Jean-Claude Pons
# Maire de Luc-sur-Aude
# Co-fondateur d’Écocert
# Membre fondateur des Verts
1Le compteur est hors-service, en quête désespérée d’une mise à jour. Serait-ce le soleil de fin d’hiver, décidément trop ardent, qui aurait fait « bugger » les panneaux photovoltaïques juchés sur le toit de la salle communale ? Sourire en coin, casquette sur la tête, Jean-Claude Pons nous rassure aussitôt. Les panneaux fonctionnent bel et bien. Un simple souci d’affichage, explique-t-il en ouvrant la fenêtre de son bureau de maire pour faire entrer la chaleur. En quelques clics, les chiffres attendus apparaissent d’ailleurs sur l’écran de l’ordinateur. Production journalière : 69,728 kilowatts/heure ; recette quotidienne : 29,99 euros ; réduction des émissions de CO2 : 8,367 kilos.
2Pour la petite commune de Luc-sur-Aude, ces chiffres sont presque anecdotiques. Sans attendre, le maire se dirige vers les hauteurs du bourg où, entre vignes et garrigue, 924 panneaux toisent les cimes pyrénéennes. Mis en service en 2018, ce parc solaire produit 320 000 kilowatts/heure par an, de quoi largement couvrir la consommation de la commune de 247 habitants (hors chauffage). Surtout, à sa création, ce fut le premier parc solaire citoyen de France. L’équipement appartient à une société par actions simplifiée (SAS) qui rassemble 287 citoyens actionnaires. « Plutôt que de donner un blanc-seing à un développeur de photovoltaïque, nous voulions faire participer les citoyens pour qu’ils s’approprient les mécanismes de la production d’électricité, qu’ils deviennent les acteurs de leur consommation. En 2014, nous avons donc répondu à un appel à projets du Conseil régional (Languedoc-Roussillon à l’époque, Occitanie aujourd’hui). Pour 1 euro financé par un citoyen, la collectivité versait la même somme. Ce montage nous permettait d’avoir un parc à la dimension de la commune, dont la plus-value alimenterait l’économie locale », avance l’édile en déverrouillant l’entrée du parc.
3Élu maire en 2008, Jean-Claude Pons est le grand artisan de cette politique écologique. La soixantaine, il déborde d’énergie et jongle avec les casquettes depuis maintenant quarante ans. Un jour, il chausse ses bottes pour aller cultiver en bio ses 10 hectares de plantes aromatiques – qu’il distille lui-même – ou d’oliviers – dont il presse les fruits ; le lendemain, il anime un conseil municipal avant de partir en mission au bout du monde pour promouvoir l’agriculture biologique. Depuis toujours, la cause écologique guide ses actions. C’est ainsi qu’à l’âge de 12 ans, vivant alors dans le Tarn, le petit Jean-Claude commet son premier acte militant : le sabotage d’un bulldozer qui arrachait des arbres. Enfant, il découvre la nature auprès de son grand-père, paysan et chasseur, qui lui apprend à reconnaître les plantes et les traces d’animaux. Cet intérêt pour la nature le porte quelques années plus tard à l’obtention d’un bac agricole et d’un DEA en écologie, qui le mènent en 1984 dans la haute vallée de l’Aude où il s’installe comme agriculteur par le biais d’un groupement foncier agricole (GFA). Sur ces terres difficiles, calcaires et arides, il devient un pionnier de la culture biologique. Dans un vallon entouré de garrigue, il sème des aromatiques et plante des oliviers dont les feuilles argentées étincellent encore aujourd’hui sous le soleil audois. Quelques années plus tard, avec un groupe d’amis, il fonde l’organisme de certification Écocert.
4Sa vie professionnelle se déroule dès lors entre action et réflexion. Un jour, il expérimente sur sa ferme un nouveau compost avec du minerai de basalte ; le lendemain, il s’envole vers l’Égypte pour soutenir la création d’une filière jasmin moins gourmande en pesticides et autres engrais chimiques. Une semaine, il presse ses olives – aglandau, olivière ou picholine ; la suivante, il visite des agriculteurs en quête d’une certification biologique.
5Tout en menant son exploitation, le paysan audois est en effet resté salarié d’Écocert. Par son intermédiaire, il défend l’agriculture biologique en France et dans le monde, réalise des missions d’audit et de conseil pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), l’Institut national des appellations d’origine (INAO), ou encore des entreprises privées. « Ce jeu entre la théorie et la pratique me donne de la force. J’ai visité plus de 80 pays pour promouvoir l’agriculture biologique. J’ai notamment créé les bureaux Écocert du Maroc, du Paraguay, de l’Équateur, de la Colombie, dirigé pendant cinq ans la filière pour l’Amérique latine. Mais dans le même temps, j’ai gardé mon exploitation car j’ai besoin de toucher la terre. Je ne conçois pas une existence sans faire pousser quelque chose. Et puis, l’agriculture biologique, ce n’est pas facile. Parfois, on rate des récoltes. Je peux en parler, je peux la défendre, car je la pratique ; j’en connais les limites et les potentialités. Faire mon compost, mettre les mains dans la terre alimente mon travail intellectuel », explique-t-il devant une parcelle de 2 hectares dans laquelle il vient de semer thym et marjolaine.
6Dans ses champs d’oliviers enherbés (toujours en GFA, propriété de 40 actionnaires) comme à la mairie de Luc-sur-Aude ou en mission aux quatre coins du monde, Jean-Claude Pons défend aussi une autre cause, celle de l’action collective. « Je crois en ce proverbe africain qui dit : “Seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin”, confie-t-il de retour dans son bureau. Quand quelque chose de fort m’anime, j’ai besoin de le partager avec les autres. » À la mairie de Luc, il a ainsi trouvé un terrain d’expression idéal pour fédérer autour de ses convictions écologiques. Lorsqu’il a été élu pour la première fois, en 2008, le conseil municipal a commencé par mettre en place des petites mesures. « En 2009, à l’occasion d’un diagnostic énergétique, nous nous sommes rendu compte que nous gaspillions beaucoup d’énergie, notamment à l’école où il n’y avait pas de régulation pour le chauffage. Nous avons commencé par poser un thermostat, ensuite nous avons isolé les bâtiments communaux, puis voté l’extinction de l’éclairage public de minuit à 5 heures du matin pour un gain de 4 000 euros par an », détaille-t-il. S’ensuit la rénovation bioclimatique de vieilles maisons transformées en logements sociaux et équipées d’une chaudière à bois collective. « Pour un T3, les locataires payent 190 euros d’eau chaude et de chauffage par an. Depuis, on a installé une autre chaudière à bois dans l’école. Pour cet équipement à 90 000 euros, nous avons reçu 70 % de subventions (Ademe, Région, Département) ; nous avons emprunté les 30 % manquants auprès de la Nef, une coopérative de finances solidaires. Ce que l’on économise en électricité couvre les annuités. »
7Plus économe en énergie, la commune est ensuite devenue productrice d’électricité. Les panneaux posés sur le toit du foyer ont coûté 30 000 euros. Dans six ans, lorsque l’emprunt sera remboursé, ils rapporteront annuellement 7 400 euros.
8Et puis est venue l’heure du parc solaire citoyen. « Nous avons pris notre temps pour sonder la population, répondre aux craintes et convaincre. Le soir où nous avons lancé la collecte, quand j’ai vu la file devant la mairie, j’ai compris que c’était gagné », raconte-t-il. Et de fait, parmi les 287 actionnaires de la SAS « 1, 2, 3 Soleil », bon nombre sont des habitants du bourg. Pour eux, l’intérêt est double : d’une part, ils consomment l’électricité produite sur place ; d’autre part, la SAS leur assure des rendements de 3 à 5 %, de quoi solder sans hésiter son livret A ! Chaque année, les actionnaires ont le choix entre toucher des dividendes ou les laisser à la disposition de la SAS, qui les investira dans d’autres projets au service du territoire.
9Car Luc-sur-Aude et son maire n’entendent pas s’arrêter à ce parc solaire citoyen. Dernier chantier en date sur la voie de la transition : la création d’un lotissement participatif éco-construit qui réunira 13 familles autour d’un atelier et d’un jardin-verger collectif. Les candidats à l’installation sont invités à imaginer leur maison en intégrant à leur projet un nombre imposé de modules de leur choix parmi diverses propositions : autonomie énergétique, construction bioclimatique, récupération de l’eau de pluie, installation de toilettes sèches… « Ici, les gens n’étaient pas forcément écolos mais ils le sont devenus, se réjouit l’édile. Nous sommes l’un des villages qui, lors des dernières élections – européennes et présidentielle –, ont le plus voté écologiste ou La France insoumise. »
10Écologiste convaincu mais n’adhérant à aucun parti, Jean-Claude Pons s’est représenté en mars dernier avec pour seule étiquette celle de son bilan et de ses projets. À la tête d’une liste unique, il a été réélu pour un troisième mandat, qu’avec son conseil municipal il a décidé de placer sous le signe de la résilience. L’idée est de penser la survie de la communauté villageoise en cas de crise, s’il n’y a plus d’accès à la nourriture, à l’énergie, au carburant si précieux en milieu rural. Cela passera peut-être par la création d’un grand potager collectif, ou la construction d’un moulin pour faire vivre une vraie filière céréalière. Les habitants décideront. « Aujourd’hui, nos fermes sont spécialisées. On élève des poules qui sont incapables de vivre dans la nature et on cultive des céréales qui ne sont pas panifiables. Une ville comme Toulouse n’a que deux jours d’autonomie alimentaire… »
11Pour autant, malgré ce constat, malgré les violences climatiques qui meurtrissent régulièrement son département, les inondations qui sèment la désolation et les sécheresses qui chamboulent le paysage forestier et agricole, Jean-Claude Pons refuse de céder à une vision apocalyptique de l’avenir. « Les problèmes posés il y a quarante ans, lorsque je faisais mes études d’écologie, n’ont fait que croître en acuité. Mais prise dans sa radicalité, la violence de la critique collapsologue a quand même quelque chose de morbide dans lequel je ne me retrouve pas. Elle peut nous enfermer dans une option nihiliste. Cela dit, les conclusions des collapsologues sont justes. Nous tirons trop sur le système, qui craque de toute part. Dans le fonctionnement de nos sociétés, il y a des choses dont on aura du mal à se passer, notamment d’un certain confort. Après tout, nous sommes des mammifères assujettis au système dit de récompense/renforcement (ou hédonique), c’est une caractéristique de notre fonctionnement cérébral. Mais l’humanité est parfois pleine de ressources. Peut-être qu’elle trouvera une voie étroite pour s’en sortir. »
12Si cette voie existe, l’oléiculteur est persuadé que c’est à l’échelon local qu’il faut l’emprunter. « Penser globalement, agir localement » : il a fait sienne l’injonction de l’agronome et écologue René Dubos. À l’heure de la loi NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République, à l’heure de la sacro-sainte métropolisation, il défend bec et ongles la commune. « C’est l’échelon le plus pertinent pour engager la transition écologique, assure-t-il ; c’est de là que doit partir le signal de la mobilisation. Avant d’être élu, je doutais du bien-fondé de la commune. Aujourd’hui, j’adhère au principe de subsidiarité. Je sais qu’il faut raisonner à l’échelle d’un territoire qui est celui que l’on maîtrise. Beaucoup de nos concitoyens attendent des autorités de vraies mesures et non ces mesurettes avec lesquelles on nous amuse, comme l’interdiction des pailles en plastique. À l’échelle de la commune, il faut penser les questions de la mobilité en milieu rural, de l’isolation de nos maisons, des énergies renouvelables, de la sécurité alimentaire en cas d’événement violent, et réfléchir à cette eau qui va nous manquer souvent et nous noyer parfois. Dans le monde rural, le mot “écologie” n’a souvent pas bonne presse, suspect qu’il est d’imposer aux habitants des décisions venues du monde urbain. Qui mieux qu’une municipalité pour organiser des débats, des animations, la venue d’experts lorsqu’un projet controversé émerge ? Des décisions difficiles voire contraignantes, la transition écologique va en nécessiter de toute évidence. Si on veut qu’elles soient prises et acceptées sans traumatisme, des consensus et des coordinations seront à créer. Et s’il est illusoire de penser qu’une commune puisse à elle seule changer le cours des choses, ensemble elles doivent être les troupes de choc de cette bataille qui s’annonce vitale. »
13Dans son costume de maire de Luc-sur-Aude, avec sa casquette d’ambassadeur de la culture biologique ou ses bottes d’agriculteur, Jean-Claude Pons est prêt pour la bataille. Une bataille qu’il mène depuis quarante ans, entre pratique et théorie, les mains dans la terre et entre deux voyages à l’étranger.