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Article de revue

Vers une gouvernance d’entreprise effectuale ?

Pages 15 à 42

Notes

  • [1]
    L’auteure remercie les rapporteurs anonymes et les rédacteurs invités pour leurs relectures et commentaires constructifs. L’auteure souhaite ensuite tout particulièrement remercier les Professeurs Gérard CHARREAUX et Peter WIRTZ pour les échanges accordés à divers stades de la réflexion, leurs relectures et leurs encouragements à poursuivre le travail, ainsi que Professeure Evelyne POINCELOT, Laurence COHEN et Marion LORRAIN.
  • [2]
    Respectivement : opportunités à créer de façon endogène, opportunités exogènes à découvrir ou connues (Sammut, 2015 ; Chabaud et Messeghem, 2010 ; Charrière-Petit, 2009 ; Alvares et Barney, 2007 ; Sarasvathy, Dew, Velamuri et Venkataraman, 2003).
  • [3]
    Il s’agit d’une représentation des mécanismes de gouvernance dans une vision disciplinaire et actionnariale.
  • [4]
    Dans le cadre d’une gouvernance qu’il qualifie de comportementale, Charreaux (2005) démontre également que l’intégration de courants théoriques « comportementaux » dans la gouvernance d’entreprise conduit à changer à la fois les conditions d’exercice des deux leviers disciplinaire et cognitif.

Introduction

1Les pratiques entrepreneuriales sont source d’innovation, facteur de croissance économique des économies développées. Elles concernent les processus de découverte, voire de création, d’évaluation et d’exploitation d’opportunités. La recherche en entrepreneuriat se consacre spécifiquement à l’étude de ces processus (Foss, Klein, Kor et Mahoney, 2008 ; Shane et Venkatamaran, 2000 et Shane, 2003), sous l’angle du paradigme de l’opportunité (Chabaud et Messeghem, 2010). Si de telles pratiques font directement penser à celles des entreprises en émergence, le fait de s’intéresser exclusivement à la création d’entreprises amènerait à sous-estimer le poids de l’entrepreneuriat dans l’économie. En effet, l’entrepreneuriat concerne toute forme d’organisation et tout stade de développement (Foss, Klein, Kor et Mahoney, 2008 : 76). Afin de pouvoir comprendre et favoriser les pratiques entrepreneuriales, il apparaît crucial de se pencher sur l’étude des conditions sous lesquelles de nouvelles opportunités peuvent émerger et se développer. En ce sens, Chabaud et Messeghem (2010 : 106-107) soulignent effectivement la nécessité d’une analyse des mécanismes impactant le projet entrepreneurial.

2La gouvernance des organisations permet précisément d’analyser les règles du jeu (le système institutionnel et les mécanismes le constituant) qui encadrent les décisions des dirigeants d’une organisation et qui délimitent ainsi leur liberté d’action. Elles influencent de ce fait l’orientation stratégique de l’entreprise, sa trajectoire, sa croissance, ses décisions financières, la répartition de la rente créée (Charreaux, 2018, 1997 ; Pérez, 2003). Si la gouvernance des organisations a gagné en attention dans les sciences de gestion, notamment depuis que Berle et Means, dès 1932, ont souligné l’apparition des grandes entreprises cotées, celle-ci s’adresse toutefois à toutes les formes d’organisations (Burkhardt et Desbrières, 2018). Appliquée au domaine de l’entrepreneuriat, la gouvernance entrepreneuriale permet d’appréhender le système institutionnel encadrant le projet entrepreneurial et son impact sur la détection (voire la création) d’opportunités, leur évaluation et leur exploitation. Cet impact peut passer par le contrôle et l’incitation (levier disciplinaire de la gouvernance), mais également par l’apport de connaissances et de compétences permettant justement de détecter voire de co-construire les opportunités, le projet entrepreneurial (levier cognitif de la gouvernance). Ces deux leviers d’intervention, aujourd’hui bien reconnus dans le champ de la gouvernance des organisations, sont en adéquation avec les développements d’une approche synthétique ou duale des organisations (Foss et Weber, 2016 ; Wirtz, 2011 ; Charreaux et Wirtz, 2006 ; Cohendet et Llerena, 2005 ; Conner et Prahalad, 1996 ; Conner, 1991) ou des coopérations inter-organisationnelles (Chen et Chen, 2003 ; Heiman et Nickerson, 2002 ; Claude-Gaudillat et Quelin, 2002 ; Kogut, 1988 ; Combs et Ketchen, 1999) argumentant en faveur d’une utilisation complémentaire des approches disciplinaires et cognitives pour l’appréhension des phénomènes organisationnels.

3Dans le cadre du paradigme de l’opportunité, la littérature en entrepreneuriat discute des contextes décisionnels plus ou moins incertains où trois contextes sont notamment distingués, à savoir : celui de l’incertitude radicale au sens de Knight, 1921, celui d’une situation d’incertitude permettant l’établissement de probabilités subjectives et enfin, celui d’une situation de risque. Cette littérature s’interroge également sur la capacité des cadres théoriques à appréhender de tels contextes et sur le statut des opportunités d’investissement qui leurs sont liés. [2] Mais, à notre connaissance, aucun travail ne s’est cependant interrogé sur l’adéquation des théories classiques de la gouvernance à appréhender de tels contextes d’incertitude et donc leur adéquation à l’encadrement des processus de découverte ou de création d’opportunités. Or, il a été démontré que la rationalité déployée par les acteurs diffère selon le contexte décisionnel (Boudon, 2009 ; Saravathy, 2001a/b). Elle est de ce fait situationnelle (Wiltbank et Sarasvathy, 2010 et 2001a ; Alvarez et Barney, 2007). La logique sous-tendant les rationalités déployées peut même complètement s’inverser en fonction du contexte décisionnel (Sarasvathy, 2001a). En contexte d’incertitude radicale, les acteurs, incapables d’évaluer les conséquences de leurs choix par rapport à un ou plusieurs objectifs fixés, opèrent chemin faisant (Quinn, 1980) en suivant une rationalité dite « effectuale », partant des ressources à leur disposition. Ils co-construisent ainsi leur avenir et leurs opportunités avec leurs parties prenantes (Sarasvathy, 2001a). Il apparaît donc légitime de nous demander si les systèmes de gouvernance encadrant les décisions des entrepreneurs qui adoptent des rationalités différentes selon les contextes, ne peuvent eux aussi différer et donc être plus ou moins adéquats aux processus de découverte et de création d’opportunités. Cet article entreprend précisément cette réflexion théorique.

4Si des études récentes montrent que la rationalité effectuale est déployée dans des contextes entrepreneuriaux (Reymen, Andries, Berends, Mauer, Stephan et Van Burg, 2015 ; Brettel, Mauer, Engelen et Küpper, 2012 ; Perry, Chandler et Markova, 2012 ; Chandler, DeTienne, McKlevie, Mumford, 2011 ; Wiltbank, Read, Dew et Sarasvathy, 2009), aucune étude ne cherche à investiguer les conditions favorisant la rationalité effectuale et donc la création d’opportunités. Notre étude élabore précisément un tel cadre théorique. Plus précisément ancrées dans le champ de la gouvernance entrepreneuriale, les recherches actuelles sont généralement centrées sur l’étude du conseil d’administration, de sa genèse, de sa constitution, à son évolution au cours du temps (Bonnet, Séville et Wirtz, 2017 ; Wirtz, 2011 ; Huse et Zattoni, 2008). Elles analysent les apports (cognitifs et/ou disciplinaires) des différents investisseurs aux dirigeants des jeunes pousses et étudient leurs interactions, permettant de répondre aux questions suivantes : s’agit-il d’investisseurs alternatifs ou complémentaires ? Interviennent-ils en co-investissement ? En se succédant ? (Cohen, 2017 ; Bonnet, Wirtz et Séville, 2013 ; Bonnet et Wirtz, 2012, 2011 ; Harrison et Mason, 2000). Étant donné que dans le cadre d’une rationalité effectuale, les agents co-construisent activement leur avenir avec les parties prenantes, l’intégration de l’effectuation dans les théories de la gouvernance d’entreprise devrait permettre une analyse davantage dynamique. Elle rend alors par exemple possible l’étude des actions que le dirigeant-entrepreneur peut entreprendre, s’il souhaite contourner les contraintes imposées par son système de gouvernance.

5Dans la première partie, nous revenons sur les trois statuts de l’opportunité qui sont distingués dans le cadre du paradigme de l’opportunité, les théories qui permettent l’approche de ces statuts et leurs caractéristiques clés (notamment quant aux rationalités et au degré du contexte d’incertitude retenus par ces théories).

6La deuxième partie est destinée à présenter les théories actuelles de la gouvernance d’entreprise pour mettre en avant leurs limites quant à l’appréhension du statut de la création d’opportunités. Nous y intégrons ensuite l’effectuation afin de pallier ces limites.

7Dans la troisième partie, nous élaborons alors les fondements d’une gouvernance d’entreprise que nous qualifions d’« effectuale », car elle est centrée sur la prise de décision selon la rationalité effectuale, menant à la création d’opportunités. Nous y répondons à la question principale suivante : quelle forme prend une gouvernance d’entreprise favorisant la prise de décision selon la rationalité effectuale ? Plus précisement, quels sont les mécanismes de gouvernance qui constituent le système institutionnel favorisant cette rationalité et donc la création d’opportunités ? Et comment ces mécanismes agissent-ils sur les prises de décision suivant une rationalité effectuale au travers des leviers disciplinaire et cognitif de la gouvernance ? Cette partie conduit à l’énumération de propositions caractérisant le système de gouvernance effectual et conduit à l’annonce de pistes de recherche.

1 – Les trois statuts de l’opportunité

8L’entrepreneuriat concerne l’étude des processus de création, de découverte, (d’évaluation) et d’exploitation d’opportunités (Foss, Klein, Kor et Mahoney, 2008 ; Shane et Venkatamaran, 2000 et Shane, 2003). Le paradigme de l’opportunité y est central (Chabaud et Messeghem, 2010). Les recherches menées dans le cadre de ce paradigme ont démontré que les théories des organisations, de par les hypothèses sur lesquelles elles reposent (notamment quant à la rationalité des acteurs et du contexte décisionnel plus ou moins incertain qu’elles retiennent), impliquent la prise en compte d’une vision différente du statut de l’opportunité (Avlarez et Barney, 2007 ; Sarasvathy, Dew, Velamuri et Venkataraman, 2003). Trois statuts d’opportunité sont distingués : l’exploitation, la découverte et la création de l’opportunité. Le tableau 1 en résume les points clés. Bien que ces derniers aient été suffisamment étayés dans la littérature, nous les présentons de façon succincte, car la distinction des trois statuts de l’opportunité constitue précisément la base à partir de laquelle nous revisiterons les théories actuelles de la gouvernance d’entreprise. Nous montrerons que ces dernières retiennent les statuts d’exploitation et de découverte d’opportunités, mais ne permettent pas l’appréhension du statut de la création d’opportunité. Or, c’est particulièrement la création de nouvelles opportunités qui est supposée être source d’innovation (Sarasvathy, 2001a : 249). Une focalisation sur les règles du jeu favorisant la création d’opportunités par les dirigeants-entrepreneurs, nous semble donc particulièrement intéressante. À cette fin, nous développerons les bases d’une gouvernance d’entreprise dite « effectuale ».

Tableau 1

Les trois statuts de l’opportunité et les caractéristiques qui leurs sont liés

Tableau 1
Statut de l’opportunité / Hypothèses Exploitation de l’opportunité Découverte de l’opportunité Création de l’opportunité Nature des opportunités Toutes les opportunités existent, indépendamment des entrepreneurs. Elles sont données et donc exogènes au modèle, la question de leur provenance est ignorée. Les opportunités existent, indépendamment des entrepreneurs. Elles sont données et donc exogènes au modèle, la question de leur provenance est ignorée. Il faut cependant les détecter et les saisir. Elles ne sont pas connues de tous. Les opportunités n’existent pas indépendamment des entrepreneurs. Elles ne sont pas données ; elles sont endogènes au modèle, c’est-à-dire qu’elles sont co-construites entre les entrepreneurs et leurs parties prenantes. Nature du contexte de prise de décision Risque. Établissement de probabilités objectives. Incertitude permettant l’établissement de probabilités subjectives. Incertitude radicale au sens de Knight (1921). Information Asymétrie informationnelle. Confusion entre les notions d’information et de connaissance. Asymétrie informationnelle et interprétation des informations en fonction des schémas cognitifs des agents (on fait la différence entre information et connaissance). Information inexistante, absence d’information. Stratégie Relativement complète et stable. Raisonnement à court terme. Concurrence schumpéterienne sur le long terme. Stratégie changeante. Émergente, changeante et incrémentale. Prise de décision suivant une rationalité de type… …causal selon le vocabulaire emprunté par Sarasvathy (2001a) : outils de collecte des données et de prises de décisions fondées sur le risque. Importance des coûts d’opportunité. …causal selon le vocabulaire emprunté par Sarasvathy (2001a) : outils de collecte des données et de prises de décisions fondées sur l’incertitude permettant au minimum l’établissement de probabilités subjectives. Importance des coûts d’opportunité. …effectual selon le vocabulaire emprunté par Sarasvathy (2001a ; 2003) : prises de décisions itératives, adductives, incrémentales. Importance de la perte tolérable (Sarasvathy, 2001a) et de la notion d’enactment (Weick, 1979). Exemples de théories Théories contractuelles (théorie des coûts de transaction, théorie de l’agence). Théorie des ressources et compétences. Théorie de l’enactment de Weick, théorie du sensemaking.

Les trois statuts de l’opportunité et les caractéristiques qui leurs sont liés

Source : Adaptation à nos besoins du tableau des trois statuts des opportunités de Sarasvathy, Dew, Velamuri et Venkataraman (2003 : 146) en combinaison avec la traduction de Chabaud et Messeghem (2010) du tableau d’Alvarez et Barney (2007 : 13).

9Trois statuts d’opportunité sont distingués :

10a. L’exploitation d’opportunités : la question de la provenance des opportunités n’est jamais posée. Elles sont là, données à l’entrepreneur et connues par celui-ci. Elles sont ainsi « exogènes », sous-entendu au modèle théorique car ce dernier ne permet pas d’expliquer leur provenance. Les opportunités qui se présentent sont ainsi supposées constituer un ensemble « fermé » puisque toutes sont connues par les entrepreneurs. C’est typiquement le cas des théories contractuelles, telles que la théorie des coûts de transaction ou la théorie de l’agence. Ces théories partent de la vision de l’entreprise comme nœud contractuel qui est efficient à un moment donné s’il permet de minimiser les coûts de transaction et d’agence. Ces derniers résultent des mécanismes de contrôle et d’incitation que les agents mettent en place pour limiter les actions potentiellement opportunistes des co-contractants en contexte d’asymétrie informationnelle et de risque. Les agents peuvent donc estimer des probabilités quant aux différentes alternatives. Ces théories reposent sur l’hypothèse d’une rationalité calculatrice (limitée) des agents concernant l’évaluation des conséquences des prises de décision. Cette rationalité est limitée, car les acteurs peuvent ne pas saisir la totalité des alternatives qui se présentent à eux et commettre des erreurs d’évaluation ou de raisonnement. Il n’y a pas de distinction entre les notions d’information et de connaissance. Ainsi, ces théories excluent une interprétation différente de l’information par les agents en considérant leurs schémas cognitifs propres.

11b. La découverte d’opportunités : dans cette perspective, les opportunités existent indépendamment des entrepreneurs. Elles sont donc également données et exogènes au modèle. Cependant, elles ne sont pas nécessairement connues par les agents. Ces derniers doivent d’abord pouvoir les percevoir. Ainsi, l’ensemble des opportunités qui se présente à eux est « ouvert » puisque les opportunités, bien qu’elles soient toutes données, ne sont pas connues et doivent donc être découvertes. La perception des opportunités dépend à la fois des connaissances, des compétences et de l’expertise, ainsi que de l’expérience passée des agents. La distinction entre les notions d’information et de connaissance est explicitement faite en considérant que différents acteurs, face à une même information, peuvent l’interpréter différemment en raison de leurs propres schémas cognitifs. Les théories concernées sont les théories stratégiques telles que, par exemple, la théorie des ressources et des compétences (Penrose, 1959, Barney, 1991). Elles appréhendent l’entreprise comme un ensemble de connaissances, de ressources et de compétences, selon une approche dynamique. Dans un monde en changement, caractérisé par une concurrence schumpéterienne c’est-à-dire où les innovations rendent obsolètes les anciennes pratiques et où les imitateurs limitent rapidement les rentes de monopole des pionniers, une entreprise ne perçoit des rentes supérieures à la moyenne sur le long terme que si elle est capable de développer des actifs stratégiques de manière continue, plus rapide et moins coûteuse que ses concurrentes. Ce sont alors les ressources et compétences clés (hétérogènes, non imitables et non transférables) qui vont conférer cet avantage compétitif à l’entreprise.

12La théorie des ressources et compétences prend appui sur une rationalité limitée procédurale (Simon, 1982 : 498), se focalisant sur le processus même de la prise de décision. Suivant Simon (1982 : 270-271, 278, 368), dès lors que les limites cognitives et computationnelles des agents (par exemple : temps limité pour la collecte d’informations, connaissances et compétences limitées pour l’analyse des informations) sont posées, il devient nécessaire de distinguer le monde réel qui se présente à l’individu et la perception qu’il en a. Les individus ne font plus face à un ensemble de données ; ils doivent se les procurer. Les conséquences du choix d’une des alternatives recherchées ne sont plus nécessairement connues (Simon, 1978 : 501-502). Ainsi, il est explicitement tenu compte du fait qu’une anticipation du futur peut être liée à l’incertitude. Les anticipations des agents peuvent alors reposer, par exemple, sur des expériences passées et sur leurs connaissances (Simon, 1961 : 251). De ce fait, les individus n’optimisent plus mais choisissent une alternative satisfaisante (Simon, 1956 : 129 ; Simon, 1982 : 291, 295) par rapport à un niveau de satisfaction défini au préalable (Simon, 1978 : 503). Les connaissances et expériences des individus déterminent le niveau d’aspiration. Dès qu’ils ont trouvé une alternative qui satisfait ce niveau, les individus mettent fin au processus de recherche d’alternatives nouvelles. Au fur et à mesure du processus décisionnel et, notamment avec l’arrivée d’informations nouvelles et grâce à l’apprentissage, le niveau d’aspiration fixé préalablement peut être modifié (Simon, 1978 : 503).

13c. La création d’opportunités : dans cette perspective, les opportunités n’existent pas indépendamment des entrepreneurs. C’est eux qui les co-construisent avec leurs parties prenantes. Les opportunités sont ainsi socialement construites entre l’entrepreneur et son environnement. Elles sont « endogènes » au modèle, car celui-ci permet l’explication de leur formation. Étant donné que les opportunités n’existent pas au préalable mais doivent être construites par les agents eux-mêmes, cela implique une situation d’absence d’informations quant à l’opportunité, tant que celle-ci n’est pas construite. C’est précisément en raison de l’absence d’informations (et non en raison d’une asymétrie informationnelle, d’un manque de temps pour se procurer les informations nécessaires ou d’une difficulté d’analyse des informations collectées liée aux connaissances limitées), que l’acteur rationnel n’est plus en mesure de procéder par anticipation du futur mais va suivre une rationalité dite « effectuale » qui inverse cette logique (Alvarez et Barney, 2007 ; Sarasvathy, Dew, Ramakrishna Velamuri, Venkataraman, 2003: 156-157 ; Sarasvathy, 2001a). L’effectuation est définie comme une rationalité où l’acteur part des moyens à sa disposition (« 1 » dans le bas de la figure 1) pour créer un ou plusieurs effets non spécifiés au départ (« 2 » dans le bas de la figure 1) (Sarasvathy, 2001a : 245). Elle inverse le schéma proposé par les formes de rationalité que Sarasvathy désigne de « causales » et qui considèrent que l’acteur se fixe un objectif ou un niveau d’aspiration (« 1 » dans le haut de la figure 1) pour se procurer ensuite les ressources et moyens de l’atteindre. Pour ce faire, il choisit parmi plusieurs alternatives à sa disposition ou part à la recherche d’alternatives jusqu’à l’atteindre (« 2 » dans le haut de la figure 1).

Figure 1

Les rationalités causales et effectuale

Figure 1

Les rationalités causales et effectuale

Source : Adaptation du schéma de la logique effectuale, Sarasvathy (2001a : 253)

14Selon cette classification des rationalités en deux catégories (causales et effectuales), Sarasvathy qualifie ainsi également la rationalité limitée procédurale de causale. Effectivement, bien que les acteurs se concentrent sur le processus décisionnel et non sur le résultat, ils établissent toujours des anticipations et recherchent des alternatives satisfaisantes relativement à un niveau d’aspiration fixé (Sarasvathy, 2010 : 6 ; Sarasvathy, 2001a : 245 ; Sarasvathy, Simon et Lave, 1998). Cette rationalité n’est donc pas effectuale où toute anticipation du futur est impossible en raison du manque total d’informations. La logique n’est pas « inversée » telle qu’elle l’est dans le cadre de l’effectuation (voir les flèches de la figure 1). La rationalité effectuale n’est pas supposée se substituer aux rationalités causales. Elle est déployée dans un contexte spécifique où, justement, l’acteur est incapable de raisonner selon une rationalité causale. Wiltbank et Sarasvathy (2010) précise ainsi que la rationalité déployée par les acteurs dépend du contexte décisionnel plus ou moins incertain.

15L’anticipation du futur étant impossible par manque totale d’information, l’acteur rationnel, dans le cadre de l’effectuation, cherche à contrôler la situation en se concentrant sur les pertes qu’il est prêt à tolérer, et cherche à construire ses opportunités chemin faisant avec ses parties prenantes, au fur et à mesure du processus décisionnel. L’action est dynamique et partenariale par nature, et suit une logique de stratégie incrémentale (Barney et Alvarez, 2007 ; Chabaud et Messeghem, 2010) au sens de Quinn (1980). Sarasvathy précise que l’effectuation est compatible avec des courants théoriques reposant sur l’enactment de Weick (1979), tels que le sensemaking (voir Sarasvathy, 2001a) ou des courants reposant notamment sur les apports de Cyert et March (1963), considérant l’entreprise comme étant une coalition politique (March, 1962 ; Pfeffer et Salancik, 2003 : 24 ff. ; Pfeffer, 1981 : 28 ff.). La rationalité effectuale est de nos jours reconnue dans les sciences de gestion et, en particulier, dans le domaine de l’entrepreneuriat (Reymen, Andries, Berends, Mauer, Stephan et Van Burg, 2015 ; Brettel, Mauer, Engelen et Küpper, 2012 ; Perry, Chandler et Markova, 2012 ; Chandler, DeTienne, McKlevie, Mumford, 2011 ; Wiltbank, Read, Dew et Sarasvathy, 2009).

2 – Les limites des théories actuelles de la gouvernance d’entreprise dans l’appréhension du statut de la création d’opportunités

16Cette partie présente, dans un premier temps (2.1), les théories actuelles de la gouvernance d’entreprise pour mettre en avant, dans un second temps (2.2), leurs limites quant à l’appréhension du statut de la création d’opportunités. Nous y intégrons ensuite l’effectuation afin de pallier ces limites.

2.1 – Les théories actuelles de la gouvernance d’entreprise

17La gouvernance d’entreprise s’intéresse à l’analyse des mécanismes qui impactent les prises de décision des dirigeants (Charreaux, 2018). Ces derniers, via leurs choix stratégiques, conditionnent l’orientation du projet entrepreneurial et la valeur créée par ce projet. Ainsi, au travers de leur influence sur les prises de décision de long terme des dirigeants-entrepreneurs, les mécanismes de gouvernance agissent sur la stratégie poursuivie par l’entreprise. Après avoir identifié les mécanismes de gouvernance, nous nous posons la question de savoir comment ils influencent les décisions des dirigeants-entrepreneurs, et ainsi la valeur créée par le projet entrepreneurial. La gouvernance d’entreprise n’est pas à confondre avec la notion de management qui concerne la manière dont le dirigeant conduit l’entreprise. La gouvernance s’intéresse au « management du management » comme le définit Pérez (2003), c’est-à-dire à l’analyse des règles du jeu, au système institutionnel, et aux mécanismes composant ce système, qui orientent la conduite du dirigeant lui-même (Charreaux, 2018). Plusieurs questions se posent ainsi selon la gouvernance d’entreprise : quels sont typiquement les mécanismes qui constituent le système institutionnel encadrant le projet entrepreneurial et comment, c’est-à-dire via quels leviers, orientent-ils ce projet au travers des décisions du dirigeant-entrepreneur ? Comment les mécanismes interagissent-ils au sein du système de gouvernance ?

18Dans le champ de la gouvernance des organisations, les mécanismes peuvent être internes à l’organisation (par exemple, le conseil d’administration) ou externes (par exemple, les différents marchés, les lois, les règles déontologiques) (Jensen, 1993), formels (par exemple, les lois) ou informels (par exemple, la confiance, les valeurs). Charreaux (2008) propose de les classer selon deux critères : s’ils ont été conçus intentionnellement ou s’ils sont spontanés d’une part, et s’ils sont spécifiques à l’organisation ou non d’autre part. Le tableau 2 permet de visualiser cette typologie. Un mécanisme est dit spécifique lorsqu’il n’influence que les décisions prises par les principaux dirigeants de l’entreprise. Un mécanisme est considéré comme intentionnel s’il est conçu spécifiquement dans le but de délimiter la latitude décisionnelle des dirigeants. Il s’oppose aux mécanismes spontanés, tels que les marchés, qui peuvent contraindre les prises de décision des principaux dirigeants d’une entreprise sans pour autant qu’ils aient été conçus dans cet objectif. Ensemble, les mécanismes constituent un système de gouvernance dont l’efficacité dépend de la cohérence globale et de la complémentarité des différents mécanismes, ainsi que de leur caractère substituable.

Tableau 2

Les mécanismes de gouvernance d’après Charreaux (2008) [3]

MécanismesIntentionnelsSpontanés
SpécifiquesConseil d’administration
Mesure de la performance et rémunération
Mécanismes informels tels la confiance, réputation, surveillance mutuelle des dirigeants
Non spécifiquesEnvironnement légal et réglementaireMarché et réseaux des dirigeants
Marché financier
Marché des prises de contrôle
Marché des biens et des services

Les mécanismes de gouvernance d’après Charreaux (2008) [3]

19Les mécanismes de gouvernance, en influençant les prises de décision des dirigeants, délimitent leur liberté d’action (ou leur « latitude discrétionnaire »). Selon la théorie retenue, les mécanismes identifiés peuvent jouer un rôle de « délimitation » ou d’orientation de nature différente. Un système de gouvernance est jugé efficace s’il permet, au travers de son influence sur les prises de décision des dirigeants, de créer de la valeur. Mathématiquement, la valeur créée est le résultat issu d’une différence entre les gains réalisés et les coûts engendrés. Pour cette raison, la littérature en gouvernance des organisations identifie deux « leviers » possibles via lesquels les mécanismes de gouvernance peuvent intervenir de façon (positive) sur la valeur créée. Afin d’augmenter cette dernière, les mécanismes peuvent agir soit sur la réduction des coûts, notamment les coûts d’agence (levier disciplinaire de la gouvernance), soit sur la recherche gains par un apport de compétences et de connaissances (levier cognitif de la gouvernance).

20Dans le cadre de l’état actuel des théories de la gouvernance d’entreprise, le levier disciplinaire repose sur les théories contractuelles (théorie des coûts de transaction (Coase, 1937 ; Williamson, 1979, 1991), théorie positive de l’agence (Jensen et Meckling, 1976)). Ce levier rend possible l’analyse des mécanismes dans leur rôle de contrôle ou de discipline du dirigeant-entrepreneur, afin qu’il gaspille le moins de valeur possible aux yeux des parties prenantes au projet entrepreneurial. Le levier disciplinaire de la gouvernance met ainsi en avant un rôle purement contraignant des mécanismes de gouvernance. Ces derniers, en limitant le champ d’action des dirigeants, agissent sur la création de valeur en réduisant les coûts (de transaction et d’agence) et donc les pertes de valeur. Cette discipline est exercée de manière différente suivant le type de mécanisme à l’œuvre. Ainsi, par exemple, les administrateurs au conseil d’administration peuvent mettre en place des systèmes d’incitation et de contrôle afin de limiter les prises de décision du dirigeant non conformes aux intérêts des parties prenantes qu’ils représentent. Le mécanisme de la confiance permet l’autodiscipline des dirigeants. Il est renforcé par la réputation que l’acteur peut perdre s’il brise les liens de confiance (Charreaux, 1990). Le marché des prises de contrôle peut discipliner le dirigeant en le remplaçant lors d’un rachat ou d’une fusion d’entreprise si l’acquéreur estime que le dirigeant en place n’agit pas de façon conforme aux intérêts des parties prenantes. Ce mécanisme intervient généralement uniquement en dernier essor, lorsque d’autres mécanismes (tel que le conseil d’administration) font défaut (Kini, Kracaw et Mian, 2004 ; Jensen, 1993). Le marché des biens et des services, s’il est concurrentiel, discipline le dirigeant en limitant par nature sa marge de manœuvre. Moins il y a de rentes à générer, moins le dirigeant dispose de latitude organisationnelle discrétionnaire. Le marché et le réseau des dirigeants peuvent discipliner le dirigeant en permettant son remplacement, par exemple, s’ils facilitent l’accès à d’autres candidats. L’environnement légal et règlementaire peut également discipliner le dirigeant, par exemple, en assurant la protection des parties prenantes par l’exigence de la divulgation d’informations et la mise en place d’un système judiciaire facilitant le recours en justice des parties prenantes.

21Le levier cognitif, quant à lui, repose sur la théorie des ressources et des compétences (Penrose, 1959 ; Barney, 1991). Il permet quant à lui l’étude des mécanismes de gouvernance sous l’angle de l’accès à ou de l’apport et de la protection de connaissances et de compétences, permettant justement de détecter, voire de co-construire le projet entrepreneurial. Le levier cognitif de la gouvernance met ainsi en avant un rôle plus habilitant des mécanismes et rend possible l’analyse de la création même de la valeur. Les administrateurs présents au conseil d’administration, s’il appuient sur le levier cognitif, peuvent conseiller le dirigeant en partageant leurs connaissances, leurs compétences, leurs expériences et expertises, ce qui permet, ensemble, de détecter des opportunités que le dirigeant seul n’aurait pu découvrir. Les lois contribuent à assurer la protection des connaissances et du savoir-faire, pérennisant ainsi l’avantage compétitif à plus long terme. Le marché et le réseau des dirigeants peuvent donner accès aux connaissances, compétences et ressources détenues par d’autres acteurs et permettent le recrutement de salariés aux compétences clés. Les liens de confiance entre le dirigeant et les parties prenantes facilitent les échanges et le transfert de connaissances. Les travaux en gouvernance entrepreneuriale mettent en avant le fait, que pour de jeunes entreprises en création ou développement et agissant dans des environnements incertains, les mécanismes interviennent typiquement davantage via le levier cognitif (Burkhardt, 2018 ; Bonnet, Séville et Wirtz, 2017 ; Bonnet et Wirtz, 2012 ; Wirtz, 2011 ; Huse et Zattoni, 2008 ; Wirtz, 2006 ; Zahra et Filatotchev, 2004) que via le levier disciplinaire.

22Ainsi, suivant l’approche théorique mobilisée, l’interprétation du rôle des mécanismes dans l’orientation du projet entrepreneurial s’en trouve profondément renouvelée (discipline et contrôle versus apports et protection des connaissances). La figure 2 illustre les deux leviers d’intervention disciplinaire et cognitif des mécanismes de gouvernance dans la création de valeur par l’encadrement des décisions du dirigeant.

Figure 2

Les leviers d’intervention des mécanismes de la gouvernance d’entreprise

Figure 2

Les leviers d’intervention des mécanismes de la gouvernance d’entreprise

2.2 – Les limites des théories de la gouvernance et l’intégration de l’effectuation

23Nous allons à présent juger les théories actuelles de la gouvernance d’entreprise à l’aune du paradigme de l’opportunité, dont les enseignements ont été présentés dans le point 1. Les théories mobilisées dans le champ de la gouvernance des organisations (pour l’analyse des mécanismes dans leur influence sur les prises de décision du dirigeant au travers des deux leviers disciplinaire et cognitif) sont les théories contractuelles ainsi que la théorie des ressources et compétences.

24Comme précisé dans la première partie de cet article (voir tableau 1 et les développements liés), les théories contractuelles reposent sur le modèle de rationalité limitée calculatrice ; les théories des ressources et compétences sur le modèle de rationalité limitée procédurale (Fransman, 1994 : 736). Dans l’ensemble des théories citées, une rationalité que Sarasvathy qualifie de « causale » (voir figure 1) cherchant à anticiper ou prédire le futur, incompatible avec l’effectuation, reste présente. Alors que les opportunités d’investissement sont données et connues dans le cadre des théories contractuelles, elles ne sont pas nécessairement connues dans le cadre de la théorie des ressources et compétences. Cette dernière tient compte du fait que les agents peuvent percevoir différemment les opportunités se présentant à eux. Les opportunités d’investissement représentent un ensemble fermé et connu du point de vue des acteurs dans le cadre des théories contractuelles. Dans le cadre de la théorie des ressources et des compétences, les opportunités restent également données de façon exogène, mais elles représentent un ensemble ouvert du point de vue des agents qui doivent pouvoir les percevoir et les saisir. Dans les deux cas, les opportunités sont donc données de façon exogène. Aucune des théories citées ne permet véritablement d’aborder les opportunités d’investissement comme des construits sociaux, c’est-à-dire comme endogènes. Pour ce faire, il sera nécessaire de mobiliser des courants théoriques prenant en compte la notion d’enactment (Weick, 1979), tels que ceux reposant sur une rationalité effectuale (Alvarez et Barney, 2007).

25Le tableau 3 résume les caractéristiques clés des théories d’application dans l’approche classique de la gouvernance d’entreprise. Le contenu de ce tableau résulte de la combinaison des enseignements de la littérature en gouvernance des entreprises (présentés dans la section précédente) et de la littérature sur les statuts des opportunités (présentés en point 1). En appliquant le vocabulaire de Sarasvathy (2001a), nous pouvons qualifier la gouvernance d’entreprise classique de « causale », car les théories mobilisées pour l’analyse des leviers d’intervention des mécanismes reposent toutes sur une rationalité de type causale. Ainsi, la gouvernance classique, dite causale concerne l’étude des mécanismes qui favorisent les décisions du dirigeant dans un contexte de découverte et d’exploitation d’opportunités.

Tableau 3

Caractéristiques des théories sous-tendant une gouvernance causale

Gouvernance causale
LeviersDisciplinaireCognitif
ThéoriesThéorie des coûts de transaction Théorie positive de l’agenceThéorie des ressources et compétences
Définition de l’entrepriseUn nœud de contratsUn répertoire de ressources, de compétences, de connaissances
RationalitésRationalité limitée calculatriceRationalité limitée procédurale
Rationalités causales
EnvironnementLes termes “information” et “connaissance” se confondentDistinction entre “information” et “connaissance”
situation de risquesituation d’incertitude
Statut des opportunitésEnsemble donné et fermé d’opportunitésEnsemble donné et ouvert d’opportunités à percevoir et à saisir
Opportunités exogènes

Caractéristiques des théories sous-tendant une gouvernance causale

26Que se passe-t-il si nous intégrons l’effectuation ? L’effectuation, en adéquation avec les courants théoriques reposant sur Cyert et March, l’enactment et le sensemaking de Weick, prend explicitement en compte la possibilité que l’environnement ne peut non seulement être découvert et perçu de façon différente selon les acteurs, leurs schémas cognitifs, leurs expériences, leurs ressources et compétences, mais aussi que l’environnement peut être socialement construit. Les opportunités sont donc non seulement perçues et découvertes mais construites socialement (Sammut, 2015 : 217-218 ; Chabaud et Messeghem, 2010 ; Charrière-Petit, 2009 : 192 ff. ; Alvarez et Barney, 2007 : 15 ; Tywoniak, 2007 ; Pfeffer et Salancik, 1978). La mobilisation de l’effectuation permet donc de réellement aborder les questions de savoir d’où proviennent les opportunités de croissance. La réponse est qu’elles proviennent non seulement d’une perception différente des agents, mais également de la création même de l’environnement par les acteurs (Sarasvathy, Dew, Ramakrishna Velamuri et Venkataraman 2003 : 145). Autrement dit, il est également possible d’inventer des opportunités plutôt que de seulement les découvrir (Weick, 1979 : 166). La notion d’enactment couplée à une vision de l’entreprise comme une coalition politique, un réseau de croyances collectives (Weick, 1995 : 39), permet la prise en compte explicite d’interactions sociales. Les croyances collectives peuvent conduire à une « prédiction créatrice » au sens de Merton, c’est-à-dire, à réaliser les prédictions collectives (Boudon, 1993 : 7-8).

27Alors que la gouvernance classique, dite causale concerne l’étude des mécanismes qui favorisent les décisions du dirigeant dans un contexte de découverte et d’exploitation d’opportunités, la gouvernance d’entreprise que nous qualifierons d’ « effectuale » concerne l’étude des mécanismes favorisant les décisions du dirigeant menant à la création d’opportunités. En élaborant les fondements d’une gouvernance d’entreprise « effectuale », nous nous posons ainsi la question centrale de savoir : quelle forme prend une gouvernance d’entreprise favorisant un processus de création d’opportunités ? De même que pour l’approche classique de la gouvernance, dite causale, nous pouvons donc nous poser les sous-questions suivantes : quels sont les mécanismes qui constituent le système de gouvernance ? Comment interagissent-ils au sein du système ? Et comment impactent-ils les prises de décisions (menant à la création d’opportunités) ? La gouvernance effectuale n’a pas vocation à se substituer à une gouvernance causale. De même que le type de décision selon une rationalité causale / effectuale est situationnelle, le système de gouvernance qui l’encadre l’est aussi (Alvarez et Barney, 2007 ; Chabaud et Messeghem, 2010 : 106).

28Concrètement, l’intégration de l’effectuation conduit à retenir une rationalité des acteurs différente de celles de la gouvernance causale. Comme explicité dans la partie 1, ceci est dû au contexte dans lequel se déploie l’effectuation. Ce contexte est caractérisé par une incertitude radicale et une ambiguïté quant aux buts. Il s’agit de deux notions qui ne peuvent être prises en compte de façon adéquate par les théories habituellement retenues dans le cadre d’une gouvernance causale (théories contractuelles et des ressources et compétences). De ce fait, l’intégration de l’effectuation dans les théories de la gouvernance d’entreprise conduit d’une part à se poser la question de l’impact d’un tel contexte sur la composition du système de gouvernance (les mécanismes qui le constituent). D’autre part, elle conduit à s’interroger sur l’impact de ce contexte sur la manière dont les mécanismes peuvent agir sur la création de valeur au travers des deux leviers (réduction de coûts (levier disciplinaire) et recherche de gains (levier cognitif)). La prise en compte de l’effectuation conduit ainsi à changer le contexte, autrement dit, à changer les conditions sous lesquelles les mécanismes de gouvernance peuvent exercer le contrôle (levier disciplinaire) et l’apport de connaissances et compétences (levier cognitif) au dirigeant d’entreprise. [4] Ces nouvelles conditions sont l’incertitude radicale, l’ambiguïté quant aux buts et la rationalité effectuale (déployée dans un tel contexte).

29Le tableau 4 résume les caractéristiques des théories sous-tendant une gouvernance effectuale. Le contenu de ce tableau résulte de la combinaison des développements de cette section ainsi que de la littérature sur les statuts des opportunités (présentés en point 1). Que le lecteur ne s’étonne pas de ne retrouver qu’un contexte pour l’analyse des deux leviers (disciplinaire et cognitif). L’objectif est de prendre en compte l’effectuation et de voir ce que cela change pour le fonctionnement des leviers habituels de la gouvernance. Le constat que nous faisons est alors que son intégration conduit effectivement à changer, à la fois, les conditions d’exercice des deux leviers, qui fonctionnement indépendamment des théories historiquement mobilisées à leur sujet, bien que de façon altérée. Nous nous poserons par la suite la question de savoir comment les mécanismes de gouvernance peuvent agir au travers des deux leviers (par la discipline et par l’apport de connaissances/compétences) dans le cadre de ce nouveau contexte (non abordé par la gouvernance d’entreprise classique, dite causale). La prochaine section répond précisément à cette question en développant les fondements d’une gouvernance d’entreprise effectuale.

Tableau 4

Caractéristiques des théories sous-tendant une gouvernance effectuale

Gouvernance effectuale
LeviersDisciplinaire et cognitif
ThéoriesThéorie du sensemaking ; Enactment
Définition de l’entrepriseUne coalition politique ; un réseau de croyances partagées inter-subjectivement, basé sur le développement et l’utilisation d’un langage commun et des interactions sociales quotidiennes (Weick, 1995 : 39)
RationalitésRationalité effectuale
EnvironnementDistinction entre “information” et “connaissance”
Situation d’incertitude radicale et d’ambiguité causale
Statut des opportunitésEnsemble non donné et ouvert d’oppotunités co-construites par l’agent et son environnement
Opportunités endogènes

Caractéristiques des théories sous-tendant une gouvernance effectuale

3 – Les fondements d’une gouvernance d’entreprise effectuale

30Dans la partie précédente, nous avons justifié la nécessité de l’intégration de l’effectuation dans les théories de la gouvernance d’entreprise pour l’appréhension du statut de la création d’opportunité. Dans la présente partie, nous cherchons à établir les fondements de la gouvernance d’entreprise que nous qualifions d’« effectuale », car elle est centrée sur les prises de décision selon la rationalité effectuale, menant à la création d’opportunités. Nous nous posons les mêmes questions que dans l’approche classique, dite causale, à savoir : quels sont les mécanismes qui composent le système de gouvernance ? Et comment impactent-ils les décisions du dirigeant via les leviers disciplinaire et cognitif ?

31Comme nous venons de le préciser dans la section précédente, l’intégration de l’effectuation dans les théories de la gouvernance conduit à prendre en compte le contexte dans lequel se déploie l’effectuation, à savoir, un contexte caractérisé par une incertitude radicale et une ambigüité quant aux buts. La question qui se pose en premier lieu est ainsi celle de la conséquence de la prise en compte d’un tel contexte. Nous nous posons donc la question de savoir comment les mécanismes de gouvernance peuvent-ils contrôler le dirigeant ou lui apporter des connaissances et compétences en situation d’ambiguïté quant aux buts poursuivis et d’incertitude radicale ? Ce n’est qu’après avoir mené une réflexion sur le contexte et les conditions d’exercice des leviers disciplinaire et cognitif, que nous pourrons nous prononcer sur les mécanismes qui constituent le système de gouvernance effectual. Effectivement, si les mécanismes intentionnels de la gouvernance sont facilement identifiables comme faisant partie du système (par exemple le système incitatif, les statuts de l’entreprise, le conseil d’administration), cela s’avère plus difficile pour les mécanismes spontanés (par exemple les marchés, les réseaux). Ces derniers n’ont effectivement pas été conçus pour la gouvernance. Ils ne jouent le rôle d’un mécanisme de gouvernance que de façon occasionnelle, en fonction du contexte. Par conséquent, ils ne peuvent être identifiés qu’après caractérisation du contexte. Nous sommes donc contraint à mener la réflexion théorique en partant du bas de la figure 3, pour nous interroger dans un premier temps sur l’impact de l’effectuation sur le contexte dans lequel les mécanismes de gouvernance sont amenés à agir (donc les conditions d’exercice (1 dans la figure 3)), pour pouvoir dans un deuxième temps identifier les mécanismes de gouvernance qui composent le système de gouvernance effectual (2 dans la figure 3). La figure 3 illustre la démarche du raisonnement. La présentation est semblable à celle de la figure 2, mais nous remplaçons les théories de la gouvernance classique d’entreprise en bas du schéma, par l’effectuation.

Figure 3

Démarche de l’analyse

Figure 3

Démarche de l’analyse

32Menons à présent cette réflexion. Suivant cette démarche, nous montrons, dans un premier temps, que l’effectuation conduit à changer les conditions d’exercice des leviers disciplinaire et cognitif par rapport à la gouvernance classique, dite causale (3.1). Dans un deuxième temps, nous menons une réflexion quant aux mécanismes favorisant la prise de décision suivant une rationalité effectuale (3.2). Dans un troisième temps, nous synthétisons les mécanismes identifiés dans un système de gouvernance « effectual » et nous discutons des pistes de recherche (3.3).

3.1 – Les leviers de la gouvernance dans une perspective effectuale

33Nous commençons par décrire les conditions d’exercice du levier disciplinaire de la gouvernance d’entreprise effectuale (3.1.1). Nous poursuivrons avec le levier cognitif (3.1.2).

3.1.1 – Le levier disciplinaire

34Dans une perspective disciplinaire, le rôle traditionnel des mécanismes de gouvernance est de limiter au maximum les pertes de valeur résultant de la présence de coûts d’agence engendrés par des conflits d’intérêts entre les acteurs en coopération. Ces coûts se subdivisent en coût de contrôle (liés aux démarches du principal pour concevoir et mettre en œuvre le système incitatif et de surveillance), les coûts de dédouanement (liés aux démarches de l’agent pour démontrer au principal qu’il agit bien dans les intérêts de ce dernier) et les pertes résiduelles inévitables. Nous pouvons élargir ces coûts aux coûts comportementaux (Charreaux, 2005). Les coûts résultent notamment de la présence d’asymétrie d’information entre le dirigeant et les parties prenantes ; asymétrie informationnelle que l’on cherche à réduire par la mise en place des systèmes de contrôle et d’incitation, ce qui engendre les coûts cités.

35Dans une perspective effectuale, les mécanismes de gouvernance ont toujours le même objectif de contrôle, via le levier disciplinaire. Mais ce contrôle s’exercera sous d’autres conditions, en raison du changement de contexte induit par la prise en compte de l’effectuation. Effectivement, une situation de décision effecutale n’est plus caractérisée par une asymétrie informationnelle mais par l’absence d’informations. Les opportunités n’existant qu’une fois créées, il est impossible d’estimer les coûts d’opportunités associés aux actions entrepreneuriales (Alvarez et Barney, 2007 : 18). En l’absence de buts précis et opérationnalisables, il n’est plus possible de juger leurs décisions en fonction d’un objectif clairement identifié. Dans une logique effectuale, ex ante, les mécanismes d’incitation et de contrôle ne peuvent avoir un impact que sur le niveau tolérable des pertes défini au préalable.

36Les prises de décision d’investissement résultent de décisions collectives, négociées (Cyert et March, 1963) entre diverses parties prenantes ou coalitions, dont le dirigeant (ou l’équipe dirigeante) fait partie. Afin d’assurer le bon déploiement de la stratégie, les mécanismes de gouvernance, dans une voie disciplinaire, ont alors pour rôle de favoriser les actions du management à maintenir ou à renégocier un équilibre entre ces forces. Le système incitatif et de contrôle sert ainsi à favoriser l’établissement de zones de consensus et à veiller à ce que les actions décentralisées servent bien la vision de l’entreprise. Afin de faciliter l’alignement des efforts décentralisés sur la vision de l’entreprise dans le cadre d’une logique incrémentale, Quinn (1980 : 195) suggère de décliner la vision en 5 à 10 points et de les réviser aussi souvent que nécessaire en raison du contexte, en constante évolution. Le système de contrôle doit alors s’assurer que les ressources disponibles sont suffisantes pour permettre leur mise en œuvre, peu importe leur ratio de gains/coûts, ceci afin d’encourager toute prise d’initiative.

37Cette démarche pourrait être appliquée à la gouvernance effectuale. Les mécanismes de gouvernance effectuale, dans leur rôle disciplinaire, peuvent veiller à l’allocation optimale des ressources disponibles vers la réalisation de la vision (et de ses déclinaisons), dans la limite du niveau des pertes tolérables, défini au préalable.

3.1.2 – Le levier cognitif

38D’après le levier cognitif de la gouvernance classique (la gouvernance causale), les mécanismes de gouvernance s’interprètent dans leur rôle d’apport de connaissances et de compétences permettant au dirigeant-entrepreneur de détecter de nouvelles opportunités d’investissement. Les mécanismes qui constituent le système de gouvernance se jugent ainsi par l’impact qu’ils exercent sur l’orientation stratégique adoptée par le dirigeant, de leurs apports de connaissances et de la protection de celles-ci.

39Dans une perspective effectuale, les mécanismes de gouvernance ont toujours le même rôle de l’apport de connaissances et de compétences, via le levier cognitif. Ce qui change sont les conditions d’exercice, c’est-à-dire le contexte dans lequel ce transfert de connaissances et de compétences a lieu et, éventuellement, le type de connaissances et de compétences qui importent. L’apport doit conduire à la création d’opportunités (et non à leur détection).

40Effectivement, en situation de prise de décision suivant une rationalité effectuale, il ne s’agit plus de combiner des connaissances, compétences et informations préexistantes pour en former des nouvelles et les protéger, afin de détecter et d’exploiter des opportunités. Il s’agit de co-construire des opportunités non existantes avec son environnement. Dans un tel processus, Alvarez et Barney (2007) indiquent que les connaissances préalables ne jouent pas nécessairement un rôle important. Nous pouvons en déduire que les mécanismes de gouvernance s’interprètent ainsi par l’impact qu’ils ont dans le processus de co-construction. Les opportunités se construisent chemin-faisant (Chabaud et Messeghem, 2010 : 99 ; Sarasvathy, 2008) via les interactions entre le dirigeant/l’équipe entrepreneuriale et son environnement. Ce qui importe ne sont pas les connaissances, compétences et expériences préalables mais la « disposition » des acteurs à intervenir dans ce processus, en étant ouverts, en posant « les bonnes questions », en élaborant des expériences nouvelles, en restant flexibles, en apprenant. Ce qui importe donc avant tout est la capacité et la sensibilité des acteurs à s’impliquer selon les caractéristiques que nous venons de citer. Il s’agit de compétences pouvant être qualifiées de « soft skills ». Ce processus de création d’opportunités ne se fait pas en fonction d’un calcul des gains et coûts d’opportunités impossible à anticiper (même sous forme probabiliste) (Alvarez et Barney, 2010 : 19) et qui serait contreproductif (Quinn, 1980). On peut suggérer la tendance à suivre mais on est sujet à des changements majeurs en cours de route (Weick, 1995).

41Même si un calcul de gains et de coûts est impossible avant que l’opportunité soit créée, c’est-à-dire en fin de processus, il est néanmoins possible de le gérer de façon proactive. Le processus de création émane de croyances subjectives en la possibilité de créer une opportunité, de perceptions subjectives quant à leur nature, leur portée, leur acceptation. Ces croyances et perceptions mènent l’entrepreneur à agir en poursuivant sa vision, qui reste large et peu concrétisée. Cette croyance ne peut se concrétiser en une réelle opportunité qu’en faisant intervenir les acteurs de l’environnement : pour se réaliser, la croyance doit devenir une croyance collective permettant ainsi sa réalisation. Il est donc nécessaire de légitimer cette croyance et de faire preuve de pouvoir de persuasion et de négociation. Durant ce processus de légitimation, l’entrepreneur peut être en permanence amené à revoir ses perceptions, ses croyances, jusqu’à ce qu’elles soient négociées et acceptées par les parties prenantes clés. L’entrepreneur ayant la vision ne sait néanmoins pas nécessairement comment s’y prendre pour la réaliser et ne peut spécifier les compétences et connaissances requises. Il va ainsi faire activement intervenir d’autres acteurs pour concrétiser sa vision, ces derniers étant souvent force de proposition de réalisations concrètes. Il est donc nécessaire pour l’entrepreneur d’être convaincu de ses idées afin de pouvoir persuader d’autres acteurs à se joindre au projet ; projet qu’il ne peut cependant pas spécifier au moment où il entre en contact avec ces acteurs. L’acte de persuasion peut ainsi porter sur la confiance qu’inspire l’entrepreneur lui-même, son charisme, plutôt que sur le projet entrepreneurial lui-même, qu’il lui est difficile de spécifier (Alvarez et Barney, 2007). Afin d’équilibrer les forces en jeu, il est nécessaire de créer un consensus autour de notions et de concepts clés, notamment quant à la vision de l’entreprise (Quinn, 1982 : 167). Dans tout ce processus, certains biais comportementaux (comme le biais de sur-confiance) peuvent être « utiles » à la créativité et au processus d’invention, et de persuasion permettant la création de nouvelles opportunités (Alvarez et Barney, 2007). La figure 4 synthétise les développements que nous venons de mener pour illustrer les deux leviers disciplinaire et cognitif de la gouvernance d’entreprise effectuale.

Figure 4

Les leviers d’intervention des mécanismes de la gouvernance d’entreprise effectuale

Figure 4

Les leviers d’intervention des mécanismes de la gouvernance d’entreprise effectuale

42Ces développements nous conduisent à formuler la proposition suivante :

  • Proposition 1 : comparée à une gouvernance d’entreprise classique, dite causale, une gouvernance d’entreprise effectuale change les conditions d’exercice des leviers disciplinaire et cognitif. Ce qui importe ne sont plus les notions (d’asymétrie) d’information et de connaissances, mais les notions de croyances collectives, de persuasion, de légitimation.

3.2 – Les mécanismes du système de gouvernance effectual

43Spécifions à présent les différents mécanismes de gouvernance dans une perspective effectuale. Cette présentation se veut non exhaustive. Nous commençons par les mécanismes non spécifiques et spontanés (3.2.1). Un mécanisme est non spécifique lorsqu’il n’influence pas uniquement les décisions prises par les principaux dirigeants d’une entreprise. Il est spontané s’il peut délimiter les prises de décision des principaux dirigeants d’une entreprise sans pour autant avoir été conçu dans cet objectif. Nous poursuivons avec les mécanismes non spécifiques et intentionnels (3.2.2). Un mécanisme est considéré comme intentionnel s’il est conçu spécifiquement dans le but de délimiter la latitude décisionnelle des dirigeants. Nous abordons ensuite les mécanismes spécifiques et spontanés (3.2.3), pour terminer avec les mécanismes spécifiques et intentionnels (3.2.4). Un mécanisme est dit spécifique lorsqu’il n’influence que les décisions prises par les principaux dirigeants d’une seule entreprise.

3.2.1 – Les mécanismes non spécifiques et spontanés

44La littérature en gouvernance des organisations met habituellement en avant l’importance du marché des financements, du marché des biens et des services, du marché du travail, du marché des dirigeants et du marché des médias. Ces mécanismes ont-ils la même importance dans le cadre effectual ? De façon générale, l’effectuation, en particulier pour des entreprises émergentes, conduit à accorder un rôle plutôt réduit aux différents marchés au profit des mécanismes de réseaux, et de relations sous forme d’alliances et partenariats, traités dans les mécanismes spécifiques et spontanés. Les mécanismes de marché n’interviennent quasiment pas car l’opportunité ne peut exister que lorsqu’elle sera créée (donc en fin du processus). Elle ne se concrétise qu’au cours du processus incrémental, ce qui la rend difficilement spécifiable à l’avance. Traitons ces marchés un à un.

45Le marché financier est généralement un marché peu accessible pour le financement des projets suivant une logique effectuale. Contrairement à une situation de découverte d’opportunités, il est difficile, voire impossible pour l’entrepreneur d’expliquer aux apporteurs de fonds externes la nature des opportunités qu’il souhaite exploiter et pour lesquelles il nécessite les fonds. Cela signifie qu’il n’y a pas asymétrie d’information entre l’entrepreneur et les investisseurs potentiels. L’information quant au projet à créer n’existe simplement pas. Pour cette raison, il est fort probable que des investisseurs externes traditionnels (banques, capital-risque, marché financier) n’accordent pas les fonds nécessaires (Alvarez et Barney, 2007 : 20). Les entrepreneurs doivent donc se tourner vers des investisseurs prêts à leur accorder les fonds sur la base de leur personnalité (leur caractère, leur capacité à apprendre, leur flexibilité et leur créativité), et non sur la base du projet entrepreneurial porté. Il s’agit souvent d’acteurs proches de l’entrepreneur, tels que la famille, les amis, appartenant à son réseau (Alvarez et Barney, 2007 : 20). Alvarez et Barney (2007) en appui sur Bhide (1992), argumentent même que dans le cas improbable où l’entrepreneur avait accès à une des sources de financement externes traditionnelles (citées supra) pour son projet effectual, cela pourrait entraver l’aboutissement du projet. En effet, ces acteurs pourraient exiger l’exploitation d’une opportunité identifiée même si celle-ci peut s’avérer, en cours de route, moins rentable à long terme qu’une alternative. Effectivement, lorsque les outils de planification et de contrôle stratégiques classiques sont utilisés dans un contexte d’enactment, ils peuvent le court-circuiter (March, 1991 ; Quinn, 1980 ; Weick, 1979).

46Le recrutement du personnel s’opère également plutôt par les réseaux du dirigeant que par le marché du travail. Comme l’opportunité à créer ne peut être anticipée mais se réalise de façon incrémentale, il est difficile voire impossible de spécifier les compétences requises par l’affichage d’une fiche de poste. C’est pourquoi le recrutement s’opère généralement via les réseaux (Alvarez et Barney, 2007 : 19). Il en va de même pour le marché des dirigeants. Le recrutement s’opère davantage par recours aux réseaux. L’expertise spécifique nécessaire à l’élaboration d’un projet non créé et non spécifié, ne peut être anticipée. Son recrutement est donc fondé sur son expérience dans la conduite de processus incrémentaux, ce qui est, à nouveau, facilité par les réseaux (Alvarez et Barney, 2007 : 18). Enfin, concernant le marché des biens et des services, l’opportunité de créer de façon incrémentale est généralement indépendante d’un marché préexistant et dépendant des actions de l’entrepreneur. Il ne joue ainsi pas de grand rôle dans la création d’opportunités (Alvarez et Barney, 2007 : 15 ; Weick, 1979). Il peut agir ex post, une fois le processus effectual terminé et l’opportunité créée, car il s’agira d’exploiter l’opportunité créée sur un marché sur lequel on pourra alors espérer tirer profit d’une rente de monopole. Cependant, on tombe alors, à ce moment précis, dans un processus causal (et donc dans la gouvernance d’entreprise classique). Ces développements nous conduisent à formuler la proposition suivante :

  • Proposition 2 : comparée à une gouvernance d’entreprise classique dite causale, une gouvernance d’entreprise effectuale conduit à accorder une importance minime, voire nulle aux mécanismes de marché, au profit des mécanismes de réseau.

3.2.2 – Les mécanismes non spécifiques et intentionnels

47La littérature traditionnelle portant sur la gouvernance des organisations met en avant les mécanismes tels que l’environnement légal et réglementaire, les règles déontologiques de la profession et les systèmes nationaux de formation. Ont-ils la même importance dans le cadre d’une gouvernance effectuale ?

48Le système légal et règlementaire national peut être plus ou moins favorable à l’entrepreneuriat et l’innovation incrémentale. Certains pays peuvent mettre en place des régimes fiscaux plus favorables. Les valeurs nationales, notamment quant à la perception de l’échec, peuvent également encourager ou, au contraire, entraver les prises de décision suivant une rationalité effectuale. Suivant le contexte national, l’abandon d’un projet entrepreneurial peut être perçu comme un échec alors que dans un autre contexte, il est perçu comme faisant partie de l’apprentissage d’un entrepreneur. Nous pouvons aussi concevoir que certaines professions soient plus favorables au processus de création d’opportunités par voie incrémentale, que d’autres.

49La causation et l’effectuation étant deux formes de rationalité, peuvent s’apprendre. Ce fait conduit à orienter les systèmes d’enseignement comme mécanismes de gouvernance étant donné qu’ils influent les schémas mentaux (Charreaux, 2005 : 231). L’effectuation étant une forme de rationalité, intelligible, il est possible de l’enseigner et de l’apprendre (Wiltbank et Sarasvathy, 2010). De nos jours, les rationalités causales ont de l’avance sur la rationalité effectuale car elles sont transmises via l’enseignement depuis des décennies, alors que l’effectuation ne représente qu’une niche dans l’enseignement actuel. Ces développements amènent à formuler les propositions suivantes :

  • Proposition 3 : comparée à une gouvernance d’entreprise classique dite causale, une gouvernance d’entreprise effectuale conduit à donner de l’importance aux valeurs nationales quant à la perception de l’échec entrepreneurial.
  • Proposition 4 : le système d’enseignement est d’importance dans les deux types de gouvernance classique, dite causale, et effectuale. En revanche, la rationalité causale étant plus largement étudiée que la rationalité effectuale, le système de formation aura un impact favorable sur la gouvernance causale au dépend de la gouvernance effectuale.

3.2.3 – Les mécanismes spécifiques et spontanés

50La littérature traditionnelle en gouvernance des organisations met en avant les mécanismes plutôt de nature informelle, tels que la confiance, la réputation, la culture d’entreprise, les valeurs et les relations avec les parties prenantes. La confiance et la réputation constituent des mécanismes de gouvernance importants et sont au cœur des relations du dirigeant d’entreprise et de ses parties prenantes. S’ils favorisent l’autodiscipline et le transfert de connaissances et de compétences dans le cadre d’une gouvernance classique, dite causale, ils agissent différemment dans le cadre d’une gouvernance effectuale.

51Dans le cadre d’une rationalité effectuale, Sarasvathy (2001a) précise que des engagements (partenariats, alliances stratégiques) avec les parties prenantes (par exemple des potentiels clients, des fournisseurs) sont explicitement entrepris, afin de tenter de contrôler la situation, de réduire l’incertitude, de pouvoir créer les opportunités chemin faisant. Les valeurs et la culture d’entreprise sont des mécanismes activement développés afin de faire en sorte que les différents acteurs agissent intuitivement dans l’intérêt du projet collectif. Effectivement, une culture d’entreprise propice aux échanges informels et directs (sans démultiplier les niveaux hiérarchiques à respecter lors de prises de décision) et permettant une ouverture face à la critique, favorise les processus créatifs et incrémentaux. La confiance et la réputation facilitent ces processus. Comme nous le verrons dans la prochaine section, la forte importance des mécanismes informels limite la nécessité du recours aux mécanismes formels. Ces développements nous conduisent à formuler la proposition suivante :

  • Proposition 5 : comparée à une gouvernance d’entreprise classique, dite causale, une gouvernance d’entreprise effectuale accorde une importance capitale aux mécanismes informels qui régissent les liens stratégiques avec les parties prenantes, limitant la nécessité de mécanismes formels.

3.2.4 – Les mécanismes spécifiques et intentionnels

52La littérature traditionnelle en gouvernance des organisations met principalement en avant des mécanismes tels que le conseil d’administration, le système incitatif et de contrôle. Quelle est leur importance dans le cadre d’une gouvernance d’entreprise effectuale ?

53D’après Quinn (1980 : 143), dans une stratégie incrémentale, le conseil d’administration (CA) doit s’assurer : 1) que le management soit ouvert et réceptif à des critiques et à tout changement environnemental ; 2) de revoir le système incitatif à chaque changement majeur afin de s’assurer de sa cohérence ; 3) de veiller à l’équilibre des forces en jeu. Comme l’effectuation suppose une logique incrémentale, les réflexions de Quinn sont transposables à la gouvernance effectuale.

54En matière de composition, le conseil, vraisemblablement, accueillerait davantage de parties prenantes, au-delà des salariés, habituellement pris en compte dans la gouvernance classique, dite causale. Notamment, la présence de clients ou de futurs clients prend toute son importance dans une perspective de création de nouvelles opportunités de croissance, d’une nouvelle demande et, à terme d’un nouveau marché des biens et des services (Sarasvathy, 2001a). Une importance moindre est accordée aux apporteurs de fonds. Plus la diversité des parties prenantes au conseil est élevée, plus la création de nouvelles opportunités est potentiellement grande et peut renforcer les effets de prédictions créatrices.

55Dans le cadre d’une gouvernance effectuale, le système incitatif et de contrôle ne repose pas sur le recours aux mesures financières et comptables standard (fondées sur le calcul de la VAN, ROI, …). Les informations nécessaires à l’estimation de ces mesures ne sont pas disponibles, même sous forme probabiliste. Par ailleurs, leur utilisation pourrait conduire à nuire à la création d’opportunités dans un cadre incrémental, effectual (Quinn, 1980 : 174-175). Le système repose davantage sur un reporting verbal, peu formalisé. De ce fait, il s’imbrique fortement avec les mécanismes informels cités dans la section précédente (valeurs, culture d’entreprise, confiance, etc.). Ces développements nous conduisent à formuler la proposition suivante :

  • Proposition 6 : comparée à une gouvernance d’entreprise classique, dite causale, une gouvernance d’entreprise effectuale implique une composition du conseil d’administration partenariale accordant une importance moindre à la présence d’investisseurs et davantage d’importance à la présence d’autres parties prenantes, tels les futurs clients.

3.3 – Le système de gouvernance effectual et les pistes de recherche

56Regroupons à présent les différents mécanismes dans un système de gouvernance effectual (tableau 5). Cette représentation, non exhaustive, n’est qu’indicative. Ces mécanismes peuvent s’imbriquer (agir de façon complémentaire ou se substituer).

Tableau 5

Le système de gouvernance effectual

MécanismesIntentionnelsSpontanés
SpécifiquesCA incluant les autres parties prenantes (notamment clients et fournisseurs), système incitatif et de contrôle, coalitionsConfiance, Réputation, valeurs, culture d’entreprise, relations avec les parties prenantes (clients, fournisseurs, salariés,…), réseaux, partenariats, alliances
Non spécifiquesEnvironnement légal et règlementaire, systèmes nationaux de formationRéseaux

Le système de gouvernance effectual

57Le système de gouvernance d’entreprise effectual est partenarial et dynamique par nature. Comparé au système de gouvernance classique, dit causal, il implique une plus grande importance des mécanismes des réseaux (spécifiques ou non), des alliances, des partenariats, ainsi que des valeurs et de la culture d’entreprise. Il conduit à une importance moindre, voire nulle, des mécanismes de marché. Ces mécanismes s’analysent en fonction de leur impact sur la création d’opportunité, en challengeant, en négociant les croyances et perceptions du dirigeant, en les légitimant jusqu’à ce qu’elles se concrétisent.

58De même qu’une rationalité effectuale ne se substitue pas à une rationalité causale, une gouvernance d’entreprise effectuale ne se substitue pas à une gouvernance d’entreprise causale. Les deux favorisent le déploiement des deux types de rationalités selon le contexte décisionnel plus ou moins incertain. L’important étant que le système de gouvernance soit adapté au contexte décisionnel. Si la gouvernance d’entreprise classique, dite causale, peut favoriser la découverte et l’exploitation d’opportunités existantes, une gouvernance d’entreprise effectuale est adaptée à favoriser les contextes de créations d’opportunités non existantes.

59Cette contribution esquisse les bases d’une gouvernance d’entreprise effectuale. Elle ouvre la voie à de futures recherches. Des investigations empiriques, sous la forme d’études de cas privilégiant notamment une approche processuelle, permettraient d’en apprendre plus sur les différents mécanismes de gouvernance à l’œuvre et la manière dont ils influent sur le processus effectual, incrémental et la création d’opportunités. Une approche par la gouvernance d’entreprise effectuale devrait conduire à avancer dans la voie ouverte par Chabaud et Messeghem (2010), à savoir l’étude des mécanismes organisationnels qui favorisent la création, la découverte et l’exploitation d’opportunités, en fonction du contexte décisionnel. Au-delà, il serait intéressant d’analyser l’imbrication des systèmes de gouvernance effectual et causal. Effectivement, une fois l’opportunité créée par voie effectuale, incrémentale, celle-ci est à exploiter. Ainsi, le contexte initialement effectual devient causal.

60L’intégration des courants permettant l’effectuation devrait conduire à une analyse davantage dynamique prenant en compte les interactions entre le système de gouvernance considéré comme donné et les actions managériales entreprises par les dirigeants pour changer les mécanismes qui les gouvernent, afin de parvenir à un nouveau système de gouvernance. Ainsi, par exemple, le dirigeant peut explicitement former des alliances pour échapper à une délimitation de son espace discrétionnaire trop élevé par le contrôle exercé par un marché des biens et des services (Sarasvathy, 2001a ; Burt, 1992). L’analyse permet, en matière de gouvernance, de comprendre comment les systèmes de gouvernance évoluent au cours du temps et de rendre explicite l’analyse d’un dirigeant non passif quant aux mécanismes qui délimitent son espace discrétionnaire. La prise en compte des courants reposant sur une logique effectuale permet également d’ouvrir la voie à l’analyse de la complémentarité ou de la possibilité de substitution des différents mécanismes de gouvernance du système, en définitive, à l’étude de l’imbrication des différents mécanismes.

61Une approche par la gouvernance d’entreprise effectuale conduit directement à des implications managériales. Si les rationalités déployées dépendent du contexte décisionnel, les mécanismes qui encadrent les décisions des dirigeants en dépendent également. C’est ce que nous avons spécifié dans cet article en opposant la gouvernance d’entreprise classique, causale, à la gouvernance d’entreprise effectuale. Il en découle qu’une non-adéquation du système de gouvernance au contexte décisionnel conduit à des inefficacités. Il importe également d’être prudent quant à une application « aveugle » des normes de ‘bonne gouvernance’ divulguées par les professionnels. Généralement basées sur des concepts spécifiques (notamment une gouvernance causale et privilégiant, souvent, la voie disciplinaire), ils sont donc non seulement peu adaptés à favoriser la découverte d’opportunités, mais ils sont fort probablement en rien adaptés à favoriser l’innovation par la création d’opportunités d’investissement.

Conclusion

62Une gouvernance d’entreprise effectuale doit permettre d’encadrer les prises de décision en contexte effectual, c’est-à-dire de création d’opportunités d’investissement socialement construites en interaction entre l’entrepreneur et son environnement, ses parties prenantes. En effet, la gouvernance d’entreprise traditionnelle, causale, de par les théories qu’elle retient et les concepts de rationalité qui les sous-tendent, est adaptée à des situations de découvertes et d’exploitations d’opportunités données. Un système de gouvernance inadapté au contexte décisionnel qu’il est censé encadrer mènerait à des inefficiences. Après avoir présenté les limites des théories actuelles de la gouvernance d’entreprise à l’aune du paradigme de l’opportunité, cet article intègre l’effectuation dans le champ de la gouvernance d’entreprise et élabore ensuite les spécificités d’une gouvernance d’entreprise effectuale.

63De futures investigations empiriques semblent particulièrement fructueuses afin de comprendre plus finement comment les différents mécanismes identifiés œuvrent lors des prises de décision effectuales. Des études de cas privilégiant une approche processuelle seraient adaptées. Telle qu’explicitée, une approche par la gouvernance d’entreprise effectuale devrait permettre d’investiguer les mécanismes organisationnels favorisant la création d’opportunités d’investissement et, par-delà, contribuer à l’élaboration d’une théorie générale en entrepreneuriat (Alvarez et Barney, 2007).

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Mots-clés éditeurs : effectuation / causation, création d’opportunités, gouvernance entrepreneuriale, rationalité, stratégie incrémentale

Date de mise en ligne : 05/01/2021

https://doi.org/10.3917/entre1.191.0015

Notes

  • [1]
    L’auteure remercie les rapporteurs anonymes et les rédacteurs invités pour leurs relectures et commentaires constructifs. L’auteure souhaite ensuite tout particulièrement remercier les Professeurs Gérard CHARREAUX et Peter WIRTZ pour les échanges accordés à divers stades de la réflexion, leurs relectures et leurs encouragements à poursuivre le travail, ainsi que Professeure Evelyne POINCELOT, Laurence COHEN et Marion LORRAIN.
  • [2]
    Respectivement : opportunités à créer de façon endogène, opportunités exogènes à découvrir ou connues (Sammut, 2015 ; Chabaud et Messeghem, 2010 ; Charrière-Petit, 2009 ; Alvares et Barney, 2007 ; Sarasvathy, Dew, Velamuri et Venkataraman, 2003).
  • [3]
    Il s’agit d’une représentation des mécanismes de gouvernance dans une vision disciplinaire et actionnariale.
  • [4]
    Dans le cadre d’une gouvernance qu’il qualifie de comportementale, Charreaux (2005) démontre également que l’intégration de courants théoriques « comportementaux » dans la gouvernance d’entreprise conduit à changer à la fois les conditions d’exercice des deux leviers disciplinaire et cognitif.

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