DARD/DARD 2021/1 N° 5

Couverture de DARD_005

Article de revue

Bâtir la résilience sur une vision partagée du territoire

Pages 76 à 85

Notes

1Le Boischaut Sud, région naturelle située à cheval sur l’Indre et le Cher, détonne de prime abord par la qualité de ses paysages faits de vallons verdoyants et de bocage, la faible densité de sa population, la richesse de sa biodiversité et de son patrimoine bâti, décor des romans de George Sand. Mais si l’on y regarde de plus près, cette image d’Épinal s’efface assez vite : comme de nombreux territoires ruraux, le Boischaut Sud est marqué par de multiples problématiques : éloignement de l’emploi, déclin démographique, dislocation du lien social, disparition des services et commerces de proximité, mobilité limitée et difficultés d’accès aux soins. Même le bocage, qui fait l’image de ce territoire et la fierté de ses habitants, est menacé par l’intensification des pratiques agricoles entraînant l’agrandissement des parcelles et la destruction des haies.

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Le Boischaut Sud
Principaux bourgs : Argenton-sur-Creuse (4 900 habitants), La Châtre (4 200), Neuvy-Saint-Sépulchre (1 600)
Activité caractéristique : agriculture extensive en polyculture et élevage bovin
Structures à l’initiative de BSeT : l’Association pour le développement agricole et rural (Adar-Civam), la Maison des jeunes, de la culture et des savoirs (MJCS) et l’association S-Composition

Un territoire en mouvement

2Malgré tout, si l’on aiguise encore son regard, l’optimisme peut rester de mise. Car face à ces enjeux, de nombreuses initiatives essaiment un peu partout. Mieux : elles s’organisent pour coopérer et mettre en œuvre la transition écologique du territoire. Point d’orgue de cette dynamique, la démarche Boischaut Sud en Transition (BSeT) a vu le jour il y a un peu moins d’un an, portée par une alliance de trois structures locales : l’association Adar-Civam soutient et accompagne les initiatives pour le développement agricole et rural ; la Maison des jeunes, de la culture et des savoirs (MJCS) promeut l’éducation populaire et fédère les actions de la jeunesse ; quant à l’association S-Composition, elle agit pour le renforcement des liens sociaux et intergénérationnels au travers d’actions culturelles. Pour l’alliance, le constat de départ est limpide : les projets se multiplient sur plusieurs pans de la transition (circuits alimentaires, mobilité, lien social, économie de proximité…) mais demeurent trop isolés [2] ; ils manquent par conséquent d’impact et ne permettent pas réellement au territoire de bâtir sa résilience, à savoir sa capacité à faire face aux chocs de manière à maintenir ses fonctions principales tout en préservant sa cohérence et son identité.

3Dès lors, les porteurs de BSeT se sont donné pour objectifs de réunir les acteurs autour d’une vision partagée du territoire, d’identifier, rassembler et accompagner l’ensemble des initiatives en germe, et de construire sur cette base une stratégie d’action qui permette d’amplifier la dynamique de transition.

4À l’origine, il y avait donc la volonté de faire émerger une vision du territoire qui sorte des diagnostics froids habituels, certes objectifs et chiffrés, mais en partie déconnectés des préoccupations réelles des personnes et des organisations qui évoluent sur le territoire. BSeT a ainsi amorcé un état des lieux « sensible et impliquant », sur la base d’un questionnaire diffusé massivement et relayé par une vingtaine d’enquêteurs et enquêtrices volontaires. Ce sont donc les habitants eux-mêmes qui ont mené l’enquête auprès de leurs familles, amis, collègues, et parfois même de personnes croisées dans la rue ou sur les marchés. Les répondants ont alors pu parler librement de leur territoire, des enjeux qui les préoccupent et de la façon dont ils se projettent dans l’avenir [3]. Ce travail a permis de composer un portrait collectif du Boischaut Sud, mais aussi de proposer des orientations et des actions concrètes à mettre en œuvre collectivement pour renforcer la résilience locale, en se fondant sur les initiatives existantes. À l’occasion d’un atelier qui s’est tenu le 29 juin 2021, une trentaine d’habitants, d’élus et d’acteurs du territoire ont ainsi été amenés à formuler ensemble leurs souhaits pour 2030 en lien avec les différentes thématiques de l’état des lieux issu de l’enquête.

Portrait sensible et projections

5L’un des premiers sujets mis en avant dans le questionnaire est sans surprise le déclin démographique, synonyme de vieillissement de la population et de perte de dynamisme. Toutefois, comme dans d’autres territoires ruraux, la crise sanitaire a entraîné un regain d’intérêt pour la région, et l’accueil de « néo-ruraux » en capacité de s’investir activement est largement perçu comme un atout pour le dynamisme du territoire. La plupart des personnes interrogées lors de l’enquête souhaitent ainsi que le Boischaut Sud devienne une terre d’intégration pour des porteurs de projets qui contribueront au développement local. À ce sujet, l’une d’elles déclare voir le Boischaut Sud de 2030 comme « une mosaïque culturelle et naturelle […] non jugeante et ouverte sur celles et ceux qui viennent pour contribuer à la résilience du territoire, avec leurs outils, leur parcours, leurs connaissances et leurs moyens [4] ».

6La transformation du modèle agricole ressort aussi de l’enquête comme un sujet de taille. Aujourd’hui, l’agriculture, et notamment l’élevage bovin, est une activité majeure. Cependant, ses retombées économiques ne bénéficient que partiellement au territoire, car la majorité des éleveurs ont recours à des circuits de vente délocalisés. Si dans le même temps on assiste à l’émergence de projets collectifs de circuits courts, notamment en maraîchage, pour l’heure cette production locale ne suffit pas à satisfaire l’ensemble des besoins du territoire. Enfin, les sécheresses tendent à se généraliser en période estivale, ce qui contraint agriculteurs et éleveurs à faire évoluer leurs pratiques, notamment pour la gestion de la ressource en eau. Autre motif d’inquiétude : deux chefs d’exploitation sur trois ont plus de 50 ans, et la relève est rarement assurée. Dans une fiche élaborée au cours de l’atelier du 29 juin, où ce futur désirable se conjugue au présent, on lit notamment : « [En 2030], l’agriculture de proximité s’est largement développée et permet d’assurer l’autonomie alimentaire du territoire pour une majorité de denrées (produits laitiers et viandes, mais aussi céréales, légumineuses et produits maraîchers). Pour s’adapter aux sécheresses récurrentes, le nombre de bovins élevés sur le territoire a diminué, mais les éleveurs vendent une viande de meilleure qualité, à un meilleur prix. Sur les parcelles qui le permettent, l’élevage a laissé place aux cultures de céréales et de légumineuses, de variétés sélectionnées pour s’adapter aux conditions climatiques. Les haies du bocage, préservées, leur offrent des auxiliaires de culture. Le renouvellement des générations d’agriculteurs s’est opéré grâce à des dispositifs qui facilitent la transmission, l’accès au foncier et aux outils de production. La moyenne d’âge des chefs d’exploitation est de 40 ans. Les fermes fonctionnent majoritairement en collectif, améliorant ainsi le bien-être physique et psychologique des agriculteurs [5]. »

Virginie Gailing, enquêtrice volontaire, lors de la restitution de l’enquête collective le 22 mars 2021

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Virginie Gailing, enquêtrice volontaire, lors de la restitution de l’enquête collective le 22 mars 2021

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7Vient ensuite l’enjeu de l’énergie, avec deux problématiques centrales. D’abord, le Boischaut Sud dépend, comme tous les territoires français, d’une énergie produite en dehors de l’Hexagone. Des projets de production d’électricité renouvelable émergent, mais ils sont majoritairement gérés par des entreprises ou des investisseurs extérieurs, et très critiqués pour leur impact environnemental, notamment sur les paysages. Ensuite, l’offre d’infrastructures et de transports alternatifs à la voiture reste insuffisante. Surtout, les distances à parcourir pour accéder aux services et commerces élémentaires se sont étirées dans les dernières décennies. « Les transports en commun sont quasi inexistants et les habitants des petites communes sont presque entièrement dépendants de la voiture », soutient une des participantes à l’enquête. Une mobilité coûteuse en énergie, qui a un impact certain sur l’attractivité du territoire : « Sans la voiture, il est quasiment impossible de vivre dans nos communes. Cela freine sans doute bon nombre d’habitants potentiels », analyse une autre. De nouveau, l’horizon souhaité pour 2030 est ambitieux : « Grâce à la généralisation des circuits courts et à la rénovation thermique des bâtiments, le Boischaut Sud réduit sa dépendance aux énergies fossiles et devient un modèle de sobriété énergétique. » Dans cette projection, des choix stratégiques sont préférés à d’autres : « La production d’énergies renouvelables grossit, mais reste gérée localement par les collectivités ou des collectifs citoyens, sur le modèle des centrales villageoises. Le solaire et le bois sont privilégiés à l’éolien. » Sur ce point précis, le territoire peut d’ores et déjà compter sur l’essor de la filière bois-énergie, qui valorise le bois des bouchures et alimente les réseaux de chaleur de plusieurs communes. Côté mobilité, « les déplacements [en 2030] s’effectuent sur des distances moins longues, car les besoins du quotidien peuvent être satisfaits à proximité du lieu de vie. Le covoiturage et l’auto-stop organisé se sont développés, les déplacements doux sont facilités par l’aménagement de voies vertes et le soutien de la pratique du vélo ».

8La relocalisation de l’économie, en lien avec le constat d’un étirement des distances, est un autre enjeu saillant de l’état des lieux. Aujourd’hui, il n’existe pas d’industrie majeure propre à créer des emplois localement : le tissu économique est constitué de petites structures. L’essentiel des actifs travaillent en dehors du territoire. Toutefois, de nombreux projets collectifs émergent, parfois portés par des néo-ruraux, dont l’arrivée s’accélère depuis la crise sanitaire. Les participants de l’atelier du 29 juin souhaiteraient « une économie qui réponde aux besoins locaux et assure la production locale des biens de première nécessité (denrées alimentaires, habillement…) ». Ils voudraient également que « cette offre variée de productions agricoles, artisanales, culturelles se retrouve dans la diversification des commerces de proximité », qui eux-mêmes contribuent à « rendre le territoire plus autonome et moins dépendant des flux mondialisés pour ses besoins de base ».

9Enfin, la santé vient compléter la liste des sujets de préoccupation. Aujourd’hui, en raison du déclin démographique, un tiers des habitants du Boischaut Sud ont plus de 60 ans. La crainte de devoir vivre en ehpad, assez générale parmi les personnes âgées, ressort comme un enjeu fort dans le questionnaire. Leur prise en charge au sein des familles se fait de plus en plus rare, pour des raisons tant culturelles qu’économiques – essentiellement liées à un mode de vie centré sur un emploi à plein temps chronophage. L’accès aux soins, de façon générale, est compliqué par une pénurie de professionnels de santé. Cette diminution de l’offre se manifeste aussi dans le déclin de la médecine ambulante, pourtant nécessaire aux personnes contraintes dans leur mobilité. Plus globalement, la vision stratégique des collectivités en matière de santé porte uniquement sur le soin, et non sur le bien-être physique, mental et social. Les participants à l’atelier du 29 juin imaginent pour 2030 « des solutions alternatives à l’ehpad qui permettent aux personnes âgées de vivre dans un cadre convivial et intergénérationnel. L’offre de santé s’est étoffée, avec une généralisation des maisons de santé dans les principaux bourgs du territoire ». Surtout, « l’ensemble des actions mises en œuvre dans le cadre de la transition du Boischaut Sud participent à offrir un cadre de vie favorable au bien-être physique, mental et social des habitants, à travers le déploiement de démarches de prévention, le renforcement du lien social, l’accès à une alimentation locale de qualité et le développement des mobilités actives (marche et vélo) ». La boucle est bouclée.

Prendre le temps d’atterrir sur le concret

10En filigrane, les conclusions de ce travail ont une coloration écologique assez nette. Plus précisément, la notion de résilience sous-tend l’ensemble des orientations souhaitées par les participants. Ces orientations viennent ainsi servir un projet de territoire structuré autour d’objectifs tels que l’autonomie alimentaire et énergétique ou encore la relocalisation de l’économie. Mais ces ambitions ne sont pas forcément celles de l’ensemble de la population. « Il faut avoir l’humilité de reconnaître qu’il s’agit d’une collecte de points de vue, qui ne peut pas prétendre faire émerger une photographie objective, véritable du territoire », admet Olivier Benelle, co-porteur de BSeT. Mais cette approche a d’autres avantages. « Certains états des lieux sont parfois assez sectoriels, poursuit-il. Cette méthode a permis d’avoir une approche beaucoup plus transversale. Surtout, grâce à la participation de volontaires, ce travail a généré de la mobilisation et de l’engagement. »

11Face aux souhaits que ces enjeux ont fait naître, il a été jugé indispensable de déployer des actions concrètes, mais surtout de considérer sérieusement les initiatives déjà existantes. Le travail de cartographie positive porté par BSeT vise ainsi à recenser – toujours de façon participative – l’ensemble des projets, démarches et intentions qui constituent déjà des leviers à activer pour mener la transition du territoire dans ces différents domaines. Cafés associatifs, maisons de santé, collectifs d’agriculteurs, lieux culturels, chaufferies bois, boutiques de produits locaux… cette liste, qui dénombre aujourd’hui quelque 80 initiatives, s’enrichit régulièrement de contributions volontaires.

12Lancée il y a seulement un an, la démarche BSeT est parvenue à dresser un état des lieux sensible du territoire et à proposer des orientations stratégiques pour 2030. La prochaine étape consistera à amorcer la mise en œuvre des actions envisagées. Aujourd’hui, les feuilles de route n’ont toujours pas été arrêtées, mais cela n’inquiète pas l’alliance : « Il faut s’adapter, explique Olivier Benelle. Le programme d’origine a été chamboulé par le Covid. Quand on analyse les démarches de transition, le maître mot de la coopération passe par de l’interconnaissance, et par le fait que chacun trouve son rythme. Et ce rythme a été bousculé par cette crise. Les conditions ne sont pas favorables. »

13Cette réorganisation du calendrier est également perçue comme une opportunité pour ajuster la méthode et prendre en compte les nouveaux besoins ayant émergé durant cette crise : « On a certes la volonté de sortir de l’observation pure et d’accompagner concrètement l’émergence de projets, mais il faut repartir des besoins actualisés. » Aujourd’hui, ces besoins consistent surtout à recréer du lien social et renouveler les engagements, découragés par les confinements successifs et les contraintes sanitaires. Et tant qu’à faire, en profiter pour toucher d’autres publics et impliquer des personnes jusqu’alors éloignées de ces enjeux de transition. Pour cela, « il faut faire l’effort de trouver les formes d’implication adéquates ».

14Le déploiement de cette démarche sur le temps long permet aussi à l’alliance de consolider ses relations avec les collectivités locales – un appui indispensable pour envisager la suite de la dynamique, et notamment la mise en œuvre opérationnelle du plan d’action. En effet, un portage politique fort et une concertation bien orchestrée entre les acteurs du territoire permettraient de renforcer la démarche, et notamment sa capacité à mobiliser des moyens humains et financiers. Pour l’alliance, l’enjeu consiste donc à présenter Boischaut Sud en Transition comme un véritable projet de territoire et, idéalement, à inciter les collectivités à s’engager.

15Pour l’heure, il s’agit de « retourner d’un côté vers des acteurs, des collectifs qui ont fait part de leur besoin d’accompagnement, de l’autre vers les représentants des territoires, détaille Olivier Benelle. En ce moment, la création d’un parc naturel régional est en projet, ainsi que l’écriture de contrats de relance et de transition écologique ». Autant de chantiers qui pourraient tirer parti et s’enrichir des propositions et des bonnes volontés que cette démarche a fait émerger.


Date de mise en ligne : 17/11/2021

https://doi.org/10.3917/dard.005.0076

Notes

Domaines

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