Notes
- [1]
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[2]
Thibault Daudigeos et Frédéric Bally : https://recherche.grenoble-em.com/actualite-grenoble-se-reduit-elle-limage-dinsecurite
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[3]
Cf. Le Postillon, Le Vide à moitié vert, p. 29 et s., cité dans le mémo page suivante.
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[4]
Stéphane La Branche est chercheur associé au laboratoire Pacte (CNRS), membre du Giec/IPCC (5e rapport), expert invité sur le projet de loi sur la transition énergétique (entre autres).
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[5]
« Évitement du blâme » (blame avoidance), en science politique…
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[6]
Causant la démission du vice-président en charge de cette question (Jean-Marc Uhry) qui, médecin, avait fait de la qualité de l’air sa priorité.
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[7]
Le chauffage au bois est en hiver à l’origine de 80 % des particules.
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[8]
Militant antinucléaire dès la fin de ses études (dans les années 1990), Vincent Fristot s’est également investi dans les premiers travaux sur les systèmes photovoltaïques.
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[9]
Il avait exercé un premier mandat municipal à Grenoble entre 1995 et fin 2007, au sein d’une équipe écologiste alliée aux socialistes. Puis, après avoir rejoint l’équipe de campagne d’Éric Piolle en 2013, il avait retrouvé le conseil municipal avec une délégation à l’urbanisme et à la transition énergétique.
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[10]
PLU et PLUI : plan local d’urbanisme et plan local d’urbanisme intercommunal.
-
[11]
Mais le « neuf » ne représente que 1 % du parc immobilier par an.
- [12]
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[13]
Leur principal partenaire est la Compagnie gazière d’activités immobilières et industrielles (Cogac), filiale de GDF Suez, qui détient avec 41,68 % une minorité de blocage. Partenaire dont la maison mère n’hésite pas à démarcher les clients de GEG…
-
[14]
Au capital de laquelle la Caisse des dépôts et consignations participe pour 20 %.
- [15]
- [16]
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[17]
Le Vide à moitié vert, op. cit., p. 40-41.
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[18]
Ibid., p. 205.
- [19]
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[20]
Charles Ambrosino, et al., « Grenoble : la technopole qui se rêvait métropole », p. 411, cité dans le mémo ci-contre.
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[21]
Ibid., p. 421.
-
[22]
Voir à ce sujet Romain Felli, Les Deux Âmes de l’écologie. Une critique du développement durable, Paris, L’Harmattan, 2008.
- [23]
1Mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale né à Bayonne en 2013, Alternatiba a intégré le Collectif pour une transition citoyenne (CTC) avec une quarantaine d’autres associations. À travers ses correspondants locaux, lors des dernières élections municipales, départementales et régionales, le CTC a soumis aux candidats un Pacte pour la transition, soit un ensemble de 32 mesures « concrètes pour construire des communes plus écologiques et plus justes [1] ». Visant d’abord un dialogue avec les candidat.e.s puis un engagement à adopter ces mesures, enfin un suivi de leur application, ce Pacte tendrait à faire converger les politiques municipales vers des standards en matière de transition. Coline Ariagno et Johan Marconot d’Alternatiba Grenoble reconnaissent toutefois que, dans le cas de leur commune, il faudrait rehausser les niveaux d’engagement. Comparativement à d’autres villes, en effet, Grenoble est déjà suffisamment investie dans la transition pour qu’à son sujet les ambitions en la matière soient plus élevées qu’ailleurs. Cette situation concrète détermine pour partie l’image de la ville, mais pour partie seulement. En effet, la réputation de Grenoble est contrastée et les efforts de ses dirigeants en ce domaine sont souvent ruinés par des questions de sécurité bien plus fortement médiatisées. Nicolas Sarkozy, par son discours de 2010 prononcé sur place, a été un vecteur de communication aussi efficace que peu favorable à l’image du territoire. Mais dans une étude récente, deux enseignants-chercheurs de Grenoble École de Management notent qu’en 2020, « la couverture médiatique de l’élection municipale [a] fait aussi émerger une image du mode de vie grenoblois marquée par la transition écologique [2] ».
Longue durée et apprentissages
2La Métropole de Grenoble a mis en place sa zone à faibles émissions mobilité (ZFEm) dans 27 communes dont la ville-centre. Elle ne concerne que les poids lourds et les véhicules utilitaires légers. À son échelle, Grenoble (la commune) se donne pour objectif l’interdiction d’y circuler dès 2022 et 2025 pour tous les véhicules classés Crit’Air 3 et Crit’Air 2, et vise à terme (2030) une interdiction de circulation des véhicules thermiques. La question est de savoir comment évoluera d’ici là le rapport de force entre opposants et soutiens à cette politique. Les impacts sociaux de ces mesures divisent fortement celles et ceux qui, sur le fond, pourraient les soutenir [3].
Ancienne capitale du Dauphiné
Chef-lieu du département de l’Isère
Ville : 157 650 habitant.e.s (recensement 2018)
Agglomération : 451 096 habitant.e.s (recensement 2018)
Maire : Éric Piolle (EELV) depuis 2014
3Stéphane La Branche [4], climatologue de la société, raconte bien l’intrication des décisions politiques récentes en matière de transition dans la trajectoire des choix passés. Impliqué dans différentes études locales portant sur des programmes liés au changement climatique, à la transition énergétique et à la qualité de l’air, le sociologue analyse les mécanismes sociaux – freins et moteurs – qui influent sur la mise en œuvre de ces programmes. Selon lui, il existe une grande continuité dans les stratégies locales en faveur du climat, de l’environnement et de la qualité de l’air. En 2005, Grenoble-Alpes Métropole a été la première agglomération de France à se doter d’un plan climat, devenu plan climat-air-énergie. La généalogie de la ZFE en témoigne. Mis en place par la Métropole et la Ville de Grenoble depuis 2018, ce dispositif national, expérimenté dans une quinzaine de sites, prolonge les zones d’actions prioritaires pour l’air (ZAPA) créées au début des années 2010. À l’époque, l’agglomération grenobloise avait été également retenue avec cinq autres collectivités publiques pour tester une ZAPA devant conduire à des limitations ou interdictions de circulation. L’apprentissage de ces dispositifs n’a pas seulement concerné les modalités de régulation de la circulation pour lutter contre la mauvaise qualité de l’air. Il a aussi renseigné sur la conduite politique de ces opérations. Les usagers de l’automobile, particuliers ou entreprises, propriétaires des véhicules les plus anciens ou roulant au diesel sont les premières « victimes » de ces dispositifs (quand bien même ils bénéficieront aussi d’une amélioration de la qualité de l’air…). Dans l’imaginaire des politiques, ces réactions constituent un risque important de sanction électorale. Au sein de l’agglomération grenobloise, la gestion de ce dossier avait créé de telles tensions parmi les élu.e.s qu’au final c’est une forme d’évitement [5] du sujet qui s’est manifestée avant les municipales de 2014 [6] puis durant les deux ou trois années suivantes.
Stop & go ?
4Les choses ont changé après l’élection d’Éric Piolle, même si la relation entre cette alternance politique et le déblocage de l’action publique n’est pas directe. Le renouvellement des équipes politiques a sans doute changé la donne, les conflits anciens et leurs acteurs paraissant dépassés. Mais les techniciens de la Métropole s’étaient aussi emparés des diagnostics et préconisations mobilisés pour la ZAPA avant de les introduire ultérieurement dans différents plans stratégiques (atmosphère, mobilités et intermobilités). Surtout, la stratégie étroite et brutale des ZAPA, visant exclusivement des véhicules et pouvant en interdire jusqu’à 20 % sur le territoire grenoblois, a été écartée au profit de mesures plus douces ou incitatives (des terrasses de cafés remplaçant des places de parking, par exemple, ou la réduction de la vitesse à 30 kilomètres/heure évoquée avant l’élection de la municipalité Piolle qui l’a mise en œuvre). Une approche compréhensive a pris l’ascendant, visant d’ailleurs plus la qualité de l’air que le dérèglement climatique (la première suscitant moins de résistances). Cet objectif, qui en vérité mettait principalement en question le chauffage au bois [7], pouvait aussi conduire à diversifier les formes de mobilité sans nécessairement proscrire la voiture. Enfin, on a observé sur ce territoire une acceptabilité croissante des contraintes nécessaires pour assurer la qualité de l’air. Pour Stéphane La Branche, ces transformations culturelles sont déterminantes si l’on veut comprendre des décisions de politiques publiques plus affirmées parce que sensiblement plus soutenues. Il souligne d’ailleurs le nombre à ses yeux « hallucinant » de Grenoblois possédant une « appli » pour mesurer la qualité de l’air…
Transition écologique : ne pas enterrer trop vite le pouvoir municipal ?
5La qualité de l’air est un objectif qui sans surprise disqualifie les gestions municipales au profit de politiques adoptées et mises en œuvre à des échelles plus vastes. Sa métropolisation participe d’une analyse maintes fois entendue sur le fait qu’en matière de transition les leviers d’action sont entre les mains des structures de coopération intercommunales, métropoles ou autres. Les leaders des villes-centres conservent néanmoins un avantage symbolique. Sauf à maîtriser le détail des répartitions des compétences entre le communal et l’intercommunal, il est probable que les mécanismes d’imputation de ces politiques continuent à leur bénéficier. Comme le dit Stéphane La Branche, « les gens parlent de Piolle mais en réalité ils parlent de la métropole ».
Initiatives et leviers municipaux
6Cela étant, le pouvoir municipal est désormais loin d’être négligeable en la matière. Ingénieur et co-créateur de l’association négaWatt, Vincent Fristot [8] est conscient des rejets thermiques des centrales, et plus largement de la perte voire du gâchis thermique. Depuis 2020, il est délégué à la transition énergétique et à l’immobilier municipal [9]. À ce titre, les nombreux bâtiments sous sa responsabilité (bureaux, équipements sportifs, socioculturels et culturels, écoles et groupes scolaires) font de la Ville un acteur important de la transition énergétique. La perspective de bâtiments sans chauffage n’est pour l’instant envisageable que s’agissant du « neuf ». Mais sur l’existant, Vincent Fristot estime qu’il est possible de diviser par deux ou trois la consommation de chauffage. C’est ce qui oriente un programme d’investissement en direction des écoles visant autant l’isolation que la qualité de l’air à l’intérieur. Sur 40 groupes scolaires et 80 écoles, la Ville se fixe un horizon entre 2040 et 2050 pour la rénovation totale de ces bâtiments (excluant les derniers livrés et ceux qui seront détruits). Avec une dépense d’environ 3 millions d’euros par groupe scolaire et compte tenu de capacités d’investissement limitées, le programme s’organise en fonction de priorités. L’enjeu étant de trouver d’autres sources de financement pour aller plus vite.
Marquage au sol pour les zones à faibles émissions mobilité
Marquage au sol pour les zones à faibles émissions mobilité
7Vincent Fristot rappelle également que des dispositions du PLUI ont d’abord figuré dans le PLU de Grenoble [10]. C’est le cas de l’obligation de prévoir suffisamment de garages à vélos dans les immeubles neufs. De même, en octobre 2014, le PLU avait rehaussé les normes énergétiques de 20 % par rapport à la réglementation thermique nationale. Mises en œuvre depuis 2015, ces dispositions ont été intégrées en 2020 dans le PLUI (pour le « neuf » [11]) pour toute la métropole. Par ailleurs, si le PLU est maintenant intercommunal, préparé et adopté à cette échelle, les permis de construire, de démolir et d’aménager sont accordés par les communes. La Ville de Grenoble, qui dispose d’un des premiers écoquartiers en centre-ville (Caserne de Bonne), peut ainsi capitaliser sur son expérience et lancer de nouveaux projets via Actis (l’Office public de l’habitat de la région grenobloise), comme celui du Haut-Bois dans le quartier Flaubert. Il s’agit d’un programme de 56 logements en ossature bois sur neuf niveaux en zone à forte contrainte sismique. D’un point de vue social, ses performances énergétiques doivent lui permettre de réduire au maximum les charges de chauffage et d’eau chaude. D’un point de vue environnemental, ce bâtiment énergétiquement passif est construit avec des matériaux biosourcés [12]. Enfin, la Ville peut veiller à réduire des gaspillages d’énergie, par exemple, en matière d’éclairage public, à travers le recours à des diodes électroluminescentes ou une meilleure définition de ce qui doit être éclairé.
Ville et Métropole, ensemble
8L’observation des structures de coopération intercommunale montre que leurs relations avec les communes membres ne se réduisent pas à une stricte répartition entre compétences conservées ou transférées. Si les principes de spécialité et d’exclusivité devraient les maintenir dans des domaines d’activité distincts, différents mécanismes leur permettent de coopérer, notamment au sein de sociétés d’économie mixte (SEM). C’est une spécificité grenobloise que de disposer d’opérateurs de distribution d’énergie (Gaz et électricité de Grenoble – GEG) qui ne sont pas nationaux. Régie devenue SEM, GEG est détenue à 16,67 % par la Ville et à 33,34 % par la Métropole (ainsi tout juste majoritaires) [13]. Ce pilotage local (la Métropole étant l’autorité concédante) permet notamment à GEG de soutenir des personnes en situation de précarité énergétique. S’agissant de transition, GEG, par sa filiale GEG ENeR [14], construit une ambitieuse politique de production d’énergies renouvelables associant hydroélectricité (héritage du développement local de la « houille blanche »), éolien, photovoltaïque et biométhane [15]. En 2014, la production de GEG se situait à 100 gigawatts ; l’objectif est d’atteindre 400 gigawatts en 2022, soit une production équivalente à la consommation locale des ménages et grâce à des investissements pour un montant global de 120 millions d’euros. On note toutefois que si un site photovoltaïque a été installé à Susville [16] (près de La Mure, en Isère) sur une ancienne mine de charbon et donc sur un terrain qui n’avait aucune vocation agricole, les autres sites de production de GEG sont répartis dans une diversité de territoires parfois très éloignés (Nouvelle-Aquitaine, Hauts-de-France). Ces « externalisations territoriales » et leurs impacts environnementaux locaux (souvent ignorés des Grenoblois) alimentent un débat sur les énergies présentées comme « vertes » que Grenoble produit et consomme [17].
9Mur/Mur est un autre programme qui associe la Ville et la Métropole. Visant l’isolation thermique des bâtiments et des économies d’énergie, il permet la prise en charge financière des dépenses d’ingénierie (énergétique et thermique), une aide collective en faveur des syndicats de propriété pour les travaux, ainsi que des aides individuelles, pour les propriétaires occupants dont les revenus ne dépassent pas certains plafonds ou les propriétaires bailleurs qui adhèrent à un dispositif conventionnel « loyer maîtrisé ». Environ 1 000 logements par an seraient ainsi réhabilités grâce aux financements accordés par la société publique locale issue de l’Agence locale de l’énergie et du climat (SPL Alec) – la Ville de Grenoble étant l’un des actionnaires de cette SPL aux côtés de 40 autres communes, du département de l’Isère et de la Métropole (actionnaire principal).
La transition grenobloise vue d’ailleurs et vue d’ici
10Ces coopérations commune/Métropole n’inversent toutefois pas le sens de l’histoire. Les politiques publiques clés en matière de transition sont principalement métropolitaines. Les ressources politiques à en tirer obéissent toutefois à de tout autres mécanismes. Première grande ville de France dirigée par un écologiste, Grenoble, on l’a rappelé, bénéficie à l’extérieur d’une image solidement établie et souvent très positive, du moins chez celles et ceux qui souhaitent un destin national à l’écologie politique. C’est l’expérience que l’auteur de ces lignes a pu faire à plusieurs reprises, et celle dont témoigne Vincent Peyret, l’un des rédacteurs du Postillon, dans le livre qu’il vient de consacrer à Éric Piolle. Le Postillon est l’un de ces journaux locaux critiques et indépendants qui subsistent vaillamment dans quelques villes de France. Leur dimension de poil à gratter est souvent bien supérieure à leur tirage (4 000 exemplaires tous les deux mois pour celui-ci). Le Postillon n’avait pas été tendre avec les équipes de Michel Destot, prédécesseur socialiste d’Éric Piolle. Certains s’attendaient à plus de convergence avec la gestion « verte-rouge » désormais à l’œuvre. Tel n’est pas le cas, et l’ouvrage récemment publié en fait la démonstration.
La transition vue du Postillon
11Nourri d’enquêtes réalisées durant le premier mandat des écologistes et de leurs alliés, ce livre en fait le bilan. Sa thèse est que l’activisme des élu.e.s grenoblois.es « ne fait qu’“amplifier’’ la marche du monde, toujours dans la tendance, jamais dans la bonne direction. L’Espoir qu’ils tentent de vendre cache le gros vide de leurs politiques, ne marquant aucune véritable rupture de fond avec celles à l’œuvre depuis des dizaines d’années [18] ». Sa logique repose sur une critique structurante de la « culture du pouvoir », sorte de déclinaison de la « culture de gouvernement ». C’est donc au regard des déclarations de campagne ou des engagements programmatiques d’Éric Piolle que Le Postillon dénonce des réalités sensiblement différentes : un management autoritaire, une discipline de groupe politique plutôt rugueuse, des accords passés avec certaines grandes entreprises nationales ou multinationales. Dans ce cadre réapparaissent sous un angle critique les jeux d’échelle entre l’action communale et l’action métropolitaine.
Vue de l’îlot Marceline dans l’écoquartier du Haut-Bois (quartier Flaubert)
Vue de l’îlot Marceline dans l’écoquartier du Haut-Bois (quartier Flaubert)
12Ainsi, l’élargissement de l’A480, autoroute urbaine de l’agglomération grenobloise, a fait l’objet de réserves de la part des élu.e.s de la Ville, avec quelques demandes d’aménagement. Mais porté par la Métropole et financé par la Société des autoroutes Rhône-Alpes (Area), il se réalise au final sans trop de difficultés politiques, l’équipe Piolle ayant renoncé au combat que ses premières déclarations laissaient entendre. Autre exemple : le maire de Grenoble doit une grande part de sa réputation à la réalisation d’un engagement de campagne, la suppression de plus de 300 panneaux publicitaires de la société JCDecaux dans l’année suivant son élection. Si cette décision avait été saluée à l’époque par l’association Paysages de France, ne vont dans ce sens ni le règlement local de publicité intercommunal (RLPI) adopté par la Métropole, ni le marché conclu en 2019 avec JCDecaux par le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG), présidé par Yann Mongaburu, membre de la majorité municipale. Le communiqué de Paysages de France [19] dénonce en particulier la possibilité d’implanter sur le territoire de l’agglomération des panneaux lumineux et de la publicité numérique. Il souligne aussi à la fois la conduite opaque de la procédure d’enquête préalable à l’adoption du projet de RLPI et les bénéfices symboliques que JCDecaux pourra tirer de sa collaboration avec la Métropole grenobloise.
Avec Piolle, ça doit aller vite ? Bah, pas plus vite qu’avant…
13Cette question posée à Stéphane La Branche, qui y répond avec sa pointe d’accent québécois, fait l’hypothèse d’une accélération locale de la transition écologique, politiquement « boostée » par l’élection d’un maire EELV. La réponse (sociologiquement) désenchantée évoque autant le poids des héritages que les limites de la « puissance publique ». Les politiques aspirant à des ruptures ou des changements de braquet sont souvent rappelés à l’ordre (social). « On ne change pas la société par décret », disait le sociologue Michel Crozier, sans doute pas non plus par délibération communale ou métropolitaine. L’équipe municipale actuelle se contente-t-elle de surfer sur les acquis des précédentes, quitte à entrer dans une sorte de défi de la transition avec la Métropole ?
14L’impression d’émulation compétitive entre les deux collectivités, commune et Métropole, se nourrit des rapports difficiles qu’entretiennent leurs leaders, Éric Piolle et Christophe Ferrari. Mais comme dans toute compétition, par-delà les disputes publiques (sur les calendriers, la cohérence de l’action ou les moyens dédiés), elle laisse percevoir des convergences de fond sur les objectifs et les mesures envisageables. C’est du moins l’analyse qu’en fait Le Postillon. Charles Ambrosino, maître de conférences à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine, en propose une autre. Selon lui, il y aurait bien une différence d’approche distinguant l’équipe Piolle de ses prédécesseurs comme de ses alliés métropolitains. Elle est apparue lors de l’accession de l’agglomération grenobloise au statut de métropole. Jusqu’alors, celle-ci avait suivi une trajectoire reposant sur « un triptyque industrie-recherche-université […] structuré au service de la dynamique de développement local. Rebaptisé “écosystème d’innovation” au xxie siècle, il fonctionne à l’initiative d’un milieu innovateur qui s’est imposé progressivement comme un acteur central de la gouvernance grenobloise [20] ». Mais cette dynamique s’est grippée à partir du moment où les nanotechnologies ont été mises au cœur des stratégies techno-industrielles grenobloises à travers le projet Minatec porté par le CEA sur le site de la Presqu’île. À partir de 2004-2006, la légitimité des décisions publiques adoptées pour soutenir ce projet a été fortement contestée par une nébuleuse d’organisations : groupes altermondialistes, écologistes, syndicalistes, responsables de journaux ou de sites alternatifs et élus « Verts » [21]. Les motifs associaient les dangers de ces technologies à des soupçons d’assujettissement des élus locaux au CEA et de la recherche publique aux commandes militaires. Si le conflit a perdu de son intensité, on comprend aisément qu’il ait laissé des traces chez celles et ceux qui désormais gouvernent la ville. D’autant que ce débat sur le moteur scientifique et technologique du développement métropolitain croise désormais des interrogations sur la perspective longtemps porteuse d’un développement durable. Si ce dernier a fourni une matrice intellectuelle et politique pour les stratégies de transition grenobloises jusqu’en 2014, il n’apparaît plus aussi fédérateur. L’équipe Piolle a transformé la Biennale de l’habitat durable créée par ses prédécesseurs en Biennale des villes en transition. Cette réorientation de l’événement traduit un changement de perspective. La conciliation du développement et de la durabilité cède le pas à un autre impératif. Faire face aux chocs qu’imposent le changement climatique et la fin des énergies fossiles, viser les économies d’énergie et la sobriété dessine de tout autres perspectives politiques qu’un développement durable technologiquement armé. Les interrogations plus ou moins marquées sur l’avenir de l’écosystème d’innovation grenoblois sont celles qui visent la logique sociale-démocrate voire néolibérale du développement durable et de ses diverses réappropriations [22]. Les signaux envoyés par l’équipe Piolle vers la dynamique des villes en transition [23] témoignent d’autres sensibilités, celles de mouvements citoyens maintenant convaincus des limites de la croissance, de la nécessité de changer radicalement nos modes de vie et de renforcer la résilience des territoires.
15En somme, la situation grenobloise doit peut-être ses ambivalences aux difficultés de ses acteurs politiques à convertir une technopole en ville en transition.
Mémo
– La mise en place des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans 27 communes dont la ville-centre, qui concernent les poids lourds et les véhicules utilitaires légers.
– Un programme d’investissement sur les écoles visant l’isolation et la qualité de l’air à l’intérieur.
– De nouveaux projets d’écoquartiers, comme celui du Haut-Bois dans le quartier Flaubert.
– Une politique de production d’énergies renouvelables associant hydro- électricité, éolien, photovoltaïque et biométhane.
– Mur/Mur, un programme qui associe la Ville et la Métropole, visant à l’isolation thermique des bâtiments et à des économies d’énergie.
Les ---
– Le renoncement à s’opposer à l’élargissement de l’A480, autoroute urbaine de l’agglomération grenobloise.
– Le règlement local de publicité intercommunal (RLPI) adopté par la Métropole.
– Le marché conclu en 2019 avec JCDecaux par le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG).
À lire
- # Charles Ambrosino, Rachel Linossier et Magali Talandier, « Grenoble : la technopole qui se rêvait métropole », Géographie, économie, société, vol. 18, 2016, p. 409-427.
- # Le Postillon, Le Vide à moitié vert. La gauche rouge-verte au pouvoir : le cas de Grenoble, Grenoble, Le Monde à l’envers, 2021.
Notes
- [1]
-
[2]
Thibault Daudigeos et Frédéric Bally : https://recherche.grenoble-em.com/actualite-grenoble-se-reduit-elle-limage-dinsecurite
-
[3]
Cf. Le Postillon, Le Vide à moitié vert, p. 29 et s., cité dans le mémo page suivante.
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[4]
Stéphane La Branche est chercheur associé au laboratoire Pacte (CNRS), membre du Giec/IPCC (5e rapport), expert invité sur le projet de loi sur la transition énergétique (entre autres).
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[5]
« Évitement du blâme » (blame avoidance), en science politique…
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[6]
Causant la démission du vice-président en charge de cette question (Jean-Marc Uhry) qui, médecin, avait fait de la qualité de l’air sa priorité.
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[7]
Le chauffage au bois est en hiver à l’origine de 80 % des particules.
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[8]
Militant antinucléaire dès la fin de ses études (dans les années 1990), Vincent Fristot s’est également investi dans les premiers travaux sur les systèmes photovoltaïques.
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[9]
Il avait exercé un premier mandat municipal à Grenoble entre 1995 et fin 2007, au sein d’une équipe écologiste alliée aux socialistes. Puis, après avoir rejoint l’équipe de campagne d’Éric Piolle en 2013, il avait retrouvé le conseil municipal avec une délégation à l’urbanisme et à la transition énergétique.
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[10]
PLU et PLUI : plan local d’urbanisme et plan local d’urbanisme intercommunal.
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[11]
Mais le « neuf » ne représente que 1 % du parc immobilier par an.
- [12]
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[13]
Leur principal partenaire est la Compagnie gazière d’activités immobilières et industrielles (Cogac), filiale de GDF Suez, qui détient avec 41,68 % une minorité de blocage. Partenaire dont la maison mère n’hésite pas à démarcher les clients de GEG…
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[14]
Au capital de laquelle la Caisse des dépôts et consignations participe pour 20 %.
- [15]
- [16]
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[17]
Le Vide à moitié vert, op. cit., p. 40-41.
-
[18]
Ibid., p. 205.
- [19]
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[20]
Charles Ambrosino, et al., « Grenoble : la technopole qui se rêvait métropole », p. 411, cité dans le mémo ci-contre.
-
[21]
Ibid., p. 421.
-
[22]
Voir à ce sujet Romain Felli, Les Deux Âmes de l’écologie. Une critique du développement durable, Paris, L’Harmattan, 2008.
- [23]