DARD/DARD 2019/2 N° 2

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Article de revue

Elle cuisine des fleurs sauvages pour transmettre l’amour de la nature

Pages 147 à 153

Notes

  • [1]
    Emilia Hazelip est une agronome et naturaliste espagnole, pionnière de la permaculture en France.
  • [2]
    Couches superposées de matériaux ligneux (carbonés) et de matériaux verts (azotés), recouvertes d’un lit de terreau.
  • [3]
    Catherine Lonqueu-Gruffat est l’auteure de Cuisine aux fleurs et aux plantes sauvages, recueil de recettes et petit manuel d’identification botanique. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de l’association : https://fleursetvie.blogspot.com/
  • [4]

figure im1 Catherine Lonqueu-Gruffat

# Ancienne professeure d’horticulture, adepte des pédagogies nouvelles
# Animatrice nature au sein de l’association Fleurs et Vie
# Écologiste de la première heure
# Mangeuse de fleurs
# Militante de la permaculture

1« Je vous préviens, je peux être très bavarde ! » La « menace » ne résiste pas bien longtemps au sourire solaire de Catherine Lonqueu-Gruffat. Bavarde, peut-être, mais quoi de plus normal quand on a tant de choses à raconter sur un parcours de vie qui se confond avec un engagement de chaque instant, profond et sincère, loin de toute ostentation ?

2Dans le jardin de sa maison située sur un coteau surplombant la Loire, à l’entrée de Blois, Catherine fabrique son compost. Tout autour du pavillon, un jardin, qu’elle met peu à peu en place en suivant les préceptes de la permaculture. Ici un carré d’aromatiques, là des buttes façon Emilia Hazelip [1] et des cultures en lasagnes [2], plus loin des haies sèches. Partout un hymne à la biodiversité et à la nature. « La personne qui vivait ici avant moi n’avait que faire de l’espace autour de sa maison. Je pars donc de loin, et même si je m’émerveille déjà d’y récolter salades, asperges et artichauts en abondance, cela ne ressemble pas encore tout à fait à ce que je voudrais. »

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3Sa démarche en faveur du vivant vient elle aussi de loin. Catherine est née dans la Petite Beauce, une région qui, contrairement à la vraie Beauce, n’est pas fertile. Pas de céréales mais de l’élevage. Une chance ? La ferme dans laquelle elle grandit échappe au remembrement au début des années 1960. Le remembrement, c’est une des « brillantes » idées – constituer de grandes exploitations agricoles au détriment des plus petites pour tirer le meilleur parti de la mécanisation – dont on paye aujourd’hui encore le prix d’un point de vue écologique, car cette politique a abouti notamment à la quasi-disparition du bocage français.

4Catherine peut donc profiter d’une vraie vie rurale. Elle se balade et, dès son plus jeune âge, mange des fleurs. « Si mes parents n’avaient pas de réelles compétences en botanique, ils ont eu l’intelligence de ne pas m’inciter à me méfier des plantes. J’ai toujours eu un “feeling” naturel avec elles. » En ce début des années 1960, il n’existe pas d’associations de défense de la nature ; elle lit des revues de jardinage, ce qui l’amène à découvrir à l’âge de 12 ou 13 ans l’art floral. « Les cérémonies d’offrandes de fleurs à Bali me fascinaient. Ma voie a toujours été celle du végétal, et plus largement celle de la nature. » Un peu plus tard, en 1974, elle découvre – et se retrouve dans – le programme de René Dumont, candidat à l’élection présidentielle sous la bannière encore très marginale de l’écologie.

5Logiquement, elle aurait aimé aller au lycée agricole… « mais mes parents me rêvaient prof de maths », déplore-t-elle. En conséquence, pas de bac D’ (maths et sciences agronomiques, remplacé depuis 1994 par le bac S spécialité écologie, agronomie et territoires), mais un bac C, puis un BTS horticulture. « Sans me vanter, les noms des plantes rentraient tout seuls. Moi qui n’avais pas suivi le parcours menant à un bac technique agricole, j’ai littéralement dévoré toutes les matières que l’on m’enseignait, notamment tout ce qui touchait à la vie des sols. » Tout juste diplômée, elle part aux Pays-Bas pour un séjour de six mois. « Je voulais connaître les fleurs sous un autre angle et dans une autre culture. J’ai été déçue car leur démarche était vraiment trop industrielle. En revanche, j’ai découvert une approche différente de la gestion de l’eau, consubstantielle à l’histoire de ce pays qui a toujours eu à se battre avec la mer pour récupérer des terres. Comme j’ai toujours été attirée par l’histoire des peuples, ces six mois n’ont pas été inutiles. » De retour en France, Catherine enchaîne les petits contrats chez des horticulteurs. Les pesticides avaient alors une place prédominante dans le monde agricole, comme en témoigne un de ses souvenirs : « J’ai été atterrée de voir un maraîcher traiter ses salades juste avant de les couper, donc pas très longtemps avant qu’on les consomme ! Je ne lui en veux pas, car tout le monde faisait ça. Mais moi, dès mes années en BTS, j’ai été animée par la volonté de remettre en cause le système dominant. »

6Et comme on combat toujours mieux un système de l’intérieur, elle devient enseignante vacataire au lycée agricole d’Orléans. Son but ? Développer chez les jeunes l’amour des plantes. En janvier 1979, au cours d’une nouvelle vacation, cette fois dans le petit lycée horticole de Blois, elle commence à s’inspirer des méthodes des pédagogies nouvelles, en particulier celle prônée par Célestin Freinet. Admise au concours en 1981, elle est titularisée deux ans plus tard et s’installe définitivement à Blois. Rapidement, elle s’interroge : pourquoi les élèves comme les enseignants ont-ils l’air si peu heureux ? Elle décide alors d’appliquer les préceptes de la programmation neurolinguistique (PNL) : « J’ai essayé d’adopter dans mes cours une approche différente, plus sensorielle. Cela ne me paraissait pas incongru dans la mesure où, dans un lycée horticole, on travaille sur le vivant. Connaître son propre canal sensoriel dominant peut s’avérer intéressant. Dans un enseignement technique, faire appel au toucher, au ressenti – c’est-à-dire au kinesthésique – permet de se libérer du diktat du “pourquoi” pour se concentrer sur le “comment”. » Dans sa classe, les épreuves d’examen sont remplacées par des sortes de tournois, mais en l’occurrence la compétition est choisie et non contraignante ; plutôt que d’appliquer des notes, on pratique la correction entre pairs, pour arriver ensemble non pas à la solution mais à une solution. « Je me suis surtout découvert une passion pour la transmission », confie-t-elle.

7Ce qui n’éteint pas sa fibre militante, bien au contraire ! Elle fait ainsi partie de ceux qui refusent de construire le nouveau lycée à proximité d’une centrale dont les eaux de refroidissement auraient permis de chauffer ses serres et ses bâtiments. C’est aussi l’époque où elle accompagne son mari, Claude Gruffat, militant bio de la première heure, dans la création de la coopérative bio de Blois – il deviendra en 2004 président de Biocoop France. « Ce n’était pas dans le but de faire des affaires florissantes, mais de soutenir réellement l’agriculture biologique ainsi qu’une façon de faire du commerce qui soit juste et équitable pour les producteurs comme pour les consommateurs. » Sans intégrisme – notamment autour de la problématique des labels –, et avec la volonté farouche de militer dans l’union, jamais dans la division.

8Parallèlement, au milieu des années 1980, tous deux se forment à la naturopathie et obtiennent leur diplôme. Plus tard, alors que Claude suit des cours de biodynamie à l’école d’agrobiologie de Beaujeu, Catherine, alors en congé parental, y assiste en auditrice libre. Au tout début des années 1990, la biodynamie était souvent perçue au mieux comme du charlatanisme, au pire comme une pratique sectaire. « On n’a vraiment arrêté de nous prendre pour des hurluberlus ou des fanatiques que dans le courant des années 2000. Mais ma chance, poursuit-elle avec un sourire malicieux, c’est que je n’ai jamais été une baba cool. Je ne correspondais pas à la caricature de l’écolo qui circulait à cette époque. Peut-être que cela m’a aidée au fil des ans à faire passer mon message, car j’ai toujours eu une vraie conscience politique. » Une conscience qui s’exprime de manière positive, constructive et optimiste. Et qui souffre aujourd’hui de l’état du monde tel que les tenants de la collapsologie nous le dépeignent. « Oui, cela me fait un peu déprimer parce que je me dis que l’on n’a pas réussi, que les effets de nos actions ne sont pas à la mesure des enjeux. Certes, nos enfants ne peuvent pas nous reprocher de n’avoir rien fait, mais à 60 ans aujourd’hui, je leur dis quoi, aux jeunes de 15-20 ans ? Que je me suis battue toute ma vie ? Mais ils n’en ont rien à faire ! » Le petit coup de mou ne dure pas longtemps et le sourire reprend vite sa place : « Les gens de ma génération ont connu les deux mouvements : celui de la coupure avec la nature et celui du retour à la terre. On a peut-être eu tort d’avoir raison trop tôt, mais on a eu raison quand même ! »

9Catherine avoue aussi avoir un peu de mal à réaliser qu’elle a vécu la « grande » histoire du bio et de l’écologie. Une vie marquée par de nombreuses rencontres prestigieuses, dont elle ne se glorifie pas pour autant. « J’ai connu un Nicolas Hulot timide et un Cyril Dion tout jeune. Je me suis trouvée assise à côté d’Albert Jacquard à l’occasion de colloques. Ah, sa délicieuse façon de se présenter à l’auditoire… “Moi, Albert Jacquard, descendant d’une bactérie” ! » Elle se lie aussi d’amitié avec Philippe Desbrosses, créateur des Entretiens de Millançay qui rassemblent dans ce petit village de Sologne tout ce que le monde de la défense du vivant compte de scientifiques, philosophes, sociologues et hommes politiques. Elle y croisera le botaniste et écologue Jean-Marie Pelt, qui deviendra son ami.

10Tout comme Gérard Ducerf, l’auteur de L’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices alimentaires et médicinales. Elle partage avec lui la vision d’une nature « enseignante ». Dès 1989 elle crée une association, Fleurs et Vie – « une part forte de ma connexion avec la nature » –, dans le but de diffuser cet enseignement et de faire connaître l’intelligence du végétal. Elle y concocte des élixirs floraux à base de plantes médicinales selon le principe biodynamique de la cristallisation sensible dans le but de révéler leur énergie. Elle renoue aussi avec l’art floral, une vieille passion, qu’elle enseigne chez elle ou dans des maisons de quartier. « Je n’ai jamais ressenti d’ostracisme à mon encontre ou vis-à-vis de mes convictions, affirme-t-elle. Au contraire, j’ai toujours eu le sentiment que je “diffusais” des choses autour de moi. » Depuis 1995, Fleurs et Vie a également pris la direction… de la cuisine ! Sauvage, certes, mais cuisine tout de même. Ses sources ? Gérard Ducerf – encore lui –, ainsi que d’autres livres, en anglais pour la plupart. « J’ai voulu organiser des randonnées sensorielles et gustatives qui soient à l’opposé de la botanique rébarbative. On sort se balader et s’émerveiller ensemble. On touche, on regarde, on goûte. » En plus de prendre conscience de l’existence d’une véritable gastronomie sauvage [3], cela permet d’éveiller ses sens et de retrouver une mémoire gustative parfois bien enfouie. Aujourd’hui, l’association organise six à dix sorties par an autour de Blois, sur les bords de Loire ou dans la vallée de la Cisse, et accueille des personnes qui n’ont pas forcément un jardin mais souhaitent se reconnecter avec la nature.

11Si elle aime transmettre, Catherine Lonqueu-Gruffat n’en demeure pas moins une éternelle étudiante. « J’ai découvert la permaculture il y a seulement huit ans. J’ai passé un hiver entier à me documenter sur tout ce qu’on pouvait trouver à ce sujet sur Internet, à constituer des dossiers. J’ai alors réalisé que, tel Monsieur Jourdain, j’en faisais déjà sans le savoir ! Tout dans cette philosophie fait écho en moi. Le respect de la nature et de l’homme, je l’expérimente à travers la naturopathie. Quant au partage équitable des ressources, l’aventure Biocoop en est imprégnée. » Là encore, dans cette aventure permacole, pas d’idéologie mais l’occasion de faire des rencontres. Celle d’Yves Donnars, par exemple, fondateur il y a une quarantaine d’années de l’Espace des possibles près de Royan. Dans ce lieu unique, centre de vacances alternatif, Catherine a installé un verger-potager et anime désormais régulièrement des ateliers [4]. « L’Espace des possibles a accompagné ma construction », explique-t-elle. Une construction parachevée dans un cours certifié de permaculture (CCP) dispensé par Warren Brush, un formateur américain. « J’ai pris conscience que dans la permaculture j’aimais particulièrement la notion de zonage, mais sans jamais la séparer de l’idée de rêve. Oh, mais je parle, je parle, alors qu’il est l’heure de manger… J’ai fait un pesto d’ortie. D’ailleurs, je vous dirai pourquoi on a tort de croire que l’ortie pique ; en réalité, elle provoque des micro-coupures. Je vous l’avais bien dit que j’étais bavarde… » Oui, peut-être. Mais surtout passionnée, et passionnante.


Date de mise en ligne : 27/04/2020

https://doi.org/10.3917/dard.002.0147

Notes

  • [1]
    Emilia Hazelip est une agronome et naturaliste espagnole, pionnière de la permaculture en France.
  • [2]
    Couches superposées de matériaux ligneux (carbonés) et de matériaux verts (azotés), recouvertes d’un lit de terreau.
  • [3]
    Catherine Lonqueu-Gruffat est l’auteure de Cuisine aux fleurs et aux plantes sauvages, recueil de recettes et petit manuel d’identification botanique. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de l’association : https://fleursetvie.blogspot.com/
  • [4]

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