DARD/DARD 2021/1 N° 5

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Article de revue

Les différentes étapes de l’installation de l’agriculture productiviste

Pages 31 à 33

Notes

1Contrairement à une idée reçue, la modernisation agricole n’a pas commencé en 1960 avec les lois Pisani. C’est dès les années 1940 que l’occupant allemand exerce de fortes pressions sur le gouvernement de Vichy et missionne ses propres fonctionnaires dans tous les départements pour distiller une propagande modernisatrice. Derrière un agrarisme traditionnel de façade – « la terre ne ment pas » – et par le biais de la Corporation paysanne, le régime se montre en fait très dirigiste et favorise l’essor d’une technostructure moderniste dans tous les secteurs de l’agriculture (renforcement de l’Office du blé, remembrements, catalogage des semences, sélection animale, lutte contre les ravageurs à l’aide de la chimie allemande…). Les débats autour de la création de l’Inra en mai 1946 ne soulignent-ils pas d’ailleurs l’efficacité agronomique du IIIe Reich [1] ?

2Après guerre, le Plan Marshall accélère certes la mécanisation de l’agriculture par l’importation des États-Unis de machines agricoles et des pesticides DuPont ; mais c’est aussi sous la IVe République, avec le Plan Monnet « de modernisation et d’équipement », que dès 1949 les subventions à la production (pour pallier les restrictions de l’époque), puis les dépenses sociales du budget de l’agriculture, entament une politique publique nouvelle qui sera poursuivie par tous les gouvernements successifs.

3Quand en 1959 le général de Gaulle et Michel Debré reçoivent Michel Debatisse, secrétaire général de la JAC et président du CNJA, pour débattre avec lui de l’avenir de l’agriculture, l’État est déjà un acteur majeur de la modernisation « pour faire de l’agriculture la plus grande industrie nationale » (déclaration de Paul Reynaud à l’Assemblée nationale en 1948). Le rapport Armand-Rueff de 1960 fustige quant à lui « le retard de développement dans l’agriculture française [qui] freine indirectement l’expansion de l’industrie et du commerce ».

4Avec Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture en 1961, peut alors commencer le grand bouleversement des campagnes, mis en œuvre sous la houlette du puissant corps des Ingénieurs du génie rural des eaux et forêts (Igref) créé en 1965, avec l’appui des jeunes agriculteurs du CNJA. Ce sera notamment le remembrement à grande échelle qui, au final, concernera 17 millions d’hectares sur les 29,5 de la SAU ; mais aussi le droit de préemption des safer ; l’organisation des marchés agricoles, qui installera les puissantes coopératives ; l’indemnité viagère de départ, qui accélérera la disparition des petites exploitations, etc. Une modernisation précipitée par la PAC – prévue par le traité de Rome et mise en place en 1962 – et qui, par la garantie des prix et les taxes à l’importation, favorisera les plus gros producteurs, jusqu’à entraîner des surproductions. Sur la fin de ses jours, Edgard Pisani regrettera officiellement son action d’alors : « J’ai favorisé le développement d’une agriculture productiviste, c’est la plus grosse bêtise de ma vie [2]. » Notons toutefois que cette politique modernisatrice, destructrice à bien des égards, a eu par ailleurs le mérite de rendre leur dignité à tous ces exploitants agricoles dont le métier, de plus en plus technique, se trouvait ainsi valorisé ; et pour cela, ils en ont été les ardents défenseurs, jusqu’à en devenir parfois les victimes (surendettement, maladies professionnelles…).

5Ce pourquoi, avant même la crise pétrolière de 1973, divers signes révèlent les problèmes que ce modèle productiviste ne manque pas d’entraîner (vie sociale exsangue dans les campagnes, effets à long terme des pratiques culturales intensives, « agriculteurs pollueurs », surendettement…). En 1970 naît le mouvement des Paysans travailleurs de Bernard Lambert qui, en revendiquant cette dénomination, s’inscrit clairement contre le syndicat majoritaire pour en appeler à une autre forme d’agriculture. Et quand la Confédération paysanne est créée en 1987 c’est toujours en opposition à la FNSEA, comme en témoigne son intitulé complet : Syndicat pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs.

6Parallèlement, il faut mentionner bien sûr la lente montée en puissance de la prise de conscience écologique, qui va exercer ses critiques de plus en plus scientifiquement argumentées contre les désastres présents et à venir des pratiques de cette agriculture industrielle. Un ministère de l’Environnement et de la Qualité de la vie est créé en 1971 et, au Larzac en 1973, des militants d’un nouveau style, hippies, néo-ruraux et gauchistes divers, viennent soutenir les paysans locaux pour s’opposer au ministre Michel Debatisse et défendre leur droit à vivre et à travailler sur le Causse (« Volèm viure al païs »). Le terme d’« écologie », connu jusque-là des seuls spécialistes naturalistes, apparaît alors pour la première fois sur la scène publique (René Dumont, candidat à l’élection présidentielle de 1974).

7Ce « retour à la terre » post-soixante-huitard, qui suscite tant de moqueries à l’époque, marque en fait le moment où la société tout entière, devenue majoritairement urbaine, signifie à la profession agricole instituée qu’elle va désormais devoir composer avec ses attentes.


Date de mise en ligne : 17/11/2021

https://doi.org/10.3917/dard.005.0031

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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