Notes
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[1]
2. et 3. Cf. la présentation de l’action sur le site du PEROU : http://www.perou-paris.org/Actions.html
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Propos fictifs d’Anne Hidalgo extraits du faux compte-rendu de conseil municipal rédigé par le PEROU.
Le Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU)
# Œuvre activement à favoriser l’accueil des personnes migrantes et/ou en situation de précarité
# A entrepris en 2020 de faire inscrire l’acte d’hospitalité au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité
# Travaille actuellement à la création d’un navire voguant sous pavillon Unesco spécialement pensé pour le sauvetage en masse
1Certains insistent sur l’importance de nous « protéger des flux migratoires irréguliers ». À l’inverse, les animateurs du Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU) rappelaient sur Twitter, le 17 août dernier, le désir éprouvé par beaucoup de « se protéger contre les murs ».
2De fait, le principal objet du PEROU est de valoriser les matières premières humaines que sont l’accueil, le soin et l’attention à l’autre, dans un monde où les discours politiques et médiatiques sur les déplacements de populations tendent à invisibiliser les gestes de solidarité diffus qui émaillent le quotidien. Ainsi, le PEROU, association co-fondée par le politiste et artiste Sébastien Thiéry et le paysagiste Gilles Clément, questionne depuis 2012 les différentes dimensions d’une « ville hostile » aux exclus et aux plus fragiles (personnes sans domicile fixe, étrangers en situation irrégulière…). Tout en contribuant à écrire de nouveaux récits qui visent à valoriser ou faciliter l’expression d’initiatives et d’actes « accueillants » ou d’entraide, souvent mis en œuvre par les habitants eux-mêmes.
Le catamaran imaginé par le PEROU est spécialement pensé pour le sauvetage en masse
Le catamaran imaginé par le PEROU est spécialement pensé pour le sauvetage en masse
3Des dynamiques que le PEROU vient souligner et favoriser au travers d’actions (le collectif parle également de « situations ») dans lesquelles se télescopent et se croisent urbanisme, architecture et propositions artistiques. Mais toujours dans une approche pragmatique, concrète et guidée par une recherche d’efficacité. Sébastien Thiéry, ancien membre des collectifs d’aide aux sans-abri Les Enfants de Don Quichotte et Les Enfants du Canal, explique avoir été « vacciné contre l’action militante » et son cortège de buzz destinés à alerter l’opinion et le monde politique. « J’ai arrêté de suivre l’hypothèse consistant à affirmer que le pouvoir détient la solution. »
4« Construire vaut mieux que détruire », martèle Sébastien Thiéry, qui est par exemple attentif à « tout ce qui se construit dans la “jungle” de Calais. Le discours militant qui met l’accent sur la dimension indigne des lieux précipite le travail des machines ». Pour lui, le « non » de la révolte doit donc laisser place au « oui » du faire et du déjà fait, dans un monde où la violence dont les déplacés et les exclus font l’objet passe également par l’anéantissement systématique de leurs refuges de fortune. « La “jungle” est invivable, mais c’est un fait construit plutôt que rien », affirme-t-il, tout en posant cette question fondamentale : comment prendre soin de ce qui est construit ? Or, ce qui est construit ne se résume pas à un ensemble de baraquements fragiles. Les réseaux de solidarité, d’aide et de dons informels et impalpables font partie intégrante des « situations » investies par les recherches-actions du PEROU.
5Entre 2012 et 2014, la première action de l’association consiste à aménager une « ambassade du PEROU » au cœur d’un bidonville de Ris-Orangis et Grigny, dans l’Essonne, habité par des personnes dites « roms ». Le bâtiment accueille alors des voisins solidaires, des collectifs d’habitants du quartier qui viennent donner des cours de français, facilitant l’accompagnement des personnes vers l’emploi et un logement pérenne. Installation de toilettes sèches, de douches, de dispositifs d’aération dans les baraquements, évacuation des déchets, dératisation, fleurissement rendent le site plus « accueillant ». Si le bidonville a été définitivement détruit en 2014, le PEROU assure que « sur les 140 personnes rencontrées à Ris-Orangis en octobre 2012, 70 au moins sont aujourd’hui locataires d’un logement [1] ». Pour Sébastien Thiéry, l’exemple fait office de démonstration implacable : « C’est la pelleteuse qui pérennise le bidonville, car il va se reconstruire ensuite un peu plus loin. » D’où, pour lui et ses amis, l’exigence de faire de ces espaces provisoires des lieux plus hospitaliers. Des lieux où vont pouvoir s’organiser et se mettre en place les moyens d’une transition vers un avenir meilleur pour celles et ceux qui s’y sont installés.
L’acte d’hospitalité, Patrimoine de l’humanité
6L’accueil, dans le sens le plus riche et généreux du terme, apparaît donc comme l’épine dorsale du PEROU. « Si ces actes souvent infimes qui composent un paysage incroyable et constant n’avaient pas lieu, beaucoup perdraient la vie, et nous la raison », présume Sébastien Thiéry. C’est ainsi qu’après avoir mené sept « situations » à Paris, Avignon, dans la « jungle » de Calais, à Arles ou Aubervilliers avec des sans-abri, des personnes migrantes, des architectes, des chercheurs en sciences sociales, des élus ou encore des collectivités, l’association entreprend de faire inscrire l’acte d’hospitalité au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
7Un projet que l’artiste coordonne alors qu’il est pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome, en 2019 et 2020. Après que les porteurs de l’action se sont saisis du formulaire « ICH-01 », dit « Liste de sauvegarde urgente de l’Unesco », ils entreprennent de « renseigner ce formulaire en bonne et due forme et de rassembler les pièces nécessaires à l’instruction : un texte qui conte et compte la communauté œuvrante ; dix images “haute définition” ; un film “monté, de cinq à dix minutes” ; un “plan de sauvegarde” (de valorisation, de célébration, de transmission, de restauration, de soutien, d’intensification, d’augmentation, d’élargissement, de prolifération) de l’acte consistant à faire d’un étranger un hôte, en mer Méditerranée et tout autour2 ». Parce qu’aucun État ne semble prêt à la soutenir, cette demande n’a cependant aucune chance d’aboutir. « Cette procédure est une œuvre : c’est un faux. Mais elle peut devenir vraie si les autorités compétentes s’en saisissent », commente Sébastien Thiéry. Ce qui n’empêche pas le collectif de dialoguer très sérieusement avec l’Unesco, tant il juge essentiel que l’institution reconnaisse les gestes humanitaires autour de l’accueil plutôt que les stratégies de marketing territorial des collectivités publiques.
8Pour le PEROU, la somme de ces gestes constitue pour nous tous un mouvement essentiel. Or, ils sont aussi souvent menacés. « Ces actes d’hospitalité font abri et sol pour la collectivité tout entière, pas seulement pour les exilés. Nous le savons : leur extinction ébranlerait nos existences, leur disparition atteindrait jusqu’à notre raison. C’est sans doute pourquoi ils demeurent le quotidien d’innombrables anonymes en dépit de lois les criminalisant, de dispositifs de contrôle visant à les neutraliser, de tout ce qui fait violence et terrorise aujourd’hui. À Lesbos, Calais, Paris, Vintimille et Lampedusa, on y tient comme s’ils constituaient une part de ce qui nous fait tenir. »
9Le projet Unesco porté par le PEROU trouve sa justification dans l’exigence d’élaborer un plan de sauvegarde dont chacune des mesures doit permettre de protéger, soutenir et faire fructifier la vitalité des gestes d’accueil. En soutien aux mobilisations citoyennes existant en Europe, il s’agit de définir des politiques d’accueil à la hauteur des mouvements migratoires du xxie siècle. Dans ce cadre, plusieurs initiatives concrètes se mettent en place : l’ouverture d’une archive écrite des actes d’hospitalité qui ont lieu en France et en Italie avec le concours de la juriste Mireille Delmas-Marty et de l’écrivain Erri De Luca, la proposition de considérer Spin Time, le plus grand squat de Rome, comme un « musée en actes des actes d’hospitalité », ou encore la fondation d’une « cinémathèque de l’hospitalité » à Marseille, en partenariat avec le festival Image de ville. Ces actions visent à créer une sorte de banque documentaire vivante de l’hospitalité, dans l’objectif de protéger et mieux partager ces marques d’attention à l’autre. Toutefois si, comme le souligne Sébastien Thiéry, la demande d’inscription à l’Unesco est une « œuvre », un « faux », « l’important ce sont les effets réels ». Les actes, encore et toujours.
Un « Très Grand Hôtel » pour abriter les gestes de soin
10Très vite, il est donc question de donner du corps à cet élan. Et de décliner en chapitres concrets la procédure entreprise. Le collectif lance alors le « Très Grand Hôtel », un projet visant à souligner la réalité de l’hospitalité qui se déploie au quotidien à l’échelle d’un quartier ou d’une ville. Tout en cherchant à la favoriser, à l’intensifier, en créant un « contre-centre d’hébergement pour le monde d’après ». Un monde où les « gestes de soin et d’attention » auront supplanté les « opérations de gestion de flux »3.
11Tout commence cour du Maroc, sur l’esplanade des Jardins d’Éole, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. C’est là que, depuis 2015, des habitants se mobilisent chaque matin pour offrir une boisson chaude, une viennoiserie, et souvent bien plus, à des personnes migrantes et/ou dans le besoin, sous la bannière des P’tits Déj’s solidaires. « Il y a là un écosystème de soin et de bienveillance, une économie de la vie. Une vitalité qui est mal décrite. C’est là qu’est né le Très Grand Hôtel », explique Sébastien Thiéry.
12Le 1er janvier 2021, le PEROU remet aux habitants du quartier de la Chapelle un faux compte-rendu du conseil municipal de la Ville de Paris dans lequel Anne Hidalgo annonce la construction cour du Maroc de la « réception » du Très Grand Hôtel. Le bâtiment y est présenté comme un « haut lieu public de rencontre avec les personnes migrantes et d’invention collective de l’hospitalité ». Dans les propos fictifs de la maire de Paris, la création architecturale apparaît à la fois comme la porte d’entrée du projet et son cœur battant. Un endroit facilitant les rencontres entre habitants et personnes migrantes, mais aussi un lieu de permanence « juridique pensé pour équiper les citoyens, les accompagner dans les procédures ». Ou encore de permanence citoyenne afin que, « lorsqu’un tel ne peut plus, ou ne veut plus, pour toujours ou pour un temps, un autre, voisin, ami, proche, puisse prendre le relais ». Ainsi, le PEROU fait dire à Anne Hidalgo que « le Très Grand Hôtel consiste en la consolidation de la solidarité, il rompt avec les stratégies de fragilisation des citoyens solidaires », tout en affirmant à un élu de l’opposition que sa mise en œuvre ne sert pas à professer « une interminable crise migratoire, mais un mouvement de solidarité inarrêtable […]. Les mouvements migratoires vont s’amplifier de manière extraordinaire dans les prochaines années, et seule une haute culture de l’accueil et de la bienveillance peut rendre désirable l’avenir qu’annoncent ces mouvements. C’est la politique de gestion de crise dans laquelle nous nous sommes enfermés qui produit le désastre que vous redoutez : instituant la migration comme catastrophe, elle promet un avenir catastrophique » [4].
13Le procédé est efficace : en mettant en scène une maire de Paris qui défend l’« hospitalité vive » avec un argumentaire construit, en la faisant répondre avec panache aux (hypothétiques) inquiétudes de certains conseillers municipaux, le PEROU rend crédible le soutien d’une politique d’accueil digne de ce nom par une collectivité de premier plan.
Construire un navire accueillant
14Cette volonté de contribuer à la « sauvegarde » des actes d’hospitalité amène inévitablement le PEROU à se tourner vers la Méditerranée. Début 2020, Sébastien Thiéry est invité par le Centre Pompidou Metz à concevoir une œuvre exceptionnelle dans le cadre de la célébration de ses dix années d’existence. Celui-ci propose alors la réalisation d’une extension flottante et mobile du musée. Soit, ni plus ni moins, la création d’un navire voguant sous le pavillon de l’Unesco. Et qui serait mis à disposition des « organisations sauvant des vies en mer Méditerranée ». Le PEROU travaille le plus sérieusement du monde à la conception des plans de ce qui pourrait devenir un véritable bateau avec l’architecte naval Marc Van Peteghem, le designer Marc Ferrand et les marins-sauveteurs de Marseille.
15Contrairement aux navires utilisés jusqu’alors par les ONG de secours aux personnes migrantes, comme SOS Méditerranée, ce catamaran est spécialement pensé pour le sauvetage en masse. Il doit notamment comporter un double radier, ces plates-formes qui équipent certains bateaux militaires pour leur permettre de récupérer d’autres embarcations. Il doit aussi être conçu comme un lieu de vie « accueillant » pour les rescapés. L’Avenir – c’est le nom provisoire du bâtiment – comprendra par ailleurs des espaces et des équipements destinés à prodiguer soins et réconfort à celles et ceux qui tentent de traverser la mer au péril de leur vie.
16La concrétisation de ce projet « colossal », selon les mots de Sébastien Thiéry, est évaluée à 30 millions d’euros. Il pourrait être en partie financé par des institutions artistiques et culturelles et/ou des appels à projets européens. Le politiste évoque également la constitution d’une société coopérative européenne abondée par des citoyens qui pourraient alors devenir propriétaires du navire. Navire qui serait construit en divers endroits, mais principalement à Marseille.
17Enfin, le chantier est aussi juridique. Si elle voit le jour, il est en effet peu probable que cette embarcation puisse naviguer sous pavillon Unesco. Sébastien Thiéry et ses complices militent donc pour la création d’un « pavillon maritime européen », de manière à associer sur un seul et même bateau Vieux Continent et esprit d’hospitalité. Il serait temps !
Notes
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2. et 3. Cf. la présentation de l’action sur le site du PEROU : http://www.perou-paris.org/Actions.html
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Propos fictifs d’Anne Hidalgo extraits du faux compte-rendu de conseil municipal rédigé par le PEROU.