitié par rapport aux autres catégories professionnelles. Ces résultats sont confirmés par l’étude de terrain : pour Cuir, les pourvoyeurs d’emploi ont été principalement le commerce et le tertiaire (26 %), les services techniques et la maintenance (24 %), le transport et la logistique (23 %) et le secteur sanitaire et social (9 %). Pour Chaussette, seuls 10 % sont restés dans le textile, 20 % se sont reclassés dans le transport.
54Ces éléments posent à nouveau la question pour des salariés issus de secteurs en déclin, des conditions non pas uniquement de reclassement, mais de reconversion professionnelle. On peut ainsi considérer que le fait de conseiller à ces salariés de s’inscrire dans des métiers différents que leur métier initial peut constituer un atout dans la recherche d’emploi. Cela appelle néanmoins a priori un accompagnement de formation en vue d’une reconversion ; or, nous l’avons vu, les budgets de formation prévus semblent avoir été sous-utilisés ou du moins sujets à débats. Plusieurs freins peuvent avoir joué. Les acteurs rencontrés soulignent d’une façon générale le caractère cloisonné des dispositifs de formation selon le statut de la personne (salarié ou demandeur d’emploi par exemple), constituant un frein à l’élaboration de solutions innovantes en la matière et permettant de construire des projets d’ensemble. A plusieurs reprises dans les entretiens, la question du recours à la formation professionnelle en amont (pour le développement de l’employabilité) et « à chaud » (en vue du reclassement ou de la reconversion professionnelle) est évoquée pour souligner les réticences des salariés à s’y engager et les réticences des employeurs à y investir. Simultanément, de nombreux acteurs mentionnent la complexité des systèmes de formation, que ce soit par exemple concernant la mise en œuvre de la VAE ou la faible flexibilité des budgets de formation, mais aussi la faiblesse de l’offre de formation locale. Il en ressort une représentation générale dans laquelle, spécifiquement pour les personnes les moins qualifiées, la formation à visée de « rebond professionnel » peut se traduire par des formes de (re)mise en échec.
IV.3 – … de la pratique de l’activité réduite significative et d’une inscription rapide à Pôle emploi après le licenciement
55En outre, il apparaît que la pratique d’une activité réduite pendant la période de chômage peut, dans certaines limites, favoriser la reprise d’emploi. 60 % des demandeurs d’emploi de l’étude ont pratiqué pendant au moins un mois une activité réduite. La pratique de l’activité réduite par le demandeur d’emploi influe sur son risque d’être inscrit à Pôle emploi en août 2005 ; la pratique d’une activité réduite de moins de 78 heures l’augmente de 10 %, alors que la pratique d’une activité réduite de plus de 78 heures la diminue très sensiblement (- 80 %). Ce résultat laisse à penser que l’activité réduite longue est un tremplin vers l’emploi durable, ou que les demandeurs pratiquant une activité réduite longue sont moins incités à rester inscrits à Pôle emploi car ils sont moins indemnisés (au-delà de 110 heures le versement de l’allocation est suspendue et reporté dans le temps). A l’inverse, la pratique d’une activité réduite courte ne permettrait pas l’accès à un emploi durable.
56Enfin, les salariés qui se sont inscrits pour la première fois à Pôle emploi avant la fin de la cellule de reclassement ont deux fois moins de risque de se retrouver encore inscrits deux ans après. Par contre, les salariés qui se sont inscrits à Pôle emploi au moins trois fois de 2002 à 2005 ont deux fois plus de chance d’être encore inscrits deux ans après la fin de la cellule de reclassement « toute chose égale par ailleurs ». Ceci témoigne d’une difficulté à retrouver un emploi stable.
Conclusion
57A partir de l’analyse de deux cas de restructurations lourdes (approche monographique) et des fichiers historiques de Pôle emploi, cet article a cherché à reconstruire, enjeu par enjeu, la question de l’évaluation de l’accompagnement dans le reclassement de salariés licenciés à l’issue de PSE, et ce dans le cadre de cellules de reclassement assurées par des OPP. Ce sont ainsi tour à tour les questions de critères d’évaluation, de temporalité d’évaluation, de sélection des personnes dans l’accès à certaines modalités d’accompagnement, de modalités de définition des engagements des prestataires, de modalités de suivi et de contrôle du travail des cellules de reclassement, d’appareillage des sources d’informations qui ont été examinés.
58A l’issue de ce cheminement, les dispositifs à l’œuvre ressortent avant tout comme cloisonnés et morcelés, tandis que les critères d’évaluation reposent sur une hétérogénéité de conventions qui demeurent opaques. Malgré les observations et recommandations qui s’accumulent en ce sens depuis près de vingt ans, il demeure d’actualité de travailler à l’élaboration d’un référentiel commun pour évaluer le travail des cellules de reclassement en déterminant des définitions claires et précises aux indicateurs de résultats (par exemple, taux de reclassement) autant que de moyens (par exemple taux de solutions identifiées et offres valables d’emploi). Mais en amont, la production fiabilisée de ces indicateurs suppose l’existence d’un outil efficace de production, à savoir un système d’information commun et discutable. Cet outil permettrait également en améliorant les échanges d’informations, de faciliter le travail entre Pôle emploi et les cabinets de reclassement. Il permettrait d’évaluer avec les mêmes indicateurs et à partir des mêmes définitions, les parcours des adhérents aux cellules, pendant et après la cellule mais aussi des non adhérents suivis uniquement par Pôle emploi. D’autre part, la production des indicateurs nécessite un contrôle de l’information par un « pilote » du dispositif, dont le rapport Ramonet (2010) recommande que cette mission relève du Préfet, soit d’un acteur neutre dans le dispositif.
59Par ailleurs, il nous semble essentiel de dépasser le triptyque taux de reclassement, taux de solutions identifiées et taux adhésion comme seuls indicateurs d’évaluation de l’accompagnement dans le reclassement, pour à la fois étendre dans le temps et élargir la focale d’observation. L’évaluation du reclassement doit prendre en compte la qualité/adéquation de l’emploi retrouvé : temps de travail (temps partiel subi), la rémunération, la notion de déclassement (qualification, statut), mais aussi dépasser la fenêtre de la cellule de reclassement, et se doter d’autres outils comme des indicateurs de récurrence au chômage, de temps passé au chômage, d’impact sur la santé, etc. Cette évaluation ne peut s’arrêter à la fin de la cellule de reclassement, mais s’inscrire dans une logique d’évaluation à moyen-long terme des trajectoires des individus.
60Enfin, la question du coût des prestations, qu’elles soient privées ou publiques, et donc de leur efficience constitue l’un des points aveugles de ces dispositifs, qui pourraient donc appeler des études de coûts, rendues publiques ou en tout cas venant alimenter les débats actuels sur le sujet.
61Ceci étant, nombre de travaux ont déjà d’une façon ou d’une autre pointé les limites des dispositifs actuels en matière d’évaluation, et ce depuis de nombreuses années. Progressivement, des précisions ont été apportées et des normes se sont – au moins partiellement – diffusées, telles que l’existence de commissions de suivi ou la définition des différentes situations de reclassement, (circulaire de la DGEFP de 2007 sur le sujet). Ces évolutions attestent de formes d’apprentissage institutionnel des situations et montrent que les choses bougent. A l’inverse, les enjeux de contrôle effectif du travail d’accompagnement dans les cellules de reclassement, de construction d’un dispositif d’information permettant de suivre dans le temps les trajectoires des personnes licenciées y compris à l’issue des cellules de reclassement, et de mise en coordination des différents intervenants semblent se poser dans les mêmes termes depuis de nombreuses années.
62Comment alors comprendre que de ces points de vue, cela bouge si peu ? Le travail réalisé nous autorise à quelques hypothèses qui sont ici des pistes de réflexion. Nous l’avons vu, l’élaboration d’un dispositif plus transparent et mieux contrôlé vient heurter dans bien des cas une relation fondamentalement marchande qui repose sur un face-à-face entre employeur et prestataire, situation qui n’est que partiellement dépassée dans le cas des cellules conventionnées par l’Etat. L’intervention des représentants du personnel dans cette relation duale certes peut avoir lieu, mais de façon inégale selon les jeux d’acteurs et les rapports de forces à l’œuvre, et in fine, de façon limitée. Cette situation comporte une certaine cohérence : l’intérêt qui pourrait exister à mettre au jour une compréhension fine des conditions du reclassement et du travail d’accompagnement à toutes fins d’en faire un objet d’apprentissage collectif est certainement plus de l’ordre de l’intérêt collectif que de celui de ces deux acteurs (employeur et prestataire) s’ils sont isolés. Se pose alors à nouveau frais la question des conditions possibles de l’exercice de responsabilités partagées dans ces contextes, tel qu’il a pu être mis en avant par Aubert et Beaujolin-Bellet (2004).
63Deuxième piste, celle qui part des résultats – certes non exhaustifs – de l’analyse du risque pour les personnes inscrites au chômage à l’issue de la cellule de reclassement, de retrouver un emploi. Ces résultats sont pour le moins décevants, voire donnent le vertige : non seulement, ils montrent la récurrence au chômage et la précarisation de nombre de salariés licenciés, mais en outre ils font ressortir des variables dont au moins pour certaines – l’âge par exemple – il n’y a que peu de prises. Pour caricaturer, l’idée serait ici que tous les intervenants, publics comme privés, étant plus ou moins conscients du caractère décevant de ces résultats, personne ne souhaite prendre la responsabilité de dévoiler cela. Pourtant, à défaut de réellement savoir ce qu’il en est des trajectoires des salariés licenciés, personne ne peut dire de façon étayée ce qui est préférable ou plus efficace ; personne n’est en mesure de distinguer le « bon » du « mauvais » travail d’accompagnement. Cette situation rend tout le monde défiant : les salariés et leurs représentants ne sont pas dupes, en attestent les propos très critiques qu’ils peuvent tenir sur les cellules de reclassement, ou le poids de la logique indemnitaire qui vient s’y substituer. Et comme un miroir dans la glace, d’autres vont renvoyer la perception de l’échec à une lecture stigmatisante de demandeurs d’emploi qui ne seraient pas mobiles ni actives dans la recherche d’emploi. Finalement, l’absence d’évaluation, aux conditions évoquées, ramène quasiment à placer le reclassement dans le registre de la croyance, comme si c’était un bien ou un mal en soi, et ne permet pas d’adapter les moyens et processus de contextes spécifiques de chaque population ou personne concernée, ni d’en ajuster dans le temps les contenus et les modalités ; au contraire, cette situation favorise la recherche de boucs émissaires, avec sa part de violence symbolique.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
-
[1]
Professeur à Reims Management School et chercheur associé au GREGOR - IAE de Paris (Chaire Mutations, Anticipations, Innovations).
-
[2]
Statisticienne.
-
[3]
Les auteures remercient Yves Moulin, maître de Conférences à l’EM Strasbourg pour ses apports et conseils dans ce travail.
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[4]
Dans un contexte où il n’existe pas de système d’information intégré en la matière, la récupération de ces données a nécessité l’obtention de la liste nominative des salariés licenciés, d’une autorisation de la CNIL, puis l’extraction d’un fichier spécifique par Pôle Emploi à partir de son fichier historique.
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[5]
La cellule de reclassement peut prendre le nom d’antenne emploi, d’antenne de reconversion, d’antenne de transition professionnelle.
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[6]
Cellule pour laquelle l’entreprise bénéficie d’une aide de l’Etat dans le cadre d’une convention conclue avec la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP).
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[7]
On peut s’étonner de cette référence à 12 mois, toutes les cellules de reclassement n’ayant pas la même durée. En moyenne, la durée des cellules conventionnées en 2007 est de 10 mois et demi, elle est au minimum de 3 mois. Or la source qui permet de construire cet indicateur (SI PSE) collecte l’information à l’issue de la cellule.
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[8]
Plus exactement leur situation d’inscription à Pôle emploi.
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[9]
Reconnaissance en qualité de travailleur handicapé, pension d’invalidité.
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[10]
Par exemple, dans les cas de cellules de reclassement conventionnées par l’Etat, les montants de la participation de l’Etat sont précisés en fonction des résultats obtenus : « x € dans le cas d’un accompagnement réel, mais n’ayant pas permis de formuler un projet de reclassement précis ; x € dans le cas d’un projet aboutissant à un CDD et d’un CTT de moins de six mois ; x € dans le cas d’un projet validé non encore abouti de reprise ou de création d’activité, sur productions de justificatifs (contrats de bail…) ; etc. ».